Lundi 22 juin 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire - Examen du rapport et du texte de commission

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je salue mes collègues qui assistent à la réunion en visioconférence.

Nous examinons aujourd'hui, dans des délais extrêmement contraints, le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Je m'en suis plaint, avec le soutien du Président du Sénat et de plusieurs présidents de groupe, au cours de la dernière Conférence des présidents. Le cabinet du ministre chargé des relations avec le Parlement a expliqué ces délais courts par la nécessité de laisser davantage de temps au Conseil constitutionnel pour examiner le texte... Je comprends cette exigence, mais j'estime que la représentation nationale ne devrait pas en faire les frais.

Par ailleurs, compte tenu de la complexité du projet de loi, j'avais souhaité que notre commission puisse entendre le ministre des solidarités et de la santé jeudi dernier, mais ce dernier n'a pas cru devoir se mettre à notre disposition.

Voilà pourquoi nous nous réunissons un lundi matin, alors même que l'urgence sanitaire est toujours présente et qu'un certain nombre de nos collègues, qui sont renouvelables, peuvent difficilement être présents à Paris.

Ce projet de loi n'organise pas la sortie de l'état d'urgence sanitaire, mais proroge en réalité les principales mesures de cet état d'urgence que sont la restriction à la liberté de circulation, la fermeture d'établissements recevant du public et des contraintes pouvant allant jusqu'à l'interdiction de réunions et de manifestations. D'autres pouvoirs avaient été octroyés au Gouvernement. Après des débats tendus avec ce dernier, nous avions accepté, dans la loi du 23 mars dernier, de prévoir la possibilité de porter des atteintes limitées à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre : aucune mesure n'a été prise en application de cette disposition. Nous avions aussi confié au Gouvernement des pouvoirs qu'il détenait déjà sur le fondement d'autres textes, notamment le code de la santé publique.

Le précédent texte autorisait la prorogation de l'état d'urgence sanitaire pour deux mois, comme nous l'avions souhaité, pour pouvoir contrôler des mesures portant atteinte à nos libertés et aux droits fondamentaux ; celui-ci prévoit une prorogation de quatre mois. On peut certes justifier ce délai par des raisons pratiques : il serait plus difficile de nous faire siéger avant le 11 octobre en raison des élections sénatoriales. Mais si les circonstances nationales exigeaient une réunion du Parlement en septembre, nous serions là ! Nous ne pouvons donc accepter cette durée de quatre mois.

Nous pouvons marquer notre mauvaise humeur et rejeter le texte, mais le concept de sortie de l'état d'urgence sanitaire ne peut être balayé d'un revers de manche. Nous devons être pragmatiques et vérifier s'il y a lieu de permettre au Gouvernement de décider de mesures que le droit commun ne lui permet pas de prendre. Je crois que tel est le cas.

C'est la raison pour laquelle je proposerai non pas de reconduire l'état d'urgence, mais d'autoriser le Gouvernement à prendre des mesures beaucoup plus circonscrites que celles qu'il avait initialement prévues.

La situation sanitaire s'est évidemment améliorée, au point que la plupart des restrictions mises en oeuvre ont été levées ; il en subsiste néanmoins. Nous ne sommes pas certains que nous n'aurons pas besoin de nouvelles mesures de protection de la santé publique, d'autant que, dans certaines parties du territoire - la Guyane et, dans une moindre part, Mayotte - des mesures restrictives des libertés doivent être maintenues.

Avec mes amendements, je vous proposerai d'autoriser certaines restrictions à la liberté d'aller et de venir, sans aller jusqu'au confinement ; de prévoir la possibilité de maintenir la fermeture de certains établissements recevant du public, y compris pour sanctionner des établissements rouverts sans respect des gestes barrières, ou de restreindre leurs conditions d'ouverture. S'agissant de la liberté de réunion et de rassemblement, les interdictions générales sont aujourd'hui disproportionnées : un régime d'autorisation préalable systématique est incompatible avec notre tradition de liberté ; il faut donc des mesures intermédiaires.

Nous devons également prévoir dans le texte des mesures permettant le dépistage des personnes arrivant par avion sur le territoire métropolitain ou en outre-mer, y compris, dans ce dernier cas, en provenance de métropole ou d'autres collectivités outre-mer.

L'article 2 du projet de loi présenté par le Gouvernement tendait initialement à revenir sur l'accord trouvé en commission mixte paritaire sur la durée de conservation des données issues des systèmes d'information mis en oeuvre pour lutter contre l'épidémie de Covid-19, pour faciliter le dépistage de la maladie et assurer le suivi des « cas contacts ». Nous avions alors tenu, vous vous en souvenez, à encadrer strictement ce dispositif, et nous avions notamment prévu, à titre de garantie, que la durée de conservation des données personnelles collectées soit spécifiquement limitée et ne dépasse pas trois mois - un délai déjà très large, les données étant périmées au-delà d'une quinzaine de jours. Le projet de loi initial visait à permettre par décret de larges dérogations à cette durée, dans la limite de six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire. L'Assemblée nationale a limité cette possibilité de prolongation aux seules données pseudonymisées collectées et aux seules fins de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus.

La version initiale du Gouvernement n'était pas acceptable, mais avec ces modifications, il me semble que nous sommes désormais parvenus à un équilibre satisfaisant.

M. Pierre-Yves Collombat. - Merci de ce rapport. Je serai plus direct : j'ai le sentiment que le Gouvernement ne sait pas où il va, et qu'il essaye de partager avec nous la responsabilité de sa démarche chaotique. Nous sommes sortis du confinement, mais nous y restons quand même : on fait un pas en avant et un pas de côté en même temps... On ne peut pas améliorer un texte qui dit une chose et son contraire.

Il ne faut pas légiférer en proposant des dispositions applicables « au cas où » elles seraient nécessaires. Si le Gouvernement était préoccupé de préparer l'avenir, il l'aurait fait depuis longtemps, sans nous laisser démunis en masques, en tests, en lits d'hôpital, face à cette épidémie.

Mon groupe s'opposera à ce texte.

M. Philippe Bonnecarrère. - Entre 2014 et 2020, avec les prolongations de l'état d'urgence lié aux attentats terroristes et la troisième prorogation de l'état d'urgence sanitaire proposée de fait dans ce projet de loi, nous aurons passé la moitié du temps sous un régime d'état d'urgence, ce qui est perturbant pour le fonctionnement du pays. À titre personnel, cette récurrence d'une forme d'exception me semble excessive.

À quoi sert cet état d'urgence ? Je comprends la pertinence des mesures qui ont été listées par le rapporteur en cas de reprise de la pandémie. Mais celles-ci me semblent déjà prévues par l'article L. 3131-15, il me semble, du code de la santé publique. Le Conseil d'État indiquait, dans son avis, que le Gouvernement dispose déjà de moyens aux termes de l'article L. 3131-1, mais qu'il serait bon de consolider ce fondement juridique. L'article 2 de la loi du 23 mars 2020 listait les dispositions de l'article précité. D'après moi, le fondement juridique des mesures demandées par le Gouvernement existe déjà.

Ce texte semble servir à rassurer les ministres - je peux comprendre que cette période délicate pose des problèmes de responsabilité. La crise a déjà été très largement traitée de manière administrative, alors que les enjeux étaient pratiques et médicaux. Mais quand un texte n'est pas utile, il faut le dire et refuser de le voter.

S'agissant de l'article 2, je considère toujours que le système de fichiers mis en place - centralisé et entre les mains des caisses primaires - était inutile et profondément attentatoire aux libertés : le combat contre la pandémie se fait dans les cabinets médicaux et dans l'analyse de terrain. La seule finalité qui me semble acceptable est celle d'un fichier qui ne serve qu'à des fins épidémiologiques.

Ce projet de loi est vexatoire : l'exécutif nous demande davantage de pouvoirs. De grâce ! Nous sortons d'une période pendant laquelle l'exécutif, qui a déjà un poids sans commune mesure avec celui du Parlement, a tout géré.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je suis parti du même point de départ que vous, monsieur Bonnecarrère : je n'ai pas voulu d'une reconduction de l'état d'urgence sanitaire qui ne dirait pas son nom. C'est la raison pour laquelle je propose de remplacer les dispositions de l'article 1er par un autre dispositif.

S'agissant du fichier à portée épidémiologique, je ne suis pas aussi qualifié que vous pour en apprécier les modalités. Du point de vue du législateur, il me semble qu'un fichier ne comprenant que des données pseudonymisées ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux libertés. Que le Gouvernement soit en mesure ou non de le mettre en place est une tout autre question. L'Assemblée nationale a retiré le venin de l'article 2, et je vous propose d'approuver ce dispositif ainsi amélioré.

Il n'est pas absurde de reconduire l'état d'urgence sanitaire en Guyane, quand on sait que le nombre de malades de la Covid-19 accueillis dans les hôpitaux de Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni a doublé en une semaine.

S'agissant des bases juridiques existantes, l'article L. 3131-15 du code de la santé publique est celui que nous avons créé dans la loi du 23 mars : c'est l'état d'urgence sanitaire. La base juridique n'existe donc que si l'on reste dans l'état d'urgence sanitaire.

Je propose des mesures temporaires qui peuvent être prises en dehors de la période d'état d'urgence sanitaire. On aurait pu laisser le Gouvernement se débrouiller avec les moyens du bord, comme vous le proposez. Mais j'ai tout de même l'impression qu'il aurait du mal à prendre légalement certaines mesures qui peuvent encore être nécessaires.

M. Jean-Pierre Sueur. - Mon intervention vaudra défense de nos amendements.

Je partage votre sentiment, monsieur le rapporteur, sur les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles nous travaillons. Nous avons déposé nos amendements vendredi dernier, nous examinons ce matin le texte qui passe en séance publique cet après-midi...

Je partage les propos de Pierre-Yves Collombat et Philippe Bonnecarrère : nous sommes face à un texte très étrange. À l'Assemblée nationale, la majorité a voté pour, et tous les autres groupes ont voté contre : c'est dire qu'il n'y avait pas consensus...

Selon son intitulé, le texte organise la fin de l'état d'urgence sanitaire. Mais soit nous sommes en état d'urgence, soit c'est terminé ! D'autant que l'article 1er maintient la totalité des pouvoirs dévolus au Gouvernement dans le cadre de cet état d'urgence.

L'amendement COM-23 du rapporteur vise à préciser les conditions d'application de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, lequel permet d'ores et déjà au ministre de la santé de mettre en oeuvre les mesures qui s'imposent.

Les moyens juridiques pour prendre les mesures nécessaires après la fin de l'état d'urgence existent déjà. Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, nous pourrions de toute manière nous réunir à tout moment si cela s'avérait indispensable.

Nous voterons donc contre l'article 1er, sur lequel nous avons déposé un amendement de suppression. Nous proposons aussi des amendements de repli, notamment sur le droit de manifestation et du droit de réunion. À la demande de nos collègues ultramarins, nous avons également présenté un amendement pour permettre l'exercice d'un contrôle sanitaire à l'entrée de ces territoires. Il nous paraît en effet nécessaire de prendre des mesures appropriées pour la Guyane et Mayotte pour des raisons de sécurité sanitaire.

S'agissant de l'article 2, nous n'avons pas, à ce stade, déposé d'amendement de suppression. Les précisions apportées par l'Assemblée nationale nous semblent importantes : elles restreignent la prolongation de la conservation des données à des considérations de recherche scientifique.

Nous voterons sans doute contre l'ensemble du texte, tout en comprenant les apports de l'article 2 revu par l'Assemblée nationale.

M. Alain Richard. - Je partage votre raisonnement, monsieur le rapporteur, mais je choisirai des termes moins impétueux : passé un temps d'indignation et de réprobation contre l'inspiration de ce texte, vous proposez des amodiations ou des améliorations qui ne le contredisent pas complètement.

Certains collègues ont manifesté une forte aversion à l'égard du rôle de l'exécutif : nous sommes un État de droit, dans lequel le régime de base est la liberté. Ce régime peut faire l'objet de limitations encadrées par la loi, lesquelles sont des actes individuels ou règlementaires de police. Je ne connais pas d'État organisé dans lequel les mesures localisées et individualisées de police sont prises par une assemblée délibérante : elles le sont par une autorité administrative, sous le contrôle d'un juge.

S'agissant de l'article 2, je peux vous dire, pour avoir des relations avec le milieu des épidémiologistes, que nous ne connaissons que le tiers de ce que nous devrions savoir sur ce virus. Un des problèmes clés s'agissant des nouvelles épidémies, c'est d'obtenir des données de qualité et homogènes. Il faut des mois, voire une année, de travail pour faire le tri d'une base de données. Il est de la mission du législateur, en prenant les précautions que le rapporteur a citées, de permettre aux scientifiques d'avoir accès à un tel fichier.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je ne suis pas surpris que vous soyez, mon cher collègue, plus modéré que moi dans l'expression...

La présentation de ce projet de loi contient des artifices de nature à induire en erreur. Les dispositions de l'article 1er reproduisaient, à la virgule près, les pouvoirs donnés au Gouvernement par la loi dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, et ce pour quatre mois au lieu de deux, sans avis du comité de scientifiques. C'est un peu « fort de café » !

J'ai souhaité remplacer l'article 1er par de nouvelles dispositions, en ayant fait l'inventaire de ce qui pouvait être encore nécessaire et qui n'était pas couvert par les dispositions de droit commun, car le procédé n'était pas très honnête sur le plan intellectuel.

J'en viens au périmètre du projet de loi, qui inclut les prérogatives conférées aux autorités publiques pour assurer la sortie de l'état d'urgence sanitaire ; les dispositions relatives à la prorogation de l'état d'urgence sanitaire en tout ou partie du territoire national ; les mesures susceptibles d'être ordonnées dans le cadre du régime de l'état d'urgence sanitaire ; et les systèmes d'information mis en oeuvre dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19.

En revanche, ne présentent aucun lien, même indirect, avec le projet de loi les dispositions liées à la gestion des conséquences économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19, les mesures budgétaires et fiscales relevant des lois de finances ainsi que les dispositions de droit électoral.

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à supprimer la possibilité d'interdire les manifestations à compter de la date de promulgation de la loi.

J'attire votre attention sur le fait que l'examen de ce projet de loi pourrait se poursuivre jusqu'à la première semaine de juillet. Il ne sera donc promulgué que quelques jours, au mieux, avant le 10 juillet, date de la fin de l'état d'urgence sanitaire. En pratique, la disposition proposée risquerait donc de n'être appliquée que pendant une semaine. C'est la raison pour laquelle il ne m'a pas paru indispensable de traiter cette question dans ce texte. L'avis est défavorable.

L'amendement COM-5 n'est pas adopté.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement COM-10 avait déjà été adopté par le Sénat lors de l'examen de la loi du 11 mai 2020. Depuis, le contexte a changé : à compter du 11 juillet, l'encadrement des prix reposera sur le droit commun du code de commerce. La précision apportée par l'amendement n'aurait donc que peu d'utilité. L'avis est défavorable.

L'amendement COM-10 n'est pas adopté.

Article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Les amendements identiques COM-1 et COM-14 tendent à supprimer l'article 1er. J'ai fait la même démarche que les auteurs de ces amendements, mais en remplaçant l'article par un nouveau dispositif. Je vous propose de préférer ma solution, qui se concrétise par plusieurs amendements, à la leur.

Les amendements COM-1 et COM-14 ne sont pas adoptés.

