Mardi 27 avril 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche - Audition de M. Guy Vasseur, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture

La commission procède à l'audition de M. Guy Vasseur, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA).

M. Jean-Paul Emorine, président. - Au nom de la commission, je souhaite la bienvenue au nouveau président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, Guy Vasseur. J'ai eu le plaisir de le rencontrer récemment à l'occasion de la visite du Président de la République dans son département pour parler des territoires ruraux. Qu'il n'en prenne pas ombrage, il est l'une des dernières personnes que la commission auditionne sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

Après le bilan de santé de la PAC, le ministre de l'agriculture de l'époque, Michel Barnier, a obtenu des évolutions, dont des crédits pour l'assurance contre les risques et aléas, qui n'ont pas donné satisfaction à tous. Le Gouvernement nous soumet aujourd'hui un projet de loi de modernisation agricole tout à fait adapté. Celui-ci devra néanmoins prendre en compte les perspectives de la nouvelle PAC après 2013.

La commission auditionnera, demain matin, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Dacian Ciolos, et débattra dans l'après-midi du projet de loi de modernisation agricole en présence du ministre de l'agriculture. Bref, si Guy Vasseur est l'une des dernières personnes auditionnées, je ne doute pas que son intervention sera prise en considération par le rapporteur parmi les premières.

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - Être auditionné parmi les derniers ne me semble pas une difficulté. Au contraire, cela représente un avantage...

Permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'APCA. J'ai remplacé Luc Guyau après son départ à la FAO sans qu'intervienne de changement à l'intérieur de l'équipe existante. Les chambres d'agriculture regroupent 7 500 collaborateurs. Nous travaillons essentiellement sur les aspects économiques, mais aussi environnementaux auxquels se consacrent 1 200 agents. L'APCA a pour rôle de mener une veille permanente et de faire des propositions sur les projets de loi relatifs à l'agriculture, mais aussi à l'environnement et aux territoires.

Ce débat législatif intervient dans un contexte économique désastreux pour l'agriculture. Presque toutes les productions sont touchées. Lors de la clôture des comptes de l'agriculture en fin d'année, la situation s'est révélée encore plus grave que nous ne l'avions imaginé. Dire qu'il y a un risque d'effondrement n'est pas exagéré. Ce contexte difficile est la conséquence, en grande partie, de la décision qu'a prise l'Europe depuis une quinzaine d'année d'abandonner les outils de gestion des marchés pour adopter une démarche libérale non encadrée. Oui au libéralisme encadré afin de permettre le développement des exploitations agricoles, non au libéralisme débridé de Bruxelles ! Merci au Sénat d'avoir accéléré le processus d'examen de ce projet de loi. Lors du salon de l'agriculture, le président du Sénat, que j'ai rencontré ainsi que d'autres sénateurs, dont le président Jean-Paul Emorine, ont parlé d'urgence. La loi peut contribuer à résoudre cette situation.

Nous partageons les objectifs de ce projet de loi tout en considérant que le texte, en sa rédaction actuelle, ne peut les atteindre. Nous proposerons donc des modifications élaborées avec d'autres organisations nationales agricoles en espérant que le texte ressorte du Parlement, en particulier du Sénat, largement amendé.

Nous sommes favorables à la mise en oeuvre d'une politique de l'alimentation, premier axe de ce texte, et notons d'ailleurs avec satisfaction que le ministre de l'agriculture est désormais appelé le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Au niveau des instances européennes, nous mettons toujours en avant la préoccupation alimentaire. Je m'y suis encore employé la semaine dernière lors de ma rencontre avec le commissaire européen Dacian Ciolos. Cette préoccupation est, au reste, largement partagée. Après que Luc Guyau m'a confié une réflexion sur la PAC après 2013, nous avons mené une quarantaine d'auditions. Organisations nationales agricoles, consommateurs, syndicats et associations environnementales comme « France nature environnement » mettent tous en exergue l'aspect alimentaire tant sur le plan de la sécurité, de la qualité que de la quantité. Nous étions alors début 2009 après les émeutes de la faim. Les journalistes, lors du « 20 heures », évoquaient le risque de pénurie de produits alimentaires. La prise de conscience a été accélérée par l'envolée des cours si bien que certains consommateurs se sont trouvés en difficulté, y compris dans notre pays à cause de la baisse du pouvoir d'achat. Le lien entre agriculture et alimentation est primordial. PAC, environnement et territoires sont la manière de répondre à cette préoccupation de nos concitoyens. L'enjeu en matière d'alimentation est d'abord de garantir son accessibilité à tous. Notre proposition, qui, je l'espère, sera largement soutenue, est d'inscrire clairement dans le texte la relation entre alimentation et production agricole. Il ne faut pas que, demain, l'alimentation se résume, pour les consommateurs, à une affaire de vitamines, d'omégas 3 et d'omégas 6.

Le deuxième axe de ce texte, le renforcement de la compétitivité et la défense des revenus agricoles, est un point important. Concernant la politique contractuelle et l'interprofession, la loi peut apporter des réponses. Pour autant, tout dépendra des décisions que la France parviendra à arracher à Bruxelles. Ne nous leurrons pas : la politique contractuelle peut constituer une solution, notamment pour le secteur laitier contraint d'évoluer du fait de la disparition définitive des quotas, mais à la condition que l'Europe encadre les marchés. Nous avons besoin d'une régulation minimale. Le libéralisme sauvage, je l'ai dit, ne peut résoudre les problèmes de l'agriculture française.

Une politique contractuelle serait également particulièrement bienvenue pour le secteur des fruits et légumes, qui connaît une crise chaque été. Dans le projet de loi, il est prévu que l'État fixera les termes du contrat. Pour nous, ce rôle revient aux interprofessions. En cas de carence, l'État se substituera à elles. Afin de renforcer le pouvoir des producteurs, nous souhaitons également un système de fixation de fourchettes de prix, comme il en existait un dans le secteur laitier il y a deux ou trois ans et qui a été récemment plus ou moins repris. Nous voulons que ce dispositif soit clairement appliqué à la production laitière et étendu à l'ensemble des productions, notamment les fruits et légumes, ce qui impose d'obtenir une modification du droit de la concurrence européen. Bruxelles avait rejeté le mémorandum déposé par la France il y a quelques années. Michel Barnier est récemment revenu à la charge à ce sujet. Le débat semble évoluer dans le bon sens. Pour autant, la France devra être volontariste pour obtenir gain de cause. Certains pays, tels la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Danemark qui ne s'impliquent pas dans l'Europe tout à fait comme nous le souhaiterions, connaissent des situations fort différentes. Le Danemark compte seulement deux opérateurs dans le secteur laitier. L'un détient 60 % du marché, l'autre 40 %. Ceux-ci ne respectent pas le droit de la concurrence européen au prétexte que leur dispositif préexistait à leur entrée dans l'Union. C'est inexplicable pour les acteurs de terrain comme pour les sénateurs ! Les accords doivent donc se négocier dans le cadre des interprofessions. Concernant les organisations de producteurs, nous souhaitons aller le plus rapidement possible vers le transfert de propriété ou le contrat commercial. Soit, l'idée n'est pas tout à fait mûre et le projet de loi prévoit qu'elle fera l'objet d'une étude approfondie d'ici 2013. Nous proposons que cette étude soit rendue dès 2012 afin de ne pas perdre du terrain. Entre-temps, ce projet aura mûri sur le terrain et les blocages, notamment dans le secteur de la viande bovine, seront peut-être levés.

J'en viens à la transparence sur les prix et la connaissance du marché. Oui à l'observatoire des prix, mais non à la transparence sur les coûts de production des agriculteurs, qui sont difficiles à établir. Si nous voulons davantage de lisibilité, il faut observer les marges, y compris celles de l'industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Dans le cas contraire, les agriculteurs seront pieds et poings liés dans leurs négociations avec les intermédiaires et la grande distribution, ce qui n'est assurément pas le but de ce projet de loi. Nous avons donc besoin d'un observatoire des marges. Ce dispositif a déjà donné des résultats pour le secteur laitier. Quoi qu'il en soit, les acteurs doivent être traités sur un pied d'égalité.

Nous souhaiterions, dans le cadre de ce projet de loi, voir mis en place un observatoire des distorsions de concurrence à vocation européenne. La France, en ce domaine, doit montrer l'exemple à ses partenaires.

Un mot sur la loi de modernisation de l'économie, dont il faut bien constater qu'elle n'a que peu changé les choses. Nous avons besoin d'un bilan. Si l'on veut mettre en place une politique contractuelle entre producteurs et filière agro-alimentaire, il faut aussi que cette politique contractuelle aille de l'agro-alimentaire à la grande distribution. Or, rien n'a avancé : les marges arrière de la grande distribution continuent de plomber le revenu des producteurs.

J'en viens à la gestion des risques. La loi entérine les décisions du bilan de santé de la PAC auxquelles nous étions favorables. Nous préconisons le développement du système assurantiel et des fonds sanitaires. L'État devrait s'engager à dresser un bilan de la réassurance afin que l'on puisse se prononcer, dans six mois, sur la réassurance publique. Le message politique n'a pas été assez fort. Si le système assurantiel couvre 50 % de la grande culture, ce taux descend à 20 % dans la viticulture et ne dépasse pas 2 % dans l'arboriculture. Le défi est bien de développer l'assurance dans ces deux derniers domaines. Or, si l'on vise un doublement, il faut qu'en cas de problème avec la réassurance privée, la réassurance publique puisse prendre le relais. Bercy nous dit, à tort, qu'il n'y aura pas de problème de réassurance privée, car l'augmentation des primes sera en réalité dissuasive pour les agriculteurs. C'est pourquoi ce principe de complémentarité doit être d'emblée clairement affiché. D'autant que d'autres productions doivent entrer dans le système, et notamment les prairies : personne ne s'y risquera s'il n'y a pas de réassurance publique. De ce point de vue, le projet de loi ne va pas assez loin.

Si la France veut développer le soutien aux agriculteurs dans le cadre de la PAC 2013, elle doit accompagner les agriculteurs pour le paiement de leurs primes d'assurance. Nous sommes aujourd'hui, ainsi que nous l'indique l'article 68 du bilan de santé, à 65 %, et cela sans qu'un euro supplémentaire ait été mis dans la corbeille par l'État. Mais nous savons tous que l'on pourrait fort bien tomber à 30 %. Si l'assurance devient trop coûteuse pour les agriculteurs, il faudra un système plus incitatif. Nous souhaiterions que les pouvoirs publics s'engagent sur une prise en charge minimum de 50 % de la prime.

Parmi les autres points du volet compétitivité figure le statut de l'agriculteur entrepreneur. Nous cernons mal ce que recouvre cette notion pour le Gouvernement. On nous dit qu'il s'agit d'inciter au système assurantiel. Mais d'autres incitations sont possibles, ainsi que je viens de le souligner. On nous dit que ces agriculteurs pourront toucher les aides européennes du second pilier : nous comprenons mal que la France invente ainsi une conditionnalité supplémentaire ! Nous préconisons, quant à nous, le renforcement de la cessibilité du bail pour promouvoir le développement du fonds agricole ; une transparence des EARL, pour plus d'équité entre agriculteurs ; des mesures plus spécifiques en faveur de l'installation des jeunes. Nous sommes donc totalement opposés au statut de l'agriculteur-entrepreneur.

Pour assurer la préservation du foncier agricole, deux approches sont possibles. On peut passer par une commission, mais nous aurions souhaité éviter la création d'une commission supplémentaire : il pourrait être envisagé de statuer via une session spécifique de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA). Mais cela, nous dit-on, étant de nature réglementaire, ne peut faire l'objet d'un amendement au projet de loi. L'autre solution propose la création d'une taxe destinée à freiner la disparition du foncier. Mais il faudrait qu'elle soit fléchée vers les dommages et les problèmes qui se posent, qu'elle vienne en soutien, en accompagnement, et soit prélevée par les collectivités territoriales, via leurs intercommunalités. Or, on nous propose ici qu'elle alimente le budget de l'État... En tout état de cause, et quel que soit le « tiroir-caisse » sélectionné, elle ne suffira pas à enrayer l'utilisation abusive du foncier dans un pays qui se classe, hélas, dans ce domaine, parmi les premiers : nous en sommes à 72 000 hectares d'espaces naturels disparaissant par an.

Le plan régional d'agriculture durable sera placé sous l'égide du préfet : la moindre des choses serait qu'il s'élabore en partenariat avec les conseils régionaux et que les chambres régionales d'agriculture et les professionnels soient associés. Pour éviter d'aboutir à vingt-deux dispositifs différents, il faudra que le cadre national soit clairement défini.

Dans le cadre du développement durable foncier, il conviendrait de rouvrir le dossier du photovoltaïque, fermé aujourd'hui pour les bâtiments agricoles, et en particulier les bâtiments d'élevage. Il serait bon, également, de n'autoriser le photovoltaïque que sur les sols désaffectés ou improductifs.

J'en viens aux chambres d'agriculture. Nous souhaiterions, dans le projet de loi, que des missions sur la forêt soient confiées aux chambres départementales. Un amendement adopté en loi de finances rectificative pour 2009 pose en effet problème : seule une partie - celle qui ne nous convenait pas - a alors été adoptée, tandis que celle relative aux missions des chambres, figurant autrefois dans le code rural, n'a pas été retenue. Depuis, l'action des chambres est bloquée. Le Gouvernement a fait des propositions. Nous en avons également à formuler, notamment le report à 2011 du transfert au niveau régional de 33 % de la taxe pour frais de fonctionnement des chambres départementales. Car si le texte n'est pas promulgué et ses décrets d'application pris en 2010, les chambres régionales ne pourront pas agir. Le texte de la loi de finances rectificative prévoyait en outre que l'année suivante, le transfert passe de 33 à 43 %. Mais ceci se justifiait par une augmentation de 1,5 % de la taxe, qui, elle, n'a pas été retenue. Évitons de créer des difficultés alors que s'engage une réforme des chambres d'agricultures, qui, même si l'objectif est de réaliser des économies, induira dans un premier temps, comme toutes les opérations de rapprochement, des charges supplémentaires. La Bretagne et la Corse illustrent les deux extrêmes de cette politique de rapprochement : il n'en reste pas moins que malgré ces diversités, nous adoptons une démarche de mutualisation. Le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche nous a déclaré, en décembre, qu'il nous donnerait les moyens de mettre en oeuvre les rapprochements. Mais nous manquons toujours de marge de manoeuvre : or, on peut apporter une réponse dans le cadre des missions forestières confiées aux chambres.

Nous portons deux ou trois propositions de modifications techniques pour faciliter les rapprochements et la régionalisation. Il faut, en particulier, éviter que les prestations entre chambres départementales d'une même région soient soumises à la TVA. Nous avons besoin, également, d'un cadre juridique pour sécuriser les fusions, dont trois sont en passe d'aboutir - celle des deux Savoies, celle du territoire de Belfort et du Doubs, celle du Nord et du Pas-de-Calais et de leur chambre régionale Nord-Pas-de-Calais.

