2. Le maintien de l'obligation d'inscription des crédits d'insertion pour les départements

La loi du 1 er décembre 1988 comprenait l'obligation pour les départements d'inscrire dans leur budget, pour financer des actions d'insertion, un crédit au moins égal à 20 % du montant des allocations versées dans le département au cours de l'exercice précédent. Ce montant a été ramené à 17 % en métropole et à 16,25 % dans les départements d'outre-mer par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création de la couverture maladie universelle.

L'article 28 du présent projet propose d'abroger plusieurs articles relatifs au financement conjoint de l'insertion par l'Etat et le département, réalisé dans le cadre d'une convention. Toutefois, il n'abroge pas les articles L. 263-5 et L. 263-9 du code de l'action sociale et des familles, qui définissent l'obligation, pour les départements, d'inscrire annuellement, dans un chapitre individualisé de son budget, un crédit au moins égal à 17 % des sommes versées, au cours de l'exercice précédent, par l'Etat dans le département au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion, et prévoient les conditions dans lesquelles ces crédits peuvent être reportés ou utilisés dans l'hypothèse où ils n'auraient pas été intégralement consommés 7 ( * ) .

a) Une disposition inopérante

La Cour des comptes indique, dans son rapport public 2001, que « l'enquête [de la Cour des comptes] a mis en évidence une grande difficulté des départements, même les plus concernés par les phénomènes d'exclusion, à utiliser les crédits ainsi inscrits à son budget » 8 ( * ) . L'encadré ci-après reprend les observations de la Cour des comptes au sujet du caractère obligatoire des crédits départementaux.

Observations de la Cour des comptes

1 - Taux d'utilisation des crédits inscrits

a) Dans le Nord, la base de référence est, en fait, un conglomérat de données de nature variable selon les caisses d'allocations familiales : les unes brutes, d'autres nettes des indus, d'autres enfin fournies sans aucune précision. Dans l'Hérault, une erreur avait conduit à surévaluer de 1,22 million d'euros l'obligation légale du département.

b) La loi fait obligation aux départements de reporter sur l'année suivante les crédits inscrits au titre de l'obligation légale et non engagés.

Hormis la Creuse et les Bouches-du-Rhône, aucun des départements de l'échantillon examiné ne parvient à utiliser la totalité des crédits inscrits. En Maine-et-Loire, le report cumulé à la fin de 1999 (10,53 millions d'euros) représente deux fois les crédits utilisés durant l'année. Dans la Marne, il atteint 11,5 millions d'euros, soit près de deux fois le montant des dépenses réalisé en 1999.

Les reports sont parfois minorés. Le département du Nord prend ainsi en compte des crédits du fonds social européen dans les recettes du chapitre 959 sur le compte administratif, mais non dans le budget. Les crédits européens se substituent à une partie de la charge du département, contrairement à la règle d'additionnalité qui leur est applicable. Les reports de crédits entre 1993 et 1999 ont été, dès lors, réduits de moitié.

c) La délégation interministérielle avait, en 1998 et 1999, proposé diverses solutions pour utiliser les crédits reportés, telles que la réécriture de l'article 39 de la loi sur le RMI, un plan de résorption des reports sur 3 à 4 ans ou leur réaffectation dans des contrats de plan ou de ville.

La direction générale de l'action sociale a déclaré envisager une opération « visant, dans les départements concernés, à aller au devant des allocataires les plus anciens dans le dispositif pour leur proposer des actions de diagnostic, de bilan et d'insertion ».

La loi du 29 juillet 1992 avait introduit à l'article 41 une disposition qui permet au préfet d'affecter les crédits non engagés « pour la partie qui dépasse 65 % de l'obligation » à des actions d'insertion en faveur des bénéficiaires du RMI « présentées par les communes ». Elle est restée sans application.

2 - Imputations contestables

a) La loi a autorisé l'imputation de frais de structure au dispositif d'insertion, sans fixer une limite à ces frais. Une circulaire de 1989 précise qu'ils ne doivent pas dépasser 10 % des dépenses d'insertion, mais il s'agit d'une indication non contraignante. Selon la DIRMI [délégation interministérielle au RMI], le taux moyen aurait été de 16 % en 1996. Le ministère ne dispose pas d'informations plus récentes sur ce point.

