Mardi 23 février 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Interdiction du Bisphénol A dans les plastiques alimentaires - Examen des amendements - Adoption du texte de la commission

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé, sur le rapport de M. Gérard Dériot, à l'examen des amendements et à l'élaboration de son texte pour la proposition de loi n° 595 (2008-2009), présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues, tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a tout d'abord expliqué que le Bisphénol A (BPA) est le constituant de base d'un plastique très répandu, le polycarbonate : ce n'est donc pas un additif, mais un composant du plastique. Synthétisé dès la fin du XIXe siècle, il a été développé dans les années trente comme un oestrogène de synthèse, mais il n'a jamais été utilisé comme médicament car il a été supplanté par le distilbène. Depuis les années soixante, le BPA est largement utilisé dans l'industrie plastique et se retrouve dans de très nombreux produits de la vie quotidienne : CD, pièces automobiles, électronique, construction, vitrages, toitures ou équipements médicaux. Environ 3 % du polycarbonate produit sont utilisés pour le contact alimentaire : bombonnes d'eau, bouteilles et biberons. Le BPA entre également dans la composition des résines époxydes, qui protègent de nombreuses applications industrielles ou de consommation courante en tant que revêtement intérieur, par exemple dans les réservoirs et les tuyauteries contenant du fer : 11 % de la production sont utilisés en contact alimentaire dans les fûts, les boîtes de conserve ou les canettes, qui sont recouverts d'un film protecteur en cette matière apportant une garantie pour la sécurité alimentaire.

Au total, le Bisphénol A est donc utilisé depuis plus de quarante ans dans de nombreuses applications et il a été autorisé dans tous les pays à la suite d'études nombreuses et poussées. Dans l'Union européenne, par exemple, un cadre réglementaire strict existe pour les matériaux en contact avec des aliments et ce cadre est antérieur à la réglementation relative à l'enregistrement et au contrôle des produits chimiques. L'agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) indiquait au sujet du BPA : « les évaluations de risque menées par les agences sanitaires ont conclu, sur la base des données scientifiques disponibles, à l'absence de risque pour le consommateur dans les conditions d'emploi ».

Or, des études récentes ont apporté de nouveaux éléments scientifiques, pour la plupart encore en débat. Leur intérêt majeur est de remettre en cause la manière dont les produits du type BPA étaient étudiés jusqu'à présent en termes de toxicologie.

Le BPA fait partie d'une catégorie encore nouvelle : les perturbateurs endocriniens. Ces composés, très variés, sont reconnus par le corps humain comme des hormones naturelles et perturbent donc le système hormonal, soit en mimant certains effets, soit en bloquant certains récepteurs hormonaux. De ce fait, ils ont des incidences potentielles sur la reproduction, le développement des cancers hormonodépendants, le métabolisme ou le comportement. Ils ne peuvent donc très certainement pas être analysés comme un produit toxique habituel, qui s'attaquerait directement à un organe du corps. Ils pourraient ainsi avoir des effets, même à doses faibles voire très faibles, car ils se « surajoutent » aux hormones naturelles. De plus, chaque produit a un effet chronobiologique différent, si bien que le moment où le composé est ingéré doit également être pris en compte.

Or, l'approche sanitaire a consisté jusqu'à présent à définir une « dose journalière tolérable » ; c'est ce point qui est remis en question par de nombreux scientifiques : est-il pertinent de fixer une dose « plafond » pour refléter l'impact sanitaire de ces produits ?

Finalement, cette accumulation d'études a amené les autorités sanitaires de nombreux pays à réévaluer leurs avis.

L'Afssa, qui avait déjà rendu des avis sur le BPA, s'est autosaisie en octobre dernier. Elle a constitué un groupe de travail ad hoc et consulté une quarantaine d'experts. Son avis du 29 janvier parle de « signaux d'alerte » et d'« effets subtils sur le comportement » ; il précise aussi que « la méthodologie des nouvelles études ne permet pas d'interprétation formelle des données qui remettrait en cause les précédentes évaluations du risque sanitaire ». L'agence recommande en conséquence de poursuivre les études, de chercher d'autres sources d'exposition que les matériaux au contact des aliments et de définir rapidement une méthodologie adaptée à la détection d'une toxicité potentielle des perturbateurs endocriniens. Elle rappelle enfin des mesures simples de précaution : éviter de chauffer à très forte température l'aliment en cas d'utilisation de biberons ou de récipients en polycarbonate.

D'autres pays aboutissent aux mêmes conclusions que la France :

- la Food and Drug Administration (FDA) américaine s'est inquiétée, en janvier dernier, des effets potentiels du BPA, tout en reconnaissant des incertitudes substantielles dans l'interprétation globale des données des nouvelles études. Elle conclut, de manière quelque peu byzantine, qu'elle entend prendre des « mesures raisonnables » pour réduire l'exposition humaine au BPA dans la nourriture : soutien aux actions des industriels pour arrêter la production de biberons contenant du BPA et au développement d'alternatives à ce matériau pour le revêtement intérieur des boîtes de lait pour bébé et des autres boîtes alimentaires. Elle précise, in fine : « considérant que ces mesures sont prises comme des précautions, il est important qu'aucun changement nuisible pouvant mettre en péril la sécurité sanitaire ou l'accès à une nutrition saine, particulièrement pour les bébés, ne soit apporté dans les emballages de nourriture ou dans la consommation » ;

- l'agence gouvernementale commune à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande prend moins de précautions oratoires : après examen des nouvelles études, elle a conclu, le 19 janvier dernier, que « le BPA dans les biberons et emballages alimentaires est toujours sans danger » ;

- l'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) réunira des experts en avril et rendra son nouvel avis en mai ;

- les autorités canadiennes ont adopté la même orientation que la FDA et l'Afssa : elles parlent d'« incertitude », d'« effets possibles des faibles doses » mais ajoutent que « l'exposition actuelle provenant de matériaux d'emballage des aliments ne pose pas de risque pour la santé de la population en général, y compris pour la santé des nouveau-nés et des nourrissons ». Pourtant, la presse s'est largement fait l'écho d'une interdiction des biberons contenant du Bisphénol A au Canada : en fait, le gouvernement avait annoncé, en 2008, son intention de les interdire, mais ce projet a servi de moyen de pression sur les industriels pour qu'ils trouvent des substituts et n'a jamais été effectivement appliqué.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a alors fait valoir les limites de la proposition de loi tendant à interdire les plastiques alimentaires contenant du BPA. Celle-ci présente tout d'abord des difficultés juridiques, bien qu'elles ne puissent être considérées comme rédhibitoires sur un sujet de santé publique de ce type. Ainsi, est-il réellement nécessaire d'adopter une loi, alors qu'en application de l'article L. 221-5 du code de la consommation, le ministre compétent peut déjà prendre, par arrêté, les mesures d'interdiction prévues par la proposition de loi « en cas de danger grave ou immédiat » ?

Ensuite, elle soulève, en l'état, des questions de fond car son champ d'application est très vaste, les plastiques alimentaires contenant du BPA se retrouvant dans de très nombreux produits. Comment les remplacer, du jour au lendemain, sans affecter profondément le circuit économique, et donc l'accès à ces produits de grande consommation ? En outre, vu l'utilisation massive des polycarbonates et des résines époxydes, la question du produit de substitution est essentielle pour faire face à la demande. Or, comme le relève par exemple le gouvernement canadien, il sera nécessaire de vérifier de manière sérieuse, contradictoire et approfondie la toxicité éventuelle de ces produits alternatifs.

Surtout, une interdiction générale n'apporterait pas une réponse adaptée aux données scientifiques des dernières études car celles-ci mettent en avant le chauffage intense du produit pour expliquer la dissémination du BPA, ce qui limite le type de produits concernés par le risque. De plus, la population adulte semble moins sensible aux perturbateurs endocriniens ; la FDA cible par exemple les bébés, car leurs systèmes neurologique, endocrinien et hépatique sont immatures.