M. Gérard César, rapporteur. - Je suis favorable à un observatoire des distorsions de concurrence: si l'on veut alléger les charges, il faut pouvoir comparer avec les autres pays européens. Mais nous avons voté la création d'un tel observatoire en 2006, dans la loi d'orientation agricole. Il ne reste donc qu'à l'activer.

L'autre question, fondamentale, à laquelle le président Jean-Paul Emorine est très attaché, concerne l'assurance contre l'aléa climatique. Il serait essentiel de négocier avec Bruxelles la possibilité d'ouvrir une ligne supplémentaire pour inciter les agriculteurs à s'assurer, sans pour autant rendre l'assurance obligatoire - car nous savons combien la marge de manoeuvre des agriculteurs est étroite. Il faudra, bien sûr, regarder de très près la dotation pour aléas et la dotation pour investissement. Reste que la garantie de réassurance privée, j'ai eu l'occasion d'y insister, doit être complétée par l'assurance publique si l'on veut voir se développer l'assurance pour aléa climatique. J'insiste également sur la suppression des « trois R » - remises, rabais, ristournes.

M. Charles Revet, corapporteur. - Les difficultés d'implantation que rencontrent les aquaculteurs ont eu pour conséquence de diviser par deux, en sept ou huit ans, la production aquacole. Dans mon département, d'énormes problèmes se posent. Le schéma départemental d'organisation et d'affectation pourrait, en ce domaine, jouer un rôle intéressant. J'aimerais connaître votre point de vue.

La régulation et la contractualisation sont deux axes sur lesquels le ministre a beaucoup insisté. Mais je cerne mal les moyens pour y parvenir. Alors que la régulation est de responsabilité européenne, l'interprofession ne pourrait-elle jouer un rôle de réflexion ?

M. Marcel Deneux. - Je partage les propos du président Guy Vasseur. Mais il me semble qu'ils s'inscrivent quelque peu en porte-à-faux au regard de ce texte. Vous portez presque un choix politique différent. Au lieu de l'agriculture d'entreprise, vous privilégiez la société de personnes. J'ai, il y a près de cinquante ans, contribué à la loi du 8 août 1962 créant les groupements agricoles d'exploitation en commun, les Gaec. Il me semble que vous défendez ici l'idée d'une agriculture à dimension moyenne, qui pourrait être le visage de l'agriculture européenne. J'observe enfin que vous représentez une organisation qui tient sa légitimité du suffrage : il faudra en tenir compte...

Un mot sur l'organisation des marchés et les transferts de propriété. On ne peut pas, j'en ai la conviction, organiser les marchés sans transferts. Or, nous rencontrons des difficultés dans le marché de la viande bovine. On sait qu'il existe des mystifications... Je ne dirai rien des groupements de producteurs « bidon » : l'une de nos auditions a été riche d'enseignement là-dessus.

Autre question : quelle est votre position sur l'article 72 D bis du code général des impôts, qui lie le bénéfice de la dotation pour amortissement (DPA) à l'obligation d'assurance ?

Mme Élisabeth Lamure. - Vous avez mis en cause la loi de modernisation de l'économie, sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé. C'est une grande loi, qui compte beaucoup de dispositions positives, mais qui rencontre des difficultés d'application du fait d'un rapport de force déséquilibré entre distributeurs et fournisseurs. Nous y avons réfléchi, et notre groupe de travail, dans son rapport d'étape, estime qu'il faut revoir ces relations commerciales, pour mettre fin à certains comportements anormaux, pour ne pas dire mafieux. Il convient d'apporter à la loi les adaptations nécessaires : vos propositions de correctifs seront les bienvenues.

Sur la question de la viticulture, je tiens les conclusions du rapport de Jérôme Despey au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, Bruno Le Maire, pour très réalistes. J'aimerais connaître votre point de vue sur l'organisation des filières. Que pensez-vous de l'idée d'un regroupement par bassin et interprofession, uniquement pour les vins sans indication géographique ? Quel est, enfin, votre point de vue sur la question du financement de la promotion des vins à l'exportation ?

M. Jean Boyer. - Il s'agit pour vous d'assurer la coordination au niveau national des diverses conceptions de l'agriculture. Mais votre organisation n'étant plus majoritaire aujourd'hui, cela ne vous pose-t-il pas des difficultés pour représenter les différentes sensibilités agricoles ?

Pensez-vous que l'Europe puisse apporter un plus à l'agriculture, étant donné les disparités non seulement de production mais aussi sociales en son sein ? Un exemple suffira à les illustrer, celui du prix d'intervention pour le maïs, qu'il a fallu augmenter, tandis que la Pologne se satisfaisait parfaitement du prix plancher. Comment contourner l'obstacle ?

Vous avez peu abordé la question de la complexité administrative. Nos agriculteurs sont découragés devant tant de papiers à remplir. L'application des règles manque trop souvent de bon sens, et l'esprit tatillon de certaines administrations choque la « France d'en bas » agricole.

En conclusion, monsieur le président l'agriculture est dans une situation difficile, quelles perspectives lui voyez-vous ?

Mme Renée Nicoux. - Vous attirez notre attention sur la consommation de foncier par le photovoltaïque, qu'en est-il de la production agricole à vocation énergétique, par exemple le miscanthus ?

M. Gérard Bailly. - La réactivation d'un observatoire des prix est une bonne chose, car nous produisons aujourd'hui trop cher et le prix est évidemment une variable décisive.

S'agissant de la contractualisation, ne pensez-vous pas qu'il faut impliquer la distribution au risque, sinon que le face-à-face entre producteurs et transformateurs n'aboutisse à des contrats peu satisfaisants.

Une autre question, plus technique : ne devrait-on pas changer la règle qui oblige un jeune agriculteur à apporter du foncier en adhérant à un Gaec ? Elle rend plus difficile l'installation, alors que les jeunes agriculteurs pourraient tout à fait apporter du foncier après quelques années.

Enfin, reviendra-t-il à l'interprofession de fixer les plans de campagne et les volumes des AOC et autres produits avec indication d'origine géographique ?

M. Rémy Pointereau. - La loi ne devrait-elle pas s'appeler « d'adaptation » agricole, plutôt que de modernisation, les agriculteurs s'étant amplement modernisés depuis cinquante ans ?

Vous parlez du partage des marges avec la grande distribution, on sait ce qu'il en est pour les fruits et les légumes, la viande ou le lait, mais que pensez-vous de la situation pour les céréales et les oléagineux, qui échappent à cette problématique ? Les céréaliers manifestent aujourd'hui, ils s'inquiètent. Or, même si le principe de la contractualisation est amélioré, ce n'est pas en augmentant le prix de 3 euros la tonne qu'on règlera tous les problèmes.

L'observatoire des prix est certainement une bonne chose, tant le prix est déterminant dans la concurrence, mais un observatoire sans pouvoirs sera inutile !

Les contraintes environnementales ajoutent des charges pour les agriculteurs mais pas de valeur ajoutée: il faudrait au moins en évaluer l'impact, pour bien mesurer leur incidence sur les prix.

Quelle est votre position, enfin, sur les Safer : pensez-vous qu'elles dépassent leurs compétences ? Qu'en est-il des commissions départementales d'orientation agricole (CDOA), où les contentieux se développent entre propriétaires et fermiers ? Ce projet de loi n'offre-t-il pas l'occasion de revoir un peu les choses ?

M. Philippe Leroy. - J'avais compris que le passage de 33 % à 43 % du reversement de la taxe au bénéfice des chambres régionales d'agriculture, s'il était repoussé d'un an, n'était néanmoins pas remis en cause. Ce texte affecte les sommes supplémentaires notamment aux schémas régionaux de mobilisation des bois, associant chambres régionales et départementales d'agriculture. On comprend bien que le passage à 43 % soit repoussé, rien n'étant prévu pour utiliser les sommes supplémentaires dès cette année, mais le principe me paraissait acquis ; sa remise en cause nécessiterait au moins une discussion. La politique forestière a trop longtemps manqué de financements et les chambres d'agricultures ont un grand rôle à jouer pour lui apporter les moyens nécessaires : on l'a vu dans les Vosges, où elles sont à l'origine d'une politique forestière spécifique.

Dans mon département, nous nous interrogeons sur la possibilité d'encourager les circuits courts, entre le producteur et les consommateurs. Nous gérons 100 collèges, soit 40 000 repas à la cantine par jour. Comment faire pour que les élèves y mangent de la viande d'animaux élevés dans le département ? Les commerces alimentaires sont également intéressés par la vente de cultures maraîchères : c'est d'autant plus pertinent que nous pouvons associer des chantiers d'insertion aux cultures maraîchères locales, car nous avons en Moselle aussi bien des territoires ruraux que des territoires urbains en difficulté. Comment développer les filières courtes dans les marchés publics alimentaires ? Comme administrateur d'un groupement de producteurs de lait, j'ai constaté que la marge est très étroite face aux grands groupes, mais avec les filières courtes, on peut faire bien davantage pour les territoires, pour l'emploi. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Guillaume. - Dans la loi relative au Grenelle de l'environnement, nous avions déposé deux amendements pour encourager les circuits courts, mais tous deux ont été repoussés par la commission comme par le Gouvernement. Je me réjouis donc d'entendre Philippe Leroy en faire l'éloge et j'espère qu'il sera entendu. Dans son discours de Morée, en Loir-et-Cher, le Président de la République a dit, littéralement, que ça ne pouvait plus durer et qu'il fallait changer la loi pour que les marchés publics fassent une place aux circuits courts : la majorité ne devrait pas être insensible aux amendements que nous présenterons dans ce sens ! Si les restaurants scolaires achetaient aux producteurs locaux plutôt qu'à de grands groupes, la donne en serait modifiée pour l'agriculture tout entière !

Nous avons conduit de très nombreuses auditions sur ce texte et faisons le constat d'une belle unanimité pour dire que ce projet de loi est inadapté, très loin des attentes des agriculteurs, un coup d'épée dans l'eau : le Parlement doit l'améliorer en profondeur ! Pensez-vous que des amendements sont susceptibles de redonner confiance aux agriculteurs ?

M. Alain Chatillon. - La simplification des procédures est très attendue : les agriculteurs sont excédés de devoir passer jusqu'au tiers de leur temps avec de la paperasserie incompréhensible.

La moralisation est elle aussi très importante, je parlerai ici, moi aussi, d'adaptation : s'il me paraît utopique de supprimer les remises, rabais et ristournes, car les Allemands et les Hollandais seraient les premiers à en bénéficier, il n'est pas difficile d'empêcher le retour de marchandises de grandes surfaces. Il suffit pour cela que la loi interdise la remise en nature, les industriels comme les agriculteurs y verront un très bon signal.

Troisième point important : l'accompagnement par l'Etat de la réassurance, c'est une très bonne chose.

Enfin, quatrième point d'importance : la valorisation par l'innovation. Les vétérinaires ont compris bien avant les médecins l'importance de la prévention par l'alimentation et nous devons valoriser les produits alimentaires en informant mieux sur leurs composants et leurs propriétés. On vend en pharmacie des vitamines et autres Oméga 3, qui se trouvent naturellement dans les aliments, il faut le faire savoir et valoriser les produits naturels plutôt que les compléments alimentaires proposés par les lobbies : ce sera autant de médicaments en moins, et d'économies en plus pour la Sécurité sociale !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - Merci pour toutes ces questions, dont certaines dépassent le cadre du projet de loi.

- Nous avons lancé une vaste étude sur les distorsions de concurrence dans toutes les filières, que nous souhaitons la plus exhaustive possible et que nous conduisons avec les instituts techniques, les filières, les territoires. Le ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche réalise de son côté une étude davantage axée sur l'agroalimentaire, qui est complémentaire. Notre objectif est de voir où se trouve désormais la France, qui s'est fait ravir la première place par les Pays-Bas puis par l'Allemagne ! L'agriculture est délocalisable, peut-être pas le vignoble de Banyuls, mais la crise laitière de l'an passé a démontré que nos territoires ne peuvent pas retenir facilement toutes leurs productions et qu'ils ont bien du mal à restaurer une position avantageuse après. Notre étude examine tous les aspects de la compétitivité, y compris les contraintes environnementales et les mesures administratives. L'Allemagne est devenue un concurrent très sérieux, pour le lait, on le sait, mais aussi pour les fruits et légumes : la production de fraise allemande a doublé en dix ans.

Notre agriculture a des atouts. D'abord, le foncier n'est pas cher...

Mme Jacqueline Panis. - Ce n'est pas un atout !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. -... et des fermages qui ne sont pas chers non plus. Ensuite, nos agriculteurs, contrairement à une idée reçue, ne sont pas suréquipés. Enfin, ils disposent de taux d'intérêt parmi les plus bas d'Europe. Ils sont cependant parmi les plus endettés, ce qui démontre bien que l'agriculture n'apporte pas de revenus suffisants, que l'autofinancement n'y est dès lors pas assuré, ce qui oblige les agriculteurs à s'endetter toujours plus. Nous y verrons plus clair au début de l'été, avec les premiers résultats de notre étude.

Le différentiel est important aussi s'agissant des charges sociales. En Allemagne, il n'y a pas de Smic - je n'en demande pas tant et les saisonniers, par exemple, ne sont pas assez payés -, il n'y a pas de charges sociales pour l'emploi agricole jusqu'à 5 heures par jour et la directive Bolkestein s'applique. Le Gouvernement a fait des efforts, nos charges sociales ont diminué de 12 à moins de 10 euros, mais l'Allemagne est à six euros... Les distorsions de concurrence créent des situations déplorables : des porcs bretons ou danois sont abattus et équarris en Allemagne, c'est absurde, et certainement pas un gain en terme de bilan carbone.

Idem pour les contraintes environnementales : une molécule phytosanitaire est interdite en France, mais autorisée en Espagne, juste de l'autre côté de la frontière : est-ce raisonnable ? Il faut une harmonisation.

Le Président de la République a donné la méthode, en appelant la réforme à suivre trois principes : l'harmonisation avec le reste de l'Europe, la baisse des coûts de notre agriculture, le gain pour la société en général. Nous devons réexaminer à cette aune l'ensemble de nos règles. Il faut envoyer un signal politique fort, prendre en compte toutes les contraintes et redonner toute leur place au pragmatisme et à la science agronomique, plutôt que de suivre des doctrines. Nous avons des marges de manoeuvre, certaines ne coûtent rien.

- J'étais contre la DPA, j'avais prévenu que le dispositif DPI-DPA serait complexe, que la lecture en serait brouillée. Ce qui compte désormais, c'est surtout que l'Etat accompagne bien la réassurance.

- Sur les ristournes, rabais et remises, je suis d'accord avec vous.

- Sur l'aquaculture, je regrette qu'on ne puisse développer les retenues d'eau et les étangs. La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques avait accordé la possibilité de créer des retenues, mais elle n'est pas appliquée.

Ce principe a beau avoir été réaffirmé dans le Grenelle, il ne se passe rien sur le terrain ! Dans notre pays, les lois sont détournées en permanence ! Si j'étais le législateur, je me fâcherais !

