B. LES INDUSTRIES DE MAIN D'oeUVRE

Dès la première révolution industrielle, les industries de main-d'oeuvre ont constitué la colonne vertébrale du développement économique de la France . Alors que les gains de productivité dans le secteur agricole, en vertu de la loi des rendements décroissants, occasionnaient un trop plein de main d'oeuvre agricole, le secteur industriel connaissait un développement suffisamment dynamique pour accueillir cette main d'oeuvre, contrainte de quitter les campagnes pour trouver un emploi et prête à accepter de faibles salaires et des conditions de travail éprouvantes.

Cette vive expansion de l'industrie a été rendue possible par les mutations profondes du processus productif, dont certaines n'ont toutefois pas été sans entraîner d'importantes perturbations sociales . La révolte des canuts lyonnais et les grandes grèves ayant touché le secteur du tissage quand ont été mis en place les premiers métiers à tisser automatiques constituent l'un des exemples les plus célèbres des réactions de rejet que peut susciter le progrès technologique. Cependant, l'augmentation des besoins et l'élévation du niveau de vie de la population française assuraient une base de croissance suffisante à l'industrie pour lui permettre de créer des emplois en grand nombre, ses performances étant de plus améliorées par des grappes d'innovation récurrentes.

C'est après la deuxième guerre mondiale que l'industrie française a connu son « âge d'or » . Confrontée aux nécessités de la reconstruction du pays, l'économie française a alors organisé son rattrapage économique autour du secteur industriel, notamment grâce aux filières du bâtiment et des travaux publics, de l'automobile, de l'énergie, puis de la chimie et de l'aéronautique. Il en a résulté une période de très forte croissance, unique dans l'histoire française, au cours de laquelle l'industrie a pris un poids prépondérant dans l'activité économique. Cette période, baptisée les « Trente glorieuses » par l'économiste Jean Fourastié (50 ( * )), s'est étendue jusqu'en 1974 , année où la part de l'industrie dans la formation du PIB a atteint son maximum historique , le secteur employant plus de 38 % de la population active . Le premier choc pétrolier intervint alors comme élément déclencheur d'une première rupture économique, marquant le début de difficultés touchant le secteur industriel qui se manifestèrent par la restructuration en profondeur de pans entiers de l'outil industriel du pays (la sidérurgie en ayant sans doute été l'un des plus symptomatiques).

Pour autant, les nouveaux défis structurels et économiques - apparus à cette époque et amplifiés depuis - auxquels sont aujourd'hui confrontées les industries de main-d'oeuvre ne sauraient être interprétés comme un déclin du secteur industriel . Bien au contraire, force est de constater qu'au-delà des nombreux cas de fermetures d'usines, de délocalisations et de restructurations industrielles, la compétitivité du secteur industriel est restée robuste , comme en témoignent en particulier une croissance toujours soutenue en volume et une évolution positive de la productivité du travail . Reste que l'industrie doit désormais faire face à des problématiques nouvelles résultant de l'approfondissement de la mondialisation , au nombre desquelles figurent les délocalisations.

1. Les mutations du secteur industriel

La structure de l'industrie française n'a aujourd'hui plus grand-chose de commun avec celle qui la caractérisait il y a encore quelques décennies. Le secteur a connu nombre de restructurations pour s'adapter à la constante évolution de la concurrence internationale. Ce faisant, il a suivi un mouvement similaire à celui observé dans les autres pays développés.

a) Une vieille nation industrielle confrontée aux mutations économiques

Alors que l'industrie constituait le moteur principal de la croissance économique et de la création d'emplois de 1945 à 1974 - même si ce constat ne doit pas pour autant conduire à minorer la contribution des services à cette expansion -, les difficultés affectant l'industrie française à la suite du premier choc pétrolier ont conduit un certain nombre d'observateurs à en annoncer le déclin.

Cette analyse a connu un regain d'actualité récent, qui doit être replacé dans le cadre de la conjoncture morose que connaissent les économies européennes depuis 2001, avec les annonces récurrentes dans les médias de délocalisations d'entreprises industrielles vers des pays émergents, à l'instar des nouveaux entrants dans l'Union européenne, des pays du pourtour méditerranéen, de l'Inde et surtout de la Chine. Désormais, le spectre d'une France sans usines est fréquemment brandi et, de manière concomitante, la capacité de l'économie française à créer des emplois est régulièrement remise en question .

Face à ce constat pessimiste, votre groupe de travail a eu à coeur de procéder à une analyse fondée sur des faits afin de pouvoir déterminer si l'industrie française est, ou non, véritablement vouée à s'étioler.

Il ressort de ses travaux , fondés, entre autres, sur les auditions d'un nombre important de représentants de l'industrie et d'économistes, que les défis qui se posent à une grande part des secteurs industriels ne sont pas le signe d'un phénomène massif de désindustrialisation . Cette observation est au demeurant conforme tant aux indications récemment avancées par la DATAR (51 ( * )) qu'aux conclusions du remarquable travail d'investigation sur la désindustrialisation du territoire mené ces derniers mois par la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale (52 ( * )).

Globalement, la part de l'industrie en volume dans le PIB français est en effet restée stable au cours des vingt dernières années, avec 19,5 % en 2002 contre 20,1 % en 1978 , ce qui signifie que l'économie française n'a rien perdu de sa capacité productive industrielle . D'une part, la production en volume augmente tous les ans (environ 2,5 % par an en moyenne depuis 1980). D'autre part, la progression des investissements industriels a été remarquable car ces derniers ont crû à un rythme annuel moyen de 5 % en volume depuis 1978, contre 2,3 % pour l'ensemble de l'économie.

Ainsi, la France conserve encore un tissu industriel dense . En 2001, l'industrie employait ainsi près de 18,4 % des effectifs salariés, soit 4 millions de personnes , dont plus de la moitié était située dans les six régions suivantes : Île-de-France, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Centre et Alsace.En termes sectoriels, l'industrie qui occupe le plus d'effectifs est celle des biens intermédiaires, avec 41 % du total de l'emploi industriel. Viennent ensuite l'industrie des biens d'équipement (21 %), des biens de consommation (17 %), de l'agroalimentaire (12 %) et de l'automobile (8 %). Les industries du textile et de l'habillement représentent également un secteur économique significatif (5 %), bien que soumis à des difficultés importantes. Ce tissu industriel, composé essentiellement de PME-PMI (au nombre de 9.650 en 2001), regroupait alors environ 196.000 emplois.

Mais une telle observation statistique ne doit cependant pas conduire à minimiser les effets des restructurations industrielles sur l'emploi et, notamment, leurs conséquences très déstabilisantes pour un grand nombre de territoires où l'industrie est traditionnellement très présente .

* (50) Les Trente glorieuses - Fayard - 1979.

* (51) La France, puissance industrielle. - Op. cit.

* (52) Rapport d'information n° 1625 (12 ème législature) - Op. cit.

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