Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Hommage à une victime du narcotrafic
Annonce du « duoday » au sénat
Questions d'actualité au Gouvernement
assassinat de mehdi kessaci et état de la menace liée au narcotrafic
baisse des moyens accordés par l'état aux collectivités territoriales
préservation des petites lignes ferroviaires dans le grand est
décentralisation budgétaire et aménagement du territoire
assassinat de mehdi kessaci et narcotrafic
situation financière des collectivités territoriales
place de la france dans l'industrie spatiale européenne
plfss pour 2026 et fermeture de services dans les hôpitaux
avenir de l'industrie automobile
souveraineté française en matière de médicaments et présence de pharmacies sur le territoire
décentralisation des services du ministère de l'intérieur
situation des hôpitaux dans les outre-mer
Financement de la sécurité sociale pour 2026
Demande de renvoi en commission
Présidence de M. Gérard Larcher
1
Hommage à une victime du narcotrafic
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, chaque jour le narcotrafic fait en France de nouvelles victimes.
Nous avons une pensée pour ce jeune Marseillais, Mehdi Kessaci, lâchement assassiné, le 13 novembre dernier. Assassinat qui constitue, selon le ministre de l'intérieur, un « point de bascule ».
Je tenais à exprimer, au nom de notre assemblée, notre volonté inébranlable de faire face à ce fléau.
Ce combat, le Sénat l'a porté au travers de la proposition de loi de nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain qui recueillit le soutien d'une large majorité de parlementaires.
La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic promulguée le 13 juin dernier donne les outils nécessaires à l'État dans cette lutte qui, nous le savons, demande courage, volonté et moyens.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, nos compatriotes, et avec eux le Sénat, attendent désormais des résultats, notamment avec l'installation du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) en janvier prochain. Nous en avons besoin de manière impérative !
Pour ce jeune et sa famille, en association avec l'ensemble de nos collègues des Bouches-du-Rhône, je vous demande un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, M. le Premier ministre, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent et observent un moment de recueillement.)
2
Annonce du « duoday » au sénat
M. le président. Mes chers collègues, en cette semaine européenne de l'emploi pour les personnes en situation de handicap, nous sommes heureux de vous annoncer que le 25 novembre prochain nous accueillerons, dans nos tribunes, une soixantaine de duos qui viendront découvrir le fonctionnement de notre institution, mais aussi nos métiers.
Le Sénat est pleinement mobilisé pour l'intégration des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, notamment au travers de ces journées d'échanges qui constituent un moment privilégié pour changer de regard et, ensemble, dépasser nos préjugés.
Je remercie chaque sénatrice, sénateur, fonctionnaire, contractuel et collaborateur de sa participation à cette journée consacrée à l'emploi des personnes en situation de handicap.
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Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
Ce temps de parole est de deux minutes, tant pour les sénateurs que pour le Gouvernement. Le seul qui en soit exonéré est le Premier ministre, mais je sais qu'il n'en abusera pas.
assassinat de mehdi kessaci et état de la menace liée au narcotrafic
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Avant de commencer, je tenais à vous remercier, monsieur le président, de l'hommage que vous avez rendu à Mehdi Kessaci.
« Non, je ne me tairai pas », a dit Amine Kessaci, mon ami. Son frère, Mehdi Kessaci, a été abattu par le crime organisé du narcotrafic. Son frère qui, d'après les mots mêmes d'Amine, n'était coupable que d'être son frère. Il s'agit d'un meurtre d'intimidation, d'un meurtre d'asservissement.
Je veux apporter mon soutien à cet homme et à cette famille dévastée par le narcotrafic. Eux-mêmes n'ont eu de cesse de soutenir et d'accompagner les autres familles de victimes, ces enfants happés, puis enchaînés par le narcotrafic. Cet engagement envers les autres, pour les autres, Mehdi le manifestait également puisqu'il voulait rejoindre les forces de l'ordre.
Ayons aussi une pensée pour toutes ces mamans, ces grands-mères, ces sœurs de victimes.
Au-delà de l'hommage, je souhaite porter le témoignage d'Amine, qui a pris la parole aujourd'hui dans une tribune. L'action judiciaire, policière, financière, diplomatique est nécessaire, mais elle ne suffit pas.
Le volet consacré à la prévention et au soutien social a été oublié dans la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Dès 2024, nous avions insisté sur la nécessité d'une action de prévention destinée à enrayer l'engrenage pour ceux que la tentation ou la contrainte conduit vers cette économie mortifère.
Amine le rappelle : l'État doit prendre la mesure de ce qui se passe et comprendre qu'une lutte à mort est engagée. Il est temps d'agir, par exemple, en faisant revenir les services publics dans les quartiers, en luttant contre l'échec scolaire qui fournit aux trafiquants une main-d'œuvre soumise, en dotant les enquêteurs et les forces de police des moyens dont ils ont besoin et en soutenant réellement les familles de victimes du narcotrafic, y compris pour leur relogement.
« Je dirai […] les failles de la République, les territoires abandonnés et les populations oblitérées », a affirmé Amine. Il faut le reconnaître, notre pays a laissé prospérer le narcotrafic parce qu'il se déroulait dans des quartiers populaires que personne ne voulait regarder, parce qu'il semait le malheur parmi des citoyens que personne ne daignait écouter, parce que l'on a, trop longtemps, considéré que certaines vies ne comptent pas. C'est cela qui doit changer aujourd'hui.
Ce n'est pas une question, monsieur le ministre, c'est le relais d'un cri qui retentit, la demande d'une action politique, sanitaire, sociale et scolaire de prévention, d'une stratégie de fond, en quelque sorte, pour ne pas laisser prospérer l'emprise du crime organisé ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Je m'associe, à mon tour, à l'hommage rendu à Mehdi Kessaci, tragiquement assassiné. Nous avons une pensée pour lui comme pour son frère Amine, qui dénonce les narcotrafics.
Monsieur le sénateur, soyez assuré que nous poursuivrons le combat que nous menons depuis maintenant de nombreuses années. Je le redis ici : dès 2015, la coordination renforcée et l'approche globale expérimentée à Marseille ont permis aux services de se décloisonner et de mieux agir.
Depuis 2017, les coups portés au trafic, le renforcement des effectifs, la réforme de l'Office anti-stupéfiants (Ofast) et les frappes particulièrement dures infligées au narcotrafic produisent, malgré tout, des effets. Il faut le reconnaître : nous obtenons des résultats. Les homicides liés au trafic ont été divisés par deux entre 2023 et 2024 ; ce chiffre mérite d'être rappelé. Le nombre de réseaux démantelés augmente, comme l'illustre encore l'opération menée à la Castellane en avril.
Vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, et nous en convenons – le Gouvernement le partage et, en tant que ministre de l'intérieur, je le partage pleinement : il faut faire encore plus et il faut faire mieux. C'est ce que nous mettons en œuvre aussi dans le cadre de la loi qui vient d'être d'adoptée et qui offre des outils nouveaux, extrêmement précieux, aux forces répressives, notamment judiciaires. Nous allons les mobiliser. Je songe, en particulier, aux quartiers de lutte contre la criminalité organisée au sein des établissements pénitentiaires : vingt-six membres des mafias marseillaises y sont incarcérés.
Enfin, nous allons travailler avec le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), qui sera instauré au 1er janvier prochain, ainsi qu'avec l'état-major mis en place par Bruno Retailleau, alors ministre d'État, rattaché à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), ce qui permet aux services d'échanger des informations.
Nous allons poursuivre sans relâche cette lutte implacable contre les trafics. Comme l'a rappelé M. le président du Sénat et comme l'a déclaré M. le Premier ministre hier à l'Assemblée nationale : la guerre est engagée, mais elle est loin d'être achevée même si nous gagnons des batailles. Vous pouvez compter sur la détermination du ministre de l'intérieur que je suis pour poursuivre ce combat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
baisse des moyens accordés par l'état aux collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa et M. Louis Vogel applaudissent également.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ma question est à la fois grave et large, mais aussi sécuritaire, car elle touche à la manière dont l'État considère les territoires et renvoie à quelque chose de plus profond que la seule gestion. Comme le disait Tocqueville, « c'est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres ».
Les communes de France, les collectivités locales, le pays et tous ceux qui sont attachés aux services publics locaux et à l'investissement d'avenir, à ce qui fonctionne encore dans notre pays, ont lancé un avis de recherche.
Recherche des libertés locales perdues : les collectivités se sentent prisonnières d'un agresseur, enfermées dans une verticalité normative et une forme d'infantilisation qui n'a cessé de se renforcer depuis 2017 et qui, bien souvent – ironie du sort –, les place en accusation.
Recherche, aussi, d'un forban qui a supprimé un impôt qui ne lui appartenait pas, la taxe d'habitation (TH), et ment – certes de longue date – quant à ses engagements de compenser ce qu'il a choisi de supprimer ou de transférer : la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui constitue un dû et non un don, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et, désormais, les valeurs locatives industrielles, sans même évoquer les charges transférées, en particulier dans le domaine social.
Ce n'est pourtant pas en saignant les bien-portants, qui le sont d'ailleurs chaque jour un peu moins, que l'on soigne le malade, lui qui en demande toujours plus tant son addiction est grande.
Même si le malade, le coupable, joue parfois les « Zorro » grâce à une péréquation par ailleurs bienvenue, mais souvent financée par les autres, je vous le demande, monsieur le Premier ministre : allez-vous enfin mettre aux arrêts ce bandit de grand chemin et rendre à nos territoires leur dû ou, tout du moins, ne pas leur en prendre davantage dans ce projet de loi de finances ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. J'ai noté la gravité de votre propos, monsieur le sénateur Sautarel, qui recueille, sans aucun doute, un large assentiment dans cet hémicycle. Je vous le dis avec franchise : vos mots, souvent forts, éclairent les enjeux, et, en même temps, vous demeurez un sénateur constructif, capable de reconnaître les faits. Je tiens, d'ailleurs, à vous remercier pour le travail que vous menez avec votre collègue Isabelle Briquet sur les collectivités territoriales.
Monsieur le sénateur Sautarel, je rappelle le point de départ de notre histoire commune : le fleuve remonte à sa source, et sa source consiste en une dette publique de 3 400 milliards d'euros, dette qui s'alourdit de 12 millions d'euros chaque heure qui passe, tout au long de l'année.
M. Jean-François Husson. Ce n'est pas le Saint-Esprit qui a fait la dette !
Mme Françoise Gatel, ministre. Nous sommes la « maison France », qui réunit à la fois l'État et les collectivités. L'ambition de chacun, ici, vise à redresser notre pays pour permettre, comme vous l'avez souligné et comme vous l'exigez, monsieur le sénateur Sautarel, que la France retrouve des couleurs et garantisse, jusqu'au dernier kilomètre, les services que nous devons rendre.
Vous avez raison, monsieur le sénateur : les équilibres budgétaires évoluent et vous vous en saisirez. Permettez-moi toutefois de rappeler quelques éléments que vous connaissez parfaitement. Vous mettez le doigt sur les irritants : ces difficultés nous interpellent et appellent des réponses. Je dois néanmoins souligner que l'ensemble des transferts de l'État vers les collectivités s'élève à 154 milliards d'euros par an. À l'intérieur de cette enveloppe figurent les dotations auxquelles vous faites référence.
Nous avons maintenu les dotations globales de fonctionnement. M. le Premier ministre a réaffirmé, pas plus tard que la semaine dernière, sa totale solidarité à l'égard des départements. Nous porterons le fonds de sauvegarde de 300 millions à 600 millions d'euros. Nous avons augmenté la dotation de solidarité rurale (DSR). (On s'impatiente sur plusieurs travées, le temps de parole de l'oratrice étant écoulé.)
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Monsieur le président, je reconnais bien là la frugalité du Sénat. Nous poursuivrons ce travail en commun, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Madame la ministre, nous n'ignorons pas la situation de nos finances publiques. Pour autant, les collectivités n'en sont pas responsables !
M. Stéphane Sautarel. Les derniers chiffres d'exécution pour 2025 montrent que leurs dépenses progressent moins vite que celles de l'État et de la sécurité sociale.
Puisque vous évoquez les fleuves, madame la ministre, un proverbe africain rappelle que, lorsqu'on est dans le fleuve, on ne le voit plus. Cette image illustre précisément ce qui, aujourd'hui, pénalise la vision de l'État à l'égard des collectivités territoriales.
Faites donc confiance aux collectivités et ne les ponctionnez pas davantage, en dehors des seules mesures de trésorerie et d'épargne forcée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – MM. Jean-Yves Roux et André Guiol applaudissent également.)
forages en guyane
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la Guyane française restera-t-elle éternellement sacrifiée ? Je pose la question avec gravité, mais aussi avec indignation.
La vérité est que la Guyane est un tas d'or, de richesses minières, de ressources halieutiques, mais pas pour les Guyanais. Pire, nous laissons d'autres se servir et les piller. Je songe aux plus de 10 tonnes d'or volées chaque année par les garimpeiros brésiliens.
Il en sera bientôt de même pour le pétrole. La loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, dite loi Hulot, a placé ce territoire sous une cloche étanche qui interdit même de connaître son potentiel.
Tous nos voisins explorent, produisent et se développent grâce au pétrole. Le Brésil de Lula, en pleine COP30, a même ouvert de nouvelles zones d'exploration le long de notre frontière maritime. Pourquoi la Guyane devrait-elle être la seule à être exemplaire sur tout le plateau des Guyanes ?
Que l'on ne nous dise pas que c'est par souci écologique, car même en 2050, si nous atteignons la neutralité carbone, la France continuera d'importer des hydrocarbures.
Nous sommes sommés d'être exemplaires pour être une vitrine écologique, une espèce de sanctuaire inerte, mais sans compensation. Il faut le dire, cette cloche posée sur la Guyane est une servitude coloniale, l'expression d'un paternalisme qui n'a plus lieu d'être en 2025.
La Guyane ne demande pas un passe-droit. Elle demande le droit à un développement endogène basé sur ses richesses, le droit d'avoir des routes pour les communes enclavées, le droit d'avoir de l'eau potable, le droit d'avoir de l'électricité 24 heures sur 24, le droit d'avoir des logements. Toutes ces infrastructures que l'État peine à financer. Les Guyanais ne veulent plus que plus de 50 % d'entre eux restent dans la pauvreté.
Monsieur le Premier ministre, je vous le demande solennellement : il est plus que temps d'enlever cette cloche sur la Guyane, plus que temps de lever ces mesures qui freinent et bloquent son développement, au premier rang desquelles la loi Hulot. Les Guyanais ne peuvent et ne veulent plus attendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Catherine Conconne et M. Victorin Lurel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mer et de la pêche.
Mme Catherine Chabaud, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargée de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Georges Patient, permettez-moi tout d'abord de vous dire ma fierté de m'exprimer pour la première fois devant la représentation nationale en tant que ministre déléguée chargée de la mer et de la pêche.
Permettez-moi aussi de vous présenter les excuses de Mme la ministre Monique Barbut, actuellement retenue au Brésil dans le cadre de la COP30. Elle se rendra dans la foulée en Guyane, où elle aura justement l'occasion d'échanger avec vous, monsieur le sénateur, au sujet du développement économique de ce territoire.
La Guyane, comme tous nos outre-mer, participe à la dimension maritime de la France. Je sais que vous échangerez également sur la préservation des ressources. Vous l'avez souligné, elles sont nombreuses en Guyane : l'or, le bois et les ressources halieutiques qui font la richesse de votre territoire. Notre volonté est que ces ressources soient exploitées avant tout au bénéfice des Guyanais.
Le Président de la République a organisé un dîner le 15 octobre dernier avec les élus d'outre-mer. Il a été décidé de lancer un groupe de travail (Exclamations ironiques sur les travées du groupe UC.) en vue de déterminer un cadre institutionnel adapté à chaque territoire. Cela vaut particulièrement pour la Guyane.
Dans le cadre de ces travaux, la question de la valorisation des ressources occupera une place centrale, tout comme celle de son autonomie énergétique. Sur ce point, la Guyane est un territoire exemplaire de notre République et sa programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit un mix énergétique 100 % renouvelable en 2027, c'est-à-dire demain.
À l'heure où la France et une grande partie des États dans le monde s'engagent dans une trajectoire d'électrification des usages, la pertinence de lancer des projets d'exploitation d'hydrocarbures ne me semble pas – à titre personnel et pour notre pôle – aller dans le sens de l'histoire.
Je profite de l'occasion que vous me donnez pour vous dire qu'à la COP30 les autres solutions venues de l'océan sont de plus en plus nombreuses à être évoquées, notamment la décarbonation du transport maritime, le développement des énergies de la mer, mais également les solutions fondées sur la nature. (Marques d'impatience sur plusieurs travées.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Catherine Chabaud, ministre déléguée. En Guyane, vous avez des écosystèmes marins et aquatiques qu'il faut régénérer.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, il faudrait rappeler aux ministres les règles relatives au temps de parole !
préservation des petites lignes ferroviaires dans le grand est
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)
M. Marc Laménie. La question ferroviaire est une problématique d'aménagement du territoire qui concerne l'ensemble du pays.
Je souhaite, en particulier, alerter M. le ministre des transports sur la situation du TGV Est mis en place en juin 2007, soit il y a un peu plus de dix-huit ans. Le développement du réseau Grand Est, qu'il s'agisse les lignes à grande vitesse ou, en parallèle, des trains express régionaux (TER), vise à assurer la desserte du territoire et répond à un besoin d'aménagement du territoire.
Il s'agissait, notamment, de désenclaver le département des Ardennes que ma collègue Else Joseph et moi-même représentons, mais aussi la Marne, la Meuse, les Vosges – je pense, en particulier, aux communes de Bar-le-Duc, d'Épinal, de Remiremont, de Saint-Dié-des-Vosges, etc. À ce titre, nous pouvons remercier l'ancien président de la Haute Assemblée, Christian Poncelet.
L'interconnexion entre les lignes, la mobilité et la répartition équilibrée au sein des territoires ont été réalisées avec un cofinancement des collectivités territoriales.
Toutefois, au fil des ans, un sentiment d'abandon se fait sentir. Les Ardennais sont pourtant attachés à leurs deux TGV journaliers directs avec une desserte de Rethel, de Charleville-Mézières et de Sedan, à la fois sous-préfecture et préfecture.
Or nous constatons que depuis la loi pour un nouveau pacte ferroviaire de 2018, que je n'avais pas votée, les correspondances entre TGV et TER sont devenues difficiles. Avec le développement du tout-numérique, le personnel a, hélas ! quasiment disparu dans les gares. C'est d'ailleurs ce qui attend la gare de Rethel avec la fin de la présence physique au niveau des guichets.
Dès lors, nous pouvons nous interroger. Quel accompagnement pour les voyageurs ? Quelle qualité pour les interconnexions ? Je salue, à ce titre, le travail quotidien de l'ensemble des personnels. Quels moyens nous donnons-nous ? Les garanties de maintien des TGV directs seront-elles maintenues ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des transports.
M. Philippe Tabarot, ministre des transports. Monsieur le sénateur Marc Laménie, le train est un formidable outil d'aménagement du territoire et a vocation à le rester : je ne vous l'apprends pas, vous qui êtes un fin connaisseur du ferroviaire en France. (Applaudissements sur diverses travées.)
S'agissant de votre territoire et de celui de Mme la sénatrice Else Joseph, l'offre demeurera stable. La SNCF a confirmé le maintien de la desserte TGV en ce qui concerne Rethel, Charleville-Mézières et Sedan. Les deux trains directs auxquels les Ardennais demeurent attachés sont donc préservés.
Vous le savez, j'ai placé la qualité de service et la sûreté dans les transports au cœur de mon action, notamment à travers la loi que j'ai initiée ici même en tant que sénateur et promulguée comme ministre.
S'agissant des guichets physiques, plusieurs solutions sont possibles en fonction des spécificités des territoires : offices de tourisme, buralistes, commerces de proximité. Comme vous l'avez indiqué, ce sont bien les régions qui ont la main sur cette compétence.
À ce titre, je sais que la région Grand Est travaille à des alternatives, notamment avec La Poste de Rethel, située à moins de 500 mètres de la gare.
Au-delà de l'offre, l'enjeu porte sur l'infrastructure. Comme l'a rappelé le nouveau président-directeur général de la SNCF, M. Jean Castex, et comme son prédécesseur l'affirmait également, le réseau demeure la mère des batailles.
Dès ma prise de fonction, j'ai engagé une conférence de financement des infrastructures de transport. Vous m'interrogez sur les moyens que nous nous donnons. À la suite de cette conférence transpartisane, de grandes orientations ont été définies. C'est tout l'objet de la loi-cadre que nous préparons et qui vous sera prochainement présentée, ainsi que l'a rappelé le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. À l'issue de la conférence a été acté le fléchage des péages ferroviaires vers le réseau, à hauteur de plus de 1,5 milliard d'euros d'ici à 2028, afin de résorber cette fameuse dette grise.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, le Gouvernement n'abandonne pas les territoires, et encore moins nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
décentralisation budgétaire et aménagement du territoire
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Jean-Yves Roux. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Il y a quelques jours, vous avez annoncé que vous proposerez au Parlement un nouvel acte de décentralisation et de déconcentration visant à clarifier les compétences entre l'État et les collectivités, à renforcer le rôle des préfets et à simplifier l'action locale. Toutefois, l'expérience montre que cet objectif soulève aussi la question de l'exercice des compétences constitutionnelles et des priorités de l'État.
Au Sénat, dès aujourd'hui, nous constatons une autre forme de décentralisation, plus subie : la décentralisation budgétaire de fait, qui interroge la cohérence du contrat liant l'État républicain à la diversité de ses territoires.
Plusieurs signaux d'alerte émergent : la situation critique des départements, associée à un risque de recentralisation ; la réduction de 30 % des missions d'aménagement dans le contrat de présence postale, qui fragilise surtout les zones de montagne et rurales ; la mise en œuvre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), combinée au gel de la TVA et à la hausse des cotisations salariales, qui fragilise les territoires industriels en pleine réindustrialisation ; le fonds d'investissement pour les territoires, qui ne garantit en rien la stabilité des priorités en matière de politique de la ville et de ruralité au sein des départements.
De plus, notre contrat commun se juge aussi à sa capacité à résister aux crises. Or la multiplication des risques climatiques et les menaces croissantes en matière de sécurité et de cybersécurité ne manqueront pas de redessiner nos territoires et d'en fragiliser durablement quelques-uns.
Mes chers collègues, oui à une clarification des compétences, mais avec qui ? Concernera-t-elle tous les acteurs locaux ou seulement ceux qui ont les moyens de tenir ?
Monsieur le Premier ministre, ma question n'est en rien provocatrice : dans un contexte de crise budgétaire majeure, comment comptez-vous préserver les principes et les actes d'un aménagement équilibré des territoires, dans un partenariat fort, responsable et prospectif ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, je vous remercie de votre question, qui anticipe sur les interrogations que nous devrons soulever.
Nous vivons aujourd'hui un moment irritant et douloureux : celui du budget. Dans cette séquence, nous devons faire en sorte d'aboutir à ce que j'ai appelé tout à l'heure un « budget de responsabilité et de frugalité ».
Alors que le Sénat va bientôt engager ses travaux sur ce budget, j'entends, dans vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs, les suggestions et les idées qui sont les vôtres.
Vous demandez, en substance, comment nous pourrions faire autrement quand, pour l'heure, c'est surtout la fin du mois qui préoccupe.
Vous le savez, le Sénat a produit moult rapports extrêmement intéressants sur la question – d'autres, comme Éric Woerth ou Boris Ravignon, en ont fait également –, expliquant que nous pouvons sans doute retrouver la confiance de nos concitoyens, mais aussi des élus locaux, en travaillant autrement, dans la liberté et la responsabilité.
Avant de dire comment nous réformerons, demain, les dotations et les ressources des collectivités, qui, de fait, méritent d'être remises à plat, peut-être pouvons-nous travailler ensemble à partir de tous les matériaux qui nous ont été fournis, à savoir qui fait quoi et qui est responsable de quoi. Il arrive que de nombreux acteurs interviennent sur une même compétence, ce qui génère de la lenteur et des surcoûts. Nous pouvons donc entamer ensemble cette réflexion sur la décentralisation en nous demandant qui fait quoi.
Vous avez également rappelé un point important, qui est celui de la déconcentration.
À cet égard, il convient de donner au préfet de département un rôle de chef d'orchestre. En effet, il n'est plus possible qu'il y ait, dans notre pays, cinq services de l'État et trois agences qui émettent des avis différents, avec les maires au milieu de cette nasse ! Un décret a été pris afin de pallier cette difficulté.
Il nous faut maintenant entreprendre autrement et recourir à la norme de manière plus mesurée. Nous sommes tous concernés, car je pense que nous sommes collectivement responsables de certaines difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
assassinat de mehdi kessaci et narcotrafic
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Arlette Carlotti. Un jeune homme de 20 ans a été abattu de plusieurs balles par un commando au cœur de Marseille. Inconnu des services de police, il rêvait de devenir policier. Mais il était le frère d'Amine Kessaci, fondateur de l'association Conscience et militant anti-trafic.
Le procureur n'exclut pas l'hypothèse d'un assassinat d'avertissement, d'un crime par substitution. Si ce n'est toi, c'est donc ton frère : pour atteindre Amine, on tue son frère, Mehdi.
Tous s'accordent à dire qu'un cap a été franchi. En réalité, cela fait très longtemps que le cap est franchi ! Des quartiers entiers sont placés sous la coupe réglée des narcotrafiquants, leurs habitants sont pris en otage, dans la peur d'une balle perdue, et c'est toute une jeunesse qui est sans perspective, désœuvrée, sans avenir.
Ce phénomène ne concerne pas seulement les quartiers populaires. Le narcotrafic empoisonne toutes les communes de France : huit sur dix sont touchées par la drogue. Tous les maires présents dans nos tribunes en cette semaine du congrès des maires pourraient témoigner de ce qui se passe sur leur propre territoire ! Tous ont besoin d'être épaulés par l'État pour ne pas se retrouver seuls face à la pègre qui les menace.
Certes, après chaque drame, l'État réagit, mais on passe ensuite à autre chose.
Monsieur le ministre, que sont devenues vos opérations « place nette XXL » ? Vous le savez, vous n'avez pas fait place nette… Le pire, c'est que les habitants le savaient !
Je sais que le combat est de longue haleine et que la loi que nous avons votée unanimement ici portera ses fruits.
Mais la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic est bancale. Il lui manque une suite, pour traiter de la prévention, de l'aide aux familles des victimes ou encore de la prise en charge des mineurs non accompagnés, comme le montre l'agression de cet enfant de 12 ans à Grenoble.
Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale contient une série de propositions. Pouvez-vous nous dire quelles mesures concrètes le Gouvernement peut prendre, en urgence et dans la durée, pour compléter cette loi sur le narcotrafic par un véritable dispositif d'accompagnement et de protection des victimes ?
Quelles garanties pouvez-vous apporter aux victimes, aux familles et aux élus qui, aujourd'hui, sont exposés à des actes de violence ou d'intimidation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, au-delà du drame que nous avons vécu, qui constitue un point de rupture en ce qu'il s'agit, comme vous l'avez dit, d'un meurtre d'intimidation – je reste prudent, car une enquête est en cours –, je ne peux pas vous laisser dire que nous ne réagissons que dans l'urgence sur les sujets du trafic de stupéfiants. (Exclamations sur des travées du groupe CRCE-K.) Vous le savez !
C'est à Marseille, en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, qu'a été lancé le décloisonnement entre services. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous souvenez-vous du film BAC Nord ? L'intrigue se déroule en 2011-2012, lorsque les services se marchaient sur les pieds, qu'il n'y avait pas de coordination… C'est à cette époque qu'un nouveau fonctionnement a été inauguré. Puis chaque gouvernement n'a eu de cesse d'apporter sa pierre à l'édifice.
Concernant les opérations « place nette » dont vous parlez, souvenez-vous : à l'époque, le b.a.-ba était de démanteler un réseau en profondeur ; ensuite, nous occupions l'espace, avec une présence sur la voie publique pour éviter que le réseau ne se réimplante. C'est ce qui a été fait systématiquement, chaque année, méthodiquement, ville après ville, secteur après secteur, en particulier à Marseille.
Cette politique continue. La loi sur le narcotrafic n'est sans doute pas parfaite, mais elle apporte des outils indispensables aux forces de sécurité ainsi, évidemment, qu'à l'institution judiciaire, avec des techniques de renseignement, des moyens d'investigation, la possibilité de geler des avoirs… Ces outils sont extrêmement précieux pour les forces de l'ordre.
Je rappelle que nous avions même souhaité pouvoir accéder aux communications cryptées. (Bravo ! et applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.) Cette possibilité nous aurait sans doute été très utile. J'espère que la question se reposera un jour. Je parlerai avec le Premier ministre de ce sujet, qui me tient à cœur.
Nous allons évidemment continuer. Comme je l'ai dit tout à l'heure, un état-major a été créé au plan national. Tous les services échangent de l'information. Nous n'avons de cesse de mener des batailles, de mener des guerres.
J'ai bien entendu votre message. Je tenais à rappeler le volet répressif de notre action, car c'est mon rôle, en tant que ministre de l'intérieur, mais ce volet s'est toujours accompagné d'une politique sociale, afin notamment de prévenir la délinquance.
J'ai trouvé dans mes cartons, en arrivant au ministère de l'intérieur, la nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance, qui va bientôt voir le jour et qui comporte des mesures répondant, me semble-t-il, à vos préoccupations. J'y souscris, et le Gouvernement les soutient totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation financière des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, allez-vous renoncer à l'effort de près de 8 milliards d'euros que vous demandez aux collectivités ?
Je pense notamment à la pérennisation et à l'extension du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), ce dispositif insensé qui permet à l'État de ponctionner les collectivités sans tenir compte des réalisations ou des services qu'elles doivent développer et sans même en garantir le remboursement.
Je songe aussi au fait que l'on utilise les dotations à l'investissement – la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le fonds vert – comme des variables d'ajustement budgétaire, alors que les investissements des collectivités sont déterminants pour le tissu économique et pour la transition énergétique.
Ces choix menacent les services publics de proximité, l'existence même de nombreuses associations, les petites et moyennes entreprises et la vie quotidienne des habitants.
Vous qui ne tarissez pas d'éloges sur les élus locaux, entendez-vous leur donner une preuve tangible de l'estime que vous leur portez en allant chercher d'autres ressources que celles qui sont indispensables à nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Céline Brulin, nous nous connaissons bien, puisque nous avons eu l'occasion de travailler ensemble. Je suis certaine qu'il n'y a pas ici un seul sénateur qui ne se rallierait pas à votre défense des collectivités !
Permettez-moi d'affirmer l'attention que le Gouvernement et moi-même portons, nous aussi, aux collectivités. Je vois dans les tribunes de nombreux élus locaux ; je suis très heureuse de les saluer en cette semaine du congrès des maires.
Concernant les finances locales, vous allez avoir l'impression que je me répète, mais les faits sont tenaces. Je rappelle que le montant des transferts de l'État vers les collectivités s'élève, dans le budget 2026, à 154 milliards d'euros.
Je rappelle que les montants de dotation globale de fonctionnement ont été maintenus. Par ailleurs, nous allons augmenter le fonds de sauvegarde des départements de 300 millions à 600 millions d'euros, et que nous avons également rehaussé les crédits de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation de solidarité urbaine (DSU) – au total de 290 millions d'euros.
Mais, lorsque nous avons 3 400 milliards d'euros de dettes, le budget doit être responsable et en équilibre !
Madame la sénatrice, vous qui connaissez parfaitement la vie des collectivités, vous savez qu'en mars 2026 se tiendront les élections municipales. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Loïc Hervé. Ah bon ? (Sourires.)
Mme Françoise Gatel, ministre. Chacun le sait ici, et chacun sait aussi que, lorsqu'il y a un renouvellement municipal, les investissements sont moins importants.
Par conséquent, nous avons fait le choix, cette année, de préserver le fonctionnement et de diminuer quelque peu l'investissement.
M. Alexandre Basquin. Plus qu'un peu !
Mme Françoise Gatel, ministre. Enfin, je ne peux m'empêcher de revenir au Dilico, qui commence à devenir très familier à chacun. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Comme je l'ai déjà dit au Sénat, je veux rendre à César ce qui est à César. En l'occurrence, il y a deux Césars, puisque le Dilico est une réponse qui a été apportée et construite à la fois par le Gouvernement et le Sénat.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Françoise Gatel, ministre. Nous avons restitué le Dilico 1 à hauteur de 30 %. Je sais que le Dilico 2 fait l'objet de nombreuses discussions. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
M. Loïc Hervé. C'est un irritant !
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, je ne sais par quelle addition vous obtenez ce chiffre de 150 milliards d'euros, puisque, en 2024, les transferts de l'État vers les collectivités s'élevaient à 105 milliards d'euros, et qu'ils n'ont cessé de diminuer depuis.
D'ailleurs, je veux faire observer que 105 milliards d'euros, c'est précisément la moitié de ce que l'État verse en fonds publics aux entreprises, comme l'a révélé la commission d'enquête créée sur l'initiative de notre groupe… Cependant, aucun contrôle n'est effectué sur l'utilisation de ces fonds, quand nos communes doivent répondre à des appels à projets, se conformer à des programmes nationaux et justifier l'utilisation du moindre euro !
De même, pas une exonération de cotisation n'est remise en cause pour les employeurs privés, malgré des effets tout à fait discutables sur l'emploi et mortifères sur les budgets de la sécurité sociale et de l'État. Mais les collectivités, elles, comme, du reste, les hôpitaux ou les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), subissent une augmentation de 3 points par an du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), et ce jusqu'en 2028 !
Non, votre budget n'est ni responsable ni frugal. Il reflète des choix politiques que nous contestons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
chute des recettes de tva
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Fargeot. Monsieur le ministre, alors que l'on enregistre une baisse de 10 milliards d'euros sur la première recette de l'État, la TVA, on nous explique, une nouvelle fois, que les prévisions déraillent et que les ordinateurs de Bercy s'affolent, comme si personne à bord n'avait vu le changement de cap. Une nouvelle fois, tout le monde fait semblant de tomber de sa chaise, comme si la dérive n'était pas annoncée depuis longtemps.
Moins 10 milliards, dont 5 milliards pour l'État, ce n'est pas l'épaisseur du trait ! Au reste, le produit de la TVA évolue comme si la France était en récession, alors que la consommation progresse. C'est bien la boussole fiscale qui s'affole, pas l'économie réelle.
Et quelle est votre réponse ? Une mission flash, menée par ceux qui ont la tête dans le guidon, et quelques explications périphériques : ce serait la faute aux petits colis, à la sous-déclaration, à la fraude, à la facturation électronique à venir… Vous nous jetez de la poudre aux yeux ! Aucune de ces causes ne justifie une perte de recettes structurelle de plusieurs milliards d'euros.
Pourquoi nous détourner du vrai sujet ? Le problème est clairement à l'intérieur de l'État !
Après la taxe d'aménagement non appelée, après les prévisionnistes qui ne savent plus prévoir, le comportement de Bercy fait penser à un scénario digne du Titanic : on a déjà heurté l'iceberg et la coque commence à se fissurer, mais l'orchestre continue de jouer pendant que personne n'ose toucher au gouvernail. Et c'est l'équipage – collectivités, entreprises, contribuables – que l'on invite à écoper. Des efforts, encore des efforts…
Je me pose cette question simple : comment l'État peut-il être aussi exigeant avec tout le monde, sauf avec lui-même ?
Qui porte la responsabilité ? Monsieur le ministre, 10 milliards par-ci, 10 milliards par-là, ce n'est pas un bug : c'est une alerte avant impact.