M. Jean-Paul Emorine, président. - C'est ce que nous allons faire !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - En matière d'aquaculture, il devrait y avoir une fenêtre de tir dans les années à venir, il existe des expériences en Sologne ou dans la Brenne mais il faut nous ressaisir !

- Nous n'avons pas présenté de propositions sur le transfert de propriété, mais si l'on veut peser, il faudra en passer par là. Certaines grosses coopératives ne relèvent plus d'une démarche de proximité. Pour reprendre votre expression, il y a des groupements « bidon » ! D'accord si c'est un point de passage, mais cela ne doit pas devenir permanent ! Nous souhaitons qu'il y ait au moins un contrat commercial.

- En matière de viticulture, l'absence d'indication géographique est dangereuse. L'appellation « vin de France » peut être porteuse, comme elle peut être destructrice pour certains terroirs.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Il y a pire : « vin d'origine européenne » !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - Il faut revenir sur les droits de plantation. Les Italiens n'en ont cure : ils se sont toujours arrangés avec le cadastre ! Face à la concurrence des pays de l'Est, dotés de bons terroirs, et qui vont disposer d'excellents oenologues et des commerciaux dynamiques, nos appellations sont en danger !

- Le président de l'APCA ne fait pas la synthèse de toutes les sensibilités syndicales, mais de tous les territoires.

- S'agissant des disparités sociales, l'obstacle n'est pas l'Europe, mais le manque d'Europe ! La construction européenne ne peut que renforcer nos positions !

- Présidence de M. Marcel Deneux, vice-président -

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - C'est le rôle des chambres d'agriculture de s'inscrire dans une démarche prospective. Il faut revenir à la régulation, à l'orientation des productions. Il y a des débouchés, par exemple en matière de protéines végétales. La recherche doit nous apporter des réponses ; la commande publique doit être plus forte. Pour le miscanthus, par exemple, un meilleur rendement énergétique par hectare éviterait la concurrence entre productions alimentaires et non alimentaires.

- Ce projet de loi ne répond pas aux ambitions affichées. Il pourra être renforcé par nos propositions, par vos amendements, mais il faudra se battre également au niveau européen. Si le Parlement, le Gouvernement, les organisations agricoles, quelle que soit leur sensibilité, sont sur la même ligne, nous pourrons faire avancer les choses.

- Il faut un contrat entre agriculteurs et industrie agroalimentaire d'une part, entre industrie agroalimentaire et grande distribution d'autre part. Sinon, le premier couple continuera d'être laminé - sauf à revisiter la LME pour limiter les comportements abusifs de la grande distribution.

- S'agissant des plans de campagne, chaque interprofession pourra définir son propre cadre. Pour le fromage, les choses sont plus faciles dans le Jura qu'ailleurs...

M. Gérard Bailly. - Pas évident d'obtenir une approbation nationale : il serait plus simple de laisser les partenaires se mettre d'accord entre eux !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - Dans le Jura, il n'y a pas de télescopage avec les autres produits laitiers, mais ce n'est pas le cas partout. Il faut toutefois prendre en compte les particularités.

- La production de céréales, d'oléagineux est organisée en amont, avec un système coopératif et un système de négociant ; elle est moins atomisée que d'autres. Il faut obtenir, au niveau européen, régulation, filet de sécurité et flexibilité des aides - ce qu'interdit un budget européen annuel. Pour faire bouger les choses, il faudrait une volonté politique, et l'adhésion de nos partenaires : ce n'est pas gagné ! L'opinion comprendrait mieux que l'on aide davantage les agriculteurs quand la situation est dégradée, et moins en période prospère. Il faut revenir aux fondamentaux de la PAC, avec un double filet de sécurité, pour les agriculteurs et pour les consommateurs.

- Sur les Safer, que chacun s'en tienne à la mission que lui confie la loi !

- Dès lors que l'augmentation de 1,5 % de la taxe pour frais de fonctionnement a été rejetée, on ne peut pas passer si rapidement à un transfert de 43 % : nous vous proposons de repousser cette hausse à plus tard, en renvoyant au décret. Le département des Vosges est le plus engagé dans cette démarche.

M. Jackie Pierre. - Il a augmenté les impôts plus fortement que les autres départements pour se donner les moyens de mener une action forestière. Aujourd'hui, ce service va disparaître : c'est inadmissible !

M. Guy Vasseur, président de l'APCA. - Dans notre démarche, ni le département des Vosges ni la forêt des Vosges  ne disparaissent, pas plus que l'action de la chambre d'agriculture des Vosges. Celle-ci peut piloter l'action régionale : ce n'est pas toujours le chef-lieu qui s'impose.

- S'agissant des circuits courts, il est urgent de revoir les cahiers des charges, y compris en matière d'agriculture biologique. Les régions qui voulaient généraliser le bio dans les cantines scolaires en sont vite revenues : il aurait fallu importer ! Je ne parle pas du bilan carbone ! Pour développer le bio, les groupements ne suffiront pas : il faut renforcer le rôle des chambres d'agriculture. Dans le Loir-et-Cher, la chambre d'agriculture a privilégié une démarche contractuelle. Les circuits courts ne sont plus ceux de nos grands-parents : aujourd'hui, il faut les professionnaliser. Les circuits peuvent aussi relier directement producteurs et consommateurs.

- Le lien entre agriculture et alimentation est essentiel, mais il est également important que la communication sur les omégas ne soit pas le monopole des pharmaciens.

M. Joseph Giroud, secrétaire général de l'APCA. - Nous avons délégué la politique agricole à l'Europe ; si celle-ci se refuse à renforcer l'agriculture européenne, nous n'y arriverons pas ! Il faut se battre et le ministre s'y est attelé. Nous devons multiplier nos efforts, sur le plan professionnel, avec nos collègues européens. En quinze ans, les États-Unis n'en ont pas fait autant que nous pour se plier aux règles de l'OMC ! Eux protègent leur agriculture quand la nôtre est très exposée ! La loi française et la politique européenne doivent avancer de pair.

- Si l'on ne va pas au bout de la démarche en matière de gestion des risques, en intégrant un maximum d'agriculteurs, et que l'on continue le démantèlement du fonds des calamités, le réveil sera douloureux. Même si le système n'offre pas une garantie suffisante, il a permis de sauver nombre d'exploitations.

- Les conseils d'administration des Safer comprennent des représentants des collectivités locales. Ce n'est pas la structure qui est en cause mais les décisions prises en son sein : on ne peut continuer à démembrer le foncier agricole à chaque changement de propriétaire ! Dans le Rhône, où la propriété est très atomisée et la pression urbaine forte, tout le monde compte sur la spéculation. Impossible de restructurer les exploitations pour installer un jeune !

- Le rapport de Jérôme Despey ouvre des pistes pour une meilleure promotion des vins à l'étranger. Les appellations peuvent aujourd'hui être un handicap ; la réforme de l'INAO n'a pas facilité les choses. Il faut des marchés avec des assises-produits suffisantes. Aujourd'hui, le négoce de terroir a disparu : c'est à l'interprofession d'être force d'organisation. En Afrique du Sud, il y a un seul exportateur, qui s'offre les têtes de gondole sans problème ! Il nous faut une organisation plus efficace, pour cesser de subir la crise.

Enfin, vous avez évoqué le traitement des personnes dans les sociétés. Aujourd'hui, il faut une addition de surface pour bénéficier des prêts bonifiés. Ce n'est même pas la peine pour un jeune d'entrer dans le système ! Il faut privilégier la valeur ajoutée, à travers les cultures spécialisées, l'irrigation ou la transformation et la vente directe. Le projet économique doit primer sur la surface ! Si l'on veut limiter la concentration, il ne faut pas imposer à un jeune qui veut rentrer en Gaec avec son père d'apporter de la surface supplémentaire ! Nos propositions vont dans ce sens.

Mercredi 28 avril 2010

- Présidence commune de M. Jean-Paul Emorine, président, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche - Audition de M. Dacian Ciolos, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Dacian Ciolos, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le commissaire, vous êtes particulièrement attendu. Les agriculteurs doutent de leur avenir et s'inquiètent. Si l'Europe doit être ouverte au monde, elle ne doit pas être offerte. Au temps de la volatilité des prix et de l'instantanéité, l'Union européenne doit disposer d'outils de négociation réactifs. Nous croyons que l'agriculture sera au coeur de la modernité du XXIe siècle et que la politique agricole commune (PAC), qui a été un élément fédérateur de la construction européenne, restera demain indispensable.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Nous sommes à un moment charnière pour l'agriculture européenne et la PAC, à la fois entre deux réformes, le bilan de santé et le débat prochain sur le projet de loi de modernisation agricole, et entre deux exigences, de court terme, pour passer la crise, et de long terme, pour assurer la pérennité de la PAC.

Je rappelle que vous connaissez parfaitement la France et l'agriculture, notamment l'agronomie, étant diplômé, en ce domaine, de plusieurs universités françaises.

M. Dacian Ciolos. - Pendant cette période que vous évoquez, j'ai compris l'attachement français à l'Europe. J'espère que la France continuera de soutenir le projet européen de façon aussi intense que par le passé. Ma présence parmi vous est aussi une conséquence du traité de Lisbonne qui implique la coopération et les échanges entre les institutions communautaires et les parlements nationaux.

Cette mission me conduit aujourd'hui chez vous, comme je l'ai fait hier au Danemark, et comme je le ferai demain dans d'autres pays de l'Union.

Plusieurs autres secteurs ont subi les effets négatifs de la crise mondiale. Pourtant, quand la crise agricole affecte l'alimentation, les territoires, elle devient alors plus visible que lorsqu'elle atteint les autres biens de consommation et justifie d'autant une politique agricole et notamment une politique agricole communautaire.

Pour reprendre la distinction entre court et long terme, il existe aujourd'hui des mécanismes d'intervention sur le marché qui, de plus en plus, jouent le rôle de filet de sécurité, et dont nous devons nous assurer qu'ils donnent des résultats. Les perspectives sont liées à la réforme de la PAC. Il faut deux ou trois ans pour préparer une réforme d'envergure. Cela avait été le cas pour la réforme en 2003 ; cela sera le cas cette fois encore afin de repenser la PAC à l'horizon 2020 et au-delà. D'autant plus qu'il faut prendre en compte la nouvelle situation de l'Europe des Vingt-sept.

Avec les derniers élargissements de 2004-2007, l'Europe a renforcé sa capacité, mais aussi sa diversité agricole. Il n'y a pas une agriculture européenne, mais des agricultures et même des territoires agricoles européens.

Au-delà de la diversité des territoires, il y a aussi une multiplication des objectifs. La sécurité alimentaire est l'élément-clé de la PAC et ce point est d'ailleurs renforcé par le traité de Lisbonne, mais le contribuable citoyen est lui aussi impliqué dans les enjeux de la PAC. Il y a la question budgétaire, la question environnementale, les conséquences de l'activité agricole sur l'activité économique des territoires, sans oublier les préoccupations sur le changement climatique. L'agriculture peut et doit donner sa contribution. Elle l'a fait et est même l'un des secteurs qui a déjà le plus contribué à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (de l'ordre de - 20 % depuis 1995 contre - 8 % pour les autres secteurs). Mais elle doit continuer à le faire. L'agriculture doit faire partie du projet UE 2020 de relance d'une croissance durable, intelligente et inclusive. Le processus d'innovation s'applique à l'agriculture.

Quelques détails de calendrier. Le débat PAC intéresse la société tout entière et est préparé par un grand débat public. La Commission fera une synthèse de ce débat public en juillet 2010, préalable à des premières orientations sur la PAC de l'après 2013 attendues pour novembre 2010. En juin 2011, la Commission préparera un paquet législatif. Le processus de décision aboutira fin 2012.

M. Gérard César. - Les lois nationales doivent accompagner l'évolution du cadre communautaire. Encore faut-il disposer de marges de manoeuvre qui ne soient pas entravées par le droit européen. Pensez-vous que le système d'assurance contre les risques et les aléas agricoles pourra être développé ? Concernant la viticulture, que pensez-vous de l'abandon du régime des droits de plantation ? Je rappelle à ce propos que la Chancelière allemande s'est prononcée pour leur maintien jusqu'en 2018.

Mme Bernadette Bourzai. - La répartition inégalitaire des aides de la PAC est une des critiques qui lui sont faites. Il y a notamment un régime très différencié entre les aides directes attribuées aux nouveaux États membres et celles attribuées aux quinze anciens États membres. Ce sujet a d'ailleurs été évoqué dans un rapport récent de la commission de l'agriculture du Parlement européen (le rapport « Lyon »). Comment améliorer ce point ?

Les agriculteurs français considèrent que les conditions de concurrence avec les autres États membres seraient parfois déloyales dans la mesure où les règles environnementales et sociales ne seraient pas respectées de la même façon partout en Europe. Un État n'a aucun moyen de vérifier ces allégations. Seule la Commission est en mesure de le faire. Comment peut-elle s'assurer que les normes environnementales et sociales sont respectées partout en Europe ?

Le découplage total des aides directes présente de nombreux risques pour les zones montagneuses et les zones d'élevage. Que pensez-vous du maintien du couplage dans ces régions ?

Mme Odette Herviaux. - J'apprécie votre esprit d'ouverture. Vous avez raison de rappeler que les réformes prennent et doivent prendre du temps. Mais ce temps institutionnel peut aussi s'avérer inadapté. L'expérience de la réforme de 2003 a montré que certaines décisions sont déjà obsolètes. Les outils de régulation ne sont pas dépassés, mais, aujourd'hui, sont utilisés uniquement en période de crise. Avec la volatilité des prix, il faut penser la régulation comme un dispositif applicable en continu.

Concernant le secteur laitier, la préparation de la nouvelle loi agricole ne devrait-elle pas être accompagnée d'un assouplissement des règles de concurrence ? Peut-on garder l'idée d'un prix plancher d'accompagnement ?

L'agriculture roumaine est un bon exemple de la diversité agricole européenne. Quel est l'avenir des petites structures, qui reflètent aussi d'une certaine façon, des choix humains et culturels.

M. Jacques Blanc. - Vous êtes un espoir pour nous. Je vous ai entendu au comité des Régions et votre présentation aujourd'hui confirme cette impression. Quel est votre avis sur l'avenir du développement rural et sur l'articulation entre le premier et le deuxième piliers de la PAC ? Le développement rural est particulièrement important en zone de montagne, et j'espère que ces zones seront confortées dans leur double spécificité, économique et environnementale. La poursuite de la cohésion territoriale, devenue un objectif de l'Union, supposerait une approche spécifique, adaptée à ces régions.

M. Dacian Ciolos. - Pour les aléas climatiques, le système assuranciel a déjà été discuté lors du bilan de santé. On peut envisager un système mixte fondé sur un filet de sécurité, adapté aux situations de crise, et sur des fonds assuranciels, utiles à la stabilité des revenus. Car il faut distinguer les crises occasionnelles et la volatilité des prix, qui peut être tout aussi dévastatrice, mais qui appelle une gestion spécifique. Pour les prix agricoles payés aux producteurs, il faut renforcer la capacité de négociation des agriculteurs, en renonçant au régime des prix administrés qui a montré son inefficacité et son coût. Il faut aujourd'hui trouver d'autres instruments.

