COM (2011) 747 final  du 15/11/2011

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 25/11/2011
Examen : 01/03/2012 (commission des affaires européennes)


Economie, finances et fiscalité

Textes E 6833 et E 6834

Communication de M. Eric Bocquet sur les agences de notation

COM (2011) 746 final et COM (2011) 747 final

(Réunion du jeudi 1er mars 2012)

M. Simon Sutour, président. - Nous en sommes parvenus à l'examen des textes présentés par la Commission européenne sur les agences de notation. Ce sujet est d'importance puisqu'il vient de motiver la création par le Sénat d'une mission d'information, dont nous allons enrichir le travail.

M. Éric Bocquet. - J'ai été désigné à l'automne dernier par notre commission pour étudier les propositions de la Commission européenne concernant la notation de crédit. Nous avons été saisis au titre de l'article 88-4 de la Constitution de deux textes, l'un concernant le recours excessif aux notations par les gestionnaires d'OPCVM et de Fonds d'investissements alternatifs, il s'agit du texte E 6833, et l'autre proposant de modifier le règlement de 2009 encadrant les activités des agences de notations, il s'agit du texte E 6834, plus communément appelé CRA 3.

Le Sénat a créé entretemps une mission d'information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notations, dont notre collègue, Aymeri de Montesquiou, a été nommé rapporteur et dont je serai membre. Je me propose de remettre à la mission nos conclusions sur ces deux textes.

Comme vous le savez, le rôle des agences de notation est l'objet depuis quelques mois de tous les fantasmes. Nous avons tous été sollicités par nos concitoyens inquiets des conséquences d'une perte du triple A pour notre économie et donc notre quotidien. Concitoyens qui ne connaissaient pas, pour une large partie d'entre eux, l'existence de ces agences il y a encore quelques mois. Alors même que leur activité remonte, pour certaines d'entre elles, au dix-neuvième siècle. Nous avons ainsi assisté à une véritable fétichisation du triple A, sans mesurer que des États ou des entreprises vivent bien avec des notes plus basses.

Tout a été dit ou presque sur le fonctionnement de ces agences : leur fonctionnement obscur, leur origine américaine, les marges qu'elles peuvent réaliser ou encore le caractère oligopolistique du marché de la notation, dominé, comme vous le savez, par les trois grandes agences que sont les américaines Standard & Poor's et Moody's et la franco-américaine Fitch. Les erreurs de diagnostic à l'occasion de la crise asiatique et de celle des subprimes ou l'effet supposé procyclique de leurs jugements ont été régulièrement soulignés.

A l'issue des neufs auditions menées ces deux dernières semaines, ma vision sera sans doute plus nuancée. Je reconnais bien volontiers la pertinence de certaines critiques. La crise des subprimes et celle de la zone euro ont accordé aux agences une importance démesurée au regard de leur poids réel. Je suis néanmoins plus sceptique sur la réponse qu'entend y apporter l'Union européenne.

Revenons dans un premier temps sur l'état actuel de la réglementation communautaire mais aussi extracommunautaire.

La crise des subprimes a permis de relever nombre de dysfonctionnements au sein de ces agences. Je pense notamment aux conflits d'intérêts. Le modèle économique de ces agences, celui de l'émetteur-payeur, a pu induire une forme de complaisance des analystes à l'égard de ces produits financiers complexes. La responsabilité de la crise n'incombe pas totalement, loin de là, aux seules agences. L'occasion a néanmoins été donnée de réguler le marché de la notation.

La supervision de ce marché était en effet minimale. A la suite de la faillite de la société Enron, l'Organisation internationale des commissions des valeurs (OICV), chargée de la régulation des marchés financiers au niveau mondial avait néanmoins établi en 2003 et 2004 un certain nombre de principes censés garantir l'objectivité et la qualité du processus de notation. Ces textes visaient principalement la prévention des conflits d'intérêts. Ils insistent sur la mise en place de procédure interne en la matière et sur la séparation entre activités commerciales et analyse (le chinese wall). Le régulateur américain, la Securities exchange commission (SEC), qui voit son rôle de régulation et de supervision renforcé par la loi Dodd-Frank de juillet 2010, a donné à ce code de bonne conduite une valeur contraignante. Les trois grandes agences ont ainsi entrepris une réforme de leur fonctionnement découlant de ces principes.

