B. DES COMMUNICATIONS D'URGENCE ENCORE TRÈS DÉPENDANTES DU RÉSEAU « CUIVRE » DONT L'EXTINCTION PROGRESSIVE EST PROGRAMMÉE D'ICI 2030

D'un point de vue technique, ces treize numéros d'urgence formulés sous forme courte, tels que le 17, le 18 ou le 15 ( cf. supra ), sont, en réalité, convertis par des public safety answering points (PSAP) en un numéro « long », à dix chiffres , attribué au centre de traitement de l'appel d'urgence correspondant le plus proche géographiquement du lieu d'émission de l'appel. Cette précision technique a été rappelée aux rapporteurs par Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) : « J'ai appris à cette occasion, avec étonnement, que les numéros d'urgence sont des numéros comme les autres, au sens où les numéros courts - par exemple le 18 - sont transcrits vers des numéros longs par l'opérateur, sans procédure particulière de sécurité, ni réseau dédié. Ces numéros d'urgence ne font pas non plus l'objet d'une supervision dédiée, ni par l'État ni par les opérateurs » 2 ( * ) .

Ainsi, une victime souhaitant joindre les pompiers à la suite d'un accident se produisant à Bordeaux verra son appel au « 18 » transmis, en réalité, au service départemental d'incendie et de secours de la Gironde via un numéro à 10 chiffres à plusieurs égards semblable au numéro attribué à un particulier par un opérateur.

Schéma simplifié d'un appel d'urgence

Source : Rapport Anssi/IGA/CGE/CCED/IGAS du 19 juillet 2021

Didier Vidal a indiqué aux rapporteurs que la majorité des appels d'urgence « est dirigé vers le 17 (22 millions d'appels) ainsi que vers le 15, le 115 et le 18 (environ 18 millions d'appels chacun, en incluant les appels reçus par le 112 qui sont ensuite réorientés vers le 18 ou vers le 15) » 3 ( * ) , les autres numéros d'urgence ne recevant que quelques dizaines ou centaines de milliers d'appels. Il note également que « 60 % des appels vers les numéros d'urgence sont émis à partir des mobiles et 40 % à partir de lignes fixes » 4 ( * ) .

La transmission des appels composés via les numéros d'urgence est assurée grâce à différentes technologies. Comme le rappelle le rapport du 19 juillet 2021 précité, 781 numéros d'urgence à 10 chiffres, soit 85 % d'entre eux, sont utilisés par des centres qui ont un raccordement en RTC, c'est-à-dire via le réseau téléphonique commuté qui assure historiquement le service de téléphonie par un réseau « cuivre » . Neuf autres numéros d'urgence à dix chiffres sont utilisés par des centres raccordés en VoiP, c'est-à-dire via un réseau utilisant le protocole IP tel qu'Internet « mais aussi la plupart des réseaux d'opérateurs modernes » 5 ( * ) . Enfin, 120 numéros d'urgence à 10 chiffres sont utilisés par des centres qui « ont une offre "San BTIP" dite mixte » .

Les rapporteurs souhaitent attirer l'attention sur le fait que l'acheminement de la grande majorité des communications d'urgence par le réseau cuivre, dont l'opérateur historique est Orange, présente des fragilités.

Premièrement, il existe des fragilités inhérentes à la phase de transition du réseau cuivre, qui permet notamment le raccordement de la téléphonie fixe, vers les réseaux en VoIP, qui assurent notamment l'accès à une offre Internet à haut débit.

L'année 2021 constitue une année historique de « croisement des courbes » dans la mesure où le nombre d'abonnés utilisant les réseaux de fibre optique a dépassé le nombre d'abonnés utilisant le réseau cuivre. Dans une perspective de mutation technologique et d'amélioration de la connectivité sur notre territoire, un plan stratégique d'extinction progressive du réseau cuivre à horizon 2030 a été mis en place par l'opérateur.

Dans son rapport d'information du 24 novembre 2021 relatif à l'examen des crédits dédiés au numérique et aux télécommunications de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2022, la commission des affaires économiques insistait sur le fait que l'extinction progressive du réseau cuivre et les investissements réalisés dans le déploiement des réseaux de fibre optique ne devaient pas se traduire par un désengagement de l'opérateur en matière de qualité de service et d'entretien des réseaux pour les très nombreux abonnés dont la connexion dépend encore du réseau cuivre.

