COM (2017) 536 final  du 21/09/2017

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Les textes COM 536 et 537 doivent être analysés en parallèle dans la mesure où ils déclinent les éléments d'une même réforme du fonctionnement des Autorités Européennes de Surveillance (AES).

Les trois agences indépendantes à savoir l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), l'Autorité Bancaire Européenne (ABE) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) ont comme objectifs, depuis leur création en 2010, de contribuer à l'élaboration et à l'application cohérente de la réglementation financière au sein de l'Union, de résoudre les problèmes éventuels entre autorités nationales et d'assurer une convergence tant réglementaire que des pratiques de supervision.

Les deux propositions de la Commission européenne visent à modifier les trois règlements instituant les AES mais aussi les différents actes sectoriels concernés qu'il s'agisse des règlements avec la proposition de règlement (COM 536) ou des directives avec la proposition de directive (COM 537). Trois objectifs principaux sont retenus par la Commission européenne : le renforcement des pouvoirs des AES par le transfert de compétences jusqu'alors détenues par les autorités nationales, la gouvernance interne et le cadre de financement.

Ce sont tout particulièrement les transferts de compétence proposés qui doivent être analysés au regard du respect du principe de subsidiarité. Les législations sectorielles concernées peuvent être schématiquement regroupées en deux catégories. La première rassemble les textes qui concernent de façon explicite des outils de placement bénéficiant d'un label européen : les fonds de capital-risque européens, les fonds d'entreprenariat social européens et les fonds européens d'investissement à long terme. Dans ce cadre il apparaît parfaitement fondé de prévoir une supervision directe par une agence européenne. Les autres législations sectorielles visées concernent des activités financières ou des segments de marché qui n'ont pas une spécificité européenne. Il s'agit des indices de référence, des prospectus, des prestataires de services de communications de données et des modèles internes d'évaluation des risques dans le secteur des assurances.

A l'appui de son initiative, La Commission européenne présente une analyse d'impact, principalement qualitative mais en la matière une analyse quantitative est extrêmement difficile à élaborer. Elle souligne la nécessité de renforcer une surveillance directe et unique au niveau de l'Union sur des secteurs et activités par nature transfrontières. Ce faisant la Commission européenne fait le constat d'une application trop hétérogène du corpus législatif européen par les autorités nationales dont découle la nécessité de renforcer au cas par cas les compétences directes des AES.

Le Sénat, dans une résolution européenne adoptée en 2013, avait d'ailleurs appelé en ce sens à une supervision européenne en ce qui concerne les indices de références présentant un caractère systémique tels que le Libor qui restait encore supervisé à Londres. L'évolution vers une supervision européenne centralisée et directe s'inscrit aussi clairement dans la volonté politique affirmée dans le rapport des cinq présidents de juin 2015 de parvenir à terme à la mise en place d'une autorité européenne unique chargée du contrôle des marchés de capitaux. Le contexte du Brexit est un élément supplémentaire qui justifie le renforcement des compétences et des moyens d'une autorité européenne unique à même de superviser directement les processus d'équivalence qui seront désormais au coeur des relations avec les services financiers installés au Royaume-Uni.

Selon le principe de subsidiarité, l'Union intervient quand l'objectif envisagé ne peut être atteint de manière suffisante et efficace par les seuls États membres, mais le sera mieux et plus sûrement au niveau de l'Union. C'est le cas avec ces deux propositions qui doivent permettre de renforcer la régulation et la supervision des marchés financiers européens dans un contexte où les pouvoirs et les moyens des agences européennes seront plus que jamais nécessaires.

Dans ces conditions, il a été décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 03/11/2017
Examen : 01/02/2018 (commission des affaires européennes)


Économie, finances et fiscalité

Agences de surveillance européennes

Avis politique de MM. Jean-François Rapin et Claude Raynal

COM (2017) 536 final, COM (2017) 537 final, COM (2017) 538 final et COM (2017) 331 final - Textes E 12484, E 12485, E 12437 et E 12233

(Réunion du 1er février 2018)

M. Jean Bizet, président. - Nous allons examiner l'avis politique de Jean-François Rapin et Claude Raynal sur les agences de surveillance européennes, un sujet délicat mais très intéressant, surtout dans le contexte de l'affirmation de la place financière de Paris.