Je rappelle que l'abandon des droits de plantation en viticulture résulte d'une décision du Conseil et qu'il ne paraît pas souhaitable de revenir sur cette décision. En revanche, en application du principe de subsidiarité, on peut parfaitement imaginer de prolonger le système de droits pour certaines appellations ou pour certains terroirs.

La répartition inégalitaire des aides sera abordée avec la question des droits de paiement unique (DPU). Ceux-ci doivent correspondre aux objectifs de la PAC et aux attentes de la société. L'uniformité est inapplicable, mais il faut aussi renoncer aux références historiques, qui ne sont plus justifiables.

Le maintien du couplage existe encore pour certaines productions. Il y a un vrai clivage entre États membres sur ce sujet car certains États considèrent que le couplage est distorsif. Mais il faut aussi être conscient que le couplage peut être nécessaire au maintien d'une activité agricole qui, au-delà de l'intérêt économique, présente aussi un intérêt territorial et social.

La régulation publique est utile. Il y a une urgence pour le secteur du lait. Les conclusions du groupe de haut niveau sont attendues pour la mi-juin et la Commission présentera un paquet législatif d'ici la fin de l'année.

Monsieur Bizet a raison de relever que l'évolution de la PAC suppose probablement une évolution du droit de la concurrence. La négociation des prix se fait entre parties inégales, entre des acheteurs concentrés et des producteurs éclatés, aussi inégaux que l'éléphant et la souris. Il faut certainement redonner du poids aux producteurs dans les négociations de prix. Cette question est très débattue, notamment au sein du groupe de haut niveau sur le lait.

Concernant la petite agriculture, je suis convaincu que la diversité est une richesse et que la petite agriculture peut être compétitive, et peut dégager des revenus sur un territoire, à condition de cibler son offre en travaillant sur les productions de qualité, les marchés locaux, les circuits courts. Je peux même dire que ce sont les petites exploitations qui sont les mieux placées et qui ont le plus de potentiel sur ces créneaux.

L'agriculture a évidemment un rôle décisif dans la cohésion sociale et territoriale. Dans bien des régions, quelle autre activité peut créer de l'emploi et faire vivre un territoire ?

M. Marcel Deneux. - Tout ce que vous dites me convient, mais ne parvient pas à m'ôter toute inquiétude. Comment résister aux pressions internationales, politiques et même idéologiques ? Beaucoup de réformes de la PAC ont été inspirées d'une sorte de pensée économique unique, répandue à l'OCDE, mais inadaptée à l'agriculture.

M. Robert Navarro. - Le budget de la PAC paraît compromis. Une solution pour garder le même niveau d'aide serait d'augmenter, voire de doubler le budget communautaire, ce qui permettrait de faire baisser la part de la PAC au sein de ce dernier.

M. Roland Courteau. - Le 23 mars dernier, le Parlement européen a adopté le rapport Scotta sur l'étiquetage de produits alimentaires afin de garantir que les consommateurs seront informés de la qualité des aliments. Or, on ne peut garantir la qualité si on libéralise les droits de plantation. Il y a une incohérence qu'il faut lever, sauf à s'engager délibérément dans une nouvelle crise vinicole. Par ailleurs, les actions de promotion sont-elles bien ciblées ? Toujours dans le secteur vitivinicole, ne communique-t-on pas trop à destination des pays tiers alors que les consommateurs sont d'abord européens ?

M. Martial Bourquin. - Les propos sont rassurants, la régulation par exemple est un concept intéressant qui peut prendre le relais de la PAC et être un bon intermédiaire entre une économie ouverte et une économie administrée, mais ces annonces devront être suivies par des actes. Le risque est de ne considérer la régulation que comme un outil de gestion de temps de crise alors qu'elle doit être aussi un outil de prévention. Ceux qui ont choisi d'être compétitifs et qui ont investi doivent avoir des revenus, or, aujourd'hui, ce sont les premiers pénalisés !

M. Gérard Le Cam. - La question des prix agricoles renvoie à la question du partage équitable de la valeur ajoutée et des moyens. La réforme de la PAC ne peut être envisagée sans examen des conditions de concurrence.

Par ailleurs, la fin des quotas laitiers a été une catastrophe environnementale, car bien souvent l'élevage laitier à l'herbe a été remplacé par des cultures qui polluent bien davantage.

M. Gérard Bailly. - Il y a aujourd'hui plus d'un suicide d'agriculteur par jour. Il y a une urgence à aider cette population en grande souffrance. La situation est connue, mais il semble que l'administration ne s'en soucie guère. En cas de dépassement de quota, les pénalités tombent à peine quinze jours plus tard ! Est-ce bien le moment de montrer une sorte d'exemplarité dans la rigueur, quand tant d'agriculteurs souffrent ?

M. Benoît Huré. - La PAC souffre d'un manque de pédagogie. On ne comprend pas l'articulation entre l'argent public, relativement abondant, et les prix dérisoires.

M. Jacques Muller. - La PAC plonge ses racines dans l'après-guerre : il fallait des intrants, de la productivité et de la spécialisation. Le nouveau contexte n'impose-t-il pas une autre approche, par filière, plus intégrée ?

M. Jean Boyer. - La diversité est certainement un atout, mais peut être aussi un handicap, quand elle se transforme en disparité. Comment lutter contre les disparités sociales ?

M. Paul Raoult. - Il faut anticiper de nouvelles tensions géopolitiques mondiales dues à la pression démographique. Quelle sera la place de l'alimentation dans ce contexte ? Les productions alimentaires peuvent-elles entrer en concurrence avec les productions à valorisation énergétique ?

M. Yannick Botrel. - Les normes environnementales sont-elles vraiment respectées partout en Europe ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Quelle est votre stratégie à l'égard des négociations de l'Organisation mondiale du commerce ?

Mme Esther Sittler. - Quelle est la stratégie européenne concernant le soutien aux exportations ? Les performances européennes sont incontestables, mais les soutiens sont fragiles. La position européenne doit être comparée à la stratégie américaine beaucoup plus globale qui soutient l'agriculture touts azimuts.

M. Dacian Ciolos. - Face à l'ampleur et la diversité des questions, il me faut d'abord souligner que je ne peux pas être le commissaire à l'agriculture qui va sauver à lui seul l'agriculture européenne. Mon rôle sera d'être un médiateur entre des positions divergentes, entre des intérêts divergents de tous les États membres, et de donner de la cohérence à des discours fragmentés. Je rappelle aussi que la Commission n'a qu'un rôle de proposition et que la réforme de la PAC sera décidée, in fine, par le Conseil et le Parlement européen. La crédibilité de la proposition de la Commission dépend de la cohérence qui se dégagera. Il ne s'agit pas d'aboutir à une synthèse minimale, mais plutôt de faire en sorte que chacun retrouve dans le texte de la Commission ses propositions ou les propositions qui lui tiennent le plus à coeur.

La PAC n'a pas besoin d'être défendue, elle a surtout besoin d'être expliquée, afin qu'on puisse l'engager sur un horizon de 10 ou 20 ans.

Je n'ai pas abordé la question du budget. Le budget doit découler des objectifs et non pas le contraire. J'espère que le Conseil et le Parlement européen auront la sagesse de doter budgétairement la PAC de façon adaptée, cohérente avec les objectifs qui auront été fixés au préalable.

Plus que pour tout autre secteur, il y a un lien entre viticulture et politique de qualité. Je répète que la décision d'abandonner les droits de plantation ne peut être remise en cause, mais que les États peuvent garder une marge d'appréciation pour certains types de vins et pour certaines régions afin de ne pas déstabiliser le marché.

La politique promotionnelle est un excellent outil parce qu'elle accompagne toujours la politique de qualité. Elle peut être menée tant à l'intérieur de l'Union européenne que sur les marchés internationaux.

L'Union européenne reste la première exportatrice de produits alimentaires au monde, et doit le rester. Il n'est bien sûr pas crédible de proposer de retirer les questions agricoles des négociations de l'Organisation mondiale du commerce. La PAC doit être défendue, mais ne doit pas nuire aux politiques agricoles menées par les pays en émergence. La présence de l'agriculture européenne dans le monde doit être affirmée sur la base d'objectifs donnés par le citoyen.

Il y a des différences avec certaines agricultures des États tiers. Cette différence est prise en compte par la PAC. C'est précisément l'objet des aides directes qui sont justifiées par le fait que l'Union européenne impose des normes que certains concurrents n'appliquent pas.

L'idée de flexibilité des aides en fonction des prix est tentante, car, lorsque les prix sont élevés, pourquoi conserver les aides directes ? Mais combien d'États accepteraient un budget agricole variable ? Il faut toujours distinguer l'instrument parfait, imaginé, et son application concrète qui, elle, se révèle manifestement imparfaite. La clé des aides directes est dans son acceptation par l'opinion publique.

La PAC a pour objectif la sécurité alimentaire, pas la sécurité énergétique. Il n'existe pas d'instrument financier de la PAC qui stimule la production de biocarburants. C'est une conversion qui relève du choix de l'exploitant.

M. Jean-Paul Emorine. - Je vous remercie de ces propos très rassurants. Nos deux commissions ont décidé de créer un groupe de travail commun sur la réforme de la PAC.

Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche - Débat d'orientation

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission de l'économie a tenu un débat d'orientation sur la loi de modernisation agricole.

M. Jean-Paul Emorine, président - Je souhaite la bienvenue à M. le ministre et le remercie d'avoir accepté ce débat d'orientation sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui viendra en séance le 18 mai. Nous examinerons le texte en commission dès la semaine prochaine.

Nous deux rapporteurs interviendront après le ministre, puis viendront les orateurs des groupes, avec des temps de parole répartis à la proportionnelle des groupes.

Ce projet de loi mérite un tel débat, souhaité par le président du Sénat et les présidents des groupes et qui doit constituer un temps fort de notre réflexion.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche - Plutôt que de rentrer dans le détail des mesures, je souhaite rappeler le contexte du projet et vous en présenter l'économie.

La crise agricole française est grave : le revenu des agriculteurs s'est effondré de 30 % (50 % pour les producteurs de lait) ; la tonne de blé est revenue de 275 à 100 euros en quelques mois. C'est aussi une crise morale : les agriculteurs se demandent de quoi demain sera fait, et s'il est raisonnable de demander des efforts à leur famille ou de souhaiter que leurs enfants leur succèdent. Jamais on n'avait connu un tel doute. Nous devons donc ouvrir des perspectives.

L'agriculture mondiale, ensuite, a profondément changé. Nous avons la responsabilité de préparer les agriculteurs à un nouveau monde. Le poids des nouveaux acteurs (Brésil, Russie, Inde, Chine, mais aussi Nouvelle-Zélande et Australie) n'a cessé de croître et d'influer les prix mondiaux. Quant la Nouvelle-Zélande a produit moins de lait en 2008, le prix de la tonne est monté à 400 euros en Europe ; en 2009, la production néo-zélandaise s'est située 3 % en dessus de la moyenne des années précédentes et nous avons connu un effondrement des prix. Cela vaut aussi pour les céréales car, aux côtés des Etats-Unis et de l'Europe, de nouveaux acteurs sont apparus autour de la Mer Noire et, quand l'Ukraine, la Russie et la Moldavie font de mauvaises récoltes, les cours flambent. Inversement, des belles récoltes dans cette région les font chuter. Ces nouveaux producteurs s'organisent ; l'Union européenne n'est plus le seul espace organisé. Le sommet BRIC (Brésil Russie Inde Chine) qui s'est tenu à Moscou il y a dix jours a débouché sur un accord sur la gestion des volumes et des stocks. Nous devons en tenir compte. Si l'Europe a la naïveté de croire que les autres continents ne s'organisent pas, elle se trompe.

Enfin, avec l'apparition de nouveaux acteurs, les prix deviennent plus volatils, tandis que la crise sanitaire et les aléas climatiques ou sanitaires sont plus fréquents, d'où des risques coûteux.

Il nous faut faire face à cette nouvelle donne agricole. Je ne suis pas là pour ressusciter l'agriculture d'hier, mais pour préparer l'agriculture de demain.

Le contexte du projet de loi, c'est aussi la réforme de la PAC. Vous avez reçu ce matin M. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural. Nous sommes en pleine préparation de cette réforme. Pourquoi payer et pour quels instruments ? Ce sont les questions auxquelles nous devons répondre. Il sera impossible de revenir en arrière. Nous avons basculé dans un monde agricole déterminé par la demande ; il ne s'agit plus de gestion administrée de l'offre - cela ne fait plus débat à Berlin, où il y a un consensus sur ce point.

La loi de modernisation vient donc à un moment décisif. Elle devra donner aux agriculteurs les moyens de se préparer à cette nouvelle donne. Elle ne constitue pas pour autant la solution à toutes les difficultés. Ne créons pas d'illusions : elle ira le plus loin possible pour que les agriculteurs se battent à armes égales, mais elle doit être complétée par des plans de développement par filières, pour le lait, pour l'élevage, pour les fruits et légumes, de manière à régler les problèmes de compétitivité. Nous conduisons également une bataille pour la régulation des marchés européens - vous avez dû le dire ce matin. Le marché, oui ; la spéculation, non ! Une régulation européenne est indispensable.

La loi apporte des réponses urgentes et indispensables. Elle fixe d'abord un sens politique au soutien à l'agriculture française. L'alimentation devient l'objectif premier de l'agriculture. Nous établissons des recommandations nutritionnelles pour une alimentation sûre.

Deuxièmement, la défense du revenu des producteurs passe par des contrats écrits comportant des indications de durée, de volume et de prix. Les producteurs français disposeront ainsi d'une visibilité de plusieurs années, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - mais ils connaissent exactement leurs charges... Les producteurs de lait savent le montant de leurs remboursements sur quinze ans, mais ils ignorent ce qu'ils gagneront dans un mois. Cette idée de contractualisation se développe beaucoup en Europe et un contrat verra peut-être le jour à l'échelle européenne dans la cadre de la réforme de la PAC.

Des protections plus efficaces ensuite. La volatilité ne diminuera pas, non plus que les aléas. Notre responsabilité est de faire en sorte que les agriculteurs puissent se protéger par des dispositifs efficaces : mécanismes assurantiels subventionnés à 65 % par l'Etat et par l'Europe, épargne individuelle, extension du fonds national de garantie contre les calamités agricoles, fonds de péréquation pour faire face à des risques sanitaires. Lorsque la grippe aviaire touche une batterie de poulets en Mayenne, les cinquante installations voisines, qui doivent se protéger, ne sont pas indemnisées : il faut mieux prévenir, mieux protéger qu'aujourd'hui.

Nous voulons aussi encourager les regroupements de producteurs dans les négociations et réformer le droit européen de la concurrence afin que les producteurs puissent mieux s'organiser. C'est un combat difficile, mais nécessaire. Nous renforcerons l'Observatoire de la formation des prix et des marges.

