Mercredi 27 janvier 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Nomination de rapporteurs

La commission a nommé :

- M. Charles Revet co-rapporteur du projet de loi n° 200 (2009-2010) de modernisation de l'agriculture et de la pêche (volet pêche) ;

- M. Ladislas Poniatowski rapporteur de la proposition de loi n° 183 (2009-2010) tendant à autoriser les consommateurs finals domestiques d'électricité et les petites entreprises à retourner au tarif réglementé d'électricité ;

M. Gérard Cornu rapporteur du projet de loi n° 1889 (AN, XIIIe législature) relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).

Audition de M. André Daguin, membre du Conseil économique, social et environnemental

Puis la commission a procédé à l'audition de M. André Daguin, membre du Conseil économique, social et environnemental, auteur du rapport « De l'assiette aux champs ».

M. André Daguin a tout d'abord justifié le titre de son rapport en précisant que partir de l'assiette pour aller vers le champ, et non l'inverse, illustrait le souhait des consommateurs de mieux connaître l'origine des produits qu'ils achètent et l'influence du prescripteur sur le producteur. L'histoire montre que certains produits pourtant de qualité ont été supplantés par d'autres que les marchands ont mieux su vendre comme le cognac face à l'armagnac, le champagne face à la blanquette, ou encore les vins de Bordeaux.

La qualité de nos produits explique désormais le projet défendu par la France d'obtenir l'inscription du repas gastronomique à la française au patrimoine immatériel de l'humanité protégé par l'UNESCO.

M. André Daguin a ensuite rappelé que le public ne s'y retrouvait plus dans les signes de qualité, voire même dans les produits eux-mêmes, confondant parfois mousse de foie gras et foie gras. Si les appellations d'origine existent en France depuis 1902, elles n'ont été étendues au niveau européen qu'en 1992 sous la dénomination d'appellations d'origine contrôlée (AOC). Mais il existe aussi d'autres dénominations : les spécialités traditionnelles garanties (STG), le label rouge, le bio. Il conviendrait donc que le consommateur soit formé à lire les étiquettes.

M. André Daguin a enfin insisté sur la nécessité de préserver l'agriculture périurbaine car elle se déploie sur des sols très fertiles et bien irrigués, et les productions de proximité permettent au consommateur de connaître l'origine des produits. La grande distribution elle-même a pris conscience de la nécessité de proposer des produits de proximité, dans le cadre de circuits courts.

Notant que l'image de la cuisine française avait un impact positif sur le tourisme, M. Gérard César a estimé que celle-ci dépendait aussi de la qualité des productions agricoles nationales, que la lecture des signes de qualité devait être améliorée par une simplification des normes et une formation des consommateurs, et a demandé quelles mesures pourraient être prises pour encourager les circuits courts.

Après avoir souligné que les produits de consommation bio étaient chers pour une qualité parfois insuffisante, M. Michel Houel a ensuite exprimé la crainte que les consommateurs chinois s'ouvrant à la gastronomie française achètent l'essentiel de la production de vins de Bordeaux de qualité. Il s'est également interrogé sur l'impact de l'application de la TVA à 5,5 % dans la restauration.

Mme Odette Herviaux a souligné que, si la France était globalement bien positionnée s'agissant de la sécurité sanitaire et de la qualité nutritionnelle, il faudrait également définir des critères de qualité gustative et les transmettre aux générations futures, afin de préserver le patrimoine culinaire français.

Rappelant que le bilan carbone des produits devrait être prochainement indiqué au consommateur en application du Grenelle de l'environnement, M. Gérard Bailly a ensuite déploré que la gastronomie se transforme, au détriment des produits de terroir, au point que les plats traditionnels disparaissent. Il a estimé que les AOC devraient rester liées à un territoire, et ne sauraient être captées par des grandes marques, au risque sinon de les dénaturer.

M. Jean-Jacques Mirassou a déploré que le consommateur ne se repère plus au milieu des multiples signes de qualité et indications commerciales sur les produits alimentaires. Partageant le souci de simplification de ces indications, il a cependant insisté sur la nécessité de développer la traçabilité des produits, qui pourrait être imposée non seulement en magasin mais aussi dans la restauration. Il a enfin regretté que les fromages français soient pénalisés à l'exportation notamment aux États-Unis.

M. Michel Bécot a partagé le souci de mieux faire connaître la cuisine française, soulignant que 4 à 5 millions de touristes étrangers achètent chaque année du vin en France à l'occasion de séjours touristiques. Il a ensuite estimé que bien manger contribuait à une bonne santé. Enfin, il a remarqué que l'agriculture de proximité rencontrait désormais un certain succès aux États-Unis.