Notre collègue Richard Yung a beaucoup travaillé sur cette question au cours de la dernière mandature. Je remercie nos rapporteurs d'avoir repris le dossier.

À la suite de la crise financière de 2008, l'Union européenne a entrepris un travail important pour mettre en place une indispensable supervision financière. Il était prévu d'opérer une revue de fonctionnement du cadre de surveillance en 2017. Tel est l'objet des initiatives qu'a présentées la Commission européenne. C'est l'occasion de faire le point sur l'efficacité du dispositif mis en place et d'évaluer les voies d'amélioration possibles. Retenu par un groupe d'amitié, M. Raynal nous rejoindra dans quelques instants. Monsieur Rapin, je vous propose donc de prendre la parole en premier.

M. Jean-François Rapin. - Merci, monsieur le président, pour la confiance que vous avez accordée à Claude Raynal et à moi-même sur ce sujet extrêmement technique.

La situation a évolué ces dernières heures, puisqu'il semble qu'un front se mette en place entre l'Allemagne, l'Irlande et le Luxembourg pour faire échec aux propositions de réforme. Depuis la crise financière de 2008, l'Union européenne a adopté près de quarante propositions législatives pour le seul secteur financier. Dès 2010, un système européen de surveillance financière a été mis en place pour combler les lacunes de la supervision européenne révélées par la crise. Une revue de fonctionnement de ce cadre de surveillance était prévue en 2017.

La Commission a présenté l'année dernière quatre textes afin de proposer des améliorations ciblées. Cette révision est fortement contrainte par le calendrier électoral européen : l'absence d'accord d'ici aux élections européennes en repousserait l'adoption en 2021, au plus tôt. La proposition de la Commission s'inscrit par ailleurs dans un contexte d'urgence face au compte à rebours du Brexit, qui constitue paradoxalement aussi une opportunité pour accompagner la volonté politique de relancer l'Union des marchés de capitaux et le développement d'une supervision crédible des marchés.

Je vous présenterai brièvement les enseignements qu'il convient de tirer après sept années de fonctionnement du système européen de surveillance financière. Ce système est organisé autour des autorités nationales de surveillance et de trois autorités européennes de surveillance, dites AES. Dès l'origine, certains États membres étaient très réticents à l'idée de mettre en place des autorités européennes trop puissantes. Celles-ci ont pourtant progressivement acquis leur légitimité et, aujourd'hui, leur pérennité n'est pas remise en question.

Il serait cependant plus juste de parler d'autorités européennes de régulation, leur rôle en matière de supervision effective étant quasi inexistant : il se limite à favoriser la convergence des pratiques de supervision des autorités de surveillance nationales. Ces autorités sont, en revanche, chargées de l'élaboration des projets de normes techniques, c'est-à-dire de la législation dite de niveau 2.

L'infrastructure de surveillance est ainsi répartie entre le niveau national, avec les autorités sectorielles compétentes de chaque État, et le niveau européen, avec les trois AES. Le processus de décision fait la part belle aux autorités nationales, qui siègent au Conseil des superviseurs de chaque AES. Cette gouvernance intergouvernementale ne favorise ni la prise en compte de l'intérêt général de l'Union ni l'efficacité de la prise de décision.

Depuis 2010, l'évolution a été considérable, les États membres ayant consenti un transfert de souveraineté important lors de la crise des dettes souveraines. Depuis 2014, la supervision des plus grandes banques de la zone euro est confiée à la Banque centrale européenne, dans le cadre de l'Union bancaire. Dès lors, l'Autorité bancaire européenne a vocation à rester cantonnée, pour l'essentiel, dans des missions de régulation, sans prérogative de supervision directe sur les banques.

Il en est tout autrement de l'Autorité européenne des marchés financiers, l'AEMF, qui, en l'absence d'un superviseur européen des marchés financiers, s'est vu confier progressivement des missions de supervision directe sur certains secteurs, comme les agences de notation et, partiellement, les chambres de compensation. L'AEMF, avec son pouvoir effectif de supervision, fait donc figure d'exception. C'est d'ailleurs sur son développement que se concentre le projet de refonte proposé par la Commission.

