COM (2018) 218 final  du 23/04/2018

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Le texte COM 218 concerne la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union (lanceurs d'alerte)

Comme le Parlement européen et le Conseil (en matière fiscale) le lui avait demandé, la Commission européenne propose de mettre en place un statut minimal protecteur des lanceurs d'alerte qui rapportent des informations sur des activités illicites dont ils ont connaissance dans le cadre leurs activités professionnelles. Elle estime en effet :

- qu'une telle protection est de nature à préserver les droits à la liberté d'expression et à la liberté des médias, consacrés par l'article 11 de la charte des droits fondamentaux, et constitue une source d'information cruciale pour le journalisme d'investigation ;

- qu'elle peut permettre de détecter, prévenir et décourager plus facilement des pratiques contraires au droit et prévenir des préjudices graves à l'intérêt public, y compris les intérêts financiers de l'Union ;

- qu'elle peut contribuer à l'équité et au bon fonctionnement du marché unique et à la défense des intérêts de l'Union.

Les quelques textes européens qui prévoient, en l'état, une protection des lanceurs d'alerte sont cantonnés à quelques domaines précis : les services financiers, la sécurité des transports et la protection de l'environnement. Les informateurs sont par ailleurs protégés au titre de la directive sur les secrets d'affaires lorsqu'ils révèlent de tels secrets dans l'intérêt public. Quant à la protection offerte par les législations nationales, elle apparaît très inégale et fragmentée, ce qui explique la crainte de représailles.

La proposition de directive étend substantiellement le champ matériel et personnel de la protection qu'elle organise et prévoit la mise en place de procédures spécifiques pour la révélation de faits dont les lanceurs d'alerte estiment de bonne foi qu'ils sont de nature à constituer des activités illicites effectives ou potentielles ou des abus de droit relatifs aux actes de l'Union et aux domaines qu'elle vise.

Le champ matériel de la protection est ainsi étendu à une centaine d'actes européens mentionnés en annexe qui concernent aussi bien la passation des marchés publics et la concurrence, que la sécurité des produits et des aliments, la santé publique, la protection des consommateurs, la protection de la vie privée et des données personnelles, la sécurité des réseaux et des systèmes d'information, la sûreté nucléaire. S'y ajoutent également les atteintes aux intérêts financiers de l'Union et les fraudes à l'impôt sur les sociétés.

Les lanceurs d'alerte ont connaissance des infractions dans un contexte professionnel, sans considération de leur statut (salariés, actionnaires, fournisseurs, sous-traitants, co-contractants). Dans la mesure où les informations rapportées et leur traitement présentent un caractère sensible, ils bénéficient d'une protection dès lors qu'ils mettent en oeuvre la procédure de signalement dont les modalités sont prévues par la directive. Cette procédure comporte deux niveaux d'alerte :

- un canal interne de signalement (par voie écrite, y compris électronique, ou déclaration orale et de suivi (obligation de retour au plus tard dans les 3 mois), à mettre en place au sein tant des administrations (y compris les communes de plus de 10 000 habitants) et des organismes publics que les entités du secteur financier et les autres entreprises dès lors qu'elles emploient plus de 50 salariés et que leur chiffre d'affaires annuel excède 10 millions d'euros ; ce canal doit garantir la confidentialité de l'identité de l'informateur et des informations ;

- un canal externe, confié à des autorités nationales indépendantes, garantissant la confidentialité des données de l'informateur dont le recueil est organisé (registre, accusé de réception, enregistrement vocal et droit de valider et de rectifier la transcription de la déclaration), dotées de personnels spécialisés et assurant un retour d'information en direction de l'informateur : ce canal n'est en principe pas saisi ab initio par l'informateur, sauf si celui-ci a des motifs raisonnables de penser que le canal interne sera défaillant ou s'il est un tiers par rapport à l'entité concernée ; il est, en revanche, saisi en l'absence de réaction de l'entité à l'issue du délai de trois mois.

Dès lors qu'il a des motifs raisonnables de penser que les informations qu'il communique sont véridiques (et entrent dans le champ d'application de la directive) et qu'il a suivi les canaux prévus, l'informateur bénéficie d'une protection spécifique :

- une protection contre toutes formes de représailles (licenciement, rétrogradation, changement de fonctions, modification des horaires, discrimination, coercition, intimidation, harcèlement, atteintes à la réputation et préjudices financiers, annulation, contrats de fournitures...) : les entités qui agiraient ainsi sont passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, y compris l'indemnisation des personnes ayant subi un préjudice de ce fait ;

- une assistance juridique, sous forme d'informations et de conseil indépendants, de voies de recours, d'une assistance juridique transfrontière et de la protection de son identité autant que possible ;

- l'irresponsabilité pénale et civile : il ne peut être poursuivi pour divulgation d'informations et sa responsabilité pécuniaire ne peut être recherchée ; lorsqu'il estime qu'il fait l'objet de représailles, la charge de la preuve est inversée.

