Mardi 11 mai 2010

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat

La mission a procédé à l'audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.

M. Alain Vasselle, président, a souligné l'intérêt pour la Mecss d'entendre, dans le cadre de ses travaux sur le rendez-vous 2010, François Baroin, ministre des comptes publics et donc des comptes sociaux, dans la mesure où la question des retraites pose un problème financier considérable. La crise a amplifié les déficits structurels de toutes les branches de la sécurité sociale et une dette sociale sans précédent est en train de se constituer. Il n'est que temps que se réunisse la commission de la dette sociale dont la création avait été annoncée par Eric Woerth lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, a tout d'abord noté que le rendez-vous 2010 a démarré avec un calendrier, une méthode et un pilote, qui est le ministre du travail, Eric Woerth. Le financement du système de retraite est très dégradé. Nul ne met plus en cause la nécessité d'une réforme, même si quelques voix s'élèvent encore, à l'Assemblée nationale, pour en contester le bien fondé. Les projections du Cor sont désormais connues : les tensions sur le système sont si fortes qu'elles menacent sa pérennité.

Si donc une réforme s'impose, il n'est cependant pas question, pour le Gouvernement, de remettre en cause le système par répartition, fruit d'une avancée majeure qui a permis de donner aux personnes âgées, grâce à la solidarité intergénérationnelle, une fin d'existence décente. Ce système est ce que l'on a créé de mieux dans notre pays, déjà très en avance en matière sociale. Il garantit un droit au repos fondé sur un équilibre entre temps travaillé et temps de retraite. Notre société lui doit nombre de ses principes et de ses valeurs. Préserver ce système, telle est la tâche difficile que le Président de la République a confiée à Eric Woerth.

Le déséquilibre financier est sévère. Le déficit dépassera les 30 milliards en 2010, dont 10 milliards pour le régime général. Selon les projections du Cor, ce déficit, dans un scénario qui retient pourtant l'hypothèse optimiste d'un taux de chômage à 4,5 %, atteindrait 50 milliards en 2050. Aujourd'hui, une pension sur dix est financée à crédit. Ce sera le cas de deux sur dix dans quelques années. Si nous ne faisons rien, la génération qui nous suit devra payer la retraite de ses grands-parents et celle de ses parents : que lui restera-t-il ? Nous n'avons pas le droit de continuer sans rien faire.

En 2050, le besoin de financement cumulé dépassera le montant du Pib. Il représentera deux fois notre dette actuelle. Or, 2050, c'est demain. Il faut anticiper dès à présent sur les évolutions démographiques structurelles : l'espérance de vie s'accroît et le ratio actifs-retraités se dégrade. Avec un départ à soixante ans, ce sont vingt-cinq ans d'inactivité en moyenne que finance la collectivité - vingt-sept ans pour les femmes, vingt-deux ans pour les hommes - au moment même où la génération des baby-boomers arrive à l'âge de la retraite. Le ratio entre actifs et retraités doit passer de 1,8 en 2010 à 1,2 en 2050.

L'objectif du Gouvernement, dès avant la crise, a été de retrouver un équilibre durable, conformément à l'engagement du Président de la République. La crise de 2008-2009 a accéléré la dégradation des comptes en provoquant un fort recul des recettes. Au point qu'a été atteint en 2009 le niveau de déficit que l'on n'attendait que pour 2020 : c'est dire la violence de la crise.

Plusieurs réformes ont déjà eu lieu : celle du régime général en 1993, celle du régime de la fonction publique et du régime général en 2003, celle des régimes spéciaux en 2008. Sans elles, la situation serait aujourd'hui intenable. Il faut poursuivre, faute de quoi nous serons, à terme, dans l'incapacité de financer le système. Sans compter que nous renforcerons par là notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires et des investisseurs qui nous aident à financer notre dette. La crise grecque nous interpelle tous : aucun grand pays européen ne peut y être indifférent.

Le Gouvernement a retenu une méthode, la concertation avec les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs, et des pistes, qui passent par l'employabilité des seniors et la prise en compte de la pénibilité de certaines activités. L'option d'une baisse des pensions a d'emblée été écartée. Le Gouvernement privilégie celle d'un allongement du temps d'activité, plus cohérente compte tenu du contexte démographique et de l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé. Mais il faut être réaliste : le rapport du Cor souligne que le recul de l'âge de départ en retraite et l'augmentation des cotisations ne suffiront pas à rééquilibrer le système. Dans les hypothèses les plus volontaristes, telles qu'un report de l'âge légal de départ en retraite à soixante-cinq ans couplé à un allongement de la durée de cotisation à 43,5 annuités, le besoin de financement du régime général ne serait couvert, en 2050, qu'à 57 %. Il ne s'agit ici que d'hypothèses du Cor, pas d'un plan de travail, mais cela donne la toile de fond.

Dans un scénario d'âge légal de départ porté à soixante-trois ans, avec une hypothèse de chômage à 4,5 %, c'est-à-dire proche du plein emploi, les recettes ne seraient que de 17 milliards pour un besoin de financement de 64 milliards, soit 26 % seulement des besoins de financement. Et ces ordres de grandeurs valent pour tous les régimes.

Des recettes nouvelles peuvent être attendues de la refonte du système d'exonérations fiscales et sociales. Le Président de la République a également évoqué un prélèvement spécifique sur les hauts revenus ou sur les revenus du capital. Mais il faudra rester vigilants, pour ne pas peser sur le coût du travail et le pouvoir d'achat : la France a des taux de prélèvements obligatoires, de dépense publique et de redistribution parmi les plus élevés.