Il convient aussi de préserver le potentiel productif de la France, première puissance agricole européenne, mais qui perd 200 hectares de terres agricoles par jour. Nous sommes le seul pays à ne pas avoir pris de mesures pour stopper ce phénomène. Nous devons donc créer un observatoire national, des commissions départementales ; et taxer la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, à 5 % lorsque la valeur est plus que multipliée par dix et à 10 % lorsqu'elle est multipliée par 30. C'est donc une taxe sur la spéculation foncière ! Il faut également encourager l'agriculture durable, le bien-être animal, la conservation des forêts.

Quant à la pêche et l'aquaculture, la réforme s'impose puisque nous importons 85 % du poisson consommé en France. Nous entendons renforcer la place des producteurs dans les comités de pêche et améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en ce qui concerne l'évaluation de la ressource, par un meilleur dialogue au sein d'un comité de liaison scientifique et technique.

M. Gérard César, rapporteur. - Ce débat d'orientation intervient alors que l'agriculture traverse la plus grave crise qu'elle ait connue depuis longtemps. Les chefs d'exploitation jettent l'éponge, las de travailler à perte. En 2006 et 2007, on avait cru à une prospérité retrouvée ; mais depuis, c'est la douche froide. Le commissaire européen, M. Dacian Ciolos, propose d'accélérer la réflexion sur la PAC d'après 2013 : la Commission fera des propositions d'ici fin 2010, qui pourraient infléchir la politique européenne dans le sens de plus de régulation, après l'époque libérale de Mariann Fischer Boel. Les partisans de l'intervention publique relèvent la tête sous l'impulsion de la France.

Nous examinerons bientôt le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Après un plan de soutien de 1,65 milliard d'euros, pour faire face à la détresse, c'est une réponse structurelle aux problèmes agricoles qui est apportée.

La situation actuelle est marquée par un déséquilibre profond du rapport de forces dans les filières, par la brutalité des ajustements de prix et par un déficit de compétitivité. La grande distribution a un pouvoir de négociation énorme face aux producteurs de viande de boeuf, de lait, de légumes. Ces derniers doivent s'organiser.

Le démantèlement des outils de la PAC laisse les agriculteurs très exposés à la concurrence internationale, qui tire les prix vers le bas. Il s'agit donc de rendre à la PAC sa fonction régulatrice et de défendre une agriculture de qualité, répondant à des normes strictes de respect de l'environnement.

Enfin, la ferme France doit retrouver sa compétitivité, et d'abord vis-à-vis de nos partenaires européens. Le lait est 15 % moins cher en Allemagne, si bien que nous importons l'équivalent de la production annuelle de deux usines de lait. Nous avons gelé nos quotas, l'Allemagne nous a pris des parts de marché... Il convient donc d'aborder les questions des charges fiscales, sociales, administratives, aussi bien que les surcoûts dus par exemple aux exigences environnementales.

Nous pouvons nous appuyer sur l'opinion publique - le commissaire Ciolos va du reste lancer une grande consultation. Nos concitoyens sont attachés aux produits du terroir et veulent consommer de manière responsable. Il nous faut une politique ambitieuse, du champ à l'assiette !

Je proposerai un encadrement plus strict des pratiques commerciales, l'interdiction des 3R (« ristournes, remises, rabais »), ainsi qu'un étiquetage plus rigoureux sur l'origine des produits alimentaires, un recours facilité à l'assurance contre les aléas climatiques. Et j'attends des engagements forts du gouvernement sur la réassurance, publique et privée, sans oublier des mesures sur la forêt.

Concernant les charges, il faut supprimer la cotisation minimum à la MSA et adapter les règles fiscales, protéger les terres agricoles et favoriser l'installation des jeunes.

M. Charles Revet, co-rapporteur. - Il est temps de refonder l'organisation de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture en fonction de l'enjeu alimentaire, le terme « alimentation » figurant dans l'intitulé de vos fonctions, Monsieur le ministre. C'est cette notion qui donne sa légitimité à l'intervention publique. La PAC deviendra bientôt la PAAC, politique alimentaire et agricole commune. Nous devons, pour notre part, développer notre potentiel de production et des filières de qualité, pour répondre à une forte demande des consommateurs. En mettant l'accent sur la transformation, on augmente la valeur ajoutée...Or notre potentiel de production est bridé par les quotas et l'effort de pêche pour reconstituer les stocks halieutiques. Il y a beaucoup à faire dans l'aquaculture ; la production actuelle de nos élevages est ridiculement faible, surtout si l'on considère le volume des importations de poisson ! La France doit engager une politique aquacole ambitieuse.

Entre le premier maillon de la filière et le dernier, le déséquilibre est patent. Or comment survivre en perdant de l'argent ? La gouvernance des filières est perfectible et l'empilement des structures n'est pas satisfaisant.

Mais les charges sont l'élément le plus important, elles constituent un boulet au pied de notre économie et sont une source de vulnérabilité... Les charges doivent peser aussi sur les produits importés. Nous nous pénalisons nous-mêmes en refusant de changer les règles alors que la concurrence internationale fait rage. Nous avons tout à y gagner, nous qui sommes la deuxième puissance économique maritime après les Etats-Unis. Il importe de couvrir nos besoins et de songer que la population mondiale en croissance sera de plus en plus nourrie par des produits tirés de la mer.

M. Gérard Le Cam. - Nous inaugurons ce nouvel hémicycle par un débat qui sera utile s'il est l'occasion d'infléchir la réflexion, car le projet de loi de modernisation dans sa rédaction actuelle est inefficace et stérile. Souhaitons l'adoption de profondes modifications au cours de la navette ! Le titre Ier traite de l'alimentation. La déstructuration des repas est liée au rôle des médias, aux journées en trois-huit, au travail le dimanche, au coût des aliments de qualité, au temps de transport après le travail... L'Etat doit mener une politique du logement décent et il faut aussi, dans l'enseignement, éduquer les jeunes sur la diversité des productions, leur saisonnalité, etc. Si nous ne changeons rien, 100  % des produits consommés seront bientôt importés. Des propositions ont été formulées sur les circuits courts, mais le projet de loi, positif à bien des égards, les ignore. La restauration collective doit montrer l'exemple et il serait temps d'assouplir les règles d'approvisionnement des collectivités locales pour éviter la censure du code des marchés.

Le titre II m'évoque une clé qui n'ouvrirait pas la porte... Le revenu des producteurs ne sera pas plus équilibré... Les interprofessions ont déjà la possibilité d'élaborer des contrats-types comprenant des prix planchers. Or cette disposition n'est jamais mise en oeuvre. Le coefficient multiplicateur est inapplicable. Il est urgent de restaurer des marges adaptées à chaque production, avec de vrais prix planchers. Les moyens de contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doivent être renforcés, et non diminués comme le gouvernement a commencé à le faire l'an dernier.

Certaines des mesures souhaitables sont contraires aux règles européennes, j'en ai conscience, mais le nouveau commissaire à l'agriculture est plus ouvert que sa prédécesseur. Et si les règles de Lisbonne doivent être considérées comme intangibles, ce sont les agriculteurs qui seront la variable d'ajustement. Il faut renforcer les moyens humains de l'Observatoire des prix et des marges, mieux structurer les interprofessions - une démocratisation est indispensable - dont le rôle est aujourd'hui réduit à néant. Les géants coopératifs demeurent des nains par rapport aux groupements d'achat. J'ajoute qu'une caisse de réassurance publique doit être créée.

Je crains que, si l'on instaure une catégorie d'agriculteurs-entrepreneurs, toutes les aides n'aillent à ces derniers, aux dépens des autres. Je souhaite aussi que la taxe sur la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, qui n'est guère dissuasive, soit affectée aux collectivités locales. Et favorisons la construction plutôt là où l'exploitation agricole n'est pas possible ! Il est absurde de laisser les métropoles dévorer les terres agricoles, alors qu'il faudrait revitaliser les hameaux et les villages.

Les mesures concernant la pêche sont insuffisantes. Je songe à la pêche artisanale côtière. Par ailleurs, le démantèlement de l'Office national des forêts (ONF) se poursuit : faibles recettes, baisse des effectifs, services de plus en plus souvent facturés aux collectivités. Le texte n'est pas à la hauteur des attentes. Car les règles de Lisbonne sont redoutables ! Retraites, nouvelles formes de l'emploi agricole, circuits courts : il est urgent de se pencher sur ces problèmes d'actualité.

M. Jean Boyer. - Monsieur le ministre, j'apprécie votre langage de vérité. Vous ne regardez pas dans le rétroviseur, mais loin devant, à la longue vue !

L'ancien agriculteur que je suis a connu les combats difficiles qui ont été menés au fil des ans. En 1963, un commissaire européen estimait qu'en zone de montagne, l'agriculture n'avait plus de raison d'être. Or, en 2010, elle existe toujours, même si elle est en grande difficulté. Notre chance aujourd'hui, c'est que nous comptons de nombreux jeunes agriculteurs volontaires, combatifs. Mais le projet va-t-il assez loin ? Je suis conscient des graves difficultés budgétaires et des contraintes réglementaires européennes. Les autorités de Bruxelles sont réservées sur l'application de tel ou tel mécanisme : soit, mais faut-il attendre que la situation devienne explosive ? Les chiffres sont alarmants et il est grand temps de réfléchir sur les circuits courts...

Et, de grâce, moins de contraintes administratives ! Que l'on cesse de chercher des aiguilles dans les bottes de foin ! Que 16 mètres carrés manquent, parce qu'il faut laisser un passage vers une autre parcelle, et une prime est supprimée !

Pour conclure, je dirai que ce projet de loi fait l'impasse sur le passé et l'avenir car, d'une part, les retraites restent très basses et, d'autre part, rien n'est fait pour épargner aux jeunes le découragement.

Mme Odette Herviaux. - Avant d'entrer dans le vif du sujet, revenons sur la méthode du débat d'orientation que nous inaugurons aujourd'hui. Nous nous réunissons dans cet d'hémicycle bis pour évoquer durant deux heures et demie, à raison de cinq minutes chacun, une agriculture en pleine crise. Un temps bien court d'autant que plus de sénateurs pourraient être présents... De fait, contrairement à ce qui a été affirmé, tous les sénateurs, semblent-ils, n'ont pas reçu l'invitation officielle les conviant à ce débat. L'intitulé de ce dernier, qualifié « d'orientation agricole », pose problème : s'agit-il d'un débat ouvert ou d'une discussion générale sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche ? Bref, nous expérimentons... Cette organisation pourrait avoir comme conséquence la diminution du temps de parole en séance publique. A ce sujet, je veux remercier M. le président de la commission d'avoir accepté d'augmenter la durée de ce débat d'une heure.

Nous avons auditionné M. Dacian Ciolos, commissaire européen à l'agriculture, ce matin. La PAC est à peine abordée dans la stratégie « Europe 2020 », même si l'on souhaite une agriculture européenne viable, productive et compétitive. Viable, tout d'abord. De nombreux exploitants témoignent de leur désarroi, parfois par des gestes violents... Même ceux dont la situation est stable et dont les outils sont performants, évoquent l'idée d'abandonner leur métier à cause du manque de perspectives. Avec ce débat, ouvrons des perspectives, parlons d'avenir. Nous verrons quelles réponses techniques apporter lors de l'examen du projet de loi en séance publique ! Ensuite, on recommande une agriculture éco-productive pour faire face à l'augmentation de la population mondiale. Soit, l'Europe n'a pas vocation à nourrir seule la planète. Pour autant, les pays qui ont la chance d'avoir une agriculture productive doivent, dans le respect de l'environnement, concourir à relever ce défi majeur. Enfin, la compétitivité. Comment la définit-on ? Quels sont les objectifs ? La crise actuelle n'est pas seulement structurelle, elle est aussi identitaire. Pour nous, la compétitivité ne se mesure pas à l'aune de la concurrence, non plus que de la concentration des exploitations. Cette interprétation ne fait pas consensus, y compris au sein de l'Union européenne. Nous avons besoin de régulation pour protéger nos exploitations de la spéculation et du dumping social. Dacian Ciolos a observé ce matin que la compétitivité était également l'affaire des petites exploitations, je m'en réjouis.

Enfin, il faut mener une politique volontariste d'installation. Je vous avais adressé, Monsieur le ministre, une question écrite au sujet de l'inquiétante réduction des budgets alloués à l'aide à l'installation. Aujourd'hui, les personnes de moins de 40 ans représentent seulement 22 % des agriculteurs. Cela est insuffisant si nous voulons maintenir une agriculture en France et en Europe !

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le ministre, votre analyse de la situation est lucide, mais le chemin à parcourir est ardu. Je veux illustrer les propos de mes collègues en donnant l'exemple d'un agriculteur que j'ai reçu la semaine dernière. Viticulteur-céréalier, il perd 10 % de vigne tous les ans avec l'esca. On lui propose 500 euros pour l'arrachage et 1 000 euros pour la reconversion en céréales. Résultat, celui-ci ne va pas semer cette année car la récolte ne couvrirait pas les charges. Cette situation est dramatique ! La solution serait peut-être de rendre l'assurance obligatoire pour tous les agriculteurs afin de mutualiser les risques et de garantir un revenu minimum. Quelques mots du Gers : celui-ci regroupe 27 % des dossiers de prêts de trésorerie alors que 8 départements sont concernés. Le ministère prévoit une enveloppe de 2,8 millions, la Chambre d'agriculture demande 5 millions supplémentaires. Est-ce envisageable ?

Enfin, Monsieur le ministre, vous qui ne cessez de réfléchir à l'agriculture, rappelez-vous que celle-ci est frappée, après le fléau de la nature et de la dérégulation, par celui des tracasseries administratives. Les documents européens sont complètement absurdes ! L'exploitant est, par exemple, contraint de répandre l'azote entre telle et telle date. Ne sait-il pas mieux que quiconque quand utiliser les intrants ? Ils en font désormais un usage plus restreint, compte tenu de leur prix. Aujourd'hui, ce n'est plus la quantité qui compte, mais la marge. Monsieur le ministre, intervenez auprès des instances européennes ! Les tracasseries administratives semblent un sujet relativement insignifiant. Pour autant, les supprimer contribuera grandement à relever le moral des agriculteurs !

M. Alain Chatillon. - En France, le fermage et le foncier sont très faibles, mais les charges et les emprunts très élevés. D'où une agriculture qui souffre d'un manque de compétitivité. Nous devons lutter contre ce phénomène de distorsion de concurrence. Après Aymeri de Montesquiou, je veux dénoncer l'absurdité des certifications de procédure. Il est anormal que les agriculteurs passent 30 % de leur temps à remplir des papiers !

J'en viens à la lutte contre la disparition des terres agricoles : pas moins de 65 000 hectares disparaissent par an en France ! Monsieur le ministre, vous avez pris de saines mesures, mais peut-être auriez-vous dû vous rapprocher de l'Allemagne qui, par des moyens plus sévères, est parvenue à enrayer le phénomène : il y trois ans, elle perdait 85 000 hectares, contre 30 000 aujourd'hui.

