COM (2004) 474 final  du 14/07/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 15/11/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/07/2004
Examen : 08/06/2005 (délégation pour l'Union européenne)


Culture - Éducation

Communication de Mme Colette Melot sur les programmes Culture, Audiovisuel, Jeunesse, Éducation et formation 2007-2013

Textes E 2650, E 2651, E 2652 et E 2653

(Réunion du 8 juin 2005)

Le Sénat est saisi, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, de quatre propositions de la Commission européenne, qui concernent la culture, l'audiovisuel, l'éducation et la formation, ainsi que la jeunesse. Il s'agit de quatre nouveaux programmes de financement, qui succèderaient aux programmes actuels pour la période 2007-2013. Avant d'examiner le contenu de ces initiatives et de vous proposer une position, je rappellerai brièvement le cadre général de l'intervention européenne dans ces domaines.

I - LE CADRE ACTUEL

Certes, la volonté de mener des actions culturelles au niveau européen s'est exprimée dès les débuts de la construction européenne avec la phrase prêtée à Jean Monnet « si c'était à refaire, je commencerais par la culture », qui est sans doute apocryphe. Mais, ce n'est qu'avec le traité de Maastricht, en 1991, qu'une place a été officiellement reconnue à la culture et à l'éducation dans la Communauté européenne, avec l'introduction d'articles spécifiques dans les traités (à l'exception de la formation professionnelle qui figurait déjà dans le traité de Rome). Ainsi, il a fallu attendre plus de trente années, celles qui séparent le traité de Rome de celui de Maastricht, pour que la culture et l'éducation soient considérées comme des dimensions essentielles de l'identité européenne.

La reconnaissance d'une compétence de la Communauté européenne dans ces domaines s'est, en effet, heurtée à de nombreuses réticences. Certains États étaient méfiants à l'égard de la notion même de « politique culturelle », soit parce qu'ils considéraient que les autorités publiques n'avaient pas à intervenir en matière de culture, soit parce que la culture et l'éducation étaient le propre des régions, comme en Allemagne. En outre, les « petits » États craignaient un « impérialisme » des « grands » dans des domaines étroitement liés à l'identité nationale.

En définitive, l'introduction d'une compétence de la Communauté en matière de culture et d'éducation s'est faite avec retard et elle a été très encadrée dans les traités. En matière de culture et d'éducation, les États membres conservent, en effet, un rôle de premier plan. L'action de la Communauté se limite à encourager la coopération entre les États, à l'exclusion de toute harmonisation. Pour reprendre la classification prévue par le traité constitutionnel, la culture et l'éducation figurent parmi les « compétences d'appui », par opposition aux « compétences exclusives » ou aux « compétences partagées ». Dans ces domaines, les actions européennes ont donc pris essentiellement la forme de programmes de financement :

- le programme « Culture 2000 », qui permet d'accorder des subventions à certains projets culturels, notamment dans les domaines des arts plastiques, des arts du spectacle ou de la littérature ;

- le programme « Média », qui vise à soutenir le développement, la distribution et la promotion dans l'audiovisuel ;

- le programme « Jeunesse », qui vise principalement à encourager la mobilité des jeunes ;

- « Socrates » pour l'éducation, qui comprend notamment le programme « Erasmus », qui permet d'accorder des bourses aux étudiants qui effectuent une partie de leurs études dans un autre État membre ;

- et « Leonardo da Vinci » pour la formation professionnelle.

Ces programmes arrivent à échéance à la fin de l'année 2006. La Commission européenne a donc proposé de nouveaux programmes pluriannuels pour leur succéder, sur lesquels nous sommes appelés à nous prononcer.

II - LE CONTENU DES NOUVEAUX PROGRAMMES

Les nouveaux programmes proposés par la Commission européenne ressemblent beaucoup aux précédents. Trois principales modifications méritent, cependant, d'être mentionnées :

1. Tout d'abord, en ce qui concerne le contenu de ces programmes.

De manière générale, l'architecture générale de ces nouveaux programmes s'inspire des programmes actuels. Toutefois, le programme consacré à la culture serait assez nettement modifié par rapport au programme « Culture 2000 ».