C'est un principe d'équité qui nous guidera, comme il a guidé, déjà, la convergence des règles entre le public et le privé. Il conviendra de prendre en compte le problème de l'employabilité des seniors et celui de la pénibilité de certaines activités. Car comment envisager de travailler plus longtemps si le taux d'emploi des seniors reste insuffisant ? Passé un certain âge, il est difficile, dans notre pays, de retrouver un emploi et la crise a aggravé le phénomène. Il faudra être imaginatifs et solidaires.

La réforme ne sera juste que si elle prend en compte la pénibilité, qui n'est pas la même dans toutes les tâches. Les entreprises devront traiter la question. Sans doute faudra-t-il faire évoluer les postes, adapter les métiers en fonction de l'âge.

Notre responsabilité collective est lourde, ce n'est pas une affaire de gauche ou de droite. Nous sommes responsables à l'égard de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous sommes tous face à un choix d'avenir, qui doit être un choix collectif. Il faudra travailler auprès de l'opinion publique pour faire partager nos constats. Lorsque les décisions seront arrêtées, dans un débat vertueux avec la représentation nationale, nous aurons fait oeuvre utile.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a souhaité savoir quelles sont les dernières évaluations pour les comptes du système de retraite en 2010. Comment se répartit le chiffre de 30 milliards entre régime général, fonds de solidarité vieillesse, fonction publique ? L'évolution de la masse salariale est un facteur essentiel au regard des retraites. Dispose-t-on de projections pour 2010, voire 2011 ?

M. François Baroin a indiqué que, sur l'évaluation des comptes 2010 et la part du régime général et des régimes obligatoires de base, des estimations seront disponibles le 9 juin prochain. On sait déjà que la forte dégradation des comptes constatée en 2009 viendra peser sur 2010. Cependant, même si la reprise reste molle, la bonne tenue des recettes, fin 2009, a permis d'améliorer le solde du régime général de 2,6 milliards par rapport à octobre de l'an passé.

Pour la fonction publique, c'est moins la situation économique que l'augmentation du nombre de baby-boomers arrivant à l'âge de la retraite qui a eu un impact, même si on constate en 2009 un taux de demande de liquidation inférieur à ce qu'il aurait dû être au regard des tendances passées, ce qui peut s'expliquer par la crise, la peur du lendemain ou le besoin de travailler davantage pour obtenir une meilleure pension.

Le fonds de solidarité vieillesse (FSV), en revanche, est très élastique à la conjoncture, dans la mesure où la CSG qui l'alimente est liée à la masse salariale. On est ainsi passé d'un déficit de 3 milliards en 2009 à un déficit prévu de 4,5 milliards en 2010.

Quant à l'évolution de la masse salariale, les prévisions, en loi de financement pour 2010, de - 0,4 % en 2010 et 5 % en 2011, ont été révisées, dans le cadre du programme de stabilité, à 0,3 % en 2010 et 3,7 % en 2011.

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a tout d'abord relevé que, si l'on n'agit que sur un paramètre unique pour redresser les comptes, il faudra soit cotiser au-delà de soixante-cinq ans, soit réduire les pensions de 20 % à 25 %, soit augmenter les prélèvements d'au moins cinq points.

Le vieillissement de la population a aussi des effets sur les dépenses d'assurance-maladie. Les plus de soixante ans consomment près de 60 % des ressources de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), sans parler de la dépendance et du logement. Ne faudra-t-il pas un jour rediscuter du financement de la protection sociale ?

Pour les retraites, on parle d'élargir l'assiette ou d'augmenter le forfait social sur certaines niches. Qu'en pense le ministre ?

Pour plus d'équité, la loi de 2003 a introduit un volet épargne-retraite. Ne serait-il pas utile de revitaliser des dispositifs comme le plan d'épargne retraite populaire (Perp) et le plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco) en les ciblant sur le complément retraite ?

M. François Baroin a répondu que le Président de la République a, lors du sommet social du 10 mai, indiqué deux directions : prélèvement sur les hauts revenus, prélèvement sur les revenus du capital. C'est bien témoigner d'une volonté d'équité.

Au-delà, on peut imaginer d'autres solutions. L'objectif du Gouvernement - et les lettres de cadrage qui ont été envoyées aujourd'hui en témoignent - est de contenir les dépenses publiques en visant les trois sources de dépenses que sont les dépenses de l'Etat, les dépenses des collectivités et les dépenses sociales. Il existe aussi des dépenses fiscales - les fameuses niches - que l'on peut entreprendre, par équité, de passer au peigne. Entendons-nous : il ne s'agit pas d'y aller à la hache, mais de cibler ce qui a fait son temps, ce qui ne vient plus irriguer de manière adéquate l'économie. Nous avons pris, auprès de nos partenaires européens, un engagement sur deux milliards de réduction des dépenses fiscales chaque année. Nous allons plus loin en prévoyant cinq milliards sur les deux ans à venir. Les débats au Parlement nous conduiront peut-être à aller encore plus loin, en fonction de l'état d'esprit des assemblées ; il faudra être très ouvert. Nous aurons un double rendez-vous : le débat d'orientation budgétaire puis la loi de finances. Nous travaillons méthodiquement avec l'inspection générale des finances, avec les acteurs, avec les politiques.