Je crois à l'adaptation et à la moralisation de la loi de modernisation de l'économie. Ce texte est aujourd'hui décalé par rapport aux problèmes agricoles. Entre autres, il faudrait résoudre le problème des retours en nature, que la grande distribution exige depuis la suppression des marges arrière, problème qui paralyse le commerce entre exploitants, industries agro-alimentaires et grande distribution. De même, l'État doit s'engager pour protéger les agriculteurs. Nous avons besoin d'un système de réassurance musclé et de mesures compensatoires pour les petits exploitants et éleveurs qui aménagent nos territoires. Nous ne pouvons pas les laisser mourir la bouche ouverte ! Un milliard suffirait, alors qu'on a dépensé 3,5 milliards pour les restaurateurs. Mais encore faudrait-il trouver des exploitations conformes aux standards européens.

Enfin, la prévention alimentaire. Que de temps perdu, en ce domaine, depuis vingt ans ! Que de place laissée à l'industrie pharmaceutique et à l'Afssa aux dépens de la DGCCRF ! Cela est regrettable car nous pourrions avoir un système d'alimentation moins coûteux pour l'assurance maladie que les compléments alimentaires vendus sous protection pharmaceutique. L'innovation sera un élément déterminant du développement de notre agriculture, avez-vous dit M. le ministre.

Ces suggestions sont conformes à l'esprit du projet de loi, mais vont plus loin. Nos agriculteurs et nos exploitants le méritent. Si nous ne prenons pas de mesures fortes, demain, il n'y en aura plus dans les piémonts des Pyrénées, des Alpes et du Massif central comme les médecins manquent aujourd'hui en zone rurale.

M. Bruno Le Maire, ministre. - J'envisage ce débat d'orientation agricole comme un temps d'échange. Je tiendrai compte des observations qui seront faites afin que le projet de loi adopté par le Sénat soit le plus complet possible.

Merci aux rapporteurs de leur important travail de consultation et d'échange avec le monde agricole. C'est la bonne méthode, elle a permis d'améliorer le texte. S'agissant des relations commerciales, il faut améliorer la ristourne et le prix après-vente qui pénalisent les exploitants. Nous avons besoin de contrats écrits avec des débouchés. Je suis prêt à améliorer l'étiquetage existant à condition de respecter la réglementation européenne. Si la démarche vient des interprofessions, l'Europe l'acceptera, mais non si cela vient de l'État.

La France est le premier pays européen à avoir organisé des Assises de la pêche, à la suite desquelles elle a remis une proposition de réforme à Maria Damanaki, commissaire européen pour les affaires maritimes et la pêche. Nous proposons de renverser complètement la perspective : les décisions des ministres ne s'imposeraient plus aux pêcheurs ; les pêcheurs auraient un pouvoir de proposition, voire de décision, en matière de ressources et de réserves. Cela est indispensable si nous voulons restaurer la légitimité de la politique commune de la pêche. Au reste, les pêcheurs sont bien plus capables d'évaluer les ressources que les ministres qui en discutent parfois jusqu'à quatre heures du matin à Bruxelles en tentant d'évaluer le nombre de chinchards, de cabillauds, voire de soles au large de Dieppe, à l'unité près !

La politique de l'alimentation doit effectivement passer par la pédagogie, notamment l'initiation au goût, comme cela est rappelé au treizième alinéa de l'article premier, mais peut-être faut-il renforcer sa rédaction... Je suis très favorable aux circuits courts avec un objectif politique clair : réduire le nombre moyen de kilomètres du producteur au consommateur. Le droit européen nous interdisant de préciser un nombre de kilomètres maximal pour ne pas entraver la libre concurrence, la seule solution est de modifier le code des marchés publics pour valoriser les circuits courts auprès, notamment, des collectivités territoriales. Je ne crois pas aux coefficients multiplicateurs, dont j'ai beaucoup discuté avec les agriculteurs. Nous devons travailler sur la remise et la ristourne et la réduction volontaire des marges en temps de crise. Si la grande distribution n'a pas signé un accord d'ici le 17 mai, nous mettrons en oeuvre une taxation sur la surface de la grande distribution. Nous avons eu ce débat il y a six mois, ce système me paraît nécessaire et équitable si la grande distribution ne joue pas le jeu. Je suis favorable au renforcement de l'Observatoire des prix et des marges qui présente l'inconvénient de ne pas exister... ou, tout au moins, de n'avoir qu'une existence virtuelle. Cet observatoire doit être doté d'un président qui expliquera aux médias et à l'opinion publique les résultats trouvés, comme l'a fait récemment celui du Conseil d'orientation des retraites. Je propose également une extension de son champ d'études à tous les produits agricoles, sans exception, aux coûts de production des producteurs, avec une obligation de transmission des données de l'Insee.

La progression du système assurantiel ne correspond en rien à un désengagement de l'État : les primes d'assurance agricole sont subventionnées à 65 % par l'État et l'Union européenne. Même remarque concernant le fonds de péréquation dans le domaine des crises sanitaires que je propose : il sera alimenté, certes, par les exploitants, mais également par l'État et l'Europe. Enfin, dois-je rappeler que la réassurance publique figure, pour la première fois, explicitement dans le projet de loi ? C'est une avancée incontestable. Si nous progressons encore, je n'y verrai que des avantages. S'agissant du développement durable et de la consommation agricole, je trouve, en tant que ministre de l'agriculture, ce qui ne présume en rien des arbitrages qui seront rendus, intéressante et constructive l'idée d'une réaffectation de la taxe, soit aux collectivités locales soit aux jeunes agriculteurs. Mais l'État n'aime pas beaucoup les taxes affectées, pour des raisons évidentes... S'agissant de la défense de la pêche artisanale et côtière, la commissaire européenne s'est dite intéressée par l'insertion d'un volet social dans la politique commune de la pêche, concernant notamment la formation. Reste, maintenant, à convaincre nos partenaires européens. Pour évoquer l'ONF, son nouveau président est décidé, il l'a dit aux syndicats, à améliorer le fonctionnement de cette structure.

Monsieur Boyer, vous avez soulevé des questions importantes, notamment sur les zones de montagne. Je ne partage pas l'idée selon laquelle la compétitivité serait liée à l'accroissement de la taille des exploitations. Si cela était aussi simple, nous serions parvenus depuis longtemps à moderniser notre agriculture. J'avais invité des producteurs à participer à mon déjeuner avec Dacian Ciolos, dont une productrice de beaufort des Alpes. Elle valorise son lait à 460 euros la tonne, contre 265 euros pour les simples producteurs de lait.

Sur la simplification administrative, nous travaillons de concert avec l'Allemagne, au sein d'une commission commune consacrée à la réforme de la PAC : c'est nouveau, car on se souvient que la précédente réforme s'est soldée par un contentieux entre les deux pays.

Les retraites ne sont pas oubliées, j'en ai parlé avec mon collègue du budget et avec le président de la FNSEA.

La compétitivité est cruciale pour notre agriculture, vous avez raison de le souligner, Madame Herviaux, en particulier face à ce concurrent qu'est devenue l'Allemagne. La filière porcine allemande nous prend des parts de marché, il en va de même pour le lait ou encore pour les fruits et légumes, où nos voisins sont aussi bons que nous alors qu'ils produisent depuis peu.

La compétitivité n'est pas fonction de la surface des exploitations : l'agrandissement n'est pas la solution, d'autant qu'elle poserait des problèmes d'environnement. En fait, la compétitivité dépend de trois facteurs : la baisse des coûts de production, qui passe par l'allègement des charges pour les travailleurs occasionnels, comme nous l'avons fait, par la méthanisation, qui rend de la valeur ajoutée aux agriculteurs, par la baisse des charges, par l'organisation rationnelle de la collecte ; elle dépend ensuite des débouchés et les agriculteurs ont intérêt à contractualiser, en particulier pour l'exportation : nous sommes passé d'un monde où nous étions seuls à exporter des céréales au Maroc ou en Egypte, et où les marges étaient assurées par le prix ou les volumes, à un monde où des pays comme la Russie, l'Ukraine, la Moldavie proposent des céréales à moindre prix que nous, et il en va de même pour les filières laitière et viticole ; la compétitivité, enfin, passe par la valorisation des produits : c'est très clair pour le lait, où les producteurs s'en sortent avec l'ultra-frais et les AOC, mais pas avec le beurre et la poudre de lait, produits que des pays comme la Nouvelle-Zélande proposent moins chers que nous.

L'installation reste l'une de nos priorités : 300 millions d'euros sont affectés cette année à l'aide à l'installation aux jeunes agriculteurs.

Monsieur de Montesquiou, j'espère vous convaincre que l'incitation est préférable à l'obligation de s'assurer. D'abord, parce qu'aucun pays européen n'a choisi l'assurance obligatoire, ensuite parce que l'obligation nous ferait perdre la subvention européenne, qui représente tout de même 35 % de l'enveloppe, soit 100 millions.

Monsieur Chatillon, je partage votre souci de protéger les terres agricoles : c'est le sens d'une disposition du projet de loi inspiré de ce qui se fait en Allemagne, où le rythme de disparition des terres agricoles a diminué de moitié, même si nous proposons un mécanisme moins rigoureux que celui de nos voisins. Je ne parle pas de l'Allemagne par tropisme, mais parce que c'est bien outre-Rhin qu'on gagne sur nous des parts de marché : c'est donc bien avec ce pays que nous devons comparer notre compétitivité.

S'agissant des fruits et légumes, j'ai déjà dit que la grande distribution devrait s'engager par écrit, d'ici le 17 mai, à diminuer ses marges en temps de crise.

Je veux encourager la valorisation par l'innovation, j'ai demandé au Premier ministre d'y consacrer une partie du grand emprunt. Voyez la production de lin, exportée à 85 % vers la Chine pour la confection : si nous laissons faire, dans quelques années nous ne produirons plus, car les Chinois nous imposeront des prix intenables, alors qu'il y a de nombreuses possibilités pour développer les fibres de lin, dans l'aéronautique ou les soins médicaux par exemple.

Mme Jacqueline Gourault. - Ce débat est une très bonne chose, car ceux qui ne sont pas membres de la commission de l'économie peuvent s'exprimer sur ce texte en amont.

Monsieur le ministre, vous décrivez justement la crise économique et morale que traversent les agriculteurs, vous évoquez leur désespérance, mais il ne faut pas négliger leur lucidité. Les agriculteurs comprennent parfaitement la mondialisation. Ce qu'ils acceptent moins, ce sont les exigences draconiennes de la réglementation européenne et parfois le zèle de notre pays pour l'application des normes. L'atrazine est interdite en France, ce qui est une bonne chose, mais autorisée en Espagne : pourquoi les règles ne sont-elles pas les mêmes au sein de l'Union européenne ?

Les tracasseries administratives, ensuite, sont d'autant moins supportables qu'il y a la crise. Voyez le simple exemple des pièges à nitrates, pratique ancienne : on crée des difficultés aux agriculteurs lorsque des plantes ont poussé sur ces pièges, ne serait-ce que des chardons !

La contractualisation est bien accueillie, excepté par un syndicat, mais comment pensez-vous la concilier avec la variabilité des prix agricoles ?

Les agriculteurs demandent aussi un accompagnement pour la méthanisation : ne pourrait-on pas faciliter la coopération d'opérateurs comme GDF, aujourd'hui peu réceptif ?

Enfin, peut-on faire évoluer le statut du fermage ? Les règles actuelles évoquent quelque peu le passé, la suppression du délai de prescription trentenaire est source de contentieux entre propriétaires et fermiers ou entre fermiers, ou bien entraîne la vente de terres à des exploitants étrangers : cette loi n'est-elle pas l'occasion de revoir un peu ces règles, qui engagent notre modèle agricole et familial tout entier ?

M. Georges Patient. - Avec ce débat, nous constatons une fois de plus que nos outre-mer sont les « laissés pour compte » de la République : quand nous ne sommes pas oubliés, nous sommes renvoyés en fin de loi ou à des ordonnances ! Pourquoi recourir aux ordonnances, alors que les travaux ont été très nombreux dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer, des Etats généraux et du conseil interministériel pour l'outre-mer ? Nous avons débattu de l'outre-mer pendant un an : était-ce un simple divertissement ?

L'agriculture et la pêche sont essentiels outre-mer, constitutifs de l'histoire, de la culture et des sociétés ultramarines. L'agriculture y représente l'un des trois secteurs clés de l'économie, avec le tourisme et la construction : elle est même essentielle pour les exportations et elle occupe, en Martinique et en Guadeloupe, proportionnellement deux fois plus d'actifs qu'en métropole. La pêche est très importante aussi, puisque tous les DOM sont des régions maritimes : la Guadeloupe est le septième département français par le nombre de marins, la Martinique le huitième.

Ces secteurs sont en crise, cela ne date pas d'aujourd'hui. Les infrastructures manquent, il n'y a pas d'autosuffisance alimentaire, la pêche est artisanale, la main d'oeuvre manque de formation et nos agriculteurs et pêcheurs doivent encore faire face à de nouveaux enjeux et de nouvelles contraintes, notamment environnementales. La surface agricole utile recule : à la Martinique, elle diminue de 1 000 hectares par an et des prévisions estiment qu'il pourrait ne plus y avoir d'agriculture d'ici vingt ou trente ans. Le conseil interministériel pour l'outre-mer a prévu d'installer une commission de protection des terres agricoles et naturelles, qu'en est-il ?

Les difficultés financières des DOM sont légion et s'accroissent. Depuis de nombreuses années, nous demandons l'application de dispositifs métropolitains tels que les fonds de garantie, le capital risque, les prêts bonifiés, les dotations aux jeunes agriculteurs : qu'en est-il ?

Il faut également soutenir la recherche et le développement, il faut aider les instituts tels que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le CIRAD, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) à poursuivre leurs recherches sur la pollution des sols et des eaux, sujet sensible et préoccupant notamment en Guyane avec le mercure et aux Antilles avec le chlordécone ou le paraquat. En janvier 2008, le Premier ministre annonçait un plan d'action chlordécone sur trois ans : quels sont ses résultats et comptez-vous le proroger ? L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné les situations aberrantes liées au défaut d'adaptation dans les DOM des réglementations françaises et européennes : comptez-vous y remédier par ordonnance ?

Le rôle des chambres d'agriculture étant essentiel pour la formation, il faut les aider à mieux exprimer les besoins et à mettre en place un projet global de formation. Les lycées professionnels, quant à eux, pourraient être dotés de conseils exécutifs et créer des pépinières de jeunes agriculteurs.

Le comité interministériel a encore prévu une mission sur les instituts techniques : qu'en est-il ?

En Guyane, si la surface agricole utile représente seulement 0,3 % de la superficie totale, 90 % des terres appartiennent à l'Etat et trois agriculteurs sur quatre n'ont pas de titre de propriété. L'ordonnance du 2 septembre 1998 devait régulariser la situation foncière : qu'en est-il ?

La chambre d'agriculture de Guyane est dans une situation financière catastrophique, ses recettes propres représentant seulement 15 % de son budget, contre 75 % en métropole : comment lui apporter une certaine autonomie financière, dès lors que le comité interministériel a reconnu comme prioritaire le renforcement des chambres d'agriculture ?

Quant à la pêche, elle assure à la Guyane, grâce à la crevette et au vivaneau, près du tiers des recettes totales d'exportation de marchandises, mais le secteur souffre d'un manque chronique de capacités de traitement moderne dans les entreprises de transformation.

