II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La persistance d'une sous-budgétisation des dépenses d'hébergement d'urgence et de veille sociale

Comme votre rapporteur spécial l'avait craint lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » connaît une nouvelle année d'exécution bien supérieure à la prévision , avec un écart de plus de 225 millions d'euros (+ 16,5 %) .

Évolution des crédits du programme 177 entre 2008 et 2016

(en euros)

* Jusqu'à la loi de finances initiale pour 2012, le programme 177 couvrait les dépenses liées à l'aide alimentaire (qui représentait 22,8 millions d'euros en LFI 2012) transférée à compter de la LFI 2013 vers le programme 304 « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Source : commission des finances du Sénat d'après les projets et rapports annuels de performances pour 2008 à 2016

1,37 milliard d'euros avaient ainsi été prévus par la loi de finances initiale, soit un montant supérieur de 50 millions d'euros par rapport à celui de 2014 mais déjà inférieur de 103 millions d'euros au regard de l'exécution 2014. La sous-budgétisation du programme ne faisait donc pas de doute.

Compte tenu des besoins constatés en cours d'exercice, le programme a ainsi été abondé de 227 millions d'euros , par deux décrets d'avance (130 millions d'euros en octobre 83 ( * ) et 40,1 millions d'euros en novembre 84 ( * ) ) et par la loi de finances rectificative de fin d'année précitée (53,6 millions d'euros).

Comme chaque année, cette situation s'explique principalement par les fortes tensions pesant sur l'hébergement d'urgence et, en corollaire, sur la veille sociale. L'année 2015 a, plus spécifiquement, été marquée par la crise migratoire que connaît l'Europe.

Hors centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) 85 ( * ) , 547,6 millions d'euros en AE et 547,4 millions d'euros en CP ont ainsi été consommés au titre de l'hébergement d'urgence « de droit commun » (par opposition au programme 303 de la mission « Asile, immigration et intégration » qui comprend notamment les crédits spécifiquement consacrés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile), contre 383 millions d'euros initialement prévus, soit un écart de 164 millions d'euros (+ 43 %) par rapport à la prévision initiale et de 72 millions d'euros par rapport à la dépense constatée en 2014.

Évolution des crédits d'hébergement d'urgence

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Cette sous-budgétisation constatée depuis plusieurs années conduit la Cour des comptes à relever une « tendance haussière devenue structurelle » sur ce programme » et que se pose « la question structurelle de sa soutenabilité financière » 86 ( * ) .

Avec une augmentation de 5 040 places en un an, le parc généraliste d'hébergement et de pensions de famille atteint un total de 122 411 places au 30 juin 2015, auxquelles s'ajoutent 21 755 places en intermédiation locative.

Malgré le plan de réduction de nuitées hôtelières sur la période 2015-2017, leur nombre ne baisse pas (+ 15 % en six mois, avec 37 027 places au 30 juin 2015). Toutefois, le ministère met notamment en avant la moindre croissance de la dépense associée par rapport au reste de la sous-action « Hébergement d'urgence » (+ 12 % pour les nuitées d'hôtel contre + 15 % pour l'ensemble des dispositifs).

Votre rapporteur spécial partage les objectifs des deux recommandations de la Cour des comptes concernant ce programme, à savoir :

- généraliser le conventionnement avec les opérateurs du programme et mettre en oeuvre une politique de convergence tarifaire à partir des résultats de l'enquête nationale des coûts ;

- concevoir un outil de suivi statistique des statuts juridiques des publics accueillis et le prescrire aux opérateurs.

Enfin, si la dépense enregistrée au titre de l'hébergement d'urgence semble difficile à contenir, il semblerait qu'à tout le moins, la prévision initiale puisse être davantage sincère .

2. L'exécution des crédits destinés aux aides au logement : une meilleure budgétisation...

En 2015, les charges du Fnal atteignent un montant très proche de la prévision , puisqu'elles s'élèvent à 13,818 milliards d'euros alors que l'estimation de la subvention d'équilibre versée par l'État reposait, dans le projet annuel de performances, sur des ressources et des charges à hauteur de 13,823 milliards d'euros. Cela mérite d'être souligné alors qu'au cours des années passées, les charges s'avéraient généralement bien plus élevées en exécution que ce qui avait été initialement arrêté.