La solution de facilité serait de dire : nous avons 75 milliards de dépenses fiscales, il suffit de les raboter de 10 % et nous obtiendrons 5 milliards très vite. Mais ce serait prendre le risque d'être inéquitable. Mieux vaut prendre le temps.

En matière d'épargne-retraite, il n'est pas temps de créer un nouveau produit. La loi de 2003 a mis en place le Perp et le Perco, tandis que pour les fonctionnaires, existe la Prefon. Les salariés du privé peuvent déjà bien souvent se constituer une épargne-retraite dans le cadre de leur entreprise.

En revanche, sur la dépendance, le débat est plus ouvert. L'Assemblée nationale réfléchit à un dispositif d'accompagnement ne reposant pas seulement sur la solidarité nationale. On sait que la solidarité, en ce domaine, ne pourra pas parer à tout : il faudra que les assureurs jouent leur rôle.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a rappelé que les réformes de 2003 et 2008 ont rapproché le système public du système privé. Le Gouvernement envisage-t-il de poursuivre dans cette voie, en particulier sur le mode de calcul des pensions, dont on sait qu'il est très différent dans la fonction publique de ce qu'il est dans le régime général ?

M. François Baroin a relevé que, sur ce sujet majeur, la discussion doit se poursuivre avec les partenaires sociaux. Reste que l'équité demeure l'objectif, ici comme ailleurs.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a noté que le Cor a étudié la possibilité de procéder à une réforme systémique des régimes de retraites mais que le Gouvernement ne semble pas prêt à étudier cette question au vu de l'urgence de la situation financière actuelle.

M. François Baroin a noté l'intérêt évident du modèle suédois ou scandinave tout en retenant que le sujet est pour l'instant écarté parce que la question est pour l'heure de protéger le système de retraite par répartition. Il ne faut pas mélanger les messages.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a déclaré comprendre que l'urgence engage à poursuivre par ajustements paramétriques, tout en invitant chacun a entendre aussi l'anxiété des jeunes face à un avenir qu'ils ne maîtrisent pas. Nous ne prenons pas le temps de mesurer les effets à terme de nos décisions. Cette façon de fonctionner est anxiogène pour les jeunes générations N'y a-t-il pas urgence non seulement à ajuster aujourd'hui mais aussi à se donner les moyens, à plus longue échéance, de remettre à plat l'ensemble du dispositif ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a estimé que le scénario du Cor reposant sur une progression de la productivité de 1,8 % par an et un taux de chômage de 4,5 % n'est pas réaliste. La croissance de la productivité par salarié diminue depuis 1980, pour se situer aujourd'hui autour de 1 %. La publication du nouveau rapport du conseil doit inciter à la prudence.

M. Alain Vasselle, président, a fait valoir qu'un quotidien a publié, le 10 mai dernier, un entretien avec Olivier Ferrand, président de Terra Nova, qui suggère un certain nombre de pistes, notamment en matière de recettes. On pourrait agir, dit-il, sur les 400 milliards de dépenses sociales en faisant disparaître les prestations les plus élevées servies aux plus aisés. Or, on peut se demander de quoi il s'agit et comment cela viendra alimenter le système puisqu'Olivier Ferrand ajoute que sur 30 milliards d'allègements ainsi repris, 20 pourraient être redéployés sur les emplois de demain. Ne faut-il pas considérer que de telles affirmations appellent une réponse quant à leur bien-fondé ?

M. René Teulade a relevé que le problème des retraites est passionnant et passionné. Il faut conserver, autant que faire se peut, la plus grande sérénité dans la discussion avec les partenaires sociaux.

Les simulations que fournit le Cor n'ont qu'une vocation purement illustrative et ne constituent en rien des pistes de réforme. Le conseil lui-même l'a réaffirmé. On pourra avancer toutes les analyses techniques, financières, démographiques, il n'en reste pas moins que le choix à faire est un choix politique et la question est celle de la solidarité nationale.

On ne peut accepter de voir s'exacerber l'angoisse des générations nouvelles. Nous ne sommes plus dans une société patriarcale, dans laquelle trois générations vivaient sur le même patrimoine et où les enfants prenaient en charge leurs parents. Aujourd'hui, c'est sur la génération des cinquante-soixante ans que tout repose : ils doivent prendre en charge leurs enfants, parfois leurs petits-enfants, et leurs parents. La solidarité intergénérationnelle est indispensable.

La fin de l'activité professionnelle, dans la troisième partie de la vie, ne signifie pas la fin de l'activité économique et sociale. C'est une période très constructive. Songeons à son rôle dans le domaine électif : près de 50 % des élus de nos 36 000 communes ont cessé leur activité professionnelle. Et que dire du rôle des retraités dans le monde associatif, facteur puissant d'équilibre dans nos sociétés ? Il n'est pas nécessaire de dramatiser un quelconque conflit de générations.

M. André Lardeux a exprimé la crainte que la prise en compte de la pénibilité ne conduise à la réapparition des préretraites du passé. Cette question doit-elle être traitée de manière individuelle ou par des accords collectifs ?

M. Jacky Le Menn a rappelé que le dialogue social sur la pénibilité n'a débouché sur aucun accord. Ne faudrait-il pas l'inscrire dans le code du travail ? Et comment en assurer le financement ? S'agissant du taux d'emploi des seniors, la politique de l'entreprise est en jeu. Faut-il en ce domaine inciter ou sanctionner ? Comment articuler financement des retraites et financement de la dépendance, question aussi difficile et qui lui est consubstantielle ?

