b) La politique défensive

On peut qualifier de politique défensive la décision de délocaliser pour s'adapter sous contraintes à une concurrence essentiellement déterminée par les coûts de production . Ce type de délocalisations est celui qui alimente le plus justement les craintes de l'opinion publique puisqu'il place effectivement les entrepreneurs face à l'alternative : « délocaliser ou disparaître ».

Un grand nombre des responsables économiques entendus par votre groupe de travail, à Paris ou lors de ses déplacements en province, ont apporté le témoignage concret de ces mouvements. Les citer tous n'apporterait au lecteur guère d'informations supplémentaires à celles qu'il peut trouver très régulièrement dans les journaux économiques : l'insertion dans un marché mondial expose en effet nombre d'entreprises à ce dilemme. Dans ce cadre, on observe que les pays à bas coût tendent à se spécialiser par activité (pièces automobiles en Chine, software informatique en Inde, électronique en Malaisie), ce qui leur permet, note le cabinet ATKearney, une certaine concentration de moyens et une plus grande clarté dans leur démarchage parfois agressif des entreprises occidentales et japonaises .

Tout au plus est-il intéressant de relever que l'essentiel des structures affectées par ces délocalisations contraintes sont des PME , lesquelles disposent plus difficilement que les grandes entreprises des moyens financiers et logistiques leur permettant d'engager une stratégie de maintien local de l'activité : changement de positionnement du produit, restructuration lourde des processus de production, formation des personnels, modification de l'organisation, etc. Cette réalité souligne l'importance qu'il convient d'accorder, comme ce rapport le fera ultérieurement, aux suggestions récemment formulées par la DATAR (73 ( * )) ou notre collègue député M. Christian Blanc (74 ( * )) pour renforcer la coopération des PME au sein de systèmes productifs locaux, de vallées d'entreprises, de pôles de compétitivité, de cluster s, etc.

De nombreux exemples témoignent des possibilités de résistance à la concurrence internationale et aux délocalisations qu'offrent ces stratégies, de l'industrie verrière de la vallée de la Bresle, dont la soixantaine de PME a créé plus de 1.200 emplois en dix ans, jusqu'au pôle automobile Alsace Franche-Comté, conforté et développé depuis 1998 par l'association interrégionale Astrid (Agence de soutien des technologies, de la recherche industrielle et du développement), en passant par le pôle papetier des Vosges, premier département producteur (1,5 millions de tonnes), employant près de 10.000 salariés et produisant deux fois plus qu'il y a dix ans. Au total, la DATAR évalue à une centaine le nombre de SPL français, qui totaliseraient quelque 18.000 entreprises et 525.000 emplois.

S'agissant de la typologie de ces délocalisations, on retiendra qu'elles sont aussi très souvent conditionnées non seulement par la pression sur les prix qu'exerce le client, mais parfois par la délocalisation préalable de celui-ci . Là encore, les PME sont concernées au premier chef en tant que sous-traitantes d'entreprises plus importantes (75 ( * )), qui peuvent les contraindre dans leurs choix de localisation. On citera à titre d'exemple la politique de Schneider Electric , révélée par le quotidien Libération qui a publié (76 ( * )) une lettre-type adressée aux sous-traitants de l'entreprise pour les inciter, sous la menace d'être exclus de son référencement, à délocaliser afin de réduire les prix de leurs production. Mais des témoignages directs de ces pratiques ont aussi été recueillis par votre groupe de travail lors de ses déplacements en province, notamment lors de la table ronde organisée en Alsace où siégeaient côte-à-côte le patron d'une PME soumise à cette pression, et qui cherchait à s'en dégager, et celui d'une autre qui, lui, reconnaissait agir ainsi à l'égard de ses sous-traitants tout en justifiant son attitude par ses propres contraintes de marché.