Aux États-Unis, les agences sont obligatoirement enregistrées auprès de la SEC qui leur octroie depuis 1975 le statut NRSRO (Nationally recognized statistical rating organizations). Cette procédure d'enregistrement a été renforcée en 2006, limitant à 10 le nombre d'agences dont les notes peuvent être utilisées par les banquiers et les investisseurs.

Au niveau de l'Union européenne, le règlement n°1069/2009 du 16 septembre 2009 intègre cette procédure d'enregistrement au sein du droit communautaire. Toute agence souhaitant travailler au sein de l'Union européenne doit au préalable se faire enregistrer. Cette procédure d'enregistrement s'est terminée le 31 octobre dernier. Le texte vise également, à contenir les risques de conflits d'intérêts, en exigeant notamment une plus grande indépendance des parties prenantes au processus de notation. Il préconise à cet égard la rotation des analystes. Les agences doivent, dans le même temps, mettre en place un système de contrôle interne. Elles sont tenues, en outre, d'informer l'émetteur de l'évolution de sa note douze heures avant la publication de celle-ci. Les méthodes utilisées, les modèles et les hypothèses doivent également être publiés.

Le règlement n°513/2011 du 11 mai 2011 a ensuite confié à l'Autorité européenne des marchés financiers l'octroi de l'agrément mais aussi des pouvoirs de supervision et d'enquête.

Le déclenchement de la crise grecque et la dégradation concomitante de la note d'Athènes a conduit la Commission à engager une nouvelle consultation en vue d'amender le règlement de 2009 et renforcer ainsi la législation existante.

L'étude de ce dispositif constituera le deuxième temps de mon exposé.

La proposition de modification du règlement de 2009, le texte CRA 3, poursuit 3 objectifs :

- Réduire la dépendance excessive des investisseurs aux notations ;

- Renforcer la concurrence sur le marché de la notation, afin notamment de mieux lutter contre les risques de conflits d'intérêt ;

- Mettre en place un régime de responsabilité civile des agences destiné à protéger les investisseurs en cas d'infraction délibérée ou par négligence à la norme européenne.

Venons-en au premier point : la « désintoxication aux notes », pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Jouyet. Elle doit effectivement faire figure de priorité tant elle est le coeur du problème. Il convient cependant de rappeler que le législateur ou le régulateur, selon les cas, a une responsabilité importante dans ce phénomène de dépendance aux notes puisque c'est lui qui inscrit dans la norme l'obligation pour certains investisseurs de détenir des titres de dettes bien notés. Ce faisant, il contribue largement à l'effet procyclique des notations, ces investisseurs vendant rapidement les titres subissant une dégradation de leurs notes. En bref, nous avons-nous-mêmes créer le monstre !

Au niveau international le Conseil de stabilité financière (CSF) a publié en octobre 2010 des principes pour réduire cette dépendance. Ces principes ont été repris par le G 20 à Séoul en novembre 2010. Au niveau communautaire, le projet de directive CRD 4 propose déjà d'instaurer une règle imposant aux banques et aux entreprises d'investissement d'évaluer elles-mêmes le risque des titres de dette dans lesquelles elles investissent.

Le texte CRA 3 impose aux émetteurs de renforcer la communication d'informations sur leurs titres de façon à ce que les investisseurs puissent procéder à leurs propres évaluations de crédits. Les établissements de crédit, les sociétés d'investissement, d'assurance et de réassurance, les institutions de retraite professionnelle, les sociétés de gestion et d'investissement et les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs sont invités à évaluer eux-mêmes les risques de crédit. Le texte E 6833 oblige, à ce titre, les sociétés de gestion en charge d'organismes de placement collectif en valeur mobilière (OPCVM) et les gestionnaires de Fonds d'investissement alternatif à ne pas se fier exclusivement ou mécaniquement à des notations de crédit externe pour évaluer la qualité des fonds.

