III. LES CARACTÉRISTIQUES DU CAS FRANÇAIS

En matière de localisation territoriale des entreprises, la France connaît une situation contrastée . Elle jouit en effet d' atouts très importants tenant à la qualité de son système socio-économique , de sa structure industrielle , de son mode d'organisation , tout comme à la richesse de son marché et à son insertion dans un ensemble régional attractif . Mais elle est aussi soumise à un certain nombre de contraintes qui, pour certaines, lui sont propres , tandis que d'autres concernent l'ensemble des pays industriels lui étant comparables . Or, ces diverses contraintes , que la présente section va s'attacher à décrire, sont autant de facteurs de nature à favoriser les délocalisations .

A. LES PARTICULARISMES DE LA SITUATION FRANÇAISE

Notre pays souffre tout d'abord de faiblesses structurelles particulières qui, bien qu'ayant été depuis déjà longtemps relevées, sont toujours présentes, voire se sont aggravées depuis quelques temps. Ces faiblesses, inquiétantes en tant que telles, expliquent par ailleurs que, ces trois dernières années, l'économie française ait, davantage que la plupart de ses concurrentes, été affectée par les variations de la conjoncture mondiale . Ainsi, elle n'a pas été en mesure de profiter du dynamisme de la croissance de certaines zones et elle a été particulièrement pénalisée par les effets de change euro/dollar. C'est d'ailleurs cet ensemble de facteurs objectifs qui a sans doute donné tant d'acuité à la problématique des délocalisations.

1. Le débat sur l'attractivité structurelle du « site France »

Le débat sur l'attractivité du « site France » est au coeur des préoccupations économiques depuis un grand nombre d'années, ce qui avait d'ailleurs amené le Sénat à créer une mission commune d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises (80 ( * )).

a) Un bilan difficile à réaliser

Comme le soulignaient alors nos collègues MM. Denis Badré et André Ferrand, l'attractivité d'un territoire est un phénomène complexe qui, mêlant avantages naturels et volonté politique, ne peut se résumer à la seule aune de la politique fiscale ou du coût du travail. A cet égard, de nombreuses études récentes montrent que la France dispose d'atouts non négligeables et reste un pays économiquement très attractif . La Banque de France évoque même un consensus selon lequel la France serait l'une des économies les plus attractives du monde (81 ( * )).

En effet, sa situation géographique est très favorable, la taille de son marché est importante, elle dispose d'un excellent réseau d'infrastructures de transport et de communications et son système financier offre des possibilités de financement intéressantes. Certes, la place financière française ne peut être qualifiée de « place généraliste » car sa position relative est modeste sur certains segments (marchés de change ou des produits dérivés). Toutefois, elle occupe des positions fortes sur d'autres segments comme la gestion collective ou les actions et les dérivés sur actions, qui permettent de créer un « effet de place ». Cet atout repose sur des marchés liquides mais aussi sur la localisation de centres de décision, notamment des groupes bancaires et d'assurance.

D'autres études sont régulièrement réalisées par des cabinets privés de conseil pour évaluer le potentiel d'attractivité de la France. Même si ces données doivent être accueillies avec prudence (82 ( * )), elles donnent néanmoins une idée de l'opinion que peuvent se faire les chefs d'entreprise sur les atouts et les inconvénients du « site France ». L'étude réalisée par le cabinet KPMG (83 ( * )) donne une image plutôt positive de la France, qui apparaît bien placée , en terme de compétitivité, sur les critères qualifiants du point de vue des dirigeants : localisation par rapport aux marchés, qualité des infrastructures, compétence et formation des ressources humaines, qualité de vie , etc. L'enquête menée par le cabinet Ernst&Young en 2003 indique quant à elle que 59 % des chefs d'entreprise jugent la France attractive à la lumière du critère concernant « la clarté et la stabilité de l'environnement administratif et législatif de l'activité de l'entreprise » , contre 52 % l'année précédente (84 ( * )).

L'ensemble de ces facteurs explique que notre pays reste une terre d'accueil privilégiée pour les investissements directs étrangers . Les implantations nouvelles (investissements dits « greenfields » ) donnent, à ce titre, des éléments d'information sur l'attractivité du territoire. Or, en 2001, la France était le deuxième pays d'accueil de ce type d'investissements en Europe, après le Royaume-Uni . Par ailleurs, selon les statistiques de la balance des paiements, les investissements directs à l'étranger entrant en France auraient atteint 52,4 milliards d'euros en 2002.

Toutefois, toutes les appréciations relatives au « site France » ne sont évidemment pas positives . Ainsi, la fiscalité et l'insuffisante flexibilité du droit du travail français apparaissent comme des handicaps importants . A cet égard, l'enquête du cabinet Ernst&Young mentionnée ci-dessus indique par exemple que seules 3 % des entreprises interrogées jugent le régime français des charges fiscales « attractif », contre 33 % pour le régime anglais. Sont également souvent cités par les chefs d'entreprises comme des obstacles à une implantation en France la lourdeur de ses règlements , ainsi que, en corollaire, le poids de l'administration , au même titre que la médiocre qualité des relations sociales ou encore la fréquence des grèves dans le secteur public .