Pour autant, il sera nécessaire d'affiner les études : l'une d'entre elles, dont la méthode est cependant débattue, indique que, pour 92 % des 2 500 Américains testés, du BPA a été trouvé dans les urines, sans qu'on puisse en tirer à ce stade une quelconque conséquence ou causalité ; surtout, la contamination in utero semble maintenant certaine et le BPA passerait ainsi la barrière placentaire, ce qui est naturellement préoccupant.

En conclusion M. Gérard Dériot, rapporteur, a estimé que l'ensemble de ces éléments désignent les nouveau-nés comme une population particulièrement à risque et le chauffage intense du produit comme un facteur aggravant. Il lui semble donc nécessaire :

- premièrement, d'agir en priorité envers les nourrissons et les femmes enceintes. Cela peut éventuellement passer, en cas de besoin, par des interdictions ou des suspensions de produits, mais aussi par la diffusion de « bonnes pratiques » de consommation, par la création d'un site internet public dédié, par des campagnes de publicité, par un meilleur étiquetage des produits et, naturellement, par le renforcement de la recherche scientifique ;

- deuxièmement, de ne pas se limiter au Bisphénol A car l'ensemble des perturbateurs endocriniens posent potentiellement un problème. Le Gouvernement a déjà pris la mesure de la question, en commandant une étude collective à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur cinquante-cinq produits qui sera rendue publique en mai pour le BPA et à l'automne 2010 pour les autres. Il faudra alors envisager des mesures plus générales et plus globales, sans se limiter au BPA et aux sources d'alimentation. Enfin, de nombreuses études ou avis vont être publiés en mai prochain et une rencontre internationale d'experts, organisée par le Canada, l'OMS et l'organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture, se tiendra en octobre 2010.

Dans ce contexte, la présidente Muguette Dini vient de saisir l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) d'une étude sur l'impact sanitaire des perturbateurs endocriniens, car ce sujet sera certainement un enjeu majeur de santé publique dans les années à venir au regard de la diversité des produits incriminés et de leurs modes de diffusion.

Pour ce qui concerne la proposition de loi, M. Gérard Dériot, rapporteur, a invité la commission, conformément à l'accord politique en vigueur au Sénat, à ne pas adopter de texte afin d'ouvrir la discussion en séance publique sur la version telle qu'initialement déposée par ses auteurs.

M. Alain Gournac a mis en garde contre tout emballement qui amènerait à ne pas tester avec suffisamment de rigueur de nouveaux produits mis à la disposition des consommateurs. Si les nouvelles données scientifiques doivent être entendues et prises en compte, comme l'ont fait les autorités sanitaires françaises, américaines ou canadiennes, une réaction intempestive pourrait elle-même être porteuse de risques. Or, le Sénat est une assemblée qui ne situe pas son action dans la simple réaction aux événements et il est important de prendre des dispositions qui correspondent réellement aux dangers.

M. Marc Laménie a souligné l'importance d'adopter une démarche pédagogique pour aborder des sujets aussi techniques. Le cas du BPA montre clairement les tiraillements entre les enjeux économiques et ceux liés à la santé publique. Enfin, la question des produits de substitution se posera avec acuité et ils devront être évalués attentivement.

M. Guy Fischer a soulevé l'enjeu industriel de la question du Bisphénol A pour la filière de la plasturgie.

M. Jacky Le Menn a rappelé que de nouvelles informations plus exhaustives seront disponibles dans quelques mois, à la fois sur la question du BPA mais aussi, plus globalement, sur celle des perturbateurs endocriniens. L'Inserm réalise par exemple en ce moment une expertise sur un ensemble de cinquante-cinq produits. En outre, les moyens juridiques existent déjà pour retirer du circuit économique des produits qui présenteraient un danger. Or, les inquiétudes sont réelles dans la population et il est important que les autorités donnent le sentiment de se soucier de la question. De ce point de vue, l'idée de campagnes ciblées de communication doit être mise en oeuvre. La vigilance est essentielle mais toutes les conséquences sur les process industriels doivent également être évaluées.

Mme Muguette Dini, présidente, a estimé que le cas particulier du BPA révèle un mal plus grand : le sentiment que, désormais, tous les produits en contact avec l'homme présentent un danger. Or, il ne faut pas oublier que l'espérance de vie a progressé dans des proportions considérables, en dépit des risques sans cesse dénoncés. La vigilance doit être de mise face à des signaux d'alerte, mais elle ne doit pas tourner à l'irrationnel.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a estimé naturel de réagir de manière affective à des dangers qui menaceraient les bébés et les nourrissons. Pour autant, une légitime vigilance ne doit pas amener à des dérives. Face aux inquiétudes, la communication autour des bonnes conditions d'emploi des produits doit être développée. Enfin, en termes industriels, il faut noter que le polycarbonate, qui présente de très importants avantages dans ses utilisations quotidiennes (rigidité, transparence, résistance aux chocs...), n'est ni produit en France, ni produit à l'étranger par une entreprise française.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs.

Questions diverses

Mme Muguette Dini, présidente, a indiqué à la commission que, sur la demande du groupe socialiste, Christiane Demontès est remplacée par Jacqueline Chevé au sein de la mission d'information interne consacrée au mal-être au travail.

Protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et transposition de la directive services - Examen des amendements - Adoption du texte de la commission

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé, sur le rapport de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, à l'examen des amendements et à l'élaboration de son texte pour la proposition de loi n° 193 (2009-2010), présentée par M. Roland Ries et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, relative à la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a indiqué que cette proposition de loi organise la transposition de la directive services dans le secteur social. Le texte poursuit trois objectifs : exclure l'ensemble des services sociaux du champ d'application de la directive, inscrire la notion de service social dans la loi, tenter de sécuriser la relation entre les pouvoirs publics et les prestataires de services sociaux.

Une proposition de loi identique ayant déjà été examinée et rejetée par l'Assemblée nationale le mois dernier, il n'est pas utile que la discussion au Sénat reproduise celle du Palais Bourbon. Il serait plus judicieux de déplacer le débat sur deux points insuffisamment abordés jusqu'ici : le respect des prérogatives du Parlement en matière de transposition des directives européennes et la promotion des services sociaux en Europe.

Pour ce qui concerne la transposition de la directive, elle a considéré que le problème ne tient pas à l'absence de loi-cadre mais à la mise à l'écart du Parlement dans ce débat, alors que les négociations se poursuivent entre le Gouvernement et la Commission européenne sans qu'il soit consulté. L'article 9 de la directive services prévoit en effet que les Etats membres doivent faire parvenir à la Commission une liste des services pour lesquels ils estiment nécessaire de maintenir un régime d'autorisation, que le prestataire soit national ou pas. Conformément à la directive, cette liste a été remise à la Commission le mois dernier et comporte plus de quatre cents autorisations. Or, le Gouvernement refuse de communiquer cette liste au Parlement alors que les régimes d'autorisations comportent, au moins pour une partie d'entre eux, des dispositions législatives : il va donc débattre et trouver un accord avec la Commission européenne qui entraînera nécessairement des modifications législatives sans que le Parlement y ait été associé. Cette pratique n'est pas admissible, aucun texte communautaire ou national ne donnant cette faculté de négociation au Gouvernement une fois la directive votée.

Pour ce qui concerne la défense et la promotion des services publics, et plus particulièrement des services sociaux, en Europe, il faut rappeler que la directive services, dans sa version définitive, n'a paradoxalement aucun rapport avec le droit de la concurrence : inclure ou exclure certains services du champ d'application de la directive ne modifie pas leur statut au regard du droit de la concurrence. En effet, en vertu du droit communautaire, tous les services publics, y compris les services sociaux, sont soumis au droit de la concurrence, qu'ils soient ou non inclus dans le champ d'application de la directive. Il est donc urgent d'adapter le droit de la concurrence dans le secteur social, ce dont malheureusement, d'après les responsables des principales fédérations associatives, mais également le secrétariat général des affaires européennes, le Gouvernement ne se préoccupe pas, ni au niveau communautaire ni au niveau national.