L'enquête [de la Cour des comptes] a conduit à relever des pratiques très différentes. Certains départements comptabilisent directement au chapitre 959 les dépenses de fonctionnement. D'autres procèdent par proratisation, les dépenses figurant alors comme dépenses indirectes au chapitre 959. En fait, la plupart ne sont pas en mesure de déterminer le coût réel de gestion du dispositif. (...)

b) Plusieurs départements imputent sur le chapitre 959 des dépenses d'instruction administrative et sociale des dossiers ou de prévention de l'exclusion, qui ne se rattachent pas à l'insertion proprement dite. La délégation interministérielle avait procédé en 1998 à un contrôle de l'utilisation par le conseil général de Corse du sud des crédits d'insertion du RMI ; elle avait notamment constaté l'octroi de financements à des associations sportives.

D'autres départements ont imputé sur le chapitre 959 des dépenses relevant de leur obligation légale aux fonds de solidarité logement (loi du 31 mai 1990) ou aux fonds d'aide aux jeunes.

c) La loi de 1998 prévoit que les crédits inscrits au titre de l'obligation légale sont affectés aux seuls bénéficiaires du RMI. Des actions accueillant d'autres publics peuvent être financées à condition que la quote-part imputée sur le chapitre 959 soit calculée au prorata du nombre de bénéficiaires du RMI de l'action concernée.

La qualité de bénéficiaires du RMI des participants aux actions financées est, de façon générale, insuffisamment contrôlée. Dans le Nord ont ainsi été comptées comme participants à une action de formation d'une centaine d'heures des personnes qui n'ont pas fait acte de présence mais qui avaient été adressées à l'organisme par leur « référent ».

A Paris, le département verse une subvention d'équilibre au SAMU social sans demander combien de RMIstes sont concernés, alors que la subvention, imputée en totalité sur le chapitre 959, a représenté en 1997 38 % du budget du service du RMI (1,52 millions d'euros). Le contrôle est encore plus difficile pour les actions d'accueil ou de suivi social qui constituent une grande part des actions d'insertion.

(...)

4 - Le suivi des actions d'insertion

a) Faute d'une articulation suffisante entre les actions inscrites aux PDI [Plans départementaux d'insertion] et l'imputation budgétaire des dépenses correspondantes, les départements examinés ne sont pas en mesure de rapprocher, en cours d'année, les mandatements et le PDI pour les actions imputées au chapitre 959 de leur budget. La plupart du temps, ce rapprochement n'intervient qu'après la fin de l'exercice pour établir le compte administratif et n'éclaire donc pas le pilotage de l'année en cours.

A l'inverse, des actions sont financées par les crédits d'insertion bien qu'elles ne figurent pas dans le programme départemental. Par une délibération du 17 décembre 1999, le Conseil général des Hauts-de-Seine a ainsi décidé de verser une allocation exceptionnelle à certaines catégories de bénéficiaires du RMI. Le coût de la mesure, 2,58 millions d'euros, soit près de 20 % de l'obligation légale du département en 1999, a été imputé sur les crédits départementaux d'insertion, bien que ce versement n'eût pas été prévu au PDI et n'eût pas été soumis à la délibération du conseil départemental d'insertion.

De même, dans les Bouches-du-Rhône, une « aide à la recherche d'emploi et aux frais d'insertion » qui apparaît en réalité comme une prime de fin d'année aux chômeurs, est imputée pour l'essentiel sur les crédits d'insertion, sans avoir fait l'objet d'une inscription au PDI et sans correspondre à une démarche d'insertion. Le coût supporté par le chapitre 959 des dépenses d'insertion a été de 2,75 millions d'euros en 1997, 7,63 millions d'euros en 1998 et 8,34 millions d'euros en 1999, soit 91,6 % du coût total de cette prime en 1999 ».

Source : rapport public 2001 de la Cour des comptes, deuxième partie : observations des juridictions financières, janvier 2002, pages 20 à 22

Par ailleurs, la mise en oeuvre des articles L. 263-5 et L. 263-9 du code de l'action sociale et des familles semble délicate, compte tenu du contexte nouveau créé par le présent projet de loi :

- d'une part, l'article L. 263-5 du code général de l'action sociale et des familles prévoit l'inscription d'un crédit « au moins égal à 17 % des sommes versées, au cours de l'exercice précédent, par l'Etat dans le département au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion ». Or, dès lors que l'Etat ne versera plus aucune somme au titre de cette allocation à compter du 1 er janvier 2004 9 ( * ) , cette disposition ne serait applicable qu'en interprétant la loi et en considérant qu'il convient de prendre pour année de référence la dernière année précédant le transfert de la compétence RMI aux départements pour la détermination du montant du crédit devant être inscrit dans leur budget par les conseils généraux ;