Dès lors, à quand un réel chantier structurel à Bercy ? À quand une réforme de l'État à la hauteur des enjeux, cette réforme sans laquelle le pays, qui prend l'eau de toutes parts, ne pourra ni éviter la collision ni redresser la barre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le sénateur Fargeot, je veux tout de même commencer par rappeler que, en ce qui concerne l'exécution budgétaire pour 2025, les objectifs sont tenus.
En effet, l'objectif qui avait été fixé par le Parlement lors de la commission mixte paritaire (CMP) – la cible de déficit de 5,4 % – est en passe d'être atteint.
Cela s'explique par le fait que le Gouvernement a maîtrisé les dépenses, et que l'écart, en matière de prévision de recettes, n'est pas celui que vous indiquez ; il est d'environ 0,7 milliard d'euros. Cette situation nous permet d'atteindre exactement la cible de déficit prévue dans la loi de finances initiale et souhaitée par le Parlement.
C'est évidemment extrêmement important aux plans de la responsabilité démocratique comme de la responsabilité budgétaire.
Par ailleurs, la transparence est totale. Bien évidemment, certaines recettes ont été soit supérieures, soit inférieures à ce qui avait été estimé – vous avez cité la TVA.
Pour tenir compte de ce qui s'était passé les dernières années, un « comité d'alerte » et de suivi des finances publiques a été mis en place entre le Gouvernement et les parlementaires. Lors de sa réunion de juin dernier, la question de la TVA y a été abordée, à la suite de premières alertes sur la possibilité que le produit de cette taxe soit inférieur aux estimations. Cette situation a été prise en compte dans le projet de loi de finances et sera évidemment actée dans le projet de loi de fin de gestion.
Vous avez évoqué certains des motifs qui ont présidé à la baisse de la TVA. Pour ma part, je ne les écarterai pas d'un revers de main.
La question des petits colis, notamment, est réelle : la consommation des ménages connaît une évolution majeure, qui peut expliquer non seulement les difficultés de prévision, mais aussi les corrections que nous devons apporter dans le cadre du projet de loi de finances, via cette mesure de fiscalité que nous vous proposons.
Se pose aussi évidemment la question de la fraude, dont le Parlement débat en ce moment même – le projet de loi de lutte contre ce phénomène a été examiné la semaine dernière par votre assemblée.
Mais, je le redis, les objectifs sont tenus, et la transparence est totale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean-François Husson. Merveilleux !
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour la réplique.
M. Daniel Fargeot. Merci, monsieur le ministre, mais, clairement, tant que vous n'irez pas en cale pour regarder ce qui se passe, tant que ce chantier ne sera pas ouvert, nous n'arriverons pas à bon port. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
place de la france dans l'industrie spatiale européenne
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. En écoutant, la semaine dernière, le Président de la République présenter sa stratégie spatiale pour 2040, j'ai eu l'impression d'entendre Alain Delon et, surtout, Dalida : « paroles et paroles », « encore des mots », « des mots magiques, des mots tactiques qui sonnent faux »… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
En effet, les « caramels, bonbons et chocolats » (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) offerts à la filière spatiale française ne font pas illusion face à la réalité financière que révélera le tour de table qui doit être organisé la semaine prochaine, lors de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, l'ESA, laquelle a prévu un budget en forte augmentation.
La France, leader historique en Europe depuis le général de Gaulle, s'apprête à être déclassée – ou surclassée – par l'Allemagne et l'Italie, qui investiront respectivement 5 milliards et 4 milliards d'euros. Aux dernières nouvelles, il semblerait que la France ne puisse pas suivre ces pays, aux finances publiques mieux gérées : elle n'investirait ou n'interviendrait qu'à hauteur d'un peu plus de 3 milliards d'euros.
Or, vous le savez, si la France investit moins de 4,5 milliards d'euros, l'industrie spatiale française pourrait durablement souffrir de moindres retours géographiques, au détriment de ses industriels et de ses territoires.
Monsieur le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace, quel sera le montant exact de la contribution française au budget de l'ESA ? La France restera-t-elle leader mondial ou sera-t-elle reléguée en deuxième division ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.
M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. Madame la sénatrice Dominique Estrosi Sassone, le spatial est effectivement un élément essentiel de notre autonomie stratégique. C'est un pilier de notre défense. Il est essentiel aussi pour la science, pour l'observation de la Terre, pour la compréhension des évolutions du climat.
Dans ce contexte, la stratégie spatiale nationale dévoilée la semaine dernière par le Président de la République réaffirme l'ambition française de rester dans la course des puissances spatiales qui comptent aujourd'hui dans le monde.
Nous disposons de capacités concrètes : une capacité d'accès à l'espace, au travers d'Ariane 6 ; un Centre national d'études spatiales (Cnes), agence duale travaillant à la fois pour le civil et pour les armées. Nous disposons de satellitiers, d'équipementiers, mais aussi de start-up, constituées ces dernières années, qui sont des éléments vivants de notre autonomie stratégique spatiale.
Aujourd'hui, l'Europe doit évidemment se penser comme une puissance spatiale. Le modèle européen doit être ambitieux. Il faut affirmer une préférence européenne pour construire notre industrie et pour soutenir nos industriels sur nos marchés.
Concernant la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, il est un peu tôt pour répondre à votre question. Les discussions ont lieu aujourd'hui, et les chiffres que vous avez mentionnés, en particulier sur le niveau d'investissement de nos partenaires allemands et italiens, ne sont absolument pas stabilisés – personne n'a encore annoncé de tels montants de contribution. Je suis personnellement et quotidiennement investi dans les discussions sur cette question.
Au reste, la politique spatiale ne se réduit pas à l'ESA. J'ai notamment mentionné l'Union européenne, qui investira des dizaines de milliards d'euros sur la période 2028-2034, mais nos ambitions sont également portées par notre politique nationale, aussi bien en matière de défense qu'au travers des coopérations bilatérales que nous menons directement avec de grandes puissances spatiales, comme l'Inde, le Japon ou les Émirats arabes unis, par exemple.
Je vous renvoie donc au discours du Président de la République, qui a annoncé non seulement une ambition, mais aussi un chiffre de 16 milliards d'euros d'ici à 2030…
M. le président. Il faut conclure.
M. Philippe Baptiste, ministre. … pour le spatial civil, en plus des dépenses militaires. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je regrette que l'arbitrage ne soit toujours pas rendu.
Vous savez très bien qu'il y a aujourd'hui urgence pour toute l'industrie spatiale française. Il est donc important que l'on connaisse précisément ce que la France pourra investir !
Nous savons d'ores et déjà que ce sera moins que l'Allemagne ou que l'Italie, ce qui est dommage : nous ne préparons pas l'avenir et nous ne faisons pas en sorte que la France soit maître de son destin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
déserts médicaux
M. le président. La parole est à Mme Paulette Matray, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour sa première question d'actualité au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Paulette Matray. Madame la ministre, l'Insee a publié des chiffres alarmants concernant la Bourgogne-Franche-Comté : la mortalité y est supérieure de 2,8 % à la moyenne nationale, et l'on y compte plus de 31 000 décès chaque année, dont plus de 9 000 avant l'âge de 75 ans.
En Saône-et-Loire, la pénurie médicale s'aggrave. En dix ans, la densité des généralistes est passée de 8 à 6 pour 10 000 habitants, et des spécialités disparaissent. Comme plus d'un habitant sur deux, je n'ai moi-même pas de médecin traitant.
Mais cette détresse dépasse nos limites régionales. Des Pyrénées à l'Alsace, les territoires ruraux voient les urgences fermer, les délais s'allonger, les jeunes médecins fuir et les élus épuiser leurs dernières solutions sans parvenir à combler la perte de soutien de l'État.
En tant qu'ancienne maire rurale, je connais, pour l'avoir vécu chaque jour pendant plus de vingt ans, la solitude et l'épuisement de nos petites communes devant les déserts médicaux. Même si les lois visant à les combattre et à garantir la territorialisation des formations étaient appliquées dans leur version la plus ambitieuse, il faudrait attendre 2030 pour obtenir des résultats. Ce sont cinq années de plus où nous verrions les inégalités s'aggraver et nos campagnes s'asphyxier !
Pendant ce temps, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 prive notre modèle social de moyens. Réduction de la fraction de TVA ou gel des ressources, qu'importe ! Cette politique ressemble plus à une corde autour du cou de nos campagnes qu'à une bouée de sauvetage.
Madame la ministre, comment justifier l'absence d'un plan d'urgence massif et immédiat pour l'accès aux soins en ruralité ? Je vous le demande très simplement : comment garantir que la République n'abandonnera pas ses territoires les plus fragiles d'ici à 2030 ?
La France rurale ne peut plus se permettre d'attendre cinq ans. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre. Madame la sénatrice Matray, je vous remercie de votre question. Nous allons commencer à travailler ensemble sur le budget de la sécurité sociale dans les heures qui viennent et nous proposerons, à l'article 21 bis de ce PLFSS, une réponse à cette difficulté d'accès aux soins.
Je souhaite rappeler que les chiffres que vous avez évoqués cachent des situations de détresse et d'angoisse qui mettent en cause notre cohésion sociale. C'est pourquoi figure, à l'article 21 du texte, une mesure, présentée par le Premier ministre, visant à labelliser 5 000 maisons France Santé d'ici à 2027.
En quoi la labellisation des maisons France Santé consiste-t-elle ? Elle repose sur trois éléments.
Premièrement, il s'agit de rendre visibles les organisations qui ont été mises en place par les professionnels – très souvent accompagnés par les collectivités – sur les territoires, afin que nos concitoyens sachent où trouver une réponse à leur demande de soins.
Deuxièmement, l'objectif est d'accompagner les structures existantes, qui peuvent être des centres de santé, des maisons de santé, des maisons pluriprofessionnelles ou des bus de santé. Nous voulons consolider tout ce qui a été organisé. Pour ce faire, le PLFSS prévoit 150 millions d'euros pour 2026.
Troisièmement, et cela répondra en partie à vos questions, l'idée est de soutenir la structure – souvent une pharmacie – qui subsiste dans les zones les plus reculées, les plus en difficulté, avec des moyens financiers pérennes, de l'ordre en moyenne de 50 000 euros par an. Ces moyens permettront d'ajouter une cabine de téléconsultation, une infirmière, une secrétaire, et ce début de noyau de coopération professionnelle contribuera à améliorer l'accès aux soins.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un véritable choc d'offre de soins que nous vous proposons avec la labellisation des maisons France Santé dans le PLFSS. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
plfss pour 2026 et fermeture de services dans les hôpitaux
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, après ma collègue du Calvados, qui l'a fait la semaine dernière, je reviens sur l'épisode malheureux de la fermeture des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen au début du mois de novembre. Cette fermeture a augmenté l'inquiétude des Bas-Normands sur l'offre de soins dans nos territoires.
Hélas, cet accident n'est pas isolé. Il révèle un système à bout de souffle, incapable de garantir un fonctionnement continu des urgences dans nos territoires. Aujourd'hui, nous voyons des services entiers qui reposent sur des internes, faute de médecins titulaires ; nous voyons des hôpitaux qui ne parviennent plus à recruter, qui ne tiennent que grâce à l'intérim médical ou qui fonctionnent en flux tendu mois après mois. Or, lorsqu'un maillon cède, ce sont des patients qui se retrouvent sans solution, parfois à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Madame la ministre, vous connaissez la réalité. Sans médecins référents aux urgences, sans équipes stabilisées, sans attractivité retrouvée, nous continuerons à colmater des failles, tant bien que mal, pour soigner.
Je souhaite vous poser deux questions.
Quelles mesures structurelles comptez-vous mettre en place pour garantir la présence des médecins dans les services d'urgence et éviter de nouvelles fermetures comme celle qui a eu lieu à Caen ?
Où en est le décret d'application de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite Valletoux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Bleunven et Mme Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Béatrice Gosselin, je vous remercie de votre question.
On compte 612 services d'urgence dans notre pays. Effectivement, certains sont en difficulté. Vous connaissez comme moi la situation de la démographie médicale, qui est souvent la première source de difficultés pour nos services hospitaliers.
Nous apportons plusieurs réponses. Pour ce qui concerne l'hôpital de Caen, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer, c'est l'encadrement des internes qui a fait défaut, empêchant le service de recevoir un agrément pendant six mois. Nous avons renforcé les équipes avec les professionnels qui ont bien voulu s'organiser pour laisser ces urgences ouvertes.
Nous prévoyons aussi l'hiver. J'ai, ce matin, lancé des réunions avec l'ensemble des acteurs pour nous préparer aux épidémies hivernales. Je rappelle d'ailleurs qu'il est toujours temps de se faire vacciner contre la grippe, notamment quand on a plus de 65 ans et que l'on est fragilisé par des pathologies. Cela aussi permettra d'améliorer l'état de nos urgences dans les semaines qui viennent.
Enfin, nous avons prévu des financements dans le budget de la sécurité sociale.
Le financement des établissements de santé représente 112 milliards d'euros par an, soit 5 milliards de plus pour cette année. Conformément à ce que le Premier ministre avait annoncé la semaine dernière, j'ai défendu un amendement gouvernemental au PLFSS visant à un abondement de 1 milliard d'euros supplémentaire, dont 850 millions d'euros pour les établissements de santé, ce qui nous permettra de travailler sur les tarifs hospitaliers. C'est d'ailleurs la première année que les établissements de santé disposeront des tarifs hospitaliers dès le mois de janvier, ce qui leur donnera de la visibilité. Cette évolution est très importante.
En outre, je pourrai annoncer, dès la fin 2025, les investissements pour les dix prochaines années. Cela aussi est important, parce que nous avons besoin d'équipes qui puissent se projeter. C'était attendu par nos hôpitaux ; nous le ferons cette année. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, je vous remercie pour ces informations.
J'ai bien entendu qu'il y avait 612 services d'urgence dans notre pays et que vous souhaitiez augmenter le tarif hospitalier. Mais ce qu'il nous faut, c'est de la lisibilité et une meilleure organisation des équipes, qui doivent pouvoir être remplacées lorsque cela est nécessaire. Le problème est structurel. Or, pour l'heure, les solutions font défaut dans nos hôpitaux.
Nous comptons sur vous et sur l'ensemble des médecins pour assurer ces urgences et répondre à tous les besoins, dans tous les hôpitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
avenir de l'industrie automobile
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie.
Le 15 octobre dernier, la commission des affaires économiques a adopté les conclusions de la mission d'information sur l'avenir de la filière automobile française. Ce secteur, colonne vertébrale de notre tissu industriel, se trouve aujourd'hui en situation de péril mortel. Avec mes corapporteurs Alain Cadec et Rémi Cardon, nous avons formulé dix-huit recommandations que nous souhaiterions vous présenter dans les prochaines semaines.
Le 10 décembre prochain, la Commission européenne fera des annonces très attendues sur ce sujet. Il est essentiel que la France participe à ces discussions avec une vision claire, une parole forte et la volonté d'assurer la pérennité de son secteur automobile.
Votre gouvernement a indiqué qu'il défendrait « des flexibilités en matière de neutralité technologique dès lors qu'elles s'accompagneront de mesures très claires d'incitation de préférence européenne ». Cette position rejoint nos propositions.
Toutefois, contrairement à nos voisins allemands, notre pays ne demande pas, à ce stade, d'assouplir l'échéance de 2035 pour la fin de vente de véhicules thermiques neufs. Or nos travaux montrent qu'un tel report est indispensable si nous voulons permettre à notre industrie de rattraper son retard dans l'électrification des véhicules et de développer d'autres technologies de décarbonation. C'est une nécessité vitale pour l'avenir de toute la filière.
Monsieur le ministre, nous devons être ambitieux en matière de décarbonation, mais ne nous tirons pas une balle dans le pied ! Au regard des réalités industrielles, que compte faire le Gouvernement pour sauver cette filière d'excellence ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Somon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice Jacquemet, je vous remercie pour votre question et vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Sébastien Martin, qui se tient néanmoins à votre disposition pour recevoir vos recommandations.
Je salue le travail que vous avez mené sur le sujet avec vos collègues Rémi Cardon et Alain Cadec.
Vous avez raison : nous sommes à un moment charnière particulièrement délicat pour la filière automobile. Nous devons être lucides : le marché se contracte, les tensions géopolitiques perturbent les circuits d'approvisionnement et la concurrence déloyale menace toute la chaîne de valeur.
Pour autant, nous avons des atouts formidables. En particulier, tous nos constructeurs proposent une offre électrique. Par ailleurs, quatre usines de batteries en France vont monter en compétences, et – c'est un record historique – les ventes de véhicules électriques ont représenté 24 % des ventes de véhicules automobiles au mois d'octobre dernier.
Vous me demandez ce que compte faire le Gouvernement. Nous entendons vos doutes.
Le 10 décembre prochain, la Commission européenne doit annoncer un assouplissement des objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les constructeurs. Il est également attendu que soient précisées les conditions pour favoriser la préférence européenne dans l'automobile et que soient présentées des incitations pour l'achat de véhicules électriques européens par les entreprises.
N'ayez aucun doute sur les attentes fortes de la France en la matière. Notre position est la suivante : des assouplissements, oui, mais uniquement pour préserver nos emplois et nos entreprises. Ces mesures doivent s'accompagner de garanties pour stopper les délocalisations. Nous demandons que le « fabriqué en Europe » soit récompensé par des aides à l'achat, des dispositifs fiscaux adaptés et des avantages dans l'atteinte des objectifs fixés aux constructeurs.
En France, nous avons déjà mis en place un certain nombre de mesures. Je pense notamment aux aides à hauteur de 4 000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique, de 5 000 euros lorsque la batterie est européenne ou de 7 000 euros dans le cadre du leasing social.
Madame la sénatrice, soyez-en certaine : notre mobilisation est totale pour défendre une industrie automobile indépendante, forte et créatrice d'emplois de qualité partout en France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
souveraineté française en matière de médicaments et présence de pharmacies sur le territoire
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre de la santé, permettez-moi d'associer mon collègue Michel Masset à cette question.
Fondé dans notre département du Lot-et-Garonne en 1935, le laboratoire UPSA incarne depuis près d'un siècle le savoir-faire pharmaceutique français. Fleuron de notre industrie, il exporte ses médicaments dans plus de soixante-dix pays à travers le monde.
Tout en rayonnant à l'international, l'entreprise conserve des sites de production profondément enracinés en Lot-et-Garonne, preuve que l'excellence française, quand elle est reconnue, est fidèle à nos territoires. Ce laboratoire vient d'obtenir la certification « Origine France Garantie ». Cette fidélité mérite d'être saluée et surtout soutenue.
Mais au-delà d'UPSA, c'est l'ensemble de nos laboratoires producteurs de médicaments qui se heurtent aujourd'hui à la même réalité : produire en France devient de plus en plus difficile.
Pourtant, les engagements pris dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2022 et réaffirmés depuis lors prévoyaient de favoriser la production nationale afin de garantir notre sécurité d'approvisionnement. Cela devait passer par des règles de fixation des prix plus justes, de manière à reconnaître qu'un médicament fabriqué en France par un laboratoire français contribue directement à notre souveraineté sanitaire. Or, aujourd'hui, les décrets d'application se font toujours attendre, freinés par un arbitrage interministériel entre le ministère de la santé et celui de l'économie.
Madame la ministre, quand le Gouvernement publiera-t-il ces décrets d'application, promis depuis 2022 et indispensables à la pérennité de la production pharmaceutique française et à la continuité des soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Masset et Philippe Grosvalet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Bonfanti-Dossat, je vous remercie pour votre question. Vous évoquez la souveraineté de notre pays en matière de fabrication de médicaments, dont certains sont essentiels.
Vous le savez, en 2023, le Président de la République a lancé un plan de relocalisation. À ce jour, une quarantaine de médicaments sont fabriqués dans notre pays. Désormais, il faut poursuivre et consolider cette production.
Vous évoquez tout particulièrement la production des laboratoires UPSA dans votre département. J'ai eu l'occasion de rencontrer la directrice de cette entreprise au sommet Choose France, organisé par le Président de la République en début de semaine : elle m'a fait part de son souhait de faire inscrire le label « fabriqué en France » sur les boîtes de médicaments.
Mon ministère va poursuivre les travaux en ce sens avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Dans l'un des derniers PLFSS, nous avons également voté une mesure permettant au Comité économique des produits de santé (CEPS), qui fixe les prix, de prendre en compte la localisation des sites de production des médicaments. Des concertations avec les industriels doivent se poursuivre. Cependant, ces mesures ont déjà été adoptées et je les renforcerai afin que le lieu de fabrication soit systématiquement pris en compte.
Enfin, dans les années à venir, il nous faudra appréhender cette souveraineté à l'échelle européenne. Des pistes de travail sont à l'étude, dont certaines sont issues des discussions qui ont eu cours lors du sommet Choose France. La France et l'Allemagne forment un binôme précurseur dans le domaine, ce qui devrait nous permettre d'avancer rapidement.
décentralisation des services du ministère de l'intérieur
M. le président. La parole est à Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, le 16 mars 2022, l'un de vos prédécesseurs, M. Gérald Darmanin, qui est membre de ce gouvernement, sélectionnait vingt villes candidates à l'accueil de services du ministère de l'intérieur. Fortes du travail accompli, ces vingt municipalités communiquaient alors sur cette avancée, se réjouissant que l'État s'engage enfin dans une politique volontariste d'aménagement du territoire.
Plus de trois ans après, le désenchantement est à la hauteur de l'espoir suscité. Pour une quinzaine de villes retenues, pas un seul agent ne s'est encore installé sur leur territoire, alors que tous les délais annoncés auront été dépassés à la fin de l'année.
À Morlaix, un projet du programme Action cœur de ville tombe à l'eau, car il devait accompagner l'installation du Bureau national des droits à conduire (BNDC).
À Lens, la municipalité se prive de recettes en attendant que des plateformes de la police judiciaire s'installent dans les locaux qui leur ont été réservés.
À Montpellier, un terrain mis à la disposition par la ville attend l'implantation de l'académie de police et de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale.
À Saint-Étienne, au Mans, pas davantage d'informations.
J'ai moi-même interpellé le Gouvernement à cinq reprises pour comprendre si le projet de relocalisation d'une antenne de l'inspection générale de la gendarmerie nationale à Cahors souffre d'un simple retard ou si le ministère y a renoncé : aucune réponse tangible, alors qu'au niveau local, tout est prêt !
Monsieur le Premier ministre, peut-être avez-vous des informations concernant l'installation du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire dans votre commune, à Vernon – je rappelle que vous aviez alors publiquement salué cette annonce ?
Ce mouvement de relocalisation est attendu partout, mais la promesse du Gouvernement ne se concrétise nulle part.
Monsieur le Premier ministre, alors que le congrès des maires s'est ouvert hier sous les incitations à restaurer la confiance, vous devez la vérité aux élus concernés : où en est ce dossier ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé les engagements pris par mon prédécesseur en 2021 : je ne peux que les confirmer. Il était question, à l'époque, de relocaliser certains services centraux du ministère de l'intérieur en région.
Plusieurs mesures ont alors été déployées. Ainsi, le service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas) a déménagé à Angers. Des services de la direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (Depafi) se sont installés à Metz. Au total, huit services, soit 490 agents, ont été relocalisés.
Puis sont arrivées les difficultés budgétaires que vous connaissez tous. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER.) Certaines relocalisations ont été suspendues, ce qui ne signifie pas qu'elles n'auront jamais lieu.
M. Hussein Bourgi. On a servi les ministres et on a oublié les autres !
M. Laurent Nunez, ministre. Je me tiens à la disposition des élus concernés pour réexaminer ces situations. La suspension n'est pas définitive.
Vous connaissez le contexte budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2026 sera-t-il adopté ? Nous l'espérons, bien évidemment, car il conditionnera la poursuite de la réflexion sur ces chantiers.
L'État a fait des annonces en 2021…
M. Hussein Bourgi. Mais il ne les a pas honorées !
Mme Audrey Linkenheld. Les promesses n'engagent, et cetera...
M. Laurent Nunez, ministre. … et mes prédécesseurs ont pris des décisions. Je les assume et je les reprends à mon compte, au regard de la situation budgétaire. Cependant, ces décisions ne sont pas définitives.
Je suis prêt à en rediscuter, ville par ville, service par service. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, nous ne sommes pas plus avancés. Je vous rappelle que nous parlons tout de même de la parole d'un ministre toujours en responsabilité !
Qu'en pense M. Darmanin ? Il est absent aujourd'hui, mais je lui ai écrit. Est-il prêt à assumer que le Gouvernement n'avait finalement pas les moyens d'une telle ambition ? J'espère que ce n'est pas le cas.
Ce qui est certain, c'est qu'un renoncement serait un nouveau coup porté à la confiance entre l'État et les collectivités. En plein congrès des maires, il est pourtant important de renouer la confiance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)
situation des hôpitaux dans les outre-mer
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Le 24 octobre dernier, un praticien exerçant depuis plus de dix ans a été suspendu à la suite d'un signalement du Conseil national de l'ordre des médecins évoquant un doute sur la validité de son diplôme de spécialité chirurgicale au centre hospitalier Louis-Constant-Fleming de Saint-Martin. Ces faits, d'une gravité exceptionnelle, mettent en lumière des carences profondes dans les mécanismes de contrôle et de supervision au sein de l'établissement, mais aussi dans la chaîne de vérification des qualifications des praticiens exerçant dans nos territoires ultramarins.
On peut s'étonner qu'un chirurgien ait pu opérer durant plusieurs années sans diplôme reconnu, malgré les alertes, alors même que les médecins formés dans l'Hexagone sont soumis à des procédures de vérification et de qualification particulièrement strictes. Ce décalage crée une forme d'injustice et représente surtout un risque majeur pour la sécurité des soins.
Les habitants de Saint-Martin comme de tous les territoires ultramarins doivent pouvoir bénéficier du même niveau d'exigence et de confiance à l'égard de leur hôpital public que les patients de l'Hexagone. Madame la ministre, qui est chargé de vérifier les diplômes d'un médecin en France avant qu'il ne prenne en charge un patient ?
Par ailleurs, un dispositif dérogatoire permet à des médecins étrangers de travailler en Guyane française au motif que cette zone est un désert médical. Ces médecins, une fois en poste, peuvent ensuite facilement travailler sur les territoires ultramarins de la zone – en Guadeloupe, en Martinique ou à Saint-Martin.
Pourquoi les déserts médicaux des outre-mer ne bénéficient-ils pas d'aides à l'installation ou de dispositifs fiscaux similaires à ceux de l'Hexagone ? Est-il plus simple de nous envoyer des étrangers sans vérifier sérieusement leur diplôme ?
Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour rétablir la confiance, assurer la sécurité des soins et garantir que les mêmes règles de qualification et de contrôle s'appliquent à tous les praticiens, où qu'ils exercent ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Petrus, vous m'interrogez sur la suspension d'un médecin par le conseil de l'ordre à Saint-Martin.
La sécurité des soins et la vérification des qualifications des praticiens ne sont pas des principes négociables. En France, la vérification des diplômes relève du Conseil national de l'ordre des médecins, qui contrôle l'authenticité des titres, et de l'employeur public hospitalier, qui doit s'assurer que les praticiens disposent bien des compétences et des autorisations nécessaires avant toute prise en charge de patients.
Le cas que vous évoquez, à Saint-Martin, est grave. Le Gouvernement ne le minimise pas. Ce dossier est aujourd'hui entre les mains de la justice et nous respectons strictement cette procédure.
Je veux toutefois le dire clairement : nous prenons nos responsabilités. Le centre hospitalier Louis-Constant-Fleming, établissement charnière, assure 90 % de l'activité de proximité. Cet hôpital a fait l'objet d'un diagnostic approfondi de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), et a bénéficié d'une administration provisoire et d'un plan de soutien à hauteur de 18 millions d'euros pour renforcer notamment les urgences et les soins critiques. L'arrivée d'un nouveau directeur en 2025 doit également contribuer à rétablir un fonctionnement sûr et stabilisé.
Plus largement, dans tous les outre-mer, nous agissons pour garantir le même niveau d'exigence que dans l'Hexagone. L'attractivité médicale a été renforcée : 530 postes ont été ouverts en 2024 pour répondre aux tensions. Les infrastructures ont été modernisées et l'organisation des soins a été améliorée, notamment par les coopérations interhospitalières.
Je veillerai à ce que cette confiance soit pleinement rétablie à Saint-Martin et je reste disponible pour examiner toutes les réponses à apporter à nos outre-mer.
cyberprotection de l'état
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.
Ce week-end, le site Pajemploi, qui dépend de l'Urssaf, et dont l'efficacité en matière de recouvrement n'est plus à démontrer, a fait l'objet d'un piratage. Ce sont 1,2 million de données personnelles – numéros de sécurité sociale, adresses postales, numéros de téléphone et identité – d'assistantes maternelles et d'employeurs particuliers qui ont potentiellement été piratées.
Si les excuses sont les bienvenues, elles sont largement insuffisantes en comparaison du préjudice subi. Ces fuites ne sont pas anodines dans un contexte où de nombreuses entités malveillantes, issues notamment de nos concurrents internationaux, cherchent à nous déstabiliser ou à monnayer ces informations.
Cet événement doit nous interroger sur la capacité des différents organismes étatiques, à qui nous confions des données parfois très personnelles, à faire face à une cybercriminalité croissante, lucrative et utilisée comme moyen de pression au cœur d'une guerre 2.0, elle-même bouleversée par l'intelligence artificielle (IA) qui démultiplie les capacités des cybercriminels.
La question sous-jacente après toutes ces fuites est claire : avons-nous les moyens de nous protéger ? Y consacrons-nous des ressources suffisantes ? Envisagez-vous des mesures spécifiques pour rassurer les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Bonneau, vous connaissez mon engagement sur le sujet – c'est donc un plaisir de vous répondre. Vous avez raison d'évoquer la nécessité de l'action de l'État en matière de cyberprotection.
L'Urssaf nous a effectivement indiqué, il y a cinq jours, la fuite de données d'environ 1,2 million d'employeurs. L'attaquant aurait compromis un compte employeur et profité d'une probable vulnérabilité du service de l'Urssaf – il faudra attendre les conclusions de l'enquête pour en être certains –, qui, je vous rassure, a été corrigée entre-temps.
La déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a été effectuée et le parquet de Paris a été saisi. Soyez assuré, monsieur le sénateur, que nous suivons la situation au jour le jour et que nous reviendrons vers vous dès que l'enquête sera terminée pour vous fournir des explications.
Plus globalement, il est indispensable d'améliorer le niveau de cyberprotection de la Nation. C'est tout le sens de l'actualisation, en cours, de la stratégie nationale de cybersécurité pour la France.
Ce plan passe par une meilleure protection des données sensibles, par des investissements pour rehausser le niveau de cybersécurité et par une sensibilisation des utilisateurs.
Sur ce dernier point, disons-le clairement : aucune entité – qu'il s'agisse des organismes étatiques, des collectivités ou des entreprises – ne saurait se soustraire aux exigences de cybersécurité de notre pays.
Le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, qui transpose la directive européenne NIS 2 (Network and Information Security), a été adopté par le Sénat et est désormais en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Je suis pleinement mobilisée pour que les 15 000 entités visées par ce texte atteignent le plus rapidement possible le niveau de cybersécurité requis partout en France.
C'est également en tant qu'Européens que nous devons agir. J'ai participé hier, à Berlin, au sommet franco-allemand sur la souveraineté numérique. Nos deux pays ont convergé en faveur d'une amélioration de la protection de nos données, qui passera par une révision du Cybersecurity Act.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour la réplique.
M. François Bonneau. Face à ce type de crise, il convient d'imiter le canard : il faut paraître calme en dehors, tout en pédalant avec force, sous la surface, pour régler les problèmes. Il y va de la confiance de nos concitoyens dans ce domaine.
Par ailleurs, le projet de loi sur la cybersécurité que vous avez mentionné n'a toujours pas été examiné par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt,
est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
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Décès d'un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue André Aubry, qui fut sénateur des Hauts-de-Seine de 1968 à 1977, et qui siégeait au sein du groupe communiste.
5
Financement de la sécurité sociale pour 2026
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution, de financement de la sécurité sociale pour 2026 (projet n° 122, rapport n° 131, avis n° 126).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, l'examen du budget de la sécurité sociale comporte cette année deux singularités.
La première, c'est que pour la première fois depuis trois ans, le Sénat est amené à examiner un texte que l'Assemblée nationale a pu largement étudier, sans qu'il soit fait usage de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Cet examen a mis en valeur la possibilité d'un travail parlementaire de fond, apaisé autant qu'il peut l'être et responsable, que beaucoup jugeaient impossible il y a encore quelques mois.
Conformément à son engagement, le Gouvernement a repris l'intégralité des amendements adoptés pour les intégrer au texte transmis au Sénat. C'est un signal de profond respect du débat parlementaire et des engagements pris par le Premier ministre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous nous direz que la copie n'est pas parfaite, et vous aurez raison. Mais c'est précisément parce que le Gouvernement n'a pas cherché à imposer son texte que celui qui vous est transmis est d'abord la copie de l'Assemblée nationale. Je ne doute pas que le Sénat, fidèle à sa tradition de travail exigeant et constructif, saura l'enrichir.
Depuis notre prise de fonctions, Jean-Pierre Farandou, Amélie de Montchalin, Charlotte Parmentier-Lecocq et moi-même avons engagé un dialogue étroit avec l'ensemble des groupes politiques, y compris au Sénat. Je tiens à saluer la qualité, la rigueur et l'esprit de responsabilité qui ont marqué nos échanges, en particulier ceux que nous avons eus avec les rapporteurs.
La deuxième singularité de cet exercice, c'est que nous célébrons cette année les 80 ans de la sécurité sociale. Peu de nations dans le monde peuvent se prévaloir d'un modèle de protection aussi structurant et durable. Cet anniversaire nous invite à mesurer la place unique qu'occupe la sécurité sociale dans notre pacte républicain et à décider, ensemble, que les débats des prochaines décennies porteront non plus sur la survie de notre système, mais sur son développement.
Les défis auxquels la sécurité sociale fait face sont nombreux. Ils sont bien connus du Sénat, dont le rôle de veille, de recul et de projection est essentiel.
Dans un monde où les modèles sociaux sont en compétition, où le risque de fragmentation sociale avance et où des transitions démographiques et économiques ont lieu, nous devons renforcer notre vigilance et nous répéter que les temps ont changé : 2025 n'est pas 1945.
En outre, rappelons-nous que la sécurité sociale n'est pas un simple enchaînement de prestations et de services ; elle est un projet de société et une opportunité d'avoir confiance en l'avenir. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) s'inscrit dans cette perspective.
L'examen budgétaire doit se dérouler dans une totale transparence au sujet de la trajectoire financière de la sécurité sociale. Les chiffres sont irréfutables : en deux ans, le déficit aura plus que doublé, pour atteindre 23 milliards d'euros en 2025. Sans action de notre part, il atteindra 29 milliards d'euros en 2026.
Ces données, qui n'ont rien de conjoncturel, ne sauraient être regardées avec indifférence et elles exigent de la lucidité. Je constate que votre commission partage ce point de vue.
Ce que prévoit le texte, c'est donc que l'effort soit partagé par les organismes complémentaires, par l'industrie pharmaceutique et celle du dispositif médical, par certains secteurs à la rentabilité excessive, mais aussi, de manière encadrée, par les assurés, avec les forfaits de responsabilité et les franchises.
Cet effort collectif est la condition pour préserver durablement notre solidarité. Pour y parvenir, l'intérêt général demande le dépassement des intérêts sectoriels.
Maîtriser, c'est non pas renoncer, mais permettre d'investir.
En termes d'investissement, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale porte plusieurs chantiers majeurs : la revalorisation des professionnels de santé libéraux ; l'investissement dans la formation et l'attractivité des métiers à l'hôpital ; le renforcement du service public de la petite enfance ; la création du congé supplémentaire de naissance ; le développement de l'habitat intermédiaire ; la lutte contre les cancers ; l'investissement dans la santé mentale ou les soins palliatifs. Toutes ces priorités sont concrétisées dans ce PLFSS, que le Sénat examinera, comme il le fait toujours, avec un regard attentif.
Lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a porté une augmentation très significative de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) à hauteur d'1 milliard d'euros. Il atteindra donc 2 % en 2026, contre 1,6 % dans le texte initial. C'est une progression responsable et soutenable.
Cet effort traduit surtout le fait que nous refusons de laisser notre système de santé s'essouffler. Ce milliard d'euros supplémentaire, c'est un engagement concret visant à renforcer notre système de santé, à l'hôpital comme en ville. Ce milliard supplémentaire, c'est une réponse immédiate aux besoins exprimés par les soignants et les établissements.
Comme vous le savez, 850 millions d'euros sont directement destinés aux établissements de santé pour accompagner la reprise d'activité, moderniser les outils et réduire les déficits. Chaque euro investi vise à consolider la qualité des soins et à redonner du souffle à celles et ceux qui sont au cœur du service public de santé.
Toutefois, ce milliard d'euros ne se limite pas à l'hôpital : il vise aussi à soutenir les soins de ville, les équipes pluridisciplinaires et la mise en œuvre de France Santé, point auquel il me semble utile de consacrer un peu de temps.
Annoncé par le Premier ministre, le dispositif France Santé porte une ambition claire : améliorer l'accès aux soins dans tous nos territoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, je connais votre engagement constant sur le sujet, et je souhaite aujourd'hui vous dire combien votre rôle sera déterminant dans la réussite de cette politique.
France Santé sera porté conjointement avec les départements. Mais le dispositif doit aussi se construire avec vous, représentants des territoires, et plus largement avec l'ensemble des élus locaux, dont nous connaissons la détermination pour améliorer l'accès aux soins de nos concitoyens. Dès demain, au salon des maires, je serai d'ailleurs heureuse de rencontrer les élus pour leur présenter le dispositif et recueillir leurs attentes. Dans la Sarthe, la semaine dernière, j'ai déjà pu mesurer personnellement leurs attentes, ainsi que celles des soignants.
L'ambition de France Santé est simple : permettre un accès aux soins simple, rapide et proche, avec deux objectifs lisibles pour tous : offrir à chacun une solution de santé à moins de trente minutes de chez soi ; proposer un rendez-vous médical sous quarante-huit heures lorsque cela est nécessaire.
À cette fin, nous rassemblons sous une même bannière des initiatives portées localement, pour que les Français sachent vers qui se tourner et que les soignants soient pleinement soutenus. France Santé n'est pas un label de plus : c'est un cadre lisible, opérationnel, doté de financements nouveaux et construit avec les territoires.
Aujourd'hui, il est urgent d'agir, mais il est tout aussi essentiel d'agir ensemble. C'est tout le sens de France Santé : un dispositif qui, au-delà du couple préfet-agence régionale de santé (ARS), reposera sur une concertation étroite et permanente avec les élus locaux, parce que personne ne connaît mieux les réalités d'un territoire que ceux qui le font vivre au quotidien.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en 1945, des forces politiques profondément différentes ont su s'unir pour bâtir la sécurité sociale. Ce qui les rassemblait, c'était la conviction que la solidarité pouvait être une puissance nationale.
Aujourd'hui, c'est à nous, ensemble, de prolonger cet héritage non pas en répétant les choix d'hier, mais en portant l'ambition de notre temps : une sécurité sociale fidèle à ses principes, mais capable de s'adapter aux réalités d'un monde qui change. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ouvrons aujourd'hui au Sénat une nouvelle étape du processus budgétaire : c'est désormais à la chambre haute d'entamer en séance publique l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
La copie qui vous parvient est celle qui a été amendée par l'Assemblée nationale. Le budget de la sécurité sociale a été discuté par les députés, qui ont exprimé des désaccords, mais aussi des convergences. Ils ont notamment adopté la première partie du PLFSS, relative aux recettes, ce qui a permis de poursuivre les débats sur la partie consacrée aux dépenses.
Cela fait maintenant plusieurs semaines que je participe aux travaux du Parlement. J'ai pu mesurer la capacité des parlementaires à approuver, mais aussi à refuser, à modifier, à proposer et à voter ce qui constituera la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année prochaine. Je suis convaincu que nous poursuivrons dans cette voie au Sénat.
Avant d'entrer dans le détail de la copie qui vous est proposée, je souhaite commencer en favorisant la prise de conscience d'un élément simple : dans la version du texte transmise au Sénat, il manque des économies.
Les chiffres sont connus : le déficit de la sécurité sociale a atteint 23 milliards d'euros en 2025. Le Gouvernement visait, dans sa copie initiale, un déficit réduit à 17,5 milliards d'euros pour l'année prochaine – c'était encore beaucoup, mais la trajectoire allait dans le bon sens. En l'état, selon une approche globale, le déficit est évalué à 24 milliards d'euros, donc en augmentation par rapport à celui de cette année. Si rien n'est fait, en l'absence de budget par exemple, l'évolution au fil de l'eau pourrait même nous conduire à un déficit de 29 milliards d'euros.
Avec un tel niveau de déficit, c'est toute la pérennité du système social qui serait remise en question de façon critique, ainsi que l'a évoqué ma collègue Stéphanie Rist. Aux côtés des membres du Gouvernement, ma mission en tant que ministre du travail et des solidarités est de veiller à la trajectoire de redressement des comptes de la sécurité sociale ; vous comprendrez donc que j'exprime ma préoccupation en cet instant.
Venons-en maintenant au contenu du texte. Pour ce qui est des recettes, le Gouvernement proposait de revenir sur certaines niches sociales et sur certaines exemptions de cotisations d'éléments de rémunération qui, de fait, se substituent à du salaire. L'Assemblée nationale a voté contre ces propositions, mais a soutenu l'augmentation de la contribution patronale pour les indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite.
Ce point n'était pas prévu dans la version initiale du Gouvernement, mais les députés ont adopté un amendement visant à rehausser de 1,4 point la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital et du patrimoine. Si l'on ne tient pas compte des mesures de transfert, il s'agit de la seule disposition de la copie remaniée par l'Assemblée qui améliore le solde de la sécurité sociale.
L'Assemblée nationale a aussi rejeté la proposition du Gouvernement de mettre fin à l'exonération des cotisations sociales sur la rémunération des apprentis. Si l'objectif commun doit être de préserver l'apprentissage, qui est un succès, pour autant, maintenant que nous sommes sortis de la phase de propulsion de cette politique publique, il n'est pas anormal d'être rigoureux quant au respect de l'équilibre budgétaire. Comme le débat sur l'apprentissage se poursuivra dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF), je ne m'attarde pas davantage sur le sujet.
Le texte contient également un certain nombre de mesures sur les retraites.
Il s'agit, en premier lieu, de mesures positives, votées à l'unanimité par les députés, qui visent à l'amélioration de la retraite des femmes. L'article 45 du PLFSS dispose en effet que sont pris en compte les trimestres de bonification et de majoration de durée d'assurance dans les carrières longues, ce qui permettra à davantage de mères de partir en retraite anticipée.
De la même manière – la mesure est d'ordre réglementaire, mais elle a été évoquée à l'occasion des débats sur ce point –, il sera possible de calculer la retraite des femmes sur leurs vingt-trois ou vingt-quatre meilleures années de cotisation, en fonction du nombre de leurs enfants. Plus de la moitié des femmes verront ainsi le montant de leur pension revalorisé.
Je me réjouis que ces propositions soient issues du dialogue social entre les partenaires sociaux, auquel – vous le savez – je suis attaché. Cela montre que ceux-ci sont capables de s'emparer des sujets difficiles comme celui des retraites et d'aboutir à des convergences.
Toujours dans le sens d'un renforcement de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les femmes qui travaillent dans le secteur public et celles qui travaillent dans le secteur privé, l'Assemblée nationale a voté en faveur d'un amendement du Gouvernement qui vise à améliorer, en miroir, la retraite des femmes fonctionnaires.
Il reste beaucoup à faire pour réduire les écarts de salaires et de pensions entre les hommes et les femmes, mais ces propositions vont globalement dans le bon sens. J'espère que le Sénat y sera également favorable.
En second lieu, le texte prévoit – le point est plus délicat, et il sera sûrement débattu – la suspension jusqu'au 1er janvier 2028 de la réforme des retraites de 2023, que l'Assemblée nationale a adoptée.
Je connais la position largement majoritaire du Sénat sur le sujet. Le Gouvernement estime qu'il s'agit, dans le contexte actuel, d'une mesure de stabilité pour le pays.
Mme Pascale Gruny. Quel courage !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Cette stabilité est voulue par les Françaises et les Français, mais aussi par les entreprises.
Nous sommes nombreux à souhaiter que l'avenir du système de retraite soit éclairci. La suspension de la réforme de 2023 présente également l'avantage de fournir un temps utile pour le dialogue social. J'ai d'ailleurs relancé une conférence sur le travail et les retraites avec tous les partenaires sociaux ; elle doit nous permettre d'accoster sur des sujets presque mûrs et, peut-être, de faire converger les points de vue. Ce temps est aussi celui du débat démocratique : certains partis politiques s'emparent du sujet et commencent à formuler des propositions sur les retraites.
En troisième lieu, une majorité des députés nationale s'est également prononcée contre le gel des pensions de retraite et des prestations sociales, et contre le gel du barème de la CSG calculée sur les revenus de remplacement, qui détermine l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), à la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et à la cotisation d'assurance maladie pour les retraites complémentaires.
Le problème, c'est que cette proposition représentait une économie substantielle de 3,6 milliards d'euros. Les discussions doivent donc reprendre, et j'espère que des solutions intermédiaires pourront apparaître au cours du débat – j'ai d'ailleurs remarqué que plusieurs amendements sénatoriaux permettraient d'avancer sur ce sujet.
L'Assemblée nationale n'a pas eu le temps d'examiner l'article 39, qui porte sur la reconnaissance des maladies professionnelles. J'espère que le Sénat pourra étudier cet article important de simplification et de modernisation – je n'en dis pas davantage pour ne pas être trop long, mais le Gouvernement partage l'intention de la rapporteure Marie-Pierre Richer visant à recentrer cette réforme sur les seuls dossiers pour lesquels les délais de prise en charge sont dépassés.
Venant du monde de l'entreprise, je suis bien sûr très attentif au sujet de la santé au travail. Si nous pouvons progresser sur ces questions au Sénat, ce sera une bonne chose pour tous les salariés de nos entreprises françaises. Là encore, les débats pourront s'engager et se poursuivre.
Je connais la solidité et l'ancrage territorial qui caractérisent les travaux du Sénat, ainsi que l'importance que vous accordez, mesdames, messieurs les sénateurs, au maintien de nos comptes publics. Nous partageons la même ambition de transmettre aux générations futures un système de protection sociale efficace et soutenable. Pour cela, nous devons doter la sécurité sociale d'un budget pour 2026 qui contribue à une trajectoire de redressement. Je crois que tout le monde a compris l'importance de l'enjeu.
Dans l'intérêt des Françaises et des Français, il faudra donc que les deux chambres du Parlement fassent à un moment un pas l'une vers l'autre pour doter la sécurité sociale d'un budget solide, travaillé par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comptez sur moi pour être un partenaire respectueux du travail parlementaire, en particulier au Sénat. Nous serons à l'écoute et nous partagerons la volonté de rigueur que vous exprimerez sur la gestion des comptes publics. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plusieurs mois, notre pays traverse une période d'incertitude. Nous en mesurons chaque jour les conséquences sur la confiance de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos investisseurs, mais aussi sur la solidité de notre économie et, plus profondément, sur l'unité de la Nation.
Face à cette situation, je crois sincèrement qu'il existe au Parlement, et particulièrement au Sénat, une majorité de responsabilité (Mme Silvana Silvani proteste.), déterminée à rechercher un compromis sur les textes financiers pour mettre fin à cette instabilité. Cela avait déjà été le cas – je dois le dire – en février dernier, quand le Sénat a joué un rôle décisif pour que nous sortions de la crise qui pointait en raison de l'absence de budget au début de l'année 2025.
Nous cherchons un compromis non pas pour le Gouvernement lui-même, mais dans l'intérêt des Français, de leur système de santé et de l'ensemble des acquis sociaux qui les protègent depuis 1945. En effet, il existe bien dans le pays une majorité déterminée à ce que nous préservions cette République sociale dont nous sommes collectivement les garants, près de quatre-vingts ans après celle qui a été forgée par le programme du Conseil national de la Résistance (CNR).
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous vous présentons aujourd'hui est un texte profondément parlementaire. Les circonstances sont particulières, puisque le projet de loi transmis au Sénat résulte, pour la deuxième année consécutive, de la procédure prévue à l'article 47-1 de notre Constitution. Comme vous le savez, l'Assemblée nationale a adopté la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, relative aux recettes, mais l'examen de la troisième partie, relative aux dépenses, n'a pu être mené à son terme dans les délais impartis.
Le texte qui vous parvient est le fruit de soixante-sept heures de débats à l'Assemblée nationale, soit près du double de l'an dernier. Le Gouvernement a pris ses responsabilités en soumettant au départ un texte exigeant, visant à engager une trajectoire de redressement de nos comptes sociaux. Monsieur le président du Sénat, le Gouvernement s'est d'ailleurs largement inspiré des propositions que vous aviez formulées cet été au Premier ministre de l'époque, en compagnie des rapporteurs généraux et des présidents des groupes.
Le Gouvernement a donc choisi de faire confiance à la responsabilité du Parlement, dans toutes ses composantes, pour que ce texte puisse être amendé, potentiellement rééquilibré, et surtout in fine voté.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Évidemment ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est donc pour donner sa pleine mesure au débat parlementaire que le Gouvernement n'a procédé à aucun tri parmi les plus de 300 amendements adoptés par l'Assemblée nationale. Le texte transmis au Sénat correspond donc rigoureusement à la petite loi qui a quitté l'Assemblée nationale, sans aucune sélection ni réécriture, dans un esprit de transparence et de respect du travail parlementaire.
Ce choix impliquait qu'un certain nombre de dispositions organiques soient effectivement absentes du texte reçu par le Sénat. Il explique également que plusieurs dispositions ne correspondent pas aux intentions du Gouvernement. Je songe notamment aux mesures qui créent de nouveaux régimes d'exonération, alors que le Gouvernement cherche plutôt, comme vous le savez, à réduire les niches fiscales et sociales qui, parfois trop nombreuses, illisibles et ciblées de manière contestable, ne fonctionnent plus.
Mme Silvana Silvani. On l'a vu ! (Mêmes mouvements.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est donc la possibilité d'un compromis que vous avez entre les mains aujourd'hui. Nous cherchons un compromis sur tous les textes que nous examinons ensemble, bien sûr, mais peut-être même plus encore sur le PLFSS, car il engage notre capacité à préserver notre modèle social.
Ce compromis ne vise pas à transformer complètement le système. Nous sommes à dix-huit mois d'une élection présidentielle, pendant laquelle il est normal et attendu que des projets très différents puissent s'affronter. Évidemment, aucun texte ne peut préempter ce débat. Avant de trancher par le vote, les Français attendent de nous que l'année 2026 ne devienne pas pour eux un saut dans l'inconnu pour ce qu'ils ont de plus précieux : leur santé, leur protection, leur retraite.
Le PLFSS pour 2026 ne renverse donc pas le système ; il porte des choix clairs pour que nous puissions préserver celui-ci. Il prépare le terrain pour que les forces politiques puissent débattre sereinement devant les Français en 2027, leur proposant des évolutions structurelles que chacun pourra décider d'accompagner ou non.
Pour ce faire, la méthode que je souhaite employer avec vous est celle que le Premier ministre appelle souvent de ses vœux : plus que jamais, le Gouvernement se place au service du Parlement. Je peux vous assurer que c'est dans cet esprit que mes collègues Stéphanie Rist, Jean-Pierre Farandou et Charlotte Parmentier-Lecocq et moi-même avons travaillé à l'Assemblée nationale, et qu'il n'y a aucune raison pour que cela change. C'est dans cet esprit que le Gouvernement a renoncé à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour que les débats puissent aller à leur terme et que le Parlement ait le dernier mot.
Ce PLFSS ouvre une nouvelle séquence, celle d'un débat loyal, du travail partagé, de la recherche d'un compromis. Cette méthode s'applique naturellement au Sénat, dont chacun connaît l'exigence, la précision juridique et la capacité à améliorer les textes financiers.
Je salue donc de nouveau très sincèrement la qualité des travaux menés par la commission des affaires sociales, par sa présidence, sa rapporteure générale et l'ensemble des sénatrices et sénateurs qui – je le sais et je vous en remercie – ont examiné ce texte dans des délais qui, chacun en convient, étaient exceptionnellement contraints.
Notre méthode est donc bien le dialogue, la recherche d'un accord, en se fondant sur la réalité. La responsabilité collective ne peut être engagée si nous feignons d'ignorer la contrainte de plus en plus forte qui pèse sur nos finances sociales.
Je vous remercie, madame la rapporteure générale, de l'important rapport que vous et Mme Poncet Monge avez remis le 23 septembre, et qui est très clair sur la réalité financière. Nous ne pouvons pas nous bercer d'illusions : la soutenabilité de notre modèle social dépend de notre capacité à regarder la situation en face et à construire un compromis qui puisse être durable, réaliste et sincère.
Sans vous présenter de nouveau l'ensemble des chiffres du financement de la sécurité sociale, rappelons-nous que le déficit de la sécurité sociale, prévu à 23 milliards d'euros en 2025, était de 15 milliards en 2024 et de 11 milliards en 2023.
Moins de deux ans après la dernière reprise des déficits par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), nous avons reconstitué une dette sociale. L'encours de l'Urssaf Caisse nationale (anciennement Agence centrale des organismes de sécurité sociale, Acoss) atteindra en effet 65 milliards d'euros à la fin de 2025, et nous projetons déjà 83 milliards d'euros en 2026, avant, évidemment, toute dégradation du déficit.
Ces chiffres ne doivent pas nous rendre fatalistes. Ils ne sont pas là pour contraindre le débat, mais ils servent à illustrer l'exigence du moment. En effet, le redressement est possible.
L'année 2025 le montre – je remercie d'ailleurs les sénateurs qui ont examiné ce matin le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) en commission des finances –, pour une fois depuis la fin des différentes crises, nous avons tenu l'objectif de déficit.
Évidemment, nous ne pouvons pas nous glorifier d'atteindre un déficit de 5,4 % du PIB, mais il est sain et utile que le compromis parlementaire du mois de février 2025 ait été tenu. Le Gouvernement a suivi, exécuté, respecté les choix parlementaires. Il en va de même pour la sécurité sociale, puisque, pour la première fois depuis la crise sanitaire également, l'Ondam est lui aussi respecté. Il y a là, à tout le moins, un début de reprise en main qu'il nous faut saluer.
Toutefois, sans action nouvelle, vous le savez, le déficit de la sécurité sociale atteindrait 29 milliards d'euros l'année prochaine et 34 milliards d'euros en 2029. Nous ne pouvons plus accepter que nos dépenses sociales progressent plus vite que la richesse nationale.
Alors que l'Ondam représentait 8,2 % du PIB en 2019, il atteint près de 9 % en 2025. Avec cette dynamique, il s'élèverait à 20 % du PIB dans quinze ans. Ce n'est donc ni réaliste ni possible.
Notre objectif, vous le savez, est de maintenir l'Ondam à 8,8 % du PIB pour les prochaines années, comme en 2024, soit à un niveau très substantiellement supérieur à son montant d'avant le covid. Le stabiliser à cette hauteur nous semble donc responsable et tout à fait atteignable.
Pour ce faire, il faut aussi nous dire la vérité : augmenter les recettes de manière perpétuelle est une impasse ; laisser filer les dépenses le serait tout autant. Dans les deux cas, qui paierait la facture ? Nos enfants, nos petits-enfants et les générations à venir.
J'ai bien conscience, évidemment, que la trajectoire financière initiale a suscité des réserves à l'Assemblée nationale, tout comme certaines dispositions du texte au Sénat. Beaucoup de mesures d'économies ont été écartées lors de l'examen en première lecture – Jean-Pierre Farandou et Stéphanie Rist les ont rappelées. Il est toutefois essentiel de rappeler ce que contenait le texte initial, car les débats ont parfois pu nous faire perdre la lisibilité des propositions du Gouvernement.
Dans notre projet initial, les dépenses sociales devaient progresser de 1,6 % en 2026. Autrement dit, cela représente 11 milliards d'euros de plus pour notre politique sociale ; 5 milliards de plus pour la branche maladie ; 500 millions de plus pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ; 4 milliards de plus pour la branche vieillesse ; et 1,5 milliard de plus pour la branche autonomie. Cela ne correspond pas à l'austérité que certains voudraient décrire.
Or, il faut le souligner, l'Assemblée nationale a porté cette hausse à un niveau bien supérieur, puisque, dans le texte qui vous est parvenu, elle est passée de 1,6 % à 2,3 %, du fait de l'accroissement de l'Ondam, de la suspension de la réforme des retraites et de la suppression de l'année blanche.
La hausse de l'Ondam, que nous avions initialement fixée à 1,6 %, a été rehaussée à 2 %, mais, en neutralisant les mesures de transfert vers les complémentaires ou les assurés, l'augmentation est en réalité de 3,3 %. C'est un chiffre à avoir en tête, car il faut considérer non pas uniquement les dépenses de l'assurance maladie mais l'ensemble des recettes du système de santé. Or cette progression de 3,3 % correspond au double de l'inflation prévue en 2026. Il faut en être conscients : c'est insoutenable.
Les recettes, quant à elles, devaient augmenter d'un peu plus de 16 milliards d'euros, mais, là aussi, le texte a été profondément remanié par l'Assemblée nationale, qui a rehaussé la CSG sur les revenus du capital mais a abandonné la taxation des organismes complémentaires. D'où un écart par rapport à ce que le Gouvernement proposait initialement.
Le Gouvernement avait fait des choix : préserver les dépenses qui améliorent l'accès aux soins, réguler les dépenses les moins efficaces, encadrer les dépassements d'honoraires excessifs, renforcer la lutte contre la fraude, responsabiliser davantage les acteurs. Nous avions fait le choix d'un effort partagé, proportionné aux capacités de chacun. Ces choix reposaient sur trois principes : le travail, car le financement de nos droits repose sur la cotisation ; l'équité, pour que la protection sociale profite à ceux qui en ont le plus besoin et que les fraudeurs soient découragés et sanctionnés, en lien avec le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, que vous avez adopté hier ; et la prévention, en matière tant de santé que d'autonomie.
Vous êtes maintenant amenés à proposer votre propre vision du redressement de la sécurité sociale. Or, tout en étant au banc du Gouvernement à l'Assemblée nationale pour suivre les débats sur le budget de l'État, qui ne sont toujours pas terminés, j'ai pu constater certaines convergences entre nos points de vue – je pense par exemple au rétablissement de la taxe sur les organismes complémentaires –, mais aussi quelques divergences.
Nous aurons l'occasion d'en débattre, afin d'enrichir nos compromis, tout en suivant quelques lignes de conduite : d'abord, nous devons absolument nous dire que le déficit de la sécurité sociale ne doit pas dépasser 20 milliards d'euros avant transferts ; ensuite, nous devons avoir une vigilance particulière sur les transferts, car il ne serait pas responsable de diminuer le déficit de la sécurité sociale si cela augmente parallèlement de façon massive celui de l'État – nous devons être en ligne sur cette question, madame la rapporteure générale – ; enfin, nous devons garder en tête que l'objectif n'est pas seulement 2026, c'est surtout le retour à l'équilibre d'ici à 2029.
Rappelez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2019, juste avant la pandémie de covid, la sécurité sociale était à l'équilibre !
Mme Laurence Rossignol. Non, en 2017, avant le début du mandat d'Emmanuel Macron. Et c'était grâce à nous ! (M. François Patriat le conteste.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je pense qu'il est tout à fait possible d'y revenir pour 2029, grâce à un effort pluriannuel.
Je conclus, monsieur le président.
Sur un certain nombre de sujets, nous sommes confrontés à des enjeux de justice et d'équité dans l'effort. Je pense à la question des retraites, à celle de l'hôpital, à celle des minima sociaux. Je vous le dis avec gravité mais avec confiance, je pense que nous pouvons trouver un chemin commun vers le redressement des comptes. Nous en avons le devoir moral pour les générations futures.
Vous aurez le dernier mot et, au cours des jours qui viennent, notre seule responsabilité comme ministres sera de restaurer de la confiance, de sécuriser une trajectoire et de préserver un modèle social qui profite aux Français d'aujourd'hui, mais aussi à leurs enfants. Je veux, à cette fin, travailler avec chacun d'entre vous dans cet esprit ; nous y sommes prêts et j'ai hâte d'aborder nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure générale applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le cadre général du texte qui nous réunit aujourd'hui a d'ores et déjà été dressé. Néanmoins, en ouvrant cette discussion générale, je souhaite rappeler avec force que, malgré le contexte budgétaire contraint, le PLFSS présenté par le Gouvernement apportait des réponses concrètes aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées et à leurs familles.
Cet engagement se traduit concrètement par un montant d'1,5 milliard d'euros supplémentaires consacré à la branche autonomie. Il s'agit d'un choix politique assumé, responsable et indispensable pour accompagner le vieillissement de la population et la transformation de notre offre médico-sociale.
Les départements sont, je le dis avec clarté, au cœur de cette politique : ils sont les premiers partenaires des familles, les premiers financeurs de l'accompagnement à domicile, les premiers garants de l'accès aux droits. Leur rôle est donc déterminant et ce PLFSS vise précisément à ne pas les laisser seuls, à les soutenir face aux défis immenses qui se présentent à eux.
Dans ce contexte, nous augmentons les crédits consacrés à la compensation des dépenses d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de prestation de compensation du handicap (PCH), afin d'accompagner les départements face à la dynamique des besoins. Cette absence de gel des dépenses représente, au sein de ce PLFSS, une dépense de 250 millions d'euros supplémentaires.
C'est dans le même esprit de coopération que nous poursuivons la mise en œuvre du plan « 50 000 solutions » destiné aux personnes en situation de handicap. Nous maintenons donc, au travers de ce PLFSS, la dynamique de création de nouvelles solutions. À cette fin, un montant de 250 millions d'euros supplémentaires prévu dans ce PLFSS permettra de créer quelque 6 000 nouvelles solutions, de manière à atteindre, d'ici à la fin de l'année prochaine, 50 % de l'objectif, fixé par le Président de la République lors de la dernière Conférence nationale du handicap, de 50 000 solutions supplémentaires.
Par ailleurs, nous avons la responsabilité collective de repenser le modèle de prise en charge de nos aînés. Notre conviction est claire : l'autodétermination et la dignité doivent être les fils conducteurs de l'accompagnement.
Cette ambition se traduit concrètement dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Tout d'abord, ce texte finance 4 500 professionnels supplémentaires en Ehpad, afin d'accroître le taux d'encadrement, de prévenir les maltraitances et d'améliorer les conditions de travail. En outre, de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) seront créées et les centres de ressources territoriaux renforcés, afin de mieux articuler les parcours de soins. Enfin, 100 millions d'euros seront consacrés à l'habitat partagé et intermédiaire, avec la création de 10 000 nouvelles places, afin d'offrir une troisième solution, entre le domicile et l'établissement. Tout cela s'inscrit dans une ambition globale pour le grand âge que je défends, qui trouvera bientôt sa traduction concrète dans un plan qui vous sera bientôt présenté.
Je veux aussi rappeler qu'un montant de 300 millions d'euros vise à compenser l'inflation, afin de préserver la capacité d'action des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Je le répète : il n'y aura aucun gel des moyens pour ces établissements. La continuité et la qualité de l'accompagnement seront garanties.
Permettez-moi maintenant d'aborder un point essentiel du texte, qui a suscité de nombreuses interrogations, concernant la réforme « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées », ou Sérafin-PH, et qui figure à l'article 36 du texte.
Cette réforme vise à soutenir la transformation de l'offre des ESSMS, puisqu'elle s'appuie avant tout sur l'autodétermination des personnes en situation de handicap. Elle repose sur deux piliers : un forfait stable, protecteur et lisible pour les établissements, et un volet variable permettant d'ajuster les moyens aux besoins réels des personnes accompagnées.
Ce modèle, fruit de dix années de concertation et de construction partagée, répond à une attente profonde du secteur. Je veux saluer à ce titre la commission des affaires sociales du Sénat, qui s'est pleinement emparée de la dimension systémique et structurante de cette réforme et dont les travaux enrichissent utilement le débat parlementaire. Pour accompagner cette transformation, ce PLFSS comporte 360 millions d'euros de mesures nouvelles entre 2027 et 2030, avec une période de convergence sur huit ans.
Enfin, je veux évoquer un sujet qui nous rassemble largement : le soutien aux aidants. Un Français sur cinq accompagne aujourd'hui un proche. Nous poursuivons le déploiement des plateformes de répit, car accompagner les aidants, c'est aussi renforcer l'autonomie de toute la société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais particulièrement attentifs à la pérennité de notre modèle de protection sociale. Soyez-en persuadés, je sais, comme vous, que l'avenir de la sécurité sociale passe par la maîtrise de sa trajectoire financière.
C'est pourquoi le PLFSS initial du Gouvernement est un texte d'équilibre et d'ambition, construit dans un esprit de dialogue et de coconstruction. Tout en participant au nécessaire effort collectif, il soutient les départements, consolide les acquis et engage des transformations majeures. Je suis convaincue que, sur l'autonomie comme sur le handicap, nous pouvons continuer de dépasser les clivages et trouver les compromis nécessaires pour servir l'intérêt général.
C'est dans cet esprit que nous abordons ces débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Chantal Deseyne applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous voilà réunis pour examiner le PLFSS pour 2026.
La situation est tout aussi critique que l'année dernière. Le déficit des administrations publiques prévu pour 2025 s'élève à 5,4 % du PIB, il est donc très proche de celui de 2024 : 5,8 % du PIB. La principale évolution est que, depuis le mois de septembre dernier, la France est le pays de la zone euro qui emprunte aux taux le plus élevés ; en cas de nouvelle crise de la dette, nous serions en première ligne. En outre, nous allons peut-être tester cette année encore des dispositions constitutionnelles et organiques, ce qui n'est pas bon signe non plus.
Venons-en aux mesures de redressement proposées dans le texte initial.
Si nous faisons abstraction de la suspension de la réforme des retraites, ce texte était très proche des propositions faites le 8 juillet dernier par la majorité sénatoriale au Premier ministre.
Du côté de l'Ondam, la principale différence réside dans le fait que, là où la majorité sénatoriale proposait de transférer 1 milliard d'euros de charges aux complémentaires, le Gouvernement prévoit de transférer 2,3 milliards d'euros aux assurés, sous la forme du doublement des franchises et participations forfaitaires.
Du côté des prélèvements obligatoires, la majorité sénatoriale proposait de réduire les allégements généraux d'environ 1,5 milliard d'euros, sous la forme d'un gel du barème. Le Gouvernement souhaite, quant à lui, modifier, au travers d'un futur décret, la forme de la courbe des allégements généraux applicable en 2026, pour un rendement d'1,4 milliard d'euros. C'est une autre façon d'atteindre un résultat très proche.
Je souhaite vous présenter à grands traits les propositions de la commission.
Vous le savez, le texte transmis au Sénat porte le déficit de la sécurité sociale de 17,5 milliards à 24 milliards d'euros, soit à un montant supérieur aux 23 milliards d'euros prévus pour 2025.
M. Laurent Burgoa. Eh oui…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C'est bien évidemment inacceptable. Les modifications proposées par la commission permettent de ramener ce déficit à 15,1 milliards d'euros.
Je tiens toutefois à attirer votre attention sur un point, mes chers collègues : contrairement à ce que l'on pourrait penser en entendant ces chiffres, le Sénat ne dispose pas de ce fait d'une sorte de marge d'environ 2,5 milliards d'euros, égale à la différence entre les propositions de la commission et le déficit du texte initial.
En effet, pour atteindre ce déficit de 15,1 milliards d'euros, la commission table sur le fait que l'État ne prenne pas à la sécurité sociale, sous la forme d'une moindre affectation de TVA, le gain de 3 milliards d'euros issu de la réforme des allégements généraux ; pour que la sécurité sociale conserve ces 3 milliards d'euros, il faudra modifier l'article 40 du projet de loi de finances, ce que nous ne pouvons bien sûr pas faire dans le cadre de l'examen du PLFSS.
Surtout, réduire le déficit de la sécurité sociale en augmentant celui de l'État serait sans effet sur le solde global des administrations publiques.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Par ailleurs, la prévision de déficit de 15,1 milliards d'euros résultant des propositions de la commission suppose que l'ensemble des mesures réglementaires prévues soient effectivement prises. Elle implique en particulier le doublement des participations forfaitaires et franchises.
Nous n'avons donc aucune marge !
Après ce préambule, j'en viens plus précisément aux propositions de la commission.
Mme le rapporteur pour la branche vieillesse, Pascale Gruny, vous présentera plus en détail la suppression de l'article 45 bis, relatif au décalage de la réforme des retraites. En dehors de cette mesure, les propositions de la commission visent essentiellement deux objectifs.
Le premier consiste à se rapprocher autant que possible des propositions faites par la majorité sénatoriale au Premier ministre le 8 juillet 2025. Ainsi, nous vous proposons de rétablir l'article 44, relatif au gel des prestations, ainsi que son corollaire, le gel du barème de la CSG ; seraient toutefois exclues du champ de la revalorisation les retraites de moins de 1 400 euros et l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Nous vous proposons également de rétablir la contribution des complémentaires santé, pour 1 milliard d'euros, donc sans la majoration de 0,1 milliard d'euros destinée à compenser le décalage de la réforme des retraites. Enfin, pour ne pas faire porter excessivement l'effort sur les recettes, nous proposons de supprimer le passage du taux de la CSG sur le capital de 9,2 % à 10,6 %.
Le second objectif de la commission est de ne pas aggraver inutilement les difficultés de financement de l'Acoss. En effet, nous devons tous garder à l'esprit un fait, dont les médias parlent peu mais qui est d'une importance fondamentale : en 2026, le plafond d'emprunt de l'Acoss s'élèverait à 83 milliards d'euros, montant dangereusement proche du pic de besoin de financement de 2020, lors de la crise sanitaire, qui avait atteint 90 milliards d'euros et que l'Acoss n'était pas totalement parvenue à emprunter sur les marchés, ce qui avait nécessité le recours à la Caisse des dépôts et à un pool de banques.
Pour éviter de compliquer inutilement le financement de l'Acoss, la commission proposera, à l'article 40 du PLF, de revenir sur la réduction discrétionnaire de 3 milliards d'euros de la TVA affectée à la sécurité sociale, présentée comme la contrepartie de la réforme des allégements généraux. Je rappelle à toutes fins utiles que, dans sa récente communication sur le PLFSS, la Cour des comptes s'oppose explicitement à ce transfert, rappelant que les allégements généraux sont actuellement sous-compensés de 5,5 milliards d'euros. La commission propose également de supprimer le transfert d'1,4 milliard d'euros de CSG de la branche autonomie vers les départements ; nous connaissons l'état dégradé des finances des départements, mais ce n'est pas en dépossédant une branche déjà en difficulté que l'on rassurera ces collectivités.
En revanche, elle propose de maintenir l'article 12 quinquies, qui prévoit la compensation, à hauteur de 2,5 milliards d'euros, de diverses niches sociales, dont la part salariale du dispositif en faveur des heures supplémentaires, conformément à une recommandation de la Cour des comptes.
Elle propose également de supprimer l'article 12 septies, selon lequel l'Acoss compense à l'Unédic la totalité du coût des allégements généraux de cotisations patronales, sans la réduction de 4,1 milliards d'euros prévue en 2026 par l'arrêté du 27 décembre 2023. La commission s'est à plusieurs reprises déclarée favorable au principe de cet article, mais, du fait de la situation des finances sociales, nous ne pouvons pas l'adopter : à défaut d'augmentation, par l'article 40 du PLF, de la part de TVA affectée à la sécurité sociale, cette disposition augmenterait le besoin de financement de l'Acoss de 4,1 milliards d'euros.
