3. La nécessité de promouvoir de nouveaux savoir-faire
a) Une prise en charge élargie à l'ensemble des produits
Si la
prise en charge des toxicomanes aux opiacés apparaît
satisfaisante, tout du moins sur un plan technique, certains comportements de
consommation nécessitent le développement de nouveaux
savoir-faire. Il en est ainsi de la consommation régulière et
intensive de cannabis, la consommation de psycho-stimulants, de drogues de
synthèse, de benzodiazépines, de crack ou de cocaïne. Cette
question est liée à celle du développement de la recherche
clinique : un certain nombre d'expérimentations sont en cours, mais
il convient d'organiser leur évaluation et leur développement.
Lors de son audition, le docteur Michel Hautefeuille, psychiatre au Centre
Marmottan, à ainsi indiqué à propos de l'absence d'une
prise en charge spécifique des consommateurs de cannabis malgré
les besoins :
« A l'évidence, en dépit de tout
le débat qui existe sur le cannabis, nous constatons d'un point de vue
clinique que des gens sont véritablement en souffrance par rapport a
cannabis, qu'ils ont un usage véritablement problématique du
cannabis et qu'ils viennent nous consulter sur ce point. Ils vont donc
être accueillis, suivis, orientés ou pris en charge à
Marmottan de la même façon qu'un héroïnomane ou un
cocaïnomane, même si les enjeux sont
différent ».
L'insuffisance des savoir-faire concernant la
consommation de cannabis est d'autant plus problématique que la
dépendance n'est pas toujours avérée, notamment au niveau
physique.
De la même façon, il est nécessaire de développer
des méthodes de prise en charge des usagers de cocaïne, notamment
par la recherche d'un traitement de substitution adapté, ainsi que l'a
évoqué le docteur Didier Jayle, président de la MILDT,
devant la commission :
« En ce qui concerne la cocaïne,
je crois là qu'il y a vraiment un travail de recherche à faire.
Nous ne disposons pas pour la cocaïne des traitements de substitution que
nous avons pour l'héroïne. Nous sommes extrêmement
démunis dans la prise en charge. En plus, il y a très souvent un
contexte de polyconsommations, qui rend les choses très difficile.
Là, il faut vraiment stimuler les recherches fondamentales certainement,
mais beaucoup aussi les recherches cliniques et ouvrir des centres de
référence de traitement pour les personnes dépendantes
à la cocaïne et également au crack. »
L'un des enjeux principaux de la recherche clinique est donc actuellement de
trouver des moyens de soigner les toxicomanes non héroïnomanes,
notamment les usagers de cannabis, de cocaïne et les polyconsommateurs.
b) Une gestion plus satisfaisante des situations de grande précarité
La
recherche clinique en matière de drogues doit également prendre
en compte la réalité du terrain ; pour cela, elle doit
s'articuler avec la recherche d'un dispositif efficace de prise en charge des
personnes en marge du système de soins. Rien ne sert en effet de
développer de nouveaux modes de prise en charge s'il ne profitent pas
à ceux qui en ont le plus besoin.
Comme il a été dit, au-delà de la diminution des risques
infectieux qui en constitue l'objectif de santé publique principal, la
politique de réduction des risques s'attache à atténuer
les problèmes sanitaires et sociaux associés aussi bien à
l'usage qu'à la recherche de drogues : complications sanitaires
liées à l'utilisation de la voie veineuse ou aux effets
pathologiques des produits consommés, dégradation des liens
sociaux et familiaux, violence et délinquance associée... La
légitimité de la politique de réduction des risques ne se
limite pas à la simple distribution de matériel d'injection
stérile : en acceptant la dépendance des usagers de drogues,
elle permet d'entrer en contact avec les plus marginalisés et les plus
vulnérables, et de leur proposer une offre adaptée de soins et de
réinsertion.
Toutefois, cette prise en charge des usagers les plus marginalisés
s'avère difficile, tant pour les hôpitaux que dans le cadre du
dispositif spécialisé. On constate cependant que ce sont ces
individus qui choisissent le plus souvent les traitements de substitution par
Subutex, délivré par les médecins de ville avec un
contrôle plus restreint que pour la méthadone, parce qu'ils sont
souvent dans l'incapacité d'envisager une relation quotidienne suivie
avec une structure de soins. Ce sont également eux, ainsi que le
montrent les données de la MILDT sur le trafic de Subutex, qui font une
utilisation détournée de ce produit, à des fins
toxicomaniaques ou de trafic.
On imagine donc facilement que l'étape suivante, celle du sevrage et de
la réinsertion, est encore plus difficile à mettre en oeuvre pour
ce type de populations. Il est donc indispensable de renforcer et de poursuivre
le développement des structures destinées aux personnes les plus
fragilisées et marginalisées, pour lesquelles une étape
intermédiaire apparaît nécessaire entre la distribution du
traitement de substitution et, au moment où une action de
réinsertion est mise en oeuvre, le passage en appartement
thérapeutique ou en famille d'accueil.
Pour permettre une meilleure prise en charge des toxicomanes en situation de
grande précarité sanitaire et sociale, qui n'ont parfois ni
accès à la substitution, ni même à un programme de
réduction des risques, la commission considère que l'effort doit
être poursuivi dans le domaine du primo-accueil
(« sleep'in » notamment) et des équipes de
proximité, afin que ces usagers puissent tous être
« accrochés » par le système de soins. Ces
structures permettent en effet, à travers leur fonction d'orientation et
de médiation en direction du dispositif de prise en charge sanitaire et
sociale, de nouer un premier contact avec les toxicomanes marginalisés
et de les inciter à demander une aide (traitement de substitution,
sevrage voire réinsertion...). Au terme de cette prise en charge, le
dispositif de réinsertion doit tenir compte de leur absence de
repères à l'extérieur, celle-ci étant de nature
à compromettre leur sortie et à favoriser les rechutes : le
volet social de la réinsertion doit donc être
développé dans les structures de post-cure.
Le développement de ces structures pose toutefois le problème de
leur acceptation par les riverains, qui peuvent craindre que leur quartier
devienne un point de rassemblement d'usagers de drogues très
marginalisés. Ces réticences, qui peuvent être
légitimes, doivent être prises en considération et un
véritable dialogue doit se développer entre les autorités,
les associations et les riverains, notamment via les équipes de
proximité.