L'amendement rédactionnel COM-16 est adopté.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Mon amendement COM-17 tend à supprimer la possibilité, pour le Premier ministre, d'interdire la circulation des personnes et des véhicules, tout en conservant la faculté d'une réglementation afin, par exemple, de maintenir l'obligation du port du masque dans les transports en commun.

L'amendement COM-2 de M. Sueur est partiellement identique au mien, car il prévoit également de supprimer la possibilité d'interdire la circulation des personnes et des véhicules.

Ces deux amendements ont pour conséquence que le Gouvernement n'aurait plus le droit d'imposer le confinement, sauf s'il décidait de rétablir l'état d'urgence sanitaire. Je vous demanderai toutefois de privilégier la rédaction que je vous propose, car elle permet de conserver la faculté de restreindre les déplacements par transport aérien et maritime.

Si nos collègues du groupe socialiste acceptaient de rectifier leur amendement pour le rendre identique au mien, nous pourrions l'adopter.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'accepte de rectifier l'amendement pour le rendre identique à celui du rapporteur.

M. Alain Richard. - S'il y a un cluster inquiétant outre-mer, le texte permet de rétablir le confinement ; en revanche, il ne permet pas d'instaurer un confinement local en cas de cluster limité sur le territoire métropolitain.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - J'ai pensé à ce cas, et je vous proposerai un amendement permettant au Gouvernement, par décret en conseil des ministres, de déclarer l'état d'urgence sur une partie du territoire.

M. Alain Richard. - Ce décret doit-il être précédé d'un acte législatif ?

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Non. La loi du 23 mars a autorisé l'état d'urgence pour deux mois, mais elle a prévu que, à l'expiration de ce délai, si l'état d'urgence n'est pas prorogé par la loi, le Gouvernement peut le rétablir par décret. Il doit néanmoins revenir devant le Parlement pour obtenir l'autorisation du législateur pour le prolonger. Je vous proposerai de le faire figurer dans le texte. Ce n'est pas parce que l'on permet l'état d'urgence en Guyane qu'on l'interdit ailleurs.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je pensais que l'article L. 3131-15 du code de la santé publique donnait au Gouvernement les moyens de mettre en oeuvre le confinement. Je vous ai indiqué précédemment que je ne comprenais pas l'objectif poursuivi avec ce texte, car le Gouvernement dispose déjà des pouvoirs qu'il demande. Vous m'avez indiqué que je commettais une erreur d'interprétation juridique : ces pouvoirs ne peuvent être exercés que dans le cadre de l'état d'urgence.

Le Parlement a introduit dans l'article 2 de la loi du 23 mars le paragraphe suivant : « Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. »

J'ai compris que l'article L. 3131-15 n'était opérant que pendant l'état d'urgence. Mais la disposition chapeau de l'article L. 3131-1 permet d'utiliser toutes les mesures après la fin de l'état d'urgence, avec comme seule condition d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. Pourquoi faut-il revenir sur un pouvoir que l'exécutif a déjà ?

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'article L. 3131-1 figure dans le code de la santé publique depuis un certain nombre d'années. Le Gouvernement s'en est servi avant le vote de la loi d'état d'urgence sanitaire dans des conditions qui lui ont très rapidement semblé juridiquement fragiles. Cet article est rédigé en des termes extrêmement généraux, et pourrait laisser croire que le ministre de la santé, en raison d'un intérêt supérieur qui serait celui de la santé publique, pourrait prendre des mesures mettant de côté la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Constitution et l'ensemble des lois qui protègent nos libertés !

Le Gouvernement a été heureux de trouver cet article au début de l'épidémie. Mais il en a rapidement vu les limites... Nous avons voté l'état d'urgence sanitaire pour cette seule raison. Dans son embarras, le Gouvernement avait inventé un système assez curieux : le Premier ministre avait pris des décrets pour publier au Journal officiel les arrêtés du ministre de la santé, afin de leur donner plus de valeur... C'est dire l'embarras du Gouvernement, qui ne pouvait pas être si mal équipé en moyens juridiques pour affronter la crise. Nous avons donc mis en place l'état d'urgence sanitaire. Si l'on veut en sortir, on retombe sur l'article L. 3131-1, qui n'a pas changé depuis trois mois... C'est la raison pour laquelle j'ai proposé une modification de cet article, afin que le ministre de la santé ne soit pas capable de rayer d'un trait de plume toutes les libertés.

Nous devons refuser la prorogation déguisée de l'état d'urgence : il faut donc s'interroger sur ce que peut faire le Gouvernement pour permettre de maintenir fermées les boîtes de nuit ou de sanctionner un établissement recevant du public qui, par exemple, n'aurait pas mis de gel hydroalcoolique à la disposition de celui-ci. Nous sécurisons, en l'encadrant davantage, le pouvoir que le ministre de la santé tient de cet article.

Les amendements identiques COM-17 et COM-2 rectifié sont adoptés.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec mon amendement COM-18, je vous propose de renoncer à ce que l'administration puisse, en cas de non-respect des règles propres à la crise sanitaire, fermer des catégories de lieux de réunion ou d'établissements recevant du public, mais de conserver sa faculté d'en régler les conditions d'accès. Ma rédaction est plus complète que celle de l'amendement COM-3, qui va dans le même sens : je propose à ses auteurs de se rallier au mien.

M. Alain Richard. - Nous comprenons que l'autorité administrative ne pourra interdire l'ouverture d'un établissement, mais seulement en limiter l'accès.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - C'est cela, mais l'administration pourra aussi fermer des établissements au cas par cas, pour sanctionner le non-respect des règles sanitaires.

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous acceptons volontiers de rectifier notre amendement pour le rendre identique à celui du rapporteur.

Les amendements identiques COM-18 et COM-3 rectifié sont adoptés.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec mon amendement COM-19, je vous propose de supprimer le régime d'autorisation préalable des manifestations et cortèges. Le régime actuel de liberté donne à l'autorité administrative la possibilité d'interdire une manifestation pour des motifs d'ordre public : c'est satisfaisant, et je ne vois pas pourquoi il faudrait un régime d'autorisation préalable pour s'assurer que les manifestations publiques respectent les règles édictées. Comme l'a indiqué le Conseil d'État, le droit commun donne les moyens d'interdire une manifestation qui présenterait un risque pour la sécurité et la salubrité publique.

Les amendements COM-4 et COM-15 vont dans le même sens, mais bien plus loin et plus radicalement puisqu'ils suppriment l'alinéa : je préfère maintenir la possibilité de prescrire des mesures spécifiques, comme les gestes barrières, ce qui donne un fondement à des amendes administratives pour les contrevenants.

L'amendement COM-19 est adopté ; les amendements COM-4 et COM-15 deviennent sans objet.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec l'amendement COM-20, je précise l'obligation introduite par l'Assemblée nationale de faire un test de dépistage pour pouvoir se déplacer par avion vers certaines parties du territoire national. Nous avions écarté cette solution le 11 mai dernier, lui préférant une mise en quatorzaine parce que les tests ne nous étaient alors pas parus parfaitement fiables ; ils le sont désormais, d'où la possibilité de les utiliser à bon escient.

Les amendements COM-13, COM-12 et COM-6 suivent une autre voie, contradictoire avec celle que je vous propose.

L'amendement COM-20 est adopté ; les amendements COM-13, COM-12 et COM-6 deviennent sans objet.

L'amendement rédactionnel COM-21 est adopté.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec l'amendement COM-22, je vous propose de supprimer le régime, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, consistant à mettre en quarantaine et à placer à l'isolement les personnes arrivant sur le territoire hexagonal depuis une collectivité d'outre-mer. L'amendement COM-9 est identique.

Les amendements COM-22 et COM-9 sont adoptés ; l'amendement COM-11 devient sans objet.

Article additionnels après l'article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement COM-7 étant de cohérence avec la suppression de l'article 1er, il n'a plus lieu d'être.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec l'amendement COM-23, je vous propose de modifier en profondeur le régime des mesures que le ministre de la santé peut prendre en en cas urgence sanitaire - je m'en suis expliqué en réponse à Philippe Bonnecarrère. Dans ce régime, les mesures individuelles feraient l'objet d'une information sans délai du procureur de la République ; c'est nécessaire pour que l'autorité judiciaire intervienne au plus tôt.

L'amendement COM-23 est adopté.

Article 1er bis

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec l'amendement COM-24 , je vous propose de proroger l'état d'urgence sanitaire dans d'autres territoires que la Guyane et Mayotte.

L'amendement COM-24 est adopté.

Article 2

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement COM-8 supprime cet article, qui vise à donner au Gouvernement la possibilité d'allonger la durée de conservation des données personnelles utilisées dans la lutte contre le Covid-19. Le texte de compromis adopté par l'Assemblée nationale me paraît acceptable, puisqu'il ne concerne plus que les données pseudonymisées et à finalité de recherche ou d'épidémiologie. Par comparaison, je note d'ailleurs que des durées de conservation bien plus longues des données existent déjà comme, par exemple, dans la lutte contre la tuberculose : avis défavorable.

L'amendement COM-8 n'est pas adopté.

Article 3

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Avec l'amendement COM-25, je vous propose de sécuriser les mesures prises en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, le texte du Gouvernement comportant un risque constitutionnel.

L'amendement COM-25 est adopté.

Article 4

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement COM-26 rétablit les sanctions pénales supprimées par l'Assemblée nationale.

L'amendement COM-26 est adopté.

M. Hervé Marseille. - Ce texte tombe mal à propos : il prévoit de proroger l'état d'urgence sanitaire, alors que nous sommes en plein déconfinement, c'est un peu surréaliste... Même si nous étions très réservés, nous saluons votre effort, monsieur le rapporteur, pour rendre les choses claires. Il nous a été difficile de nous concerter dans le délai imparti, qui a été très court. Cependant, nous voterons ce texte, tout en attendant beaucoup du débat que nous aurons en séance plénière.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je comprends d'autant mieux que j'ai connu les mêmes difficultés : les délais étaient vraiment trop courts.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Articles additionnels avant l'article 1er

M. SUEUR

5

Suppression de la possibilité d'interdire les manifestations à compter de la date de promulgation de la loi

Rejeté

Mme Maryse CARRÈRE

10

Information du public et des professionnels sur l'encadrement des prix

Rejeté

Article 1er
Création d'un régime ad hoc de sortie de la crise sanitaire

M. SUEUR

1

Suppression de l'article 1er

Rejeté

M. LABBÉ

14

Suppression de l'article 1er

Rejeté

M. BAS, rapporteur

16

Rédactionnel

Adopté

M. BAS, rapporteur

17

Suppression de la possibilité d'interdire la circulation des personnes et des véhicules

Adopté

M. SUEUR

2

Suppression de la possibilité d'interdire la circulation des personnes et des véhicules

Adopté

M. BAS, rapporteur

18

Suppression de la possibilité de fermer provisoirement des catégories d'établissements recevant du public

Adopté

M. SUEUR

3

Suppression de la possibilité de fermer provisoirement des catégories d'établissements recevant du public

Adopté

M. BAS, rapporteur

19

Suppression de la possibilité de réglementer les rassemblements sur la voie publique

Adopté

M. SUEUR

4

Suppression de la possibilité de réglementer les rassemblements sur la voie publique

Satisfait ou sans objet

M. LABBÉ

15

Suppression de la possibilité de réglementer les rassemblements sur la voie publique

Satisfait ou sans objet

M. BAS, rapporteur

20

Précision du champ de l'obligation de présenter le résultat d'un examen biologique

Adopté

M. ARTANO

13

Mise en oeuvre du test par les compagnies aériennes

Satisfait ou sans objet

M. ARTANO

12

Renforcement de la surveillance médicale des personnes circulant entre la métropole et l'outre-mer

Satisfait ou sans objet

Mme GUIDEZ

6

Absence d'examen biologique pour les personnes immunisées

Satisfait ou sans objet

M. BAS, rapporteur

21

Consultation du comité scientifique

Adopté

M. BAS, rapporteur

22

Inscription dans la loi d'une obligation de prévoir, par décret, les conditions de mise en oeuvre de tests préalables à l'isolement

Adopté

M. ARTANO

9

Inscription dans la loi d'une obligation de prévoir, par décret, les conditions de mise en oeuvre de tests préalables à l'isolement

Adopté

M. ARTANO

11

Inscription dans la loi d'une obligation de prévoir, par décret, les conditions de mise en oeuvre de tests préalables à l'isolement

Satisfait ou sans objet

Articles additionnels après l'article 1er

Mme CONCONNE

7

Obligation de présentation des résultats d'un examen biologique pour certains déplacements en avion

Rejeté

M. BAS, rapporteur

23

Modification des pouvoirs du ministre de la santé en cas de menace sanitaire grave

Adopté

Article 1er bis
Prolongation de l'état d'urgence sanitaire en Guyane et à Mayotte

M. BAS, rapporteur

24

Possibilité de proroger l'état d'urgence sanitaire dans d'autres territoires

Adopté

Article 2
Prolongation de la durée de conservation de certaines données personnelles
collectées par les systèmes d'information de santé pour lutter contre l'épidémie

Mme Maryse CARRÈRE

8

Suppression de l'article 2 prolongeant la durée de conservation de certaines données personnelles

Rejeté

Article 3
Application des mesures de quarantaine et de placement en isolement
en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

M. BAS, rapporteur

25

Limitation de l'adoption des durées de quarantaine

Adopté

Article 4
Application de l'article 1er en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

M. BAS, rapporteur

26

Rétablissement de sanctions pénales

Adopté

Projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. Philippe Bas, Mmes Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Luc Fichet, Jean-Pierre Sueur et Alain Richard, comme membres titulaires, et Mmes Catherine Di Folco, Marie Mercier, MM. Vincent Segouin, Hervé Marseille, Jean-Yves Leconte, Mmes Nathalie Delattre et Esther Benbassa, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.

La réunion est close à 11 h 20.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 19 heures.

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire - Examen des amendements au texte de la commission

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire.

M. Jean-Pierre Sueur. - Auparavant, je souhaite affirmer que les conditions de travail qui nous sont imposées sont lamentables.

Alors que nous avons fait la démonstration que ce texte, dans cette rédaction, pouvait attendre quelques jours, nous nous sommes débrouillés pour déposer des amendements après avoir organisé vendredi une réunion de travail au sein de notre groupe qui n'était pas prévue, puis nous avons dû nous retrouver ce lundi matin, malgré les obligations parlementaires ou électorales pesant sur certains d'entre nous, et nous nous sommes organisés en vue de la séance à dix-sept heures. Or le Gouvernement a déposé de nouveaux amendements il y a quelques minutes. J'avais prévu, comme d'autres, d'être présent en séance jusqu'à dix-neuf heures trente ; nous avons donc été contraints d'organiser des remplacements au dernier moment.

C'est un dévoiement de l'activité parlementaire ! Je ne vois qu'une seule de nos collègues présente en visioconférence ; je comprends les autres : encore fallait-il savoir que cette réunion devait se tenir maintenant ! Le compte rendu doit faire état de ces circonstances, lesquelles ne sont pas respectueuses d'une assemblée parlementaire.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - J'ai fait les mêmes observations que vous, mon cher collègue, en commission comme en séance, et je partage votre point de vue. Ces conditions sont d'autant moins acceptables que nous ne sommes plus dans une situation d'extrême urgence imposant de prendre des mesures dans des délais très courts. L'état d'urgence sanitaire se prolonge jusqu'au 10 juillet, nous avons donc tout le temps de légiférer. L'inscription de ce texte à l'ordre du jour prioritaire dans des conditions acrobatiques tient en partie au souhait du Gouvernement de faciliter son examen par le Conseil constitutionnel, auquel on en vient à accorder plus de temps qu'au Parlement, et singulièrement au Sénat.