L'initiative d'Union des marchés de capitaux a pour ambition de faciliter le développement du financement de l'économie par des marchés financiers européens intégrés. Elle demeure aujourd'hui largement imparfaite, alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour le développement de notre économie et la stabilité financière de l'Union, mais aussi la protection des intérêts des investisseurs et de l'épargne de nos citoyens. Or, le développement d'une supervision européenne unique des marchés financiers est l'un des éléments indispensables à la poursuite de cette initiative.

Pour maintenir l'indépendance et la prépondérance de la place de Londres, le Royaume-Uni s'y refusait catégoriquement. Dorénavant, l'impulsion politique autour des marchés financiers européens doit reprendre et permettre enfin le développement d'une autorité européenne des marchés.

Quelle que soit l'issue des négociations sur le Brexit, la configuration des marchés financiers européens sera durablement modifiée, même si la place de Londres conservera un poids important. Les relocalisations d'activités au sein de l'Union européenne préfigurent une organisation multipolaire autour de différentes places, parmi lesquelles l'attractivité de Paris pourra s'exercer. Cet état de concurrence accrue incitera les différentes places à des arbitrages réglementaires qui devront être supervisés par une autorité européenne.

Faute d'une relocalisation au sein de l'Union ouvrant droit au passeport européen, les acteurs financiers implantés au Royaume-Uni verront leur accès aux pays de l'Union conditionné à des accords d'équivalence des pays tiers. Dans ce contexte, la gestion des relations avec les pays tiers et la surveillance des éventuels recours excessifs à des délégations d'activité ou à des accords d'externalisation revêtent une importance stratégique pour la défense des intérêts de l'Union.

La refonte du système de surveillance prend la forme d'un paquet législatif important, composé de quatre propositions distinctes, dont la plupart datent de septembre 2017 : deux propositions pour la révision des trois règlements fondateurs des AES, un texte pour des modifications ciblées du Comité européen du risque systémique, et une proposition, de juin 2017, consacrée au sujet, hautement stratégique, des chambres de compensation centrales, dites CCP.

Les dispositions essentielles du paquet législatif concernent l'amélioration de la gouvernance et l'évolution du cadre de financement des trois AES, ainsi que, plus spécifiquement, le renforcement des pouvoirs de l'AEMF.

Les deux premiers éléments du dispositif semblent consensuels et nous paraissent aller dans la bonne direction. La Commission européenne propose, en effet, de mettre en place une structure de gouvernance plus autonome et, partant, plus efficace, en introduisant dans chaque autorité européenne un conseil exécutif indépendant composé du président et de membres indépendants permanents. Ce conseil sera notamment chargé de préparer les décisions qui seront adoptées par le Conseil des autorités de surveillance et disposera de pouvoirs discrétionnaires à l'égard des particuliers et des autorités nationales de supervision.

La révision du cadre de financement consacre deux ambitions : asseoir le fonctionnement autonome des AES et permettre à la Commission européenne de se désengager budgétairement en faisant reposer le financement de leurs budgets, actuellement jugés insuffisants, sur des cotisations annuelles versées par les institutions financières. Une contribution d'équilibrage de l'Union, fixée à l'avance dans le cadre financier pluriannuel, serait maintenue, mais plafonnée à 40 % des recettes globales des AES. Les modalités de calcul des contributions annuelles des établissements financiers seront définies dans des actes délégués de la Commission, qui mériteront toute notre attention.

Permettez-moi de vous livrer quelques chiffres pour mettre en perspective les enjeux budgétaires. Concernant l'AEMF, et dans l'hypothèse de l'entrée en vigueur de l'ensemble des dispositions proposées par la Commission, 193 créations de postes seraient envisagées, portant l'effectif global à 450 personnes environ, pour un budget de l'ordre de 90 millions d'euros. À titre de comparaison, le montant des redevances de surveillance prudentielle collectées par la BCE en 2017 s'élève à 424 millions d'euros, et le budget de la Securities and Exchange Commission américaine s'établit à 1,7 milliard de dollars.

La Commission propose de renforcer l'AEMF en lui confiant des compétences de supervision directe dans des domaines spécifiques. C'est sur ce point que se focalisent les discussions en cours. Le transfert de compétences des autorités de marché nationales vers l'AEMF pose des questions de subsidiarité et suscite l'opposition de certains États, qui y voient une menace pour l'indépendance et la pérennité de leur industrie financière nationale.