Les aides personnelles au logement représentent une dépense considérable de l'État. Elles constituent le premier des principaux transferts aux ménages mentionnés dans le compte général de l'État, lequel indique par ailleurs que les engagements hors bilan au titre de ces aides s'élèvent à 160,14 milliards d'euros au 31 décembre 2015 (+ 24 milliards d'euros par rapport à 2014).

À titre de rappel, les charges du Fnal pour 2015 avaient fait l'objet d'un rebasage équivalant à une augmentation de près de 300 millions d'euros par rapport à l'exécution 2014 (et 520 millions d'euros par rapport à la prévision de cette même année).

En outre, en exécution, les dépenses engagées au titre des deux types d'aides personnelles au logement couvertes par le Fnal ont été conformes aux prévisions (8,22 milliards d'euros pour les aides personnalisées au logement, contre 8,272 milliards d'euros initialement prévus ; 5,327 milliards d'euros pour l'allocation de logement à caractère social, pour 5,28 milliards d'euros budgétés).

Évolution des prévisions et de l'exécution des charges du Fnal entre 2007 et 2015

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances d'après les projets et les rapports annuels de performances de 2007 à 2015

Par ailleurs, lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2015, votre rapporteur spécial était favorable à l'opération de « rebudgétisation » opérée sur le programme 109 « Aide au logement ». Il pensait, en effet, qu'en proposant une unification des sources de financement , elle permettrait notamment une meilleure estimation des besoins de crédits et donc un pilotage plus efficace par l'État 87 ( * ) .

Effectivement, le montant issu des cotisations employeurs, qui constitue une des ressources du Fnal avec la subvention d'équilibre de l'État, a été conforme aux prévisions (2,581 milliards d'euros contre 2,555 milliards d'euros initialement prévus) et les 300 millions d'euros attendus d'Action logement ont, par ailleurs, été versés.

Ainsi, la Cour des comptes estime que la « budgétisation 2015 initiale du Fnal apparaît cohérente avec les estimations d'exécution identifiées par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages » 88 ( * ) . Il convient toutefois de souligner que cette prévision ne couvrait que les besoins de l'année 2015 et ne permettait pas de réduire la dette du Fnal vis-à-vis des organismes de sécurité sociale (171 millions d'euros à la fin de l'année 2014).

3. ...et un blocage de crédits contribuant à équilibrer en apparence l'exécution de la mission tout en alimentant la dette du Fnal

Compte tenu de la bonne budgétisation du Fnal, la subvention d'équilibre de l'État aurait pu couvrir l'intégralité des besoins constatés et même permettre de réduire légèrement la dette du Fnal vis-à-vis de la branche famille de la sécurité sociale, en tenant compte des crédits supplémentaires ouverts par la loi de finances rectificative de fin d'année (70,3 millions d'euros supplémentaires).

Finalement, le Gouvernement a décidé , en fin de gestion, de ne pas utiliser l'intégralité des crédits de la réserve de précaution , 230 millions d'euros restant ainsi non consommés, de même que les 70,3 millions d'euros ouverts en loi de finances rectificative .

La Cour des comptes indique que cette décision a été motivée par la maîtrise de la norme de dépense ainsi que par « l'apurement des sommes restant dues par l'État , au 30 juin, à la sécurité sociale » 89 ( * ) .

Interrogé par votre rapporteur spécial lors de son audition par la commission des finances, Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, a confirmé cette analyse en indiquant que « la fin de gestion est faite pour assurer les dépenses et pour tenir la norme » et qu'à cette même période, « c'est la relation globale entre l'État et [l'Acoss] qu'il nous faut regarder. Nous avons tout fait pour assurer la neutralité de la relation financière entre l'État et l'Acoss. Les créances ont toutes été compensées » 90 ( * ) .

Quelles que soient les explications apportées par le Gouvernement pour justifier ce blocage de crédits, il paraît assez étonnant de procéder à la fois au dégel intégral de la réserve de précaution le 23 novembre et de faire ouvrir par le Parlement à la toute fin du mois de décembre 70 millions d'euros dans la loi de finances rectificative pour finalement décider de ne pas utiliser ces crédits .

En outre, ces 300 millions d'euros auraient permis de couvrir l'intégralité des dépenses du Fnal pour 2015 et même, selon les estimations du ministère du logement, de réduire sa dette à 101 millions d'euros vis-à-vis des organismes de sécurité sociale (contre 171 millions d'euros).