En effet, comme le relève une évaluation réalisée par la Commission, ce dernier « poursuit un nombre trop élevé d'objectifs eu égard aux moyens financiers limités dont il dispose. Cela nuit à son efficacité et à sa « lisibilité » puisque les projets soutenus, multiples et variés, peuvent donner un sentiment de dispersion ». Autrement dit, en raison de ses objectifs dispersés et de son budget limité, ce programme tend à s'assimiler à un saupoudrage d'un intérêt réduit. Au titre des projets subventionnés par le programme « Culture 2000 » au cours de l'année 2004, on trouve, en effet, outre les subventions accordées à Lille et à Gênes au titre de « capitales européennes de la culture », des initiatives aussi variées que : la restauration d'une mosaïque d'une église byzantine en Syrie, l'organisation d'un congrès sur « l'art flamand sur la route atlantique du sucre », ou encore un projet sur le thème du « poème électronique ». Ces différentes initiatives, aussi sympathiques soient-elles, manquent à l'évidence de lignes directrices

Afin de rationaliser ce programme, la Commission européenne propose donc de le recentrer sur trois objectifs où l'Union européenne pourrait apporter une réelle « valeur ajoutée » :

- la mobilité des personnes travaillant dans le secteur culturel ;

- la circulation transnationale des oeuvres ;

- le dialogue interculturel.

Elle envisage, par ailleurs, d'apporter un soutien prioritaire aux projets susceptibles d'avoir un large impact sur le public et des effets structurants sur la coopération entre les opérateurs.

Ce recentrage sur les domaines où l'Union européenne peut apporter une réelle « plus value » répond aux préoccupations exprimées par notre collègue Maurice Blin, dans le rapport sur « l'Europe et la culture » qu'il avait présenté devant la délégation en 2001.

2. La seconde modification porte sur la simplification et l'amélioration de la gestion de ces programmes, notamment en matière de délai de traitement des dossiers et de diminution des frais de gestion.

Il s'agit là d'une évolution notable, car ces programmes sont très critiqués par les utilisateurs, en raison de leur complexité, de leur opacité et de leur lourdeur. L'amélioration et la simplification de la gestion de ces programmes, notamment par une plus grande décentralisation, paraissent donc indispensables.

3. Enfin, la Commission européenne propose une augmentation très significative du budget de chacun de ces programmes.

Ainsi, le budget du programme consacré à la culture, qui était de 294 millions d'euros pour la période 2000-2006, passerait à 408 millions d'euros pour la période 2007-2013, soit une augmentation de l'ordre de 40 %. Pour l'audiovisuel, l'augmentation serait de 65 %, avec un budget qui passerait de 638 millions d'euros à plus d'un milliard d'euros sur sept ans. Mais c'est surtout l'éducation qui verrait son budget considérablement augmenter, puisque celui-ci passerait d'environ 4 milliards à 13,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 246 %.

La justification apportée par la Commission à cet accroissement du budget tient, d'une part, à l'augmentation du nombre de pays bénéficiaires depuis le dernier élargissement et, d'autre part, à l'importance de ces secteurs, en particulier de l'éducation, pour la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne, visant à faire de l'Union européenne l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde à l'horizon 2010. La Commission européenne fixe donc des objectifs ambitieux comme, par exemple, tripler le nombre d'étudiants bénéficiaires du programme Erasmus. A ce jour, près d'un million d'étudiants, soit environ 3 %, ont bénéficié de ce programme. La Commission européenne se fixe l'objectif d'atteindre un total de 3,7 millions d'étudiants d'ici 2010.

III - QUE PENSER DE CES INITIATIVES ?

Les discussions au sein du Conseil sur ces nouveaux programmes viennent seulement de débuter. De manière générale, les États membres ont plutôt réservé un bon accueil aux propositions de la Commission européenne, notamment le gouvernement français. On peut cependant craindre un clivage entre les « petits » et les « grands » États à propos de l'architecture de ces programmes. Ainsi, en matière audiovisuelle, plusieurs « petits » États ont réclamé plus de moyens pour le développement, voire l'introduction d'aides à la production. Cette tendance traduit le souci de ces « petits » États, qui sont aussi des « petits » producteurs, de chercher à soutenir en priorité leur production, y compris au niveau communautaire, quand les aides nationales demeurent insuffisantes. À l'inverse, les grands États, comme la France, ne sont pas favorables à l'introduction d'aides à la production, qui devraient selon elles, relever des politiques nationales.

Toutefois, le point central des négociations devrait porter sur l'augmentation du budget proposée par la Commission. Le volet financier avait d'ailleurs déjà constitué la principale pierre d'achoppement lors des négociations des précédents programmes, avec le souhait de certains pays, fortement contributeurs nets au budget communautaire, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, de limiter la part des financements consacrée à ces programmes. À cet égard, il est symptomatique que cette question n'ait pas été évoquée jusqu'à présent, car elle est étroitement liée aux discussions sur les prochaines perspectives financières de l'Union.