Le 23 novembre dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission a considéré que ces textes ne portaient pas atteinte au principe de subsidiarité. Au reste, les transferts de compétences dont il s'agit sont équivalents à ceux consentis à la BCE dans le cadre de la supervision bancaire. Il n'y a donc pas matière à soulever une question de subsidiarité, sauf à la poser également pour la BCE. Ce transfert de compétences nous semble indispensable afin d'éviter, dans la mesure du possible, des arbitrages réglementaires préjudiciables aux intérêts de l'Union.

À ce stade, d'ailleurs, les dispositions envisagées par la Commission pourraient bénéficier d'une ambition plus large en ce qui concerne les produits, secteurs et infrastructures visés : la supervision des prospectus est prévue de façon trop hétérogène et les places boursières et dépositaires centraux sont exclus du dispositif.

Le constat est identique en ce qui concerne les sanctions : il aurait été opportun d'établir un régime certes efficace et proportionné, mais aussi suffisamment dissuasif, en prévoyant, comme le demande l'AEMF, la possibilité d'amendes proportionnelles au chiffre d'affaires.

L'AEMF se verra aussi confier un pouvoir en matière de délégation et de sous-traitance par des entités régulées à des entités de pays tiers. Ce dernier point revêt une importance particulière, car il s'agit de contrôler l'implantation au sein de l'Union de structures « boîtes aux lettres », dont une partie substantielle des activités serait déléguée à des structures dans des pays tiers, permettant ainsi de sécuriser l'accès au marché européen à travers le passeport européen sans prendre le risque de l'incertitude des accords d'équivalence.

Enfin, l'AEMF jouera un rôle central dans la préparation des décisions d'équivalence des régimes de pays tiers et - ce qui est nouveau - dans le suivi de ces décisions. Le retrait du Royaume-Uni rend nécessaire à court terme le renforcement des moyens de gestion des relations avec les pays tiers. C'est d'ailleurs dans cette logique que la Commission a proposé, avant l'été, de renforcer le rôle de l'AEMF en ce qui concerne la supervision des chambres de compensation.

On trouve dans ce projet la refonte de la gouvernance, avec la création d'un Conseil des autorités de surveillance en session exécutive des chambres de compensation, le renforcement des compétences de supervision directe, avec des contrôles sur place, ainsi que la possibilité, sur la base de critères spécifiques, d'imposer une localisation au sein de l'Union européenne pour les chambres de compensation identifiées comme les plus systémiques et pour lesquelles la supervision directe serait considérée comme insuffisante. L'AEMF serait aussi en charge du mécanisme d'équivalence avec les pays tiers.

C'est sur la base de ces remarques que nous vous proposons d'examiner l'avis politique qui vous est soumis. Ce travail est le fruit de plusieurs auditions, mais d'autres sont encore à venir. M. Raynal et moi-même nous rendrons à Bruxelles le 19 février sur ces sujets.

M. Jean Bizet, président. - La situation doit être considérée à travers le prisme du Brexit, de la localisation de l'Autorité bancaire européenne à Paris et du redimensionnement de l'Autorité européenne des marchés financiers, qui jouera un rôle accru en ce qui concerne les équivalences avec un certain nombre de pays tiers. La place de Paris prend une importance croissante, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

M. André Gattolin. - M. Rapin a commencé son exposé en évoquant la position allemande. Les travaux précédemment menés par Richard Yung ont mis en évidence que les réticences de l'Allemagne en matière de supervision bancaire tiennent à l'organisation de ses banques régionales, extrêmement dépendantes du pouvoir politique au niveau des Länder. Certains engagements pris par ces banques sont très risqués, ce qui explique sans doute une partie des réticences allemandes au sujet d'une supervision européenne qui ferait apparaître un système bancaire globalement efficace pour le soutien de l'industrie allemande au niveau régional, mais parfois un peu hors normes sur le plan financier.

M. Pascal Allizard. - La transparence et la protection des épargnants contre les risques systémiques, c'est extrêmement important, mais il faut aussi garder à l'esprit que la frilosité de certaines banques pour financer des projets risqués à l'étranger est liée à l'extraterritorialité du droit américain. Paradoxalement, sur les projets difficiles à financer, il y a toujours une présence allemande, via les banques régionales... La transparence, oui, mais il faut aussi protéger les intérêts stratégiques !