Cette proposition de directive est très proche du dispositif organisé par la loi française du 9 décembre 2016 relative à la transparence et à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 »). Elle paraît donc respecter le principe de subsidiarité et il est décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 16/05/2018
Examen : 04/07/2018 (commission des lois)
La proposition de résolution Proposition de résolution européenne sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union européenne (2017-2018) a été adoptée : voir le dossier législatif


Justice et affaires intérieures

Protection des personnes dénonçant les infractions
au droit de l'Union

COM (2018) 218 final - Texte E 13046

(Réunion de la commission des lois du 4 juillet 2018)

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Je donne la parole à notre collègue François Pillet, rapporteur sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union.

M. François Pillet, rapporteur. - Nous avons adopté le 20 juin cette proposition de résolution en commission. Aucun amendement n'ayant été déposé, j'en déduis que notre position est définitive. J'aurais pu en rester là, je souhaite toutefois apporter quelques éléments complémentaires.

En effet, sans que je sois en mesure de le vérifier, ces amendements n'étant à ma connaissance pas publiés, il semblerait que le rapporteur au Parlement européen sur la proposition de directive sur les lanceurs d'alerte, Mme Virginie Rozière, qui est d'ailleurs française, propose des amendements qui éloigneraient la directive de la législation française, en particulier sur les points importants suivants :

- le rapporteur veut permettre une alerte sur « tout acte répréhensible », ce qui n'est pas une notion clairement définie, et pas seulement sur une liste d'infractions au droit de l'Union européenne. Une telle notion ignorerait davantage encore tout critère de gravité des actes et infractions pouvant être dénoncés en contrepartie, notamment, d'une immunité pénale ;

- apparemment la procédure graduée de signalement serait en partie supprimée ;

- l'alerte n'aurait plus aucune dimension éthique puisque la question de la motivation du lanceur d'alerte, et donc de sa bonne foi, serait complètement mise de côté, au profit seulement de l'intérêt de l'information révélée : une alerte résultant d'une intention malveillante ou d'une volonté de vengeance serait donc légitime, de même que la rémunération du lanceur d'alerte ;

- serait mise en place une aide, notamment financière, au profit des lanceurs d'alerte, que le Sénat avait refusée ;

- enfin, les sanctions en cas de dénonciation malveillante ou abusive seraient supprimées.

Cette situation ne fait que renforcer la nécessité d'adopter la proposition de résolution.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

M. Pierre-Yves Collombat. - L'idée d'une aide matérielle n'est pas si farfelue. Il faut bien sûr éviter que quelqu'un puisse raconter n'importe quoi, mais il faut aussi éviter que des personnes se retrouvent dans la difficulté financièrement parce qu'elles ont été lanceurs d'alerte. Le problème est que le secret professionnel auquel se heurtent ces lanceurs d'alerte est envisagé de manière beaucoup trop large.

M. Dany Wattebled. - Le fait de ne plus prévoir de sanction en cas de fausse alerte est la porte ouverte à des dérives. Je suis favorable au maintien des sanctions.

M. François Pillet, rapporteur. - Il est très difficile de prévoir une indemnisation ou rémunération dans la mesure où c'est seulement en fin de procédure que l'on sait si l'intéressé peut bénéficier de la qualité de lanceur d'alerte. N'oublions pas que le Sénat a toutefois permis au Défenseur des droits d'apporter un soutien, certes non financier, aux lanceurs d'alerte. Renoncer à toute sanction à l'encontre d'une personne ayant agi avec mauvaise foi mettrait en danger tout le système car cela favoriserait les abus.

Enfin je vous rappelle que nous avons souhaité la réintégration du secret de la défense nationale, du secret médical, et du secret entre un avocat et son client, ce qui n'était pas prévu initialement.

Le rapport de Mme Virginie Rozière devrait être présenté le 10 juillet 2018, les amendements devront être déposés au plus tard en septembre 2018 avec un examen en commission prévu le 10 octobre. Je vous tiendrai informés de l'évolution de ce texte au Parlement européen.