J'ai dit cela très clairement lors de la dernière Conférence des présidents, ce qui a donné lieu à un échange, d'autant plus vif que le Président du Sénat a appuyé ma position, avec le ministre chargé des relations avec le Parlement. De plus, alors que le contenu de ce texte est très contradictoire avec son propre titre comme avec la communication du Gouvernement, le ministre des solidarités et de la santé a cru bon de ne pas venir en audition parce que son emploi du temps ne le lui permettait pas. M. Marc Fesneau nous a répondu de ne pas hésiter à l'alerter pour qu'il exerce les prérogatives attachées à ses fonctions, ce que j'ai fait immédiatement quand j'ai appris que le ministre envisageait d'arguer d'obligations, partagées par certains d'entre nous, pour se faire remplacer ce soir par la secrétaire d'État qui lui est attachée. Sur un sujet d'une telle importance politique, qui fait l'objet de tant d'attentes de nos concitoyens, il m'a semblé qu'il appartenait bien au ministre lui-même d'être présent pour défendre la position du Gouvernement. Celui-ci a finalement accepté d'être là ce soir.

Je partage donc le sentiment que la représentation nationale n'est pas traitée comme elle devrait l'être.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Nous passons à l'examen des amendements au texte de la commission.

Article additionnel avant l'article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  2 rectifié bis est contraire à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié bis.

Article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Nous avons déjà examiné ce matin les amendements identiques nos  13, 15 et 17 de suppression de l'article 1er, qui seront au coeur du débat en séance. Ils sont contraires à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 13, 15 et 17

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  18 vise à supprimer l'alinéa de l'article 1er qui autorise une réglementation de la circulation des personnes et des véhicules. Or cela nous semble pouvoir être utile pendant quelque temps encore. En revanche, offrir la seule possibilité d'une interdiction, comme le propose le Gouvernement par l'amendement n°  23, est contraire à notre position.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 18 et 23.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  19 de suppression de l'alinéa 3 est contraire à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 19.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Par l'amendement n°  24, le Gouvernement entend préciser qu'il peut ordonner la fermeture provisoire de certaines catégories d'établissements recevant du public (ERP). Nous ne le souhaitons pas, d'autant qu'un tel copié-collé d'une mesure de l'état d'urgence sanitaire dans le droit commun encourt un risque d'inconstitutionnalité en raison de sa disproportion au regard des circonstances susceptibles de la fonder.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 24.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  25 du Gouvernement vise à subordonner tout voyage en avion à la présentation du résultat d'un examen de biologie médicale. Or nous ne pouvons accepter cela qu'en cas de provenance d'une zone encore infectée par le virus, comme nous l'avons indiqué ce matin.

M. Jean-Pierre Sueur. - Cet amendement vise également à rétablir la faculté accordée au Gouvernement d'imposer la réalisation de tests et la possibilité de prescrire des mesures de quarantaine. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'une obligation, mais bien d'une faculté, en quoi est-ce contraire à la position de la commission ?

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Nous avons précisé que cette faculté ne pourrait s'exercer que s'agissant de voyageurs en provenance de zones encore infectées. À défaut, nous nous trouverions dans une situation paradoxale : des obligations pèseraient sur les voyageurs en provenance des collectivités d'outre-mer, mais pas sur les ressortissants de l'espace Schengen, qui sont pourtant des étrangers.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il me semble que certains de nos collègues ultramarins adhèrent à la position du Gouvernement.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - D'autres souhaitent pouvoir se rendre plus facilement en métropole. L'idée d'accorder de tels pouvoirs au Gouvernement en dehors de l'état d'urgence sanitaire suscite des inquiétudes.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 25.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  5 rectifié bis est contraire à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié bis.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  22 vise à préciser qu'un dépistage virologique, et non sérologique, est requis. Je ne saurais arbitrer ce débat et je propose que nous nous en remettions à l'avis du Gouvernement.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 22.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  4 rectifié bis est contraire à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié bis.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  20 tend à supprimer le régime de contrôle parlementaire renforcé. Il faut au contraire le maintenir.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 20.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement n°  11, qui vise à imposer la publicité sans délai des avis du comité de scientifiques. Il est en effet arrivé que ces avis ne soient publiés qu'après trois ou quatre jours.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis très sensible à cette position. Ce comité de scientifiques a été créé dans des conditions qui ont pu donner lieu à débat et des décisions sont prises sur la base de ses avis. Si ceux-ci n'étaient pas immédiatement rendus publics, cela traduirait un manque de transparence inacceptable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 11.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  21 tend à supprimer toute sanction pénale en cas de violation des règles. Je n'y suis pas favorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  3 rectifié bis prévoit que les conditions dans lesquelles sont mis en oeuvre les tests préalables au placement à l'isolement sont déterminées par décret. Il semble que, dans certaines collectivités ultramarines, on peine à réaliser des tests. Toutefois, ce problème relève d'un manque de moyens et non de l'intervention du pouvoir réglementaire.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié bis.

La commission émet un avis favorable à l'amendement de clarification n°  26.

Articles additionnels après l'article 1er

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  14 postule la suppression de l'article 1er, à laquelle nous sommes défavorables.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  9 se heurte à l'article 45 de la Constitution : il concerne le droit du travail.

L'amendement n° 9 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 1er bis A

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Le Gouvernement entend supprimer par l'amendement n°  29 cet article, que notre commission a introduit.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 29.

Article 1er bis

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je suis favorable à la clarification que vise à apporter l'amendement n°  27.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 27.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Monsieur Sueur, je vous proposerai de retirer l'amendement n°  12 : l'application du contrôle parlementaire en cas de nouvelle déclaration d'état d'urgence est en effet déjà prévue dans la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous le retirerons en séance, mais seulement après y avoir entendu cette explication. S'agissant des droits du Parlement, il est préférable que les choses soient dites en séance publique.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 12.

La commission émet un avis favorable à l'amendement de clarification n°  28.

Article 2

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Il me semble que les auteurs des amendements identiques de suppression nos  1 rectifié bis et 16 ont réagi sur le texte du Gouvernement plutôt que sur celui qui découle des travaux de l'Assemblée nationale, lequel ne concerne plus que les données pseudonymisées et à finalité de recherche ou d'épidémiologie. Ce système me paraît acceptable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 1 rectifié bis et 16.

Article 3

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Les amendements qui suivent sont présentés par nos collègues néo-calédoniens et polynésiens. Ils tendent à permettre l'adoption en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française de mesures plus contraignantes que celles qui découleraient de l'état d'urgence sanitaire.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je ne suis pas certain que tel soit leur objectif. Les deux amendements principaux visent à imposer que les décisions en cette matière soient prises conjointement par le représentant de l'État, le Haut-commissaire dans chacune de ces collectivités, et le Congrès de Nouvelle-Calédonie ou le Gouvernement de la Polynésie française. Les deux amendements de repli tendent à imposer au moins une consultation de ces instances.

L'enjeu politique est de taille : la compétence santé est depuis longtemps confiée au Congrès de Nouvelle-Calédonie et au gouvernement de Polynésie française. Ceux-ci font observer que, étant compétents, il est normal qu'ils participent à la décision. Ils font toutefois la différence entre le pouvoir de police de l'État et sa mise en oeuvre dans le domaine de la compétence santé, qui leur appartient. En Nouvelle-Calédonie, le débat est important : la codécision est une question de principe et sa non-application serait vécue comme un retour en arrière. Le Congrès a récemment adopté à l'unanimité la nécessité que soit reconnue la complémentarité des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. Or vous savez qu'un référendum aura lieu début octobre, il me semblerait adroit de ne pas créer un sujet de friction dont certains feront argument pour affirmer que la collectivité ne dispose pas de véritables pouvoirs, puisque, en cas de crise, l'État pourrait décider seul. Trouver une modalité susceptible d'intégrer au texte leur point de vue ne me semblerait donc pas inutile.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je suis sensible à votre point de vue et attaché à l'autonomie de ces collectivités, qui sont, certes, compétentes en matière de santé, mais pas en matière de libertés. Pour cette raison, les mesures relatives à la quarantaine relèvent des compétences de l'État, lesquelles s'exercent après consultation. J'aimerais pouvoir adresser aux représentants de nos compatriotes d'outre-mer un signal positif, mais je suis retenu par le fait que la rédaction proposée tend à accorder expressément à ces collectivités la possibilité de prendre des mesures plus contraignantes encore que celles qui découlent de l'état d'urgence.

M. Philippe Bonnecarrère. - Vous avez raison sur ce point, néanmoins je me permets de vous transmettre l'avis du Congrès de Nouvelle-Calédonie, qui vous permettra peut-être de faire évoluer votre position d'ici à vingt et une heures trente.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je vous remercie de nous avoir éclairés sur ce point. Je ne voudrais pas que l'excès de cette rédaction se retourne contre ces bonnes intentions. À ce stade, je maintiens mon avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  6.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement de précision n°  7, des mêmes auteurs.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7.

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - En revanche, l'amendement n°  10 me semble paradoxal : il vise à rétablir la possibilité d'augmenter les durées de quarantaine et d'isolement alors que les deux collectivités concernées sont parmi les moins touchées par l'épidémie et n'ont donc pas besoin de telles mesures.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

Article 4

M. Philippe Bas, président, rapporteur. - L'amendement n°  8 rectifié tend, une fois encore, à supprimer les sanctions pénales. Je ne comprends pas la logique qui gouverne la rédaction de ces amendements : l'un vise à durcir les mesures, l'autre à supprimer les sanctions !

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.

La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article additionnel avant l'article 1er

Mme Maryse CARRÈRE

2 rect. bis

Défavorable

Article 1er
Création d'un régime ad hoc de sortie de la crise sanitaire

M. SUEUR

13

Défavorable

Mme ASSASSI

15

Défavorable

M. LABBÉ

17

Défavorable

Mme BENBASSA

18

Défavorable

Le Gouvernement

23

Défavorable

Mme BENBASSA

19

Défavorable

Le Gouvernement

24

Défavorable

Le Gouvernement

25

Défavorable

M. ARTANO

5 rect. bis

Défavorable

M. MENONVILLE

22

Avis du Gouvernement

M. ARTANO

4 rect. bis

Défavorable

Mme BENBASSA

20

Défavorable

M. SUEUR

11

Favorable

Mme BENBASSA

21

Défavorable

M. ARTANO

3 rect. bis

Défavorable

Le Gouvernement

26

Favorable

Articles additionnels après l'article 1er

Mme CONCONNE

14

Défavorable

Mme ASSASSI

9

irrecevable article 45

Article 1er bis A
Sécurisation du régime applicable aux menaces sanitaires graves

Le Gouvernement

29

Défavorable

Article 1er bis
Prolongation de l'état d'urgence sanitaire en Guyane et à Mayotte

Le Gouvernement

27

Favorable

M. SUEUR

12

Demande de retrait

Le Gouvernement

28

Favorable

Article 2
Prolongation de la durée de conservation de certaines données personnelles collectées
par les systèmes d'information de santé pour lutter contre l'épidémie

Mme Maryse CARRÈRE

1 rect. bis

Défavorable

Mme ASSASSI

16

Défavorable

Article 3
Application des mesures de quarantaine et de placement en isolement
en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

M. POADJA

6

Défavorable

M. POADJA

7

Favorable

M. POADJA

10

Défavorable

Article 4
Application de l'article 1er en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

M. POADJA

8 rect.

Défavorable

La réunion est close à 19 h 30.

Mercredi 24 juin 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, André Reichardt, Mme Muriel Jourda, M. Yves Détraigne, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Pierre Sueur et Martin Lévrier comme membres titulaires, et de Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Catherine Troendlé, MM. Jean-François Longeot, Yannick Vaugrenard et Ronan Dantec et Pierre-Yves Collombat comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire réunie pour examiner les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.

Proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. Philippe Bas, Mmes Marie Mercier, Jacky Deromedi, Annick Billon, Marie-Pierre de la Gontrie, Laurence Rossignol, et M. Thani Mohamed Soilihi comme membres titulaires, et de M. François Bonhomme, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, Dominique Vérien, Laurence Harribey, Maryse Carrère et Esther Benbassa comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire réunie pour examiner les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Projet de loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, Christophe-André Frassa, Mme Muriel Jourda, MM. Yves Détraigne, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Sueur et Richard Yung comme membres titulaires, et de Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Hervé Marseille, Éric Kerrouche, Mme Nathalie Delattre et M. Pierre-Yves Collombat comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire réunie pour examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Nomination de rapporteurs

La commission désigne M. Jean-Yves Leconte rapporteur sur le projet de loi organique (2019-2020) prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental, sous réserve de son dépôt.

La commission désigne Mme Jacqueline Eustache-Brinio rapporteur sur la proposition de loi n° 544 (2019-2020) instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine.

Audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, pour la présentation de son rapport annuel d'activité pour 2019

M. Philippe Bas, président. - Je salue nos collègues reliés à nous par téléconférence.

Nous entendons aujourd'hui Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, pour la présentation de son rapport annuel d'activité pour 2019.

Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. - Je vous remercie de m'avoir invitée pour la présentation de mon rapport annuel, d'autant que j'achève dans quelques semaines mon mandat, dont je souhaiterais tirer devant vous quelques enseignements.

Le contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est la seule institution de la République qui peut visiter à tout moment ces lieux. Nos quarante contrôleurs font 150 visites par an dans des établissements que nous rendons, de ce fait, visibles, ce qui est un plus pour la démocratie.

Depuis 2008 - j'ai pris mes fonctions en 2014 -, les libertés fondamentales et les droits fondamentaux des personnes détenues et retenues ont beaucoup régressé. Auparavant, il existait un socle de droits fondamentaux inaliénables ; depuis la loi relative à la rétention de sûreté de 2008, les choses ont changé. Au pénal, on examine davantage la dangerosité d'une personne que sa culpabilité. À ce propos, je m'inquiète de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, récemment adoptée à l'Assemblée nationale, qui permet de condamner une personne non pas pour ce qu'elle a fait, mais pour ce qu'elle est susceptible de faire.

Le CGLPL a joué un rôle de vigie des droits fondamentaux depuis sa création. Je commencerai par répondre au questionnaire que vous m'avez envoyé, avant de formuler quelques réflexions sur ce qui s'est passé dans les lieux de privation de liberté durant la crise sanitaire.

En ce qui concerne les prisons, nous avons visité 22 établissements en 2019. La surpopulation est le principal problème : en mars 2020, les prisons comptaient 71 000 détenus, vivant dans des conditions extrêmement dégradées. On relève un manque de personnel, un problème de violence - entre les détenus, et entre ces derniers et les surveillants -, et un mauvais accès aux soins. La Cour européenne des droits de l'homme a, dans une décision du 30 janvier 2020, condamné la France pour la surpopulation carcérale et l'absence de voies de recours suffisantes pour les détenus. J'ose espérer que cette condamnation fera bouger les choses...

En ce qui concerne la psychiatrie, nous avons visité 34 établissements. Une prise de conscience commence à naître depuis la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé, qui comprenait des mesures sur l'isolement et la contention. J'ai fait de ce secteur une priorité de mon mandat. L'hospitalisation sans consentement ne doit pas nécessairement signifier l'enfermement - et dans ce cas, il faut veiller à limiter les atteintes aux droits fondamentaux.

Néanmoins, beaucoup reste à faire : le regard sur le patient doit changer. Le respect des droits des patients hospitalisés sans leur consentement, ce n'est pas simplement apporter un supplément d'âme, c'est une partie intégrante du soin.