M. Philippe Bonnecarrère. - Je voudrais comprendre ce qui relève du contrôle des marchés dans le cadre de la construction européenne et ce qui relève de la gouvernance de l'euro. À côté du dispositif général de surveillance, des évolutions plus rapides sont-elles proposées dans le cadre d'une future gouvernance de l'euro ?

La situation des banques régionales allemandes est l'une des difficultés, mais il y a aussi l'absence d'accord européen en matière de garantie des dépôts.

On voit bien qu'il y a deux modèles possibles : on peut travailler soit sur une solidarité entre les banques, soit sur les modalités de surveillance de celles-ci. Le dispositif qui nous est présenté, qui va plus loin en matière de surveillance, est-il une manière de contourner l'impossibilité de réaliser une Union bancaire européenne aboutie ? Ou bien les deux questions sont-elles déconnectées ?

M. André Gattolin. - Excellente question !

M. Jean-François Rapin. - Nous avons appris que l'Allemagne semblait faire front avec le Luxembourg et l'Irlande. Au moment où nous avons réalisé nos auditions, la position allemande n'était pas aussi tranchée. L'influence des banques régionales, qui s'inquiètent d'une approche européenne, et non plus nationale, de la supervision, est certainement l'une des raisons de l'orientation choisie par l'Allemagne. J'attends beaucoup des auditions que nous aurons prochainement, mais il est clair que si ces trois pays s'opposent à la réforme, le texte a peu de chances de passer...

Même avec le renforcement prévu, les moyens de l'AEMF restent très limités par rapport à ceux de l'organe de supervision américain.

Monsieur Bonnecarrère, il n'y a rien de particulier dans ce projet en ce qui concerne la gouvernance de l'euro. Si l'intégration des marchés de capitaux est indispensable au bon fonctionnement de la zone euro, la supervision et la dynamique de l'euro sont deux sujets distincts.

Je ne crois pas non plus qu'il s'agisse d'un contournement de la situation encore inaboutie pour la garantie des dépôts en Europe.

J'ai été frappé par l'importance des moyens de la BCE par rapport à ceux des organismes de supervision. Même renforcées, les capacités de l'AEMF, par exemple, resteront très subsidiaires par comparaison avec celles de la BCE. J'ai même relevé une certaine forme d'ingérence de la BCE parce qu'elle a plus de moyens que les organismes de supervision européens pour déclencher des actions de surveillance.

Le Brexit est un vrai sujet, mais ses conséquences devront être évaluées en ce qui concerne les chambres de compensation. Le sujet sensible est surtout la gestion des relations avec les pays tiers.

M. Jacques Bigot. - Il me semble que la proposition de règlement ne concerne pas l'Autorité européenne des assurances et des pensions. Me le confirmez-vous ?

M. Jean-François Rapin. - Effectivement, elle ne prévoit pas le renforcement de ses missions de supervision.

M. Didier Marie. - Nous découvrons, pour nombre d'entre nous, les subtilités de la surveillance des marchés européens, mais, même sans bien connaître le sujet, nous sommes tous conscients, à la suite de la crise de 2008 et de la crise grecque, qu'une surveillance est nécessaire au niveau européen et qu'il faut faire appel à une forme de solidarité en prévision d'éventuelles crises.

Le Brexit est une opportunité pour remettre sur la table les négociations touchant aux marchés financiers. Monsieur Rapin, vous avez expliqué qu'un front se dessinait contre ces mesures. Quelles sont les modalités de prise de décision dans ce domaine ?

M. Jean-François Rapin. - Il s'agit d'une codécision entre le Conseil et le Parlement européen.

Mme Fabienne Keller. - En application des directives Mifid et Emir, un nombre plus important de transactions devraient passer par les chambres de compensation et être enregistrées, ce qui devrait faciliter le contrôle des opérations de marché. Ne faudrait-il pas établir un lien avec le suivi des transactions ? En effet, l'objectif est non seulement d'avoir un dispositif sécurisé, mais que celui-ci embrasse le plus grand nombre possible d'opérations financières.