La réflexion du Gouvernement inclut-elle le fait de toucher aux prélèvements sur les pensions déjà liquidées ? Enfin, prend-elle en considération le problème des handicapés ?

M. Guy Fischer a observé que le problème des déficits préoccupe chacun, de même que le financement des retraites. Mais la destruction, en 2009, de 680 000 emplois, la baisse historique de 1,4 % de la masse salariale, recul que l'on n'avait pas connu depuis la Libération, sont aussi au coeur de nos préoccupations.

Assistera-t-on, à court, moyen ou long terme, à un écrasement sans précédent des retraites et des prestations familiales ? Ces dernières, pour la première fois depuis plusieurs décennies, n'ont pas été réévaluées au 1er octobre dernier.

Il semble qu'aucune réponse ne puisse être apportée à ce stade. Il n'est donc pas utile de demander ici si le Gouvernement entend supprimer enfin le bouclier fiscal. Il est fort à craindre qu'il ne fasse peser tout l'effort sur les salariés et porte une attaque sans précédent à la fonction publique.

M. Alain Gournac a souhaité savoir si la réforme sera globale ou si la question des retraites du public et celle des retraites du privé sera traitée séparément. Au cours de la dernière réforme, on a mesuré les efforts par classe d'âge, pour éviter un trop fort à-coup à celles qui seraient les premières touchées. Allons-nous dans la même direction ?

Mme Anne-Marie Payet a rappelé qu'en ce qui concerne l'outre-mer, une étape décisive a été franchie grâce à l'extinction progressive des surpensions des fonctionnaires. Le Gouvernement envisage-t-il d'anticiper cette extinction, que certains sénateurs jugeaient trop lointaine ?

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a demandé si le Gouvernement compte abonder le fonds de réserve des retraites (FRR).

M. François Baroin a tout d'abord souligné que la question de la pénibilité est au coeur du dialogue social, car son appréciation est délicate. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte ; certains sont objectifs, d'autres plus subjectifs, peuvent le devenir, comme l'angoisse vécue par les salariés de France Telecom. Ce constat est déjà une avancée. Le sujet doit prioritairement être pris en compte dans le cadre de l'entreprise, à travers la rémunération et l'adaptation des métiers en cours de carrière.

L'emploi des seniors est la condition de l'équilibre à long terme du système. En France, le taux d'emploi des salariés âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n'était que de 38 % en 2008, contre 45,6 % pour le reste de l'Europe. Il faut dire aussi que la plupart des Etats membres ont fixé l'âge de départ à la retraite au-delà de soixante ans... Nous sommes encore très loin de l'objectif de 50 % retenu par la stratégie européenne pour l'emploi, malgré nos efforts : dispositif de décote et de surcote, âge de la retraite d'office porté à soixante-dix ans, cumul emploi-retraite, limite d'âge dans la fonction publique à soixante-cinq ans pour tous les corps, droit à l'information, accords conclus dans les entreprises, plans d'action pour l'emploi des seniors. Il faut faire plus : création éventuelle d'un contrat jeune senior, départ à la retraite progressif... Le Président de la République a ainsi annoncé un dispositif fiscal incitatif « zéro charges senior ».

La France a besoin de stabilité fiscale. Le bouclier qui n'existe que depuis 2007 et porte sur des sommes limitées est amalgamé avec des dispositifs qui n'ont rien à voir, comme les bonus ou les retraites chapeau.

Nous savons ce que veut dire « rigueur » depuis que la gauche a été aux affaires : en 1981-1982, retraite à soixante ans, semaine de trente-neuf heures, cinquième semaine de congés payés, hausse de 25 % des minima sociaux. Cela a entraîné la dévaluation du franc, le blocage des salaires, la crise et la politique de rigueur en 1983. Cette rigueur, qui hante la gauche, est la conséquence d'une politique laxiste. Or nous, nous n'avons pas été laxistes mais responsables. Plan de relance pour endiguer la crise, grand emprunt pour préparer l'avenir, plan de maîtrise de la hausse de la dépense publique : c'est tout le contraire. Il n'y a donc aucune raison de parler de rigueur aujourd'hui mais de maîtrise de la croissance de la dépense publique.

Les prestations sociales ont été réévaluées au 1er avril, conformément aux textes : l'inflation ayant été plus faible que l'an dernier, la réévaluation a été plus faible aussi.

Toute modification de la durée d'assurance ne peut être que progressive. Il faudra tenir compte de la capacité sociale de notre pays à accepter l'évolution. Si nous devons fixer un cadre rigoureux, il faut aussi un calendrier adapté : ni l'horizon du forestier - le siècle nécessaire à la croissance du chêne - ni la courte vue !

La question des surpensions sera examinée à l'intérieur du cadre défini pour le rendez-vous 2010.

Le FRR est déjà abondé par une ressource régulière. Il est aujourd'hui doté de 30 milliards. Aucune ressource nouvelle n'est prévue à ce stade.

En ce qui concerne les prélèvements sur les retraites élevées et la prise en compte des handicapés, ces sujets sont en débat. Si l'on doit augmenter les prélèvements - mais rien n'est décidé à ce stade - il faudra sans doute prendre en compte le différentiel de taux de CSG, comme celui de l'imposition sur le revenu. Mais il est trop tôt pour trancher. Il en est de même pour les personnes handicapées, qui font bien entendu partie des publics protégés.