Nous avons récemment publié un rapport thématique sur l'hospitalisation sans consentement, dans lequel nous dénonçons le recours trop fréquent à cette procédure. Depuis trente ans, nous avons supprimé deux tiers des lits d'hôpitaux psychiatriques, ce qui est énorme. Mais les économies budgétaires faites n'ont pas été affectées à l'amélioration des soins de ville. Actuellement, une personne qui commence à avoir des symptômes psychiatriques doit souvent attendre six mois pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique (CMP) : durant ce délai, les troubles vont empirer, ce qui peut conduire à une hospitalisation.

Nous avons publié il y a une dizaine de jours une recommandation en urgence portant sur l'hôpital de Moisselles, dans le Val-d'Oise. Je m'y suis rendue avec mon équipe à l'improviste, en pleine crise de la Covid-19, à la suite d'une alerte : les patients, en soins libres et en soins sans consentement, atteints de la Covid-19 ou soupçonnés de l'être, étaient enfermés à double tour jour et nuit. Une patiente s'est défenestrée - heureusement, elle n'est pas décédée. J'ai alerté le ministre, car certains établissements faisaient une confusion entre le confinement pour la Covid-19 et la mise à l'isolement. Deux jours plus tard, les organes de gouvernance de l'hôpital ont décidé d'arrêter cette pratique. Personne n'a envie d'enfermer ou d'attacher des patients par plaisir, mais le personnel de l'hôpital ne voyait pas le problème, estimant que les gestes barrières ne pouvaient pas être assimilés par ces patients, alors que ceux-ci avaient bien compris - ils nous l'ont dit - qu'ils ne devaient pas sortir de leur chambre. Notre discussion avec les membres de la direction a permis de trouver une autre organisation.

M. Philippe Bas, président. - Quelle est cette nouvelle organisation ?

Mme Adeline Hazan. - Il faut fermer, mais pas à clé, la porte des chambres, en expliquant aux patients qu'il ne faut pas sortir. S'ils font mine de sortir, il faut aller les voir et discuter avec eux. Nous leur avons aussi proposé de mieux organiser le stockage du matériel de désinfection, qui était disposé juste devant les chambres : le personnel craignait que les malades contaminent ce matériel en le touchant.

Il faut rappeler que ces pratiques sont illégales, contraires à l'intégrité physique et psychique des personnes. Les personnels en conviennent et font autrement.

Par ailleurs, nous avons visité 24 centres de rétention administrative (CRA), ainsi qu'une zone d'attente. Aucune amélioration n'a été constatée. J'étais opposée au doublement de la durée maximale de rétention, portée de 45 à 90 jours en 2018. Nous commençons à en constater les dégâts : une telle mesure est inutile et génère des tensions. Cela a peut-être permis une toute petite augmentation du nombre de personnes reconduites à la frontière, mais les personnes sont souvent libérées au final, après être restées dans ces centres trois mois au lieu de 45 jours. Les CRA connaissent une évolution sécuritaire, qui les fait ressembler de plus en plus à des prisons.

Lors du débat sur la loi Asile et immigration en 2018, je m'étais prononcée en faveur d'une interdiction du placement des enfants en rétention. Ma proposition n'a pas été retenue. J'ai été entendue dans le cadre de l'examen, par l'Assemblée nationale, de la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention administrative des familles avec mineurs : ce texte prévoit de fixer la durée de rétention à 48 heures, avec une intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) au bout de 24 heures, et de prévoir la possibilité de prolonger le délai jusqu'à cinq jours. C'est un pas en avant par rapport à la situation actuelle, mais cela me semble insuffisant, d'autant qu'il n'y a apparemment pas de possibilité de faire adopter rapidement cette proposition de loi.

Dans les 60 commissariats et gendarmeries que nous avons visités, nous continuons de constater un hébergement indigne, une politique immobilière inadaptée, et des conditions d'hygiène épouvantables. Les gendarmeries posent toujours un problème de surveillance de nuit : en l'absence de permanence, les gardés à vue sont seuls, sans bouton d'appel, avec un passage seulement toutes les deux ou trois heures - en cas de problème, la personne a le temps de mourir. Nous avons évoqué ce problème depuis longtemps, mais force est de constater que très peu de boutons d'appel ont été installés.

Nous dénonçons également la garde à vue de « confort administratif » : en région parisienne, les gardes à vue sont souvent notifiées en début de soirée, puis il ne se passe rien avant le lendemain matin, quand débutent les auditions.

Autre pratique choquante : les commissariats retirent systématiquement tous les objets - montre, ceinture, lunettes, soutien-gorge pour les femmes - à l'ensemble des gardés à vue. Pour certaines personnes, dangereuses ou agitées, cette pratique est normale ; pour les autres, c'est une atteinte à l'intégrité et à la dignité. D'autant qu'on oublie souvent de leur rendre ces objets pour la comparution devant le juge...

S'agissant des centres éducatifs fermés (CEF), la situation n'a pas évolué par rapport aux années précédentes. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est d'accord avec nous, les inspections diverses et variées font les mêmes constats, et pourtant rien ne change... Il aurait fallu tenir compte des évaluations avant de décider de construire d'autres CEF. Les difficultés sont connues : d'énormes problèmes de personnel, des équipes en crise, une qualité inégale du suivi éducatif, une politique contrastée de l'ordre et de la sécurité, parfois trop souple et parfois trop sévère. Heureusement, les fouilles de mineurs, interdites par la PJJ, sont de moins en moins fréquentes.

Nous avons publié un fascicule intitulé « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté », en quelque sorte un droit souple de la privation de liberté. Depuis la création du CGLPL, des milliers de recommandations ont été publiées, et nous avons souhaité les rassembler. Ce sont des règles minimales valables dans tous les lieux de privation de la liberté, de la prise en charge au retour à la vie normale de la personne en passant par les modalités de son séjour dans ces lieux. Ce fascicule sera utile aux professionnels, aux avocats, aux magistrats, aux parlementaires et aux gouvernants.

Nous avons également publié le 10 juin dernier le troisième rapport sur la prise en charge des détenus radicalisés. Le premier datait de juin 2015, avec un avis assez négatif sur les unités dédiées : il était inefficace de regrouper des catégories de personnes qui n'avaient rien à faire ensemble. Les changements apportés à la prise en charge de ces détenus par la Chancellerie nous ont conduits à produire un deuxième rapport, en juin 2016 : nous avons également donné une appréciation négative sur les unités de prévention et de prise en charge.

Depuis 2018, un nouveau dispositif, articulé autour de la mise en place des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), a été mis en oeuvre : c'est la raison pour laquelle nous avons rédigé ce nouveau rapport. Depuis 2014, à chaque drame, la prise en charge de ces détenus est modifiée sans réelle évaluation des dispositifs précédents. J'ai bien conscience que ce dossier est extrêmement difficile, et qu'aucun pays n'a trouvé de solution idéale ; d'ailleurs, je n'ai pas de proposition à faire.

Beaucoup de choses ne vont pas dans le nouveau dispositif : il n'existe pas de définition de ce qu'est la radicalisation en prison, et la prise en charge ne présente pas de garanties suffisantes, notamment en termes déontologiques. On fait suivre des détenus que l'on soupçonne d'être radicalisés par des binômes de soutien, formés de psychologues et d'éducateurs : les détenus ne sont pas informés des soupçons à leur encontre, et les rapports consécutifs à ces entretiens finissent dans leur dossier et dans celui du juge. Cette absence totale de contradictoire me semble tout à fait contraire aux droits de la procédure pénale. Quant à la prise en charge, elle est largement insuffisante : on met à l'écart une certaine catégorie de détenus dans des conditions insatisfaisantes et sans aucune préparation à la sortie. Depuis une loi de 2016, ont été supprimées presque toutes les possibilités de réduction de peine, de permission de sortir, de semi-liberté. Maintenant, on s'aperçoit que ces détenus vont sortir l'année prochaine, et on cherche comment les condamner une deuxième fois...

Pour tous ces détenus, les mesures de sécurité sont exorbitantes. Aucune individualisation n'est prévue, alors qu'il n'y a rien de commun entre un jeune arrêté parce qu'il allait partir en Syrie et une personne très ancrée dans le djihadisme et qui a perpétré des crimes terroristes.

J'en viens à la crise sanitaire. Nous avons immédiatement alerté sur les deux dangers particuliers auxquels étaient confrontés les lieux de privation de la liberté : un risque plus important de contamination et des risques d'atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous avons mis en place un dispositif de suivi des établissements par téléphone, sauf pour les situations jugées extrêmement graves : nous nous sommes ainsi déplacés dans trois lieux - les CRA de Vincennes et du Mesnil-Amelot et l'hôpital de Moisselles.

Nous allons publier un rapport de fin de crise dans une quinzaine de jours. Dans tous les lieux de privation de liberté, les mesures de protection ont été mises en place plus tardivement qu'ailleurs : les psychiatres ont reçu des directives nationales et des masques plus tard que les autres médecins, le personnel n'a été doté de masques que le 29 mars. L'arrêt des visites extérieures a été insuffisamment compensé : en prison, j'ai sollicité la gratuité totale du téléphone, plutôt qu'un crédit forfaitaire de 40 euros, et la mise en place de parloirs par visioconférence - malheureusement, cela n'a pas été fait. Par ailleurs, les recours devant le juge judiciaire sont devenus plus difficiles, le summum ayant été atteint par l'ordonnance du 25 mars permettant la poursuite de tous les mandats de dépôts en cours sans comparution devant le juge. D'autres mesures ont posé problème : l'absence de présentation devant le juge de l'application des peines (JAP) ou le JLD en matière de psychiatrie, même en visioconférence - les décisions étaient uniquement prises sur la base du dossier -, l'absence des avocats qui soit se plaignaient d'un respect insuffisant des gestes barrières soit devaient répondre à un véritable interrogatoire avant de voir leurs clients.

Néanmoins, la crise sanitaire a eu une conséquence positive. Le nombre de détenus a diminué de 13 000, ce qui s'explique par la libération de 6 000 détenus et, pour le reste, par des personnes qui ne sont pas entrées en prison : nous sommes revenus à un seuil de 100 % d'occupation, que nous n'avions pas connu depuis trente ans. La garde des sceaux a demandé aux magistrats, qui n'avaient pas attendu ses instructions du 25 mars, de libérer des détenus avant la fin de leur peine.

Je suis favorable à ce système de régulation carcérale : lorsque le seuil d'occupation des prisons approche les 100 %, une coordination entre les magistrats et l'administration pénitentiaire devrait permettre de déterminer, au cas par cas, les détenus qui peuvent, sans risque pour eux et la société, sortir de manière anticipée. Il aurait fallu inscrire dans la loi de programmation et de réforme pour la justice ce principe de régulation carcérale. Avoir mis en oeuvre cette régulation pendant la crise a montré que c'était possible ; il faudrait maintenant la rendre obligatoire.

En psychiatrie, je veux saluer la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin dernier, qui a déclaré inconstitutionnel l'article sur les mesures d'isolement et de contention de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, au motif qu'il ne prévoit pas l'intervention du juge judiciaire pour contrôler ces mesures. La loi a constitué un progrès, car elle a apporté des précisions sur ces mesures, qui doivent être très courtes et prises en dernier recours, mais elle n'avait pas prévu de recours au juge pour prendre de telles décisions. Le Conseil constitutionnel a donné six mois au législateur pour modifier cette loi.

Depuis le déconfinement, l'administration pénitentiaire a diffusé deux notes, l'une pour la période allant du 11 mai au 2 juin, l'autre du 2 juin au 22 juin. Les parloirs ont repris, mais avec un visiteur seulement, une fois par semaine et sans enfant ; les activités collectives étaient très réduites jusqu'au 2 juin ; depuis le 11 mai, tous les agents, et pas seulement ceux qui sont au contact des détenus, portent un masque. Depuis le 2 juin, on assiste à une reprise progressive des transferts, les parloirs sont étendus à deux visiteurs et aux enfants de plus de seize ans. En revanche, les unités de vie familiale et les parloirs familiaux n'ont pas repris. La reprise des ateliers se fait progressivement. Malgré ces prescriptions de l'administration pénitentiaire, on nous a signalé un endroit où les mineurs sont toujours refusés, un autre où le père d'un détenu a été refoulé parce qu'il avait plus de 70 ans...

Durant ce mandat, je suis satisfaite de voir que j'ai pu faire bouger les choses dans le domaine de la psychiatrie. Nous avons lancé un pavé dans la mare en 2016 avec une recommandation en urgence à Bourg-en-Bresse, où des personnes étaient attachées depuis un an. Cet électrochoc a permis de déboucher sur une loi.

M. Philippe Bas, président. - Votre propos confirme que l'institution que vous incarnez est indispensable. Vous parlez au nom de personnes vulnérables qui n'ont pas voix au chapitre. Cela ne signifie pas que nous serons toujours d'accord avec vos propositions, même si nous devons davantage prendre en compte leur vulnérabilité et rééquilibrer en leur faveur les conditions de détention ou d'hébergement.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la rétention de sûreté, applicable depuis la loi de 2008 aux auteurs de crimes sexuels qui ont purgé leur peine ? Nous travaillons à la transposition de cette loi aux personnes radicalisées, qui relèvent d'une forme d'emprise sectaire nécessitant non pas de les condamner, mais de les surveiller. Il s'agit moins de justice que de police. Cette loi a fait bouger les lignes, et vous dénoncez le tournant qui a été pris à l'époque. Nous avons néanmoins à nous préoccuper d'un danger pour la société : quelle autre mesure pourrions-nous prendre ?

Vous avez évoqué le fait que les personnes condamnées pour des actes liés à une entreprise terroriste ne pouvaient pas bénéficier d'un accompagnement permettant d'éviter une sortie sèche. Par conséquent, nous n'aurions qu'à nous en prendre à nous-mêmes si nous devons maintenant gérer ce type de situations. Là aussi, que pouvons-nous faire ?

Mme Marie Mercier. - Je vous remercie, madame la Contrôleure générale, pour la pugnacité avec laquelle vous avez exercé votre mission. Transparaît de votre exposé un problème de moyens et de gouvernance. Dans le centre pénitentiaire de mon département, la Saône-et-Loire, le directeur a pris les choses en mains durant la crise sanitaire : tests du personnel, aile affectée à la quarantaine... Aucun détenu n'a été infecté.

La psychiatrie, c'est prévoir des réactions imprévisibles. Vous avez évoqué les mesures prises par l'hôpital psychiatrique de Moisselles. Qui avait mis en place les mesures d'enfermement que vous avez dénoncées ?

M. François Bonhomme. - S'agissant des détenus condamnés pour des actes terroristes, vous avez indiqué que la préparation de la sortie était insuffisante. La question est ancienne, et l'État tâtonne, entre logique de regroupement et logique de dispersion des détenus, pour trouver un système qui permette d'éviter la propagation des idées terroristes au sein de l'espace carcéral. Le rapport de nos collègues Catherine Troendlé et Esther Benbassa avait montré, dès 2017, les limites des centres de déradicalisation, qui ont été - on peut le dire - un échec total.

L'Assemblée nationale vient de voter la possibilité de prendre des mesures de sûreté par un placement sous bracelet électronique, ce qui a suscité des réactions de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et du Conseil d'État, qui a émis des réserves tout en reconnaissant les difficultés d'appréciation.