La réglementation communautaire des aides d'Etat est pourtant inadaptée : toute subvention d'un montant supérieur à 200 000 euros sur trois ans doit répondre à un certain nombre de conditions comme la définition d'obligations de service public, l'évaluation a priori, sur des critères transparents et objectifs, du coût de ces obligations ou la vérification a posteriori de l'absence de surcompensation. Ces conditions sont disproportionnées par rapport aux moyens humains des collectivités territoriales et entraînent des surcoûts de gestion élevés et absurdes. Par exemple, est-il raisonnable de soumettre une commune, qui subventionne un foyer pour femmes battues employant deux permanents ou une association de lutte contre l'illettrisme, à de telles exigences ? N'est-ce pas céder à la frénésie bureaucratique au détriment des initiatives et de la vie locales ? Cependant, alors même que des alliances objectives seraient possibles avec d'autres Etats membres influents, comme l'Allemagne, pour relever les seuils et infléchir la définition des aides d'Etat, le Gouvernement n'a rien entrepris en ce sens, y compris lors de la présidence française de l'Union en 2008. Une résolution européenne du Sénat pourrait le contraindre à sortir de l'inertie sur ce sujet.

Enfin, on peut également juger trop passive l'attitude du Gouvernement face aux problèmes de sécurité juridique qui touchent le financement de nombreux services sociaux en France : par exemple, aucune mesure n'a été prise ou envisagée pour sécuriser, au regard du droit de la concurrence, les subventions versées par les caisses d'allocations familiales aux centres de loisirs, aux centres de vacances et aux centres sociaux. Or, ces aides pourraient être contestées sans difficulté à l'occasion d'un contentieux avec une entreprise ou la Commission européenne.

Il serait donc particulièrement utile que la commission des affaires sociales se saisisse du sujet et recense l'ensemble des services sociaux dont le financement est menacé par le droit communautaire afin de proposer des solutions visant à le sécuriser.

Pour conclure, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a rappelé les termes de l'accord politique selon lequel les propositions de loi déposées par les groupes d'opposition ont vocation, sauf accord de leurs auteurs, à être discutées en séance publique dans leur forme initiale. C'est la raison pour laquelle elle ne présente pas d'amendements, la commission étant susceptible de choisir de n'adopter aucun texte pour respecter les termes de cet accord.

Mme Catherine Procaccia a considéré très pertinent le fait d'évoquer d'autres questions que celles précédemment discutées à l'Assemblée nationale et d'éviter de reproduire le débat qui a conduit à rejeter la proposition de loi. Sur le fond des sujets abordés, la présentation qui en a été faite laisse entendre qu'il existe, en effet, des problèmes réels, bien qu'elle n'ait pas l'expertise suffisante pour en apprécier l'ampleur.

M. Guy Fischer a regretté que, jusqu'à présent, la directive services ait été transposée par tronçons, ce qui a empêché la tenue d'une discussion globale : la loi de modernisation de l'économie, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » ou encore la loi de simplification du droit ont ainsi été l'occasion, pour le Gouvernement, de transposer certaines dispositions de la directive. La proposition de loi a peut-être le mérite de susciter un débat sur une question particulièrement sensible, mais elle est malheureusement de faible portée : en vertu des traités de l'Union européenne, c'est la Cour de justice des communautés européennes, et non le législateur français, qui décidera in fine si une activité peut être considérée comme un service social. C'est pourquoi le groupe CRC-SPG votera contre ce texte.

Mme Christiane Demontès a fait valoir que les questions juridiques évoquées cachent des enjeux essentiellement politiques, qui concernent la vie quotidienne des citoyens : égalité d'accès aux établissements d'accueil des jeunes enfants, aux services d'aide à domicile, prise en charge de qualité de la dépendance... La discussion de cette proposition de loi doit être l'occasion pour chacun de se prononcer sur cette question fondamentale : faut-il, ou non, soumettre l'ensemble des activités de services, et notamment les services sociaux, au droit de la concurrence ?

M. Alain Vasselle a souhaité, avant que la commission ne se prononce sur le texte, connaître la position de la commission des affaires européennes sur la proposition de loi. Elle devrait légitimement s'en être saisie pour avis dès lors que ce texte concerne la révision d'une directive européenne.

Mme Muguette Dini, présidente, a expliqué qu'en application de la Constitution et du règlement du Sénat, il relève de la commission des affaires européennes d'expertiser les textes communautaires en cours de discussion au Conseil ou au Parlement européen, et d'attirer l'attention des parlementaires sur certaines évolutions qui lui paraissent problématiques. Pour autant, s'agissant en l'espèce d'une proposition de loi, et non d'une proposition de résolution européenne, cette commission n'est pas appelée à émettre un avis sur un texte de droit interne.

Mme Françoise Henneron a rappelé que lors du débat à l'Assemblée nationale, Nora Berra, secrétaire d'Etat aux aînés, a jugé la même proposition de loi inutile. Pour ce qui concerne les services d'aide à domicile, le maintien d'une autorisation nécessaire à leur exercice est justifié pour des raisons impérieuses d'intérêt général. Il faut donc rassurer les associations de ce secteur, dont on peut cependant comprendre l'inquiétude.

Mme Raymonde Le Texier s'est interrogée sur les raisons qui expliquent la passivité du Gouvernement dans la défense des services sociaux face aux exigences européennes.

Mme Muguette Dini, présidente, s'est alors demandé si cette situation est due à une absence d'instructions des fonctionnaires qui représentent la France à Bruxelles de la part du Gouvernement. Elle a pu elle-même mesurer, sur d'autres sujets, que la conduite efficace des négociations suppose que les autorités politiques fixent une feuille de route claire et impérative, qui tienne compte, le cas échéant, des résolutions votées par le Parlement. Or, en matière de lutte contre les discriminations, il a été démontré qu'aucun compte n'a été tenu des positions du Sénat, ce qui a valu au ministre en charge des affaires européennes d'être interpellé sévèrement en séance publique pour qu'il en explique les raisons.

Mme Gisèle Printz a déploré que, sur des questions aussi importantes que la préservation des services sociaux, ce soit aux fonctionnaires de définir la position de la France.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- il est vrai que d'autres pays, sans doute une majorité au sein de l'Union européenne, ont adopté une loi-cadre de transposition de la directive services, permettant ainsi une approche globale de ses enjeux. Ceci étant, il ne faut pas exagérer l'intérêt de l'exercice, beaucoup d'Etats membres, comme le Royaume-Uni ou l'Espagne, s'étant contentés d'en recopier les termes ;

- il n'est pas exact que le législateur français ne dispose d'aucune marge de manoeuvre pour définir des services d'intérêt économique général. La jurisprudence communautaire reconnaît elle-même aux Etats membres la faculté de créer de tels services. C'est la raison pour laquelle la passivité du Gouvernement est inacceptable : des outils, certes imparfaits, sont déjà disponibles, et pourtant il ne s'en saisit pas ;

- il est à la fois nécessaire et urgent de recenser l'ensemble des services sociaux dont le financement est menacé par le droit communautaire. Ces services doivent en effet être sécurisés, par exemple via des propositions de loi - à défaut de projet de loi - qui aménageront, dans le respect des exigences européennes, le droit de la concurrence dans les secteurs concernés.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs

Nomination de rapporteurs

La commission a désigné Mme Sylvie Desmarescaux rapporteur de la proposition de loi n° 190 (2009-2010), présentée par M. Nicolas About et Mme Sylvie Desmarescaux, tendant à faciliter l'accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux.

Elle a ensuite nommé Mme Colette Giudicelli rapporteur du contrôle budgétaire, mené conjointement avec la commission des finances, sur la mise en place du revenu de solidarité active, en remplacement de Mme Bernadette Dupont.

Questions diverses

Mme Muguette Dini, présidente, a informé la commission de la proposition du président de la commission des finances d'associer, à la conduite des missions de contrôle budgétaire relevant des affaires sociales, des rapporteurs des deux commissions. Elle a indiqué avoir répondu favorablement à cette demande, qui renforce la coopération entre les deux commissions financières. En conséquence, la commission a désigné :

M. Paul Blanc, rapporteur pour l'évaluation des coûts de l'allocation aux adultes handicapés ;

M. Dominique Leclerc, rapporteur sur le bilan du régime spécial de retraite de la SNCF et sur le suivi du contrôle sur le régime spécial de retraite de la RATP.