Mercredi 12 mai 2010

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Rendez-vous 2010 pour les retraites - Audition de M. Raphaël Hadas-Lebel, président du conseil d'orientation des retraites

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Raphaël Hadas-Lebel, président du conseil d'orientation des retraites, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Cor, a tout d'abord rappelé avoir présenté au Sénat, en janvier dernier, le septième rapport du conseil, élaboré à la demande du Parlement et consacré aux effets du passage éventuel d'un régime de retraites par annuités à un régime par points ou fondé sur les comptes notionnels. Ce rapport a montré qu'une telle réforme dite « systémique » est possible, quoique difficile à mettre en oeuvre. Le système suédois des comptes notionnels a l'avantage de s'autoréguler et de répondre aux évolutions économiques et démographiques prévisibles, mis à part le papy-boom qui occasionne des besoins spécifiques. Mais une réforme de l'architecture globale du système de retraites n'est pas à l'ordre du jour : les syndicats ne s'y intéressent guère, sauf la CFDT, et le Gouvernement semble vouloir conserver le système actuel tout en en modifiant les règles.

Depuis lors, le Cor a poursuivi ses travaux et préparé le rendez-vous actuel entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Il a fallu actualiser les projections à moyen et long terme élaborées en 2007 mais rendues caduques par la crise économique et financière. Le huitième rapport du Cor, adopté en réunion plénière le 14 avril, est donc essentiellement consacré aux effets de la crise sur les régimes de retraites. En raison de l'incertitude des perspectives économiques, trois scénarios ont été formulés. Le scénario A est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2025 et d'un taux de croissance annuel de la productivité du travail de 1,8 %, ces deux facteurs déterminant la masse salariale, donc le montant des cotisations. Cette hypothèse est assez optimiste mais il faut noter que la réduction du taux de chômage à 4,5 % n'est plus prévue pour 2015, comme c'était le cas dans le rapport de 2007, mais pour 2025. D'après le scénario B, le taux de chômage serait de 4,5 % en 2025 - il faut espérer que la politique de l'emploi finira par porter ses fruits - et la progression de la productivité du travail de 1,5 % par an. Quant au scénario C, il prévoit un taux de chômage de 7 %, comme immédiatement avant la crise, et une progression annuelle de la productivité de 1,5 %. Le Medef voulait travailler sur une hypothèse encore plus pessimiste, mais pas tout à fait irréaliste - 9 % de chômage et 1,2 % d'augmentation annuelle de la productivité - mais le Cor n'a pas voulu retenir ce scénario catastrophe. L'étude prend en compte les principaux régimes de retraites : le régime général, ceux de la fonction publique de l'Etat et des collectivités territoriales et les régimes complémentaires des salariés du secteur privé, relevant de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco).

Il a été établi qu'à moyen terme, les perspectives financières des régimes de retraites sont fortement affectées par la crise et la montée du chômage, auxquelles s'ajoutent des facteurs démographiques comme le papy-boom et l'allongement de l'espérance de vie. Le besoin de financement en 2050 s'élèverait, dans le scénario A, à 72 milliards d'euros, soit 1,7 % du Pib, à 103 milliards d'euros, soit 2,6 % du Pib dans le scénario B, et à 115 milliards d'euros, soit 3 % du Pib dans le scénario C. Surtout, la crise pose un problème à très court terme : dès 2010, les besoins de financement du système de retraite s'élèvent à 32 milliards d'euros, soit 1,7 % du Pib, et ils se monteront en 2015 à 40 milliards d'euros. Le déficit pourrait ensuite ralentir sa progression.

Le Cor a aussi pour mission de mesurer les effets des réformes envisageables. Mais lorsqu'il a présenté ses hypothèses au mois de mars, il s'est heurté à une réaction très violente des syndicats. Il est vrai que des informations avaient fui dans la presse avant même la réunion du conseil... Les syndicats ont donc refusé l'idée même de simulations. C'est pourquoi l'idée a été avancée d'élaborer deux documents : un rapport sur les besoins de financement, délibéré par le conseil, et dont les conclusions ne sont contestées par personne, et un « dossier » technique publié hier sous la responsabilité du secrétariat général du Cor, qui comporte des simulations sur les effets de diverses réformes possibles. Les hypothèses retenues dans ce dossier n'expriment pas la position du Cor sur les réformes à mener : les syndicats et la presse l'ont bien compris, et c'est ce qui explique les réactions modérées à la publication du dossier. Le conseil a travaillé en étroite collaboration avec la Cnav, le service des retraites de la fonction publique d'Etat et l'Arrco, mais il n'a pas pu, en un mois et demi, prendre en compte les autres régimes.