- d'autre part, l'article L. 263-9 du code de l'action sociale et des familles ne saurait être applicable s'il était voté en l'état, dès lors qu'il fait référence à l'article L. 263-7 du même code, dont l'abrogation est prévue par l'article 28 du projet de loi.

b) Une disposition inutile et des craintes injustifiées

L'obligation d'inscription par les départements d'un montant de crédits d'insertion dans leurs budgets n'implique aucunement une obligation de consommer ces crédits, les départements ayant la faculté d'en reporter le reliquat sur les exercices postérieurs. De ce fait, il s'agit, pour partie, d'une contrainte formelle qui ne permet pas nécessairement d'atteindre l'objectif de cette mesure. Le rapport public 2001 de la Cour des comptes précisait à cet égard que : « deux seulement des 19 départements de l'échantillon examiné utilisent la totalité des crédits départementaux inscrits au titre de l'obligation qu'institue la loi de 1988. Les reports cumulés dépassent parfois de moitié ce qui correspond à l'obligation légale de l'année » 10 ( * ) .

Lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 14 mai 2003, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que le gouvernement avait souhaité maintenir l'obligation d'inscription au budget départemental d'un crédit d'insertion égal à 17 % du montant des allocations de RMI versées l'année précédente dans le département. Il a expliqué que ce choix, dont il n'a pas douté qu'il donnera lieu à un ample débat parlementaire, était destiné à apaiser les inquiétudes de ceux qui craignaient une éventuelle réduction de l'effort d'insertion sociale et professionnelle à l'occasion du transfert de compétence et de ressource.

Les craintes exprimées quant aux moyens que pourraient consacrer à l'avenir, les départements à l'insertion des allocataires du RMI sont infondées. L'exercice des compétences en matière d'action sociale qui ont été confiées aux départements par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, montre que les dépenses afférentes à ces compétences ont considérablement augmenté, ainsi que le rappelle le rapport de l'observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) sur « l'acte II de la décentralisation », paru en février 2003.

Les départements ont prouvé, depuis 1982, que leur gestion des compétences relatives à l'action sociale a conduit à un accroissement des dépenses en faveur des personnes concernées. Enfin, ainsi que le précisait M. Bertrand Fragonard lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 13 mai 2003,  malgré leur suppression [des crédits obligatoires d'insertion], les départements seraient poussés à investir dans cet accompagnement, afin de réduire leurs dépenses d'allocation.

Des craintes peu justifiées en matière de décentralisation de l'action sociale

L'observatoire national de l'action sociale décentralisée indique, dans un rapport sur « l'acte II de la décentralisation », paru en février 2003, que « certains craignaient de la départementalisation trois dérives : un repli frileux, la prégnance de l'électoralisme, le développement des inégalités. Or, l'observation montre que, au niveau « macro », ces risques ne se sont pas concrétisés. (...)

Des budgets départementaux façonnés par la prégnance de l'action sociale

Au lieu d'un repli frileux, on constate que les départements ont pu suivre la progression des nouveaux besoins sociaux engendrés par la précarisation de l'emploi et du lien social. Leur dépense nette a progressé de 120 % entre 1984 et 2001 11 ( * ) , alors que durant cette même période l'indice des prix à la consommation n'a progressé que de 50 % environ. (...)

Des priorités d'intervention déterminées par l'évolution des besoins sociaux

Concernant le risque électoraliste, il faut relever que la dépense nette a surtout progressé dans deux domaines peu sensibles aux pressions électorales : le soutien aux personnes précarisées et le soutien aux personnes handicapées.

La part de l'insertion et de l'accompagnement social dans la dépense nette d'action sociale est passée, entre 1984 et 2001, de 22 à 26 % (dont l'accompagnement social de 17 à 21 %). Celle du soutien aux personnes handicapées est passée, durant la même période, de 15 à 22 %.

En revanche, toujours entre 1984 et 2001, la dépense concernant les personnes âgées (électeurs très disponibles) est passée de 23 % à 14 %, car les personnes âgées sont de moins en moins précarisées. (...)