M. Claude Raynal. - Pardonnez-moi de n'avoir pas pu participer au début de ce débat. Les propositions sur la table recueillent un avis favorable de la France, très en pointe dans cette affaire. Alors que, sur nombre de sujets financiers, il y a des nuances entre la position de la France et celle de l'Europe, l'accord est en l'occurrence complet, à quelques détails près. Dans ce contexte, l'avis politique qui vous est soumis est utile pour affirmer le point de vue de la France et soutenir l'action du Gouvernement. La BCE dispose aujourd'hui d'outils pour intervenir indirectement sur les chambres de compensation. Il est important d'avancer vite pour qu'on revienne à un système normal de régulation.

M. Jean-François Rapin. - Madame Keller, il est effectivement prévu que l'AEMF supervise plus avant les activités des chambres de compensation et les transactions financières.

M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, vous avez pris connaissance du projet d'avis politique. Y a-t-il des observations ?

M. André Reichardt. - Le point 22 fait référence à un modèle multipolaire de marchés financiers. Les rapporteurs peuvent-ils préciser leur pensée ?

M. Claude Raynal. - Le pôle londonien est aujourd'hui extrêmement fort. Dans le contexte post-Brexit, il restera certes important, mais d'autres places se renforceront sur certains types de marchés, à commencer par Paris, Francfort et Luxembourg. Le système sera donc moins centré, plus multipolaire.

M. André Reichardt. - Si je vous comprends bien, certaines places existantes se renforceront un peu, mais il n'y aura pas de place nouvelle.

M. Claude Raynal. - En effet, il s'agira d'un renforcement.

M. Philippe Bonnecarrère. - Dans cette tectonique des places, comment les Suisses se positionnent-ils ? Souhaiteront-ils s'associer par voie de convention aux mécanismes européens pour participer au rééquilibrage par rapport à la place de Londres ? Voudront-ils rester indépendants ?

M. Claude Raynal. - Peut-être un débat s'ouvrira-t-il avec la Suisse dans une phase future, mais, pour l'instant, elle reste totalement indépendante et avec un statut de pays tiers.

M. Philippe Bonnecarrère. - La Suisse pourrait être un acteur intéressant au soutien des places continentales.

M. Claude Raynal. - Elle peut aussi chercher à tirer son épingle du jeu toute seule...

M. Jean Bizet, président. - Il est certain que le système allemand est un peu particulier, compte tenu de l'architecture des banques des Länder.

M. Allizard a évoqué l'extraterritorialité des lois américaines. Il sera intéressant que nous approfondissions ce sujet. Les États-Unis ont encore une force, qu'ils veulent morale, avec laquelle ils essaient d'avoir un droit de regard planétaire. L'Europe a toute autorité pour s'extraire de tout cela. Le travail accompli dans ce domaine doit être salué, d'autant que, l'Union européenne n'étant pas une entité fédérale, c'est beaucoup moins facile pour elle que pour les États-Unis.

Je me félicite des nouvelles missions confiées à l'AEMF, qui devra veiller à ne pas délivrer des passeports européens n'importe comment.

Même si l'expertise financière de la Grande-Bretagne restera importante - les grands acteurs du pays du Golfe devraient rester clients de la place de Londres -, elle le sera un peu moins dans le cadre d'un système davantage multipolaire. La place de Paris commence à prendre toute sa dimension, ce qui est une excellente chose.

*

À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, l'avis politique qui sera adressé à la Commission européenne.


Avis politique sur la réforme des autorités européennes de surveillance

(1) Vu la proposition de règlement COM (2017) 536 modifiant le règlement (UE) n 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), le règlement (UE) n 1094/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles), le règlement (UE) n 1095/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des marchés financiers), le règlement (UE) n 345/2013 relatif aux fonds de capital-risque européens, le règlement (UE) n 346/2013 relatif aux fonds d'entrepreneuriat social européens, le règlement (UE) n 600/2014 concernant les marchés d'instruments financiers, le règlement (UE) 2015/760 relatif aux fonds européens d'investissement à long terme, le règlement (UE) 2016/1011 concernant les indices utilisés comme indices de référence dans le cadre d'instruments et de contrats financiers ou pour mesurer la performance de fonds d'investissement, et le règlement (UE) 2017/1129 concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé,

(2) Vu la proposition de directive COM (2017) 537 modifiant la directive 2014/65/UE concernant les marchés d'instruments financiers et la directive 2009/138/CE sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II),