Parallèlement, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l'Autorité bancaire européenne et l'AEMF sont invitées d'ici au 31 décembre 2013 à supprimer de leurs orientations et de leurs recommandations les références aux notations de crédit

Si l'objectif poursuivi est donc plus que légitime et mérite d'être encouragé, il sera néanmoins nécessaire de mettre en place, à l'avenir, des alternatives crédibles à la notation de crédit.

Par ailleurs, au regard de cette ambition, je m'étonne que la Commission souhaite la mise en place d'un indice européen des notes (EURIX) et envisage la création d'une échelle de notation harmonisée, afin d'améliorer la comparabilité des notes. EURIX réunirait ainsi en temps réel toutes les notations publiées afin de mieux informer les investisseurs. L'incitation à se désintoxiquer de la notation est de fait toute relative.

Plus largement, le projet d'échelle de notation harmonisée, qui serait mise en place par l'AEMF, n'est pas sans susciter d'interrogations sur le rôle de cette Autorité. Sa mission est jusqu'à aujourd'hui claire : l'AEMF n'a pas à contrôler la pertinence des méthodologies. La création d'une échelle harmonisée devrait logiquement la conduire à une réflexion sur la valeur des critères retenus par les agences, pour tenter d'en faire une synthèse. Chaque agence a pourtant un modèle spécifique. Ainsi, la grille de Standard & Poor's se fonde exclusivement sur le risque de défaut d'une entité là où celle de Moody's définit le risque de pertes.

Un tel projet ne peut, en outre, qu'aboutir à un risque de standardisation de la notation. Quel serait dès lors l'intérêt pour un nouvel acteur d'entrer sur le marché de la notation ? L'objectif d'intensification de la concurrence dans ce secteur serait dès lors remis en cause. Ce faisant, il est à craindre que dans son projet de règlement modifié, la Commission ait tenté d'assimiler la notation à d'autres métiers répondant à des normes figées. La note d'un émetteur n'est pas assimilable à une norme comptable de type IFRS. Cette dernière évalue un passif selon des critères précis, là où la note présente une hypothèse, par essence aléatoire.

Abordons maintenant la question du renforcement de la concurrence et de la lutte concomitante contre le risque de conflit d'intérêts.

Aux termes du projet de texte CRA 3, une agence de notation sollicitée par un émetteur ne devrait pas rester en place plus de trois ans, ou plus d'un an si elle a déjà noté plus de dix titres d'un même émetteur. Cette règle de rotation ne s'impose que pour une seule agence si l'émetteur en a sollicité plusieurs. La durée d'engagement d'une agence ne peut toutefois dépasser six ans. La règle de rotation prévoit que l'agence arrivant au terme de son contrat ne pourra plus noter l'émetteur durant quatre ans.

Une telle rotation n'est pas, là encore, sans rappeler les règles imposées aux auditeurs. Elle pose également la question de la survie des petites agences, travaillant pour la plupart sur des niches biens précises (sociétés d'assurances, etc.). Comment ces petites structures peuvent-elles perdurer durant les quatre ans où elles ne sont pas rémunérées ?

En outre, en ce qui concerne la notation en elle-même, des doutes subsistent sur sa valeur dès lors que les périodes d'analyse en profondeur des titres sont limitées dans le temps et ne permettent pas l'acquisition d'une connaissance poussée de l'émetteur.

Le renforcement de la concurrence ne saurait constituer une fin en soi surtout si elle s'opère au détriment de la qualité de la notation. L'amélioration de celle-ci fait pourtant figure de priorité pour la Commission depuis 2009. Par ailleurs, cette règle est destinée à ne s'appliquer que sur le territoire de l'Union européenne. Face au risque de volatilité des notes, les investisseurs extracommunautaires pourraient être tentés de privilégier des titres extracommunautaires qui bénéficieraient, eux, d'une certaine stabilité en matière de notation.