Au contraire, la subvention d'équilibre de l'État s'est finalement établie à 10,743 milliards d'euros, contre 10,968 milliards d'euros prévus par la loi de finances initiale, créant un écart de 215 millions d'euros entre les ressources et les charges du Fnal et un report de charges de 401 millions d'euros sur 2016. La Cour des comptes en déduit que des difficultés « relatives à la soutenabilité du programme 109 » sont « prévisibles » pour cette année.

Écart entre les ressources et les charges du Fnal

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances d'après les projets et les rapports annuels de performances de 2010 à 2015

Votre rapporteur spécial ne peut que regretter ce type de « bricolage » de fin de gestion dont la seule justification est de respecter optiquement la norme de dépense .

4. Des aides à la pierre en baisse et qui ne sont plus essentiellement portées par les crédits budgétaires

La loi de finances initiale pour 2015 prévoyait, pour le programme 135 qui porte essentiellement les crédits consacrés aux aides à la pierre, un budget de 606,5 millions d'euros en AE, dont 8,3 millions d'euros de fonds de concours, et 503,9 millions d'euros en CP, dont 224,3 millions d'euros de fonds de concours .

Finalement, en cours d'année, plusieurs opérations d'ouvertures et d'annulations ont été opérées, en particulier :

- le report de 2014 sur 2015 de 191,6 millions d'euros en AE et 190,6 millions d'euros en CP , issus de fonds de concours ;

- l' ouverture de 223,6 millions d'euros en AE et en CP, également issus de fonds de concours ;

- l' annulation de crédits (décrets d'avance et décrets d'annulation) de 129,8 millions d'euros en AE et 125,8 millions d'euros en CP .

Au total, le programme a donc bénéficié de 926 millions d'euros en AE et 610,7 millions d'euros en CP ouverts au titre de 2015, pour une consommation ayant atteint 465,5 millions d'euros en AE et 457,8 millions d'euros en CP, soit une consommation de respectivement 50 % et 75 % 91 ( * ) .

L'importance des ressources issues de fonds de concours met en évidence le fait que les aides à la pierre ne sont plus financées majoritairement par des crédits budgétaires . Cette tendance se poursuit d'ailleurs en 2016, également marquée par la création du Fonds national des aides à la pierre (Fnap) qui se substitue au fonds de péréquation géré par la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) et financé par les contributions des bailleurs sociaux.

Consommation du programme 135 selon la nature des crédits

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère du logement

La Cour des comptes met également en évidence un « mécanisme de substitution progressive des crédits budgétaires d'aides à la pierre par des fonds de concours issus des contributions obligatoires des organismes du logement social. »

Par ailleurs, la dépense relative aux aides à la pierre diminue de 25 % en un an, tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement. La consommation des crédits de l'action 01 passe ainsi, pour les autorisations d'engagement, de 391,8 millions d'euros en 2014 à 293,6 millions d'euros en 2015 et, pour les crédits de paiement, de 413 millions d'euros à 306,9 millions d'euros.

Le rapport annuel de performances fait état de 125 103 logements sociaux financés en 2015 sur les 150 000 attendus .

Bilan de la construction de logements sociaux en 2015

(en nombre de logements sociaux financés)

Objectifs pour 2015

Réalisation en 2015

% réalisation/ objectifs

Prêt locatifs aidés d'intégration (PLAI)

66 000

51 224

77,6%

Prêts locatifs à usage social (PLUS)

34 000

27 634

81,3%

Prêts locatifs sociaux (PLS)

35 000

30 063

85,9%

Total programme 135

135 000

108 921

80,7%

Logements sociaux financés dans les DOM

15 000

4 889

107,9 %

Logements sociaux financés par l'Anru

11 293

Total

150 000

125 103

83,4%

Source : commission des finances d'après le rapport annuel de performances pour 2015

Votre rapporteur spécial partage enfin l'intérêt porté par la Cour des comptes sur l'impact que pourraient avoir les annulations de crédits sur la trésorerie des délégataires des aides à la pierre . En effet, celle-ci indique, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission, que la baisse des crédits consacrés aux aides à la pierre a atteint en 2015 un « seuil critique ». Alors qu'elle avait pour « but de résorber la trésorerie éventuelle qu'ont pu créer certains délégataires, il apparaît aujourd'hui des données collectées par les services déconcentrés du ministère, que la situation se soit inversée . De nombreux délégataires sont ainsi créanciers de l'État , ce qui ne manque pas de questionner sur la bonne gestion de l'exécution en [crédits de paiement] au regard des [autorisations d'engagement] engagés les années précédentes ».