En tout état de cause, ce PLFSS n'est qu'une étape. Ce que nous devons faire, c'est ramener les finances sociales à l'équilibre.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Cela implique d'abord de se doter d'une trajectoire de retour à l'équilibre. La trajectoire figurant dans le rapport annexé, qui prévoit un déficit de près de 18 milliards d'euros en 2029, n'est qu'une prévision fondée sur les mesures connues ou prévues. Or le rapport annexé connaît une évolution importante : il comprend cette année une partie III qui, pour la première fois, indique dans un texte législatif que l'objectif est de ramener la sécurité sociale à l'équilibre en 2029. Je vous proposerai un amendement précisant l'ensemble de mesures à prendre annuellement pour atteindre cet objectif.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Toutefois, malgré ces progrès, nous ne disposons toujours pas d'une trajectoire de retour à l'équilibre.
Pourtant, c'est seulement à cette condition qu'il sera possible de réaliser de nouveaux transferts de dette à Cades. Un tel transfert devra nécessairement être réalisé à brève échéance, afin que la dette sociale ne s'accumule pas au sein de l'Acoss, ce qui, comme je l'ai souligné, serait dangereux. Toutefois, pour transférer une dette à la Cades, deux conditions doivent être réunies : il faut adopter la trajectoire de retour à l'équilibre et, aux termes de la loi, nous devons aussi fournir à cet organisme une recette en compensation.
Mes chers collègues, nous célébrons cette année les 80 ans de la sécurité sociale. Notre devoir, comme élus, comme parlementaires, est de faire en sorte que nous puissions célébrer son centenaire, en 2045, et que la « vieille dame » soit toujours en bonne santé. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Elle va souffrir !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Cela implique que nous fassions preuve de responsabilité, de courage et d'adaptabilité. Comme l'écrit Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France, dans le dernier numéro de la revue Mermoz, que je vous recommande car il est entièrement consacré à la sécurité sociale, « Notre modèle social n'est pas un monument historique à conserver, mais un chemin à suivre ». (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Très bien !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous nous contentons aujourd'hui de proposer des mesures comptables, et je le regrette ; ce n'est intéressant pour personne. Face au vieillissement de la population, aux pandémies, aux crises climatique et sociale, la protection sociale doit impérativement se réinventer. Je vous invite, mes chers collègues, à y réfléchir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires sociales pour la branche assurance maladie.
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la branche assurance maladie. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les conditions d'examen du PLFSS sont, cette année, particulièrement défavorables au Sénat. Vous le savez, nous avons disposé d'un temps exceptionnellement court pour l'instruire, alors que, pour la seule branche maladie, le texte, qui comptait 22 articles au dépôt, en compte désormais 56…
Sur le fond, dire que ce PLFSS n'a pas convaincu notre commission serait un euphémisme. Le texte qui nous est présenté a été construit sans la moindre concertation, c'est donc logiquement qu'il comporte certaines mesures déconnectées du terrain ; l'instabilité politique n'excuse pas tout. Au contraire, en ces temps incertains, le dialogue est encore plus indispensable pour rechercher l'adhésion du plus grand nombre.
Les perspectives financières de la branche maladie sont particulièrement préoccupantes. Le manque de vision gouvernementale pour assurer un redressement crédible, tant à court qu'à long terme, menace sérieusement la pérennité de son financement. Si le Gouvernement projette un déficit de 12,5 milliards d'euros en 2026, celui-ci atteindrait 16,1 milliards d'euros en 2029. Aucune trajectoire de retour à l'équilibre ni même de réduction du déficit n'est donc présentée.
Pour ce qui concerne 2026, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie et la Cour des comptes ont tous relevé le caractère ambitieux et peu documenté des projections d'économies présentées. Un montant inédit de 7,1 milliards d'euros d'économies est annoncé ; c'est le double du niveau d'économies affiché au cours des deux dernières années…
En parallèle, l'Ondam projeté pour 2026 n'est pas à la hauteur des besoins de notre système de santé. Malgré l'abondement complémentaire consenti par le Gouvernement à hauteur d'1 milliard d'euros, sa hausse serait limitée à 2 %. L'enveloppe consacrée aux établissements de santé ne permettra même pas de couvrir la hausse de leurs charges courantes, alors que leur situation financière n'a cessé de se dégrader depuis 2020. Je rappelle que le déficit des hôpitaux a atteint 2,9 milliards d'euros en 2024 et que leur sous-financement chronique, dans lequel pèse le Ségur de la santé, est devenu structurel.
Dans ces conditions, l'Ondam paraît intenable et, disons-le, globalement insincère. La commission propose donc de le rejeter.
Ce PLFSS comporte essentiellement des mesures de rendement, sans réelle ambition pour l'accès aux soins. Leur version initiale attentait excessivement aux besoins de santé des assurés. L'article 18, qui s'ajoute au doublement des franchises prévu par voie réglementaire, en est un bon exemple : il importe de ne pas dévoyer l'objectif, louable, de responsabilisation assigné à ces outils pour en faire un objectif de rendement.
Dans le même esprit, sans s'opposer sur le fond à la suppression du régime des affections de longue durée (ALD) non exonérantes, qui n'améliore aucunement le suivi des assurés ni leur réinsertion professionnelle, la commission n'a pas rétabli l'article 29, le Gouvernement ne l'ayant pas assorti des nécessaires mesures d'accompagnement.
Sur l'accès aux soins dans les territoires, la commission entend supprimer la limitation de la durée des arrêts de travail, qui engendrerait plusieurs centaines de milliers d'heures de consultation évitables dans un contexte de pénurie médicale.
En ce qui concerne l'incitation à l'installation des médecins en zone sous-dense et l'amélioration de la couverture officinale dans tous les territoires, y compris les plus isolés, notre commission sera force de proposition. Sur les centres de soins non programmés, il nous semble opportun de repartir d'une version ayant fait l'objet d'un consensus entre l'Assemblée nationale et le Sénat, voilà à peine quelques mois.
Pour ce qui est du réseau France Santé, nous regrettons profondément la méthode employée par le Gouvernement, madame la ministre, même si vous n'y êtes pour rien, puisque vous n'étiez pas encore en poste lors de la préparation du projet de loi : aucune concertation des acteurs et un amendement présenté au détour de la discussion parlementaire, avec pour seul but de répondre à la commande du Premier ministre. In fine, nous avons une réforme qui se borne à labelliser l'existant, à marche forcée, sans améliorer l'accès aux soins dans nos territoires. Pis, elle aboutit à monter les professionnels de santé les uns contre les autres. Le sujet est trop sérieux pour le résumer à une opération de communication. La commission invite donc le Gouvernement à revoir sa copie à l'occasion d'un autre véhicule législatif.
Nous regrettons également le manque de confiance – je n'ose dire « de considération » – dont certaines mesures de ce PLFSS témoignent envers les professionnels de santé : restriction de leur liberté de prescription en matière d'arrêts de travail, sanctions en cas de non-utilisation du dossier médical partagé (DMP), surtaxation du secteur 2 quand le secteur 1 n'est plus soutenable pour certains spécialistes… La qualification de « rentiers », assurément malhabile, est symptomatique du besoin pour le Gouvernement de revoir son approche : c'est avec et non contre les professionnels que nous pourrons mener à bien la nécessaire réforme de notre système de santé, et je sais qu'ils sont aujourd'hui force de proposition. (Applaudissements et Bravo ! sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Vous l'aurez compris, notre commission ne se satisfait pas de ce PLFSS. La commission vous proposera donc de rejeter nombre de ses dispositions et soutiendra celles qu'elle a jugées utiles, notamment dans le champ de la prévention et de l'hôpital. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, en ma qualité de rapporteur pour la branche vieillesse, je ne peux que rappeler la réalité face à laquelle nous nous trouvons : celle d'une trajectoire d'augmentation inéluctable du déficit de la branche vieillesse ; inéluctable, car, d'une part, le nombre de retraités et le niveau de la pension moyenne augmentent et, d'autre part, la population active cotisante diminue. Je ne voudrais pas jouer les Cassandre, mais force est de constater que la survie de notre système de retraite par répartition est menacée et qu'il faudra sans doute songer à introduire de la capitalisation. (Murmures sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ah, nous y voilà !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Commençons par les chiffres.
En 2025, le déficit de la branche vieillesse s'élèvera à 6,3 milliards d'euros, soit 700 millions d'euros de plus qu'en 2024. Les dépenses de pensions sont toutefois moins importantes qu'en 2024 ; je rappelle tout de même que le déficit de la branche vieillesse a crû de 2 milliards d'euros entre 2023 et 2024. Cela s'explique par une moindre revalorisation cette année des pensions de retraite par rapport à l'inflation : elles n'ont été revalorisées que de 2,2 % au 1er janvier 2025, contre 5,3 % au 1er janvier 2024, opération qui avait coûté, je le rappelle, 15 milliards d'euros.
Les projections qui figurent au présent PLFSS sont de prime abord plutôt rassurantes. Le déficit de la branche vieillesse se résorberait pour atteindre 3 milliards d'euros en 2026 et 1,6 milliard d'euros en 2029, ce qui s'explique notamment par le relèvement entre 2025 et 2028 du taux de cotisations des employeurs à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) de 4 points par an, soit de 12 points au total.
Toutefois, ne nous y trompons pas, la résorption du déficit dépendra également de notre capacité à contenir les dépenses. Je vous le dis, avec une particulière gravité compte tenu des conditions d'examen très dégradées de ce texte à l'Assemblée nationale, il y a à mon sens un grand péril à adopter des mesures sans cohérence d'ensemble et sans souci de leur financement. Eu égard à la fragilité de notre système par répartition, je vous le demande avec solennité : quels choix voulons-nous faire ?
Souhaitons-nous, en toute idéologie, suspendre une réforme des retraites qui devait rapporter 8 milliards d'euros en 2028 ? Pour quels effets ? Pour permettre aux générations nées entre 1964 et 1968 de gagner un seul trimestre sur la hausse de l'âge légal d'ouverture des droits, et aux générations nées en 1964 ou en 1965 de gagner un trimestre sur la hausse prévue de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Comme j'ai eu l'occasion de le dire, cette suspension est de la poudre de perlimpinpin, une expression – je l'emprunte au Président de la République – qui désigne un « remède prétendument miraculeux, mais totalement inefficace ». De fait, les administrations et les caisses de retraite que la commission a entendues nous ont expliqué à quel point la liquidation d'une pension se préparait. D'après elles, il est impossible de quantifier avec certitude le nombre de nos concitoyens qui bouleverseront leurs plans pour ne gagner qu'un seul trimestre...
L'Assemblée nationale a étendu cette suspension aux personnes bénéficiant de retraite anticipée pour carrière longue et aux territoires de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. La mesure coûtera désormais 300 millions d'euros en 2026 et 1,9 milliard d'euros en 2027, lesquels ne sont plus compensés depuis la suppression par les députés de l'article 44.
Cette mesure, inique dans son dispositif, est d'autant plus néfaste qu'elle aggrave nos dépenses ; c'est pourquoi je vous proposerai de la supprimer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Patrick Kanner. Nous nous y opposerons !
Mme Pascale Gruny. Je vous inviterai ensuite à réintroduire l'article 44. Dans la rédaction du projet de loi de financement de la sécurité sociale issue de la lettre rectificative, cet article tendait à geler en 2026 le montant des prestations et pensions de retraite : ces dernières ne seraient pas revalorisées à hauteur de l'inflation de l'année précédente.
De plus, cet article visait à sous-indexer les pensions de retraite entre 2027 et 2030, pour un rendement de 3 milliards d'euros.
Mes chers collègues, parce que je souhaite préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus fragiles, je vous propose que ce gel ne s'applique ni à l'allocation aux adultes handicapés ni aux pensions de retraite inférieures à 1 400 euros, sachant que le Smic net est à 1 426 euros. L'article 44 ainsi remanié aurait un rendement de 2 milliards d'euros.
Ce projet de loi contient enfin, à l'article 43, une réforme du cumul emploi-retraite pour limiter les effets d'aubaine. En outre, afin de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, l'article 45 ouvre droit à la prise en compte des trimestres majorés au titre de la maternité et de l'éducation des enfants dans le dispositif de carrière longue. Je vous invite à adopter ces deux articles.
Mes chers collègues, rouvrons le débat du sens du travail, de la qualité de vie dans le milieu professionnel, de l'emploi des seniors et de l'équité du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, afin de mieux cibler la pénibilité. Protégeons les petites retraites, mais – je vous y exhorte – ne sacrifions pas notre jeunesse et tenons notre promesse de maintenir le système de retraite par répartition ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, avant d'aborder les questions financières à proprement parler en tant que rapporteur, je veux dire, avec gravité, ce que j'ai sur le cœur s'agissant de la situation contradictoire de la branche famille.
Cette branche est ponctionnée, peut-être plus que jamais, alors que la natalité est en berne : 1,6 enfant par femme, quand le désir d'enfant, il faut le noter, est de 2,2 enfants. Cet écart considérable nous interroge et constitue en quelque sorte un paradoxe.
Je tiens à vous alerter, mes chers collègues : un taux de fécondité de 1,6 enfant par femme représente, en deux générations, une perte de 20 % de la population. Dans certains pays en Europe, le chiffre est de 1,2 enfant par femme, soit, en deux générations, 40 % de perte de population. C'est donc un enjeu existentiel, culturel et civilisationnel. Je tenais à le signaler dans cette introduction.
Je profite aussi de cette prise de parole pour revenir sur l'histoire de la politique familiale. Le 2 juin 1936, le président du Sénat saluait en séance publique, dans cet hémicycle même, la mémoire du sénateur Henry Chéron. Ce défenseur acharné de l'équilibre budgétaire aspirait aussi, avec détermination, à la mise en place d'une politique familiale, perçue comme un ciment de la République. Ce personnage peu connu, qui était surnommé en son temps le « Gambetta du Calvados », a laissé une œuvre considérable, qui devrait nous inspirer.
Les défis semblaient alors immenses et les déficits budgétaires importants, du fait, entre autres, de la course à l'armement à l'approche d'une nouvelle guerre.
Pourtant, les attentes grandissantes de la population française en matière d'acquisition de nouveaux droits sociaux ne laissaient que peu de place à l'équilibre budgétaire. La famille était en ce temps déchirée, notamment entre les laïcs et les catholiques, mais Henry Chéron a vu dans la politique familiale l'occasion de faire à la fois grandir le pays et la République. Il a grandement contribué à l'adoption de la loi Strauss relative au congé de maternité.
De nos jours, nous avons également besoin d'ambition en matière de politique familiale. Celle-ci est essentielle : la valeur famille renvoie à un sentiment de protection, aux souvenirs de notre enfance, que nous partageons parfois de manière régressive, et au bonheur d'en fonder une à notre tour.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale contient une mesure importante pour les familles : le congé supplémentaire de naissance. D'une durée de deux mois, financé par les caisses d'allocations familiales – les aides afférentes sont versées par les caisses primaires d'assurance maladie, auxquelles je tiens à rendre hommage au regard de la difficulté technique de la mise en œuvre d'une telle mesure –, ce dispositif vise à indemniser les jeunes parents à hauteur de 70 % du salaire le premier mois, puis de 60 % le second mois.
Ce congé supplémentaire de naissance est l'occasion pour les pères de profiter d'un moment privilégié avec leur enfant ; c'est aussi un enjeu civilisationnel. Il répond en partie aux carences des mesures existantes, et il faut s'en féliciter.
Toutefois, il est difficile de s'en satisfaire pleinement. En effet, malgré l'excédent de la branche, estimé à 0,7 milliard d'euros en 2026, ouvrant la possibilité de déployer une politique familiale plus ambitieuse, le dispositif reste un peu maigre : seulement deux mois pour chaque parent, alors que nous savons toute l'importance de profiter autant que faire se peut de nos enfants lors de leurs mille premiers jours.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale contient également une mesure sur l'amélioration du recouvrement des pensions alimentaires. J'ai souligné l'importance d'Henry Chéron pour notre politique familiale ; au-delà de cette question, il savait à quel point, en tant que rapporteur général, il était indispensable d'aider les plus fragiles à bénéficier de ce qui leur était dû et souvent injustement enlevé.
Le texte qui nous est soumis tend, en son article 41, à aider les mères en situation de monoparentalité à bénéficier en temps et en heure de leur pension alimentaire. C'est une initiative juste et humaine pour répondre à des situations trop souvent douloureuses.
Mes chers collègues, la branche famille, depuis quelques années, continue de transférer des montants financiers d'ampleur aux autres branches de la sécurité sociale et à l'État, afin de redresser les comptes. Ainsi, 4,8 milliards d'euros sont versés à l'État au titre de la réforme des allégements généraux et 1,4 milliard d'euros à la branche maladie en raison du déficit de cette dernière, dont nous avons tous conscience.
Je conclurai par quelques mots sur la majoration pour âge des allocations familiales, qui passerait de 14 ans à 18 ans. Notre excédent, comme nous venons de le voir, permet, d'une part, de financer le congé supplémentaire de naissance, d'autre part, de poursuivre la bonification de ces allocations familiales dès 14 ans. Pour la commission, c'est essentiel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie et Martin Lévrier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Pascal Gruny, en remplacement de Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Mme Pascale Gruny, en remplacement de Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la commission regrette la dégradation aussi subite que préoccupante de la situation financière de la branche AT-MP, qui subit en 2025 son premier exercice déficitaire, hors covid, depuis 2012. Le déséquilibre empirera dans les années à venir, et la branche devrait connaître le pire solde de son histoire en 2027.
Ne vous y trompez pas, mes chers collègues : il faut chercher l'origine première de la dégradation de la situation financière de la branche non pas dans une hausse de la sinistralité, mais dans une suite d'arbitrages politiques hasardeux du Gouvernement. Depuis 2023, ce sont près de 2 milliards d'euros qui ont été transférés, de manière pérenne, aux branches maladie et vieillesse, dont la santé financière est plus chancelante encore.
C'est oublier que la sécurité sociale est non pas un pot commun dans lequel on peut puiser à sa convenance, mais un ensemble de caisses aux missions distinctes dont l'équilibre repose sur le respect de leurs financements propres, tout particulièrement pour la branche AT-MISE EN PLACE, qui n'est abondée que par les employeurs.
Sans cette hausse des transferts, le tableau que je vous dépeindrais serait tout autre : le déficit d'1 milliard d'euros en 2026 se métamorphoserait, presque par enchantement, en un excédent de 900 millions d'euros…
Cela étant, par sa nature assurantielle, la branche AT-MP a vocation, plus que toute autre, à l'équilibre financier. Des mesures de redressement sont donc nécessaires. Au-delà des indispensables ajustements sur les transferts, le retour à l'équilibre ne pourra procéder que d'un choc de prévention : portons à 7 % les dépenses de la branche en ce sens, comme l'a proposé la commission.
Les partenaires sociaux ont beau l'avoir demandé dans l'accord national interprofessionnel (ANI), les parlementaires ont beau le réclamer année après année, le Gouvernement n'entend pas le message : la prévention est encore la grande absente de ce PLFSS.
À la place, nous est annoncée, au détour d'une annexe, une mesure d'amélioration des recettes de 0,4 milliard d'euros. Nul n'est dupe de cet euphémisme dont le Gouvernement a le secret : il s'agit bien là d'une hausse des cotisations pour les employeurs. Parce qu'il serait inacceptable que des employeurs vertueux, engagés dans la prévention, paient le prix des décisions politiques qui ont miné la branche, la commission s'opposera sans ambages à toute tentative d'alourdir uniformément leurs cotisations.
Elle soutiendra, en revanche, les trois mesures nouvelles de ce PLFSS.
L'article 39 vise à réformer les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles, dont les limites sont désormais manifestes. La voie principale sera modernisée : pour l'instant inscrites sur les tableaux de maladies professionnelles, les modalités de diagnostic, parfois obsolètes, voire dangereuses, seront désormais définies de manière dynamique par référence aux données acquises de la science. Afin de garantir l'adhésion des partenaires sociaux à la réforme, la commission propose de solliciter leur avis et de mieux encadrer cette définition.
S'agissant de la procédure complémentaire, les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), obérés par la démographie défavorable, ne sont plus en mesure de faire face à l'afflux de dossiers qui leur sont adressés. Les leviers réglementaires pour dégager des marges de manœuvre ayant tous été mobilisés, le législateur est tenu d'agir pour éviter une dégradation de la qualité des décisions ou un rehaussement des délais, déjà dissuasifs.
L'article 39 a donc pour objet de déléguer à un binôme de médecins-conseils l'instruction des dossiers de maladie professionnelle ne répondant pas à toutes les conditions des tableaux dits de l'alinéa 6.
Face à l'inquiétude des partenaires sociaux, la commission présente une approche pragmatique et proportionnée au risque. Elle propose de maintenir la compétence des CRRMP sur ces dossiers, sauf ceux qui ont trait au délai de prise en charge, déjà souvent traités à la chaîne parce qu'ils requièrent une expertise médicale moindre.
La commission soutiendra également la limitation de la durée de versement des indemnités journalières AT-MP, à l'article 28, sous réserve de l'adoption de son amendement visant à garantir des conditions d'indemnisation plus favorables en AT-MP qu'en maladie. Cette mesure permettra que chaque assuré relève en fait de la prestation qui lui est destinée en droit.
Rappelons que, en s'en tenant aux principes, l'indemnité journalière AT-MP ne saurait couvrir que les assurés dont l'incapacité de travail est temporaire, à l'exclusion de ceux qui présentent une incapacité permanente. Aucune rupture de droit n'est donc à craindre. L'incapacité permanente, en effet, ouvre droit à des prestations spécialement dédiées, mieux adaptées à la situation : l'indemnité en capital et la rente.
Ces prestations seront prochainement revalorisées grâce à la réforme de la dualité de la rente, que nous avions soutenue l'an dernier. C'est non pas par choix, mais par nécessité que la commission proposera de reporter de cinq mois l'entrée en vigueur de cette réforme attendue, l'adoption tardive de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025 ayant rendu inopérant le calendrier initialement prévu.
Enfin, l'article 40 permet de faire œuvre utile. Il vise à faire ouvrir un capital-décès de près de 4 000 euros aux ayants droit des non-salariés agricoles actifs victimes d'un sinistre professionnel, ce capital étant à l'heure actuelle réservé aux décès relevant de la vie privée.
Je pense, monsieur le ministre, que nous pouvons envisager conjointement d'ouvrir également ce droit aux titulaires inactifs d'une rente AT-MP. Il s'agirait là d'une mesure d'harmonisation bienvenue, afin de rendre justice à ceux qui, pour nous nourrir, ont payé de leur personne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mmes Véronique Guillotin et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
Mme Chantal Deseyne, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'autonomie. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, cette année, la branche autonomie n'est pas épargnée par le contexte budgétaire. La progression de l'objectif de dépenses est deux fois moins soutenue qu'en 2024 et en 2025, mais s'établit tout de même à 3,5 %, ce qui représente une hausse de 1,5 milliard d'euros.
Ces moyens supplémentaires sont majoritairement compris dans l'objectif global de dépenses des établissements et services médico-sociaux fixé à l'article 49. Ils sont fléchés vers les plans de renforcement de l'offre médico-sociale lancés ces dernières années.
La contrainte budgétaire n'est pas sans incidence sur la mise en œuvre de ces plans, puisque le rythme des recrutements et des créations de places ralentit : 4 500 recrutements en Ehpad annoncés contre 6 000 l'année dernière, diminution du nombre de créations de places en services de soins infirmiers à domicile et baisse de 20 millions d'euros du budget alloué au déploiement des 50 000 solutions dans le champ du handicap. Le Gouvernement nous a assuré que les objectifs à l'horizon de 2030 étaient maintenus. Nous y serons attentifs.
J'en viens aux trois mesures que compte ce projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le périmètre de la branche autonomie.
L'article 36 vise à introduire une réforme structurelle du financement des établissements et services médico-sociaux qui accompagnent des enfants et jeunes adultes handicapés. Ne pouvant m'attarder sur les contours de cette mesure, j'insisterai seulement sur le fait qu'elle est soutenue de façon unanime par le secteur : tous les acteurs concernés ont été associés à son élaboration et nous demandent de maintenir cet article.
Je vous inviterai donc à donner votre assentiment à cette réforme, mes chers collègues, même si nous devrons être attentifs aux ultimes travaux qui seront conduits en 2026 pour déterminer, avant son entrée en vigueur en 2027, l'équation tarifaire.
L'article 37 traduit le compromis trouvé entre le Gouvernement et les départements en avril dernier sur le financement des revalorisations salariales dans le secteur médico-social privé à but non lucratif.
Le surcoût de ces revalorisations, évalué – et certainement sous-estimé ! – à 170 millions d'euros pour les départements, sera couvert pour moitié par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Ce dispositif de compensation est important et même indispensable pour les départements, mais nous sommes tous conscients, dans cette assemblée, qu'il restera insuffisant face à la hausse continue des dépenses sociales.
La dernière mesure qui concerne l'autonomie figure à l'article 38. Elle vise à permettre aux départements de déduire les indemnisations versées par les assurances et les fonds d'indemnisation de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap.
Il est bien sûr légitime que le Gouvernement recherche des pistes pour améliorer l'efficience de la dépense, mais ce dispositif, en plus de brouiller la distinction qu'il convient de faire entre, d'une part, le droit à indemnisation, et, d'autre part, le droit à compensation, présente de sérieuses limites sur le plan opérationnel. La commission vous proposera sa suppression.
Mes chers collègues, en définitive, ce PLFSS contient peu de mesures nouvelles dans le champ de l'autonomie. S'il n'est pas étonnant que le contexte budgétaire freine les ambitions, cette situation rend d'autant plus impératif le débat sur les ressources, d'autant que la situation financière de la cinquième branche se détériore : déjà déficitaire de 300 millions d'euros cette année, la CNSA devrait accuser un solde négatif de 1,7 milliard d'euros dès 2026.
Chaque année, nous le répétons : sans ressources nouvelles, nous ne ferons que subir les effets du vieillissement de la population et nous ne répondrons pas aux aspirations des Français. Réussir le virage domiciliaire, renforcer l'attractivité des métiers, augmenter le nombre de places en structure, développer massivement l'habitat intermédiaire... Tout cela exige des moyens considérables dont la CNSA ne dispose pas à ce jour, et dont disposent encore moins les départements.
J'ajoute qu'un grand nombre d'Ehpad et de plus en plus de structures pour personnes handicapées sont au bord de la rupture financière. Aucun fonds n'est prévu dans ce PLFSS pour leur venir en aide. Je le déplore vraiment, tant les besoins sont immenses.
Les pistes de financement et d'efficience existent pour relever ces défis. L'une d'entre elles, encore peu explorée, concerne la politique de prévention. Dans le champ du grand âge, nous savons que la marge de progrès est importante, qu'il s'agisse de la prévention des chutes, de la dénutrition ou de l'isolement social. Avec des dispositifs de prévention efficaces, nous pourrions considérablement réduire les coûts de prise en charge, en particulier ceux qui sont relatifs aux hospitalisations inutiles.
Finalement, l'examen d'une grande loi Autonomie, que nous avons maintes et maintes fois demandé, s'impose chaque année avec plus de vigueur. Sans cela, nous en resterons aux incantations et les besoins d'accompagnement de millions de nos concitoyens demeureront insatisfaits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la commission des finances a choisi de rendre un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, dans sa version qui nous a été transmise par l'Assemblée nationale.
En effet, après une diminution en 2022 et en 2023, le déficit de la sécurité sociale s'est aggravé de nouveau et atteindrait 23 milliards d'euros en 2025, alors qu'aucune crise sanitaire ou financière ne vient le justifier. Un tel déficit pèsera sur les générations à venir, contrevenant à l'impératif de solidarité intergénérationnelle au cœur de notre système de sécurité sociale.
L'augmentation forte du déficit depuis 2024 s'explique par le décalage entre l'évolution des recettes et des dépenses. Alors que l'augmentation des dépenses avait toujours été inférieure à celle des recettes, sauf en 2020, cette tendance s'est inversée en 2024 et en 2025, en raison de la conjoncture économique défavorable, de la démographie et de la revalorisation des prestations sociales en fonction de l'inflation.
Par ailleurs, ce déficit de la sécurité sociale s'explique largement par des hausses de dépenses non financées, alors qu'il ne faut jamais procéder de la sorte. Je pense notamment à celles qui sont liées au Ségur de la santé, qui représente un surcoût à supporter de plus de 13 milliards d'euros par an.
À force d'accumuler des déficits, on nourrit la dette. Celle-ci grossit et sa gestion à venir constitue une véritable source d'inquiétude. En effet, depuis fin 2024, il n'est plus possible de transférer les déficits de la sécurité sociale à la Cades. C'est donc l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) qui supporte l'intégralité des déficits de la sécurité sociale. Son plafond a été fixé à 89 milliards d'euros pour 2026, alors que cet organisme ne peut que s'endetter à court terme, avec un horizon maximum de deux ans, ce qui est très risqué. Pour autant, un nouveau transfert de dette à la Cades n'est pas envisageable en l'absence d'un plan sérieux de reprise en main de la trajectoire des comptes sociaux.
S'agissant de 2026, le Gouvernement anticipait, dans la copie initiale du PLFSS, un déficit de 17,5 milliards d'euros. L'atteinte de cet objectif est hautement improbable. Tout d'abord, celui-ci se fondait sur des hypothèses jugées optimistes par le Haut Conseil des finances publiques pour ce qui concerne l'évolution de l'Ondam : +1,6 %. Je ne sais pas très bien, d'ailleurs, où en est le plafond de cet objectif national ; je dois avouer que les modifications successives m'ont un peu perdu… Le Haut Conseil considérait également comme optimiste l'hypothèse de croissance de la masse salariale en 2026, le Gouvernement ayant décidé de retenir une hausse de 2,3 %, ce qui est beaucoup.
Ensuite, de nombreuses mesures du texte transmis ont été largement remaniées par l'Assemblée nationale et influent globalement de façon négative sur « l'équilibre » des comptes.
Les mesures en recettes, minorées par une baisse des transferts de l'État vers la sécurité sociale, représentaient un gain de 2,5 milliards d'euros dans la rédaction initiale. En particulier, l'application des cotisations sociales aux compléments de salaire générait 1,2 milliard d'euros de recettes supplémentaires. Cette proposition a pourtant été largement vidée de sa substance par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a proposé également une taxe sur les cotisations perçues par les organismes complémentaires de mutuelles. Elle devait rapporter 1,2 milliard d'euros, mais elle a été supprimée par l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne les dépenses, l'objectif inscrit dans le texte initial était de réaliser des économies à hauteur de 9,1 milliards d'euros. En particulier, le gel de la revalorisation des prestations sociales, supprimé, là encore, par l'Assemblée nationale, devait rapporter 2,7 milliards d'euros. Il est très regrettable de ne pas pouvoir compter sur cette somme.
La suspension de la réforme des retraites entraîne un surcoût estimé dans l'étude d'impact à 100 millions d'euros en 2026 et, surtout, à 800 millions d'euros en 2027.
M. Patrick Kanner. Ce n'est pas cher !
M. Vincent Delahaye. Les mesures d'économies proposées sur l'Ondam dans la rédaction initiale, pour un montant de 6 milliards d'euros, ont été largement supprimées par l'Assemblée nationale. En particulier, la hausse des plafonds et des montants sur les franchises médicales et les participations médicales, à hauteur de 2,3 milliards, a été très critiquée.
J'estime donc que le déficit de la sécurité sociale pour 2026, évalué par le Gouvernement entre 24 milliards et 25 milliards d'euros à la suite de la transmission du texte adopté par l'Assemblée, se rapprochera de celui qui était annoncé en l'absence de mesures nouvelles, soit 28,7 milliards d'euros. Un tel déficit est totalement insoutenable et appelle une réforme structurelle et urgente de tout le système social français.
J'espère que les débats dans notre hémicycle nous permettront d'aboutir à une version plus satisfaisante et plus économe du budget de la sécurité sociale pour 2026, notamment grâce aux apports de nos collègues de la commission des affaires sociales.
Puisqu'il me reste un peu de temps, j'ajoute que j'apprécierais une modification de la présentation des comptes des branches de telle sorte que celle-ci fasse apparaître les montants avant refinancement, c'est-à-dire avant transferts entre administrations et subventions. La présentation actuelle montre les soldes par branche après refinancement, ce qui n'a pas de sens.
Mes chers collègues, la commission des finances est donc défavorable à ce texte, mais elle pourrait changer d'avis si celui-ci évolue largement à la suite de notre examen. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission, en remplacement du président de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Évelyne Perrot et Anne-Sophie Romagny applaudissent également.)
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, comme nos concitoyens, nous ressentons que la désintégration de notre système de santé, qui a pour cause des maux structurants et plusieurs décennies de renoncements.
Madame la ministre, vous voilà la onzième ministre de la santé en sept années ! (Mme la ministre de la santé acquiesce.) Ce chiffre impressionnant explique en partie l'absence de réformes structurelles.
Une fois encore, ce PLFSS est stérile, car il est tendu vers le respect du dogme de la gratuité de tout pour tous et vers le respect d'un Ondam complètement déconnecté des besoins de santé. De fait, le vieillissement de la population et les progrès de la médecine entraînent une hausse des coûts de l'ordre de 4 % alors que la croissance de l'Ondam est de 2 %. L'ajustement se fait donc par une diminution de la qualité des soins, par le rationnement et par la bureaucratisation.
Il n'est pas inutile de rappeler les grands principes sur lesquels est fondé notre système de santé : l'universalité, l'égalité et l'accessibilité.
Le premier principe est l'universalité. Je songe à cette loi de programmation en santé demandée depuis plusieurs années, qui donnerait une visibilité de long terme à l'ensemble des acteurs du secteur.
Je veux mettre l'accent plus particulièrement sur l'industrie pharmaceutique. Notre pays et l'Europe courent un risque majeur de déclassement dans la bataille mondiale pour la santé.
La Chine est désormais à l'origine de 30 % des innovations thérapeutiques. La santé ayant été déclarée hautement stratégique par l'État chinois depuis 2019, ce sont près de 300 milliards de dollars qui ont été investis dans la santé digitale.
Aux États-Unis, principal marché au monde, la clause de la nation la plus favorisée (MFN, Most Favoured Nation) et les barrières tarifaires ont provoqué un retour massif des promesses d'investissement des groupes pharmaceutiques : près de 500 milliards de dollars.
À l'inverse, les annonces d'investissement lors du dernier sommet Choose France ont été divisées par quatre par rapport à l'année précédente et, dans le même temps, plusieurs entreprises pharmaceutiques ont annoncé l'arrêt de leurs investissements au Royaume-Uni. Pour toutes ces raisons, ce PLFSS, madame la ministre, sera analysé à l'international comme un mouvement tactique de la France.
Le deuxième principe est l'égalité. Celle-ci passe par une vraie politique territoriale de la santé, avec tous les acteurs concernés à l'échelle d'un bassin de vie, et une reconfiguration du parcours de soins structuré. Cette politique est mise en place depuis plusieurs années. Laissons les professionnels travailler, ne communiquons pas sur ce qui existe et ne surfinançons pas ce qui est déjà financé.
Mes chers collègues, en matière de lutte contre la financiarisation galopante de notre organisation de santé, je vous invite à lire et à mettre en œuvre les propositions du rapport sénatorial de nos collègues Corinne Imbert et Bernard Jomier.
Le troisième principe est l'accessibilité. Le personnel des hôpitaux a bénéficié à juste titre de revalorisations salariales, mais les établissements n'ont pas vu leurs effectifs médicaux augmenter. Circonstance aggravante, les crédits accordés n'ont pas totalement couvert ces hausses. Dès lors, le message étant de ne pas toucher à l'emploi, la variable d'ajustement consiste à réduire les investissements, à différer les recrutements, à geler les emplois et à fermer des lits.