En outre, les avantages comparatifs que lui procurent certains des facteurs positifs évoqués précédemment sont appelés à diminuer à l'avenir . Par exemple, les fonds structurels européens permettent progressivement aux derniers pays entrants de l'Union européenne de développer des réseaux de communication d'une qualité équivalente à la nôtre. D'autre part, l'accroissement du rôle des technologies de l'information et de la communication (TIC) rend moins sensibles les facteurs de localisation des activités à la situation géographique et aux infrastructures de transports.

La question de l'attractivité du territoire reste intimement liée à celle des investissements étrangers en France . A cet égard, les transformations de la structure économique ont amené notre pays à réviser son jugement sur la nature et les effets des IDE. Ces derniers ont longtemps, et parfois encore aujourd'hui, été présentés comme un phénomène négatif entraînant une perte d'indépendance nationale avec la mise d'entreprises nationales sous la coupe de capitaux étrangers. Ils sont désormais plus souvent perçus comme une source de création de richesses et d'emplois .

L'exemple le plus révélateur de cette évolution réside, afin de favoriser l'accueil et l'implantation d'investisseurs étrangers en France , dans la création, par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Acteur public national, l'AFII a en effet pour mission de promouvoir, prospecter et accueillir les investissements étrangers en France. Elle est censée coordonner l'action d'une multitude d'acteurs publics et privés français, et son ambition est d'accompagner le projet d'un investisseur étranger, de

son approche du marché jusqu'à son implantation. Selon le dernier bilan qu'elle a rendu public le 26 avril 2004, les IDE en France auraient ainsi conduit à la création de 26.000 emplois supplémentaires en 2003 .

Ce jugement doit néanmoins être nuancé à plusieurs titres . D'une part, comme le rappelle au demeurant fort opportunément la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale dans sont rapport d'information (85 ( * )), les IDE recouvrent une réalité contrastée car ils sont bien davantage composés d' investissements strictement financiers , réalisés à titre de placement (comme l'achat d'immobilier), que d' investissements productifs créateurs de richesse industrielle , et donc d'emplois. D'autre part, la plus forte influence des capitaux étrangers dans les entreprises françaises peut aussi avoir des effets néfastes, lorsqu'elle ne résulte que d'opportunités boursières. En effet, les niveaux élevés de rentabilité du capital parfois exigés par les investisseurs conduisent à des décisions bien éloignées des nécessités stratégiques de développement à long terme des entreprises, et donc des intérêts de leurs salariés.

L'attractivité du territoire français apparaît ainsi comme la résultante d'un réseau complexe de forces en perpétuel mouvement : non seulement l'attractivité des autres pays change en permanence, mais notre propre bouquet de prestations évolue aussi. La synthèse de tous ces éléments est, à l'évidence, un exercice délicat, et dépend beaucoup de la pondération qu'on affecte aux différents facteurs distingués. Au reste, beaucoup de voix s'élèvent, et non des moindres (86 ( * )) pour contester la pertinence et l'intérêt de ces enquêtes internationales régulièrement citées à l'appui ou à l'encontre de l'attractivité de tel ou tel territoire.

Quelle que soit l'appréciation que l'on porte à celles-ci, force est de constater que l'image de la France a été fortement affectée ces dernières années par une série de décisions qui n'ont pas manqué d'avoir de réels effets négatifs sur son attractivité . Il en va ainsi, par exemple, de la législation sur les 35 heures et du retard de la France en matière d'investissements dans les TIC, qui ont renforcé l'image d'un pays malthusien et rétif à l'innovation.

Aussi convient-il de recenser les facteurs propres à la France qui, dans une optique de comparaison des avantages entre différents sites possibles de production, pénalisent son site géographique et constituent autant d'incitations objectives aux délocalisations comme, le cas échéant, à la non localisation des investissements sur son territoire. En effet, le renforcement de la compétitivité française nécessite, outre la toujours possible amélioration des atouts nationaux déjà bien établis , d' agir prioritairement sur les points considérés pour notre pays comme des faiblesses reconnues , telles l'instabilité et la complexité de la réglementation, notamment sur le travail, le niveau de la fiscalité, certaines contraintes environnementales, la concentration de son réseau de distribution et enfin la faiblesse et la mauvaise répartition des investissements en R&D.

* (80) Rapport du Sénat n° 386 (2000-2001) - Op. cit.

* (81) « L'attractivité : concept, mesure et implications » - in Bulletin de la Banque de France n° 123 -Mars 2004.

* (82) Voir L'attractivité des pays pour les investissements étrangers : comparaisons et indicateurs -Fabrice Hatem - AFII - in Les Notes Bleues de Bercy n° 273 - 17 juin 2004.

* (83) « Choix concurrentiels » - Op. cit.

* (84) In Bulletin de la Banque de France n° 123.

* (85) La désindustrialisation du territoire : mythe ou réalité ? - Op. cit.

* (86) Voir par exemple l'opinion de M. Henri Guaino, ancien commissaire au Plan : « Pour en finir avec l'attractivité » - in Les Echos - 1 er juin 2004.

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