M. André Daguin a réagi à ces observations en apportant les précisions suivantes :

- les circuits courts présentent l'avantage de rapprocher le consommateur final du producteur et de rassurer le client ;

- le bio n'est pas la panacée, dans la mesure d'une part, où les règles n'étant pas les mêmes partout, les produits bio importés peuvent présenter moins de garanties que les produits non-bio français, et d'autre part, où le bilan carbone des produits bio importés, comme les haricots verts du Kenya, peut être très mauvais ;

- la pression des consommateurs chinois sur les productions de qualité françaises, et en particulier sur le vin, est de même nature que celle exercée par les consommateurs américains il y a quelques décennies. Elle pourrait être bénéfique en permettant de faire émerger dans le secteur du vin des « petits crus » qui sont pourtant de très bonne qualité. En revanche, la concurrence chinoise sur la production de produits de qualité, comme le foie gras, pourrait être ravageuse ;

- l'éducation au goût dans les cantines scolaires est essentielle et passe aussi par la découverte des terroirs et des zones de production ;

- l'irruption dans la gastronomie française de nouveaux mets n'est pas inédite : Marie de Médicis a introduit la tomate en France, et le cassoulet est le produit de l'apport d'Amérique du haricot et du maïs ;

- les marques ne peuvent imposer que des produits simples et répétitifs comme la bière. Il leur est plus difficile de mettre en oeuvre une stratégie de standardisation dans le domaine du vin ;

- la France devrait être plus insistante pour obtenir l'entrée de produits non cuits aux États-Unis, ce qui est actuellement interdit, sauf pour les produits italiens ;

- l'agence Atout-France mène une action remarquable de promotion des terroirs et, depuis cinq ans, d'après le magazine Forbes, la France est la destination préférée des Américains, en raison notamment de ses restaurants ;

- beaucoup de médecins considèrent que la « bonne cuisine » favorise la bonne santé des individus ;

- la baisse de la TVA dans la restauration constitue une mesure d'équité fiscale en Europe. Ce secteur, parmi les moins rémunérateurs du commerce, représente 185 000 points de vente, dont les deux tiers fonctionnent effectivement. Parmi ceux-ci, un tiers n'ont pas de salarié et ne récupèrent pas de TVA. Il est illusoire que ces établissements baissent leurs prix, à l'inverse des grandes chaînes de restauration, en contrepartie de cette mesure de baisse. En tout état de cause, le bilan de la réforme ne pourra être effectué qu'à la fin de l'année 2010.

Rappelant l'expérience réussie menée dans la restauration scolaire, M. Martial Bourquin a ensuite estimé que l'amélioration de la qualité des repas, notamment en restauration collective constituait un enjeu majeur, certains produits proposés étant médiocres. Estimant que la même dénomination de restaurateurs recouvrait des professionnels faisant effectivement la cuisine et d'autres se contentant d'utiliser des produits déjà transformés, il a insisté pour que ces deux pratiques puissent être distinguées par le consommateur. Par ailleurs, il a estimé que l'insuffisante rémunération des personnels de l'hôtellerie-restauration expliquait largement les pénuries de personnel dans ce secteur.

M. Louis Nègre a indiqué préférer le « slow food » à la « world food » au goût aseptisé, précisant que la France exportait aussi ses chefs et ses cocotes en fonte en Chine. En ce qui concerne la baisse de la TVA sur la restauration, il a déploré que les Français n'en aient pas bénéficié réellement à travers une baisse de prix.

M. Jean Boyer a estimé que le problème de lisibilité des étiquettes ne venait pas des consommateurs mais des étiquettes elles-mêmes, l'assiette française devenant trop compliquée, et les associations de produits trop complexes. Par ailleurs, il a redouté que la spécialisation trop forte des terroirs et l'absence de rotation des cultures entraînent un appauvrissement des sols et une baisse de qualité des productions agricoles.

M. Charles Revet s'est demandé si l'ensemble des produits servis dans la restauration respectait les normes de production nationales, tout en regrettant que l'excès de règles menace la gastronomie.

M. Michel Teston a estimé que la promotion du patrimoine culinaire national constituait une bonne initiative mais a fait valoir que peu de restaurants étaient réellement des restaurants gastronomiques. L'image de marque de la cuisine française dépend aussi largement des restaurants classiques et la qualité de ce segment de la restauration doit également s'améliorer. Enfin, il s'est interrogé sur l'intérêt de la cuisine moléculaire.

M. Alain Chatillon a remarqué que si la grande distribution portait l'image de marque de la France à l'étranger, la standardisation du goût qui l'accompagne joue un rôle négatif sur l'image de la gastronomie française. Il s'est ensuite étonné qu'aucune initiative n'ait été prise pour créer une restauration rapide à la française, alors que l'Italie a très bien réussi sur ce créneau.

En réponse, M. André Daguin a apporté les précisions suivantes :

- il est de la responsabilité du consommateur, qu'il soit un particulier ou une collectivité, de ne plus acheter de produits médiocres ou de mauvaise qualité ;

- l'objectif de qualité ne se limite pas au segment haut du secteur de la restauration mais concerne l'ensemble de la cuisine française ;

- le produit surgelé n'est pas condamnable en soi, mais l'utilisation de produits frais est la condition d'une amélioration des qualités des repas ;

- la cuisine française est le produit de la juxtaposition de plusieurs cuisines régionales et le résultat d'apports successifs, d'où sa très grande variété ;

- depuis 2004, le secteur de la restauration est celui où les horaires de travail ont le plus baissé et les salaires le plus augmenté ; les problèmes de recrutement dans le secteur de la restauration sont moins liés à la faiblesse des salaires et aux conditions de travail qu'à la contrainte qui pèse sur les salariés d'être soumis à des conditions de vie décalées ;

- le secteur de la restauration a permis de créer 20 000 emplois par an jusqu'en 2008. Peu de secteurs ont un bilan en termes d'emploi aussi positif.