De fait, un tel principe ne saurait in fine favoriser la montée en puissance d'agences de taille réduite. Elle n'incitera pas non plus d'autres acteurs à s'insérer sur le marché.

Notons, par ailleurs, que les dispositions destinées à limiter les fusions d'agences pourraient paradoxalement ne pas servir le renforcement de la concurrence. L'agence Fitch s'est ainsi constituée dans les années 90 en prenant progressivement des parts au sein de petites agences spécialisées et peut désormais rivaliser avec Standard & Poor's et Moody's. Or aux termes du projet CRA 3, tout membre ou actionnaire d'une agence de notation détenant une participation d'au moins 5 % dans une agence ne peut prendre une participation de plus 5 % au sein d'une autre.

Une disposition concernant la structure de l'actionnariat semble, quant à elle, aller dans le bon sens. Une agence ne pourrait émettre une notation en cas de conflit d'intérêt potentiel ou effectif lié à l'implication d'une personne détenant plus de 10 % du capital ou des droits de vote de l'agence ou se trouvant en position d'exercer un influence sur son activité. Cette disposition devrait notamment résoudre les difficultés que peuvent poser par exemple la présence de Véolia au sein du conseil d'administration de Fitch.

Le règlement de 2009 prévoit une rotation interne au sein des agences en vue d'éviter les conflits d'intérêt. Il s'agit sans doute dans ce domaine de la solution la plus adaptée. Au delà, une réflexion pourrait être menée sur un système d'appel d'offres centralisé en vue d'accroître la concurrence entre les agences tout en maintenant intact l'objectif d'améliorer la qualité de la notation. La SEC américaine mène actuellement une étude à ce sujet.

Dernier point concernant la concurrence : son introduction à marche forcée ne semble pas faire l'unanimité au sein même de la Commission. L'abandon du projet d'agence européenne de notation vient en témoigner. Le risque d'absence de crédibilité du projet et son coût important - entre 300 et 500 millions d'euros - en sont les principales raisons. A l'aune de l'expérience de Fitch, on constate que la concurrence ne saurait se décréter. Elle n'est possible que si les acteurs acquièrent une certaine crédibilité. Celle-ci passe par une couverture importante de la plupart des émetteurs par secteur et donc par des investissements colossaux. Ceux-ci seraient difficiles à mettre en oeuvre si CRA 3 venait à être appliqué.

Venons-en maintenant au troisième objectif du texte CRA 3, la mise en place d'un régime de responsabilité civile. Elle apparaît à la réflexion plutôt comme un effet d'annonce, posant autant de problèmes qu'elle n'en résout. Il est coutume de présenter les notations comme des avis bénéficiant à ce titre de la protection absolue du premier amendement de la Constitution américaine. La multiplication des contentieux aux États-Unis mais aussi en Europe prouve que cette apparente immunité n'est qu'un leurre. Rappelons qu'en France, la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 interdit toute clause exonératoire de responsabilité des agences dans les contrats de notation.

Si nous nous bornons à une analyse juridique, la proposition de la Commission suscite certaines interrogations. La responsabilité civile d'une agence serait engagée dès lors qu'elle enfreindrait le règlement européen intentionnellement ou par négligence grave, et ce faisant, lèserait l'investisseur. Le texte vise avant tout à protéger les investisseurs et préconise à cet effet l'inversion de la charge de la preuve. Les agences attaquées par les investisseurs auront à prouver qu'elles ne les ont pas lésés. Un tel raisonnement est à rebours de nombre de traditions juridiques au sein des États membres. Le Parlement suédois s'est ainsi officiellement opposé à ce point, arguant d'un problème de subsidiarité.

Au delà, cette disposition risque de générer une explosion du contentieux, ce qui peut apparaître contradictoire avec le souhait de la Commission de renforcer la concurrence au sein du marché de la notation, en dissuadant de nouveaux acteurs d'entrer dans ce secteur.