Des budgets d'action sociale en convergence

Parmi les préoccupations concernant le processus de décentralisation, celle de l'accroissement des inégalités dans l'offre de services a toujours été très importante. Or, il faut relever, avec l'Odas mais aussi la DREES, que les budgets d'action sociale des départements sont de moins en moins divergents. Cela traduit une réduction des inégalités inter-départementales (...) ».

c) Une disposition contradictoire avec une décentralisation responsable

Votre commission considère que le maintien d'une telle disposition contredit le principe même de la décentralisation des compétences et l'esprit du texte qui lui est soumis pour avis. Cette contrainte semble témoigner d'une certaine défiance envers les conseils généraux. Or, le présent projet de loi porte dans son titre le terme de « décentralisation », qui constitue son principal objet.

Votre commission considère que la décentralisation ne consiste pas à « sous-traiter » aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par l'Etat, mais à faire confiance dans le sens de la responsabilité des élus locaux, qui sont, par définition, proches des citoyens et donc attentifs à leurs besoins, en leur accordant la capacité de déterminer librement leurs modes de gestion. Décentraliser en contraignant les collectivités territoriales jusque dans le détail de leur gestion des compétences apparaît à votre commission comme une contradiction inacceptable ; d'une part, le présent projet de loi prévoit que le conseil général élaborera et adoptera seul le programme départemental d'insertion ; d'autre part, ce même projet dispose qu'il devra consacrer au minimum 17 % des dépenses d'allocation de l'année précédente à l'insertion.

En réponse à une remarque de votre rapporteur pour avis, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, M. François Fillon, reconnaissait d'ailleurs, lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 14 mai 2003, que le maintien de ces 17 % avait pour but de ne pas envoyer un message qui serait incompris par le monde associatif et qu'à terme, la logique de la décentralisation devait, en effet, conduire à leur suppression.

Conserver une telle obligation dans le code de l'action sociale et des familles serait un bien mauvais signal donné au processus de décentralisation. A cet égard, la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, présidée par Jean-Paul Delevoye et dont votre rapporteur pour avis soulignait, dans son rapport 12 ( * ) , la nécessité de « retrouver l'esprit de la décentralisation ». L'encadré ci-après reproduit un extrait de ce rapport.

Retrouver l'esprit de la décentralisation

La décentralisation repose sur un triptyque « liberté d'initiative, diversité, responsabilité ».

Si l'Etat transfère des compétences aux collectivités locales, c'est parce qu'il estime que ces compétences seront exercées de manière plus efficace à un niveau de proximité.

Quelle peut être la signification de cette démarche si le cadre juridique d'exercice de la compétence est tellement détaillé que les collectivités locales ne disposent plus d'aucune marge d'appréciation ?

Le bilan établi par votre mission d'information a mis en évidence que l'Etat avait de plus en plus la tentation de confier des compétences aux collectivités locales en définissant au préalable l'objectif à atteindre et les moyens à mettre en oeuvre en prévoyant, en outre, des sanctions pour le cas où une collectivité n'aurait pas à respecter ces prescriptions.

Il y a là une déviation manifeste de l'esprit de la décentralisation. Retrouvant de vieux réflexes, l'Etat traite les collectivités locales comme des acteurs mineurs incapables par eux-mêmes de promouvoir l'intérêt général.

Votre commission vous propose en conséquence d'adopter un amendement supprimant l'obligation pour les départements d'inscrire dans leurs budgets un crédit au moins égal à 17 % des sommes versées au cours de l'exercice précédent par l'Etat dans le département au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion.

* 7 L'article L. 263-5 du code de l'action sociale et des familles prévoit que « pour le financement des actions inscrites au programme départemental d'insertion et des dépenses de structure correspondantes, le département est tenu d'inscrire annuellement, dans un chapitre individualisé de son budget, un crédit au moins égal à 17 % des sommes versées, au cours de l'exercice précédent, par l'Etat dans le département au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion ».

* 8 In Rapport public 2001 de la Cour des comptes, deuxième partie : observation des juridictions financières, janvier 2002, page 20.

* 9 Sous réserve, ainsi que le prévoit l'article 41 du présent projet de loi, « de l'entrée en vigueur à cette date des dispositions de la loi de finances prévue à l'article 3 ».

* 10 In Rapport public 2001 de la Cour des comptes, deuxième partie : observations des juridictions financières, janvier 2002, page 10.

* 11 Hors aide médicale (qui disparaît en 2000, remplacée par la couverture maladie universelle). La dépense est passée de 5,44 milliards d'euros en 1984 à 12,12 milliards d'euros en 2001.

* 12 « Pour une République territoriale - l'unité dans la diversité », n° 447, 1999-2000, pages 501-502.

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