Vous avez évoqué le fait qu'il n'y ait pas de définition de la radicalisation. Je ne suis pas sûr qu'on en aura une un jour... Mais ce phénomène existe bel et bien, et la société se doit d'essayer de prévenir la perpétration d'actes terroristes par des personnes radicalisées. Je le rappelle, 31 détenus radicalisés vont être libérés cette année, 62 en 2021 et 50 en 2022.

Comment intégrer l'éthique de responsabilité ? Comment prendre en compte les conséquences pour la société des mesures prises, et ne pas s'en tenir au seul respect des droits fondamentaux des détenus ? Le procureur de la République antiterroriste a indiqué devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : « Nous avons plus qu'une inquiétude, une vraie peur, s'agissant des dizaines de personnes qui vont sortir de prison, qui sont très dangereuses et dont les convictions sont absolues. Elles constituent la menace prioritaire aujourd'hui. » Comment conseiller au mieux le Gouvernement pour définir des mesures adaptées à ce risque ?

M. Philippe Bas, président. - Mme Troendlé a travaillé, avec Mme Benbassa, sur les questions de radicalisation, qui font actuellement l'objet d'une commission d'enquête dont la rapporteure est Mme Eustache-Brinio.

Mme Catherine Troendlé. - En 2009, nous avions interrogé Mme Alliot-Marie, alors garde des sceaux, sur le retrait du soutien-gorge des femmes en garde à vue. Il me semble qu'elle avait donné des instructions pour mettre fin à cette pratique.

Pour avoir fait le tour des institutions qui prennent en charge les jeunes en difficulté, notamment les radicalisés, je suis convaincue que les CEF sont les plus appropriés. La prise en charge coûte extrêmement cher, car les intervenants sont nombreux. La seule difficulté, c'est le manque de personnel, notamment pour permettre à ces jeunes de réintégrer une scolarité normale. La plupart d'entre eux sont des prévenus. Ils ne sont pas dans une démarche volontaire de reconstruction, car ils attendent une décision de justice. Cela ne va pas vous plaire, mais je me demande s'ils ne devraient pas parfois être condamnés à des peines un peu plus longues pour permettre une prise en charge approfondie dans un cadre qui leur est, à mon sens, favorable, et en tout cas bien meilleur que celui proposé dans les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt.

Je laisserai Mme Jacqueline Eustache-Brinio évoquer la question de la déradicalisation. Pour les mineurs, il faut prévoir des moyens suffisants afin d'assurer leur prise en charge à la sortie des établissements, peut-être en renforçant les moyens de la PJJ.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Sur les CEF, vous avez souligné votre réticence à la construction de nouveaux centres. Comme Mme Troendlé, j'estime qu'ils sont nécessaires, car nous devons protéger la société des délinquants mineurs très violents. Personne ne souhaite que ces jeunes passent leur vie dans un CEF, mais ils n'arrivent pas là par hasard : ils ont un très long parcours socio-éducatif de prise en charge derrière eux. Des mesures éducatives en milieu ouvert sont prononcées très tôt. On veut les maintenir à tout prix dans leur famille, dans leur quartier, et pourtant ils finissent en CEF. C'est donc un échec de la prise en charge des mineurs délinquants. Que de temps perdu !

Mme Catherine Troendlé. - On manque de moyens.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Et de doctrine !

Sur la radicalisation, le contexte est compliqué, et nous ne pouvons pas le nier.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai prêté une grande attention à vos propos sur les effets de la crise de la Covid-19 sur le dépeuplement des prisons. On a le sentiment que les choses vont plutôt mieux. Nous l'avons souvent dit au sein de notre commission, il faut privilégier les alternatives à la détention et éviter les séjours courts, notamment de prévenus, car leurs effets sont négatifs. Vous avez émis le voeu que l'on continue sur cette voie. Estimez-vous que nous y parviendrons ? Cela permettrait aussi au personnel pénitentiaire de se concentrer sur les détenus condamnés à de plus longues peines.

À la fin de votre mandat, estimez-vous que les moyens du CGLPL sont suffisants ? Quelle analyse faites-vous de la suite donnée par les différents gouvernements à vos préconisations ? Vous avez évoqué avec le cri du coeur la psychiatrie, où vous avez eu le sentiment de marquer des points.

Mme Nathalie Delattre. - Merci pour votre exposé remarquable. J'ai visité le centre pénitentiaire de Draguignan, dans lequel l'emprise de la drogue est importante. Les trafics n'ont pas cessé pendant le confinement. Quid de la problématique du sevrage ?

Je voulais également faire état des dysfonctionnements en matière de formation dans les prisons. Les cycles de formation ont du mal à reprendre après le confinement, ce qui me parait très regrettable dans la mesure où la formation constitue souvent la première étape dans un parcours de réinsertion professionnelle.

Mme Josiane Costes. - Ma question porte sur les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et sur les quartiers pour mineurs, que j'ai eu l'occasion de visiter dans le cadre de la préparation d'un rapport pour la commission. J'ai été assez dubitative quant à la qualité de l'enseignement dispensé à ces jeunes. Quel regard portez-vous sur cette question ? Il faut préparer les jeunes à leur future insertion professionnelle.

Qu'en est-il de l'accès de ces jeunes, qui ont souvent des troubles psychologiques ou psychiatriques, à des pédopsychiatres ou à un suivi psychologique ? La situation m'a semblé assez chaotique et assez inégale. Voir un mineur enfermé est éprouvant : comment le préparer à la sortie ?

M. André Reichardt. - Ma première question porte sur l'absence de contradictoire, pour reprendre vos termes, dans l'identification des personnes radicalisées en prison. Mais si l'on veut savoir si une personne est radicalisée, il ne faut pas lui poser la question... C'est davantage du ressort du renseignement pénitentiaire : est-il suffisamment efficace ? Nous savons que l'un des facteurs de la radicalisation est l'incarcération. L'accompagnement du détenu, en revanche, nécessite le contradictoire. Il faut éviter les sorties sèches qui présenteraient des risques pour la société.

Nous sommes nombreux à nous féliciter que les prisons aient retrouvé un taux d'occupation acceptable. Pour autant, avez-vous pu d'ores et déjà relever une amélioration de la situation, qui se traduirait par une baisse des troubles en prison ?

M. Éric Kerrouche. - Ces dernières années, nous avons assisté à un durcissement de la politique pénale. L'emprisonnement est souvent envisagé comme la solution unique. D'après les enquêtes d'opinion, ceux qui sont emprisonnés devraient payer deux fois : par le fait d'être privés de liberté, et par des conditions de détention pénibles. Débloquer des crédits budgétaires pour améliorer la situation n'est jamais populaire... On entre dans une logique exclusivement punitive. Ne serait-il pas préférable de développer des mesures de substitution à l'emprisonnement, afin de concentrer les moyens sur les détenus posant le plus de problèmes ? La baisse de la population carcérale permet-elle d'apporter un service pénitentiaire de meilleure qualité ?

Pour faire écho à la question de Jean-Pierre Sueur, quelles évolutions seraient, selon vous, souhaitables pour donner plus de portée à l'activité du Contrôleur général ?

Mme Adeline Hazan. - S'agissant de la loi de 2008 et de sa réplique - le texte adopté lundi dernier par l'Assemblée nationale -, je le redis, la question de la radicalisation en prison et du traitement des détenus radicalisés est extrêmement compliquée. Pour le moment, personne n'a trouvé de solution, ni en France ni ailleurs. Loin de moi l'idée de dire ce qu'il faut faire, et je ne suis d'ailleurs pas là pour ça.

Dans un État de droit, il faut s'en tenir à des principes fondateurs écrits dans la loi ou dans des textes de valeur supérieure, sinon toutes les dérives sont possibles. Notre droit prévoit qu'une personne est condamnée si elle est coupable de quelque chose, et non parce qu'une commission décide qu'elle est encore dangereuse.

M. Philippe Bas, président. - Il s'agirait d'une mesure de surveillance.

Mme Adeline Hazan. - En droit pénal, soumettre quelqu'un au port d'un bracelet électronique est une alternative à l'incarcération et donc une condamnation.

M. Philippe Bas, président. - Laissons de côté le bracelet électronique. Et pour le reste ?

Mme Adeline Hazan. - On ne peut pas imposer une série de mesures de surveillance à une personne qui a totalement purgé sa peine. La possibilité d'un suivi administratif pour une durée d'un an existe déjà : c'est largement suffisant. On changerait totalement de paradigme si l'on décidait, par exemple, d'imposer le pointage trois fois par semaine dans un commissariat. Sur le plan de la procédure, il n'est pas en outre envisageable d'imposer des mesures de surveillance après que la peine a été prononcée. Pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel, c'est au moment de la condamnation que les mesures de suivi sont décidées. Si la loi est adoptée, se posera un problème de rétroactivité : comment appliquer une loi pénale plus sévère à des personnes condamnées il y a déjà plusieurs années ?

Je n'ai pas de dispositif utile, efficient et respectueux des droits fondamentaux à proposer.

Le renseignement pénitentiaire fait son travail, et de façon non contradictoire. Il est très présent dans les établissements, surtout depuis qu'il appartient à la communauté du renseignement intérieur. Les commissions pluridisciplinaires uniques, qui décident du suivi des détenus, sont parfois présidées par un membre du renseignement pénitentiaire. Les dispositifs de prise en charge des détenus ne respectent pas le minimum de précaution éthique. Quand un psychologue fait des entretiens avec un détenu au motif de l'aider, son rapport peut finir par se retrouver dans le dossier du juge.

M. Philippe Bas, président. - Et si tel n'était pas le cas ?

Mme Adeline Hazan. - Même si ces informations ne finissaient pas dans le dossier du juge, il faudrait tout de même dire au détenu que ses propos peuvent avoir des conséquences sur le déroulé de sa peine.

M. Philippe Bas, président. - Nous sommes très partagés. Nous entendons vos arguments - le citoyen détenu n'a pas abdiqué tous ses droits -, mais nous avons la préoccupation de la surveillance.

Mme Adeline Hazan. - Jusqu'au 31 décembre 2019, le détenu ne pouvait pas faire de recours contre la décision de l'orienter dans un QPR. Un décret a modifié cette situation.

La suppression de la quasi-totalité des aménagements de peines ne permet pas l'individualisation des mesures. Certes, il n'est pas question d'accorder une libération conditionnelle à un détenu qui a commis un attentat. Mais les détenus radicalisés forment un agrégat composé de djihadistes convaincus et de très jeunes gens qui avaient simplement manifesté leur envie de partir en Syrie.

Madame Mercier, il y a effectivement un problème de moyens, mais pas seulement : il existe aussi un problème de gouvernance et de culture. Pour répondre à votre question, la décision avait été prise par un psychiatre de garde, qui n'était pas celui qui gérait cette unité, et par un membre de la direction. Ces unités Covid avaient été placées sous la responsabilité d'un médecin somaticien, et non d'un psychiatre. La décision n'avait donc pas été prise par les personnes idoines. Deux jours après notre passage, la directrice et les médecins siégeant au sein de la commission médicale d'établissement (CME) ont mis fin à la situation problématique.

Madame Troendlé, je ne suis pas certaine que Mme Alliot-Marie ait pris ces instructions. Le problème vient souvent du fait que les textes précisent qu'il faut une proportionnalité entre le respect des droits fondamentaux et la sécurité. Ainsi, il ne faudrait pas enlever systématiquement le soutien-gorge. Mais en pratique le personnel le fait toujours, car il estime qu'en cas de problème la hiérarchie ne les couvrira pas.

Nous proposons - mais c'est si peu dans la culture administrative que j'ai peu d'espoir que la situation évolue un jour - d'instaurer une obligation de moyens et non de résultat pour ces personnels de surveillance. Les agents seraient moins inquiets des suites de leurs agissements et respecteraient davantage les droits fondamentaux des personnes. Il est, par exemple, illégal qu'une femme accouche ou subisse un examen gynécologique en étant attachée et en présence d'une surveillante. À chaque fois que j'évoque ces situations avec un garde des sceaux, il me répond que c'est inadmissible, et pourtant la pratique perdure. Les directeurs d'établissement ne sont souvent même pas au courant... Par crainte d'un incident, c'est l'agent sur le terrain qui prend la décision d'une surveillance maximale.

Monsieur Sueur, le rapport sera publié dans quelques jours. Si les gouvernants ne « profitent » pas de la diminution de la population carcérale occasionnée par la crise de la Covid-19, ils porteront une responsabilité historique. Il faut inscrire dans la loi la régulation carcérale, sinon dans moins d'un an nous serons de nouveau à 140 % de taux d'occupation. La représentation nationale peut déposer une proposition de loi sur cette question. Jusqu'à présent, la régulation carcérale ne faisait l'objet que d'une expérimentation dans onze établissements.

Sur le travail du CGLPL, nous manquons certes de quelques postes. Les quarante contrôleurs sont assez débordés, car ils doivent réaliser 150 visites par an - un engagement pris devant le Parlement et auquel je tiens beaucoup. Nous avons mis en place une méthodologie de rédaction des rapports, afin qu'ils soient rendus plus rapidement. Il faut surtout que les pouvoirs publics entendent davantage nos propositions. Nous avons établi un suivi des recommandations à n+3 : trois ans après chaque recommandation, nous vérifions ce qu'il en est advenu. Nous avons eu du mal à obtenir ces réponses. Il faudrait que les ministères établissent un tableau de bord des recommandations.

Certaines recommandations ne sont pas suivies : j'ai cité l'exemple des examens dans les hôpitaux sous surveillance, alors que la personne n'est pas dangereuse.

Sur la question de la drogue évoquée par Mme Delattre, les surveillants étaient inquiets au moment du confinement et de l'arrêt des parloirs que la drogue n'arrive plus jusqu'aux détenus. Cela montre bien le niveau de tolérance sur cette question... De fait, la drogue a continué à arriver, par projections ou par les surveillants.

Concernant la formation professionnelle, les informations dont je dispose montrent qu'elle a commencé à reprendre.

Dans les EPM, il y a effectivement un problème d'accès aux pédopsychiatres. Mais comme il n'y en plus dans la société, il y en a encore moins en prison.

Monsieur Reichardt, depuis que le nombre de détenus a baissé, on observe une amélioration de la situation. Nous avons repris nos visites, et certains surveillants nous confient qu'ils parviennent enfin à faire leur travail correctement.

Pour mettre fin à la logique punitive soulignée par M. Kerrouche, il faut prévoir des alternatives à la détention. J'espère que la mise en place du « bloc peines » depuis le 24 mars 2020 produira ses effets, même si la loi n'est pas allée assez loin. C'est une bonne chose d'avoir supprimé les peines d'un mois et d'avoir incité, pour les peines de moins de six mois, à rechercher des alternatives, mais nous n'avons touché ni aux critères de détention provisoire ni à la procédure de comparution immédiate, qui est une vraie justice « d'abattage ». On met les magistrats en situation de prononcer des peines d'emprisonnement ferme, tant ils ont peu de temps et d'information pour prononcer une peine alternative.

M. François Bonhomme. - Vous déplorez la relative autonomie du renseignement pénitentiaire, mais il a fait la preuve de son efficacité.

Concernant la surveillance des personnes radicalisées, le Conseil d'État évoquait des mesures disproportionnées par rapport aux exigences de sûreté de l'État. Mais pointer trois fois par semaine - à ma connaissance, c'est une fois par semaine - ne me paraît pas disproportionné eu égard au risque de survenance de nouveaux actes terroristes. Lors du débat de lundi dernier à l'Assemblée nationale, la garde des sceaux a mentionné le risque d'enfermer les terroristes dans leur misanthropie. On introduit des notions psychologiques qui sont extérieures au droit !