Mme Catherine Procaccia, elle-même co-rapporteur sur la mission de contrôle budgétaire, en cours, relative au Pôle emploi, a fait observer n'avoir pas été consultée, avant l'établissement du programme de travail, par la commission des finances qui conduit ce contrôle. Il serait nécessaire, à son sens, que les auditions soient effectivement organisées en commun.

Mme Muguette Dini, présidente, s'est engagée à relayer cette demande dans le courrier de réponse qu'elle fera au président Jean Arthuis.

Mercredi 24 février 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Etude de la Cour des comptes relative à la politique de lutte contre le VIH-Sida - Table ronde

La commission a organisé une table ronde avec les représentants des associations sur l'étude de la Cour des comptes relative à la politique de lutte contre le VIH/Sida.

Elle a entendu MM. Christian Andréo, directeur des programmes nationaux d'Aides, Bertrand Audoin, directeur général, et Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs France du Sidaction, Hugues Fischer, ancien coprésident d'Act up Paris, Patrice Gaudineau, directeur général, et Michel Ohayon, directeur du centre de santé sexuelle « Le 190 » de Sida Info Service, Mmes Anne Guérin, directrice de l'Association de recherche, de communication et d'action pour l'accès aux traitements (Arcat), et Gaëlle Tellier, déléguée régionale Ile-de-France du Groupe SOS.

Mme Muguette Dini, présidente, a rappelé que la Cour des comptes a réalisé une étude sur les fonds alloués à la politique de lutte contre le VIH/Sida à la demande de la commission des affaires sociales. Compte tenu de la place, sans équivalent pour les autres pathologies, qu'occupent les associations dans le combat contre cette épidémie, il est apparu utile d'organiser une table ronde réunissant des représentants de certaines des associations les plus actives, à la fois pour entendre leurs réactions aux observations et recommandations formulées par la juridiction financière et pour connaître leur sentiment sur les évolutions souhaitables des politiques publiques mises en oeuvre pour combattre l'épidémie de VIH.

M. Christian Andréo, directeur des programmes nationaux d'Aides, a tout d'abord souligné que l'étude de la Cour contient des réflexions importantes sur l'insuffisance du pilotage des politiques conduites. Ses constats relatifs à l'insuffisance des moyens consacrés à la prévention sont particulièrement pertinents même si la comparaison entre dépenses de soins et dépenses de prévention n'a que peu de signification. Il est également exact, comme le relève la Cour, que la direction générale de la santé (DGS) ne dispose que d'éléments limités sur l'utilisation des concours attribués par les groupements régionaux de santé publique (GRSP). Il est difficile de savoir quelles actions sont conduites au titre de la prévention du VIH dans le cadre de ces groupements. L'insuffisance du pilotage se manifeste également par le fait que le ministère préfère parfois demander aux différents acteurs et associations de s'entendre plutôt que de rendre de véritables arbitrages. La prochaine mise en place des agences régionales de santé (ARS), qui reprendront les missions actuellement exercées par les GRSP, n'est pas pleinement rassurante dès lors qu'il n'existe aucune certitude sur la mise en oeuvre par les ARS du plan pluriannuel IST-VIH.

Comme le note justement la Cour, la DGS ne sollicite plus jamais l'avis du conseil national du sida (CNS) alors même que celui-ci produit des avis particulièrement intéressants, par exemple sur la question du dépistage ou de l'intérêt préventif du traitement. Il est même arrivé que la DGS réagisse aux avis du CNS en saisissant d'autres institutions, telles que la Haute Autorité de santé (HAS), retardant considérablement la mise en oeuvre de certaines évolutions nécessaires.

En ce qui concerne l'insuffisance de la dimension interministérielle de la politique de lutte contre le VIH relevée par la Cour, il est effectivement souhaitable de renforcer la cohérence des politiques publiques. La politique conduite à l'égard des étrangers sans papiers ne facilite pas la mise en oeuvre d'actions de prévention et de dépistage à l'égard de ces populations.

D'une manière générale, on constate trop souvent un immobilisme préjudiciable et un grand retard pour mettre en oeuvre certaines évolutions réglementaires pourtant communément admises dans d'autres pays. Ainsi, on ne peut espérer une évolution du cadre réglementaire sur les tests de dépistage rapide qu'à l'été 2010 alors que l'intérêt de ces tests est connu depuis quatre ans déjà. Des associations ont dû elles-mêmes lancer des projets de recherche biomédicale sur ce sujet.

Si les recommandations de la Cour méritent globalement d'être approuvées, une réserve doit néanmoins être apportée en ce qui concerne la mise en place d'une réglementation sanitaire des établissements de rencontre. Une telle évolution pourrait être contreproductive si cette réglementation devait être imposée de manière unilatérale ; il convient au contraire de la bâtir sur la base d'une concertation avec tous les acteurs concernés. Quant au saupoudrage des subventions critiqué par la Cour, il mérite d'être fortement nuancé. L'utilité d'une subvention se mesure en effet à la pertinence du projet qu'elle sert à financer plus qu'à la taille de l'association qui la reçoit.

A propos du futur plan pluriannuel de lutte contre le VIH, M. Christian Andréo a souhaité que l'accent soit mis sur l'accès à des soins de qualité et a plaidé pour un effort conséquent en faveur des régions les plus touchées, l'Ile-de-France, mais surtout les départements français d'Amérique et singulièrement la Guyane. L'étude de la Cour contient une phrase malheureuse laissant entendre que l'épidémie dans ce dernier département est le fait de l'afflux de migrants. L'insuffisance des politiques conduites en Guyane est aussi largement responsable du niveau de l'épidémie.

Il conviendra également d'insister sur la nécessaire prise en charge des personnes séropositives, dont le reste à charge a beaucoup augmenté, et de développer les programmes d'aide à domicile.

M. Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs France du Sidaction, a souligné l'intérêt des constats et propositions de la Cour des comptes. Celle-ci évoque notamment les tests de dépistage rapide, qui constituent une bonne illustration des dysfonctionnements de la politique de lutte contre le VIH. Le CNS, instance consultative créée pour servir la collectivité, dont les travaux sont de grande qualité, n'est jamais saisi par la DGS. Tout au contraire, lorsqu'il a rendu un avis sur les tests de dépistage rapide, la DGS a décidé de saisir la HAS de la même question. Dans ces conditions, les associations ont dû rechercher d'autres moyens de mettre en place un programme d'accès à ces tests en lien avec l'agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), en dehors de toute évolution du cadre réglementaire. Si aucun obstacle nouveau ne surgit, ce cadre réglementaire devrait évoluer à l'été 2010 alors que l'avis du CNS a été rendu en 2006. Or, le développement du dépistage est un enjeu individuel et collectif considérable. Le dépistage tardif constitue une perte de chance pour les personnes concernées et entraîne des coûts considérables.

Cet exemple est très représentatif des difficultés rencontrées dans l'articulation des différentes instances impliquées dans la lutte contre le VIH, tels le CNS ou l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), dont les rôles sont pourtant décrits précisément par le code de la santé publique, mais que le ministère ne parvient pas à faire fonctionner ensemble dans de bonnes conditions.

La Cour des comptes soulignant le rôle majeur des associations, il convient de noter que si celles-ci pilotaient réellement les politiques publiques, les difficultés posées par la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure, qui rend particulièrement difficile le travail auprès des personnes prostituées et des immigrés, seraient sans doute levées... Certes, les associations sont présentes dans les différents groupes de travail et comités de pilotage, mais cette intervention contribue à donner une certaine cohérence à l'action publique.