Au regard de l'importance des enjeux considérés, le Gouvernement a annoncé un « plan cuivre » au mois de mai dernier, qui précise les engagements supplémentaires qui doivent être pris par Orange, notamment le maintien d'un investissement annuel de 500 millions d'euros pour l'entretien du réseau sur l'ensemble du territoire.

Toutefois, à la connaissance de cette mission d'information, le « plan cuivre » du Gouvernement, tout comme le plan stratégique d'extinction du réseau cuivre d'Orange, ne contiennent pas de dispositions spécifiques relatives aux centres de traitement des appels d'urgence et à la transition de leur raccordement du réseau cuivre vers les réseaux en VoIP. En effet, la majorité des appels téléphoniques d'urgence proviennent de réseaux en VoIP et doivent obligatoirement passer par la plateforme d'interconnexion d'Orange pour être traités, notamment si l'utilisateur est abonné auprès d'un opérateur tiers (SFR, Free, Bouygues Télécom, etc. ).

Demain, la grande majorité des centres de traitement des appels d'urgence seront raccordés sur les réseaux en VoIP.

Or, des appels téléphoniques d'urgence continueront de provenir d'utilisateurs raccordés au réseau cuivre. Pour être traités, ces appels devront obligatoirement passer par la plateforme d'interconnexion d'Orange.

Jean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis des crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire du projet de loi de finances pour 2022, insiste également sur l'importance de l'entretien du réseau cuivre et estime que des injonctions pourraient être adressées à Orange « pour rappeler que le réseau cuivre a toute son utilité et qu'il est important de continuer à s'y intéresser » 6 ( * ) . En effet, il est indispensable que les appels téléphoniques des utilisateurs du réseau cuivre puissent continuer d'être transmis par les centres de traitement des appels d'urgence : l'interconnexion doit être assurée en toute circonstance jusqu'à l'extinction définitive du réseau cuivre, qui continue à être utilisé par près de 24 millions de personnes en France et qui demeure parfois le seul réseau disponible dans certains territoires.

Les rapporteurs considèrent donc que des engagements spécifiques et supplémentaires doivent être pris afin que les interventions sur le réseau cuivre ne conduisent pas de nouveau à des dysfonctionnements significatifs dans l'acheminement des appels d'urgence. Ces préoccupations sont accentuées dans les territoires ruraux dans lesquels on constate des difficultés d'accès géographique aux soins - du fait d'un éloignement de l'offre médicale - et un temps d'intervention des services de secours en moyenne plus élevé qu'en zone urbaine. Les rapporteurs soulignent l'importance de garantir la sûreté de l'acheminement des communications d'urgence sur l'ensemble du territoire, afin d'éviter un sentiment de « double peine » dans les territoires au sein desquels les défaillances du réseau viendraient s'ajouter aux inégalités d'accès aux soins.

Les rapporteurs considèrent également que le calendrier de raccordement des centres de traitement des appels d'urgence aux réseaux en VoIP doit être mieux articulé avec celui des fermetures commerciales et techniques des lignes téléphoniques raccordées au réseau cuivre.

Deuxièmement, il existe des fragilités et des incertitudes liées à la période suivant l'extinction du réseau cuivre .

Alors qu'un réseau historique géré par un propriétaire unique, la société Orange, permettait l'acheminement de l'essentiel des appels d'urgence, il y aura désormais des réseaux multiples, gérés par des opérateurs de télécommunications différents, qui permettront d'assurer l'acheminement de ces appels.

En cas d'incident, les rapporteurs s'interrogent sur la responsabilité des opérateurs de télécommunications, dont l'identification sera moins aisée qu'aujourd'hui, car il y aura plusieurs gestionnaires de réseaux. Dans cette perspective, les rapporteurs appellent à une meilleure prise en compte de ces incertitudes par les pouvoirs publics et à une clarification du régime de responsabilité applicable en cas d'incident dans l'acheminement des communications d'urgence.


* 2 Extrait du compte rendu de l'audition.

* 3 Extrait du compte rendu de l'audition de Didier Vidal.

* 4 Ibidem .

* 5 Rapport Anssi/IGA/CGE/CCED/IGAS du 19 juillet 2021, page 8.

* 6 Compte rendu de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du 17 novembre 2021, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211115/atdd.html#toc6

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