Par ailleurs, le règlement initial sur les agences de 2009 accorde déjà à l'AEMF un pouvoir d'investigation et de sanction, en cas de violation du règlement européen. L'AEMF peut ainsi retirer l'agrément à une agence, ce qui équivaut pour elle à une fin d'activité. Les contrôles en la manière ont débuté le 1er novembre dernier. Il serait souhaitable de laisser l'Autorité européenne mener à bien son travail avant de décider si l'arsenal juridique doit être renforcé.

Plus subtilement, le régime de responsabilité civile crée une forme de logique assurantielle pour les investisseurs, finalement peu couteuse en raison de l'inversion de la charge de la preuve. Ce faisant, il renforce le recours exclusif à la notation, les investisseurs pouvant s'estimer juridiquement protégés.

Pour conclure, au delà des trois objectifs annoncés, je m'interroge sur l'adéquation du texte CRA 3 à ses ambitions initiales. Rappelons-le, c'est bien la poursuite de la crise de la dette qui a conduit l'Union européenne à légiférer à nouveau. Or les dispositions relatives à la notation des crédits souverains demeurent somme toute relativement modestes. Le principe d'une interdiction de la notation des pays placés sous assistance financière n'a finalement pas été retenu dans le projet présenté par la Commission, le collège des commissaires s'y étant opposé. La notation de la dette d'un État en difficulté devait dans le projet initial de la Commission être suspendue deux mois, dès lors que l'Autorité européenne des marchés financiers constatait une menace immédiate pour la stabilité financière du pays, un risque de volatilité excessive, une modification imminente de sa situation budgétaire, notamment si une négociation était en cours avec les bailleurs de fonds internationaux.

Rien n'est également proposé concernant une éventuelle interdiction des notations non sollicitées, pourtant régulièrement contestées.

Plus largement, il y a lieu de s'interroger sur un texte rédigé pour partie en réaction à la crise de la dette et dont les effets seront plus déterminants pour les émetteurs privés que pour les États, dont la plupart des notes sont non-sollicitées. Un souci de cohérence aurait dû conduire la Commission à aborder plus franchement la question de l'utilité réelle de la notation de la dette souveraine. Si elle constitue un élément de contexte pour la notation des émetteurs privés, elle ne répond pas à un impératif économique pour les agences, qui ne sont que très rarement rétribuées pour ce type de travail.

Il est à cet égard regrettable qu'aucune réflexion ne soit lancée sur une définition plus adaptée de la notion de défaut. Rappelons qu'aujourd'hui, on l'a vu notamment dans le dossier grec, toute restructuration de la dette, fut-elle limitée à 0,1 % de l'encours est potentiellement assimilable à un défaut.

Par delà la question de la notation de la dette souveraine, je trouve enfin étonnant que la Commission n'ait pas spécifiquement abordé les zones d'ombres qui entourent encore la rémunération des agences de notation, leurs barèmes demeurant relativement opaques. La question de la pertinence du modèle émetteur-payeur demeure entière si l'on souhaite réellement lutter contre les conflits d'intérêts. Après tout, mes élèves ne me payaient pas pour que je leur mette une note lorsque j'étais enseignant !

Au regard de ces remarques, ce texte semble plus le fruit de la volonté de chercher un bouc émissaire à la crise de la dette que le résultat d'une analyse objective de la situation. Les agences de notation sont avant tout un thermomètre. Ce n'est pas en le cassant que nous parviendrons à résoudre les difficultés qui sont les nôtres. Sans vouloir défendre les agences, je relève simplement qu'un rapport de la Cour des Comptes critiquant la gestion d'un État prête beaucoup moins le flanc à la critique qu'une communication d'une agence sur la dérive budgétaire constatée dans ce pays, alors que le diagnostic est sensiblement le même.