Ainsi, dans le cadre de la préparation du nouveau plan pluriannuel, les associations ont été saisies, dans des conditions souvent confuses et chaotiques, pour réaliser des fiches projets mais se sont mobilisées malgré leurs moyens limités. Les dysfonctionnements du pilotage de la lutte contre le VIH seraient sans doute accrus sans l'investissement des associations qui ont par exemple joué un rôle essentiel lors de la transition entre les centres d'information et de soins de l'immunodéficience humaine (Cisih) et les coordinations régionales de lutte contre le VIH (Corevih). Actuellement, rien n'est fait pour expliquer le fonctionnement de la loi hôpital-patients-santé-territoires (HPST) et la manière dont vont se mettre en place les ARS, alors que ces évolutions modifieront profondément le cadre d'action des associations. En définitive, le rôle que jouent ces dernières dans le pilotage de la lutte contre le VIH, que semble regretter la Cour des comptes, est absolument nécessaire aujourd'hui, au regard des insuffisances des organes en charge de cette politique. A cet égard, si la Cour évoque une mobilité trop fréquente des personnels de la DGS, il convient aussi de signaler que certains des postes, à l'inverse, ne changent jamais de titulaire, ce qui peut expliquer certaines difficultés.

En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, le CNS avait proposé en 2005 de s'appuyer sur deux articles du code de commerce et du code de la santé publique pour contraindre ces établissements à fournir du matériel de prévention à leurs clients.

A propos de la Guyane, le rapport de la Cour contient effectivement une phrase malheureuse, semblant attribuer l'épidémie aux flux migratoires sur ce territoire. Il faut surtout noter l'insuffisance des politiques dans ce département. L'Etat aurait pu bénéficier de fonds européens importants en direction des départements, mais n'a pas su saisir cette occasion, par défaut de pilotage.

M. Hugues Fischer, ancien coprésident d'Act up, a tout d'abord souligné qu'Act up ne peut qu'approuver les conclusions de la Cour relatives à l'insuffisance de la prévention. Celle-ci demeure trop épisodique et les campagnes de communication à la veille de la journée mondiale contre le sida ou avant les départs en vacances sont insuffisantes face à un virus qui se transmet toute l'année. Si les campagnes ciblées en direction de publics prioritaires doivent être intensifiées et approfondies, l'étude de la Cour néglige un peu la nécessité de diffuser également des messages en direction de la population dans son ensemble. Il est important de s'appuyer sur les personnes qui se protègent, largement majoritaires. En définitive, seule la multiplication des messages et des cibles finit par produire des résultats.

En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, les limites de la charte du syndicat national des entreprises gaies (Sneg) sont connues depuis longtemps. Il est souhaitable qu'une éventuelle réglementation soit élaborée en concertation avec tous les acteurs. La Cour soulève par ailleurs l'importance du développement du dépistage, déjà soulignée par la HAS et le CNS, ce qui doit permettre d'en faire une question prioritaire.

En matière de gouvernance, on constate un manque de continuité des politiques publiques très préjudiciable. A titre d'exemple, le groupe d'experts sur la prise en charge des personnes atteintes par le VIH a rendu en 2006 un rapport important dont s'était saisi le ministre de la santé, qui avait proposé que le comité mis en place dans le cadre du plan national assure un suivi actif et régulier. Cependant, ce travail s'est interrompu lorsque le ministre a changé. Un nouveau rapport a été rendu en 2008, sans que la puissance publique semble s'en saisir de manière active. Ainsi, des travaux approfondis ne sont pas pleinement exploités.

M. Patrice Gaudineau, directeur général de Sida info service, a rappelé que Sida info service a été créé par la volonté conjointe de l'Etat et de l'association Aides. Au départ, il s'agissait de mettre en place un service de téléphonie sanitaire et sociale destiné à transmettre les informations connues à l'époque sur le sida et la séropositivité. L'association emploie cent dix professionnels salariés disposant de compétences d'écoutants. Elle mobilise autant de bénévoles qui interviennent, pour leur part, dans le cadre d'actions de terrain.

En 2005, la Cour des comptes avait relevé des difficultés de fonctionnement de l'association confirmées en 2006 par un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui concluait à la nécessité de restructurer l'organisation. Aussi, depuis 2007, un plan drastique de réorganisation a-t-il été mis en oeuvre. Financée à hauteur de 75 % par l'Inpes, avec lequel elle a signé une convention, l'association conduit, outre sa mission de téléphonie sanitaire et sociale, d'autres actions de santé sexuelle. En 2009, elle a reçu 1 700 000 visiteurs sur son site et a réalisé 136 000 entretiens par des écoutants spécialisés.

Dans son rapport, la Cour des comptes évalue à plus de 12 000 euros par an le coût de la prise en charge de chaque malade. Ce chiffre peut être mis en rapport avec le montant de la somme prise en charge par l'Inpes au titre de la téléphonie sanitaire et sociale, qui s'élève à 7 millions d'euros. S'il est difficile de quantifier le nombre de contaminations évitées par les entretiens téléphoniques anonymes, il est incontestable que ceux-ci présentent une grande utilité en matière de prévention et de dépistage précoce.

L'étude de la Cour contient une réflexion paradoxale, dans la mesure où elle semble considérer que la prise en charge précoce des séropositifs est une source de coûts supplémentaires. En réalité, le dépistage précoce suivi d'une prise en charge est un moyen de prévenir la transmission et est donc une source d'économies potentielles importantes.

Mme Anne Guérin, directrice d'Arcat, a rappelé qu'Arcat a été créée en 1985 et conduit de nombreuses actions d'accompagnement des personnes séropositives. Elle est présente dans les collèges des Corevih réunissant les représentants des malades et usagers du système de santé. L'association accompagne environ cinq cents personnes qui se trouvent dans des situations particulièrement précaires : 72 % d'entre elles vivent seules, 22 % n'ont pas de titre de séjour et 39 % n'ont aucune ressource. Dans le cadre de cet accompagnement, l'association effectue des entretiens de prévention secondaire pour les personnes séropositives.

Si l'étude de la Cour des comptes contient des recommandations importantes, elle n'évoque que fort peu certaines questions. Ainsi, alors que la juridiction financière relève que 90 % des dépenses sont consacrées à la prise en charge, ses recommandations portent presque toutes sur les 10 % de dépenses consacrées à la prévention.

La mise en place prochaine des ARS, qui vont notamment reprendre les compétences des GRSP, crée un certain flou dans les politiques conduites, voire un risque de discontinuité. Il semble en effet qu'aucun appel à projet ne sera lancé en Ile-de-France en 2010, les projets associatifs devant être financés sur des actions plus structurelles. De même, il n'y aura probablement pas d'appel à projet dans la perspective de la journée annuelle de lutte contre le sida.

Dans le même temps, les dépenses de soins continuent à croître. Médecins sans frontières a d'ailleurs lancé une pétition pour la mise en oeuvre d'une communauté de brevets. Avec le déremboursement de certains médicaments, le reste à charge des malades tend à augmenter. Ceux-ci se heurtent encore à des refus de soins, soit à cause de la pathologie, soit en raison de leur couverture médicale. Certaines évolutions récentes peuvent peut-être permettre des progrès utiles, qu'il s'agisse de la tarification à l'activité à l'hôpital ou du remboursement de l'éducation thérapeutique prévu par la loi HPST.

La prise en charge sociale des malades est une question importante que la Cour, qui observe que cette prise en charge est mal connue, n'aborde qu'à travers les appartements de coordination thérapeutique (ACT). Elle relève cependant que la moitié des personnes atteintes dispose d'un revenu inférieur à 1 220 euros par mois. Le rapport du groupe d'experts dirigé par le professeur Yeni insiste sur le fait que l'adhésion aux soins est fortement conditionnée par l'existence de conditions de vie correctes. Or, les places en ACT sont d'autant plus insuffisantes que ces structures se sont ouvertes à d'autres pathologies. Il est donc essentiel de trouver des solutions d'hébergement qui permettraient d'éviter que certaines personnes cessent de prendre leur traitement pour cacher leur maladie. Peut-être certains centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pourraient-ils se spécialiser pour prendre en charge ces personnes particulièrement exclues. Par ailleurs, des progrès devraient également être accomplis pour l'accès aux dispositifs de droit commun prévus en matière de handicap. Les associations sont très impliquées dans le fonctionnement des Corevih, mais ne bénéficient d'aucune aide particulière au titre de cette participation. D'une manière générale, la DGS met en avant que les crédits aux associations n'ont pas diminué depuis 2003 ; les charges ont cependant augmenté depuis cette date, de même que le nombre de personnes séropositives.