Mme Adeline Hazan. - Le renseignement pénitentiaire a été renforcé. Je ne suis pas certaine que son intégration dans la communauté du renseignement était une bonne idée, car les surveillants et les agents du renseignement ne font pas le même métier. La situation se complique quand le délégué local au renseignement pénitentiaire - en général, un cadre de l'établissement - a des informations dont même le directeur de l'établissement ne dispose pas, d'autant qu'il est soumis hiérarchiquement à ce dernier, sauf pour sa mission de renseignement.

Par ailleurs, sur la rétention de sûreté, nous devons tous les deux avoir raison : le pointage se fait soit une fois soit trois fois par semaine.

M. Philippe Bas, président. - Les mesures mobilisables dans le cadre de la loi renforçant la sécurité intérieure permettent de mettre en place, pendant une durée limitée, un dispositif qui ressemble à l'assignation à résidence de la loi sur l'état d'urgence. Ce dispositif a semblé insuffisant ; c'est la raison pour laquelle le texte actuellement en discussion prévoit des mesures de sûreté qui permettent de porter à trois par semaine le nombre de pointages, et pour une durée beaucoup plus longue.

Mme Adeline Hazan. - Je ne sais pas s'il faut parler de misanthropie, mais je vois ce qu'a voulu dire la garde des sceaux : le renforcement des mesures exorbitantes du droit commun appliquées aux personnes radicalisées risque de les stigmatiser, voire d'accroître le danger qu'elles représentent.

M. Philippe Bas, président. - Ces questions sont très compliquées, nous ne prétendons pas les trancher.

Je vous remercie d'avoir veillé à rendre compte à la commission des lois du Sénat des travaux du CGLPL durant toute la durée de votre mandat. Votre point de vue est important. Nous veillons au respect du droit dans les lieux privatifs de liberté, même si nous avons également d'autres préoccupations : nous cherchons le délicat équilibre entre tous ces objectifs.

Je remercie mes collègues d'avoir été présents soit physiquement soit par téléconférence.

La réunion est close à 12 h 25.

Jeudi 25 juin 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 14 h 15.

Mission d'information relative aux moyens d'action et aux méthodes d'intervention de la police et de la gendarmerie - Audition de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le ministre, la commission des lois a décidé dans l'urgence de confier à deux de ses membres, Catherine Di Folco et Maryse Carrère, une mission d'information sur les méthodes d'intervention et les moyens d'action de la police et de la gendarmerie à la suite du trouble profond provoqué par plusieurs événements et déclarations récents.

Les forces de sécurité intérieure ont été mises à rude épreuve ces dernières années - terrorisme, « gilets jaunes », Black Blocs, confinement... -, le tout sur fond d'une délinquance toujours très élevée. Les policiers et les gendarmes exposent jour après jour leur propre vie en mettant en oeuvre l'usage de la force à bon escient, de manière maîtrisée. Le respect du droit dans l'usage de la force, de même que le respect des règles d'intervention et des personnes, sans distinction d'origine, sont les composantes systémiques de l'action des forces de sécurité de notre République.

Les contrôles internes et externes, conçus pour s'assurer de la conformité des pratiques au droit, doivent naturellement déboucher sur des sanctions sévères en cas de manquement. Nos forces de sécurité sont d'ailleurs elles-mêmes très attachées à cette exigence, qui garantit la préservation de leur honneur.

Certaines polémiques et prises de position récentes, y compris au sein de votre ministère, suscitent des inquiétudes. Les forces de sécurité ont été doublement accusées de racisme et de violence à la suite d'une agrégation d'éléments sans lien direct entre eux. La situation dans notre pays n'est pas comparable à celle des États-Unis, où la conquête des droits civiques pour les minorités n'est pas définitivement acquise. En France, l'égalité entre les citoyens, quelle que soit leur origine, a été proclamée il y a 231 ans et se trouve pleinement garantie par la loi et la justice.

Des procédures judiciaires sont également en cours concernant le décès de personnes qui s'étaient opposées à leur interpellation. La justice doit évidemment faire toute la lumière sur ces affaires largement médiatisées, dans lesquelles les batailles d'experts font rage.

Il y a eu enfin des rixes entre bandes rivales qui exerçaient entre elles une sorte de justice ethnique, et à l'occasion desquelles on a pu juger trop timide, à l'inverse, l'action des forces de l'ordre. Une semaine avant, elles étaient mises en accusation pour un excès de zèle...

Si les dérives individuelles sont intolérables, elles ne doivent pas pour autant conduire à une remise en cause immédiate et irréfléchie des conditions d'intervention de nos forces de sécurité intérieure.

Vous avez vous-même prestement réagi à un cas particulier, monsieur le ministre, en annonçant publiquement la fin du recours pour tous à la technique dite de l'étranglement, avant de revenir quelques jours plus tard sur vos propos, sans doute pour les préciser. La polémique qui s'en est suivie doit tous nous inciter à la prudence.

Au fond, comment garantir que l'évolution de certaines techniques d'intervention, voire de certaines armes, ne conduise pas à démunir nos forces de sécurité intérieure des instruments indispensables à l'exercice de leur mission ?

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. - La sécurité se trouve au coeur de notre pacte républicain. À l'heure où tous les amalgames et raccourcis semblent permis, y compris à l'égard du ministère de l'intérieur, je veux commencer par rendre hommage aux policiers et gendarmes, ces héros du quotidien qui répondent présents et protègent les Français à chaque instant. Notre devoir est de les défendre et de leur donner des moyens d'agir.

Les coupes claires des années 2007-2012 dues à la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont durablement pénalisé nos forces de sécurité intérieure. Depuis 2017, la priorité donnée à la sécurité s'est traduite par une hausse inédite du budget de la sécurité de plus de 1 milliard d'euros, et d'un effort conséquent en matière de ressources humaines. Dix mille policiers et gendarmes supplémentaires, ce sont autant de femmes et d'hommes pour combattre la délinquance, protéger nos frontières, effectuer des missions de renseignement ou maintenir l'ordre.

Cette augmentation des effectifs s'est également accompagnée d'un changement de méthode, avec la création de la police de sécurité du quotidien. Nous voulons que nos forces de l'ordre soient sur le terrain, au contact des populations, et qu'elles travaillent en partenariat avec d'autres acteurs, notamment les polices municipales. Le dispositif des quartiers de reconquête républicaine permet aussi, dans 47 quartiers, d'avoir des effectifs supplémentaires dans la rue pour combattre les trafics et affirmer la présence de l'État.

Donner les moyens à nos forces de l'ordre, c'est également les faire travailler dans des locaux dignes de ce nom : 900 millions d'euros ont été investis entre 2018 et 2020 pour rénover des casernes et des commissariats. Ce n'est pas encore assez, mais c'est beaucoup plus que dans les dix années précédentes. Parallèlement, le renouvellement du parc automobile se poursuit avec l'acquisition de 5 334 véhicules par an en moyenne de 2017 à 2020, soit 31 % d'augmentation par rapport au mandat précédent.

La rémunération des gardiens de la paix, des gradés de la police et des sous-officiers de gendarmerie a considérablement augmenté depuis 2017, le protocole que j'ai négocié le 19 décembre 2018 permettant des hausses supplémentaires comprises entre 120 et 150 euros nets par mois en moyenne.

Avec Laurent Nunez, j'ai également souhaité aborder de front la question des cycles horaires des agents, le facteur déclenchant de cette réflexion étant le problème du suicide des policiers et des gendarmes. Ces cycles rendaient difficile la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, avec souvent la possibilité de ne prendre qu'un week-end ou un mercredi sur six. J'ai fait en sorte, au terme d'une réforme négociée avec les organisations syndicales, que les agents puissent avoir un week-end de trois jours toutes les deux semaines et un mercredi toutes les deux semaines.

Je me suis enfin attaqué au sujet des heures supplémentaires, qui ont explosé à partir de 2015, notamment en raison des nécessités de la lutte contre le terrorisme. C'est une dette vis-à-vis des policiers, mais aussi une charge insoutenable pour l'avenir, avec un risque de rupture opérationnelle majeur. Certains policiers peuvent ainsi partir six à huit ans avant l'échéance de leur retraite pour rattraper ces heures supplémentaires.

Dès la fin 2019, nous avons mobilisé 45 millions d'euros pour payer une part de cette dette au profit de 31 000 policiers. Ce fut une première, de même que l'enveloppe de 26,5 millions d'euros prévue dans le budget de 2020 pour payer des heures supplémentaires programmées.

Ces réformes ont un seul but : accompagner nos forces pour permettre leur engagement dans les meilleures conditions. Les moyens que nous avons consacrés sont importants, mais, dans le contexte récent des violences subies par les forces de sécurité, ils ne suffisent pas et doivent être poursuivis.

Être policier ou gendarme, c'est accepter des contraintes pour venir en aide, défendre et protéger. Les manifestations violentes ne remontent pas au phénomène des « gilets jaunes ». Chacun a encore en tête les images de ce CRS en flammes, atteint par un cocktail Molotov, le 1er mai 2017. Au demeurant, le phénomène est mondial, les attaques contre les policiers ayant, par exemple, augmenté de 46 % en Allemagne l'an dernier. Nous devons l'intégrer et nous réarmer en conséquence.

Je refuse que ces atteintes à l'uniforme se banalisent et je les condamne, comme vous, avec la plus grande fermeté. J'ai toujours défendu l'honneur des policiers et des gendarmes, et je continuerai de le faire à chaque instant. Je me souviens d'ailleurs qu'on me l'a beaucoup reproché.

Lors des dernières semaines, et même des derniers mois, on a vu des combats et des causes nobles dévoyés par des militants qui ne veulent qu'une chose, faire vaciller la République. Seuls les policiers et les gendarmes sont fondés à faire un usage légitime de la force. C'est l'essence même de leur mission. Ils doivent l'accomplir évidemment avec proportionnalité, discernement, exemplarité, mais ils doivent pouvoir l'accomplir sans peur.

C'est après le décès de Cédric Chouviat, au mois de janvier dernier - je n'ai donc pas, monsieur le président Bas, réagi prestement à la suite d'un cas particulier -, que j'ai mis en place un groupe de travail conjoint entre la police et la gendarmerie pour passer en revue les techniques d'interpellation. À l'issue de ces travaux, le directeur général de la police nationale (DGPN) m'a proposé de surseoir à l'enseignement de l'étranglement, jugeant cette technique dangereuse. Cette technique n'est d'ailleurs plus enseignée depuis le début des années 2000 dans la gendarmerie nationale et l'administration pénitentiaire. Laurent Nunez et moi-même avons donc décidé de mettre fin à son enseignement, et nous avons demandé à un nouveau groupe de travail de proposer des alternatives à cette méthode d'ici au 1er septembre prochain.

Je suis convaincu également que nous devrons faire monter en puissance la formation continue des policiers et des gendarmes sur la voie publique. J'ai donc décidé que, à défaut de suivre un nombre minimal d'heures annuelles de formation aux techniques d'intervention, ces derniers ne pourraient plus exercer sur la voie publique.

J'ai aussi, le 8 juin dernier, demandé au DGPN de me faire des propositions pour renforcer la protection juridique des policiers. Plusieurs pistes sont sur la table pour faciliter leurs démarches et mieux les accompagner.

Je veux enfin aborder franchement la question des images et je souhaiterais que cette mission d'information nous aide à ouvrir le débat. Il existe aujourd'hui une forte asymétrie : nos policiers et gendarmes subissent ces images, mais ils ne peuvent les utiliser pour se défendre. Chacun peut faire des vidéos, les couper, les détourner et les jeter en pâture sur les réseaux sociaux. De leur côté, les forces de l'ordre ne sont pas en mesure de prouver leur bonne foi et d'établir la réalité des faits. Ce n'est pas acceptable, et c'est pourquoi j'ai demandé d'accélérer la généralisation des caméras-piétons, un outil de prévention qui contribue aussi utilement à apaiser certaines situations conflictuelles et à renforcer la sécurité de nos policiers et gendarmes sur la voie publique. Les forces de l'ordre présentes sur le terrain le reconnaissent d'ailleurs aisément, même si elles critiquent le matériel dont elles sont dotées. Une montée en gamme technologique m'apparaît opportune et j'ai demandé que l'on étudie la possibilité de résilier le marché passé voilà quelques années.

Je souhaite aussi que nous puissions communiquer les images des caméras-piétons, non seulement dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi pour établir ou rétablir les faits. J'ai besoin du soutien du Parlement pour que ce droit légitime de défense soit accordé à nos forces de sécurité intérieure.

Ministre de l'intérieur, élu de terrain, je connais la dureté et l'intensité des missions menées par nos policiers et gendarmes. Je comprends aussi et partage ce terrible sentiment d'injustice qu'ils éprouvent en constatant que leur travail n'est pas assez reconnu et valorisé. Tous les jours sur le terrain, ils nous protègent et protègent la République, ils n'économisent aucun effort et ne pensent qu'à leur devoir.

Nous leur devons respect, reconnaissance et soutien. Nous devons aussi exiger d'eux le meilleur et l'exemplarité. Je veillerai toujours à ne pas tomber dans le travers qui consisterait à négliger l'un et l'autre, parce que je sais pouvoir compter sur eux pour porter cette double ambition. Nous devons les défendre sans cesse face aux amalgames et aux accusations qu'ils subissent, face aux insultes et aux coups.

Je l'ai dit mille fois, il n'y a pas de police structurellement violente ou raciste. Laurent Nunez et moi-même avons confiance dans nos forces de l'ordre. Nous ne cesserons jamais de les soutenir et de leur accorder les moyens dont elles ont besoin pour accomplir leur devoir. Nous sommes fiers de nos policiers, fiers de nos gendarmes, comme eux-mêmes doivent être fiers du métier qu'ils accomplissent au service des Français et de la République.

Les travaux que vous conduisez au Sénat sont importants pour préparer des rendez-vous cruciaux comme le Livre blanc de la sécurité intérieure ou le budget pour 2021.

M. Philippe Bas, président. - Je reviens un instant sur la question des moyens. Il va bien falloir qu'on finisse par s'entendre sur les chiffres ! Les moyens supplémentaires ont en effet permis de procéder à une remise à niveau des effectifs, mais, contrairement à ce que vous indiquez, nous constatons que ni les moyens matériels ni les formations ne suivent au même degré.

Le projet de budget de la mission « Sécurité » pour l'année 2020 montrait une baisse des crédits de formation, des crédits hors personnel et des crédits de munitions. S'agissant des achats de véhicules, on constatait une baisse des crédits de 24 % pour la police nationale et d'un tiers pour la gendarmerie par rapport à 2019. Nous voudrions comprendre pourquoi vous n'avez pas les mêmes chiffres que ceux qui résultent de l'examen des documents budgétaires.

Chacun admet qu'il n'est pas toujours possible de procéder à une interpellation uniquement par une invitation de courtoisie et que la contrainte est parfois nécessaire. Des méthodes sont donc enseignées dans les écoles de police et par le biais de la formation continue. Mais, à partir du moment où un individu est récalcitrant, il s'expose de lui-même à ce que les conditions de son interpellation le mettent en danger, et d'ailleurs les policiers et les gendarmes sont les premiers à se mettre en danger en cas de confrontation physique. Il est donc très important qu'ils sachent toujours à quoi s'en tenir et qu'ils se sentent soutenus.