À quand une politique réellement volontariste, comparable à celle menée en 1958 lors de la réorganisation du système hospitalier, qui permettrait, par exemple, de transformer les hôpitaux, y compris les CHU, en fondations dotées d'un véritable conseil d'administration favorisant la concertation entre l'ensemble des acteurs de l'hôpital et ceux qui l'environnent ?
Je souhaite également appeler l'attention de notre assemblée sur la psychiatrie, trop souvent considérée comme le parent pauvre des politiques publiques et du financement hospitalier. Il est urgent que les pouvoirs publics se saisissent pleinement de cet enjeu majeur, qui concerne une grande partie de la population, et en particulier, désormais, la jeunesse ; nous devons tous y rester vigilants.
M. Laurent Somon. Très bien !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Le quatrième principe est la qualité.
Or la qualité se dégrade, au prix de défauts et de retards de prise en charge. L'accès aux soins est devenu difficile en raison des déserts médicaux, et certaines spécialités sont tout simplement sinistrées. Les soignants fuient l'hôpital, tandis que les médecins de ville, qui assurent 95 % des soins, sont paupérisés et accablés de charges administratives, au point qu'ils se désengagent.
Le maintien de la bonne santé de nos concitoyens passe par la qualité de la prévention et du dépistage : je pense par exemple au dépistage précoce des cancers ou à la prévention en santé visuelle et dentaire chez l'enfant, qui suppose une collaboration étroite du monde médical avec le monde éducatif.
Préserver la santé de nos concitoyens passe également par une politique de soutien à l'innovation. L'intelligence artificielle, en particulier, est souvent décriée, mais elle permettrait des avancées considérables pour ce qui est de la détection très en amont d'un certain nombre de pathologies.
Enfin, en matière de retraite, il est important de se souvenir que, en 1983, l'âge légal de départ à la retraite était fixé à 60 ans, alors qu'il y avait 4 actifs pour 1 retraité et que l'espérance de vie était de 73 ans ; en 2025, il y a 1,7 actif pour 1 retraité, et l'espérance de vie est de 83 ans. Ne soyons pas les fossoyeurs du régime de retraite par répartition !
Au cours de nos débats, nous aurons l'occasion de revenir sur ces différents sujets. L'essentiel, mesdames, monsieur les ministres, est de mettre en place les réformes territoriales et les réformes de décentralisation nécessaires, de faire confiance aux professionnels de santé et de revoir notre système de financement de la santé. Est-il normal, en effet, que 30 % de nos concitoyens financent par leurs cotisations la santé de 100 % de la population ? (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 342.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, la sécurité sociale fête cette année ses 80 ans. Et en forme d'hommage, nous nous apprêtons à examiner l'un des pires projets de loi de financement de la sécurité sociale depuis que ce type de texte existe : un hommage morbide, le PLFSS pour 2026 étant qualifié par les organisations syndicales de « musée des horreurs ».
J'énumère quelques-unes de ces horreurs.
Contribution de 2,05 % sur les cotisations versées aux complémentaires santé ; contribution de 8 % sur les compléments salariaux que sont par exemple les titres-restaurants ou les avantages sociaux et culturels financés par les comités sociaux et économiques (CSE) ; suppression du dispositif d'exonération de cotisations salariales sur les apprentis, amputant de 100 euros à 190 euros la rémunération que touchent chaque mois les apprentis ; 7,1 milliards d'euros d'économies sur la santé – sous-financement des hôpitaux, doublement des franchises et participations médicales, limitation des arrêts de travail ; gel de l'ensemble des prestations sociales ; gel des pensions de retraite en 2026 et sous-indexation de 0,4 point les années suivantes, jusqu'en 2030.
Pour éviter de subir les affres qu'a vécues le gouvernement Barnier, le gouvernement Lecornu a cherché un accord de non-censure en proposant ce qu'il qualifie de « suspension » de la réforme des retraites et qui est en réalité un simple décalage de l'application de la réforme Borne. Pis, ce décalage de trois mois applicable aux seules générations nées avant 1968 acte, de fait, le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, un point sur lequel nous avons toujours exprimé notre désaccord.
Ainsi ce projet de loi de financement de la sécurité sociale remet-il en cause frontalement le droit pour « [t]out être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler […] d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence », droit reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946.
De fait, plusieurs articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 contiennent à nos yeux des mesures inconstitutionnelles.
Tout d'abord, bien que la vitrine ait été grossièrement nettoyée par l'Assemblée nationale, le gel des prestations sociales et des pensions constitue une rupture manifeste du principe d'égalité devant les charges publiques, car il fait peser l'ajustement budgétaire sur les seuls retraités et ménages modestes, à l'exclusion de tout effort comparable demandé aux revenus du capital. Le Conseil constitutionnel l'a déjà rappelé dans ses décisions sur les lois de finances pour 2012 et pour 2014 : on ne saurait cibler une catégorie de citoyens pour équilibrer les comptes sociaux.
Ensuite, la contribution de 8 % sur les titres-restaurants et les avantages versés par les comités sociaux et économiques est très clairement à nos yeux un cavalier social. En effet, elle ne concerne ni les dépenses ni les recettes des régimes obligatoires de sécurité sociale : elle a trait à la fiscalité des entreprises et des salariés, un champ maintes fois exclu du domaine des LFSS par le Conseil constitutionnel.
Enfin, le PLFSS 2026 prévoit des transferts de charges aux collectivités, via notamment l'augmentation sans compensation financière des cotisations CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), en violation de l'article 72-2 de la Constitution, qui impose une compensation intégrale de toute charge nouvelle. Un tel manquement a d'ailleurs déjà conduit à plusieurs censures du Conseil constitutionnel, en 2010, 2014 et 2022.
Certes, la vitrine a été en partie dépoussiérée à l'Assemblée nationale. Mais le pire, dans les magasins, se trouve parfois dans l'arrière-boutique ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.) Et cette exception d'irrecevabilité vise tout autant l'avant, le pendant et l'après de ce texte, dont la structure même porte une austérité si lourde qu'elle s'oppose au contrat social qui est au cœur de notre République.
Rappelons que la politique du Gouvernement repose sur un plan d'austérité dont l'objet est de détruire nos services publics pour satisfaire les injonctions de Bruxelles et, ainsi, tenir les engagements du plan budgétaire et structurel de moyen terme, le fameux « PSMT 2025-2029 », négocié par le gouvernement Barnier et appliqué par les gouvernements Bayrou et Lecornu.
Mme Silvana Silvani. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Dans ce PLFSS, mesdames, monsieur les ministres, vous avez donc décidé de compresser la progression des dépenses de l'assurance maladie à 1,6 %, soit l'Ondam le plus bas depuis 2016, année où il avait été fixé à 1,7 % – mais l'inflation était à l'époque de 0,2 %, quand l'Insee table sur 1 % pour 2026, ce qui signifie un quasi-gel de l'Ondam.
Ainsi, en limitant à 2 % la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, vous remettez en cause l'accès aux soins de nos concitoyens. Mais, là encore, vous vous exposez à une décision d'inconstitutionnalité pour « insincérité manifeste » : en fixant un Ondam incompatible avec l'évolution démographique et épidémiologique, le PLFSS 2026 pourrait être jugé comme reposant sur des hypothèses irréalistes, ce que le Conseil constitutionnel a déjà sanctionné dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.
Voilà une autre des raisons du dépôt par notre groupe de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Surtout, mes chers collègues, le match n'est pas terminé, et je vous invite à observer avec attention les amendements déposés par les rapporteurs de la Haute Assemblée et par les membres de la majorité sénatoriale : vous constaterez avec moi que la seconde mi-temps de ce débat budgétaire, au Sénat, promet d'être très difficile.
Il est donc loin le temps où le Sénat était perçu comme le temple du compromis et de la pondération républicaine. On y entend aujourd'hui l'impatience, je cite, de « nettoyer l'hystérie fiscale » de l'Assemblée nationale au « Kärcher ».
Ainsi, notre collègue Henno propose d'augmenter la durée annuelle de travail de 1 607 heures à 1 619 heures. Notre collègue Capus propose d'instaurer une dose de retraite par capitalisation et d'aligner le calcul des retraites des fonctionnaires sur le privé en prenant pour base les vingt-cinq meilleures années au lieu des six derniers mois. Notre collègue Guidez, quant à elle – nous lui devons l'explosion, hier, de nos boîtes aux lettres électroniques ! (Sourires.) –, propose carrément de dérembourser l'ensemble des soins relevant de la psychanalyse. L'année même où la santé mentale est désignée grande cause nationale, c'est un comble !
Puisque nous parlons d'inconstitutionnalité, permettez-moi d'ajouter que la proposition d'aligner la référence du calcul des pensions de la fonction publique sur celle qui prévaut dans le privé, en passant des six derniers mois aux vingt-cinq meilleures années, ne relève en aucun cas, là encore, du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Une telle disposition constituerait donc un cavalier social, promis à une censure automatique de la part du Conseil constitutionnel.
Mes chers collègues, vous avez beau jeu de reprocher au groupe communiste et à d'autres de verser dans l'idéologie quand vos amendements tendent clairement et en toute transparence à refléter vos intérêts de classe, ou ceux de la classe que vous entendez défendre. (Très bien ! sur des travées des groupes CRCE-K et SER. – Oh ! sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
L'issue de la commission mixte paritaire semble bien hypothétique, voire illusoire, à moins d'accepter de part et d'autre non pas des compromis, mais des reniements. Le Sénat va prendre sa revanche sur la majorité de l'Assemblée nationale en rétablissant tous les articles supprimés, ou une grande partie d'entre eux, et, à l'inverse, en supprimant tous les articles adoptés, ou une grande partie d'entre eux.
Pour notre part, nous refusons ce jeu de dupes dans lequel chacun trouverait son intérêt, sauf la principale intéressée : notre sécurité sociale, celle qui assure à chacune et à chacun la faculté de bien vivre dans notre pays, quelle que soit sa position sociale.
Le 4 septembre 2016, Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, déclarait : « Le modèle de l'après-guerre ne marche plus. Le consensus politique, économique et social qui s'est fondé en 1945 et qui a été complété en 1958 est caduc. [...] Il est directement issu de l'après-guerre et d'un moment de refondation de la vie politique où, d'ailleurs, vous l'aurez noté, les communistes ont su travailler avec les gaullistes. »
À l'heure où le mot de « consensus » est sur toutes les lèvres, il me semble qu'il est urgent non pas d'en rajouter dans l'excès – tel est pourtant le programme annoncé de la semaine à venir –, mais bel et bien, au contraire, de retisser ce lien social dont ont tant besoin nos concitoyens.
À celles et à ceux qui veulent célébrer les noces de chêne entre l'État républicain et « la sociale », voici ce que nous disons : oui, votez notre motion pour déjouer le mauvais tour fait à notre modèle de protection sociale !
À celles et à ceux qui pensent encore pouvoir sortir de la séquence budgétaire avec quelques victoires sur l'accessoire et des reculs sur le principal, voici ce que nous disons : refuser de voter cette motion, c'est accepter l'adoption des amendements de la majorité sénatoriale et être comptable des coupes budgétaires que celle-ci défend.
Mme Cécile Cukierman. Je veux le dire avec gravité pour conclure : si notre groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, c'est non pas par peur des débats ou par refus de discuter, mais parce que l'on connaît déjà l'issue de la pièce de théâtre qui est en train de se jouer au mépris de la lettre et de l'esprit même de notre Constitution.
Telles sont les raisons du dépôt de cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Marion Canalès applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. J'ai écouté votre réquisitoire, ma chère collègue ; j'y ai entendu l'envie de commencer à débattre sur certains sujets, puisque la deuxième partie de votre intervention nous donnait un aperçu de votre point de vue.
La commission ne peut qu'être opposée à une motion tendant à déclarer le texte irrecevable : le refus du débat ne saurait être une solution. Du reste, je l'ai dit, nous avons bien senti d'emblée toute votre envie de débattre.
Vous mettez en avant deux arguments.
Le premier est celui du faible taux de croissance de l'Ondam prévu dans le PLFSS pour 2026 : de 1,6 % dans le texte initial, il est porté à 2 % par la majorité sénatoriale, après que le Gouvernement a annoncé la majoration de l'objectif de dépenses de 1 milliard d'euros.
Les auteurs de la motion considèrent que ce taux « remet en cause le droit à la protection de la santé reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 ». Je veux toutefois rappeler que la France est le quatrième pays où les dépenses de santé, exprimées en points de PIB, sont les plus élevées. Les termes de la motion sont donc peut-être quelque peu excessifs…
Le second argument est paradoxalement celui du décalage de la réforme des retraites. Selon les auteurs de la motion, ce décalage n'irait pas assez loin : il faudrait abroger dès à présent cette réforme, elle aussi contraire, à leurs yeux, à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)
Là encore, les termes de la motion me semblent quelque peu excessifs : à l'étranger, un âge légal de départ à la retraite fixé à 64 ans est considéré comme parfaitement normal. À titre d'illustration, j'ajouterai que l'âge légal est de 67 ans au Danemark comme aux Pays-Bas…
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous nous apprêtons à débattre d'un sujet majeur dans la vie des Français : la sécurité sociale.
Ce sujet mérite un débat ; il mérite aussi que, sous le contrôle des parlementaires, l'État de droit soit respecté. Et nul n'a ici l'intention de faire voter ou même de proposer des mesures inconstitutionnelles !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est arrivé dans le passé !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certes, madame la sénatrice. Mais la bonne nouvelle est que le Conseil constitutionnel fait son œuvre : il censure de très nombreuses dispositions, parfois, d'ailleurs, contre la volonté du Gouvernement. Je pense à toutes ces mesures de lutte contre la fraude votées en PLFSS qui ont été systématiquement censurées, ce qui a conduit au dépôt d'un projet de loi spécifique.
J'étais présente, hier, lors du vote solennel du Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. J'ai entendu vos positions, mesdames, messieurs les sénateurs : il en ressort que, d'un point de vue constitutionnel, un texte dédié était incontestablement un progrès.
Madame la sénatrice Cukierman, vous avez parlé de « l'année blanche » en alléguant l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. C'est intéressant : ce débat remonte à 1987, lorsqu'il a été décidé pour la première fois d'indexer les pensions de retraite non plus sur les salaires, mais sur l'inflation, disposition inscrite dans la loi en 1993. Il y a eu, depuis lors, de nombreuses années où les retraites n'ont pas été indexées sur l'inflation : entre 2013 et 2015, l'Agirc-Arrco a sous-indexé les retraites complémentaires ; en 2014 et en 2016, sous François Hollande, les retraites ont été gelées ; en 2019, le gouvernement d'Édouard Philippe a décidé d'une sous-indexation.
J'ai entendu que cibler une catégorie de la population serait inconstitutionnel ; l'histoire nous montre que tel n'est pas le cas. Si tel avait été le cas, vous pensez bien que le Gouvernement n'aurait évidemment pas proposé ces mesures et ne les aurait pas soumises au Conseil d'État, lequel, en tout état de cause, nous aurait découragés de les inscrire dans le texte.
Madame la sénatrice Cukierman, vous dites qu'il s'agit du « pire » de tous les PLFSS.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mais le déficit actuel est aussi le pire que la sécurité sociale ait jamais connu ! Jamais notre déficit n'avait dépassé les 20 milliards d'euros, hors crise sanitaire ou crise économique. Or les années 2024 et 2025 ne sont pas des années de crise sanitaire ou économique !
La croissance économique a atteint 1 % en 2024. Elle est certes très faible en 2025, mais on ne saurait qualifier de « récession » cette situation : en l'absence de crise économique ou financière mondiale, notre déficit est passé de 11 milliards à 15 milliards puis à 23 milliards d'euros – c'est là le plus inquiétant. Nous voyons bien que la pente naturelle de nos dépenses de santé est celle d'une croissance au moins deux fois supérieure à notre croissance économique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il faut aller chercher des recettes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Chercher des recettes quand il y a de la croissance économique, c'est légitime ; mais quand il n'y a pas de croissance économique, cela veut dire, si nous vous écoutons, augmenter chaque année le poids des dépenses de santé dans le PIB.
On pourrait concevoir qu'une telle décision soit prise, mais à la condition de bien en mesurer la portée : la part dans le PIB des dépenses relevant de l'Ondam est déjà passée de près de 8 % à près de 9 % – dit autrement, nos dépenses de santé ont crû de 1 point de PIB –, et cela en moins de dix ans – en huit ans exactement.
Il y a là des signaux d'alerte, et cette situation mérite un débat éclairé : elle mérite les heures que nous allons, pour de bonnes raisons, y passer ensemble.
Il est donc utile que les sénateurs et les sénatrices ne votent pas cette motion de rejet et que le débat ait lieu, sujet par sujet. Les nombreux rapporteurs de branche l'ont montré : il y a largement de quoi travailler à construire un vaste compromis sur l'un des grands outils de notre unité nationale.
J'émets donc un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Éric Gold applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 342, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :
| Nombre de votants | 343 |
| Nombre de suffrages exprimés | 278 |
| Pour l'adoption | 34 |
| Contre | 244 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la motion.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, mesdames, ministre les ministres, mes chers collègues, après rebondissements et tractations, il revient au Sénat d'examiner un PLFSS privé de vote à l'Assemblée nationale.
Entre le texte initial et celui qui a été transmis au Sénat, le déficit projeté pour 2026 s'est aggravé : il serait désormais de 24 milliards d'euros.
La supposée irresponsabilité des députés pointée du doigt pour expliquer ce déficit majoré masque difficilement les inconséquences et l'insincérité du projet de budget initial.
Insincère du point de vue de l'efficience, le projet du Gouvernement ne prévoyait pour ainsi dire aucun effort sur les recettes et 9 milliards d'euros de mesures de baisse des dépenses, dont un chiffre sans précédent de 7 milliards d'euros sur l'Ondam, la moitié de cette somme relevant de transferts de financement, dont l'ampleur pose question, vers d'autres acteurs. Ces dispositions ne sont donc pas de vraies mesures d'économies pérennes gagées sur l'efficience des dépenses.
De plus, le calcul du taux de progression de l'Ondam intègre les économies attendues du texte de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, alors même que le comité d'alerte indique que la réalité des économies attendues « n'est que partiellement avérée ».
Par ailleurs, il n'est pas tenu compte du constat de la Cour des comptes selon lequel, dans le passé, la maîtrise médicalisée des dépenses de santé a rarement atteint ses objectifs en matière d'économies. Or cette politique est reconduite sans autre forme d'analyse des causes, en une sorte de fuite en avant ignorante des aléas de cette régulation.
En outre, des dérapages sont à prévoir compte tenu de l'insuffisante prise en compte du ressaut de l'activité hospitalière, laquelle reprend son évolution tendancielle après la période de rattrapage et risque de nécessiter de nouveau l'annulation des mises en réserve.
Insincère si l'on intègre ces seuls points, le taux retenu pour la progression de l'Ondam, qu'il s'établisse à 1,6 % ou soit rehaussé à presque 2 %, est même intenable et irréaliste, dès lors qu'il repose, comme le souligne le comité d'alerte, sur des prévisions « incertaines » et « circulaires ».
La manœuvre est évidente : cet Ondam insincère, construit sans aucune concertation et contre l'ensemble des acteurs du champ de la santé, sera mécaniquement dépassé et fera l'objet d'une saisine du comité d'alerte au cours de l'année prochaine, chemin le plus court pour déroger aux conventions médicales et aux prérogatives du Parlement.
Personne n'est dupe ni ne peut l'être ! Le Gouvernement fait mine de renoncer au 49.3 en prétextant le respect du débat parlementaire, mais piétine la démocratie sociale.
Insincère, ce budget l'était dans ses prémisses et son économie générale. Il l'était dans ses prévisions macroéconomiques. Si le déficit s'accroît entre l'objectif voté l'année dernière et le niveau où va se clore l'exercice en cours, c'est aussi, comme le souligne la Cour des comptes, « en raison de prévisions trop optimistes pour la troisième année consécutive ». Trois années de prévisions macroéconomiques trop optimistes ont ainsi rendu la trajectoire pluriannuelle incohérente, ce qui contrevient à l'exigence d'un débat éclairé.
Alors que l'OCDE table sur une prévision d'inflation pour l'année à venir de 1,6 %, le consensus des économistes, quant à lui, présentant un chiffre de 1,45 %, vous retenez, à titre de prévision sous-jacente à la construction de l'Ondam, une inflation de 1,1 % seulement, et ce afin de majorer le taux hors inflation.
La prévision de croissance de la masse salariale du secteur privé pour 2025, fixée à 2,5 %, a dû être corrigée à 1,8 % ; et, derechef, votre prévision pour 2026 est déjà jugée trop optimiste par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), les recettes à venir s'en trouvant surestimées.
Enfin, vous tenez mal compte de l'effet récessif des coupes budgétaires, estimé par l'OFCE à 0,8 point de PIB.
Certes, l'exercice financier n'est pas pluriannuel. Mais, faute d'efforts sur les recettes, vous comptez sur le gel des prestations et des pensions, sur la hausse des franchises et sur les transferts, appelés à devenir récurrents, de milliards d'euros de dépenses vers les ménages et les complémentaires : c'est méconnaître les effets de telles mesures sur le pouvoir d'achat des ménages, dont le moindre n'est pas l'intensification de la pauvreté ; c'est ignorer l'impact sur les futures recettes de la dégradation de la consommation des ménages et de leur confiance dans l'avenir.
En projet de loi de finances pour 2024, les recettes de TVA ont été surestimées de 11 milliards d'euros. Et nous terminons l'année 2025 avec des recettes de TVA en baisse de 5 milliards d'euros par rapport aux prévisions budgétaires…
Inconséquentes, vos prévisions ne tiennent pas compte des externalités négatives des mesures austéritaires ; et si les recettes de TVA ne dépendent pas de la seule consommation des ménages, leurs surestimations successives affectent négativement l'ensemble des comptes publics, et en l'espèce nos comptes sociaux, d'autant que le transfert d'une part de TVA en compensation des allégements généraux s'affranchit désormais, depuis 2019, du principe de compensation à l'euro près.
Or, depuis 2019, donc, la sous-compensation sur fraction de TVA a déjà coûté en cumulé à la sécurité sociale, selon la Cour des comptes, près de 18 milliards d'euros de perte de recettes.
Voilà l'une des causes majeures du déficit. Voilà aussi un débat tronqué : l'insincérité des prévisions et des données macroéconomiques retenues, comme l'absence d'information quant à l'impact récessif sur le PIB et sur l'emploi des mesures austéritaires, par exemple du gel ou des sous-indexations pluriannuelles des pensions de retraite, prive le Parlement des vrais arbitrages à l'heure même où vous faites mine de lui rendre la main.
D'autres aléas sont pointés, comme la surestimation des économies attendues de la limitation de la durée des indemnités journalières : beaucoup jugent que ces économies sont de pur affichage.
Vous avez présenté un projet inacceptable, qualifié par un ancien directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) de « musée des horreurs », puis avez reculé sur certaines dispositions, comme le décalage de l'application de la réforme des retraites, mais n'avez concédé qu'une recette nouvelle, largement insuffisante pour compenser ces retraits, dont celui de l'année blanche.
Là est la raison du creusement du déficit initial. Mais la politique des caisses vides, qui met en grand danger notre sécurité sociale, sort pour le moment renforcée de la séquence.
D'ailleurs, en fait de politique des caisses vides, le Gouvernement décide autoritairement d'une rétrocession vers l'État de 3 milliards d'euros de recettes de TVA affectées à la sécurité sociale, y compris par un revirement totalement arbitraire opéré pour moitié sur l'année dernière.
Mesdames, monsieur les ministres, votre budget initial et les propositions que vous avez formulées lors de son examen à l'Assemblée nationale manquent de sérieux.
Une trajectoire budgétaire sérieuse repose à parts équilibrées sur des mesures d'efficience des dépenses et sur des recettes nouvelles récurrentes.
« Invotable » et d'ailleurs non voté, le projet de budget transmis au Sénat est le résultat logique de votre refus de considérer les faits économiques qui démontrent que le problème majeur des comptes publics et de la sécurité sociale, c'est la dynamique des recettes !
Cela a été souligné récemment par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'écart entre les dépenses et les recettes des administrations publiques était en 2024 de 5,8 % du PIB, soit plus de 2 points de plus qu'en 2017, lorsque vous êtes arrivés au pouvoir.
La conclusion de l'OFCE est sans appel : « La dégradation du solde structurel observé entre 2017 et 2024 s'explique essentiellement par la baisse non financée des prélèvements obligatoires, et non par une dérive des dépenses publiques. Bien au contraire, celles-ci ont reculé de 0,3 point de PIB sur la période. »
Nier les alertes, les faits, les données objectives relève presque chez vous de la post-vérité, surtout lorsque vous faites mine de découvrir a posteriori l'ampleur de la dérive budgétaire.
En l'occurrence, dès l'année dernière et à plusieurs reprises, la Cour des comptes et le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) ont émis des alertes sur la situation de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui dévie de sa fonction de trésorerie. Elle assure en effet une quasi-gestion des déficits et de la dette, ce qui est normalement le rôle de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), laquelle pâtit de sa disparition programmée et de l'absence d'une trajectoire crédible de retour à l'équilibre.
Aucune loi organique ou mesure dans le PLFSS n'est pour autant prévue. L'inaction emporte l'irresponsabilité : vous ne traitez pas le risque de crise des liquidités pour justifier demain la prise de mesures urgentes et non débattues.
Ce budget inconsistant est bien celui du Gouvernement.
Après le chantage sur le budget de la sécurité sociale pour sauver le décalage de la réforme, la ministre de l'action et des comptes publics annonce désormais que l'avenir du décalage dépend du vote du PLF, tout aussi dangereux que le PLFSS.
Saisie probable du comité d'alerte des finances publiques et risque du passage par ordonnances : qu'aura décidé in fine le Parlement ? Sur quoi allons-nous donc débattre, si ce n'est sur un budget insincère, inconséquent,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Raymonde Poncet Monge. … aux prévisions hasardeuses, aux externalités négatives sous-estimées, voire non prises en compte, aux mesures plombées d'aléas ou d'incertitudes qui évoluent au gré du vent politique ?
La parole du Parlement vaut mieux. Pour ces raisons, le groupe écologiste estime qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les débats sur un texte manifestement insincère. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que des travées du groupe CRCE-K. – M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Déposer une motion tendant à opposer la question préalable, c'est refuser le débat. Ce serait aussi nous priver de vos interventions, madame la sénatrice, ce que je regretterais profondément. (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Vous avez présenté quelques sujets sur lesquels vous aimeriez débattre ; j'ai également envie d'en débattre. Chez moi, en Mayenne, où il y a beaucoup de chevaux, on parle du refus d'obstacles. Or je ne suis pas du genre à refuser les obstacles.
Nous avons beaucoup à dire sur l'Ondam, que vous taxez d'insincérité, ou sur l'imprudence. L'imprudence, en réalité, elle est collective. Comment a-t-on pu en arriver là, avec des déficits de plus en plus importants (M. Pierre-Alain Roiron s'exclame.), alors que nous ne sommes ni en crise sanitaire, ni en crise financière, ni en crise tout court ?
M. Mickaël Vallet. Il y a eu Bruno Le Maire !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il faut vraiment que nous puissions dire aux Français que nous allons travailler à une meilleure trajectoire.
Durant mon court week-end, toutes les personnes que j'ai rencontrées m'ont dit compter sur le Sénat. Je ne sais si elles votent à droite, à gauche ou au centre, et peu importe. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Oui, bien sûr …
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les Français comptent sur le Sénat pour y travailler, parce que c'est un vrai problème.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils comptent sur nous, à gauche !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Beaucoup ont parlé des 80 ans de la sécurité sociale, mais celle-ci n'ira pas beaucoup plus loin avec de tels déficits !
En fait, nous mettons en danger la sécurité sociale en reportant les déficits sur les générations d'après. D'ailleurs, les générations d'après n'y croient déjà plus. Nombre de jeunes que je rencontre me disent : « Nous ne croyons plus à la retraite par répartition et nous sommes déjà en train de capitaliser. »
Mme Monique Lubin. Arrêtez avec ça !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il est donc grand temps de se secouer et d'en débattre.
L'avis de la commission est donc défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
(M. Loïc Hervé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame la sénatrice, le terme d'« insincérité », lorsqu'il est prononcé au sujet d'un budget, est un mot lourd de conséquences.
C'est bien pourquoi nous avons une institution indépendante, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui a précisément la charge, d'après la Constitution, d'informer le Parlement, par des avis rendus publics, des risques d'insincérité sur des textes budgétaires. Autrement dit, il est chargé de vous alerter si les prévisions macroéconomiques, les prévisions d'inflation, de recettes ou de dépenses venaient à être très majorées ou très minorées, bref, si elles apparaissaient fantaisistes.
Cette instance est très importante, car vous imaginez que la tentation pourrait être grande pour des gouvernements peut-être moins respectueux que d'autres de l'État de droit de présenter des budgets un peu tirés par les cheveux, avec de l'argent magique.
Dans la responsabilité de ministre qui est la mienne, je suis très attachée à ce que toutes nos prévisions, toutes nos projections soient les plus sincères possible. D'ailleurs, si vous lisez l'avis du HCFP, tant sur le projet de loi de finances que sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous constaterez qu'il ne pointe aucun risque d'insincérité. (M. Victorin Lurel ironise.)
Vous avez également comparé ce PLFSS à un « musée des horreurs ».
En ce qui concerne les économies, je tiens à vous dire que presque 100 % d'entre elles sont issues des recommandations du rapport Charges et produits de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), rapport qui a été validé par le conseil d'administration de cet organisme, où siègent à la fois des organisations syndicales et patronales.
C'est donc une organisation paritaire. Ce point est très important, car, sinon, on pourrait se demander d'où sortent ces idées. Elles ne sortent pas de la tête de je ne sais quelle administration déconnectée : ce sont les propositions publiques du conseil d'administration de la Cnam sur le volet « maladie ».
Mme Laurence Rossignol. Ça, c'est un argument insincère !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ensuite, la proposition de gel ou de désindexation des retraites vient du conclave. Les partenaires sociaux ont alors proposé une sous-indexation de 0,4 point pour les années à venir, précisant que cette disposition faisait partie d'un ensemble de mesures indispensables pour revenir à l'équilibre.
Par ailleurs, vous dites que l'Ondam a été construit de manière insincère.
Il est vrai que la situation est quelque peu différente des années précédentes, car ce projet de loi de financement de la sécurité sociale organise – nous allons en débattre – un transfert de charges entre la sécurité sociale, c'est-à-dire la mutualisation collective, et la mutualisation des organismes complémentaires et de leurs assurés.
Cependant, si vous adoptez le point de vue non pas de la sécurité sociale, mais du système de santé, vous constatez que le Gouvernement prévoyait une hausse de 2 % des dépenses effectives, financées en partie par la sécurité sociale, en partie par les complémentaires et en partie par les assurés. Or après le vote à l'Assemblée nationale, ce chiffre est monté à 3,3 %, voire 3,6 % pour les soins de ville et l'hôpital. Il faut bien distinguer ce qui se passe avant transfert et ce qui se passe après transfert.
En outre, vous estimez que les franchises et les dépenses de maladie ne doivent être assumées que par ceux qui en ont les moyens.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je n'ai pas dit cela !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Si, vous avez dit précisément qu'il fallait que nous tenions compte du pouvoir d'achat.
Mme Raymonde Poncet Monge. J'ai dit que le PLFSS aurait un impact sur le pouvoir d'achat !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Effectivement, mais je vous rappelle que la complémentaire santé solidaire (C2S) exonère de facto 18 millions de Français du paiement de franchise. En effet, toutes les personnes éligibles au revenu de solidarité active (RSA), toutes les personnes éligibles à l'allocation aux adultes handicapés (AAH), tous les mineurs et toutes les femmes enceintes sont exonérés de facto de franchise.
Dans ces conditions, j'affirme que nous tenons bien compte des conséquences d'une telle mesure sur le pouvoir d'achat, puisque nous avons décidé d'en exonérer 18 millions de Français. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)
Le débat devrait plutôt porter sur la question suivante : y a-t-il d'autres personnes que nous voudrions inclure dans la C2S ou dans l'exonération ?
Un certain nombre de vos collègues à l'Assemblée nationale ont proposé, par exemple, que l'inscription des personnes au RSA à la C2S soit désormais automatique. D'autres ont proposé qu'un plus grand nombre de jeunes soient exonérés. Ils pourraient l'être jusqu'à 21 ans, au lieu de 18 ans actuellement, notamment pour tenir compte des problèmes de santé mentale de notre jeunesse. Nous pourrions parler de cela.
Mme Raymonde Poncet Monge. C'est hors sujet !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Enfin, je voulais aborder la question de la TVA. Il y a beaucoup de polémiques qui ont fleuri ces jours derniers. Il y en a notamment une, apparue ces dernières heures, sur la taxe foncière et la mise à jour des bases. J'y répondrai dans un autre cadre.
S'agissant de la TVA, on entend dire qu'il y aurait un trou. Oui, effectivement, les recettes de TVA sont de 4 milliards d'euros inférieurs à notre prévision.
Mais je tiens d'emblée à dire qu'il ne s'agit pas d'un problème de prévision en tant que tel. Notre base taxable a augmenté de 1,7 %, puisque la consommation en valeur a augmenté de 1,6 % et le pouvoir d'achat de 1,1 %. Telle est la réalité des chiffres. Effectivement, le taux d'épargne a aussi beaucoup augmenté, mais, en tant que ministre des comptes publics, je m'interroge : pourquoi, alors que notre base taxable est en augmentation, l'impôt, lui, n'augmente pas ? D'où la mission express que j'ai demandée à l'Inspection générale des finances (IGF) et à tous les services de mon ministère.
Comment comprendre cette baisse de 4 milliards d'euros ? Il y a eu de la consommation et des investissements, mais cette base taxable ne s'est pas transformée en impôts.
La sous-déclaration de la valeur des petits colis est une piste que nous examinons. Il y a là probablement quelques centaines de millions d'euros de perte de TVA, voire peut-être un petit milliard d'euros.
Il y a la fraude, toujours importante malheureusement, d'où le projet de facturation électronique.
Il y a également les sous-déclarations et l'activité hors TVA, qui, nous le savons, sont sans doute devenues dans nos territoires des pratiques plus courantes qu'elles ne l'étaient voilà quelques années.
Enfin, il y a une explication par la distorsion de la consommation. Nous avons peut-être un peu moins acheté de voitures et, plus généralement, un peu moins de biens à 20 % de TVA et un peu plus de biens à 5,5 %.
Je le répète, j'ai demandé une mission qui nous permette de faire la lumière sur cette situation.
Madame la sénatrice, ces discussions méritent du temps, des faits et des arguments. C'est pourquoi il serait dommage d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable, qui priverait cet hémicycle de débats.
Comme il est de la responsabilité du Gouvernement, nous pourrons, avec mes collègues, vous apporter les éclairages nécessaires, sujet par sujet, thème par thème, pour que vous puissiez souverainement vous prononcer en connaissance de cause. Il y a plus de 1 000 amendements, donc plus de 1 000 occasions, au fond, d'en débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord indiquer que nous voterons cette motion.
Madame la ministre, nous vous avons entendue à plusieurs reprises. Vous avez votre version de la réalité, mais nous en avons une autre. Le déficit actuel est un déficit organisé, voulu.
Les plus de 80 milliards d'euros correspondant aux exonérations sur les cotisations sociales depuis 2017, c'est un choix, et non pas un problème de croissance. C'est un choix politique d'une majorité, qui crée le déficit au profit des plus riches et qui, ensuite, impose à tous les Français des restrictions pour pouvoir combler ce déficit. Telle est la réalité du débat que nous devons avoir avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Madame la ministre, vous orchestrez très habilement, depuis maintenant quelques semaines, le discours suivant : il y a une baisse des recettes, le déficit est important, donc il faut faire des coupes dans les droits sociaux.