M. Claude Jeannerot, rapporteur, a mis en avant le caractère irremplaçable de l'action des associations. Le rapport demandé par la commission des affaires sociales à la Cour des comptes doit permettre d'enrichir les propositions du plan d'action que le Gouvernement doit prochainement présenter pour la période 2010-2013. Dans ces conditions, quatre séries de questions appellent des réponses de la part des représentants des associations :

- en ce qui concerne la prévention dont la Cour des comptes a noté l'insuffisance des moyens (autour de 55 millions d'euros face à plus d'un milliard pour les soins à la charge de l'assurance maladie), comment améliorer la politique en faveur des personnes qui sont séronégatives ? De plus, comment organiser et rendre efficace le dépistage précoce, ce qui améliore les chances de succès des traitements et a une incidence positive sur les risques de contamination ? Enfin, comment sensibiliser les personnes déjà touchées ?

- quel contenu donner à une éventuelle réglementation sanitaire des établissements de rencontre ?

- outre les nécessaires hiérarchisation et coordination des actions, quelles principales orientations le prochain plan national de lutte devrait-il inclure, notamment en ce qui concerne l'accompagnement social ?

- alors que le rapport de la Cour des Comptes évoque à la fois un pilotage national défaillant et une grande dispersion des subventions versées et que les ARS commencent à se mettre en place, comment envisager une future organisation des moyens ?

Rappelant son appartenance au CNS où il représente le Sénat, M. Gilbert Barbier a souhaité connaître l'appréciation des associations sur les travaux de ce conseil. Par ailleurs, il a estimé qu'on ne peut pas comparer les dépenses liées à la prévention et les coûts thérapeutiques d'une pathologie qui ne sont évidemment pas de même nature ; ainsi, il est normal que les traitements coûtent de plus en plus cher en raison du montant des dépenses de recherche des laboratoires pharmaceutiques. En ce qui concerne les campagnes de prévention, ne serait-il pas pertinent de réaliser des opérations communes portant sur le sida et les autres maladies sexuellement transmissibles ? De plus, quel doit être le niveau de dramatisation des messages de ces campagnes ? Au sujet de la Guyane, si le rapport de la Cour des comptes contient peut-être une formulation maladroite, il est évident que ce département français d'Amérique connaît un problème spécifique et qu'on ne peut envisager tous les sujets de manière uniforme. Enfin, la concertation engagée sur les orientations du plan 2010-2013 est-elle satisfaisante ?

Mme Gisèle Printz a déploré que la question du préservatif reste taboue et que ce moyen indispensable de prévention soit encore trop absent des lieux que fréquente la jeunesse, par exemple les lycées. Par ailleurs, l'apparition de traitements efficaces ne doit pas masquer le danger que le sida continue de faire peser, car les médicaments ne permettent toujours pas de guérison.

Mme Raymonde Le Texier a partagé les craintes exprimées sur la mise en place des ARS. De plus, elle s'est déclarée surprise que les projets s'arrêtent lorsque le ministre change. Sur le fond, alors que le but de la prévention est d'éviter la contamination, l'importance du nombre de personnes isolées ou en situation de pauvreté ou d'exclusion familiale tend à fragiliser les actions menées ; il est, en conséquence, essentiel de lutter parallèlement contre ces facteurs sociaux. Elle a enfin souhaité avoir des précisions sur les cas de refus de soins et sur le travail réalisé par les associations auprès des prostitués et des étrangers.

Partageant les remarques formulées par Gilbert Barbier, Mme Sylvie Desmarescaux a ajouté que le rôle des CHRS est justement d'accueillir les personnes en situation d'exclusion. La création de structures dédiées aux malades du sida pourrait être stigmatisante, alors que nombre d'entre eux souhaitent, en raison de la pression sociale, conserver un certain anonymat. Enfin, elle s'est interrogée sur le niveau des revenus moyens mentionnés précédemment qui paraissent très supérieurs au seuil de pauvreté.

M. René Teulade a regretté la solitude du ministère de la santé sur la question du sida et, en ce qui concerne la prise en charge sociale, il a souhaité connaître les modalités de la reconnaissance d'un handicap éventuel pour les malades.

Mme Anne Guérin a confirmé l'importance de l'accompagnement psychosocial des malades. Elle a dénoncé les refus de soins auxquels sont confrontées les personnes séropositives, notamment lorsqu'elles sont bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME) ou de la couverture maladie universelle (CMU). Par ailleurs, les personnes malades du sida requièrent un accompagnement pluridisciplinaire que les CHRS, de toute façon débordés, ne peuvent pas fournir, ce qui justifie la création de structures spécialisées. De plus, les ACT sont trop peu nombreux et les sorties vers un logement stable trop rares. Enfin, de nombreuses personnes malades du sida relèvent de l'allocation adulte handicapé (AAH) ou travaillent uniquement à temps partiel du fait de leur pathologie et, en tout état de cause, quels que soient les chiffres avancés par la Cour des comptes, la majorité des personnes aidées par Arcat disposent de moins de 600 euros pour vivre par mois.

M. Michel Ohayon, directeur du centre de santé sexuelle « Le 190 » de Sida info service, a estimé que, malgré certaines déficiences, les politiques de prévention ont tout de même bien fonctionné puisque, parmi les homosexuels, une des trois populations qui concentrent l'épidémie, seul un sur six est malade, ce qui est une proportion considérable mais qui signifie que cinq sur six en sont épargnés. Il a regretté le temps perdu en ce qui concerne la mise en place du dépistage précoce, les autorités ayant demandé des études complémentaires alors que de nombreux pays étrangers avaient mis en place de tels dispositifs avec succès et que l'on sait que les risques de contamination sont amplifiés au moment de la primo-infection. Il a également regretté que la communication utilisée pendant de nombreuses années sur le sida ait conduit d'une certaine façon à nier la sexualité des personnes séropositives. Etre séropositif, c'est d'une certaine manière assumer que la sexualité est au coeur de la vie, celle-ci prenant forcément une grande importance lorsqu'on est porteur d'une maladie sexuellement transmissible, même si ce n'était pas forcément le cas avant la contamination.

M. Hugues Fischer a estimé qu'il n'existe pas de message miracle pour les campagnes de communication ; elles doivent être fondées sur deux principes essentiels permettant de toucher des publics ciblés de manière large : la constance et la variété. En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, la charte mise en place par les associations peut servir de base à son élaboration. Par ailleurs, les petites associations jouent un rôle essentiel de proximité sur le terrain ; elles rassemblent souvent des bénévoles dont l'abnégation et l'engagement doivent être encouragés. Certes, elles n'ont souvent pas les moyens et le temps d'évaluer leurs actions dans les règles de l'art, ce qui n'enlève rien à leur place centrale dans le dispositif de lutte contre le sida. Les associations portent une appréciation positive sur les avis du CNS car il prend le temps de les élaborer de manière collective. Enfin, il est vrai qu'on ne parle pas suffisamment du préservatif en milieu scolaire ; alors que beaucoup de ministres de l'éducation s'engagent, sur cette question, au moment de leur passage au Gouvernement, les décisions concrètes se heurtent souvent à des résistances locales, ce qui pose le problème de la volonté publique.