La culture et l'éducation risquent-ils de faire les frais de ces négociations et de se retrouver comme des « variables d'ajustement » ? Pour ma part, je ne le crois pas. La part du budget communautaire consacrée à la culture et à l'audiovisuel ne représente aujourd'hui qu'une goutte d'eau avec 0,12 % du budget communautaire. Avec l'augmentation proposée par la Commission européenne, cette part devrait passer à 0,15 %, ce qui représente moins de 45 centimes d'euro par an et par habitant. Même avec l'éducation, cette part resterait inférieure à 2 % du budget total de l'Union. Comme l'a souligné une des personnalités que j'ai rencontrées, la question de la place de la culture et de l'éducation dans les prochaines perspectives financières de l'Union « figure dans l'épaisseur du trait ».

Les autorités françaises, quant à elles, ont plaidé récemment, dans un « Mémorandum sur la coopération culturelle », pour qu'« une forte progression des montants attribués aux programmes spécifiquement dédiés à la culture et à l'audiovisuel soit envisagée dans les années à venir ». La France est d'ailleurs souvent le premier bénéficiaire des programmes communautaires, notamment dans le domaine de l'audiovisuel (avec un taux de retour de l'ordre de 25 %). En outre, la France a été, avec l'Allemagne, l'Espagne et la Suède, à l'origine du « Pacte européen de la jeunesse », qui a été adopté par le Conseil européen des 22 et 23 mars derniers. Ce Pacte vise à faire de la jeunesse une priorité de l'Union européenne dans le cadre du processus de réexamen à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne. Une forte augmentation des budgets consacrés à l'éducation et à la jeunesse est nécessaire pour concrétiser cette orientation.

Enfin, la procédure de décision en matière d'audiovisuel se trouve sensiblement améliorée depuis l'entrée en vigueur du traité de Nice. En effet, le programme de soutien à l'audiovisuel se fonde sur l'article 157 du traité instituant la Communauté européenne, relatif à l'industrie. Or, le traité de Nice a permis de passer dans ce domaine de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et à la codécision avec le Parlement européen. Ainsi, seul le programme relatif à la culture reste aujourd'hui soumis à la contrainte de l'unanimité au sein du Conseil. Surtout, l'ensemble de ces programmes nécessite un accord complet entre le Conseil et le Parlement européen. Or, ce dernier a toujours réclamé plus de moyens pour les actions communautaires dans ces domaines.

Comme cela a été souligné lors des « Rencontres pour l'Europe de la culture », organisées à Paris en mai dernier, les artistes et, plus généralement, les citoyens, expriment de fortes attentes à l'égard de l'Europe pour renforcer la connaissance réciproque des différentes cultures. Je suis donc persuadée qu'une issue favorable pourra être trouvée.

Je voudrais, enfin, évoquer deux autres questions, qui n'ont pas un lien direct avec les textes soumis à notre examen, mais qui présentent une importance particulière pour ces domaines : la révision de la directive dite « Télévision sans frontières » et la future convention de l'Unesco sur la diversité culturelle.

Sur la directive « Télévision sans frontières » (TSF), je rappellerai que cet instrument constitue avec le programme « Média » la clé de voûte de la politique audiovisuelle européenne. Elle vise deux objectifs :

- créer un marché commun de radiodiffusion télévisuelle en permettant la libre circulation des émissions de télévision, notamment par l'application du principe du pays d'origine (chaque radiodiffuseur est soumis à la législation de son pays d'établissement) ;

- elle a aussi des objectifs culturels. Elle impose, en effet, des quotas de production et de diffusion des oeuvres européennes.

Adoptée en 1989, la directive TSF a été révisée une première fois en 1997. Elle fait à nouveau l'objet, depuis 2002, d'un processus de réexamen, qui doit conduire à une proposition de révision à la fin de cette année. Cette révision devrait permettre notamment de prendre en compte les évolutions technologiques, comme le numérique ou la télévision sur Internet. Mais elle pourrait toutefois conduire certains États membres à vouloir remettre en cause les quotas d'oeuvres européennes, auxquels la France est très attachée.

Le deuxième sujet que je voudrais aborder concerne la future convention de l'Unesco sur la « diversité culturelle ».