Il ne s'agit pas de dénier à l'Union européenne le droit de réguler dans ce domaine comme dans d'autres touchant à la sphère financière. Il convient néanmoins de s'interroger dans le cas présent sur l'efficacité d'un nouvel arsenal, compte tenu notamment de la taille mondiale du marché. A l'extraordinaire dérégulation des marchés financiers durant plus de trente ans ne doit pas répondre un coup de balancier inverse, dont la sincérité des motivations pourrait être mise en doute.

De plus, avant l'adoption de toute nouvelle norme communautaire, il est indispensable d'évaluer les effets des deux précédents règlements, alors même que ceux-ci ne sont réellement efficients que depuis le 1er novembre dernier.

Je vous propose d'adopter des conclusions qui pourront être transmises à la mission d'information.

M. Simon Sutour, président. - À n'en pas douter, les conclusions de notre commission enrichiront la réflexion de la mission commune d'information.

M. Aymeri de Montesquiou. - Ce rapport est si fouillé que nous pourrons nous en inspirer allègrement et que je m'interroge presque sur l'utilité de notre mission commune d'information !

Vous avez parlé de concurrence. Je crois savoir que 38 % du capital de Standard and Poor's et de Moody's seraient détenus par les mêmes actionnaires ! Pour ce qui est du rôle des banques, nous avons un exemple frappant avec Goldman Sachs, qui après avoir maquillé les comptes de la Grèce, a conseillé de jouer contre les obligations grecques : c'est effarant ! Quelle est la corrélation entre les banques et les agences de notation ? Lorsqu'une agence dégrade un pays, certaines banques y trouvent sûrement leur compte, puisque ce pays doit emprunter plus cher. Il faut s'interroger sur ces collusions qui seraient durement sanctionnées aux Etats-Unis. L'agence de notation est un thermomètre qui provoque la fièvre : dès qu'il l'indique, elle monte ! Les termes de « recours excessif », au premier paragraphe du projet de conclusions, paraissent difficiles à définir, il faudrait une autre formulation...

M. Éric Bocquet. - Les termes de « recours excessif » sont ceux employés par la Commission européenne dans le titre de sa proposition de règlement.

M. Aymeri de Montesquiou. - Ils ne me paraissent pas les plus appropriés.

J'ai également des réserves sur le paragraphe suivant : « juge que l'introduction d'un régime de responsabilité civile pourrait dissuader l'insertion de nouveaux acteurs sur le marché de la notation de crédit ». Dans l'affaire Enron, comme pour la bulle informatique, les agences de notation n'ont rien vu venir, ce qui a entraîné des conséquences dramatiques : nous avons eu une catastrophe mondiale !

En réalité, le libéralisme excessif où nous sommes tombés depuis Clinton a provoqué à la fois une grande prospérité et une grande catastrophe.

M. Simon Sutour, président. - Avant d'aller plus avant dans l'examen de ce projet de conclusions, je tenais à insister sur un point. Chargé de ce rapport en octobre dernier, notre collègue a travaillé depuis lors, bien avant que le Sénat ne décide de créer une mission commune d'information. Le travail de la commission des affaires européennes et l'objet de la mission sont distincts...

M. Aymeri de Montesquiou. - Mais cousins !

M. Simon Sutour , président. - Notre rôle est de donner notre position sur un texte européen. Nous avons souhaité un projet de conclusions et non pas une proposition de résolution, afin de laisser toute latitude à la mission d'information.

M. Alain Richard. - J'admire le caractère complet et équilibré de cet exposé. Le terme « excessif » appellerait bien des commentaires. Il est frappant de constater que l'Union européenne elle-même incite au recours à la notation, certaines institutions adoptant des règles qui obligent à se faire noter par les agences. Il faudrait mentionner la nécessité de revoir ces obligations.

M. Simon Sutour, président. - Les termes « recours excessif » figurent en effet dans l'intitulé du texte européen.

M. Aymeri de Montesquiou. - Des entreprises, des Etats, des collectivités font appel aux agences de notation. Notre collègue président du Conseil général de la Meuse recourt à Standard and Poor's et en est satisfait. Inversement, selon mon ami Jérôme Cahuzac, sur les 70 personnes employées par Standard and Poor's en France, seuls deux salariés trentenaires s'occupent de la notation de notre pays. La dégradation de la notation de notre pays ne m'a pas surpris, mais il est un peu léger de confier une telle responsabilité à des personnes manquant d'expérience.