(3) Vu la proposition de règlement COM (2017) 538 modifiant le règlement (UE) n° 1092/2010 relatif à la surveillance macroprudentielle du système financier dans l'Union européenne et instituant un Comité européen du risque systémique,

(4) Vu la proposition de règlement COM (2017) 331 modifiant le règlement (UE) n 1095/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des marchés financiers) et modifiant le règlement (UE) n 648/2012 en ce qui concerne les procédures d'agrément des contreparties centrales et les autorités qui y participent, ainsi que les conditions de reconnaissance des contreparties centrales des pays tiers,

(5) La commission des affaires européennes du Sénat :

(6) Affirme son soutien à la démarche présentée par la Commission européenne qui vise à renforcer le système européen de surveillance financière (SESF) et plus spécifiquement à développer une supervision unique des marchés financiers ;

(7) Est d'avis que l'approche retenue par la Commission ne pose pas de difficulté au regard des compétences des États membres et que les transferts consentis ne vont pas au-delà de ce qui a été mis en place précédemment dans le cadre de l'Union bancaire ;

(8) Estime que, en dépit de l'ambition et des moyens limités qu'autorisaient leurs règlements fondateurs, les Autorités européennes de surveillance ont progressivement acquis une réelle légitimité au sein du paysage financier ;

(9) Considère qu'il est dans l'intérêt de l'ensemble des États membres de soutenir désormais pleinement cette progression vers des Autorités européennes puissantes ;

(10) Souhaite à cet égard que l'ambition de refonte du SESF soit renforcée en ce qui concerne le régime des sanctions et que soit étudié l'élargissement du périmètre de supervision directe de l'AEMF à d'autres segments, produits et infrastructures des marchés financiers, tels que les dépositaires centraux, les plateformes d'échange et certains autres prospectus ;

(11) Sur le calendrier d'adoption :

(12) S'inquiète des conséquences d'une éventuelle entrée en vigueur tardive des principales dispositions de la refonte du SESF dans le contexte du retrait du Royaume-Uni et du développement de l'Union des marchés de capitaux ;

(13) Souhaite donc que le paquet législatif en cours d'examen puisse être adopté avant que ne s'ouvre le temps des prochaines élections européennes ;

(14) Sur la gouvernance et le financement :

(15) Accueille très favorablement les dispositions de révision des modes de gouvernance et de financement des Autorités européennes de surveillance qui permettent de renforcer leur indépendance et l'efficacité de leur processus de prise de décision ;

(16) Invite toutefois la Commission européenne à s'assurer :

(17) - que les nouvelles modalités de financement permettent un calibrage suffisant des ressources pour que, dans les faits, les Autorités européennes de surveillance disposent des moyens adaptés à l'importance et l'envergure de leurs missions ;

(18) - que la grille de tarification des redevances de supervision soit établie de façon pertinente en collaboration avec chaque autorité concernée ;

(19) Sur le développement des compétences et des moyens de l'Autorité européenne des marchés financiers(AEMF) :

(20) Relève que les trois autorités de surveillance européenne ont connu des évolutions réglementaires et fonctionnelles divergentes et que, dans ce contexte, le choix de confier à l'AEMF des compétences directes et renforcées sur les marchés financiers relève d'une approche pragmatique et adaptée ;

(21) Estime que la mise en place d'une supervision unique des marchés où l'AEMF occuperait un rôle central doit être poursuivie avec fermeté car elle est une condition nécessaire à l'intégration des marchés financiers européens et à la préservation de la stabilité financière ;

(22) Constate la probable reconfiguration des marchés financiers européens vers un modèle bien plus multipolaire qu'aujourd'hui et souligne qu'il est dès lors primordial de se doter des moyens crédibles de surveillance des arbitrages réglementaires au sein de l'Union européenne en transférant les compétences nécessaires à l'AEMF ;

(23) Constate qu'il est indispensable, au regard notamment des conséquences potentielles du retrait du Royaume-Uni sur le secteur financier, de confier à l'AEMF des compétences accrues sur les relations avec les pays tiers et les accords d'équivalence ainsi que sur la surveillance des délégations et des accords d'externalisation afin de veiller à ce qu'ils ne se fassent pas au détriment des intérêts de l'Union.