L'expression de « diversité culturelle », que l'on préfère aujourd'hui à celle d'« exception culturelle » et qui lui est synonyme, désigne l'exclusion de la culture et de l'audiovisuel de la sphère purement économique et commerciale. Elle confère à ces domaines un caractère singulier par rapport à tous les autres biens et services. Cette expression avait notamment été mise en avant lors des négociations à l'OMC, lors du cycle de l'Uruguay Round, et elle avait resurgi au moment de la négociation de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement) dans le cadre de l'OCDE. Les controverses à son sujet ne sont pas closes puisque la culture et l'audiovisuel figurent toujours parmi les dossiers à traiter dans le cadre des futures négociations de l'OMC.

Dans ce contexte, la France a été l'un des principaux promoteurs d'une convention sur la diversité culturelle négociée et adoptée dans le cadre de l'UNESCO, qui constitue l'enceinte par excellence pour traiter de ces sujets. Le principe d'une telle convention avait été accepté dans une résolution adoptée à l'unanimité, en octobre 2003, lors de la 32ème session de la Conférence générale de l'UNESCO. En juillet de l'année dernière, un avant-projet de convention a été proposé par le directeur général de cette organisation. Un comité de rédaction, dans lequel la France est représentée, est actuellement chargé d'élaborer des propositions d'amendements. Cette convention devrait être adoptée lors de la Conférence générale de l'UNESCO au second semestre 2005. Toutefois, certains États membres de l'Union européenne, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, restent opposés au principe même de cette convention. Il convient donc de rester vigilant sur ce point.

En conclusion, je vous proposerai d'approuver les orientations proposées par la Commission européenne pour ces nouveaux programmes et de vous tenir étroitement informés des discussions relatives à la révision de la directive « télévision sans frontières » et à la future convention de l'Unesco sur la « diversité culturelle ».

Compte rendu sommaire du débat

M. Yann Gaillard :

L'action de l'Union européenne en matière culturelle est trop souvent méconnue, à l'exception peut-être de l'audiovisuel. Étant rapporteur du budget pour la culture au sein de la commission des finances de notre assemblée, je peux en témoigner : l'Europe n'est jamais citée dans les documents budgétaires.

Il y a un aspect auquel j'attache une importance particulière, c'est celui de l'« exception culturelle ». Au cours de la récente campagne référendaire dans notre pays, j'ai souvent entendu dire que la Constitution européenne apportait une meilleure garantie de l'« exception culturelle ». Or, la question est en réalité d'une grande complexité. En effet, l'« exception culturelle » est actuellement doublement protégée, puisque tout accord international relatif à la culture et à l'audiovisuel doit d'abord recueillir l'unanimité des voix au sein du Conseil, puis faire l'objet d'une ratification par tous les États membres.

Or, le traité constitutionnel aurait entraîné deux changements importants. D'une part, il n'y aurait plus eu de ratification par les États membres puisque la politique commerciale commune serait devenue une compétence exclusive de l'Union. D'autre part, la négociation et la conclusion des accords portant sur les services culturels ou audiovisuels n'auraient plus été soumises à la règle de l'unanimité, mais au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil. C'est uniquement lorsque ces accords risquaient de « porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union » que la règle de l'unanimité était maintenue. Ainsi, la Constitution européenne procédait à une sorte de « renversement de la charge de la preuve » puisque la majorité qualifiée devenait la règle et l'unanimité l'exception.

M. Hubert Haenel :

L'« exception culturelle » a été une question très débattue lors des travaux de la Convention européenne, car de nombreux États n'y étaient pas favorables. C'est grâce à l'action opiniâtre de l'ensemble des conventionnels français qu'il a été possible d'obtenir qu'elle figure dans le traité constitutionnel. Encore ce résultat n'a-t-il été obtenu qu'à l'ultime fin des travaux de la Convention.

M. Jean Bizet :

Pour suivre de près les travaux au sein de l'OMC, je peux témoigner des inconvénients de l'expression couramment utilisée en France d'« exception culturelle », qui est perçue de manière négative par la plupart des autres États qui y voient une forme d'arrogance française. Je pense donc qu'il est préférable d'employer aujourd'hui l'expression de « spécificité culturelle » ou, mieux encore, de « diversité culturelle », qui est mieux perçue par nos partenaires, et qui témoigne du même souci de considérer certains domaines, comme la culture, l'éducation ou la santé, comme étant spécifiques. En effet, la culture, l'éducation ou la santé ne sont pas des marchandises comme les autres. Il est donc légitime de les exclure du champ de la libéralisation des services. Il ne faudrait pas donner aux adversaires de la mondialisation des arguments supplémentaires qui laisseraient penser que la mondialisation est synonyme d'uniformisation, voire d'américanisation. La notion de « diversité culturelle » présente, en outre, l'avantage de mettre l'accent sur l'enrichissement que constitue la diversité de nos différentes cultures.