Il ne faut pas que les avis des agences demeurent sans conséquence : il me semble qu'un régime de responsabilité civile est utile à cet égard.

M. Éric Bocquet. - Cette responsabilité existe déjà. Le texte voudrait la renforcer, mais je ne suis pas sûr que les solutions retenues soient les bonnes.

M. Aymeri de Montesquiou. - Sur Lehman Brothers, les agences de notation ont émis des avis : quelles ont été les sanctions ? Elles portent tout de même une part de responsabilité dans une crise mondiale !

M. Éric Bocquet. - Ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on fait tomber la fièvre !

M. Aymeri de Montesquiou. - Je crois que beaucoup de questions subsistent.

M. Éric Bocquet. - Je le crois aussi. Ma communication n'entend être qu'une contribution.

M. Simon Sutour, président. - Notre travail ne coupe l'herbe sous le pied de personne ! Nous vous confions les modifications rédactionnelles nécessaires pour prendre en compte les observations qui ont été faites. Sous ces réserves, je mets aux voix le projet de conclusions.

Mlle Sophie Joissains. - J'ai aussi une réserve sur le paragraphe suivant : « constate que la volonté de renforcer la concurrence via notamment l'introduction d'un principe de rotation fragilise le souhait d'une amélioration de la qualité de la notation ». La concurrence ne peut-elle au contraire relever la qualité de la notation ? Bannir la concurrence ne me paraît pas une bonne chose.

M. Simon Sutour, président. - Il s'agit d'une critique de la rotation obligatoire des agences, non de concurrence elle-même.

M. Éric Bocquet. - Ce point a été soulevé lors de tous nos entretiens. Il faut faire attention à ne pas nuire à la qualité de la notation. Chaque agence a sa propre façon de travailler. Les investisseurs sont attachés à la continuité des méthodes de notation, qui serait rompue par la rotation.

M. Simon Sutour, président. - Nous comptons aussi sur vous pour tenir compte de l'observation de Mme Joissains.

*

Sur proposition du rapporteur, le projet de conclusions suivant a été adopté :

Conclusions

Vu les textes E 6833 et E 6834,

La commission des affaires européennes du Sénat :

- approuve le texte E 6833 destiné à empêcher « le recours excessif aux notations par les gestionnaires d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières et de fonds d'investissement alternatifs » ;

- estime que la suppression des références aux notations dans les recommandations et les règlements des autorités de régulation financière fait figure de priorité ;

- considère que le texte E 6834 ne répond qu'imparfaitement aux objectifs affichés de la Commission, notamment en ce qui concerne la notation des États souverains ;

- estime que la volonté légitime de réduire la dépendance des investisseurs aux notations est contradictoire avec le projet de la Commission d'instaurer un indice européen de la notation (EURIX) et un projet d'harmonisation des notations ;

- constate que l'introduction d'un principe de rotation, certes cohérent avec la volonté de renforcer la concurrence, pourrait fragiliser le souhait d'une amélioration de la qualité de la notation ;

- souligne qu'il existe déjà dans les législations des États membres des dispositions permettant d'engager la responsabilité civile des agences de notation et s'interroge sur les effets négatifs éventuels d'un nouveau régime en la matière ;

- considère que compte tenu des disparités juridiques entre les États membres, l'introduction d'un tel régime relève de l'effet d'annonce et devrait s'avérer inapplicable ;

- juge que ce texte témoigne d'une erreur d'appréciation de la spécificité du métier d'analyste au sein d'une agence de notation, qui ne saurait être assimilé à celui d'auditeur ;

- estime qu'il convient d'évaluer les effets du règlement 2009/1069 modifié, entré pleinement en vigueur le 1er novembre 2011, avant d'envisager tout amendement à ce texte.