Plusieurs voies s'offrent à nous pour revenir à l'équilibre. Lors d'une précédente audition, ont été présentés les abaques du Cor, qui ne sont pas des bouliers chinois mais des graphiques : en abscisse figure le ratio entre la valeur moyenne des pensions et des salaires, en ordonnée la hausse du niveau des cotisations et autres ressources ; on peut tracer plusieurs courbes en fonction de l'âge effectif de départ à la retraite. Ces abaques représentent les trois leviers de réforme. On peut d'abord solliciter davantage les sources de financement : cotisations salariales et patronales, qui s'élèvent aujourd'hui à 28,8 % des rémunérations brutes ; impôts et taxes affectées, comme la CSG et les compensations d'exonérations de cotisations ; contributions de l'Etat au régime de la fonction publique et prise en charge par l'Etat de certaines cotisations implicites et prise en charge de cotisations à des régimes spéciaux ; transferts de cotisations de l'Unedic, comme cela était envisagé en 2003. Si le chômage diminue, conformément aux scénarios A et B, un tel transfert pourrait représenter 0,4 % du Pib vers 2015. Il est également possible de déléguer à la Cnaf certaines prestations familiales liées aux retraites. Le Cor n'a pas voulu envisager une modification de l'assiette des cotisations, car le conseil d'orientation de l'emploi et le conseil d'analyse économique l'avaient fait avant lui, lorsqu'il était question de créer une TVA sociale ; il paraît d'ailleurs souhaitable d'asseoir les cotisations de retraite sur les salaires car les pensions sont généralement considérées comme des salaires différés. Il pourrait aussi être opportun de revoir certaines exonérations fiscales et sociales, liées notamment à l'épargne retraite et à l'intéressement. Enfin il faudra recourir dès 2020 au fonds de réserve des retraites qui, si le taux de rendement s'élève à 4 % par an, pourrait fournir alors 70 milliards d'euros ; peut-être cette hypothèse doit-elle être revue en raison des derniers aléas boursiers.

Le deuxième levier consiste à modifier le ratio entre la pension moyenne et le revenu moyen des actifs. Actuellement, ce ratio diminue, non que les pensions régressent en valeur absolue : bien au contraire, elles augmentent, car ceux qui partent aujourd'hui à la retraite ont des revenus plus élevés qu'il y a dix ou quinze ans. Mais depuis 1993, les pensions sont indexées sur les prix alors que les revenus des actifs progressent plus rapidement. A la demande de FO, le Cor a évalué le coût d'une augmentation des pensions supérieure à celle des prix : un point de plus coûterait 2 milliards d'euros, ce qu'il faut garder en tête.

Enfin - c'est le troisième levier - on pourrait relever l'âge effectif de départ à la retraite, qui était de 60,6 ans en 2008. Pour y parvenir, il faut soit augmenter la durée de cotisation, soit relever l'âge légal d'ouverture des droits ou l'âge du taux plein. Plusieurs simulations ont été élaborées à ce sujet. La variante 1 suppose une augmentation progressive de la durée de cotisation, dans le prolongement de la loi Fillon de 2003, jusqu'à 43,5 ans en 2050. Le passage de 40 à 41,5 annuités entre 2008 et 2020, déjà prévu par la loi Fillon, rapporterait 10 milliards d'euros, et le passage de 41,5 à 43,5 annuités, entre 2020 et 2050, 10 autres milliards. L'effet d'une telle mesure serait limité, mais prolongé. La variante 2 est fondée sur un report de l'âge d'ouverture des droits de soixante à soixante-trois ans et de l'âge du taux plein de soixante-cinq à soixante-huit ans, au rythme d'un trimestre par an de la génération de 1951 à celle de 1962, soit à peu près de 2011 à 2025. Cela dégagerait 17 milliards d'euros en 2030, soit 50 % du besoin de financement, mais les effets de cette mesure s'atténueraient par la suite. La variante 3 cumule les hypothèses et les effets des deux précédentes.

Le Cor a également mis au point des « tests de sensibilité » en fonction d'hypothèses plus dures, à la demande du Medef. La variante 1-a suppose que l'on aille au-delà de la loi Fillon pour augmenter la durée de cotisation d'un trimestre par an, jusqu'à quarante-cinq ans pour la génération de 1968, ce qui couvrirait 30 % des besoins. Dans la variante 2-a, l'âge légal d'ouverture des droits est porté à soixante-cinq ans en 2050, l'âge du taux plein à soixante-dix ans, hypothèse insupportable d'après les syndicats ; deux tiers des besoins seraient ainsi couverts en 2030, puis les effets de la réforme s'amoindriraient. La variante 2-b est fondée sur une hypothèse légèrement différente : le report de l'âge d'ouverture des droits, non du taux plein. Enfin la variante 3-b, la seule qui ait retenu l'attention des médias, suppose, d'une part, une durée de cotisation de quarante-cinq ans, d'autre part, un report de l'âge légal d'ouverture des droits à soixante-trois ans et de l'âge du taux plein à soixante-huit ans. Les effets bénéfiques s'en feraient sentir dès 2020 et de plus en plus jusqu'en 2030, avant de s'atténuer. En toute hypothèse, il serait impossible de couvrir plus de la moitié des besoins de financement.

Il faut d'ailleurs noter que le report de l'âge d'ouverture des droits pénaliserait surtout ceux qui ont commencé à travailler jeunes et seraient autrement partis en retraite dès soixante ans, tandis que le report de l'âge du taux plein atteindrait plutôt ceux qui attendaient d'avoir soixante-cinq ans pour liquider leurs droits, c'est-à-dire ceux qui ont eu des carrières courtes ou chaotiques.

Le travail du Cor a été délibérément technique, mais toute réforme suppose bien sûr un débat de société et des choix politiques.