Nous voterons cette motion, comme la précédente et comme la suivante, et nous irons au débat sur tous les amendements s'il le faut, parce que notre modèle de sécurité sociale n'est pas celui que vous défendez.
Vous êtes en train de la mettre à terre, de la piétiner. Ce faisant, c'est tout le lien social et la protection des plus démunis dans notre pays que vous mettez en danger. Bref, vous déniez à chacune et à chacun d'entre nous le droit à bien vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. À défaut de sincérité dans le budget – j'y insiste –, j'espère au moins que le débat, lui, sera sincère, et que vous le serez tout autant, madame la ministre.
Vous avez presque autant parlé que nous pour exposer des arguments que vous aviez déjà présentés tout à l'heure – soit !
De plus, je vous fais remarquer que vous avez déformé mes propos concernant le pouvoir d'achat. J'ai parlé de l'effet récessif des mesures de votre PLFSS. Ce sont des effets récessifs macroéconomiques connus que le Trésor, l'OCDE et d'autres organismes mesurent sur la consommation – celle-ci rapporte la TVA, que vous compensez si mal –, ainsi que sur l'emploi.
Pourtant, vous savez nous en parler, des effets récessifs, et vous ne vous priverez pas de le faire demain, quand nous voudrons augmenter certaines taxes sur le capital ou des cotisations sociales. Vous n'aurez à la bouche, je n'en doute pas, que les effets macroéconomiques récessifs.
C'est ce que j'ai voulu dire et vous m'avez attribué des propos inexacts, sans doute pour répondre à côté et développer pendant six minutes les mêmes arguments. J'espère donc que le débat sera un peu plus correct.
Je maintiens que vous ne tenez absolument pas compte des réserves, des aléas et des appels à la prudence de la Cour des comptes, du Haut Conseil des finances publiques et de différents organismes. Certes, vous relevez qu'ils n'ont pas qualifié le budget d'insincère. Mais ils vous ont indiqué à plusieurs reprises que vos recettes étaient surestimées et que vos dépenses n'étaient pas correctement évaluées.
Quant à la Cnam, elle produit de nombreux rapports – nous en avons lu beaucoup avec Mme Doineau cet été –, et vous y piochez ce que vous voulez. En revanche, vous ne retenez pas la recommandation de M. Vacher, par exemple. Demain, nous vous présenterons toutes les observations que nous avons trouvées, et que vous gardez sous silence, dans les rapports que vous avez cités. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 32 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 277 |
| Pour l'adoption | 34 |
| Contre | 243 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi en commission.
Demande de renvoi en commission
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 744.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pourquoi le groupe CRCE-K a-t-il fait le choix de déposer une motion tendant au renvoi du projet de loi de financement de sécurité sociale en commission ?
Quand on parle de la sécurité sociale, on parle avant tout de la vie des gens, et chaque budget que nous votons a des répercussions sur eux. En effet, derrière les chiffres, il y a des visages, ceux d'hommes et de femmes qui travaillent chaque jour, qui sont retraités, qui souffrent de la fragilité de leur situation, qui sont malades ou en situation de handicap.
Nous avons également fait ce choix, parce que nos hôpitaux et nos Ehpad sont pour la plupart en déficit. Or, avec un Ondam à 1,6 %, vous allez définitivement plomber notre système de soins. Songez que 6,5 millions de concitoyens n'ont plus de médecin traitant.
Un renvoi en commission est nécessaire, parce que même le vice-président Alain Milon a déclaré que nous avions reçu un texte touffu et peu cohérent.
N'aurions-nous pas dû travailler sur tous ces sujets en commission ? Au lieu de cela, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous n'avez fait que marteler votre obsession de réduire le déficit de la sécurité sociale à 15,5 milliards d'euros, quand celui-ci, dans les propositions de la copie déjà austéritaire du Gouvernement, était à 17,5 milliards d'euros.
Toutefois, nous savons toujours pouvoir compter sur les droites sénatoriales pour faire plus et mieux encore ! À l'heure des célébrations des 80 ans de la sécurité sociale, il est triste de voir que les débats sur les moyens de lutter contre l'insécurité sociale, la précarité et la peur du lendemain ont fait place aux débats sur les choix de coupes budgétaires pour réduire « le trou de la Sécu ».
Ce fameux « trou », évoqué dans les médias comme un siphon qui emporterait toutes les générations futures, est une construction politique qui date d'une soixantaine d'années. En juin 1967, Georges Pompidou a évoqué pour la première fois « le trou financier de la sécurité sociale ». Depuis 1967, les gouvernements successifs ont justifié toutes leurs contre-réformes par la nécessité de réduire les déficits au nom du « trou noir de la sécurité sociale ».
Les déficits justifient de s'en prendre aux plus faibles, aux malades, aux retraités, aux apprentis. En revanche, les déficits ne justifient jamais de mettre à contribution les plus forts, les grandes entreprises, les revenus financiers et les milliardaires.
Finalement, c'est en cela que votre politique est la plus nocive : vous affaiblissez la sécurité sociale d'un côté et, de l'autre, vous menez la bataille idéologique contre un système de solidarité en protégeant les puissants. Nous sommes dans une bataille de classes !
J'aimerais, à cet instant, vous lire un extrait d'une intervention de Simone Veil, au Sénat, le 8 juin 1994 : « Gardons-nous d'oublier notre bien commun qu'est la sécurité sociale, gardons-nous de l'appréhender seulement sous l'angle des charges et des déficits, rappelons-nous ce qu'était la société française auparavant. La sécurité sociale, ce n'est pas seulement un trou financier, c'est d'abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existe en France, que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures. »
Plutôt que de débattre sur le niveau de déficit à atteindre, nous devons nous interroger sur le projet de société que nous souhaitons et sur les équilibres qu'il requiert.
Notre modèle de sécurité sociale est fondé sur la cotisation sociale, laquelle constitue le salaire socialisé. Or, lorsque le financement de la sécurité sociale voit la part des cotisations patronales disparaître, c'est indirectement le salaire brut des salariés qui diminue.
En 1993, les cotisations sociales représentaient 82 % des ressources du régime obligatoire de sécurité sociale. En 2024, elles ne représentent plus que 49 %, soit moins de la moitié des recettes de la sécurité sociale. L'instauration de la contribution sociale généralisée (CSG) et sa montée en charge, ajoutée aux exonérations de cotisations compensées par les recettes de TVA et de diverses taxes, a contribué à dénaturer notre modèle et à assécher les recettes de la sécurité sociale.
Le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dont les travaux ont été conduits par notre collègue Olivier Rietmann et mon collègue et camarade Fabien Gay, a mis en exergue l'absence de transparence et, surtout, l'absence de contreparties exigées en retour.
À l'heure où chaque euro doit être justifié par le bénéficiaire du RSA, le privé d'emploi, la femme enceinte et les salariés, les entreprises peuvent-elles continuer de percevoir 211 milliards d'euros chaque année sans contrepartie ?
Cela n'est plus tenable, et le rapport du Sénat est particulièrement bienvenu, alors que nous dénoncions cette opacité depuis des années.
Si nous avions conditionné les aides publiques versées à l'entreprise Greybull pour la reprise de l'aciérie Novasco, le ministre délégué chargé de l'industrie n'en serait pas à dénoncer un repreneur « voyou », qui a mis 1,5 million sur les 90 millions d'euros promis, tandis que l'État, lui, a versé 85 millions d'euros pour assurer la reprise de l'activité. Le Gouvernement se retrouve démuni face à ce fonds d'investissement, pourtant connu des services de l'État comme non fiable.
Je pense aux 549 salariés de Saint-Étienne, Custines et Hagondange qui se retrouvent sur le carreau et, avec eux, leurs familles et l'ensemble des sous-traitants dépendant de Novasco. Parler de la sécurité sociale, c'est parler des vies humaines, et pas seulement des milliards de déficits.
Je regrette que le Gouvernement et la majorité sénatoriale, si prompts à supprimer les exonérations de cotisations sociales des apprentis et des titres-restaurants, ne le soient pas tout autant pour supprimer les exonérations de cotisations patronales. Voilà des recettes qui pourraient renflouer les caisses.
Mme Silvana Silvani. Exactement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. L'an dernier, le Gouvernement a péniblement accepté de réduire de 3 milliards d'euros les allégements généraux, mais au lieu de transférer la réduction au budget de la sécurité sociale, il a fait le choix de transférer les 3 milliards d'euros au budget de l'État. C'est proprement scandaleux, d'autant que cela s'ajoute aux 2,8 milliards d'euros d'allégements non compensés par l'État à la sécurité sociale.
Ce PLFSS, c'est également le concours Lépine des mesures injustes socialement : hausse des cotisations des complémentaires retraites, doublement des franchises et des participations, gel et désindexation des prestations sociales et des pensions de retraite.
Nos collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales ont jugé utile de proposer de rétablir ces mesures antisociales avec des pseudo-correctifs.
Vous souhaitez exclure l'allocation aux adultes handicapés (AAH) des prestations gelées en 2026 dans un geste de grande humanité, mais les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire (ARS), la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), la prestation de compensation du handicap (PCH), l'allocation versée en cas de décès d'un enfant pourront être gelées sans difficulté.
Par ailleurs, vous souhaitez geler les pensions de retraite supérieures à 1 400 euros. Là encore, nous aimerions avoir des explications sur ce chiffrage et l'estimation du nombre de retraités concernés. J'ai lu attentivement le rapport de notre collègue Pascale Gruny, et le chiffre n'y figure pas.
Je rappelle que, l'an dernier, le gouvernement Barnier est tombé à la suite de l'adoption par le Sénat de l'amendement dit Wauquiez qui prévoyait un gel au-dessus de 1 500 euros au 1er janvier 2025.
En rétablissant l'article 44, vous allez réduire le pouvoir d'achat de nos aînés dont le niveau de pension se situe en dessous du seuil de pauvreté.
À quelques mois des élections municipales, vous souhaitez envoyer un message de fermeté à l'égard des plus précaires. Nous allons vous aider à en faire la publicité.
Mme Frédérique Puissat. C'est petit !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la pension moyenne en France est de 1 545 euros nets. Avec l'amendement de la majorité sénatoriale, les pensions vont baisser de 20 euros par mois et de 240 euros par an en moyenne, et cela sous le prétexte de lutter contre l'hystérie fiscale.
La majorité sénatoriale a prévu de passer le Karcher sur notre modèle social, afin de protéger les revenus financiers, les entreprises du CAC40 et les milliardaires.
Je tiens à le redire ici, nous sommes convaincus que seule l'abrogation de la scélérate réforme des retraites, dite Borne, permettra à des millions de salariés de vivre plus longtemps et en bonne santé.
Enfin, la commission des affaires sociales peut-elle nous éclairer sur ses intentions en cas d'échec de la commission mixte paritaire ?
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je vous invite à voter notre motion tendant au renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ma chère collègue, vous proposez ni plus ni moins de renvoyer le texte en commission. Or si tel était le cas, nous ne pourrions pas respecter les cinquante jours et nous serions alors hors délai constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Cela vous arrange peut-être, mais nous avons un rôle que nous estimons important : débattre ensemble.
Certes, les conditions sont celles que nous rencontrons aujourd'hui, avec un texte qui a été porté à notre connaissance très tardivement et une précipitation dans l'examen. Nous avons cependant aussi montré notre capacité à agir, même dans des délais si contraints.
Mme Silvana Silvani. Vous n'avez pas pu travailler !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Si ! Nous avons conduit des auditions, et je vous rappelle que nous y travaillons toute l'année dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Par ailleurs, chaque groupe politique peut organiser des réunions sur ces sujets. Je sais d'ailleurs que c'est le cas du groupe CRCE-K.
Dès lors, en montrant que le Sénat est capable de s'adapter à ce régime rapide, nous apportons la preuve de notre capacité à trouver des solutions pour ramener notre système de sécurité sociale vers l'équilibre. J'y insiste, nous avons besoin de sauver le système dans sa totalité. Nous ne pouvons pas passer à côté de notre mission en renvoyant le texte en commission et en reportant sans cesse les décisions.
Que se passera-t-il si la commission mixte paritaire n'est pas conclusive ? Ne lisant pas dans le marc de café, je ne le sais pas ! Je voudrais tout de même vous rappeler que l'année dernière, la CMP a été conclusive et que, deux jours plus tard, le gouvernement Barnier est tombé. Je ne sais pas ce qu'il faut privilégier. Il fut un temps où nous ne connaissions que des CMP non conclusives et où, pour autant, une nouvelle lecture permettait d'affiner le texte final.
J'émets donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. Je voudrais revenir sur le sujet de l'Ondam et, en particulier, du sous-objectif relatif aux établissements de santé. J'ai entendu dire, en particulier par M. Milon, que ce sous-objectif serait déconnecté de la réalité. Or je ne suis pas d'accord.
Certes, cette année, le contexte budgétaire nécessite une maîtrise de nos dépenses, donc un Ondam resserré. Pour autant, nous y prévoyons une hausse de 2,6 milliards d'euros des dépenses pour les établissements de santé en 2026 par rapport à 2025.
Aux 112 milliards d'euros prévus dans le texte initial ont été ajoutés, par amendement gouvernemental, 850 millions d'euros de manière à prendre en compte la réalité et tout particulièrement le travail en cours sur les tarifs hospitaliers ; je rappelle à ce propos que ceux-ci seront présentés dès janvier prochain – c'est une bonne nouvelle pour les établissements de santé que de connaître ces tarifs au début de l'année.
Notre effort de maîtrise des dépenses doit permettre à notre sécurité sociale de retrouver une trajectoire crédible ; Mme la rapporteure générale l'a bien souligné. J'ajouterai simplement que cela nous permettra aussi de continuer à financer des mesures importantes.
Ainsi, la santé mentale est la grande cause nationale de l'année 2025.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous en reparlerons !
Mme Stéphanie Rist, ministre. À cet égard, les financements prévus comprennent 65 millions d'euros pour la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Par ailleurs, 100 millions d'euros sont destinés au renforcement de l'attractivité des établissements de santé auprès des étudiants. Cela aussi, j'espère, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Ces dépenses s'accompagneront d'une efficience accrue de nos établissements de santé, un autre travail qui s'impose. Ainsi, plusieurs mesures inscrites dans ce PLFSS visent à augmenter cette efficience, mais aussi à mieux partager les économies permises, en particulier, par une approche plus pertinente, si je puis dire, des prescriptions par les établissements.
En somme, si l'Ondam est serré et difficile, il n'est pas pour autant déconnecté des réalités ; cette amélioration de l'efficience en particulier permettra de conserver la trajectoire dont notre sécurité sociale a besoin.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je souhaite à la fois aborder quelques points précis et ouvrir un débat plus général, qui demandera à être poursuivi.
Si nous sommes favorables au débat, donc défavorables à toutes les motions tendant à l'interrompre, c'est bien parce que ce n'est pas en quelques minutes que l'on peut aller au bout de toutes les questions suscitées par votre intervention, madame la sénatrice.
Tout d'abord, le choix de l'adjectif « austéritaire » pour qualifier un budget en déficit de 17,5 milliards d'euros est discutable. Il s'agit d'argent qui sera dépensé et qu'il faut trouver ailleurs. Dans la dette et dans la taxation, proposent certains. Pour notre part, nous ne nous inscrivons pas dans cette logique : nous voulons maîtriser la dette et les taxes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
L'argent qui va là, il ne va pas ailleurs ; il faut tout de même affronter ces chiffres. Dès lors, puisque nous parlons d'ouvrir le débat, l'on peut débattre du terme « austéritaire ».
Ensuite, vous avez rappelé l'avertissement lancé par Georges Pompidou en 1967. Oui, madame la sénatrice, on aurait alors dû l'écouter ! Il enjoignait de s'occuper de la sécurité sociale ; l'a-t-on suffisamment fait ? N'y a-t-il pas eu, au fil des années, une lente dérive en la matière ?
Les dérives, c'est bien connu, au début, on ne s'en aperçoit pas ; ce n'est que lorsqu'elles se font lourdes et graves qu'on les voit, quand on les a laissées s'installer, au moment où il est devenu très difficile de les contenir. Votre remarque était donc intéressante : oui, nous avons subi une telle dérive, et peut-être aurions-nous pu faire davantage attention à un phénomène proprement structurel – je relève que cet adjectif-ci a été assez peu prononcé.
La sécurité nationale est née, dans l'immédiat après-guerre, du programme du Conseil national de la Résistance. Nous convenons tous de son importance, nous y reconnaissons tous un bien commun des Français. Personne ici ne songe à porter une atteinte fondamentale à ce système de protection assez unique, dont nous pouvons tous être fiers.
Mais que se passe-t-il ? Quelques éléments de fond posent problème, au premier rang desquels on trouve la démographie. Celle-ci, à l'évidence, fait subir aux caisses de retraite un déséquilibre croissant.
La redoutable disproportion entre les actifs et les retraités va toujours plus s'aggraver. La démographie est une science terrible : on ne peut pas la balayer ; ce qu'annoncent les démographes aujourd'hui se produira à coup sûr. Même si nous prenons dès à présent des décisions fortes, il faut des décennies pour corriger les effets de la démographie.
La perspective qui s'ouvre est donc quasiment certaine en termes de connaissance scientifique : le déséquilibre fondamental entre actifs et retraités auquel nous faisons déjà face va encore s'aggraver ; tout le monde peut reconnaître que cela pose problème pour un système par répartition.
En outre, depuis l'après-guerre, l'économie a considérablement changé. Nous sommes, en 2025, dans un monde beaucoup plus ouvert, largement numérisé, un monde de concurrence entre pays et en leur sein. On connaît les enjeux géopolitiques actuels ; on sait ce qui se passe aux États-Unis, en Chine et en Europe. La France d'aujourd'hui n'est plus celle de l'après-guerre, qui était un peu plus fermée sur elle-même. Nous connaissons une situation très ouverte, et nous devons nous y adapter. (Mme Raymonde Poncet Monge manifeste son exaspération.)
Vous avez également souhaité ouvrir le débat sur la solidarité. Oui, celle-ci est nécessaire, et elle doit être appréhendée globalement.
Ainsi de la solidarité entre actifs et retraités : il faut prendre garde à ce que les actifs, en particulier les jeunes actifs, n'aient pas l'impression de faire tous les efforts au bénéfice des retraités. Le débat sur le niveau de l'effort et sur sa répartition entre tous est pertinent ; nous pouvons l'avoir ensemble.
Le débat pourrait aussi porter sur la répartition de l'effort entre salariés et l'entreprise. Avant mes fonctions actuelles, je dirigeais une entreprise – une entreprise publique, certes, mais ce n'en était pas moins une entreprise.
Je n'ignore donc pas qu'il faut faire attention à nos entreprises, mais je n'en reste pas moins persuadé que tout vient du travail. Je suis vraiment un militant du travail – cela tombe bien, quand on est ministre du travail ! (Sourires.) Je veux que les gens travaillent, je tiens à la dignité du travail, au lien social qu'il permet. Or, nous le savons bien, les jeunes travaillent un peu trop tard et les seniors, pas assez. (M. Akli Mellouli s'exclame.)
Le travail est fondamental, mais il ne se décrète pas, car il est lié à l'emploi. Pour qu'il y ait du travail, il faut que des entreprises proposent des emplois et, pour qu'elles en aient les moyens, il faut qu'elles puissent se développer.
Mme Raymonde Poncet Monge. On en parlera !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Voilà pourquoi il faut aussi faire attention aux entreprises – tout est question d'équilibre. Quoi qu'il en soit, ayons ce débat fondamental, que je vous remercie d'avoir lancé.
Sur l'ensemble de ces sujets, je suis évidemment favorable à tout ce qui permet le débat, comme nous l'avons déjà précisé en réponse aux deux motions précédentes.
Le Gouvernement est prêt à entendre des arguments contradictoires ; c'est tout l'objet du débat parlementaire. Je le redis : à la fin des fins, ce n'est pas le Gouvernement qui vote. Au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le Parlement s'exprime : c'est vous, parlementaires, qui ferez les budgets, et non le Gouvernement. Celui-ci fait des propositions, il participe au débat, mais à la fin, c'est vous qui décidez !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 744, tendant au renvoi à la commission.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 32 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 326 |
| Pour l'adoption | 83 |
| Contre | 243 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Chasseing. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la sécurité sociale est la colonne vertébrale de la République. Que nous soyons pauvres ou riches, nous sommes soignés de la même façon. Les parlementaires doivent s'unir pour sauver les acquis sociaux mis en place par le Conseil national de la Résistance.
Malheureusement, la situation n'évolue pas dans le bon sens. La sécurité sociale sera cette année en déficit de 23 milliards d'euros. Pour 2026, le Gouvernement a proposé un effort proportionné pour ramener ce déficit à 17 milliards d'euros.
Toutefois, à l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, le déficit qui résulterait de ce PLFSS serait plutôt de 23 milliards d'euros de nouveau, voire de 24 milliards d'euros, donc bien loin des objectifs initiaux.
Cela s'explique d'abord par la suppression de plusieurs dispositions : la contribution portant sur les mutuelles, la taxation des tickets-restaurant, l'extension des franchises, ou encore l'année blanche pour l'évolution des prestations. Certes, l'Assemblée nationale a voté en faveur d'une hausse des recettes, via des prélèvements accrus sur les revenus du patrimoine financier et du capital, mais cela ne compense pas les suppressions citées. Enfin, le gel à 62 ans et 9 mois de l'âge légal de départ à la retraite entraînera une aggravation du déficit de 1,4 milliard d'euros.
Concernant les retraites, nous proposons plutôt de revenir à la réforme de 2023, que le Sénat proposait déjà les quatre années précédentes ; ainsi, nous contribuerons à équilibrer le régime de retraite.
Rappelons que le volume de travail en France est bien inférieur à celui de nos voisins : 660 heures par an en moyenne, contre 730 en Allemagne et 770 pour l'Union européenne entière. Le taux d'emploi des jeunes est de 40 % chez nous, contre 60 % en Allemagne ; celui des seniors est de 45 % chez nous, contre 65 % en Allemagne. Une augmentation du volume de travail par habitant est indispensable. Elle permettra de dégager plus de recettes et de renforcer notre compétitivité.
Il faudrait aussi débattre de l'opportunité d'un système par capitalisation pour une part de nos pensions de retraite.
Il conviendrait également de réfléchir à la nécessité, pour l'assurance maladie, de recettes supplémentaires comme une TVA sociale ou une extension de la CSG. Cela servirait à financer l'accroissement prévisible des dépenses de santé. Certes, nous devons essayer de maîtriser les dépenses de l'assurance maladie, mais celles-ci sont, pour les trois quarts, liées aux affections de longue durée (ALD) ; or, si nous comptions en 2012 quelque 9 millions de malades en ALD, ils sont 14 millions cette année et devraient être 18 millions en 2035.
En outre, les patients souffrant d'ALD non exonérantes – pour 32 % d'entre eux, des troubles musculo-squelettiques (TMS), pour 33 %, des dépressions légères – peuvent bénéficier à ce titre de 1 095 jours d'arrêt de travail sur trois ans, contre seulement 350 jours dans le régime de droit commun. Or le volume de ces arrêts de travail augmente de 6,4 % par an, pour un coût de 3,4 milliards d'euros.
J'ai déposé un amendement d'appel afin d'évoquer plus en détail ce problème dans le débat. Il me semblerait préférable que ces patients bénéficient d'un travail de prévention et d'un aménagement de leur poste de travail.
Un arrêt de plus de 1 000 jours sur trois ans risque en revanche d'avoir pour effet une complète désinsertion professionnelle. Des mesures d'accompagnement doivent être privilégiées, comme celles qui ont été prévues à l'article 19 pour les ALD de premier niveau. Le problème est en revanche tout autre pour les ALD qui sont des maladies graves, menaçant la vie du patient.
Plus largement, il est indispensable de mieux encadrer les arrêts maladie, notamment quand ils sont délivrés en téléconsultation.
L'évolution des dépenses d'indemnités journalières est hors de contrôle : leur coût a augmenté de 28 % en quatre ans, soit 6,4 % par an. Le Gouvernement proposait dans le texte initial de limiter à quinze jours le premier arrêt de travail prescrit ; j'ai déposé un amendement visant à rétablir cette disposition.
Nous comptions 4 millions de retraités en 1980 ; il y en a 18 millions actuellement, ils seront peut-être 25 millions en 2040. Les pensions de retraite représentent 14 % du PIB et 24 % des dépenses publiques ; elles sont en déficit de 6 milliards d'euros en 2025. Entre 2020 et 2025, les retraites n'ont cessé d'être revalorisées, préservant totalement le pouvoir d'achat des retraités.
Aujourd'hui, pour tendre vers l'équilibre du régime, il est demandé aux retraités de participer à cet effort pour 2026 en acceptant un gel de leur pension, étant entendu que les prestations des retraites minimales et l'allocation aux adultes handicapés (AAH) resteraient indexées sur l'inflation, dont les rapporteurs ont bien rappelé qu'elle n'était que de 1 % cette année.
Je veux signaler quelques améliorations permises par ce projet de loi.
Son article 40 étend le bénéfice du capital décès aux ayants droit des non-salariés agricoles. L'article 41 améliore le dispositif de recouvrement des pensions alimentaires, en permettant le recouvrement des impayés dans un délai de cinq ans au lieu de deux. L'article 42 instaure un congé supplémentaire de naissance pouvant aller jusqu'à deux mois, financé pour les deux parents. L'article 45 contribuera à réduire l'inégalité entre les femmes et les hommes à la retraite, par une meilleure valorisation de la maternité dans l'ouverture des droits à la retraite anticipée pour carrière longue. Enfin, l'article 43 simplifie et rationalise le cumul emploi-retraite ; il ouvre également droit à une deuxième pension après 67 ans.
Je relève aussi l'augmentation de 1 milliard d'euros de la dotation des hôpitaux.
Je formule à cette occasion le vœu qu'une organisation soit mise en place pour les soins non programmés dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en lien avec l'agence régionale de santé (ARS).
Mes chers collègues, après l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, le déficit prévu de la sécurité sociale en 2026 a encore été aggravé de 8 milliards d'euros, passant de 17 milliards d'euros dans la version initiale à 24 milliards, voire à 25 milliards. La Cour des comptes a bien pointé que ce déficit était hors de contrôle ; nous ne pouvons pas laisser un tel legs à nos enfants, d'autant qu'ils auront à affronter l'explosion de la dépendance.
En effet, le nombre des personnes âgées de 85 ans et plus doublera entre 2020 et 2040, ce qui nécessitera plus d'emplois d'aide-soignantes et d'infirmières pour prendre en charge décemment nos aînés en Ehpad et à domicile, donc une augmentation du budget de l'autonomie.
De plus, la santé mentale se dégrade. Comme l'a montré notre rapport d'information sur ce sujet, il faudra, là aussi, plus de crédits, notamment pour renforcer les centres médico-psychologiques (CMP). J'ai déposé un amendement en ce sens.
Nous faisons aussi face à une chute de la natalité. Je regrette que mes amendements visant à la combattre n'aient pas été retenus.
Enfin, pour maintenir nos acquis sociaux, nous devons avoir plus de cotisants et plus d'emplois, ce qui requiert des entreprises compétitives. Notre groupe souhaite redonner au travail sa place de valeur socle et propose une sécurisation juste de la sécurité sociale, afin de ne pas laisser une dette insurmontable à nos enfants.
Espérons que le travail du Sénat permettra d'aller dans le sens d'un rééquilibrage responsable, pour sauver la sécurité sociale, préserver notre modèle social et assurer l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean Sol. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, cette année, la sécurité sociale fête ses 80 ans, un anniversaire symbolique pour une institution qui demeure au cœur de notre modèle social. Créée en 1945 dans un contexte de reconstruction, elle incarne encore aujourd'hui l'idéal de solidarité nationale : garantir à chacun l'accès aux soins, à la retraite et à la protection contre les aléas de la vie.
Pourtant, cet anniversaire s'accompagne d'une réalité bien plus préoccupante : les comptes de l'assurance maladie et de la branche vieillesse affichent un déséquilibre financier fort et durable. Le vieillissement de la population, la hausse des dépenses de santé et la baisse de la natalité fragilisent un système conçu pour une autre époque.
Les 80 ans de la sécurité sociale offrent l'occasion à la fois de célébrer une conquête sociale majeure et de s'interroger sur sa pérennité et sur les réformes nécessaires pour préserver, dans un contexte économique et politique tendu, l'esprit de solidarité qui en fut la raison d'être.
Nous entamons aujourd'hui l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2026. En cet instant, je tiens à saluer le travail remarquable de la rapporteure générale et de l'ensemble des rapporteurs de branche, qui ont dû étudier ce texte dans des délais très contraints. La complexité des comptes de la sécurité sociale est telle que l'on ne devrait pas les examiner à marche forcée.
La France vit aujourd'hui sous le poids écrasant de sa dette publique : un peu plus de 3 400 milliards d'euros. Ce montant vertigineux fait souvent oublier la dette sociale. Celle-ci paraît secondaire, mais c'est une erreur, car elle touche au cœur même de notre pacte républicain.
Autrement dit, nous faisons peser sur nos enfants le coût de nos propres factures. Est-ce cela, la solidarité intergénérationnelle ? Nous ne le pensons pas.
C'est pour éviter cette dérive qu'a été créée la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), financée en partie par des impôts affectés, la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale) et la CSG, impôts dont la plus grande part est acquittée par les salariés et les retraités.
Ainsi, 266 milliards d'euros de dette sociale ont déjà été amortis depuis 1996. Cela représente un effort collectif considérable, mais, aujourd'hui, le système n'en est pas moins à bout de souffle. Plus aucun transfert de dette n'est possible, sauf à prolonger indéfiniment la Cades, ce qui ne ferait que gagner un peu de temps sans pour autant arrêter les déficits, ou à augmenter les impôts.
La sécurité sociale en est réduite à ce qu'elle ne devrait jamais faire : s'endetter sur les marchés pour boucler ses fins de mois. En 2026, le plafond d'emprunt de l'Acoss serait relevé à 83 milliards d'euros ; pour l'année 2025, il était de 65 milliards d'euros. La Cour des comptes a pointé les difficultés que pourrait rencontrer cette caisse pour se refinancer sur les marchés des capitaux à court terme.
Une telle situation n'est pas une fatalité : c'est le résultat d'un manque de réformes structurelles.
Voilà le contexte dans lequel nous abordons l'examen du PLFSS. Nous le faisons avec gravité et inquiétude, d'autant que les signaux d'alerte se multiplient.
Notre inquiétude porte essentiellement sur deux sujets.
Le premier est le taux de progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Nous estimons que l'évolution prévue de l'Ondam, même rectifié à +2 %, au lieu de +1,6 %, n'est pas tenable ; à notre sens, elle est même en inadéquation avec les besoins, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, nous nous interrogeons fortement sur la réalité des 7,1 milliards d'euros d'économies présentées par le Gouvernement : leur faisabilité nous paraît plus qu'incertaine. La Cour des comptes a d'ailleurs jugé qu'elles étaient insuffisamment documentées.
Ensuite, une hausse de 2 % seulement des dépenses représenterait un net resserrement par rapport à la hausse moyenne annuelle de 4,8 % constatée entre 2019 et 2025. Comme l'a justement souligné tout à l'heure notre collègue Corinne Imbert, rapporteur de la branche maladie, nous assisterons, en 2026, comme à l'habitude ces dernières années, à des mesures de régulation prises unilatéralement par le Gouvernement.
Enfin, cette sous-évaluation des dépenses de santé ignore des décisions gouvernementales antérieures, notamment le Ségur de la santé, dont les mesures, au coût global de 13 milliards d'euros, n'ont jamais été financées.
Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons l'amendement de suppression de l'article 49 proposé par la commission.
Notre second sujet d'inquiétude est le recul du Gouvernement concernant la mise en œuvre de la réforme des retraites de 2023.
Nous estimons que cet abandon est une faute. Non seulement il fragilise nos comptes sociaux, mais il envoie un message désastreux : celui que la France recule quand elle devrait avancer.
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
M. Jean Sol. En effet, nous le savons tous, repousser l'âge de départ est difficile. C'est certes impopulaire, mais c'est nécessaire pour préserver notre modèle social, pour garantir les retraites de demain et, surtout, pour que le travail garde sa valeur.
En laissant partir plus tôt à la retraite des générations entières de seniors, nous nous privons d'une richesse humaine et économique. C'est à rebours de tout ce dont notre pays a besoin : plus de travail, plus d'activité et plus de responsabilité !
Est-il responsable de suspendre une telle réforme sans envisager d'autres moyens de financement crédibles ? Nous ne le pensons pas. Nous avons donc fait le choix d'adopter une position claire sur ce point.
Plus généralement, nous défendons la maîtrise des dépenses plutôt que l'augmentation des recettes. Aussi, nous soutiendrons la suppression de l'article 6 bis, qui revient à prélever 2,8 milliards d'euros sur l'épargne des Français.
Nous soutiendrons la limitation des niches sociales, mais en veillant à ne pas fragiliser certains territoires – je pense notamment aux exonérations issues de la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009.
En responsabilité, nous proposerons de geler les prestations sociales et les pensions de retraite, mais en excluant de ce gel l'allocation pour adultes handicapés et les pensions de retraite inférieures à 1 400 euros, afin de préserver nos concitoyens les plus fragiles.
Le volet de ce PLFSS consacré à la santé se limite à une série de mesures ponctuelles, souvent contraignantes et dépourvues de vision d'ensemble. Il met à mal la relation avec les professionnels de santé, sans proposer aucune orientation solide pour l'avenir de notre système de santé.
Mesdames, monsieur les ministres, des mesures d'économie sont réalisables.
Pourquoi donc ne pas accélérer, par exemple, le déploiement des prestations d'hébergement temporaire non médicalisé ? Celles-ci, annoncées dans le Ségur de la santé et mises en œuvre dès le PLFSS 2021, permettraient d'importantes économies de dépenses d'assurance maladie. Ce dispositif, qui offre aux établissements de santé des gains d'efficience majeurs, est encore trop méconnu du grand public et des équipes médicales.
Enfin, selon notamment un ancien directeur de la sécurité sociale, un plan pluriannuel exigeant et une règle d'or interdisant les déficits pourraient sauver notre modèle bien plus que des taxes médiatiques sur les plus riches.
Pour conclure, nous considérons que toute loi de financement de la sécurité sociale s'impose comme un texte clé, non seulement pour l'année à venir, mais pour la santé financière à long terme de notre protection sociale. Il s'agit de redresser des équilibres affaiblis : celui de l'assurance maladie comme celui des retraites.
Le défi est immense, mais il peut être relevé, à condition de choisir la lucidité plutôt que l'illusion, la responsabilité plutôt que l'indifférence et la facilité. Tel est le cap que nous proposons de tenir.
C'est pourquoi nous soutiendrons les amendements déposés par nos rapporteurs, afin de rendre ce texte un peu plus cohérent et, si possible, utile. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les 4 et 19 octobre dernier, nous avons célébré les 80 ans des ordonnances fondatrices de la sécurité sociale.
Ces ordonnances ont traduit un souffle, une promesse, un serment républicain nés des ruines d'un pays meurtri. Elles ont donné à chacun un droit nouveau et révolutionnaire, celui d'être protégé non parce que l'on en a les moyens, mais parce que l'on est citoyen.
Finalement, la création de ce modèle social est le fruit d'une intuition simple : que la dignité n'est pas un luxe, que la santé n'est pas un privilège et que la solidarité est non pas une faveur, mais bien une dette que la Nation contracte envers chacun de ses enfants.