Lorsque l'on supprime une méthode, il faut savoir par quoi la remplacer. Le 15 juin dernier, le DGPN a expliqué que « dans l'attente de la définition d'un nouveau cadre et dans la mesure où les circonstances l'exigent, la technique dite de l'étranglement continuera d'être mise en oeuvre avec mesure et discernement » - heureusement ! - et qu'elle « sera remplacée au fur et à mesure de la formation individuelle dispensée. » Mais nous ne savons pas par quoi ! Il a aussi précisé que la technique de la prise arrière, destinée à immobiliser la personne debout et à l'entraîner au sol afin de la menotter, était toujours enseignée et appliquée. Si nous abandonnons des méthodes, il convient de savoir par quoi on les remplace afin que la police et la gendarmerie ne soient pas démunies pour interpeller des individus récalcitrants, tout en faisant en sorte de ne pas exposer ceux-ci à un danger disproportionné dans la situation dans laquelle ils se sont mis d'eux-mêmes.

M. Christophe Castaner, ministre. - On peut tout faire dire aux chiffres... Vous n'avez pris en compte qu'une partie du budget, qui est relativement marginale par rapport au volume global des crédits dépensés pour cette politique.

M. Philippe Bas, président. - Les hommes et les femmes travaillant dans les forces de sécurité doivent pouvoir disposer d'équipements de protection, d'équipements d'intervention et de véhicules en bon état. Des agents aux mains nues ne pourront guère rendre service à la population ! L'examen des grandes masses budgétaires ne suffit donc pas.

M. Christophe Castaner, ministre. - Le budget de la sécurité - je ne parle pas du budget du ministère de l'intérieur - a augmenté de 1,7 % et 205 millions d'euros en 2018, de 2,6 % et 334 millions en 2019, et de 4,1 % et 519 millions en 2020. Il faut faire la différence entre le titre 2 et le hors-titre 2. L'an dernier, nous avons fait porter l'effort sur les rémunérations et le recrutement ; d'autres, à d'autres moments, ont fait des choix différents... À une époque, on comptait 12 500 policiers et gendarmes de moins sur le territoire national et je ne suis pas sûr que l'équipement était meilleur... Nous arrivons à peine à rattraper le retard grâce à l'effort engagé depuis 2016 par le gouvernement précédent.

Les crédits hors titre 2 n'ont jamais été aussi élevés : ils ont augmenté de 12 % et s'élèvent à 2,4 milliards d'euros. Est-ce pour autant suffisant ? Non. Les dépenses d'investissement dans l'immobilier atteignent 900 millions, un niveau qui n'a jamais été atteint, mais qui ne suffit pas à rattraper le retard. De la même façon, nous avons acheté 5 334 véhicules chaque année depuis 2017, soit une augmentation de 31 % par rapport à la précédente mandature. Fin 2016, la police disposait de 2 000 tablettes et smartphones, contre 50 000 à la fin de l'année 2019. Dans la gendarmerie, on est passé de 9 100 terminaux à 67 000. On ne comptait que 2 000 caméras-piétons fin 2016, contre 10 594 aujourd'hui, et je souhaite aller plus loin. Cela ne suffit pas, certes, mais il faut reconnaître l'effort qui a été réalisé : le budget du ministère de l'intérieur a été l'un de ceux qui ont connu la plus forte augmentation ces dernières années.

J'en reviens à la question de la technique. Comme vous, je ne suis pas un spécialiste. Aussi, quand les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales me présentent un rapport pour dire que cette technique, employée de façon marginale en intervention, ne devrait plus être enseignée, je ne peux que les suivre. Cette méthode qui vise à empêcher soit l'oxygène de parvenir au coeur, soit le sang d'irriguer le cerveau, semble dangereuse. C'est pour cette raison que j'ai suivi leur recommandation. Toute personne en responsabilité aurait pris la même décision. Il s'agit aussi de protéger les forces de l'ordre en ne leur enseignant pas une technique qui pourrait les conduire un jour devant un juge. J'aurais commis une faute en prenant une autre décision.

Il existe des techniques de substitution. Les gendarmes réalisent des interpellations et les personnels pénitentiaires parviennent à gérer les situations alors qu'ils n'ont pas le droit d'utiliser l'étranglement. J'ai donné deux mois et demi à un groupe de travail placé sous l'autorité d'un directeur départemental de sécurité publique expérimenté, M. Frédéric Lauze, qui comprend un médecin du Raid, un médecin légiste, un policier judoka, etc., pour définir les techniques de substitution. Je ne veux pas que les policiers soient désarmés dans leur capacité d'intervention. Comme ils ont été formés à cette technique, à la différence des gendarmes, nous leur devons une formation aux nouvelles techniques. En tout cas, cette technique est très marginale. L'usage de la contrainte doit être strictement nécessaire et proportionné. L'article 122-5 du code pénal autorise la légitime défense : en cas d'absolue nécessité, les agents peuvent légitimement utiliser tout mode de riposte face à une personne qui veut porter atteinte à leur intégrité physique. C'est la différence avec une interpellation. Cette distinction est essentielle.

On peut donc faire confiance à l'expérience de ceux qui m'ont rendu ce rapport  pour savoir qu'ils ne voulaient absolument pas priver nos forces de capacités d'intervention ; ils savaient que cette technique n'était que très marginalement utilisée, ce que reconnaissent tous les policiers avec qui j'ai échangé. Ils m'ont aussi proposé cette décision après avoir fait une comparaison internationale des techniques d'interpellation. Je ne comparerai pas cette décision avec celle qui a été prise récemment par le président Trump. Cette technique ne sera dorénavant plus enseignée dans les écoles de police et nous devons trouver des moyens de substitution. J'attends des propositions dans un délai court et je souhaite que tous nos agents puissent avoir une formation individuelle.

M. Philippe Bas, président. - Merci pour ces précisions. Nous auditionnerons le directeur général de la police nationale sur ces points. Vous avez mis l'accent sur les effectifs, mais les matériels n'ont pas suivi. L'évolution de la part des dépenses, hors personnel, dans le budget du ministère de l'intérieur est frappante : après s'être redressée en 2015 et 2016, elle s'est écroulée par la suite.

M. Christophe Castaner, ministre. - Si les effectifs et les salaires augmentent, la masse salariale augmente, et donc, mécaniquement, la part des dépenses hors personnel baisse ! Mais les moyens pour la sécurité intérieure augmentent. Vos propos rejoignent ceux de la Cour des comptes. J'ai fait le choix politique, que j'assume, de remettre à niveau les rémunérations. Soyons concrets. Il est facile d'évoquer des pourcentages, mais, pour un policier, l'important c'est de savoir s'il a une voiture en bon état. En 2017, nous avons acheté 5 088 voitures, 6 000 en 2018, 5 005 en 2019, alors que l'on en achetait 3 081 chaque année, en moyenne, depuis 2012...

M. Philippe Bas, président. - Puisque vous parlez des véhicules, je voudrais ne pas être en reste : fin 2019, on comptait 8 320 véhicules à réformer dans la police nationale, et 3 358 dans la gendarmerie nationale, soit environ 11 % des véhicules de gendarmerie... Le problème est là et nous sommes disponibles pour vous aider.

M. Christophe Castaner, ministre. - Il faudra convaincre la commission des finances qui sait nous rappeler l'exigence d'équilibre budgétaire...

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Je m'associe tout d'abord à l'hommage que vous venez de rendre à nos forces de l'ordre dans leur action quotidienne pour assurer la sécurité de nos citoyens, notamment face aux attentats ou dans le contexte des manifestations violentes.

L'enseignement de la technique de l'étranglement est interdit, mais quand cette technique sera-t-elle interdite dans la pratique ?

Il est souvent reproché à l'institution policière de fonctionner en silo, ce qui nuit à la conduite d'un véritable pilotage, notamment en matière de ressources humaines. Certains syndicats ont récemment appelé à « une réorganisation complète » de la police nationale. Quelle est votre perception de la situation ? Avez-vous engagé des réflexions en ce sens ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je m'associe aussi au message en faveur des forces de l'ordre, qui protègent notre liberté.

Le 17 juin, vous avez indiqué ici même, à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement : « Trop souvent, policiers et gendarmes doivent faire face à des provocations, à des menaces, à des insinuations, à des injures et à des mises en cause incessantes. » Constatez-vous, sur le plan statistique, une augmentation des actes d'agression ou de violence à l'encontre des policiers et gendarmes ? Quelles en sont, selon vous, les principales causes ?

Depuis quelques semaines, on assiste à des émeutes urbaines. Les policiers et les gendarmes subissent des tirs de mortier, parfois de gros calibre. C'est très dangereux et il est très difficile aux forces de l'ordre d'interpeller les auteurs. Ne faudrait-il pas modifier la législation, pour interdire la vente de mortiers par exemple ?

En 2018, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure faisait état de la nécessité d'améliorer l'accès des policiers à la protection fonctionnelle. Vous avez vous-même annoncé la mise en place d'un groupe de travail sur la sécurité juridique des forces de l'ordre. Celui-ci a-t-il déjà été mis en place ? Quel est son calendrier ?

Mme Catherine Troendlé. - Je vous remercie pour votre message de soutien aux policiers et aux gendarmes. Ce message devrait toutefois s'accompagner de moyens humains et matériels supplémentaires et d'un soutien constant à tous ceux qui assurent notre sécurité, parfois au péril de leur vie. Vous avez déjà annoncé des mesures. Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Les policiers doivent normalement suivre une formation annuelle de douze heures pour garantir leur maîtrise des techniques d'intervention. Il y a deux ans, notre collègue François Grosdidier relevait, dans le rapport de notre commission d'enquête, que de nombreux policiers ne se voyaient pas dispenser cette formation. Confirmez-vous ce constat ? En moyenne, quel est le pourcentage de policiers de terrain qui sont en mesure de respecter, chaque année, cette obligation réglementaire ?

Dans l'attente de la suppression de la technique de l'étranglement, envisagez-vous d'ordonner qu'un entraînement renforcé soit suivi par l'ensemble des policiers de terrain ?

Vous avez, un temps, envisagé de remplacer l'usage de la technique de l'étranglement par une utilisation plus généralisée du pistolet à impulsion électrique, dont l'une des formes est le taser. Si celui-ci peut être une alternative, qui a également ses détracteurs, encore faut-il que les forces sur le terrain en soient effectivement et suffisamment équipées. Est-ce le cas ? Les contraintes budgétaires permettront-elles réellement un équipement effectif ?

Mme Maryse Carrère, co-rapporteure. - Nous abordons cette audition dans un état d'esprit constructif et exigeant, avec la volonté de s'extraire des polémiques. Je souscris à vos propos sur la nécessité de prendre avec prudence et recul les images que l'on peut voir circuler sur les réseaux sociaux, hors de tout contexte. Nous attendons un éclairage sur la réalité des missions des forces de l'ordre et souhaitons connaître vos analyses. Notre principal objectif doit être de renforcer la confiance entre les citoyens et les policiers et les gendarmes. Les rapports avec la population peuvent varier fortement selon les lieux, entre zones urbaines et zones rurales.

Depuis 2013, les policiers et les gendarmes peuvent être équipés de caméras mobiles afin d'apaiser les tensions entre la police et la population dans le cadre des contrôles ou des interpellations. Combien de policiers et gendarmes en sont aujourd'hui équipés ? Le recours à cet outil vous paraît-il devoir être accru pour limiter le nombre d'incidents ?

Vous avez annoncé une refonte des services d'inspection du ministère de l'intérieur. Quel est l'objectif de cette réforme ? Avez-vous constaté des insuffisances dans l'exercice des missions d'inspection ? Est-elle liée à une hausse des incidents ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Madame Di Folco, je ne vais pas rentrer dans les détails de la technique de l'étranglement, car je sais que vous auditionnerez des personnes plus compétentes que moi sur ce sujet. Toutefois, cette technique ne doit pas être confondue avec la prise arrière, qui est très utilisée par nos forces de sécurité face à des personnes qui refusent de se laisser interpeller et de se soumettre à la loi, et qui ont parfois une corpulence importante. Il est nécessaire d'avoir des techniques permettant de neutraliser un adversaire de plus grande taille pour lui passer les menottes - d'autant plus avec la féminisation des effectifs. Le débat sur les techniques d'interpellation va au-delà de l'étranglement. Le plaquage ventral, que j'ai eu l'occasion de défendre, est indispensable pour nos forces de l'ordre, mais doit être temporaire et j'ai précisé que l'appui sur la tête ou la nuque devait être prohibé.

Il existe deux techniques d'étranglement : l'étranglement dit « aérien » consiste à exercer une pression sur la trachée à l'aide de l'avant-bras pour réduire, voire supprimer, la circulation de l'air vers les poumons et le coeur ; l'étranglement dit « sanguin » consiste à comprimer les artères carotides pour limiter la circulation du sang vers le cerveau et peut causer de graves dommages, y compris dans les entraînements. L'enseignement de l'étranglement a été arrêté ; d'autres techniques devraient être définies. Dans l'attente des préconisations du groupe de travail, toutes les techniques que nos policiers ont apprises doivent être utilisées, en fonction des circonstances et en privilégiant évidemment un usage modéré de la force, comme les policiers y ont été formés.

L'usage de la force est légitime quand il vise à mettre un terme à un délit ou à des situations à risque. Seules la police et la gendarmerie, ou l'armée dans certains cas, sont habilitées à utiliser la force. Il est nécessaire de le rappeler, comme je l'ai fait dans mon allocution du 8 juin, même si on en a moins parlé que d'autres propos, qui ont été détournés... Le DGPN a adressé une instruction à l'ensemble de nos forces précisant que la technique de la prise arrière serait toujours enseignée et appliquée.

Le groupe de travail a deux mois et demi pour faire des préconisations. Nous formerons individuellement chaque agent à ces nouvelles techniques, complémentaires de toutes les autres techniques auxquelles ils sont déjà formés.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - L'enseignement de cette technique a certes été arrêté, mais la pratique se poursuit-elle encore actuellement ? Il me semble que la réponse est oui.

M. Christophe Castaner, ministre. - Oui, pendant deux mois et demi, le temps de procéder à une substitution de techniques, car personne n'envisage de désarmer la police. La note du DGPN est très claire à ce sujet.

J'ai lu dans la presse que je prévoirais la substitution intégrale des pistolets à impulsion électrique : c'est faux, je n'y suis pas favorable, ni d'ailleurs les organisations syndicales. Il existe de nouveaux dispositifs techniques que nous allons expérimenter. Le prochain budget prévoira des acquisitions en ce sens, sans toutefois aller vers un équipement de toute la police, car ces dispositifs ne sont pas adaptés à toutes les situations. Toute interpellation ne nécessite pas un pistolet à impulsion électrique.

Vous évoquez une réorganisation complète de la police nationale, les organisations syndicales appellent aussi à une telle réorganisation, mais chacun n'en a pas la même conception.... Avec Laurent Nunez, dans le cadre du Livre blanc que nous aurons probablement l'occasion de venir vous présenter, nous souhaitons poser la question d'une réorganisation fonctionnelle importante, permettant de développer les responsabilités territoriales, les approches par thématiques ou filières, le rôle du préfet comme interlocuteur des maires, etc. Nous voulons prendre le temps et ne pas nous précipiter. La gendarmerie nationale et la police nationale n'ont pas la même organisation, un modèle n'a pas vocation à remplacer l'autre.