Enfin, s'agissant de la filière rizicole, nous sommes passés en Guyane d'une production de 30 000 tonnes à 8 000 tonnes et deux des trois premières entreprises de la filière sont en liquidation judiciaire, tandis que la troisième vient d'annoncer son intention de quitter le territoire. Que compte faire le gouvernement, alors que le Président de la République a dit que le développement endogène était la clé de sa politique ultramarine ?

M. Daniel Marsin. - L'article 24 de ce texte renvoie effectivement à la procédure des ordonnances des questions très importantes pour l'outre mer. Pourquoi un tel renvoi, surtout que les ordonnances prennent souvent bien plus longtemps que leur délai théorique d'élaboration d'un an ? Il y a urgence, et les travaux préparatoires ne manquent pas, entre les États généraux et le conseil interministériel.

Je crois, ensuite, qu'il faut moderniser la pêche ultramarine, seul moyen de lui donner un avenir. Monsieur le ministre, envisagez-vous de faire négocier par la Commission européenne un accord avec les Caraïbes, sachant qu'aujourd'hui nos pêcheurs sont cantonnés dans une zone de pêche trop étroite, et qu'ils sont arraisonnés dès qu'ils en sortent ?

M. Rémy Pointereau. - J'ai proposé en commission que le texte présenté par le gouvernement soit d'adaptation, plutôt que de modernisation de l'agriculture : les lois d'orientation agricole ont été si nombreuses qu'elles ont désorienté les agriculteurs, lesquels se sont amplement modernisés depuis déjà cinquante ans, au point d'avoir désormais surtout besoin d'adaptation... On leur a demandé d'assurer l'autosuffisance alimentaire de la France, puis d'exporter en Europe et enfin dans le monde, et il faut les aider aujourd'hui à s'adapter à la mondialisation.

Les contraintes administratives et environnementales sont excessives, elles augmentent les charges au moment où les prix et le revenu baissent. Il faut absolument un moratoire. Toutes les productions sont en grande difficulté, il faut remonter aux souvenirs des années 30 pour trouver une pareille crise ! Les intentions du projet de loi sont louables, mais son dispositif pourrait se heurter aux règles européennes, en particulier sur la concurrence ? Nous risquons de vérifier rapidement qu'il faut aussi faire évoluer les normes européennes : comment encourager les regroupements quand l'Europe interdit les ententes ?

Les réglementations sont toujours plus draconiennes et coûteuses mais la France exige toujours plus que les autres pays : le projet de loi doit prévoir une évaluation des nouvelles règles environnementales, ou bien nous ne ferons qu'aggraver la situation.

Il faut mieux valoriser les produits par l'innovation, et il y a des marges importantes, en particulier pour les céréales et les oléagineux.

La contractualisation va être améliorée, mais il ne faut pas perdre de vue que trois euros de plus pour la tonne de céréales ne suffiront pas à régler tous les problèmes. Et le commissaire européen à l'agriculture ne nous rassure pas, quand il déclare que la PAC ne doit pas gêner les agricultures des autres régions du monde.

Les Américains sont beaucoup plus volontaristes, puisqu'ils ne cessent d'augmenter leurs aides à l'agriculture. L'Europe a les moyens d'agir : crédits à l'exportation à taux zéro, déblocage des restitutions à l'exportation, préférence communautaire, programme alimentaire destiné aux pays tiers dont les habitants souffrent de malnutrition, programme d'aide alimentaire aux citoyens les plus démunis, stockage, régulation des marchés... Je rappelle que 100 kg de blé rapportent aujourd'hui 10 euros à l'exploitant, soit deux paquets de cigarettes, alors qu'ils coûtent entre 14 et 17 euros à produire ! Sur les 90 centimes que coûte une baguette, 10 seulement reviennent à l'exploitant. Les agriculteurs ne rentrent même plus dans leurs frais. Il n'est pas étonnant qu'ils viennent hurler leur détresse à Paris !

M. Jacques Muller. - Puisqu'il s'agit d'un débat d'orientation, je me concentrerai sur l'exposé des motifs du projet de loi qui affiche un double objectif : augmenter la production pour renforcer la sécurité alimentaire, rendre nos produits plus compétitifs. Mais c'est dans les pays en voie de développement qu'il faut accroître la production, qui n'a jamais suffi à satisfaire la demande interne : Edgar Pisani et moi-même avons animé un colloque à ce sujet en ces murs. Cela suppose que les pays du Nord renoncent à un type d'élevage qui fonctionne comme un aspirateur à protéines importées, empêchant dans les pays du Sud le développement des cultures vivrières. En outre, l'augmentation indéfinie de la production ne sert qu'à accroître les excédents déversés sur les marchés du Sud, ruinant ainsi les exploitations locales et entretenant la malnutrition.

J'en viens au renforcement de la compétitivité. En réduisant les coûts, vous voulez rendre à notre industrie agroalimentaire son leadership. Or la recherche de la compétitivité-prix conduit à une impasse. Au plan économique, elle nous confine dans des secteurs agricoles où nous partons battus : les pays du groupe de Cairns auront toujours des coûts de production inférieurs aux nôtres. Au plan social et territorial, elle conduit à la diminution du nombre de paysans et à la désertification des campagnes. Au plan environnemental, elle favorise un type d'agriculture incompatible avec les objectifs du Grenelle. Il est vrai que l'on dit en haut lieu que « l'environnement commence à bien faire »... 

M. Pierre Bernard-Reymond. - On le dit ici aussi !

M. Jacques Muller. - Nous ne sommes plus en 1960 ! Mieux vaudrait renforcer notre compétitivité hors prix en répondant à la nouvelle demande pour des produits locaux, de qualité, issus d'une agriculture respectueuse de l'environnement, plus diversifiée et créatrice d'emplois. Il faudrait aussi mieux reconnaître financièrement les services environnementaux non marchands rendus à la collectivité, et encourager l'agriculture périurbaine et les circuits courts.

Pour relever le défi d'une agriculture durable, il est indispensable de rendre les exploitations plus autonomes et moins consommatrices d'intrants. Le pétrole, dont sont issus les carburants, les pesticides et les engrais, se raréfie, et nous devons prendre les devants en renonçant à la spécialisation outrancière. J'en appelle à une véritable révolution copernicienne : maintenir les revenus des agriculteurs n'implique pas d'augmenter la production, ce qui à terme fait baisser les prix, mais de trouver un nouvel équilibre économique fondé sur la baisse de la consommation d'intrants, une agriculture intégrée comme il en existe outre-Rhin. Voilà la véritable modernisation !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je me permettrai de rappeler à Mme Gourault les engagements que le Président de la République et moi-même avons pris. Nous n'avons d'autre choix que de favoriser une agriculture plus respectueuse de l'environnement : il serait dommage de se priver du fruit des efforts consentis par les agriculteurs depuis plusieurs années. En outre, la société française souhaite que nous oeuvrions en ce sens ; or, en démocratie, c'est le peuple qui décide. D'ailleurs, il est dans l'intérêt des agriculteurs de réduire leur dépendance aux intrants, notamment phytosanitaires, et de diminuer ainsi leurs coûts de production, si c'est possible techniquement. Mais nous ne pouvons leur demander les mêmes efforts en période de crise, alors même que l'Etat se dispense de ses propres obligations budgétaires. D'après l'Inra, le coût des règles environnementales pour une exploitation de 125 ha, qui s'élève aujourd'hui à 1 500 euros, pourrait atteindre 3 200 euros en 2012 ! Je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo à ce sujet. Prenons l'exemple des particularités topographiques : j'y suis très attaché, car elles sont essentielles à la biodiversité, à la préservation des sols et au contrôle du ruissellement. Mais l'objectif de 5 % en 2012 pourrait être différé, à moins que l'on définisse un mode de financement qui allège les charges pesant sur les exploitants.

En outre, il convient de ne pas imposer toujours à nos agriculteurs des règles plus restrictives qu'à leurs collègues européens ! A marché unique, règles uniques. On peut rêver d'une agriculture répondant parfaitement aux exigences environnementales, mais mon rôle est de veiller à ce nos objectifs soient économiquement réalistes. Dans le secteur de l'arboriculture ou celui des légumes, nous sommes près du point de rupture. Mme Gourault a fait référence à l'abrazine, mais celle-ci est interdite en Espagne comme en France. Sans doute pensait-elle aux méthomyles, deux molécules interdites en France mais autorisées partout ailleurs en Europe. Ne serait-il pas raisonnable de nous aligner sur nos voisins ? N'est-il pas paradoxal de dire aux agriculteurs qu'ils appartiennent à un marché unique, mais sont soumis à des règles spécifiques ?

M. Charles Revet. - C'est le cas dans de nombreux domaines !

M. Bruno Le Maire, ministre. - La contractualisation a pour objectif de réduire la volatilité des prix et de freiner la spéculation. Les Européens se convertissent à l'idée d'une contractualisation européenne dans toutes les filières, comme Dacian Ciolos l'a confirmé tout à l'heure. Cela implique la constitution d'indicateurs de tendances des prix dans les interprofessions.

En ce qui concerne la méthanisation, Mme Gourault a raison de dire que les incitations destinées aux exploitants ne suffisent pas : les opérateurs doivent suivre. J'ai demandé à Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, d'accélérer le programme de construction d'installations.

Monsieur Patient, le Gouvernement est extrêmement attentif à l'agriculture d'outre-mer. L'article 24 du projet de loi prévoit de l'autoriser à légiférer par ordonnances ; nous prendrons le temps de la consultation, mais je m'engage à respecter les délais. Le Président de la République et moi-même l'avons dit aux Etats généraux de l'outre-mer : il faut empêcher le rétrécissement des terres agricoles, sinon il n'y en aura bientôt plus aux Antilles. L'article prévoit explicitement l'établissement d'espaces agricoles et naturels à préserver. Le Président de la République a d'ores et déjà promis 40 millions d'euros par an pour l'agriculture ultramarine.

Monsieur Marsin, c'est la Commission européenne qui négocie l'accord Caraïbes, non les Etats mais je m'engage à lui transmettre le message dans les meilleurs délais.

M. Pointereau a soulevé le problème de la compatibilité entre les nouvelles dispositions et le droit de la concurrence européen. Nous avons cherché à aller aussi loin que possible tout en respectant les règles européennes, favorisant par exemple les circuits courts sans préciser le kilométrage. Le droit européen doit évoluer, je l'ai dit à Joaquin Almunia, commissaire européen à la concurrence. Dans le secteur du lait, il interdit les associations de plus de 400 producteurs pour négocier avec les industriels : ce plafond est dérisoire, il faudrait le porter à 4 000 ! J'ai bon espoir que les négociations aboutissent avant la fin de l'année et nous prendrons alors les décrets nécessaires. Dans le secteur des céréales, une intervention européenne est indispensable pour faire remonter les cours : j'ai abordé la question avec Dacian Ciolos, qui a déjà dégagé 11 millions d'euros pour la gestion du marché. Je souhaite qu'à l'avenir la Commission soit plus réactive : sans la France, qui a mis trois mois à la convaincre de venir en aide aux producteurs de lait, elle ne l'aurait toujours pas fait ! Si les prix ont remonté en janvier, ce n'est pas par miracle, mais grâce à l'injection de 300 millions d'euros pour le stockage.

Avec M. Muller, j'ai plus de points d'accords qu'il ne le croit. Mais qu'il ne travestisse pas ma position ! Ce n'est pas par rapport à l'Amérique du Sud, à l'Asie ou à l'Océanie que je veux renforcer notre compétitivité, car ces continents n'ont pas choisi le même modèle que nous, fondé sur la sécurité sanitaire, environnementale et alimentaire. Je ne cherche d'ailleurs pas à favoriser exclusivement la compétitivité-prix : je parle d'abaissement des coûts de production, d'élargissement des débouchés et de valorisation. Mais nous ne pouvons nous satisfaire d'être moins compétitifs que l'Allemagne, notre principal concurrent ! L'écart de compétitivité est de 15 % pour le lait, et il est sans doute supérieur pour les fruits et légumes ; nous perdons chaque jour du terrain dans la filière porcine. Il faut redresser la barre, sinon ces filières disparaîtront. Certes, il existe des écarts de normes sociales entre les pays européens : j'ai soulevé ce problème lorsque j'étais ministre chargé des affaires européennes.

Le Gouvernement se souvient des engagements du Grenelle : il compte par exemple modifier les règles d'attribution des marchés publics pour favoriser les produits locaux. Pour ce qui est de la préservation des terres agricoles, notamment en zone périurbaine, on m'a assez reproché d'être trop strict pour que vous ne m'accusiez pas de faire litière de cette préoccupation ! C'est moi qui ai voulu taxer la spéculation foncière. Il est particulièrement difficile de défendre l'agriculture en secteur périurbain, car c'est là que les terres se valorisent le plus : près du Havre, le prix d'un terrain est multiplié par 120 lorsqu'il devient constructible ! Le constat est le même sur le plateau de Saclay ou dans la banlieue lyonnaise.

Limiter les intrants, oui, si c'est techniquement possible. On ne peut demander aux agriculteurs de se débrouiller seuls : les pouvoirs publics et l'Inra doivent fournir aux agriculteurs les moyens techniques de remplir les objectifs fixés. C'est l'objet du plan Ecophyto 2018.

M. François Fortassin. - Il est banal de dire que l'agriculture doit à la fois fournir de quoi nourrir convenablement la population, remplir un rôle social et contribuer à la préservation des paysages. Mais entre l'entretien des paysages et la recherche de la compétitivité, il y a dans bien des cas antinomie. Les producteurs subissent seuls l'effondrement des prix, car ils sont livrés à l'arbitraire de centrales d'achat aux pratiques mafieuses. Que comptez-vous faire pour y mettre un terme ?

Malgré l'intérêt de votre présentation, je vous ai trouvé bien timoré, Monsieur le ministre, au sujet de l'hydraulique agricole. Dans certaines régions comme le Sud-Ouest, il est indispensable de préserver les ressources en eau, qui servent non seulement à l'agriculture, mais aussi à la production d'eau potable. Le stockage de l'eau dure un siècle et ne coûte que 2 euros pour 1 m3.

Vous restez aussi très discret sur les organismes génétiquement modifiés (OGM)... Ce n'est pas un gros mot ! Aux chercheurs de nous dire ceux qui sont consommables. Nous ne produisons pas d'OGM, mais nous en importons : il est temps de sortir de cette hypocrisie !

Je suis très favorable au photovoltaïque sur les toitures des bâtiments agricoles, mais plus réservé sur le photovoltaïque au sol. Aujourd'hui, nous manquons de règles bien établies.

Enfin, nous pouvons protéger les producteurs par le biais des consommateurs. Que pensez-vous d'un triple étiquetage, indiquant le prix produit au producteur, l'origine des produits et la date d'abattage, et le prix payé par le consommateur ?

M. Gérard Cornu. - Je partage les inquiétudes de Rémy Pointereau et Jacqueline Gourault : avec ces mesures franco-françaises, la France lave plus blanc que blanc ! On invoque la compétitivité face à l'Allemagne, mais on charge la barque de nos agriculteurs !