M. Yann Gaillard :

Notre ancien collègue Jean Cluzel, dans l'un de ses ouvrages consacré à l'audiovisuel, insistait précisément sur les inconvénients de l'expression d'« exception culturelle ». Il préférait quant à lui parler d'« exemption culturelle » et il mettait en valeur le rôle moteur joué par le Canada pour préserver la spécificité de sa culture par rapport à celle de son grand voisin.

M. Robert del Picchia :

Dans toutes les enceintes internationales, on emploie aujourd'hui l'expression de « diversité culturelle ». L'« exception culturelle » est une sorte de « chiffon rouge » que certains pays agitent pour en réalité la dénoncer. Ce qui compte, en définitive, au-delà de l'expression que l'on emploie, c'est que la spécificité de la culture soit reconnue. Comme l'illustre la devise de l'Union européenne « Unie dans la diversité », la diversité des cultures est une richesse de l'Europe. On touche d'ailleurs ici à l'originalité de la construction européenne, qui associe vingt-cinq pays tout en préservant les spécificités de chacune des cultures, des langues et des traditions. Le modèle européen est très différent de celui des États-Unis qui ont imposé l'usage d'une langue unique ; il est nécessaire de le préserver, notamment dans le cadre de l'OMC.

M. Roland Ries :

Je ne partage pas, pour ma part, le sentiment qui vient d'être exprimé. Sans entrer dans une discussion d'ordre sémantique, je pense que l'expression d'« exception culturelle » et celle de « diversité culturelle » sont bien distinctes. L'« exception culturelle » signifie que la culture n'est pas une marchandise, alors que la « diversité culturelle » met l'accent sur le respect de toutes les cultures. Il s'agit donc de deux expressions qui ont une signification et une portée différentes. La première me paraît garder toute sa pertinence, comme l'illustre le débat sur la proposition de directive relative à la libéralisation des services, avec la question de l'exclusion entre autres de la culture du champ d'application de cette directive.

Par ailleurs, j'ai été assez étonné d'apprendre que l'Union européenne accordait une subvention à un projet relatif au « poème électronique ». L'expression est jolie - on pense aux calligrammes d'Apollinaire - mais on se demande ce que cela recouvre.

Mme Catherine Tasca :

Sans vouloir moi non plus entrer dans un débat d'ordre sémantique qui dure depuis déjà une dizaine d'années, je pense également que les deux expressions sont indispensables car, en réalité, elles sont indissociables l'une de l'autre. La « diversité culturelle » représente l'horizon politique à atteindre, tandis que l'« exception culturelle » est le moyen pour atteindre cet objectif. L'« exception culturelle » désigne, en effet, le fait de placer la culture en dehors des règles du marché. Or, au sein de l'OMC, cette exigence se heurte à une forte opposition de la part de certains États. Si on met aujourd'hui l'accent sur la « diversité culturelle » pour des raisons d'ordre diplomatiques, je crois cependant qu'il ne faut pas perdre de vue l'« exception culturelle » qui me paraît garder toute sa pertinence.

Je viens d'ailleurs de prendre connaissance de la version finale du projet de convention sur la diversité culturelle de l'UNESCO, qui devrait être adopté à l'automne. Ce document, d'une quinzaine de pages, qui n'a pas été rendu public, contient notamment dans l'un de ses articles des dispositions qui préservent le droit des États de mettre en oeuvre leur propre politique culturelle à travers des textes normatifs ou des aides financières. Ainsi, le droit des États d'édicter des lois et des règlements, par exemple pour protéger les monuments historiques, ou d'accorder des subventions, par exemple au cinéma, serait explicitement consacré. Il s'agirait là d'une grande avancée car, pour la première fois, ce droit serait consacré dans un texte international.

Mme Colette Melot :

Le « poème électronique » fait référence à une création artistique, une sorte d'installation virtuelle, réalisée en 1958, lors de l'exposition universelle de Bruxelles, imaginée par Le Corbusier avec la participation des compositeurs Edgar Varese et Iannis Xenakis. Le projet subventionné dans le cadre du programme « Culture 2000 » vise à reproduire cette installation virtuelle dans le but de rendre hommage à cette première forme de création, représentative de « l'ère électronique ». Il a reçu une subvention de l'Union européenne de près de 100 000 euros pour l'année 2004.