Sur ce sujet, M. Marc Dixneuf a estimé que les associations de parents d'élèves ne sont pas seules en cause, certains évêques intervenant parfois de manière négative à l'encontre des projets d'installation de distributeurs de préservatifs dans les établissements scolaires. Qui plus est, le ministère de l'éducation a déjà mené de larges réflexions sur la manière d'aborder à l'école la question de la sexualité et plusieurs circulaires proposent des outils adaptés ; aucune d'entre elles n'a malheureusement été mise en oeuvre sur le terrain, alors même que la sensibilisation des enfants aux questions de genre, à l'homophobie, au rapport à l'autre ou à la différence est essentielle. Par ailleurs, le récent rapport du CNS sur VIH, emploi et handicap, met notamment en exergue les difficultés pour les personnes malades du sida de faire reconnaître leur handicap par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Globalement, le prochain plan national contient certes quelques orientations intéressantes, par exemple à destination du milieu pénitentiaire, mais de nombreuses autres en sont absentes : des expertises complémentaires seraient soi-disant nécessaires sur des sujets déjà appliqués à l'étranger, voire faisant l'objet de recommandations de l'OMS. De manière tout aussi attentiste, le ministère de la santé a lancé une enquête pour réaliser un état des lieux des ACT, alors qu'il serait plus utile de réaliser des études prospectives.

M. Christian Andréo a estimé nécessaire de rendre les campagnes de communication plus explicites : la population ne doit pas seulement savoir qu'elle doit utiliser des préservatifs, elle doit savoir comment. De ce point de vue, le rôle de l'école est central car les associations ont des difficultés à atteindre le public des jeunes. Par ailleurs, les situations où des personnes ont volontairement contaminé leur partenaire sont des faits divers exceptionnels et plus on va vers une pénalisation de la transmission du virus, plus on augmente les risques de clandestinité de la séropositivité. Il est essentiel d'offrir la possibilité aux malades de se soigner et de faire en sorte qu'ils n'aient rien à perdre à révéler leur statut sérologique. Enfin, alors que de nombreuses associations ont mis en avant l'intérêt de mettre en place des tests rapides, la DGS n'a malheureusement pas montré d'intérêt sur cette question, ni sur celle des traitements préventifs.

Mme Gaëlle Tellier, déléguée régionale Ile-de-France du groupe SOS, a noté que la récente mise en place, par Kiosque info sida, d'un centre de dépistage précoce a révélé que beaucoup de personnes qui s'y sont présentées n'avaient jamais fait de test auparavant. Ce phénomène inquiétant pose clairement le problème de l'installation des centres de dépistage. En ce qui concerne les CHRS, elle a soulevé le problème de l'absence de personnel paramédical pour accompagner les personnes et développer une politique de prévention.

M. Nicolas About a indiqué avoir mis en place dans sa commune un cyber espace traitant des questions de santé et destiné aux jeunes qui peuvent, sur place, apprendre à manipuler des préservatifs. En ce qui concerne le rôle des religions, il a estimé nécessaire de ne pas mélanger les genres : c'est au politique de prendre ses responsabilités. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, les personnes malades du cancer ne révélaient pas non plus leur maladie à leur entourage ; cette démarche est progressivement devenue plus naturelle et la même évolution semble perceptible pour ce qui est du sida. Enfin, doit-on considérer que la fidélité est peut-être l'un des « secrets » pour ne pas transmettre la maladie, que l'on soit homosexuel ou hétérosexuel ?

A propos de la fidélité, M. Christian Andréo a fait valoir qu'on ne pouvait être sûr que de la sienne. Par ailleurs, en ce qui concerne la révélation de la maladie, le parallèle avec d'autres pathologies n'est pas totalement judicieux en raison du caractère transmissible du VIH et de la connaissance des voies de contamination.

M. Michel Ohayon a précisé que de nombreuses études existent sur les risques de contamination mais peu s'intéressent aux facteurs de non-contamination. Il est évident qu'un ensemble d'éléments entrent en jeu en l'espèce et touchent à la santé sociale, physique, sexuelle ou sentimentale. Par ailleurs, la découverte de la séropositivité chez les migrants conduit, de manière quasi automatique, à l'exclusion. Enfin, on ne peut pas demander à la société de ne pas discriminer les personnes malades du sida quand le milieu médical et paramédical le fait lui-même.

Mme Muguette Dini, présidente, a fait observer que la situation parisienne reste fort différente de celle de la province, notamment en ce qui concerne la perception de l'homosexualité.

Pour conclure, M. Claude Jeannerot, rapporteur, a résumé ainsi les informations reçues au cours de cette table ronde :

- tout d'abord, l'importance de la prévention primaire doit conduire à adopter des recommandations plus fortes, notamment en matière pédagogique ;

- ensuite, la charte établie par les associations pour les établissements de rencontre semble fournir une bonne base de départ pour l'élaboration d'une réglementation sanitaire les concernant ;

- en outre, le rapport de la Cour des comptes souligne, à juste titre, la faiblesse du caractère interministériel de la politique de lutte contre le sida et il sera important de mettre en oeuvre les préconisations formulées par certaines instances en ce qui concerne, par exemple, les établissements pénitentiaires ;

- enfin, il faudra également mieux prendre en compte les aspects liés au handicap, étudiés dans un rapport récent du CNS, et à l'accompagnement social et psychologique des malades.

Etude de la Cour des comptes relative à la politique de lutte contre le VIH-sida - Présentation du rapport d'information

La commission a alors examiné le rapport d'information présenté par M. Claude Jeannerot, sur l'étude de la Cour des comptes relative à la politique de lutte contre le VIH/Sida.

M. Claude Jeannerot, rapporteur, a souligné que l'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des affaires sociales est riche d'enseignements et intervient à point nommé pour infléchir l'action des pouvoirs publics, et notamment du Gouvernement. Dans quelques semaines, en effet, celui-ci présentera le plan national IST-VIH 2010-2013. Il est très souhaitable que les principales recommandations de la Cour puissent être prises en compte dans l'élaboration et l'exécution de ce nouveau plan national.

Cette étude de la Cour a tout d'abord le grand mérite de rappeler que, malgré les progrès considérables qui ont été faits dans la prise en charge sanitaire des patients, l'épidémie de VIH/Sida se poursuit.

Le développement des traitements antirétroviraux depuis 1995 a permis une diminution spectaculaire de la mortalité liée au VIH puisque le nombre de personnes décédées du sida a été de 358 en 2008, alors qu'il s'élevait à plusieurs milliers dans les années quatre-vingt-dix. Le nombre de nouveaux cas de sida déclarés a lui aussi diminué sensiblement. Ces évolutions positives ne doivent cependant pas cacher d'autres données plus préoccupantes : le nombre de détections de séropositivité et de nouvelles infections par le VIH reste important. Ainsi, en cinq années, le nombre de découvertes de séropositivité a, certes, diminué mais il semble connaître une stabilisation à un niveau encore très élevé, puisqu'il atteint 6 500 en 2008. Le nombre de nouvelles contaminations a été, pour sa part, estimé à environ 7 000. Ces chiffres généraux masquent d'importantes disparités puisque le nombre de contaminations ne diminue pas parmi les homosexuels masculins. En 2008, 2 500 d'entre eux ont découvert leur séropositivité et 3 300 environ ont été contaminés par le VIH.

Les personnes d'Afrique subsaharienne constituent, après les homosexuels masculins, une des populations les plus touchées par le VIH en France. Environ 1 000 d'entre elles ont été contaminées par le VIH en 2008 et 1 900 ont appris leur séropositivité. En ce qui concerne les usagers de drogues injectables, le nombre de nouvelles contaminations par le VIH et des découvertes de séropositivité est faible et a diminué depuis 2003. Enfin, en 2008, environ 2 000 femmes et hommes français ont été contaminés par le VIH suite à des rapports hétérosexuels, ce qui est loin d'être négligeable.

Un dernier élément particulièrement préoccupant réside dans le dépistage tardif d'un grand nombre de cas de séropositivité. Malgré un nombre de dépistages toujours très élevé en 2008, la moitié des personnes découvrent leur séropositivité à un stade où le déficit immunitaire est déjà important. Ces diagnostics tardifs constituent une perte de chance pour les personnes concernées, en raison du retard à la mise en route du traitement. Certaines personnes, en particulier les usagers de drogues et les hommes contaminés par rapports hétérosexuels, sont diagnostiquées plus tardivement que d'autres.

M. Claude Jeannerot, rapporteur, a ensuite présenté les conclusions et recommandations de la Cour des comptes, organisées autour de deux axes : intensifier les actions de prévention et de dépistage, d'une part, renforcer le pilotage de la politique conduite contre le VIH/Sida, d'autre part.