Aux termes de l'article 11 du projet de loi, le statut d'agriculteur-entrepreneur est accordé à ceux « qui conduisent leur exploitation dans le respect d'une agriculture durable et en prenant les dispositions requises pour limiter les risques inhérents à l'activité agricole. » Chacun souscrit à ce principe, mais le diable gît dans les détails... Nous sommes d'autant plus inquiets que cet article habilite le gouvernement à définir par ordonnances les conditions pour bénéficier des aides publiques ! Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce nouveau statut, qui risque d'être source de confusion ?

Ne risque-t-on pas d'introduire une nouvelle conditionnalité franco-française, de renforcer les contraintes liées à l'obtention des aides, de limiter la prévention et la gestion des risques aux seuls aléas climatiques, environnementaux et sanitaires, d'instaurer une agriculture à deux vitesses, avec une sous-catégorie d'agriculteurs non-entrepreneurs ? Tout cela fait peur au monde agricole.

Mme Renée Nicoux. - Il y a urgence à réformer la politique agricole, mais ces mesures ne seront efficaces qu'à l'échelle européenne. Le gouvernement devra peser de tout son poids pour que les pays retrouvent le chemin de la solidarité - il en va de la souveraineté alimentaire de l'Europe. L'audition du commissaire ce matin nous a donné bon espoir.

« Modernisation », le terme inquiète : il est associé à la réduction des effectifs dans les services publics qui en ont fait l'objet ! L'agriculture française a besoin non de se moderniser mais de s'adapter. Les produits agricoles ne sont pas des biens de consommation comme les autres. Leurs conditions de production doivent répondre à des exigences spécifiques.

Je salue l'accent mis sur la politique alimentaire, mais je m'interroge sur la pertinence de son rattachement à l'Agriculture plutôt qu'à la Santé.

Les objectifs sont partagés : permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail, assurer le développement durable, préserver le foncier agricole, renforcer la solidarité nationale et le dialogue entre les acteurs. Mais le texte comporte de graves lacunes : rien sur les retraites des agriculteurs et de leurs conjoints, rien sur la formation, notamment à la production bio, rien sur l'installation des jeunes, ni sur l'agrandissement des exploitations.

Nous pensions que l'agriculture n'était pas délocalisable : il n'en est rien. La concurrence dite « juste et non faussée » ne tient aucun compte de l'environnement et des conditions sociales des exploitants ! Rien non plus dans le texte sur la rémunération du travail lié à l'entretien des paysages, à la préservation du bon état écologique des campagnes, qui est un attrait touristique et donc un atout économique. Je regrette que les contrats territoriaux d'exploitation, institués par la loi d'orientation de 1999, aient été abandonnés.

Mettre l'accent sur la compétitivité, c'est favoriser l'industrialisation et l'agrandissement, au détriment des exploitations à taille humaine, constitutives du tissu rural.

La réduction de la consommation du foncier agricole doit faire l'objet d'une attention particulière, en tenant compte des spécificités des régions et du besoin de développer les petites villes en zone rurale : le problème ne se pose pas de la même manière en périphérie des grandes villes et dans les campagnes du centre de la France.

L'article 17 du projet de loi, qui autorise le gouvernement à modifier par ordonnances le mode de calcul des fermages en se fondant sur le revenu national à l'hectare, ignore les disparités territoriales. Ces aspects seront-ils pris en compte ?

M. Jacques Blanc. - Ce matin, le commissaire européen à l'agriculture nous a donné bon espoir ; cet après-midi, Monsieur le ministre, vous nous apportez des réponses d'avenir.

Agriculture de montagne, le mot est absent. Cela peut sans doute être réparé... La compétitivité vaut aussi pour les petites exploitations de montagne, qui vendront mieux leurs produits. À quand la reconnaissance d'un label « qualité montagne », sous la forme d'IGP, pour valoriser ces produits ? Les circuits courts ne sont pas forcément réservés aux producteurs, un boucher peut être intéressé. Il faudra modifier les règles des marchés publics car les collectivités territoriales mais aussi les grandes associations, qui gèrent par exemple des établissements pour personnes handicapées, sont concernées.

La contractualisation peut être intéressante pour les produits de montagne.

Les plans régionaux d'agriculture durable devront faire participer les responsables de la politique des massifs ; les plans pluriannuels de développement forestier devront être en cohérence avec les logiques de massif.

En matière de foncier, il faudra répondre au problème des jeunes qui veulent s'installer en Gaec.

Le problème des sectionnaux, propre au Massif Central, empoisonne les relations humaines en figeant les terres. Les Lozériens savent l'importance de l'agriculture : sans elle, leur département serait un désert !

Enfin, peut-on espérer un renforcement du lien entre agriculture et cohésion territoriale, objectif reconnu par Lisbonne ? J'espère que ce texte nous permettra de répondre à l'attente angoissée de nos agriculteurs. Vous avez fait des efforts, mais il nous faut maintenant passer un cap et préparer l'avenir !

M. Paul Raoult. - Je doute que ce texte réponde aux attentes pressantes des agriculteurs. On remplace la régulation par la contractualisation ? Ce sera toujours le pot de terre contre le pot de fer : le marché commande, et les prix continueront de baisser si l'industrie et la grande distribution dictent leur loi. Pourquoi avoir supprimé la politique des quotas ? Les quotas sucriers donnent pourtant satisfaction !

L'environnement ne doit pas servir de bouc émissaire : la problématique environnementale est une chance pour l'agriculture ! La régulation n'est pas un handicap, au contraire : voyez l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, qui dominent aujourd'hui le marché du bio ! Les règlementations issues du Grenelle ne sont même pas encore en vigueur ! Quant aux chiffres avancés par l'Inra... qui veut noyer son chien l'accuse de la rage !

Il faut plus que jamais défendre cette politique, d'autant que la PAC repose sur l'éco-conditionnalité. Les techniques de fertilité par intensification écologique permettent de réduire les charges en intrants ; l'élevage à l'herbe est plus rentable que l'élevage au maïs !

Il faut trouver le moyen de rétribuer correctement les agriculteurs qui fournissent des services d'intérêt général, bonne qualité de l'eau potable ou entretien des haies. On ne peut sacrifier l'agriculture alors que les externalités négatives demeurent ! Les rendements diminuent si l'on ne préserve pas la richesse en humus des sols ! Le financement de cette adaptation doit être pris en charge par la société.

La biodiversité est l'assurance de la survie de l'agriculture. Il faut dépasser le conflit entre agriculture et écologie, rétablir un climat de confiance, concilier agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement. La crise ne facilite pas la tâche, mais ce n'est pas une raison pour abandonner tout le travail fait dans le cadre du Grenelle !

Mme Jacqueline Panis. - Ce projet de loi apporte des réponses aux défis qui se posent à l'agriculture, crises alimentaires, difficultés économiques ou avenir de la PAC. Une question mérite d'être approfondie : celle du foncier agricole. Étymologiquement, l'agriculture, c'est la mise en valeur des champs. On sait l'enjeu que représente l'accès à la terre : en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Ukraine, des investisseurs internationaux achètent des terres, constituent des domaines de plus en plus vastes. La population mondiale augmente ; il faudra augmenter notre production de 70 %. Depuis 2006, 20 millions d'hectares de terres arables auraient ainsi changé de propriétaire dans le monde.

Notre pays aussi perd des terres agricoles : jusqu'à 200 hectares par jour ! Nouveaux usages pour la production d'énergie, accélération de l'urbanisation et mitage des campagnes sont les causes immédiates. Derrière, on trouve des règles d'urbanisme inadaptées, et surtout la rentabilité insuffisante des terres agricoles. Pourquoi louer à un jeune qui veut s'installer quand un investisseur fait une offre bien plus alléchante ?

Il faut une réflexion plus large sur le sujet. C'est pourquoi je remercie le président Emorine d'avoir accepté la constitution d'un groupe de travail sur la propriété rurale. Les agriculteurs modernes sont des entrepreneurs, le Président de la République l'a souligné. À ce titre, ils ont besoin de capitaux. Or le premier investisseur, c'est le propriétaire, qui fournit la terre : en France, 70 % des terres sont exploitées en fermage.

Loin de la caricature du riche urbain ou de la multinationale abstraite, le propriétaire est souvent un ancien exploitant qui augmente ainsi sa retraite, un agriculteur qui exploite d'autres terres, ou quelqu'un qui attend qu'un descendant prenne la succession. Or le statut du fermage est particulièrement rigide : l'évolution du loyer est fixée administrativement, et il est souvent impossible au propriétaire de récupérer la jouissance de sa terre. On décourage ainsi certains propriétaire de louer leurs terres.

Une idée simple et pragmatique : au lieu d'une énième réforme du statut du fermage, pourquoi ne pas réunir bailleurs et preneurs et leur demander de réfléchir à un nouveau contrat, fondé sur le principe de liberté contractuelle ?

Il ne s'agit pas de remettre en cause un statut qui a fait ses preuves, mais d'expérimenter des modalités mieux adaptées. Voilà, Monsieur le ministre, qui serait conforme à l'esprit de large concertation de cet après-midi comme aux ambitions de votre projet.

M. Jean-Paul Emorine, président - Le statut du fermage devrait faire l'objet d'un projet de loi particulier.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Un mot de la compétitivité de l'agriculture : il ne faut pas s'interdire de penser la refondation - je ne dis pas la restructuration - de certaines filières ; sinon, elle se fera brutalement, par le marché.

Il y a des outils de régulation qui existent. Ne peut-on les formaliser pour agir plus vite, sachant que les restitutions vont disparaître en 2013 ?

S'agissant des distorsions de concurrence en matière environnementale, les règles doivent être équitables. Pourquoi pas un observatoire ?

La contractualisation, qui remet en cause le droit européen de la concurrence, sera-t-elle mise en oeuvre au niveau national ou au sein de régions pilotes ?

La préférence communautaire ? Je suis chiffonné comme vous l'êtes peut-être par la situation actuelle. L'Europe est ouverte, elle ne doit pas être offerte. Sans verser dans le protectionnisme, parlons de proximité ou d'excellence communautaire pour protéger notre agriculture.

M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai déjà répondu, Monsieur Fortassin, sur la volonté de supprimer remises, rabais et ristournes et sur la réduction des marges en temps de crise. Nous négocions avec la grande distribution et j'espère aboutir avant le 17 mai. A défaut, nous passerions par la loi.

S'agissant de l'hydraulique agricole, je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo sur les retenues d'eau, qui n'ont qu'un défaut, leur coût.

Dédramatisons le débat sur les OGM. Le Monsanto 810 suscite des interrogations et des réserves sur la question de la dissémination : il est sage de l'interdire. Dans d'autres cas, les possibilités sont plus ouvertes. Ainsi, les deux collèges du Haut conseil des biotechnologies ont-ils rendu un avis positif sur le Bt 11 ; il convient de suivre cet avis. A quoi bon, sinon, disposer d'un tel outil ? Conservons notre avance technologique, qui est un atout pour la France.

Le photovoltaïque est traité dans le projet de loi, qui l'encadre à l'article 12, alinéa 25.

Le mieux est l'ennemi du bien : le coût du triple étiquetage se reporterait sur le consommateur ou pèserait sur le producteur.

L'agriculteur a vocation à être un entrepreneur et à vivre dignement de son activité. Les conditionnalités et autres sous-catégories me laissent très réservé : notre agriculture est une et diverse. Je vous rejoins dans l'idée de ne pas créer une agriculture à deux vitesses.

Il faut revenir sur certaines inexactitudes. Il s'agit, madame Nicoux, de faire pour l'alimentation ce qu'on a fait pour la sécurité routière et de ne plus se contenter de recommandations éparses, qui n'avaient pas fait diminuer le nombre de morts sur les routes, mais de définir une politique globale, partagée par plusieurs ministères, qui donne des résultats. Aujourd'hui, le nombre d'obèses augmente, le diabète se développe ... On ne peut se satisfaire de la situation actuelle, d'où ce regroupement autour d'objectifs de résultats tangibles.

Sur la formation, je souhaite que nous ayons, comme plusieurs d'entre vous le proposent, un titre pour les jeunes agriculteurs : je rejoins la suggestion du président Emorine.

Pas de procès d'intention ! La compétitivité de l'agriculture, ce n'est pas son industrialisation. En revanche, des filières disparaîtraient faute de compétitivité.

Afin de prendre en compte le développement économique des petites villes, nous prévoyons une modulation de la taxe. La spéculation est plus forte près de Marseille ou de Bordeaux que près d'Évreux, et la maire de Damville sait bien que les prix n'y sont pas multipliés par cinquante. En dessous de dix, et avec une valeur de référence actualisée, il n'y aura pas de taxation.

L'indice national du fermage, enfin, est affaire d'équité : il s'agit d'encadrer les baux comme on encadre les loyers.

M. Jacques Blanc sait ma détermination à défendre l'agriculture de montagne Le bilan de santé de la PAC est fait pour cela. Je vais rencontrer sous peu l'Association des élus de montagne (ANEM).

Je connais l'enthousiasme et les convictions de M. Paul Raoult. La contractualisation va avec la régulation. Je défends l'une et l'autre et les choses bougent. Il y a six mois, si je vous avais parlé de régulation européenne pour le lait, vous m'auriez ri au nez. Mais nous avons fait bouger les lignes avec cette idée franco-française. Les contrats n'ont de sens qu'assortis de mécanismes de régulation. Voilà pourquoi je livre une double bataille. Quant aux quotas, les socialistes ont été battus en 1999 quand ils les défendaient ; comment les aurais-je pu les défendre en 2009 ?

Il ne s'agit pas de revenir sur le Grenelle de l'environnement dont une grande partie est à l'avantage des agriculteurs. Nos agriculteurs ont cependant besoin de souplesse sur les particularités topographiques et les phytosanitaires, et je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo.

J'ai répondu par avance à Mme Panis. Il faudrait tout un débat pour les Safer : concentrons-nous aujourd'hui sur le projet de loi.

Toutes les questions de M. Bizet sont importantes et il est exact que nous sommes à un tournant. Je rejoins son analyse sur les filières. Nous allons ouvrir trois dossiers en 2010 : la loi, la négociation de la PAC et les plans de développement par filière. Si nous ne mettons pas en place ces derniers sur le porc, sur le lait, sur les fruits et légumes ou encore sur les bovins, le marché le fera.

La régulation, c'est la gestion, mais c'est également la prévention. Un observatoire européen des volumes donnerait des signaux d'alarme en cas de surproduction dans tel ou tel pays.

S'agissant des distorsions de concurrence, l'observatoire a besoin d'être réactivé.

Comme l'a dit le président, nous sommes favorables à la préférence communautaire, même si certains de mes homologues européens s'en étonnent. Elle figure dans l'article 2 du Traité de Rome. N'ayons aucune pudeur : ce n'est pas parce que l'OMC s'est développée que le Traité de Rome ne vaut plus.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je vous remercie Monsieur le Ministre. Nous examinerons la semaine prochaine le texte qui suscitera une nouvelle discussion générale en séance publique.