Par ailleurs, les exemples d'entreprises accompagnant leur client dans un mouvement de délocalisation ne manquent pas : c'est ainsi qu'une partie significative de la délocalisation de l'industrie textile a été induite non pas tant par la compétitivité-prix que par la délocalisation préalable de l'industrie de l'habillement, les producteurs de fil et de tissus ayant un intérêt commercial à être proches des façonniers, leurs clients. Mais on pourrait aussi citer les fournisseurs des entreprises de la grande distribution, qui les suivent à l'étranger pour pouvoir continuer à les approvisionner en produits dits « MDD », c'est-à-dire vendus sous la propre marque du distributeur, ou encore les sous-traitants automobiles des grands constructeurs européens s'installant dans les PECO, etc.

Reste que toutes ces opérations de délocalisation constituent bien, pour les entreprises concernées, une réelle alternative à la disparition : la plupart du temps, une telle décision leur permet de conserver une activité locale, voire de l'accroître, en reconvertissant leurs salariés vers des fonctions plus riches en valeur ajoutée . C'est ce qu'ont ainsi avancé plusieurs des responsables économiques rencontrés dans le Choletais, tels M. Christian Cunaud, PDG du groupe Salmon Arc-en-Cie l, dont l'entreprise de confection a développé un marketing dynamique pour faire référencer sa production dans les linéaires de la grande distribution, ou M. Xavier Biotteau, PDG de la société Eram , qui s'est résolument porté vers la distribution en multipliant l'implantation de magasins Eram, et en augmentant même finalement le nombre de ses salariés employés en France. Mais on pourrait également citer le fabriquant alsacien de montres Pierre Lannier , qui a délocalisé sa production à Madagascar afin de sauver son activité et de conserver l'intégralité de son personnel français, lequel a été reconverti vers des tâches administratives, conceptuelles et commerciales, ou encore les entreprises ( C2S , J-C Confection et Europex ) que préside M. Claude Tétard, président de l'Union française des industries de l'habillement (UFIH), lequel a indiqué à votre groupe de travail lors de son audition que sa stratégie de délocalisation et d' outsourcing avait permis à son groupe de conserver un effectif de 440 salariés et de générer un chiffre d'affaires de plus de 15 millions d'euros.

Pour votre groupe de travail, l'analyse du phénomène des délocalisations est conditionnée à cette réalité économique, quelle que soit au demeurant la difficulté matérielle à la quantifier : la délocalisation, qui se traduit par la disparition immédiate d'un certain nombre d'emplois, apparaît souvent comme le bon moyen d'éviter de supprimer à terme l'ensemble des emplois, voire d'en créer ultérieurement de nouveaux. A elle seule, cette évidence interdit de condamner d'un bloc les délocalisations et de récuser leur existence.

On relèvera enfin un dernier type de délocalisation, la délocalisation « d'imitation » , mentionnée par plusieurs des personnes auditionnées par votre groupe de travail : la décision est prise par le chef d'entreprise parce que ses concurrents l'ont déjà prise . Ce que les industriels qualifient d'anticipation de marché, offensive lorsque la délocalisation des concurrents semble être le témoignage de perspectives nouvelles de croissance sur des nouveaux marchés, défensive lorsqu'elle est analysée comme l'annonce d'un futur déséquilibre des coûts de production locaux qu'il s'agit de prévenir, est plutôt considérée par les spécialistes du cabinet de consultant ATKearney comme un souvent dangereux effet de mode. Car les délocalisations ont aussi des coûts , qui diffèrent selon de nombreux critères propres à chaque entreprise, et qu'il convient précisément d'analyser pour s'assurer qu'ils ne viendront pas diminuer les avantages attendus du transfert jusqu'à le rendre inopportun.

* (73) La France, puissance industrielle - Op. cit.

* (74) Pour un écosystème de la croissance - Op. cit.

* (75) Une récente enquête de l'INSEE ( INSEE Première - mai 2004) indique qu'un tiers des 140.000 petites entreprises de l'industrie manufacturière déclarent effectuer des travaux de sous-traitance, et que la part de ces entreprises sous-traitantes est très significative dans quatre secteurs d'activité économique de main d'oeuvre : l'industrie des composants électriques et électroniques (51 %), la métallurgie et la transformation des métaux (47 %), le secteur chimie-caoutchouc-plastiques (45 %) et l'industrie textile (44 %).

* (76) Libération du 21 avril 2004.

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