Les éléments recueillis auprès du ministère du logement confirment effectivement cette analyse.

Évolution des reliquats de crédits de paiement
chez les délégataires des aides à la pierre

(en euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère du logement

5. Une politique du logement reposant toujours sur d'importantes dépenses fiscales

Avec 12,5 milliards d'euros de dépenses fiscales (sur impôts d'État ou sur impôts locaux pris en charge par l'État) en 2015, les dépenses fiscales constituent un axe majeur de la politique en faveur du logement .

Essentiellement concentrées sur le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », elles comprennent en particulier les taux réduits de TVA applicable dans le domaine de la construction et de l'amélioration des locaux d'habitation (6,3 milliards d'euros en 2015) ainsi que les dispositifs d'incitation à l'investissement locatif (1,7 milliard d'euros).

Dépenses fiscales de la mission

(en millions d'euros)

Dépenses fiscales sur impôts d'État

Programme

2014*

2015

(actualisé)

Évolution 2014/2015

177 Prévention de l'exclusion et insertion des personnes défavorisées

45

45

0 %

109 Aides à l'accès au logement

65

65

0 %

135 Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

12 840

12 246

- 4,6 %

337 Conduite et pilotage des politiques de l'égalité des territoires, du logement et de la ville

0

0

Total

12 950

12 356

- 3,8 %

Dépenses fiscales sur impôts locaux pris en charge par l'État

Programme

2014*

2015

(actualisé)

Évolution 2014/2015

177 Prévention de l'exclusion et insertion des personnes défavorisées

0

0

-

109 Aides à l'accès au logement

33

36

+ 9,1 %

135 Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

87

83

- 4,6 %

337 Conduite et pilotage des politiques de l'égalité des territoires, du logement et de la ville

0

0

0 %

Total

120

119

- 0,9 %

Total général

13 070

12 475

- 4,6 %

* Hors dépenses fiscales du programme 147 « Politique de la ville » qui relève de la mission « Politique des territoires » depuis 2015.

Source : rapport annuel de performances pour 2013 et commission des finances

La baisse de 4,6 % entre 2014 et 2015 s'explique principalement par l'extinction du crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt pour l'acquisition ou la construction de la résidence principale, pour lequel la dépense fiscale diminue de 435 millions d'euros (770 millions d'euros en 2015 contre 1,2 milliard d'euros en 2014).

Comme l'an dernier, votre rapporteur spécial souligne l'importance d'évaluer ces dépenses fiscales , à l'instar de la Cour des comptes qui en fait sa première recommandation pour la mission (« Évaluer régulièrement les dépenses fiscales attachées à la mission et supprimer celles dont l'efficacité et l'efficience apparaissent insuffisantes »).


* 83 Décret d'avance précité du 23 octobre 2015.

* 84 Décret d'avance précité du 27 novembre 2015.

* 85 Les CHRS comptent également 6 778 places d'hébergement d'urgence.

* 86 Note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Égalité des territoires et logement », mai 2016.

* 87 La « rebudgétisation » des crédits consacrés aux aides personnelles au logement s'est d'ailleurs poursuivie en 2016, avec le transfert à l'État du financement de l'allocation de logement familiale (ALF) jusqu'à présent assuré par la branche famille de la sécurité sociale (correspondant à 4,7 milliards d'euros).

* 88 Note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Égalité des territoires et logement », mai 2016.

* 89 En effet, l'article 1 er de la loi de finances rectificatives pour 2015 prévoyait l'apurement global de la dette de l'État vis-à-vis de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) au 30 juin 2015, avec l'affectation de 646 millions d'euros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

* 90 Compte-rendu de la réunion de la commission des finances du 15 juin 2016.

* 91 Selon la Cour des comptes, 147,9 millions d'euros issus du fonds de péréquation géré par la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) et issu des contributions des bailleurs sociaux (article L. 452-1-1 du code de la construction et de l'habitation) ont fait l'objet d'un report de crédits sur 2016, n'ayant pu être consommés du fait de leur rattachement trop tardif.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page