III. PRINCIPALES OBSERVATIONS SUR LE PROGRAMME 147 « POLITIQUE DE LA VILLE » (RAPPORTEUR SPECIAL : DANIEL RAOUL)

1. Le programme 147 inscrit dans une nouvelle mission en raison de la création du CGET

À l'occasion du projet de loi de finances initiale pour 2015, le programme 147 « Politique de la ville » a quitté la mission « Égalité des territoires et logement » pour rejoindre la mission « Politique des territoires ». Cette décision faisait suite à la création du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) qui regroupe désormais les activités de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé), du Secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV) et de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Les programmes gérés par le CGET figurent ainsi dans la même mission depuis 2015.

Votre rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de regretter que ce choix conduise à une séparation , de fait, entre les politiques de l'État en faveur du logement et les actions menées dans le cadre de la politique de la ville . L'ancienne maquette budgétaire avait une cohérence qui se justifiait pleinement sur le fond.

Pour autant, cela ne remet pas en cause l'intérêt de la création du CGET qui doit notamment conduire à une mutualisation des compétences permettant de dégager des économies .

À ce titre, l'installation de ce commissariat général a répondu aux attentes puisque, comme a déjà pu l'indiquer également Bernard Delcros, rapporteur spécial de la mission « Politique des territoires » pour les programmes 112 qui porte les crédits de personnel et l'essentiel des moyens de fonctionnement du CGET, l'exécution 2015 a abouti à des dépenses inférieures à la prévision initiale en la matière 159 ( * ) .

Ces résultats reposent notamment sur la mutualisation des prestations immobilières et logistiques, avec le regroupement de l'ensemble des services du CGET sur un site unique, et sur le rattachement aux marchés mutualisés de l'État pour la quasi-totalité de ses achats. Les économies réalisées grâce à ce type de mutualisations ne peuvent qu'être encouragées.

D'après les informations recueillies auprès du CGET, elles devraient être encore plus importantes, s'agissant des dépenses courantes, entre 2015 et 2016.

2. Une consommation maîtrisée avec une exécution de 91 % des crédits destinés aux actions territorialisées et aux dispositifs spécifiques de la politique de la ville

Avec 409 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), la consommation des crédits du programme 147 continue de se réduire en 2015 par rapport aux années précédentes. Les crédits de paiement enregistrent notamment une baisse de près de 30 millions d'euros par rapport à 2014 (- 6,8 %). L' exécution des crédits atteint ainsi 91 % du budget inscrit en loi de finances initiale , près de 20,7 millions d'euros ayant été annulés en AE et en CP en fin d'année.

Comme en 2014, la baisse des crédits exécutés s'explique principalement par la réduction de 20 millions d'euros du montant consacré aux compensations des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU), compte tenu des réformes successives de son mode de calcul et de la mise en extinction du dispositif (action 02 « Revitalisation économique et emploi »).

Les actions territorialisées et les dispositifs spécifiques de la politique de la ville (action 01) sont préservés, avec une exécution à 303 millions d'euros en crédits de paiement (+ 0,8 % par rapport à 2014).

Exécution des crédits du programme 147 « Politique de la ville » en 2015

(en euros)

Exécution
2014

Exécution
2015

Évolution
2014-2015

Loi de finances initiale
2015*

Taux de consommation

Action 01
Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville

AE

300 467 037

303 210 136

0,91%

331 819 031

91,38%

CP

300 608 142

303 046 756

0,81%

331 819 031

91,33%

Action 02
Revitalisation économique et emploi

AE

113 688 045

92 802 754

-18,37%

83 348 996

111,34%

CP

113 698 701

92 802 754

-18,38%

83 348 996

111,34%

Action 03
Stratégie, ressources et évaluation

AE

21 183 306

13 002 401

-38,62%

33 756 978

38,52%

CP

21 981 600

12 580 254

-42,77%

34 040 708

36,96%

Action 04
Rénovation urbaine et amélioration du cadre de la vie

AE

-466 341**

0

-100,00%

43 000

0,00%

CP

2 769 337

907 571

-67,23%

923 000

98,33%

Total programme 147

AE

434 872 047

409 015 291

-5,95%

448 968 005

91,10%

CP

439 057 780

409 337 335

-6,77%

450 131 735

90,94%

* Y compris fonds de concours et attribution de produits

** Cette somme correspond à des clôtures d'engagement pour des opérations prévues en Ile-de-France dans le cadre du programme de l'ancien fonds d'investissement pour la ville (FIV) ainsi que des grands projets de ville et opérations de renouvellement urbain (GPV ORU).

Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport annuel de performances pour 2015

La réserve de précaution comptait 33,3 millions d'euros en AE et 33,4 millions d'euros en CP, mais 31,7 millions d'euros (AE=CP) ont fait l'objet d'un dégel en cours d'année 160 ( * ) .

Le programme a finalement connu une annulation de crédits de 19,2 millions d'euros en AE et 20,6 millions d'euros en CP par le décret d'avance n° 2015-1545 du 27 novembre 2015.

Sans remettre en cause la mise en oeuvre des actions territorialisées de la politique de la ville, cette annulation a été permise, par la « mobilisation prioritaire du fonds de roulement de l'ACSé », correspondant à plus de 25 millions d'euros à la fin de l'année 2015. Elle a essentiellement porté sur le dispositif « adultes relais » (pour 10 millions d'euros) et le programme de réussite éducative (pour 3,6 millions d'euros).

Il convient également de noter qu'un décret de transfert et un décret de virement, pour un montant total de 16,8 millions d'euros, concrétisent le remboursement par le programme 147 des montants engagés par les ministères et autres structures pour mettre à disposition des délégués du préfet.

En tenant compte des ouvertures et annulations de crédits en cours d'année, l'exécution du programme 147 « Politique de la ville » a été forte, tout en étant maîtrisée, avec une consommation de 99,5 % en AE et 99,2 % en crédits de paiement.

3. Le dégel en cours d'année de 31,7 millions d'euros pour financer de nouvelles actions

À la suite des événements dramatiques du 7 janvier 2015, le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté du 6 mars 2015 a conduit à l'adoption de soixante mesures, parmi lesquelles plusieurs concernaient plus spécifiquement la politique de la ville.

Ainsi, 31,7 millions d'euros sur les 33,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 33,4 millions d'euros en crédits de paiement initialement mis en réserve ont fait l'objet d'un dégel afin de financer :

- l'abondement des dotations départementales destinées aux associations de proximité ;

- la revalorisation de 5 % de l'aide forfaitaire attribuée aux employeurs dans le cadre du dispositif « adultes-relais » à compter du octobre 2015 ;

- l'extension et le renforcement du programme de réussite éducative dans les établissements scolaires situés en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+) ;

- la création de 650 places nouvelles au sein de l'EPIDe (Établissement pour l'insertion dans l'emploi), permettant l'accueil de 1 000 personnes supplémentaires chaque année ;

- le lancement d'un plan de formation sur la laïcité et les valeurs de la République ;

- diverses actions pilotées par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

4. Le soutien de la politique de la ville par des dépenses fiscales renouvelées

À la suite de l'adoption de la loi précitée du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, les dépenses fiscales liées à la politique de la ville ont été prolongées et redéfinies pour s'adapter aux nouveaux quartiers prioritaires ainsi qu'aux priorités définies par le Gouvernement en termes de développement économique et commercial et de mixité sociale . Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur au 1 er janvier 2015.

Le programme 147 « Politique de la ville » comprend ainsi trois dépenses fiscales principales sur impôts d'État, pour un montant total de 336 millions d'euros en 2015, en hausse de 8,4 % par rapport à l'année précédente.