Seulement, notre modèle fondé sur des principes datant de 1945 ne répond plus vraiment à ceux de 2025. Notre pays n'est plus jeune – il vieillit. Notre natalité s'effrite. Nos maladies ne sont plus celles d'hier, et les pathologies chroniques montent comme une marée lente et inexorable.
C'est ainsi que notre sécurité sociale, ce totem républicain, se retrouve fragilisée, non parce qu'elle serait dépassée dans son esprit, mais parce que le monde autour d'elle a changé plus vite qu'elle.
Pourtant, dans le tumulte des débats politiques, on demande à la sécurité sociale d'être tout à la fois généreuse, rapide, performante et économe. On lui demande surtout de ne jamais coûter plus cher, tout en prenant toujours plus en charge. Bref, on lui demande l'impossible.
Nous ne pouvons pas continuer à dire tout et son contraire. Nous ne pouvons plus dénoncer les déficits de la sécurité sociale tout en supprimant la possibilité de nouvelles recettes. Nous ne pouvons plus appeler à sauver l'hôpital tout en réduisant ses moyens. Nous ne pouvons plus célébrer la solidarité tout en refusant d'en assumer le prix.
La sécurité sociale représente aujourd'hui plus d'un euro sur deux de la dépense publique. Les retraites, à elles seules, mobilisent 407 milliards d'euros, soit 14 points de PIB.
La vérité politique, en dehors de toutes les postures, c'est que notre modèle social est un géant fatigué. Il est certes encore majestueux et toujours puissant, mais il s'est fragilisé dans ses fondations mêmes.
Aussi, mes chers collègues, qu'allons-nous faire du texte qui nous arrive tout droit de la chambre basse ? Notre sécurité sociale a besoin que nous cessions d'en faire un champ de bataille politique ; elle doit redevenir le champ de notre responsabilité collective.
Le texte initial n'était pas parfait, le Premier ministre Lecornu l'avait annoncé lui-même. Mais le texte que nous examinons aujourd'hui l'est encore moins.
La succession des réformes des retraites, depuis plus de trente ans, n'est rien d'autre qu'un signal d'alarme sur notre vision à long terme de nos politiques publiques. C'est le signal que notre modèle, pensé en 1945, est devenu obsolète dans ses mécanismes. À l'écouter, on comprend qu'ajuster uniquement l'âge de départ à la retraite est un point de crispation, parfois de chaos, mais surtout un aveu : nous refusons de repenser la structure profonde du système de protection sociale.
À l'Assemblée nationale, certains députés ont dénoncé un texte « insuffisant », « injuste » et qui « taxe toujours les mêmes ». Entre les incohérences et les postures, un tourbillon de contradictions a donné naissance à des votes incompréhensibles.
Ainsi de la suppression de l'article 7, qui soumettait les complémentaires santé à une contribution exceptionnelle : 1 milliard d'euros de recettes en moins, alors même qu'en 2025 ces mêmes complémentaires avaient augmenté leurs cotisations en spéculant sur une prise en charge du ticket modérateur qui n'est jamais arrivée.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas continuer à dire tout et son contraire, à promettre sans financer, à dépenser sans compter, à préférer les postures aux responsabilités.
Ce débat n'est pas technique : il est historique. J'espère que, cette année encore, nous montrerons que le Sénat est à la hauteur des enjeux du pays, sans que les egos mal placés de ceux qui se sentent faussement délaissés et de ceux qui ne jouent que le coup d'après nous fassent trébucher.
Tous ceux qui, dans cet hémicycle, sont attachés à notre modèle social, ne sauraient se contenter du statu quo ou du conservatisme : ils doivent faire évoluer notre système social, à commencer par le système de retraite. Il faut le réformer, si l'on ne veut pas le voir disparaître. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 a été déposé à l'Assemblée nationale par le Gouvernement Lecornu 2. Il s'agit là de la copie presque conforme à la version de son prédécesseur le gouvernement Bayrou, élaborée par l'ex-ministre Yannick Neuder qui l'a lui-même qualifiée de déséquilibrée, « sans cap ni cohérence » et de « rabotage budgétaire ».
Ce projet de budget est en effet un désastre pour nos concitoyens, même s'il a été en partie amélioré à l'Assemblée nationale, notamment grâce à la détermination de nos collègues socialistes. Je salue ici leur travail remarquable et rappelle que c'est cette mouture que le Sénat examine.
Le projet de budget initial du Gouvernement ne répond qu'à un impératif comptable. Il met à contribution les malades, les retraités, c'est-à-dire les plus vulnérables d'entre nous, tout en épargnant totalement ceux qui ont engrangé bénéfices et dividendes ces dernières années !
Par ce choix, Mme la ministre de l'action et des comptes publics affirme vouloir préserver l'économie et la croissance du pays, alors même que ce budget va à l'encontre de son objectif. Le risque récessif est réel.
Tout l'enjeu des politiques publiques réside dans leur capacité à appréhender simultanément la production de richesses et la gestion d'un système de solidarité nationale durable. Une loi de programmation pluriannuelle des dépenses de sécurité sociale s'impose pour y parvenir.
Nous concédons tous que l'efficience des dépenses peut et doit être améliorée. Toutefois, le déficit actuel s'explique par des coupes de recettes et des dépenses exceptionnelles non financées. Je pense au Ségur de la santé ou aux niches sociales non compensées.
Il faut revoir les exonérations de cotisations massives des années Macron, alors qu'elles ont démontré leur inefficacité sur l'emploi et sur la compétitivité de nos entreprises. Il faut soumettre à cotisations les rachats d'actions et les primes de partage de la valeur. Il faut augmenter la CSG sur les patrimoines élevés. Il faut instaurer des taxes comportementales.
Ces mesures, que de nombreux rapports relaient, relèvent de l'équité, de la justice sociale, comme de la bonne gestion. Ces recettes justes sont une réponse en contrepoint à votre proposition de mettre à contribution les malades et les assurés, alors même que vous ne parvenez ni à réduire le déficit sur le long terme ni à améliorer l'offre de soins.
Par ailleurs, vous effectuez ces exercices de tuyauterie sans concertation avec les contributeurs que sont les usagers, les mutuelles et les professionnels de santé.
Vous culpabilisez les Français d'avoir excessivement recours à la protection sociale, comme si un arrêt de maladie ou le médicament étaient des choix de confort pour les travailleurs. Vous contrevenez ainsi au contrat de confiance entre le patient et son médecin, au contrat social qui lie chaque assuré et ayant droit à la sécurité sociale.
Nous défendons une autre vision de notre société. Les scandales répétés dénoncés sur les structures à but lucratif gérant les crèches, les Ehpad ou les centres de santé à pratiques douteuses nous y encouragent.
La financiarisation de notre système de soins vers laquelle vous nous avez engagés depuis huit ans est une impasse pour les assurés et pour les comptes sociaux. Nous nous éloignons toujours plus du principe hérité du Conseil national de la Résistance selon lequel chacun participe selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins.
Nos collègues députés se sont mobilisés pour ramener plus d'équité dans ce texte. Ils ont porté une trajectoire de retour à l'équilibre, sans la panoplie d'horreurs réduisant les droits des assurés.
Nous poursuivrons ce combat, alors même que la commission des affaires sociales du Sénat a d'ores et déjà donné le ton en proposant de supprimer à peu près tous les articles de progrès pour les assurés sociaux votés à l'Assemblée nationale.
La droite sénatoriale a « nettoyé au karcher » le texte remanié par nos collègues députés. Quel mépris ! La sagesse du Sénat est réputée, mais elle s'écorne aujourd'hui.
Chers collègues situés au centre et à la droite de cet hémicycle, j'en appelle à votre responsabilité pour ne pas détricoter systématiquement les avancées votées à l'Assemblée nationale, car elles sont conformes aux volontés majoritairement exprimées par les Français. Nous devons à nos concitoyens un budget juste, fût-il de compromis pour tous, dans l'attente de l'échéance présidentielle de 2027.
J'en appelle également à la responsabilité du Premier ministre, qui dirige l'action du Gouvernement. Il doit fixer un cap, alors que, à ce stade il navigue à vue ! À tout le moins, un grain nous sépare.
Madame la ministre de la santé, tenir un Ondam à 1,6 % est impossible, et vous le savez. Cette hausse couvre à peine l'inflation et la hausse 2026 des cotisations de retraites de la CNRACL. Ce budget n'est pas à la hauteur et vous l'avez consenti en accordant un milliard d'euros supplémentaires à des établissements déjà exsangues.
Vous agitez l'alarme d'une hausse effrénée des dépenses, mais le mur démographique qui se présente à nous est à affronter et non à redouter. La croissance des dépenses est naturelle. Pour s'y adapter, sans dramatisation, nous devons investir le champ de la prévention, pour transformer notre modèle de santé fondé sur le curatif et assurer un digne accompagnement de nos aînés et de tous nos concitoyens dès l'enfance.
Nous proposons de maîtriser les dépenses sans rogner sur les prestations des assurés.
Nous refusons l'augmentation des franchises médicales, et la limitation des affections de longue durée.
Nous refusons le gel des prestations, des minima sociaux et des retraites qui pèserait sur les plus vulnérables déjà en difficulté pour payer l'Ehpad ou les services à domicile.
Nous refusons la suppression de la suspension de la réforme des retraites, que défend la rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
Nous militons pour lisser l'effort de retour à l'équilibre sur cinq ans, par la répartition suivante : deux tiers de l'effort grâce à la mobilisation de recettes équitables sur les plus aisés à hauteur de 10 milliards d'euros, un tiers par la réduction de dépenses à 5 milliards d'euros. Tout cela se ferait en réorganisant les parcours de soins, en rendant plus efficients les circuits du médicament, en relevant le défi de la prévention et du service public de santé.
Cet effort sur les recettes que vous décriez est très relatif au regard de ce budget de presque 677 milliards d'euros. Un équilibre est atteignable, évitant que la sécurité sociale ne se trouve en péril.
Nous voulons augmenter les recettes sans imposer les ménages aux revenus les plus modestes pour assurer des dépenses nouvelles pour les retraites, nos hôpitaux, Ehpad et crèches. Les objets de nos amendements sont guidés par cet objectif.
Nous voulons fêter les 80 ans de la sécurité sociale, pilier du contrat social qui nous lie ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 devrait répondre aux préoccupations principales de nos concitoyens.
Dans cette perspective, il faudrait se doter de nouvelles ressources pour assurer l'accès de tous aux soins, pour répondre au refus, qui reste majoritaire dans notre pays, de la retraite à 64 ans (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), pour relever le défi du grand âge, pour mener une politique familiale qui prenne en compte la diminution de la natalité, pour mieux accompagner nos concitoyens en situation de handicap ou pour corriger notre retard en matière d'accidents du travail, puisque la France est l'un des pays européens où les morts au travail sont malheureusement les plus nombreux.
Cependant, la priorité partagée du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, c'est économies, économies, économies !
Personne ici n'est insensible à la situation financière de notre système de protection sociale, mais croyez-vous que ce soit en amplifiant les logiques qui ont conduit aux déficits que l'on résorbera ces derniers ?
Faire travailler les Français plus longtemps ? Déjà essayé. Augmenter les franchises médicales ? Déjà essayé. Demander à nos hôpitaux et nos Ehpad plus d'efficience, de rationaliser leurs dépenses ? Déjà essayé. « Responsabiliser » les professionnels de santé et surveiller la pertinence de leurs prescriptions ? Déjà essayé aussi. Pourquoi cela fonctionnerait-il mieux cette fois-ci ? Parce que la cure d'austérité sera plus drastique encore que les précédentes ? Vous ne ferez croire cela à personne !
Pour notre part, nous considérons qu'il y a des ressources à aller chercher, notamment du côté des exonérations de cotisations sociales, qui atteignent désormais quatre fois le déficit prévu de la sécurité sociale !
Or la seule remise en cause à laquelle le Gouvernement et la majorité sénatoriale consentent, c'est sur celle qui s'applique aux apprentis, que vous voulez priver de 100 euros par mois !
De la mise à contribution les entreprises françaises qui ont distribué près de 69 milliards d'euros de dividendes, en hausse de 8 % sur un an, il n'est pas question. Pourtant, l'argument du coût du travail ne tient pas. Le rapport sénatorial qui a chiffré à 211 milliards d'euros les aides publiques versées aux entreprises, montre que celles-ci, en particulier les plus importantes d'entre elles, sont massivement aidées.
Nous considérons comme une mesure très grave votre volonté de réaliser une année blanche en matière de pensions de retraite et de prestations sociales.
Avec un certain cynisme, vous considérez qu'avec une pension supérieure à 1 400 euros – même pas le Smic ! – les retraités sont riches et doivent être mis à contribution, et ce le jour même où l'Insee révèle que, en vingt ans, les revenus des 0,1 % des Français les plus riches ont augmenté 2,5 fois plus vite que pour les autres.
Par ailleurs, la taxe d'un milliard d'euros sur les complémentaires santé se répercutera sur tous, en particulier les retraités, puisqu'elles pèsent plus lourd sur nos concitoyens les plus âgés.
Pour notre part, nous considérons que les nouvelles ressources à aller chercher ne se trouvent ni dans les poches des malades ni dans celles des bénéficiaires de prestations sociales, pas plus que dans celles des retraités. Nous formulerons des propositions en ce sens au travers de nos amendements.
Un Ondam en hausse de 1,6 %, comme c'était initialement prévu, est intenable. Il le serait tout autant s'il était porté à 2 %. Cette trop faible hausse sera d'ailleurs totalement absorbée par l'inflation et la hausse des cotisations de la CNRACL imposée l'an dernier avec le soutien de la majorité sénatoriale.
Selon le collectif Inter-Hôpitaux, plus de deux tiers des hôpitaux publics ont des recettes inférieures aux coûts nécessaires à leur fonctionnement. Le déficit de ces établissements est passé de 415 millions d'euros en 2019 à 2,8 milliards d'euros en 2024.
C'est le résultat d'un sous-financement chronique, d'une inadéquation entre les tarifs et le coût réel des soins, du non-financement des revalorisations salariales du Ségur de la santé et de l'inflation.
Les conséquences sont connues. Les soignants et les usagers les subissent depuis des années : dégradation des conditions de travail, fuite des personnels, fermetures de lits.
Au CHU (centre hospitalier universitaire) de Rouen, une femme âgée de 99 ans a passé 64 heures sur un brancard des urgences, avant de pouvoir être hospitalisée. Le CHU de Caen, comme celui de Toulouse, ne pourra plus accueillir d'internes aux urgences au prochain semestre. Ailleurs, les urgences fonctionnent par intermittence.
Nous examinons quasiment tous les mois des propositions de loi parcellaires sur la santé. Mais le Gouvernement est incapable de bâtir une loi de programmation de la santé, comme le demande la Fédération hospitalière de France. Quant à la création d'un réseau France Santé, je crains qu'il s'agisse davantage d'une opération de communication que de la mise en place d'un véritable maillage de l'accès au soin.
Le Gouvernement ferait mieux d'inscrire la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, d'initiative transpartisane à l'ordre du jour des travaux du Sénat pour réguler l'installation et rétablir la permanence des soins, les soirs et les week-ends.
Il ferait mieux de renoncer, définitivement, à une nouvelle augmentation des franchises médicales et des participations forfaitaires. Les quadrupler en trois ans, revoir les prestations remboursées pour les malades en ALD, voilà ce dont il a été question, au motif de « responsabiliser les patients ».
Qui doit l'être lorsque la France est l'un des pays développés où les inégalités sociales de santé sont les plus élevées, où 6,5 millions d'euros de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant, où le renoncement aux soins pour raisons financières est très élevé ?
Fixer un objectif de dépenses pour l'assurance maladie si bas n'est-il d'ailleurs pas le moyen que le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie déclenche l'alerte sur un dépassement au printemps prochain ? Voilà qui permettrait que le Gouvernement décide seul, par voie réglementaire, donc sans débat démocratique, de nouveaux mauvais coups, alors qu'il jure la main sur le cœur ne pas vouloir recourir au 49.3.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est très inquiétant, mais quelques snipers de cette assemblée (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) proposent encore d'en rajouter, qui en imposant deux jours de travail supplémentaires, sur le modèle du gouvernement Bayrou qui souhaitait, on s'en souvient, supprimer deux jours fériés, qui en introduisant le système de retraite par capitalisation, qui en déremboursant les soins se réclamant de la psychanalyse, comme le proposent les auteurs du désormais célèbre amendement n° 159 rectifié quinquies.
Je suis d'autant plus surprise par cette proposition que, au mois de juin dernier, Daniel Chasseing, Jean Sol et moi-même avons présenté un rapport d'information sur l'état des lieux de la santé mentale depuis la crise du covid-19, dans lequel nous préconisions de renforcer les moyens des centres médico-psychologiques (CMP). Je précise qu'il a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires sociales, sans que ce sujet vienne sur la table.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 n'apportera aucune réponse aux besoins des assurés sociaux, et les modifications proposées par le Sénat risquent malheureusement d'aggraver encore la situation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Bravo !
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans cette pénombre, nous mesurons le poids des temps qui viennent.
L'Europe est agressée aux portes de notre Union. L'ordre mondial est déstabilisé par des puissances autocratiques. Le changement climatique menace nos sociétés, poussées dans un nouveau régime climatique auquel nous ne nous sommes pas encore adaptés. Dans ce contexte, notre pays vit des heures incertaines.
Nous sommes au bord d'une crise économique. La défiance démocratique s'installe, nourrie par une extrême droite à l'affût et par l'instabilité qui ébranle nos institutions. La cohésion sociale est fragilisée par des inégalités qui s'accroissent, la pauvreté, le vieillissement et la solitude.
Les risques sont grands, et chacun constate les tourments dans lesquels ils peuvent nous entraîner. Face à eux, nous bénéficions de cette incroyable promesse républicaine, inscrite il y a quatre-vingts ans, celle d'assurer les travailleurs, les travailleuses et leurs familles contre tous les risques qui les guettent, celle de prodiguer soins et assistance aux malades, celle d'accompagner les plus âgées dans la retraite.
Oui, la sécurité sociale nous protège des accidents, de la maladie, de la vieillesse, de la perte d'autonomie. Elle révèle notre confiance collective dans la solidarité, l'égalité et la fraternité. Elle garantit que, face aux malheurs du monde, la vie continue.
Pourtant, à l'orée de ce débat, une crainte nous assaille. La sécurité sociale serait-elle en danger ? Elle est menacée aujourd'hui par trois problèmes qu'il nous faut résoudre.
Tout d'abord, la sécurité sociale est menacée par une inadéquation budgétaire entre ses ambitions et les moyens que nous lui donnons pour y répondre. Preuve en est le déficit social pour 2025, estimé à 17 milliards d'euros.
Le retour à l'équilibre n'est prévu ni dans les copies qui nous sont présentées pour 2026 ni d'ici à 2029. Se trouvent en cause, d'une part, l'augmentation des besoins de la population face à l'explosion des maladies chroniques, au vieillissement et à la détérioration des déterminants environnementaux de notre santé, d'autre part, une politique d'assèchement des recettes qui a montré ses défauts et ses limites.
Ensuite, la sécurité sociale est menacée par le risque d'une crise de liquidité. La trésorerie de la sécurité sociale, grevée par l'accumulation de déficits, pourra-t-elle assumer un choc économique, sans la reprise des 40 milliards d'euros de dette qu'elle soutient ?
Enfin, la sécurité sociale est menacée par l'insuffisance des financements accordés à notre système de santé. Affaibli et incapable d'investir face aux 30 milliards d'euros de dette qu'il accumule, l'hôpital public ne tient plus que par l'engagement des femmes et des hommes qui le font tenir à bout de bras. Là encore, le projet que nous examinons n'apporte pas de solution.
Malgré l'augmentation de 2 % des dépenses de santé, il manque encore au moins 2,5 milliards d'euros, ne serait-ce que pour maintenir l'assurance maladie à flot.
L'avenir est sombre. Samedi dernier, en commission, j'entendais même certains collègues se demander : pouvons-nous encore sauver la sécurité sociale ? À eux aujourd'hui, je veux dire : rien n'est joué. Tant que nous nous battrons, il y aura un espoir.
Au fond, nous sommes face à un choix cornélien, qui pourrait se résumer ainsi, sur le modèle de « L'utopie ou la mort ! » de René Dumont : « La sécurité sociale ou la mort ! » Telle est la devise qui devrait être au fronton de ce débat sénatorial.
Oui, l'enjeu de ce budget n'est pas la victoire d'un camp ou d'un autre. C'est bien la survie de la sécurité sociale. Oui, nous y sommes prêts. C'est à notre tour de vous appeler à la responsabilité, mes chers collègues : battons-nous ensemble pour la sécurité sociale.
Fort de cette résolution, le groupe GEST inscrit au débat trois propositions.
Premièrement, il s'agit de rétablir l'équilibre de la protection sociale.
À l'Assemblée nationale, nous avons défendu 25 milliards d'euros de nouvelles recettes, qui permettraient de couvrir le déficit actuel. Au Sénat, avec les groupes SER et CRCE-K, nous identifions 20 milliards d'euros qui pourraient abonder les comptes sociaux. Alors que les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, nous proposons de faire contribuer les revenus du capital, en portant la CSG à 12 %, pour un rendement supplémentaire de 3 milliards d'euros.
Nous suggérons aussi de nous attaquer aux structures financiarisées qui pillent la sécurité sociale pour leurs propres profits et alourdissent les dépenses.
Deuxièmement, il faut promouvoir enfin la prévention et la santé environnementale, sources d'économies.
Nous vous invitons ainsi à renforcer la fiscalité environnementale et comportementale, à mettre à contribution les pollueurs, responsables du réchauffement climatique, à en finir avec la malbouffe, les sucres ajoutés, l'opacité des produits sans Nutriscore, les cadeaux fiscaux faits aux alcooliers, aux vins, aux bières sucrées et aromatisées, au détriment de la santé publique, à soutenir les dispositifs préventifs qui ont fait leurs preuves, à l'instar des haltes soins addictions (HSA), des centres de santé publics et solidaires et des séances MonSoutienPsy.
Troisièmement, il convient de continuer de protéger les plus vulnérables.
Nous nous opposons ainsi non seulement à ce que les malades paient des franchises doublées et étendues et pâtissent d'un Ondam dont nous demandons la revalorisation à au moins 3 %, mais aussi à ce que les bénéficiaires de prestations sociales et de pensions subissent une année blanche qui les précariserait.
Nous nous opposons enfin à ce que les 3,5 millions de Français qui pourraient partir à la retraite cette année avec le décalage de la réforme de 2023 soient pénalisés.
Oui, nous voulons abroger cette réforme pour les générations présentes et à venir. Il va falloir s'y atteler. Voilà le chemin que nous défendons pour sauver la sécurité sociale. Deux possibilités s'offrent à nous : soit continuer, dans un esprit constructif, à travailler le texte, certes imparfait, issu des travaux de l'Assemblée nationale, soit tout effacer, à l'instar de ce qu'a proposé samedi dernier la commission des affaires sociales.
Mes chers collègues, chercher à sauver la sécurité sociale suppose un signal fort. Pour défendre au moins notre hôpital, il faut un Ondam à 3 % et des recettes réalistes et justes. Mesdames, monsieur les ministres, c'est absolument essentiel et il n'y a que vous qui pouvez le faire ! Vous pouvez sinon préférer garder la tête dans le sable et inscrire l'insincérité dangereuse à l'ordre du jour.
Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, vous comprendrez que vos choix seront déterminants au cours de cet examen. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, à première vue, nous pourrions croire que l'ouverture de la discussion générale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 s'inscrit dans la routine parlementaire : le traditionnel marathon budgétaire de l'automne, les navettes entre nos deux chambres et les équilibres déjà fragilisés de nos comptes sociaux.
Pourtant, vous le savez tous, rien, absolument rien, dans ce débat n'a aujourd'hui un caractère ordinaire.
Cette discussion est extraordinaire, non seulement parce que nous abordons le budget le plus massif et le plus structurant de la Nation, mais surtout parce que ce texte est devenu, bien malgré lui, le théâtre de toutes les manœuvres politiciennes, instrumentalisées pour servir un objectif unique : empêcher coûte que coûte le retour aux urnes et la victoire annoncée de la majorité nationale. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
En 2024 déjà, souvenez-vous, des accords électoraux de couloirs, opaques et honteux, avaient privé les Français de la stabilité politique à laquelle ils avaient droit.
Les mêmes méthodes sont aujourd'hui réactivées avec les mêmes acteurs. Voilà que, trop anxieux à l'idée de perdre leurs sièges, les députés des groupes socialiste et Les Républicains s'entendent dans une alliance de circonstance (Murmures sur les travées du groupe SER.), au mépris de nos institutions, au mépris du redressement urgent de nos comptes sociaux, au fond, au mépris des Français eux-mêmes.
Trop heureux de l'occasion, les macronistes se sont précipités dans la brèche.
Mme Frédérique Puissat. Il y en a pour tout le monde !
M. Christopher Szczurek. Pour surseoir de quelques mois à leur disparition électorale, ils ont tout bradé : leurs engagements, leur cohérence et leurs dernières prétentions à gouverner.
M. Xavier Iacovelli. Il est vrai que vous faites preuve de cohérence à l'Assemblée nationale !
M. Christopher Szczurek. La seule réforme qu'ils avaient engagée dans le second quinquennat, la réforme des retraites – injuste, brutale, massivement rejetée dans le pays et défendue envers et contre tout –, la voilà aujourd'hui abandonnée – pardon, suspendue. Elle est en effet suspendue pour quelques millions d'euros, suspendue pour quelques centaines de milliers de bénéficiaires, suspendue pour sauver quelques positions fragiles dans l'hémicycle. (M. Xavier Iacovelli s'exclame.)
Le Rassemblement national, quant à lui, a été cohérent du début à la fin. À l'Assemblée nationale comme au Sénat, nous avons voté et nous voterons la suspension de cette réforme, mais c'est bien sa suppression qui est à souhaiter et qui serait une victoire.
M. Xavier Iacovelli. Ah !
M. Christopher Szczurek. Il faut l'admettre, cette suspension n'est qu'anecdotique et précaire. Notre système de retraite ne pourra être sauvé que par une véritable politique nataliste et par une politique de production ambitieuse,…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. On peut compter sur vous !
M. Christopher Szczurek. … capable de permettre aux Français de travailler et de redonner vigueur à nos équilibres démographiques.
Il me faut maintenant en venir à la majorité sénatoriale. Mes chers collègues, si je sais que le retour aux ors des ministères, en dépit de toute logique électorale, a satisfait quelques égos, il ne faudrait pas ici se tromper de combat. Voilà trois ans que vous participez au socle commun. Qu'avez-vous gagné ?
M. Xavier Iacovelli. Et vous, à l'Assemblée nationale ?
M. Christopher Szczurek. En quelques semaines, les socialistes affichent de fausses victoires, Les Républicains, eux, n'auront récolté que la déception de leurs militants après être encore allés jouer aux supplétifs du macronisme et en invoquant le fameux principe de responsabilité. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme Émilienne Poumirol. Quel rapport avec la sécurité sociale ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il n'est pas beaucoup question de la sécurité sociale !
M. Christopher Szczurek. Mes chers collègues, certes, j'aurais pu évoquer l'explosion de la dette sociale et l'absence de réformes structurelles permettant de limiter la bureaucratie, d'éteindre les pompes aspirantes de l'immigration… (Ah ! sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Il fallait bien que j'y vienne, mes chers collègues ! Je vous aurais déçus sinon !
Mme Catherine Conconne. On attendait !
M. Christopher Szczurek. J'aurais pu évoquer également l'absence de réformes susceptibles de redonner enfin au personnel médical et aux Français le système de santé auquel ils ont droit.
Toutefois, nous le savons, nos débats risquent d'être vains, tant on entend déjà la rumeur des ordonnances qui feront bientôt tomber le couperet et affaibliront encore un peu un parlementarisme déjà bien attaqué.
M. Xavier Iacovelli. Surtout par vous : on ne vous voit jamais !
M. Christopher Szczurek. Ainsi, devant les manœuvres, devant les mensonges et, en définitive, devant le mépris, nous ne faisons ici que traduire le sentiment profond d'un grand nombre de nos compatriotes… (Marques d'impatience sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Christopher Szczurek. … à savoir une profonde colère, l'incompréhension et, surtout, l'envie de passer définitivement à autre chose.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous entamons l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 dans un contexte d'une gravité particulière.
La gravité est tout d'abord de nature financière : le déficit de la sécurité sociale atteindra 23 milliards d'euros en 2025, proche des 22,1 milliards d'euros prévus initialement. Sans pour autant se réjouir d'une situation déjà insoutenable qui pourrait très vite devenir incontrôlable, saluons ici l'effort de sincérité et le quasi-respect des prévisions cette année.
La gravité est ensuite de nature politique. L'absence de majorité claire renforce le poids et, surtout, la responsabilité des parlementaires, sous la surveillance inquiète de l'Union européenne et des marchés financiers. Sans surprise, le groupe RDSE, attaché au débat et à la recherche du compromis, n'a pas voté les motions préalables, préférant amender, améliorer et non bloquer.
Le texte issu de l'Assemblée nationale aggrave la situation des comptes sociaux, faisant passer le déficit de 17,5 milliards d'euros à 24 milliards d'euros. Cette dérive résulte à la fois d'un recul sur les mesures d'économies et de nouvelles dépenses non financées.
À l'inverse, la commission des affaires sociales du Sénat défend une trajectoire responsable et maîtrisée, qui ramènerait le déficit à un niveau plus soutenable, même s'il reste très ambitieux, autour de 15 milliards d'euros. À l'Assemblée nationale, l'impasse ; au Sénat, la responsabilité.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Bravo !
Mme Véronique Guillotin. Le groupe RDSE considère qu'il est indispensable de maîtriser de nouveau nos comptes sociaux, sans jamais renoncer à la protection des plus vulnérables.
Ces bonnes intentions ne suffisent toutefois pas : il est clair que réduire les dépenses, créer des recettes nouvelles, sans porter atteinte au pouvoir d'achat des Français, sans fragiliser nos entreprises et sans renoncer à des soins de qualité, ne peut se faire sans réformes structurelles.
Nous devons augmenter nos recettes par le travail, mieux lutter contre les fraudes, renforcer l'efficience des soins, sortir d'une vision annualisée du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour programmer à long terme. En effet, la santé et la protection sociale ne se pilotent pas sur douze mois.
Nous devons simplifier, décentraliser et mettre un terme à la suradministration, en privilégiant la prévention, l'incitation plutôt que la punition et, surtout, la confiance envers les professionnels de santé, qui aiment leur métier et connaissent leur environnement. De beaux exemples en témoignent comme les hôpitaux de Valenciennes ou le Centre hospitalier régional Metz-Thionville qui parviennent à maintenir l'équilibre financier. Il serait bon de s'en inspirer.
Fidèles à notre exigence de simplification, nous ne soutiendrons pas l'ajout de nouvelles strates, notamment la création du réseau France Santé. Plus qu'une labellisation précipitée dont on voit mal l'utilité, consolidons l'existant, par exemple en s'appuyant sur le dernier rapport de la Cour des comptes sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Certaines structures fonctionnent, qui sont encore récentes. Il serait plus utile d'abonder et d'organiser ce qui existe déjà, plutôt que d'en créer de nouvelles.
Nous sommes également assez critiques en ce qui concerne les nouvelles équipes de soins traitantes, qui, selon nous, complexifient le parcours de soins. Nous le sommes tout autant s'agissant du contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire, auquel nous préférons la proposition de la rapporteure générale visant à moduler la rémunération des médecins exerçant en zone sous-dense : une mesure simple, lisible et incitative.
En matière l'accès aux soins, nous défendons la liberté de créer soit une nouvelle officine, soit une antenne de pharmacie dans les petites communes. Aux professionnels de choisir la solution la plus adaptée.
Malgré les difficultés budgétaires, le groupe RDSE salue l'instauration d'un nouveau droit, le congé de naissance, qui contribuera au bien-être des familles. J'espère qu'il viendra soutenir la natalité.
En matière de bien-être, nous soutiendrons la reconduction en 2026 de la santé mentale comme grande cause nationale, portée par ma collègue Nathalie Delattre. Ce sujet reste majeur et n'a pu bénéficier en 2025 du niveau d'engagement nécessaire pour prendre toute sa portée.
Nous sommes convaincus que l'indispensable accélération du virage préventif est bonne à la fois pour la santé de nos concitoyens et pour les finances publiques. Nous proposerons, par nos amendements, d'aller plus loin en matière de vaccination antigrippale et d'ouvrir aux laboratoires la possibilité de remettre des kits de dépistage du cancer colorectal : ce test, neuf fois sur dix, sauve la vie lorsqu'il est réalisé à temps, mais moins de 35 % des personnes éligibles y recourent aujourd'hui.
Enfin, je soutiendrai, comme chaque année, plusieurs amendements visant à réorienter la consommation par des taxes comportementales. La santé passe aussi par l'alimentation, et je me réjouis que l'obligation de recourir au Nutri-score soit enfin inscrite dans la loi, après de nombreuses tentatives infructueuses – certains ici ont partagé le combat que nous avons mené pendant des années…
À l'heure où nous célébrons les 80 ans de la sécurité sociale, notre groupe rappelle l'héritage profondément radical du solidarisme de Léon Bourgeois. Cette troisième voie, refusant tout à la fois l'individualisme et le collectivisme, repose sur un quasi-contrat entre les générations : chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins. C'est cette idée qui a présidé à la naissance de la sécurité sociale.
Néanmoins, pour rester vivante, cette ambition fondatrice doit s'adapter aux réalités démographiques et économiques. La France de l'après-guerre n'est plus la France d'aujourd'hui. La natalité s'est affaiblie, voire s'effondre ; la population a vieilli et le rapport entre actifs et retraités s'est profondément déséquilibré.
Dans ce contexte, notre modèle social, largement financé par le travail, ne pourra être préservé qu'en travaillant davantage et en travaillant mieux. Cela implique de redonner du sens au travail, d'offrir plus de souplesse et de liberté dans les parcours et de permettre à chacun de contribuer selon ses capacités tout au long de la vie.
La France n'a pas besoin d'opposer effort et qualité de vie. Elle a besoin d'un modèle qui concilie performance économique, responsabilité individuelle et bien-être. Le progrès, c'est quand chacun peut avancer à son rythme.
Il en va de même pour nos retraites. Nous devons regarder la réalité en face : ceux qui laissent croire que la France pourrait durablement s'éloigner des choix faits par l'ensemble de ses voisins européens trompent nos concitoyens et fragilisent notre modèle. Et comme toujours, ce sont les plus vulnérables qui en paieront le prix.
Le groupe du RDSE, dans sa majorité, s'abstiendra sur l'amendement tendant à revenir sur la suspension de la réforme des retraites, par souci de stabilité. Si cette parenthèse a un coût, elle peut aussi être l'occasion d'ouvrir d'autres voies : ne pas se bloquer sur la limite d'âge, rendre le système plus lisible, en introduisant une comptabilité par points, par exemple, ce qui est le projet soutenu par la majorité de notre groupe, ou encore introduire, sans tabou, une part de capitalisation régulée et solidaire. Cela mérite d'être débattu. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mes chers collègues, le solidarisme ne nous promet pas la facilité. Il nous impose la responsabilité : responsabilité de préserver la soutenabilité de nos comptes, responsabilité de protéger les plus fragiles, responsabilité de moderniser en profondeur notre système de santé.
Le groupe RDSE abordera ce texte sans postures, avec la volonté de contribuer à une trajectoire de redressement crédible et socialement juste. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
Mme Brigitte Bourguignon. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le PLFSS, dans un moment de vérité pour notre modèle social.
Les comptes de la sécurité sociale restent profondément déficitaires. Dès lors, notre mission est double : assurer la pérennité de notre protection sociale et redresser les finances publiques. Ce sont là deux objectifs complémentaires. Le texte venu de l'Assemblée nationale traduit des préoccupations légitimes, mais aussi des débats heurtés. Il reste, en l'état, très perfectible.
