2. Des législations très disparates

Le très faible développement de la politique européenne de lutte contre la drogue tient essentiellement au fait qu'elle met en présence des Etats membres dont l'approche du problème est très variable, allant de dispositifs d'une grande fermeté (Suède) à des politiques considérées comme extrêmement souples, voire laxistes (Pays-Bas) , en passant par toute une palette de systèmes dégradant de façon plus ou moins nuancées ces deux modèles. M. Yves Bot, procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, a ainsi déploré devant la commission « une disparité entre les législations des pays de la communauté européenne, notamment entre celles des pays qui constituent le noyau dur historique et qui devraient être les plus proches les uns des autres ».

De la même façon, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, a indiqué à la commission que « la lutte contre le trafic exige un net renforcement de la coopération internationale, tout d'abord au sein de l'Union européenne ». M. Sarkozy a regretté qu'il s'agisse d'un « domaine, hélas, dans lequel chacun de nos pays a choisi une voie spécifique. Certains ont fait le choix de la tolérance à l'égard du cannabis. D'autres se sont engagés dans des expérimentations sur sa dépénalisation ». Le ministre a ajouté que « l'uniformisation des politiques de lutte contre la toxicomanie est hélas prématurée, mais (qu') elle serait pourtant bien souhaitable, les réseaux étant internationaux ».

Le principal point d'achoppement entre les politiques nationales de lutte contre les drogues concerne la législation pénale, et notamment la réglementation de l'usage des drogues. Si tous les pays européens se retrouvent sur la nécessité de développer des volets « prise en charge et prévention » dignes de ce nom, si tous sont également d'accord sur la nécessité de sanctionner lourdement le trafic de stupéfiants, les avis divergent en revanche sur la façon d'appréhender le « simple » usage, voire la culture ou la revente, en ce qui concerne principalement le cannabis.

On relève ainsi, entre les quinze pays membres de l'Union européenne, d'importantes différences de législations, mais aussi de pratiques s'agissant de ce produit : certains considèrent sa consommation comme une infraction pénale, d'autres comme une infraction administrative, tandis que d'autres encore l'admettent ; parmi ceux qui la sanctionnent, certains ne le font que si elle a lieu dans un endroit public tandis que d'autres la punissent même lorsqu'elle intervient dans un lieu privé...

Ces différences nationales quant au principe même de l'incrimination et à ses modalités se doublent de divergences, quel que soit le produit stupéfiant concerné, quant à l'échelle des peines applicables. S'y ajoute une spécificité propre aux Pays-Bas, qui non seulement tolère la consommation de cannabis, mais en autorise également sous certaines limites la culture, la détention et la vente.

Plus encore que les différences de législations concernant la consommation de stupéfiants, c'est cette spécificité néerlandaise qui, aux dires de très nombreux intervenants, pose problème en matière d'harmonisation. Le fait que soit autorisé, dans certains lieux et sous certaines quantités, la vente de cannabis crée en effet un « appel d'air » chez de nombreux consommateurs européens se rendant aux Pays-Bas pour s'approvisionner en herbe et en résine.

Ces travers hollandais et les problèmes qu'ils posent en termes de répression du trafic ont été dénoncés par de nombreuses personnalités auditionnées. M. Yves Bot s'est ainsi demandé si la position hollandaise ne pouvait être interprétée « comme un manque de solidarité » vis-à-vis des autres pays européens, en ce sens qu'elle « introduit le produit ainsi et (...) le diffuse ailleurs ».

M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, a également insisté devant la commission sur le « problème de l'harmonisation des législations européennes » qui est « loin d'être finalisée du fait des obstacles qui y sont mis », ajoutant que « les Pays-Bas, notamment, n'ont pas voulu entrer en poursuite pour ce qu'ils appellent les « petits détenteurs » ».

Le ministre de la justice, M. Dominique Perben, a été particulièrement clair, indiquant à ce sujet devant la commission : « le mauvais exemple, ce sont les relations avec la Hollande (...). La vérité, c'est que nous n'avançons pas. Quatorze pays ont une position, dont la France, et un pays est totalement isolé : les Pays-Bas. Dans le domaine de la justice, la règle est celle de l'unanimité et nous ne pouvons pas aboutir à une directive commune en matière de drogues, et en particulier de petit trafic, puisque les hollandais demandent une exception leur permettant de maintenir les ventes de petites quantités en matière de drogue, ce qui est très dommageable. Les quatorze autres pays sont très déterminés, qu'il s'agisse du Nord ou du Sud de l'Europe, et il y a vraiment, aujourd'hui, une position commune très volontariste de l'ensemble de l'Europe. Il n'y a donc que cette difficulté hollandaise ».

Le tableau ci-après établi par le PNUCID permet de mesurer la disparité des législations des Etats européens concernant l'usage des stupéfiants : le constat est éloquent et dispensera la commission de tout commentaire.

Les législations de l'Europe des Quinze face à l'usage non médical de stupéfiants en 2001

Bernard LEROY (Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues).
















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