En 2019, 17 246 policiers ont été blessés, contre 15 414 en 2018. C'est une évolution significative. Nous avons certes connu un cycle de 55 000 manifestations, notamment des « gilets jaunes » ; toutes n'ont pas été violentes, mais beaucoup l'ont été. Aujourd'hui, les tensions se développent significativement et se transforment parfois en réelle violence, quels que soient les territoires concernés. Cela va de l'insulte à l'agression physique directe contre nos forces de sécurité. Plus personne ne supporte plus rien. Nous devons donc le prendre en compte et former, équiper et défendre nos forces de sécurité intérieure en conséquence. Je souhaite que la protection fonctionnelle monte en puissance afin que nous défendions systématiquement nos personnels pour les faits les plus importants. Pour simplifier leurs démarches, une application internet dédiée sera disponible sur leur smartphone avant la fin de l'année. Cela fait partie de mes annonces du 8 juin dont on n'a pas suffisamment parlé.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur les mortiers.

M. Christophe Castaner, ministre. - Oui, effectivement, c'est un sujet qui m'irrite... Madame Eustache-Brinio, malgré nos différences d'approche sur certains sujets, nous nous rejoignons sur notre vision et notre ambition pour la protection de nos concitoyens.

Peu de gens tirent des feux d'artifice avec des mortiers ; en revanche, les mortiers sont très utilisés dans le cadre des violences urbaines. Les forces de l'ordre réussissent à interpeller, mais peu. La police de Gennevilliers que j'ai rencontrée hier a ainsi réussi à interpeller un marchand ambulant de cocktails Molotov, ainsi que, grâce à la vidéo-protection de la ville, les agresseurs de CRS par tirs de mortier.

J'ai demandé à mes services de travailler sur l'interdiction de la vente de ces produits, qui sont détournés de leurs fins. Mais cette autorisation relève des règles du Marché commun européen. Certains arrêtés préfectoraux ont été annulés, car contraires à la directive du 12 juin 2013 qui limite grandement nos marges de manoeuvre. J'ai cependant demandé à mes services de poursuivre leurs réflexions sur la question des usages non professionnels de ces produits.

S'agissant de la formation, je tiens à tordre le cou à certaines contre-vérités. La durée de la formation a été fortement revue à la baisse après 2015, car il fallait « trouver des bras » pour mener des missions de protection - un choix que j'avais soutenu à l'époque : de douze mois, elle est passée à dix mois et demi, auxquels s'ajoutaient six mois de stage. La formation sur le terrain sera désormais renforcée, avec huit mois en école et seize mois de formation dans un poste qui ne sera pas votre poste d'affectation, soit un total de vingt-quatre mois de formation.

S'agissant de la formation permanente, depuis 2015-2016, les policiers sont de plus en plus nombreux à pratiquer les trois tirs par an et à bénéficier des douze heures de formation annuelles prévues. Nous devons améliorer cette situation, sur les tirs, mais aussi sur la gestion des interpellations. Bien souvent, les agents hésitent à partir en formation afin de ne pas affaiblir leur équipe. Mais les agents affectés à la sécurité publique doivent bénéficier d'une formation continue plus active. La formation annuelle sera désormais obligatoire pour pouvoir rester sur le terrain. Nos forces mobiles bénéficient de beaucoup plus de formation, même si, pendant la crise des « gilets jaunes », l'intervention sur le terrain a parfois conduit à reporter les formations prévues. En 2018, 64,9 % des policiers avaient suivi la formation annuelle de douze heures.

Nous comptions, en 2020, 11 000 caméras mobiles, contre 2 000 en 2017. Le taux de compréhension de l'utilité de cet outil est élevé, car il a clairement permis de changer la relation avec l'interlocuteur. Mais la satisfaction n'est pas au rendez-vous sur la qualité du matériel en raison d'une durée d'autonomie et d'une facilité d'exploitation des images insuffisantes. Nous allons donc revoir notre marché et être plus offensifs sur ce sujet.

S'agissant de la réforme des inspections générales, je vous transmettrai les rapports de l'IGPN et de l'IGGN, qui montrent que 1 960 enquêtes judiciaires ont été conduites en 2019 par ces deux inspections. Elles sont craintes par nos forces de l'ordre, car elles fournissent un extrêmement bon travail. Qui pourrait les remplacer ? C'est un métier et il est bon qu'il soit fait par des policiers, car ils sont d'autant plus sensibles lorsqu'ils constatent qu'on leur a menti ou caché des choses.

Sur le volet administratif, la vision n'est pas toujours satisfaisante, comme nous l'avons constaté l'an dernier au moment de la disparition de Steve Maia Caniço à Nantes. Un rapport de l'IGPN m'avait été remis en juillet, mais j'ai également saisi l'Inspection générale de l'administration (IGA), car nous avions besoin d'une vision plus globale sur la gestion de l'ordre public ; c'est sur la base de ces deux rapports que j'ai annoncé des décisions au mois de septembre, notamment la révision de nos méthodes d'intervention de nuit ou au bord de l'eau. Je souhaite que désormais, sur les cas les plus sensibles, nous puissions réunir un collège des inspections, afin que l'IGA - dont la composition a été élargie - puisse mener des enquêtes avec une vision plus globale, en s'appuyant sur l'IGPN et l'IGGN. Cela nous permettra de dépasser le cadre policier et de porter un regard différent. Cette réforme a été lancée et sera opérationnelle très prochainement. Même si une mauvaise publicité a été injustement faite à l'IGPN, la plateforme de signalement ouverte au public est désormais mieux connue : les citoyens doivent avoir une réponse lorsqu'ils ont une question.

Sachez que ces inspections font actuellement un travail d'évaluation de l'accueil et du suivi des femmes victimes de violences, via notamment des inspections inopinées dans les commissariats et gendarmeries ainsi que des entretiens avec les femmes victimes. Plus généralement, elles interrogent les victimes confrontées aux forces de sécurité intérieure sur la qualité de l'accompagnement méthodologique et psychologique mis en oeuvre. Ne jetons donc pas le bébé avec l'eau du bain !

Mme Muriel Jourda. - Un policier sera jugé demain à Bayonne, accusé d'avoir blessé une jeune femme avec un lanceur de balles de défense (LBD). Une décision récente du Conseil d'État a classé une arme similaire au LBD, et ses munitions, en catégorie A. Or, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) nous apprend que le LBD utilisé par les forces de police et de gendarmerie ne bénéficie d'aucun classement et que ses munitions sont classées dans une catégorie inférieure à celles des munitions concernées par la décision du Conseil d'État. Ce dernier a considéré que l'arme était spécifiquement destinée au maintien de l'ordre et que le canon était rayé, ce qui permet une précision de tir. Or la doctrine d'emploi du LBD exclut le maintien de l'ordre, ce qui a été confirmé par le ministère de l'intérieur en 2019, en réponse à une question écrite de notre collègue Patricia Schillinger. Le Défenseur des droits a d'ailleurs préconisé la fin de l'emploi des LBD.

Compte tenu de la polémique qui entoure les LBD et dans l'intérêt tant de la population que des forces de l'ordre, le ministère de l'intérieur ne devrait-il pas prendre l'initiative de modifier les textes relatifs au classement des armes et ainsi que ses pratiques afin de n'utiliser que des armes qui font l'objet d'un classement conformément à la loi ?

M. Philippe Bas, président. - Ce qui vous inquiète, c'est qu'une arme non classée puisse être utilisée ?...

Mme Muriel Jourda. - Oui, c'est bien cela. Il me semble que cela nécessite une clarification législative, car la législation est très complexe.

M. Loïc Hervé. - Dans votre propos liminaire, vous avez préconisé la diffusion des images des caméras mobiles afin de rétablir l'égalité des faits entre les policiers et ceux de nos concitoyens qui filment, de plus en plus systématiquement, les interventions de la police. Il est vrai que ces pratiques se généralisent. Récemment, à Annecy, une femme a filmé l'intervention de policiers qui venait porter secours à une personne, au motif suivant : « On ne sait jamais, ça peut servir » Les comportements mal intentionnés à l'égard de la force légitime se développent : ils doivent être combattus. Mais si les images filmées par les policiers, qui servent de preuves, étaient désormais transmises aux médias, leur nature et leur destination en seraient modifiées. Le procès n'aurait plus lieu au tribunal, la procédure disciplinaire n'aurait plus lieu à l'IGPN ou à l'IGGN, mais dans la presse ! Une telle évolution législative est préoccupante. Je comprends votre logique et je sais qu'elle est fondée sur de bonnes intentions, mais j'attire votre attention sur ces risques de dérive qui posent une vraie difficulté de fond. Le remède me semble pire que le mal.

Mme Jacky Deromedi. - Je m'associe au soutien à nos forces de sécurité. L'usage de la force est indispensable à l'exercice de leurs missions. Leur vie est parfois en danger et ils doivent se défendre quand ils sont violemment attaqués. Nous constatons un manque de respect de l'autorité, c'est une question d'éducation. Il faudrait envisager un enseignement sur le respect de l'autorité dans nos écoles.

Le groupe de travail concerne-t-il également la gendarmerie nationale et le personnel pénitentiaire ? Ses conclusions pourront-elles nous être transmises ?

M. Philippe Bas, président. - Nous souhaiterions en effet pouvoir apprécier vos conclusions, avant de proposer nos propres conclusions.

Mme Marie Mercier. - J'ai récemment rencontré un policier qui m'a fait part de son mal-être et m'a dit : « Nous sommes des ouvriers d'État, fiers de servir notre pays et nos concitoyens. » Je pense qu'il aurait apprécié vos propos liminaires.

Avez-vous constaté, sur le plan statistique, une augmentation du nombre des incidents liés à l'utilisation des techniques d'intervention ? Avez-vous constaté une augmentation des signalements auprès de l'IGPN pour violences policières ?

M. Yves Détraigne. - Permettez-moi de partager avec vous un témoignage. Il y a quelques années, j'ai effectué un stage de trois jours dans une caserne de gendarmerie. C'est l'occasion de découvrir comment sont équipées et entraînées nos forces. Je peux témoigner que nous avons, dans la gendarmerie, des professionnels parfaitement formés, avec la tête sur les épaules. Mais on les connaît peu et on ne sait pas toujours bien ce qu'ils font. Il serait utile, pour l'édification de nos citoyens, qu'ils les connaissent un peu mieux.

M. Christophe Castaner, ministre. - La formalisation des décisions de classement des armes relève du service central des armes du ministère de l'intérieur, que je vais interroger. Je vous communiquerai sa réponse technique sur le point précis que vous avez soulevé.

Le Conseil d'État a été saisi à plusieurs reprises, et notamment le 1er février 2019, de la question du retrait du LBD. Sa réponse a été très claire : l'usage de ce moyen de défense est encadré et il est rendu nécessaire par l'existence de violences et d'atteintes aux personnes et aux biens. C'est malheureusement une réalité, chaque jour, chaque nuit. Malgré ces tensions qui ne font que croître, sachez que le nombre de tirs de LBD a diminué de 43 % en 2019 par rapport à 2018. En outre, les tirs de LBD, sauf circonstances exceptionnelles liées notamment à la légitime défense, sont désormais systématiquement filmés. Il existe une doctrine différente entre la police et la gendarmerie et nous travaillons actuellement à élaborer une doctrine partagée. Je défends l'usage du LBD : je sais que nos forces de sécurité intérieure sont formées à son usage et qu'elles ne l'utilisent que dans un cadre strictement nécessaire, immédiat et proportionné. Bien sûr, il peut y avoir des fautes, mais elles conduisent alors à des contrôles, des enquêtes, voire des suites judiciaires. Il faut avoir les bonnes personnes, bien équipées, bien formées, au bon endroit. Nous avons été amenés, à certains moments de grande tension, à affecter à l'ordre public, pour défendre nos institutions et la sécurité de notre pays, des femmes et des hommes qui n'étaient pas formés à cet ordre public : ce n'est pas la solution, mais nous devions alors renforcer nos moyens d'intervention. Le LBD est une arme intermédiaire qui permet d'éviter le contact physique et d'avoir recours à d'autres techniques ou de moyens plus dangereux. Nos forces savent s'adapter et l'utiliser avec parcimonie : nous avons connu deux mois de manifestations des « gilets jaunes » en 2018, contre six en 2019 et pourtant l'on constate une baisse de son utilisation.

Je comprends le débat sur la diffusion des images filmées par la police, mais nous sommes aujourd'hui dans une situation asymétrique injuste. Mon rôle est de défendre nos forces. Le procès a déjà lieu dans la presse et sur les réseaux sociaux et il peut marquer l'opinion publique, car une vidéo, éventuellement tronquée, peut atteindre trois millions de vues ! Une vidéo, si elle est seule, peut mettre en cause les forces de sécurité intérieure. Tout en respectant le droit à l'image, nous devons protéger nos forces. Lors de l'attentat de Villejuif en janvier dernier, le premier film que j'ai visionné présentait comme des violences policières la neutralisation de l'agresseur terroriste qui venait de poignarder des passants. C'est un sujet d'équilibre, mais je ne veux pas que certains aient tous les droits, y compris celui de tronquer la réalité. Je ne suis pas favorable à l'interdiction de filmer, mais, à l'inverse, nos forces doivent pouvoir se défendre. Les forces de l'ordre doivent pouvoir se défendre dans le procès public qui leur est fait.

Je suis favorable à rendre publiques les conclusions du groupe de travail. Vous avez aussi souhaité avoir communication des rapports de l'IGPN et de l'IGGN sur les techniques d'intervention, mais je crois savoir que vous les rencontrerez en audition. Si les inspections me demandent l'autorisation de vous transmettre leurs travaux, ce sera sans difficulté pour moi.

L'expression « ouvriers de l'État » est belle, mais elle montre aussi toute la misère et la difficulté de la mission quotidienne des forces de sécurité intérieure. L'expression « fiers de servir » est porteuse de tout le sens de l'engagement des policiers et des gendarmes. J'ai visité ce matin l'école des officiers de la gendarmerie nationale de Melun : les élèves n'y cherchent pas un métier, mais à servir. Et je sais que demain, dans une école de commissaires de police que je visiterai, j'entendrai le même discours : leur engagement est porteur de sens. Mais quand ils sont victimes d'une société de plus en plus violente, dénoncés, instrumentalisés par le biais d'images, soumis à l'opprobre public, qu'on leur manque de respect, c'est beaucoup plus dur. L'enseignant, l'élu et le maire le vivent aussi, comme les policiers, les gendarmes, les militaires, les pompiers volontaires, qui incarnent la République. Il faut défendre nos 250 000 « ouvriers de l'État fiers de servir ». Ils sont en première ligne et nous devons les accompagner. Les auteurs de violences urbaines n'aiment pas la République et veulent atteindre ses institutions.

Nous avons identifié huit affaires de décès imputables à l'usage de la force depuis 2014, police et gendarmerie confondues : deux sont clôturées et ont débouché sur l'absence de responsabilité et six sont encore en cours. Il faut des enquêtes. Personne ne peut parler à la place de la justice. Il y va de notre démocratie. Nous devons respecter les décisions de justice, même lorsqu'elles ne nous conviennent pas.

En 2019, les deux inspections générales ont été saisies de 879 cas de violences policières alléguées. Les enquêtes sont en cours et lorsque cela est nécessaire, des éléments sont transmis aux autorités judiciaires. Le signalement est désormais plus facile, grâce à la plateforme : l'évolution des chiffres ne correspond donc pas nécessairement une aggravation de la situation. La qualité de la formation est essentielle, mais la formation continue doit devenir une priorité.

Nous devons faire mieux connaître nos forces de sécurité. La journée de la sécurité intérieure chaque année à la mi-octobre, l'accueil en stage des élèves de troisième, le dispositif des cadets, la réserve le permettent déjà. Mais il est important que chacun sache, dès le plus jeune âge, que la police est bienveillante. Assurer la sécurité des Français, c'est être bienveillant avec les Français.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie de votre intervention.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 heures.