b) Une main d'oeuvre chère et peu flexible

La France se distingue de ses partenaires européens non pas tant à raison du coût salarial brut que de celui des charges sociales , souvent supérieur à ceux que connaissent les autres pays de l'OCDE. Si une politique volontariste de baisse des charges sur les bas salaires, engagée en 1995 sous l'impulsion du gouvernement d'Alain Juppé et poursuivie depuis, s'est traduite par des effets extrêmement positifs sur l'emploi des salariés les moins qualifiés, le niveau des charges sociales pesant sur les travailleurs plus qualifiés est toujours très élevé. En outre, de manière globale, les coûts unitaires du travail peu qualifié restent aussi supérieurs à ceux de nombreux autres pays industriels, ce qui est évidemment pénalisant dans les secteurs davantage intensifs en travail (87 ( * )), depuis la mise en oeuvre de la législation sur les 35 heures et la nécessité consécutive d'augmenter le SMIC horaire de 11 % .

(1) La durée du travail

Le passage de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures a donné lieu à un récent rapport d'information de nos collègues députés MM. Patrick Ollier et Hervé Novelli (88 ( * )), qui notent que la nouvelle législation a eu des effets ambivalents sur les investisseurs étrangers. Elle a ainsi été très négativement perçue en tant que symbole même si elle a permis une modération salariale effective en rendant possible une certaine maîtrise des coûts de production et des gains de compétitivité . Elle a certes introduit un élément de flexibilité dans l'organisation du travail en accélérant le mouvement d'annualisation du temps de travail , mais cet apport doit être nuancé dans la mesure où sa mise en oeuvre pratique se heurte à un certain nombre de complexités matérielles au sein des entreprises (modalités d'application de la modulation notamment).

Mais l'un des constats les plus éclairants de ce rapport d'information est que les entreprises ne sont pas égales pour appliquer cette législation et en assumer les conséquences , et donc un tirer d'hypothétiques bénéfices. Le rapport rappelle ainsi que le Conseil économique et social, dans un avis de juillet 2002 (89 ( * )), avait qualifié ce dispositif de « mécanique illisible », tant pour les salariés que pour les entreprises, confrontées à des difficultés de gestion considérables. Cette législation a en effet particulièrement compliqué le fonctionnement des petites et moyennes entreprises, notamment des très petites entreprises . Par ailleurs, son application est source d' inégalités entre salariés , le nombre d'entre eux concernés par les accords sur la réduction du temps de travail de 1997 à 2003 s'élevant en effet à environ 10 millions, soit seulement les deux tiers des salariés du secteur marchand .

Enfin, cette évolution s'est réalisée à contre-courant des grandes évolutions économiques ayant marqué les pays de l'OCDE . Certes, comme le rappelle le rapport, la durée du travail a baissé en tendance dans la plupart de ces pays depuis les années 1970. Cependant, alors que ce phénomène s'est ralenti dans la plupart d'entre eux du milieu des années 1980 jusqu'à aujourd'hui, il s'est poursuivi au-delà en France. Il en résulte qu'hormis l'Allemagne, la Norvège et les Pays-Bas, la France est le pays de l'OCDE où le nombre d'heures travaillées par personne employée est le plus faible , inférieur de 15 % à la moyenne des pays de l'OCDE et de 7 % à celle des pays de l'Union européenne.

A plus court terme, cette évolution est même inquiétante car, sur la période 1980-2000, le nombre total d'heures travaillées rapporté à la population en âge de travailler a baissé de 16 % en France , ce qui lui donne la performance la plus mauvaise avec l'Allemagne.

(2) La complexité et la rigidité du droit du travail

L'analyse de la complexité et de la rigidité du droit du travail a fait l'objet d'une étude confiée à une commission d'experts, dirigée par M. Michel de Virville, secrétaire général du groupe Renault, qui a rendu son rapport au ministre des affaires sociales et du travail le 15 janvier 2004. Comme le soulignent les auteurs de ce rapport, si toutes les branches du droit se voient reprocher leur complexité et leur instabilité, le droit du travail est, sans conteste, avec le droit fiscal, celui qui fait l'objet des critiques les plus vives. En effet, la complexité des lois, mais aussi celle des accords collectifs et du droit communautaire - particulièrement dense en matière de règles relatives à l'hygiène et à la sécurité - se conjugue à l'instabilité de la jurisprudence. L'empilement de ces différentes strates réglementaires rend au final le droit du travail peu lisible et source de contentieux à rallonge .

Par ailleurs, la faible place laissée en France à la négociation collective ne permet pas de mettre en valeur, selon les secteurs économiques et les catégories d'entreprises, les règles essentielles.

Le législateur est alors tenté de régler par des principes généraux une grande diversité de situations concrètes , ce qui se traduit par une extension et une complexité accrue du code du travail . Il en résulte une mauvaise application de ce droit, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Cette évolution tend d'ailleurs à accroître la différence de traitement entre les salariés , selon la taille de leur entreprise, et à alimenter une insécurité juridique en mobilisant l'appareil judiciaire autour de l'objectif de renforcement de la protection des salariés. Comme le note le rapport : « l'obscurité de la règle est vécue différemment par l'employeur et par le représentant des salariés. Pour l'employeur, c'est une source majeure de désorganisation, pour le représentant des salariés, c'est une incitation à la judiciarisation aux dépens du dialogue social et de la recherche amiable de solution efficace ».

Cette judiciarisation des relations économiques est très particulière à la France . Elle place les entrepreneurs dans un état d'incertitude préjudiciable à leur activité, et surtout leur fait courir un risque important de retarder la mise en oeuvre des décisions économiques utiles à la pérennité de l'entreprise. A cet égard, comme l'a indiqué Mme Clara Gaymard, présidente de l'AFII, devant votre groupe de travail et votre commission, elle produit un réel effet repoussoir sur les investisseurs étrangers .

* (87) Le coût de main d'oeuvre représente 56 % à 72 % des coûts sensibles à la localisation dans les activités productives, et entre 75 % et 85 % dans les services.

* (88) Rapport n° 1544 (XIII ème législature) de l'Assemblée nationale fait par M. Hervé Novelli au nom de la mission commune d'information sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, présidée par M. Patrick Ollier.

* (89) SMIC et réduction du temps de travail : des divergences à la convergence - Rapport du Conseil économique et social fait par M. Jean Gautier - Juillet 2002.

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