Évolution des dépenses fiscales sur impôts d'État rattachées au programme 147

(en millions d'euros)

Dépenses fiscales

Chiffrage pour 2014

Chiffrage pour 2015

Évolution 2014/2015

Exonération de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés plafonnée à 61 000 euros de bénéfice pour les entreprises qui exercent une activité en zone franche urbaine

60

61

+  1,7 %

Taux réduit de TVA à 5,5 % (auparavant 7%) applicable aux logements en accession sociale à la propriété dans les zones faisant l'objet de la politique de la ville

80

90

+ 12,5 %

Exonération de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés plafonnée à 50 000 euros (auparavant à 100 000 euros) du bénéfice réalisé par les entreprises exerçant une activité dans une zone franche urbaine de troisième génération ou qui créent une activité dans une zone franche urbaine-territoire entrepreneur entre le 1 er janvier 2006 et le 31 décembre 2020

170

185

+  8,8 %

Total

310

336

+  8,4 %

Source : commission des finances d'après les données du rapport annuel de performances pour 2015

Par ailleurs, elles sont complétées par dix dépenses fiscales principales sur impôts locaux , prises en charge par l'État, parmi lesquelles figurent en particulier l'abattement de 30 % applicable sur la taxe foncière sur les propriétés bâties en faveur de certains logements sociaux construits au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville (anciennement en zone urbaine sensible), pour un montant actualisé à 47 millions d'euros pour 2015.

5. Une surexécution pour les compensations d'exonérations de charges sociales liée à l'estimation incertaine de l'Acoss...

L'action 02 « Revitalisation économique et emploi » est marquée par une dépense supérieure à la prévision de dépense initiale en 2015 de 11,34 % , soit un peu plus de 9 millions d'euros , qui porte principalement sur la compensation des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU) et en zones de redynamisation urbaine (ZRU).

Ainsi, alors que la loi de finances initiale pour 2014 avait inscrit une dépense de 61,2 millions d'euros (AE=CP), celle-ci s'est finalement élevée à 69,1 millions d'euros, la différence de 7,9 millions d'euros étant liée aux évolutions de prévision des régimes de sécurité sociale. Comme l'a confirmé le CGET lors de son audition par votre rapporteur spécial, les estimations des organismes de sécurité sociale évoluent considérablement pour une même année, passant ainsi pour 2015 de 61,17 millions d'euros en septembre 2014 à 74,55 millions d'euros en mars 2016.

Évolutions des prévisions établies par les caisses de sécurité sociale
de mars 2013 à mars 2016 sur les années 2014 à 2018

(en millions d'euros)

Prévisions en date de

2014

2015

2016

2017

2018

mars 2013

99,97

92,10

juin 2013

78,97

65,10

décembre 2013

88,39

76,66

57,43

mars 2014

88,39

70,60

41,43

septembre 2014

90,21

61,17

32,64

15,23

janvier 2015

97,10

68,28

38,52

20,12

mars 2015

69,26

39,52

21,12

septembre 2015

70,26

37,52

20,12

décembre 2015

73,73

37,15

18,67

12,69

mars 2016

74,55

39,72

19,58

13,09

Source : Commissariat général à l'égalité des territoires

Déjà en 2014, 12,8 millions d'euros avaient servi à rembourser la dette contractée par l'État vis-à-vis de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) au titre de 2013, grâce à une sous-exécution de certaines lignes budgétaires du programme.

La Cour des comptes précise, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire relative à la mission « Politique des territoires », qu'une nouvelle dette constituée au titre de l'année 2014 avait créé un report de 18,8 millions d'euros sur l'année 2015. Cette dette a pu être entièrement couverte dans le cadre du dispositif d'apurement global des dettes de l'État vis-à-vis des régimes de sécurité sociale prévu à l'article 1 er de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 161 ( * ) .

S'agissant de la compensation des exonérations de charges sociales pour 2015, le besoin de financement de l'Acoss s'est finalement avéré supérieur de 13,5 millions d'euros par rapport à la prévision initiale. Cet écart a, pour une grande partie, pu être couvert par un redéploiement de crédits grâce à l'important fonds de roulement dégagé par l'ACSé lors de sa dissolution à la fin de l'année. En conséquence, le report de charges sur l'année 2016, lié à cette dette, se limite finalement à 5,5 millions d'euros .

Ces éléments font dire à la Cour des comptes 162 ( * ) que l'estimation des prévisions de l'Acoss constitue le « seul aléa structurel susceptible de porter atteinte à la soutenabilité budgétaire du programme 147 ».