L'essentiel des dépenses consacrées à la lutte contre le VIH est actuellement destiné à la prise en charge sanitaire, ce qui ne peut étonner compte tenu du prix très élevé des traitements : la prise en charge sanitaire a coûté 1,1 milliard d'euros au seul régime général en 2008. Rapportées à ce niveau de dépenses, celles consacrées à la prévention et au dépistage présentent un caractère marginal, puisqu'elles s'élevaient à 54 millions d'euros environ. Même si cette comparaison n'a qu'une signification limitée, elle met en évidence la nécessité de renforcer la prévention.

A ce sujet, la Cour formule plusieurs propositions importantes. Elle recommande de mieux cibler la prévention sur les groupes à risques et de mettre en oeuvre des messages de prévention en direction des personnes séropositives. Le rapport récemment rendu par les professeurs France Lert et Gilles Pialoux sur la réduction des risques formule de nombreuses propositions pour renforcer la prévention et insiste notamment sur l'importance des traitements antirétroviraux comme méthode pour limiter la diffusion de l'infection, compte tenu de l'importance de la charge virale comme facteur de transmission.

La Cour recommande, par ailleurs, la mise en oeuvre d'une réglementation sanitaire des établissements de rencontre accueillant des activités sexuelles licites entre leurs clients. Elle constate en effet que ces établissements ne sont pas régis par une réglementation sanitaire qui imposerait à leurs exploitants d'inciter leurs clients à protéger leurs partenaires lors de rapports sexuels se déroulant dans leurs locaux ni, a fortiori, de sanctionner par une exclusion l'absence de respect des consignes de prévention. Pour pallier cette absence de réglementation, le ministère de la santé a encouragé la mise en place par le Sneg d'une structure de prévention qui favorise l'adhésion des établissements à une charte de responsabilité pour les engager notamment à afficher des messages de prévention et à mettre à disposition gratuitement les matériels de prévention. La Cour note cependant que tous les établissements n'adhèrent pas à la charte et qu'elle n'est pas appliquée de manière homogène.

A propos du dépistage, la Cour recommande de généraliser la proposition d'un dépistage sur une base volontaire. Cette proposition est conforme aux récentes préconisations de la Haute Autorité de santé (HAS) en octobre 2009, ainsi qu'à celles formulées, dès 2006, par le conseil national du sida (CNS). Compte tenu de cette convergence de propositions tendant à élargir le dépistage pour limiter le nombre de patients qui découvrent leur séropositivité à un stade avancé de l'immunodépression ou lors des premiers symptômes cliniques du sida, il apparaît nécessaire de définir rapidement les modalités selon lesquelles cette proposition de dépistage à l'ensemble de la population sexuellement active pourrait être organisée.

La Cour a par ailleurs proposé de fusionner les dispositifs des centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) et des centres d'information, de dépistage et de diagnostic des IST (Ciddist). La dualité des structures est, de fait, aujourd'hui anachronique et source d'incohérences. Tous les CDAG ne dépistent pas les IST, tandis que certains Ciddist ne dépistent pas le VIH. Les financements de ces centres sont également distincts, puisque les CDAG sont financés par l'assurance maladie et les Ciddist par le budget de l'Etat, certains conseils généraux maintenant des contributions volontaires. La proposition de fusion émise par la Cour est conforme à celle de plusieurs groupes de travail et institutions sur ce sujet et devrait donc être rapidement mise en oeuvre.

Le second axe essentiel des observations formulées par la Cour des comptes concerne le pilotage global par le ministère de la santé de la politique de lutte contre le VIH/Sida. Sur ce sujet, la juridiction financière met en évidence quelques faiblesses de l'organisation administrative ainsi qu'une certaine dilution des crédits accordés aux associations.

Elle relève en particulier l'insuffisante interdirectionalité de cette politique, la direction générale de la santé conduisant de manière sans doute trop solitaire le pilotage au sein du ministère de la santé. Par ailleurs, la dimension interministérielle de la lutte contre le VIH est trop négligée et l'intervention des ministères de l'éducation nationale, de l'intérieur et de la justice est insuffisante. En outre, la Cour relève que le CNS, dont les travaux font pourtant autorité, n'est plus saisi de demandes d'avis de la part du gouvernement depuis 2003 et qu'il n'a pas été consulté sur les deux derniers plans pluriannuels de lutte contre le VIH. Il est souhaitable que cette situation évolue pour le prochain plan pluriannuel. Il faut également relever que les plans pluriannuels s'échelonnent imparfaitement dans le temps, puisque le dernier plan s'est achevé en 2008 et que le nouveau programme ne sera présenté que dans quelques semaines.

Enfin, la Cour formule deux observations importantes à propos des subventions accordées aux associations : d'une part, le ministère de la santé peine à connaître la manière dont sont utilisées les subventions accordées au niveau local par les groupements régionaux de santé publique (GRSP), ce qui rend difficile l'évaluation de l'efficacité de ces dépenses ; d'autre part, la structure des subventions accordées au niveau local fait apparaître une forte dispersion. La Cour considère que la dispersion des concours aux associations emporte d'importantes déséconomies d'échelle. Il est souhaitable que le transfert prochain des compétences des GRSP aux nouvelles agences régionales de santé (ARS) permette de faciliter une remontée vers le ministère des informations relatives à l'utilisation des subventions accordées dans le cadre régional et de limiter la dispersion de ces subventions pour renforcer leur efficacité. Ceci étant, l'audition des associations a aussi montré que le critère essentiel doit demeurer celui de la qualité des projets, certaines petites structures menant des actions qui ne sont pas prises en charge par les plus importantes.

En définitive, l'enquête réalisée par la Cour des comptes se révèle particulièrement utile et devrait être dès à présent prise en considération dans le cadre de la préparation du plan national IST-VIH 2010-2013, qui sera prochainement présenté par le Gouvernement. Il serait souhaitable que la commission puisse entendre prochainement la ministre de la santé afin de l'interroger sur le contenu du plan national et le suivi des recommandations formulées par la Cour.

Mme Muguette Dini, présidente, a proposé d'adresser le rapport d'information à la ministre de la santé, en lui faisant part des recommandations de la Cour et des propositions de la commission, en vue d'une audition ultérieure lui permettant d'apporter des réponses précises sur l'ensemble des questions posées.

M. Gilbert Barbier a estimé qu'une audition du directeur général de la santé serait également particulièrement utile pour évoquer la mise en oeuvre pratique des orientations politiques.

Mme Christiane Demontès a approuvé cette suggestion, relevant l'écart qui semble exister entre les engagements politiques et la mise en oeuvre administrative.

M. Gilbert Barbier a souhaité que le rapport d'information insiste non seulement sur le rôle de l'éducation nationale dans la prévention du VIH mais plus précisément sur la médecine scolaire qui peut constituer un maillon essentiel de l'éducation à la sexualité. A propos de la prise en charge thérapeutique, il a évoqué le débat existant sur le moment le plus propice pour commencer à mettre en oeuvre un traitement antirétroviral à destination des patients asymptomatiques, rappelant que la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ne prend en charge les traitements qu'à compter d'un seuil d'immunodépression qui n'est peut-être plus adapté au regard, notamment, du rôle que peuvent jouer les traitements dans la prévention de la contamination.

Mme Christiane Demontès a estimé que la recommandation de la Cour sur la dispersion des concours aux associations mérite d'être nuancée. Il est effectivement nécessaire d'avoir une connaissance précise des subventions accordées et de leur utilisation, mais certaines petites associations conduisent des actions dans des domaines où les structures plus importantes ne sont pas toujours présentes ; c'est notamment le cas des opérations conduites auprès des personnes prostituées. Le renforcement du pilotage de la politique de lutte contre le VIH doit permettre de sélectionner les projets dans de bonnes conditions, sans exclure a priori les associations en fonction de leur taille.

Mme Gisèle Printz a souligné le rôle essentiel que doit jouer la médecine scolaire dans la prévention du VIH.

Enfin, la commission a adopté les conclusions du rapporteur et autorisé la publication du rapport d'information.