Mme Brigitte Lherbier. - Il existe une responsabilité de droit commun, civile ou pénale, en cas de fausse dénonciation. Les lanceurs d'alerte y échapperaient ?

M. François Pillet, rapporteur. - Oui, si le texte prévoit une immunité ou une irresponsabilité. Nous devons veiller aux modifications qui seront apportées par le Parlement européen.

M. Jacques Bigot. - Je pense que nous travaillons sans coordination dans la mesure où nous avons examiné une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires et que maintenant nous examinons la question des lanceurs d'alerte sous l'angle de cette directive européenne. Cela ne me paraît pas cohérent. C'est pourquoi notre groupe s'abstiendra sur ce texte.

M. François Pillet, rapporteur. - Je ne peux que partager votre avis sur ce point, mais la proposition de directive n'a été publiée qu'après l'examen de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires... La proposition de résolution insiste justement sur la nécessité d'harmoniser les choses.

La proposition de résolution est adoptée sans modification.

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier ses articles 16, 33, 43, 50, 53, 62, 91, 100, 103, 109, 114, 168, 169, 192, 207 et 325,

Vu la proposition de directive COM (2018) 218 du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union (E 13 046),

Vu la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites,

Vu la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique,

Considérant que l'harmonisation des régimes de protection des lanceurs d'alerte est pertinente à l'échelle de l'Union européenne,

Considérant que le droit d'alerte doit être éthique, c'est-à-dire désintéressé et de bonne foi, sans volonté de nuire de la part de son auteur, au service de l'intérêt général,

Considérant que le droit d'alerte doit être équilibré, c'est-à-dire destiné à faire connaître une information concernant une infraction grave ou pouvant constituer une menace ou un préjudice grave, selon une procédure précise et graduée, en contrepartie de la protection accordée aux lanceurs d'alerte,

Considérant que la divulgation à la presse et au public ne peut être qu'une ultime étape de la procédure d'alerte, lorsque les mécanismes internes d'alerte puis le signalement aux autorités administratives ou judiciaires n'ont pas permis de traiter l'alerte de façon appropriée,

Approuve globalement l'économie générale de la proposition de directive,

Estime indispensable d'inclure dans le droit d'alerte un critère de gravité, justifiant de déroger au caractère secret d'une information pour lancer une alerte, afin d'éviter la multiplication de signalements intempestifs, abusifs ou sans réelle portée,

Juge souhaitable de restreindre le champ matériel du droit d'alerte aux infractions pénales ou aux atteintes graves à l'intérêt public, sans se référer à des notions ambiguës telles que l'abus de droit,

Souhaite que soient clarifiées les règles de confidentialité de l'identité du lanceur d'alerte, de l'identité des personnes visées par l'alerte et des informations faisant l'objet de l'alerte, et que soit mentionnée la possibilité de réintégration dans l'emploi du lanceur d'alerte en cas de licenciement ou de révocation par représailles,

Demande que la procédure d'alerte interne soit plus précisément et rigoureusement définie, afin qu'elle constitue réellement un premier palier d'alerte obligatoire, sauf en cas d'urgence, caractérisée par une situation de danger grave et imminent ou de risque de dommages irréversibles,

Estime également indispensable de mentionner que le droit d'alerte doit être désintéressé et de bonne foi et que le lanceur d'alerte ne peut être anonyme ou rémunéré, de sorte qu'il ne saurait être qualifié d'informateur,

Juge, dans ces conditions, que seule une personne physique devrait pouvoir être qualifiée de lanceur d'alerte et bénéficier d'une protection, car elle seule peut avoir directement connaissance d'une information sensible susceptible de justifier une alerte,

Juge préférable, à l'instar du dispositif français, de prévoir une clause d'irresponsabilité pénale plutôt que la création d'un statut,

Demande que puissent être protégées de manière absolue des informations dont le caractère secret résulte d'exigences supérieures, en particulier le secret de la défense nationale, le secret médical et le secret des relations entre un avocat et son client,

S'interroge sur la nécessité pour les autorités administratives et judiciaires de mettre en place des registres des signalements des alertes,

Souhaite que n'existe qu'un seul régime de protection des lanceurs d'alerte dans le droit européen, quel que soit le champ des informations concernées,

Demande, par conséquent, que le dispositif issu de la proposition de directive soit mieux articulé avec l'exception à la protection du secret des affaires prévue au bénéfice des lanceurs d'alerte par la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites,

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.