Or la compensation de l'essentiel de l'écart - conséquent - de prévision pour 2015 n'a été permise cette année que par une opération exceptionnelle liée à la dissolution de l'ACSé . Toutefois, les montants en jeu continueront de se réduire année après année, puisque ce dispositif d'exonération de charges sociales est en phase d'extinction depuis le 1 er janvier 2015.

6. La confirmation d'une tension forte sur la trésorerie de l'Anru

L'année 2015 a été marquée, concernant la politique de rénovation urbaine, par la fin de la période d'engagements du programme national de rénovation urbaine (PNRU) , lesquels atteignent 11,781 milliards d'euros en cumulé au 31 décembre (sur les 12 milliards d'euros initialement prévus).

Parallèlement, le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) , créé par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est désormais lancé, avec l' identification de 216 quartiers d'intérêt national et 250 quartiers d'intérêt régional . Un budget total de 5 milliards d'euros est prévu, avec les concours financiers suivants : 3,2 milliards d'euros de subventions et 2,2 milliards d'euros de prêts bonifiés issus d'Action logement, 400 millions d'euros de subventions de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) et 600 millions d'euros d'économies du PNRU.

À titre de rappel, outre ces deux programmes, l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) gère également le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), l'opération « collèges dégradés » et des programmes d'investissement d'avenir (PIA 1 et 2), parmi lesquels les programmes des internats d'excellence et des internats de la réussite ainsi que l'action « Ville durable et solidaire, excellence environnementale du renouvellement urbain ».

Seuls les collèges dégradés bénéficient encore de crédits budgétaires (800 000 euros en 2015 au titre de l'action 04 « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie ») pour le financement des programmes de l'Anru.

La situation financière de l'Anru doit faire l'objet d'une attention particulière , compte tenu de l'ampleur des décaissements attendus au cours des prochaines années, avec à la fois la réalisation des opérations du PNRU et le début de mise en oeuvre du NPNRU.

La trésorerie de l'établissement public est, ainsi, fortement mise à contribution puisqu'après être passé de 443 millions d'euros à la clôture 2013 à 270 millions d'euros à la clôture 2014, son niveau se réduit à 188 millions d'euros à la fin de l'année 2015.

Parallèlement, le fonds de roulement n'est plus que de 101 millions d'euros , contre 342 millions d'euros en 2014.

Afin d'assurer les paiements attendus et de ne pas risquer de porter atteinte à la bonne mise en oeuvre des programmes dont l'Anru a la charge, des mesures ont été prises pour couvrir les éventuels besoins de trésorerie supplémentaires des années à venir, en cas de décalage entre les décaissements nécessaires et les ressources prévues.

Ainsi, la convention tripartite (État, Anru, Action logement) du 2 octobre 2015, définissant les modalités de financement des programmes de rénovation urbaine portés par l'Anru pour les années 2015-2019, prévoit :

- la possibilité d'un prêt d'un milliard d'euros accordé par la Caisse des dépôts et consignations pour préfinancer certaines opérations ;

- l'apport éventuel de « compléments de trésorerie » sur la période, jusqu'à concurrence de 100 millions d'euros maximum en cumulé.

Ces deux dispositions devraient effectivement être mises en oeuvre, compte tenu des besoins attendus par l'Anru, le niveau de trésorerie de l'agence pouvant se limiter à 28 millions d'euros à la fin de l'année 2016 .

Ainsi, pour couvrir les besoins en crédits de paiement qui devraient être supérieurs de 157 millions d'euros à la prévision initiale (pour atteindre 1,029 milliard d'euros), la contribution d'Action logement devrait être portée à 910 millions d'euros (contre 850 millions d'euros initialement prévus) pour cette année et le calendrier de ses versements être avancé . Un complément de trésorerie de 40 millions d'euros devrait également s'avérer nécessaire en 2017 .

Parallèlement, la facilité de trésorerie permise par un prêt de la Caisse des dépôts et consignations devrait également être utilisée .


* 159 Cf . le 2 du II de la présente contribution.

* 160 Cf. le 3 du présent III.

* 161 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 162 Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Politique des territoires », mai 2016.

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