Le rôle du Sénat est non pas de vouer nos collègues aux gémonies, mais d'éclairer et d'améliorer leurs travaux. La commission des affaires sociales a commencé ce travail en ramenant le déficit à un niveau plus soutenable, en rétablissant des économies cohérentes. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail de Mme la rapporteure générale et des rapporteurs des différentes branches. Dans la recherche du juste équilibre et du compromis utiles au pays, le rôle du Sénat prend tout son sens.
Notre responsabilité est grande, tout d'abord vis-à-vis de la sécurité sociale elle-même, qui fête cette année ses 80 ans. Elle doit pouvoir continuer à protéger les Français tout au long de leur vie. La laisser dériver dans un déficit permanent fragilise cet héritage. S'il veut rester universel, le système de solidarité a besoin de bases financières solides. Autrement, c'est la promesse sociale qui vacille.
Nous avons aussi une responsabilité vis-à-vis des plus fragiles. Le texte prévoit des efforts, notamment pour certaines prestations. Ce sont des mesures difficiles, mais nécessaires, à condition d'être ciblées et équitablement réparties : protéger d'abord les petites pensions et les plus modestes, puis faire contribuer chacun à sa juste mesure. Voilà de quoi financer des avancées concrètes pour la vie quotidienne.
Je pense tout d'abord au congé supplémentaire de naissance, qui constituera une respiration bienvenue pour les familles et un moyen de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale – d'autant plus s'il s'agit, enfin, d'envisager un partage plus équitable des responsabilités parentales. Je pense aussi au réseau France santé, qui est plus qu'attendu par nos concitoyens. Ce qui compte ici, ce n'est pas seulement le droit théorique à l'assurance, mais bien la possibilité de trouver un médecin, un centre de santé ou une pharmacie, et que ceux-ci répondent présent.
Tenir les comptes et corriger les inégalités, nous partageons cette volonté. S'agissant des comptes, parlons retraites, pour changer.
Le Gouvernement a choisi de suspendre une partie de la réforme de 2023. S'il s'agit d'apaiser le pays, nous pouvons l'entendre, tant l'âge de départ cristallise les tensions. Mais ce geste, au demeurant coûteux, n'a d'intérêt que s'il devient le point de départ d'une véritable conférence sociale sur l'avenir de notre système de retraites. Autrement, nous ne ferions qu'entretenir de l'instabilité. Les règles ne peuvent pas changer chaque automne, au gré des majorités et des calendriers électoraux.
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Brigitte Bourguignon. L'exemple de l'Agirc-Arrco montre qu'un pilotage paritaire, et pluriannuel, produit des résultats solides. Si nous croyons au dialogue social, faisons confiance aux partenaires sociaux, pourquoi pas sur le régime général.
Pour avancer sur ce chemin, nous avons aussi un devoir de franchise. Quand un retraité me dit : « J'ai travaillé, j'ai cotisé, j'ai des droits », il a raison. Mais ces pensions sont financées chaque mois par les cotisations et la CSG des actifs. Nous ne pouvons pas tout promettre aux uns, si cela revient à demander toujours plus aux autres.
La justice entre les âges, ce n'est pas opposer les générations, c'est respecter les droits des retraités tout en offrant une perspective claire aux actifs. À ceux-ci, il faut une autre perspective que de leur dire : « Travaillez plus, cotisez plus pour des pensions moindres et, surtout, débrouillez-vous ! » Sans cela, nous affaiblissons le consentement à la solidarité et nous abîmons le lien intergénérationnel, pourtant essentiel à notre modèle social.
Au fond, ce débat n'est pas seulement celui des retraites. C'est aussi celui du vieillissement de la société. Dix ans après la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, le chemin est encore long pour ces personnes qui veulent bien vieillir à domicile, pour ces aidants qui s'épuisent, pour ces familles sans solution. Le grand âge ne saurait être une variable d'ajustement budgétaire. Pour notre groupe, c'est l'un des fils directeurs de ce budget de la sécurité sociale.
Je terminerai par un rappel simple, mais nécessaire : la sécurité sociale vit de l'activité, des cotisations et des prélèvements sur les actifs. Ses ressources dépendent d'abord de la France qui travaille. Défendre la protection sociale, c'est donc aussi défendre la valeur travail. Aussi, nous soutiendrons les mesures qui rendent le travail plus attractif que l'inactivité, qui favorisent l'emploi des seniors et simplifient la vie des employeurs, sans renoncer aux protections essentielles.
Mes chers collègues, à partir de là, deux chemins s'offrent à nous. Le premier est celui des facilités, qui consiste à promettre beaucoup en reportant toujours l'addition sur les prochaines générations. Et celui, plus étroit et plus exigeant, qui consiste à dire la vérité chiffrée, à cibler les efforts, à protéger les plus fragiles.
Notre groupe a choisi ce second chemin, dans un souci permanent d'équilibre. Si le texte issu de nos débats reste fidèle à cet esprit, alors nous prendrons nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un PLFSS qui s'inscrit dans un contexte d'une gravité exceptionnelle.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 23 milliards d'euros de déficit en 2025, après 15 milliards d'euros en 2024 et 11 milliards d'euros en 2023. Autrement dit, notre modèle social se finance désormais structurellement par la dette, alors même que la crise de la covid et le choc inflationniste ne peuvent plus servir d'alibi.
La branche maladie dérive dangereusement, avec 17,2 milliards d'euros de déficit. La branche vieillesse demeure dans le rouge, et ses comptes seront encore détériorés par la suspension de la réforme. Quant à la branche famille, son excédent apparent masque une réalité alarmante : la natalité, tombée à son plus bas niveau depuis 1946, s'effondre.
Dans ce contexte, l'Ondam progresserait de seulement 2 %, loin des 4 % nécessaires pour simplement maintenir le niveau actuel de soins. Cet écart colossal, on voudrait le combler sur le dos des assurés et des professionnels libéraux.
Je veux dire les choses simplement : le PLFSS, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, maltraite la médecine libérale. Il ne la corrige pas, il ne l'accompagne pas, il l'asphyxie ! Alors même que la médecine libérale constitue, comme l'hôpital, l'une des deux jambes de notre système de santé, le texte multiplie les mesures punitives et suspicieuses.
L'article 24 ouvre la voie à des baisses unilatérales de tarifs en cas d'absence d'accord conventionnel. C'est un mécanisme de contrainte inédit, qui brise la logique même du conventionnement. L'article 31 entend sanctionner les professionnels n'alimentant pas le dossier médical partagé (DMP), alors même que les outils numériques manquent de fiabilité et que la priorité devrait être la simplification, pas la pénalisation.
Ces propositions initiales sur les arrêts de travail, la limitation du remboursement des prescriptions ou encore les pénalités liées au DMP sont autant de mesures qui traduisent un climat de méfiance inédit envers nos médecins.
M. Laurent Somon. Bravo !
Mme Florence Lassarade. Mes chers collègues, il faut dire les choses : la médecine libérale n'a jamais été autant fragilisée.
Et lorsque la médecine libérale s'effondre, c'est tout le système médical français qui tombe. Rentabilité excessive : de quoi parle-t-on ? On nous dit que certaines spécialités seraient rentables. Mais de quelle rentabilité parle-t-on lorsqu'un médecin de secteur 1, aujourd'hui, n'arrive parfois plus à couvrir ses charges ? De quelle rentabilité parle-t-on lorsqu'un généraliste travaille dix à douze heures par jour, à 30 euros la consultation ? De quelle rentabilité parle-t-on quand la jeune génération hésite, renonce, se détourne vers l'hôpital ou quitte tout simplement la France ?
La vraie question est non pas la rentabilité des médecins libéraux, mais la soutenabilité de notre système. Ce n'est pas en humiliant la médecine de ville que l'on comblera 23 milliards d'euros de déficit. Ce n'est pas en pressurant les praticiens que l'on réglera la crise démographique médicale. Ce n'est pas en imposant toujours plus de contraintes administratives que l'on redonnera envie d'exercer.
M. Jean Sol. Bravo !
Mme Florence Lassarade. C'est pourquoi le Sénat prend ses responsabilités et va corriger ce texte déséquilibré. Nous allons supprimer ou réécrire plusieurs dispositions qui, si elles étaient maintenues, risqueraient de rompre définitivement le contrat de confiance entre l'État et les médecins libéraux.
C'est ainsi que nous comptons supprimer la limitation à quinze jours des arrêts de travail en ville, ainsi que les pénalités liées au DMP. Nous supprimerons aussi le désengagement des prescriptions des médecins non conventionnés, non pas pour défendre une corporation, mais parce que ces mesures constituent in fine un danger pour les patients, pour l'accès aux soins, et pour l'ensemble de notre système de santé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur la situation délicate de la radiothérapie dans les centres de lutte contre le cancer. Cette discipline concerne plus de 60 % des patients atteints de cancer et représente un pilier essentiel de leur parcours de soins.
Or, alors même que ces centres assurent un quart de l'activité nationale et prennent en charge 87 % des enfants traités par radiothérapie, ils se voient aujourd'hui fragilisés par une baisse tarifaire injustifiée. Malgré leur engagement constant dans la réforme de la radiothérapie et leurs investissements largement autofinancés, cette décision menace directement leur équilibre financier, leur capacité d'innover et leur mission d'assurer un accès équitable aux traitements sur tout le territoire.
Affaiblir ces centres, c'est affaiblir la radiothérapie de précision, la recherche clinique et l'accès des patients aux technologies les plus avancées. C'est aussi creuser davantage les inégalités entre secteur public, secteur privé et privé non lucratif.
Pour 2026, les décisions tarifaires doivent être à la hauteur des enjeux, en soutenant pleinement les centres de lutte contre le cancer, d'autant plus que ceux-ci reposent, plus que les autres établissements, principalement sur cette activité. L'exigence d'efforts demeure, mais elle ne doit pas se déployer au détriment des patients et de la médecine.
La Cour des comptes a été claire : sans mesures nouvelles, le déficit atteindra 28,7 milliards d'euros en 2026. Les économies proposées par le Gouvernement ont été balayées par l'Assemblée nationale. Nous devons donc trouver un chemin. Mais celui-ci ne peut pas être celui de la punition de la médecine libérale. Il doit être celui de la responsabilité, de la confiance et de l'efficacité.
Il en va de même pour la branche autonomie. Alors que 500 000 postes en Ehpad devront être créés d'ici à 2030, seuls 4 500 pourront être financés en 2026. Alors que l'habitat intermédiaire doit créer 500 000 places d'ici 2050, les moyens actuels permettent à peine d'engager le mouvement.
Nous entrons dans un véritable défi civilisationnel. Or face à celui-ci, nous avons besoin d'un système de santé solide, d'un hôpital fort et, plus que jamais, d'une médecine libérale respectée, soutenue et attractive. Défendre la médecine libérale, c'est défendre notre modèle social.
Mes chers collègues, la médecine libérale n'est pas un luxe. Elle n'est pas une rente. Elle n'est pas un problème. Elle est une solution. Elle est un pilier de notre modèle social. Elle est un maillon essentiel de l'accès aux soins, notamment dans les territoires où l'hôpital ne peut pas tout. Lui tourner le dos, c'est affaiblir notre modèle social. La soutenir, c'est préparer l'avenir.
En corrigeant ce texte, en réaffirmant le rôle indispensable des médecins de ville, en refusant la spirale des mesures coercitives, le Sénat rappelle une évidence : sans médecine libérale, il n'y aura pas de médecine tout court ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la question n'est pas nouvelle. Elle se pose chaque année à nous, et, cette année, avec plus d'acuité encore. Comment maintenir un haut niveau de protection sociale dans un contexte de hausse constante des dépenses, et de recettes désormais limitées ?
Nous devons tous participer à cet effort, en examinant chaque dépense au prisme de son utilité et de son efficacité. Il ne peut se faire au détriment de notre modèle de sécurité sociale, garant de l'égalité d'accès aux soins, où que l'on vive.
C'est particulièrement vrai dans les territoires ultramarins, où l'insularité, l'éloignement et la rareté de certaines spécialités participent à la désertification médicale. L'effort doit se porter sur le premier recours, en remettant la permanence et la continuité des soins au centre de nos préoccupations. Une maternité, un service de pédiatrie, un psychiatre de liaison ne sont pas des options. Ce sont des garanties d'égalité.
Je pense également à la santé mentale et au mal-être des jeunes, qui demeure plus élevé que dans l'Hexagone. La crise que nous traversons est accentuée dans les outre-mer par un manque cruel de moyens et de suivi. C'est une bombe à retardement si nous ne faisons rien. La faiblesse de l'offre amplifie le renoncement aux soins et allonge les délais, alors que la prévention et l'accès rapide à un professionnel de santé doivent redevenir la règle.
Le texte que nous examinons doit prendre en compte les réalités de terrain. Cela vaut pour l'accès aux soins. Cela vaut aussi pour le monde économique. La loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom) est un amortisseur des surcoûts structurels et un pilier de l'emploi local, qui conditionne la viabilité des entreprises. La fragiliser, c'est fragiliser le tissu économique de nos territoires.
Si son dispositif doit être simplifié et mieux encadré, pour éviter les erreurs comme les abus, il ne peut faire l'objet d'une réforme contre-productive et menée sans évaluation, territoire par territoire. Surtout, cette réforme ne doit pas entraîner une érosion silencieuse des moyens correspondants. Je vous sais sensible, monsieur le ministre du travail, à cette question.
Puisqu'il sera ici question des retraites, j'ajouterai quelques mots, enfin, pour alerter sur l'accès aux pensions dans les territoires ultramarins. Garantir le versement d'une pension dès la date d'effet de la retraite doit être une formalité, à condition bien sûr que les démarches aient été réalisées dans les temps. Or trop de néo-retraités connaissent un trou de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, entre le versement de leur dernier salaire et leur première pension. Ce problème doit être traité.
L'adoption de ce texte est un préalable à toute politique publique ambitieuse et efficace au service de nos concitoyens. Il doit tenir ses promesses. Le groupe RDPI y veillera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous avons au moins un point d'accord avec la majorité sénatoriale : depuis des années, nous affirmons qu'il faut ramener la branche maladie à l'équilibre.
Nous convenons donc qu'il n'est pas possible de conserver un déficit de 24 milliards d'euros et qu'il faut plutôt le ramener autour de 15 milliards d'euros cette année. Mais nous ne reprochons pas cet état de fait à l'Assemblée nationale, puisque celle-ci n'est pas allée au bout de l'examen du PLFSS ; on ne peut donc pas lui imputer le déséquilibre. En revanche, nous devons, nous, nous donner les moyens de revenir à l'équilibre.
Nos pistes sont très claires et n'ont pas changé.
Premièrement, nous ne voulons pas de déremboursements. Car derrière la novlangue des forfaits de responsabilité ou des franchises médicales, c'est bien de cela qu'il s'agit. Ce sont les assurés sociaux qui sont visés, ce sont eux qui paient la facture. Il faudra m'expliquer en quoi un patient épileptique serait responsable du fait qu'il doit prendre des médicaments contre sa maladie.
M. Patrick Kanner. Exactement !
M. Bernard Jomier. Ces forfaits de responsabilité constituent une atteinte à la sécurité sociale.
Deuxièmement, nous voulons traquer plus efficacement les dépenses inutiles, car il en existe. Et je reconnais qu'il y a, dans ce texte, une esquisse en ce sens. Mais celle-ci, qui vise les rentes, est mal calibrée. Elle l'est parce qu'elle ne sélectionne pas les acteurs et risque ainsi de viser des structures qui dégagent certes des bénéfices importants, mais qui ne sont ni des acteurs financiers, ni des acteurs frauduleux, ni des acteurs abusant de la sécurité sociale.
L'intention du Gouvernement devrait nous conduire à une lutte plus efficace contre les acteurs financiers, qui, eux, considèrent la sécurité sociale comme un open bar, et que nous appelons à combattre – je salue, sur ce point, les propos du vice-président de la commission des affaires sociales. Or le texte reste embryonnaire sur la question.
Troisièmement, oui, nous voulons majorer les recettes, et cela de plusieurs façons.
Tout d'abord, en rétablissant progressivement, sur quelques années, les sources de financement de la sécurité sociale qui ont été pillées par l'État. Je salue la position de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales sur l'article 12 : en effet, il n'est pas acceptable que l'État transfère encore 3 milliards d'euros vers son budget, au détriment de la sécurité sociale. Mais il n'y a pas que cela.
Ensuite, il nous faut également solliciter les plus fortunés et les revenus du capital. À cet égard, la hausse d'un point de CSG que nous avons proposée n'a rien d'excessif. Je regrette que la majorité sénatoriale tire un trait sur cette recette.
Par ailleurs, quelles réformes structurelles nous proposez-vous dans ce PLFSS ? Bien sûr, nous débattons de finances, mais il faut aussi discuter de la manière dont nous transformons notre système de santé. S'agissant de la territorialisation, le dispositif France santé est, à tout le moins, un cafouillage total. Nous souscrivons aux propos de la rapporteure Corinne Imbert, qui estime que, en l'état, cet article ne doit pas être maintenu dans le projet de loi.
Que veut faire le Gouvernement avec les départements, avec l'État ? Nous n'y comprenons rien, je vous le dis clairement ! Les propos du Premier ministre indiquant que l'on va confier la santé aux préfets nous interrogent fortement : les préfets, c'est la centralisation sans la compétence sanitaire ! Une telle réforme n'apporterait aucun progrès par rapport aux agences régionales de santé (ARS). Je vous invite d'ailleurs à lire attentivement la tribune publiée par onze anciens ministres de la santé appelant le Gouvernement à ne pas s'engager dans cette voie.
En matière de prévention, d'ordinaire, les ministres de la santé arrivent devant le Parlement après des arbitrages interministériels qui leur permettent d'obtenir des avancées, que ce soit sur l'alcool, le tabac ou l'alimentation. Ici, rien ! Rien, rien et encore rien !
Pis, nous apprenons que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui est une agence fondamentale de prévention, est délibérément décapitée par le Gouvernement. Son directeur général n'a pas été autorisé à exercer l'intérim, contrairement à la tradition. Il n'y a donc plus de directeur général, et la directrice générale adjointe est renvoyée à son corps d'origine. Le Gouvernement punit clairement l'Anses, qui a été en pointe pour défendre les Français contre un certain nombre de pollutions.
M. Patrick Kanner. C'est scandaleux !
M. Bernard Jomier. Voilà qui montre, décidément, que vous êtes fâchés avec la prévention, chers collègues de la droite sénatoriale. Ce n'est pas ainsi que nous remettrons notre système de santé sur de bons rails. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, « Attendre fait mal. Oublier fait mal. Mais ne pas savoir quelle décision prendre est la pire des souffrances. » Cette phrase du romancier Paulo Coelho résume parfaitement le diagnostic sur les budgets de la sécurité sociale que nous examinons année après année.
Chaque fois, les mêmes débats reviennent. Chaque fois, nous temporisons, nous ajustons à la marge. Et pendant ce temps, le rouleau compresseur de la dépense publique poursuit inexorablement sa trajectoire.
Le déficit social est passé de 15,3 milliards d'euros en 2024 à 23 milliards d'euros en 2025, soit une hausse de 50 % en un an. Nous ne pouvons plus, nous ne devons plus voter des budgets en déficit, sauf à accepter la mort programmée de notre modèle social. Voilà où nous ont menés le statu quo et les renoncements.
Le temps presse, et il est devenu notre pire ennemi. Car si nous ne choisissons pas aujourd'hui de dépenser moins, mais de dépenser mieux, nous n'aurons plus demain les moyens de financer la santé, les retraites, la politique familiale, l'autonomie, bref tout ce qui fonde notre pacte social. Notre première responsabilité est donc de retrouver la maîtrise de nos dépenses, de rationaliser chaque euro dépensé.
En ce qui concerne la branche maladie, tout d'abord, le PLFSS fixe pour 2026 l'Ondam à 270 milliards d'euros, en hausse de 1,6 %. C'est un effort important, même si cette progression est plus faible que la croissance naturelle des dépenses de santé, estimée à plus de 4 %.
Nous notons des économies, avec l'extension des participations forfaitaires et des franchises, le recentrage vers les soins les plus efficients, la maîtrise des arrêts de travail, la régulation des secteurs financiarisés – notamment les soins dentaires et l'imagerie –, la lutte contre les rentes médicales et la maîtrise des dépassements d'honoraires.
L'efficience passe aussi par une simplification du financement hospitalier. L'article 22 engage quelques évolutions bienvenues, pour contenir des déficits hospitaliers, qui atteindraient près de 3 milliards d'euros en 2025.
Tout cela va dans le bon sens, mais l'équilibre budgétaire ne pourra être retrouvé sans réforme structurelle. Il faut soigner le système, pas seulement les symptômes. Nos hôpitaux publics demeurent par exemple suradministrés, avec 34 % de personnels non soignants, contre 20 % en Allemagne.
Dépenser moins, c'est aussi prévenir davantage. Le PLFSS 2026 comporte quelques mesures, encore timides, pour renforcer la prévention.
Ainsi, l'article 19 crée des parcours pour les personnes à risque d'affections de longue durée (ALD) et prolonge l'expérimentation des haltes soins addictions (HSA). L'article 21 quinquies autorise le remboursement de séances de guidance parentale pour les familles d'enfants présentant des troubles du neurodéveloppement.
Une politique de prévention ambitieuse permettrait pourtant d'économiser plusieurs milliards d'euros à long terme. En matière sanitaire, la prévention devrait être l'une des rares sources d'endettement acceptables. Nous pouvons à ce titre regretter que la santé mentale, grande cause nationale, n'ait pas vu ses moyens suffisamment renforcés.
La branche accidents du travail et maladies professionnelles, longtemps excédentaire, basculerait, elle aussi, dans le rouge, avec près de 1 milliard d'euros de déficit en 2026. Cette dérive s'explique principalement par la hausse structurelle des indemnités journalières. L'article 28 répond à cette évolution en limitant à quatre ans la durée maximale de versement de ces indemnités. Cette mesure mettra fin à des situations d'arrêts très longs, durant parfois plus de dix ans.
Le second défi est démographique : comment maintenir des solidarités durables ? Les fondamentaux de notre modèle de protection sociale reposent sur le temps long, marqué par le vieillissement, la natalité, la dépendance. Or une solidarité non financée aujourd'hui, c'est une solidarité sacrifiée demain. Un euro de dette aujourd'hui, c'est deux euros payés par nos enfants demain.
La branche vieillesse restera déficitaire en 2026, à hauteur de 6,5 milliards d'euros. Dans ce contexte, le gel des pensions dans le cadre d'une année blanche, initialement proposé par le Gouvernement, serait un acte de responsabilité, pour une économie de 2,7 milliards d'euros. Sur ce point, nous pourrons nous accorder sur le compromis proposé par la commission.
Par ailleurs, l'article 43 clarifie un dispositif du cumul emploi-retraite devenu illisible et source d'effets d'aubaine. Celui-ci sera désormais plafonné avant 67 ans, avec un écrêtement des pensions au-delà d'un certain seuil. Cette simplification doit inciter à prolonger l'activité, et non encourager les départs anticipés.
Dans la même logique, la suspension de la réforme des retraites devra être annulée. En effet, travailler plus longtemps, lorsque c'est possible, contribue à la survie de notre système par répartition.
Un autre choc démographique dont on parle peu est le déclin de la natalité. La baisse du taux de fécondité, tombé à 1,6 enfant par femme, son plus bas niveau depuis la guerre, constitue une véritable bombe à retardement. Moins de naissances, c'est moins de cotisations pour demain.
Le PLFSS remédierait prétendument à cette situation par la création d'un congé supplémentaire de naissance, à son article 42. Or cette mesure essentiellement symbolique ne traite pas les causes profondes du recul des naissances, souvent éthiques ou existentielles. De surcroît, ce symbole coûte 300 millions d'euros, qui auraient sans doute été mieux investis dans le mode de garde que dans quelques jours de congé supplémentaires.
Par ailleurs, le désir de fonder une famille ne saurait être encouragé que si l'on prend également soin des personnes dépendantes. Nous nous réjouissons, pour la branche autonomie, que la commission partage notre souhait de rejeter l'article 38, qui instaure un principe de subsidiarité entre l'indemnisation civile du préjudice et les prestations de compensation.
Nous saluons également les mesures contenues dans l'article 36, qui concerne le financement des établissements accueillant des enfants et des jeunes en situation de handicap, ainsi que dans l'article 37, qui permet à la CNSA de compenser le surcoût de la prime Ségur pour les départements, apportant une réponse à une impasse budgétaire qui fragilisait le secteur médico-social.
Mes chers collègues, le budget transmis par l'Assemblée nationale n'est pas acceptable en l'état. Il revient à la Haute Assemblée de faire le ménage, ce pour quoi certains sortiront le balai, d'autres la tronçonneuse. Le groupe Union Centriste défendra la baisse de la dépense et pourra soutenir un budget proche de celui que propose notre commission. Nous privilégions donc le balai…
Nos trois points-clés de vigilance concerneront les amendements nos 126 rectifié quinquies, 128 rectifié septies et 572 rectifié septies. Le premier a pour objet de rétablir le gel de toutes les prestations sociales, à l'exception de l'allocation aux adultes handicapés et des pensions inférieures à 1 400 euros. Le deuxième tend à supprimer la suspension de la réforme des retraites. Enfin, le troisième vise à accroître de douze heures la durée annuelle de travail, sans effet sur la durée hebdomadaire, afin de dégager un rendement supérieur à 10 milliards d'euros.
En effet, l'équilibre de notre régime assurantiel est l'unique garantie donnée aux Français de pouvoir conserver durablement leurs droits.
Chaque jour d'inaction creuse le déficit : le temps est notre ennemi. Utilisons celui qui nous est imparti pour rationaliser les dépenses d'aujourd'hui et préserver la solidarité de demain. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, que le sénat prenne ses responsabilités et propose pour la France un budget réaliste : telle est la demande que la majorité silencieuse de notre pays, préoccupée par la situation, nous répète depuis plusieurs mois. Bien des choses ont été dites. Je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles a été conçu ce budget et je mesure d'emblée l'extrême difficulté de l'exercice.
Oui, mes chers collègues, la situation est grave, et le déficit de notre système social, qui est majeur, nuit au fonctionnement de notre pays et entache notre sérieux et notre crédibilité.
Pour ses 80 ans, offrons à notre sécurité sociale une autre image, un autre cadeau d'anniversaire. Prenons conscience de la situation, comme l'ont fait jadis les membres du Conseil national de la Résistance. Face au désastre de la guerre, eux ont su, toutes tendances politiques confondues, des gaullistes aux communistes, des syndicats aux patrons, créer cet outil de cohésion sociale, de solidarité et de fraternité.
Cependant, il est regrettable de constater aujourd'hui que la sécurité sociale est perçue comme un simple guichet de paiement pour certains, comme une vache à lait pour d'autres, bien loin de l'idée de ses fondateurs.
Cette dérive, conjuguée aux crises économiques, sanitaires ou politiques, voire géopolitiques, ainsi qu'aux transformations de notre société, contribue largement à notre situation.
En cinquante ans, la progression du nombre d'habitants, le vieillissement de la population et les exigences de la dépendance ont incité les différents gouvernements à adapter les ressources à des besoins croissants. Ainsi, la part de la richesse nationale consacrée au seul domaine de la santé atteint 12 % du PIB en 2023. Mais ce taux reste largement insuffisant.
La diminution des recettes est largement liée à la réduction de nombre de cotisants actifs, à la mauvaise situation économique et à la maudite loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail. Ainsi, en 2025, le déficit a atteint 23 milliards d'euros. Sans mesures supplémentaires, il est estimé à presque 29 milliards d'euros pour 2026.
Notre commission, en responsabilité, propose aujourd'hui de ramener le déficit à 15 milliards d'euros, un montant proche des 18 milliards d'euros prévus par le Gouvernement et largement inférieur aux 24 milliards d'euros annoncés à l'issue de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
Ce texte, malgré la brutalité de certaines de ses dispositions, dont beaucoup sont contre-productives, contient plusieurs mesures utiles, que nous saluons. Toutefois, nous déplorons l'absence de réformes structurelles, qui seraient indispensables au redressement durable des comptes.
Qu'en est-il de la politique de prévention, qu'il est urgent de rendre plus lisible et plus efficace ? Comment gérer la progression de l'Ondam, limitée à 1,6 % alors que le rythme des dépenses augmente naturellement de près de 4 % tous les ans ? En outre, il n'est nulle part dans ce texte fait allusion à la maîtrise des dépenses médicales.
Par ailleurs, la notion de « médecine de rente » nous semble particulièrement maladroite, alors qu'elle ne saurait concerner qu'une part infime de la profession.
De surcroît les dispositions punitives proposées vont sans nul doute inciter encore plus de professionnels à rejoindre les puissantes structures financiarisées, dont nous connaissons bien, ici au Sénat, les motivations et les pratiques. Alors, nous pourrons dire adieu à notre médecine et à l'accès aux soins pour tous.
En ce qui concerne la disponibilité des médicaments, il convient, tout d'abord, de s'inquiéter sérieusement du recul de la place de la France en matière de recherche clinique. Conjugué aux évolutions proposées dans le texte concernant le régime actuel de l'accès précoce, il risque d'avoir des répercussions négatives pour l'accès aux thérapies innovantes, notamment en cancérologie. Heureusement, les règles relatives à l'accès direct seront maintenues.
Deux dispositifs nous semblent être de fausses bonnes idées. Ainsi de l'article 32, sur la redispensation des médicaments non utilisés, qui posera des problèmes de responsabilité juridique et sanitaire. Cette disposition pourrait être avantageusement remplacée par un conditionnement adapté à la prescription, qu'il faudra exiger des industriels.
De même, l'article 35, sur le référencement sélectif des médicaments thérapeutiquement équivalents, risque fortement de fragiliser notre tissu industriel et d'accroître les tensions d'approvisionnement, avec comme double conséquence la pénurie et l'inflation des prix.
S'agissant de l'attractivité médicale, la mise en œuvre de la réforme des docteurs juniors se heurte aux modalités de la rémunération de ces derniers. Il faut trouver une solution à ce problème pour préparer sereinement cette réforme tant attendue.
Au-delà de ses aspects financiers, ce projet fera appel à notre capacité à organiser les soins d'une manière lisible et cohérente. Les attentes des patients évoluent, les pratiques professionnelles changent, les besoins varient selon les territoires. Dans cet esprit, nous avons proposé plusieurs amendements ciblés.
Quant à la branche accidents du travail et maladies professionnelles, longtemps à l'équilibre, elle entre dans une trajectoire déficitaire, du fait de transferts financiers importants vers d'autres branches et de l'inflation des indemnités journalières. Un redressement sans hausse des cotisations est à mettre en œuvre rapidement.
Je ne m'attarderai ni sur la branche vieillesse ni sur la réforme des retraites, laquelle suscite aujourd'hui un débat passionnel. Je vous laisserai seulement méditer, mes chers collègues, cette phrase de Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Par ailleurs, si je reste sensible à la notion de pénibilité, l'évaluation objective de celle-ci mérite un examen de situation individuel, fondé sur un avis médical.
Quant à la branche famille, elle devrait enregistrer en 2026 un excédent lié à une baisse majeure de la natalité. Ce phénomène, de plus en plus inquiétant pour le moyen et le long terme, mérite d'être traité.
À l'inverse, la branche autonomie, qui fait face à une progression démographique soutenue de la population qu'elle concerne, nécessite une réforme adaptée, tout comme le financement des structures accueillant des personnes en situation de handicap et vieillissantes. Malgré les efforts importants consentis par les départements, la situation de cette branche, parent pauvre de notre système, nécessite une attention toute particulière.
Mes chers collègues, notre système de santé doit relever de nombreux défis. Nos concitoyens attendent des réponses justes et adaptées.
Certes, ce texte n'est pas parfait, mais il sera, grâce à notre contribution pragmatique, un outil utile. Je suis certain que la qualité de nos débats, à laquelle nous pouvons nous attendre, y contribuera pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale comprend la suspension de la réforme des retraites, en vertu de laquelle nous arrêterons le compteur à 62 ans et 9 mois pour les générations nées en 1964 et en 1965, lesquelles bénéficieront également d'une durée de cotisation stabilisée à 170 trimestres.
Cette suspension, vous la décriez, mes chers collègues du côté droit de l'hémicycle. Cette suspension, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, vous choisissez de la qualifier de « poudre de perlimpinpin », reprenant ainsi des mots du Président de la République.
Pourtant, je lis ce que disent les salariés concernés : ils attendent et ils espèrent. J'entends ce que disent la majorité des syndicats : ils approuvent et estiment que cette suspension n'est qu'un juste retour des choses après le conclave manqué sur les retraites, que le Medef (Mouvement des entreprises de France) a totalement saccagé.
Avec cette disposition, nous allons appuyer sur le bouton « stop ». Nous suspendons la réforme et nous lancerons un autre compteur, celui du temps du débat et de la réflexion collective, qui va nous permettre de travailler de nouveau sur le sujet des retraites et, je l'espère, sur celui de la protection sociale de manière générale, particulièrement celle des jeunes et des générations à venir.
Je note que, dans son rapport sur le PLFSS 2026, Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales a précisé que le coût de cette suspension serait, en fin de compte, assez minime. Aussi, mes chers collègues, je vous le dis : vous ne pourrez pas vous retrancher derrière ce fragile argument pécuniaire, puisqu'il tomberait tout de suite.
Vous affirmez, par ailleurs, que plus personne ne parle de la réforme des retraites et que nous en avons relancé le débat pour des raisons purement idéologiques.
Mme Pascale Gruny. Bien sûr !
Mme Monique Lubin. Vous vous trompez ! Je vous rappelle que c'est le Premier ministre François Bayrou qui a proposé aux syndicats que se tienne en 2025 une négociation au cours de laquelle aucun sujet ne serait tabou, pas même celui de l'âge… Ce conclave ayant lamentablement échoué, vous en tirez la conclusion hâtive que le débat est clos. Mais ce n'est absolument pas le cas !
Et si, dans les jours à venir, vous deviez choisir de vous opposer à l'article 45 bis et de laisser la réforme des retraites reprendre son cours, alors c'est vous qui feriez de manière éclatante la démonstration du fait que vous agissez, ou réagissez, pour des raisons strictement idéologiques.
M. Patrick Kanner. Très bien !
Mme Monique Lubin. Selon nous, cette suspension comporte plusieurs objectifs.
En premier lieu, nous répondons à une attente forte des salariés et des Français, qui n'ont pas admis la réforme de 2023 et pour lesquels celle-ci demeure une plaie ouverte.
En deuxième lieu, nous espérons contribuer, un tant soit peu, à la réparation d'un pays qui en a bien besoin.
En dernier lieu, nous agissons, concrètement et immédiatement, pour les salariés, en lançant un processus qui devra conduire au maintien et à la protection de notre système de retraites. En effet, il est insupportable d'entendre, partout, que nos jeunes ne bénéficieront pas d'un système de retraite.
Mme Pascale Gruny. C'est pourtant la vérité !
Mme Monique Lubin. Bien évidemment, puisque vous ne cessez de leur répéter, ils finissent par s'y résigner !
Il est tout aussi insupportable d'entendre que la baisse de la natalité ferait obligatoirement chuter notre système de retraites. C'est ne pas avoir confiance en l'avenir et ignorer la question des gains de productivité, lesquels pourraient encore s'accroître, notamment grâce à l'intelligence artificielle.
Le seul système de retraite qui garantit, aujourd'hui, une retraite pour tous – je dis bien : pour tous ! –, c'est le système par répartition. C'est celui pour lequel nous nous battrons, avec le cœur et la raison, mes chers collègues ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Pascale Gruny. Nous aussi !
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 20 novembre 2025 :
À dix heures trente, quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, transmis en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 122, 2025-2026) : discussion des articles.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON