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a noté que le Cor a désormais trouvé toute sa place dans le débat démocratique : ses dernières contributions, remarquables, apportent un éclairage technique indispensable aux choix politiques. Le système de retraite doit être réformé : la crise a accéléré de dix ans le creusement du déficit. Il conviendrait de s'arrêter sur l'« effet base » ; ceux qui affirment qu'il suffit que la conjoncture économique s'améliore pour que les comptes sociaux retrouvent l'équilibre se trompent : les recettes perdues ne seront pas récupérées.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a souligné que le dossier publié par le Cor montre qu'aucun ajustement du système actuel ne le rendra pérenne. Ne faudrait-il pas, comme le suggérait le rapport de janvier, ouvrir le chantier d'une réforme plus globale ? En outre, n'est-il pas nécessaire de verser aux régimes de retraite, entre 2015 et 2030, une contribution exceptionnelle pour faire face à l'afflux de nouveaux retraités ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a salué la pertinence des travaux du Cor, qui permettent de faire des choix avisés. Le conseil n'a-t-il pas été trop optimiste en se fondant sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % ou même 7 %, et d'une hausse annuelle de la productivité de 1,5, voire 1,8 % ? Il est à craindre que la crise n'ait durablement affecté le potentiel de croissance. En péchant par excès d'optimisme, on perd son crédit. Le Cor a-t-il pris en compte d'autres hypothèses, et si c'est le cas, quels résultats produisent-elles ?

Par ailleurs, le financement des retraites ne doit pas être séparé de celui d'une prise en charge plus systématique de la dépendance. On pourrait être tenté d'affecter aux caisses de retraites des recettes fiscales supplémentaires, comme une TVA sociale, mais cela amputerait les ressources du système de santé et de la politique familiale. En outre, plus on augmente les coûts de production, plus on encourage la désindustrialisation et les délocalisations.

Ne faudrait-il pas revoir certains avantages fiscaux dont bénéficient les retraités, évaluer leur impact et vérifier s'ils sont bien ciblés ?

M. Alain Vasselle, président, est tout d'abord revenu sur la perspective éventuelle d'une réforme structurelle. Le Cor a-t-il échangé récemment avec les partenaires sociaux sur la question d'une réforme systémique ? A-t-il d'emblée écarté cette approche ou lui a-t-on donné pour mandat de s'en tenir à l'étude d'une réforme du système actuel de retraite par répartition en jouant sur les paramètres ? Ensuite, le volet des recettes est mentionné dans le dossier du Cor mais sans indiquer à quelles ressources faire appel pour satisfaire les besoins de financement. Est-ce à dire que ce point n'entre pas dans le champ de l'étude ?

M. Raphaël Hadas-Lebel a observé que l'« effet base » est le seul qu'avait pris en compte le Cor dans son scénario de 2007, la crise n'ayant pas encore éclaté. Selon les projections, le besoin de financement en 2050 sera de 1,7 % du Pib en raison de l'effet base. Celui-ci recouvre l'effet du papy-boom, surtout jusqu'en 2035, et l'effet de l'allongement de l'espérance de vie qui entraînent une détérioration dramatique du rapport entre cotisants et retraités : 3 en 1960, contre 1,8 aujourd'hui et 1,2 en 2050, le nombre de retraités passant de 15 millions aujourd'hui à 22 millions en 2050. En prenant en compte l'effet de la crise, le besoin de financement est évalué en 2050 à 3 % du Pib. L'effet base est donc loin d'être négligeable.

Faut-il ouvrir le chantier de la réforme systémique ? La loi Fillon de 2003 avait prévu une règle du jeu fixe - la stabilité du rapport entre durée de cotisation et durée de retraite - et des rendez-vous réguliers tous les quatre ans pour procéder à des « ajustements ». Or ces rendez-vous sont de plus en plus dramatisés, voire anxiogènes selon certains, parce que revient toujours sur le métier la nécessité de la réforme, et plus encore aujourd'hui, avec la crise. Si les effets des décisions prises par le Gouvernement pour améliorer l'emploi se font sentir en fin d'année, la question d'un changement de système restera à l'arrière-plan. Une telle réforme suppose des choix extrêmement difficiles et, donc, un consensus des partenaires sociaux, comme le montre l'exemple suédois, avec dix ans de préparation et des transitions. Le Cor ne s'est pas vu opposer de veto à l'étude d'une réforme systémique, mais il n'a pas reçu de mandat en ce sens non plus. Les organisations syndicales sont réservées sur ce point. La CFDT, à l'instar de la candidate socialiste durant la campagne présidentielle de 2007, a marqué de l'intérêt, dans un premier temps, pour les comptes notionnels défendus par MM. Bozio et Piketty. Le Medef ne s'est pas exprimé officiellement à ce sujet. D'après ses déclarations dans les médias, il défendrait une plus grande part de capitalisation. Enfin, le Gouvernement semble avoir écarté l'idée d'une réforme systémique, compte tenu de la situation.

Pour ce qui concerne les besoins de financement pour la période 2015-2030, les travaux du Cor ont mis en lumière l'urgence du problème du financement du fait de la crise. L'allongement de la durée d'activité ne permet pas d'y répondre, car celui-ci ne peut qu'être progressif.

Ses scénarios n'épuisent pas le champ des possibles. Pour le taux de productivité, l'hypothèse basse est de 1,5 %, ce qui correspond à la moyenne entre 2001 et 2007, tandis que l'hypothèse haute est de 1,8 %, soit la moyenne entre 1991 et 2007. Le Cor n'a pas pour rôle de déterminer si la crise affectera durablement la productivité, la direction du Trésor a apporté son aide sur ce point. Si le Cor n'a pas vocation à étudier le problème des dépenses, l'allongement de l'espérance de vie, vingt-quatre ans en moyenne au-delà de l'âge de soixante ans aujourd'hui, impose de réfléchir au financement de la retraite pour les personnes âgées de plus de soixante ans en bonne santé et au financement de dépendance pour les années suivantes. Le système de retraite coûte aujourd'hui 13 % du Pib à la collectivité nationale, 14 % en 2050 d'après les calculs du conseil. Comment faire face à cet accroissement et aux dépenses nouvelles liées à la dépendance ? La question est politique, ce n'est pas au Cor de la trancher.

La question de la fiscalité sur les retraites a été évoquée dans son dossier du 11 mai consacré aux variantes de durée d'assurance et d'âges de la retraite. Se pose, entre autres, le problème de la différence de taux de CSG appliquée aux actifs et aux retraités. L'idée fait son chemin : le président de Terra Nova a proposé, dans un article publié dans Le Monde, de faire contribuer les retraités à l'amélioration du système de retraites, considérant que ces derniers ont un niveau de vie équivalent en moyenne à celui des actifs, voire un niveau de vie supérieur si l'on intègre leur capital immobilier.

M. Alain Vasselle, président, a alors fait valoir que, dans cet article, le président de Terra Nova avance le chiffre de 400 milliards de dépenses sociales en France avant de proposer la suppression des prestations les plus élevées accordées aux plus aisés. Qu'est-ce à dire ? Les plus aisés ne sont pas les principaux bénéficiaires des prestations sociales. Ces informations devraient être expertisées par le ministre du budget des comptes publics.

M. Bernard Cazeau a salué l'excellent travail d'étude et de pronostic du Cor, tout en relevant que personne ne sait quels seront les taux de productivité ou de chômage dans trente ans, de la même façon qu'aucun économiste n'avait prévu la crise actuelle il y a dix ans. Le système actuel qui a été mis en place il y a plus de soixante ans n'est plus d'actualité. Le Cor le montre : même dans la meilleure des hypothèses, une partie des financements seulement sera couverte. Alain Vasselle ne l'ignore pas non plus : la Mecss a effectué une mission d'étude en Suède. Comme en 2003, le problème n'est pas seulement technique, il est aussi politique. Il faut chercher des modalités adaptées à l'époque, sinon on ne trouvera pas de solution pérenne au problème des retraites. La situation n'est plus celle de 1945.

M. Jean-Pierre Fourcade a demandé sur quelles hypothèses de solde migratoire reposent les projections du Cor ? Avec la mondialisation, ce solde a une incidence sur l'évolution du rapport entre cotisants et retraités, à moins que les immigrés ne soient des retraités... Par ailleurs, avant d'évoquer le relèvement de l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-cinq ans, pourquoi ne pas unifier d'abord l'âge de départ à la retraite à soixante ans pour tous les régimes ? Quelles seraient les conséquences d'une telle mesure sur les recettes ?

M. Guy Fischer a souligné qu'au moment où la crise financière de 2008-2009 a entraîné la destruction de 700 000 emplois et une baisse historique de la masse salariale de 1,4 % - une situation inconnue depuis la Libération -, le Gouvernement a décidé d'appliquer pour une longue période une politique d'écrasement des retraites et des salaires. Pourquoi ne pas approfondir plutôt la réflexion sur les sources de financement, et penser notamment aux 140 milliards d'exonérations et à la contribution des hauts revenus et des revenus du capital ?

Mme Annie David a fait valoir qu'il existe d'autres pistes, d'autres choix, d'autres leviers, notamment pour agir sur les ressources, que ceux explorés par le Cor. Pourquoi ne pas élargir l'assiette de cotisation ? Si l'on mettait à contribution la participation et l'intéressement, l'épargne salariale et les primes des fonctionnaires, cela rapporterait 5 milliards ; si l'on tenait compte des revenus financiers, 10 milliards. On pourrait imaginer une modulation de la cotisation pour favoriser l'emploi sur le modèle du dispositif envisagé lors de la réforme de la taxe professionnelle. Une hausse des cotisations pourrait être étudiée, tout au moins un accroissement de la masse des cotisations. D'après la Cour des comptes, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale a nettement reculé ces dernières années : elle a diminué de 40,1 % à 34,1 % tandis que celle des ménages a progressé de 31,1 % à 40,6 %. Que les entreprises contribuent davantage ne serait que justice. Enfin, une politique du plein emploi qui ferait une place aux jeunes et aux seniors augmenterait également les ressources : il faut mettre un coup d'arrêt à la révision générale des politiques publiques. Quand la France enregistre le plus fort taux de fécondité d'Europe, l'emploi est la seule variable sur laquelle on peut jouer sur le plan démographique.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe a relevé que les projections du Cor montrent que la modulation des paramètres permet de couvrir la moitié des besoins de financement. Quid de l'autre moitié ? Une réforme systémique permettrait de mettre fin au débat sur la réforme ou l'ajustement. L'intérêt des comptes notionnels ou du système par points est d'autoriser une actualisation régulière, année après année. Le Parlement pourrait demander au Cor d'étudier les modalités d'une telle réforme.

M. Raphaël Hadas-Lebel a précisé qu'il n'a mentionné dans sa présentation que les hypothèses économiques prises en compte dans les projections, et non les hypothèses démographiques, dans la mesure où celles-ci sont les mêmes qu'en 2007 puisque les prochaines prévisions de l'Insee ne seront connues qu'en fin d'année. Le Cor avait retenu, en s'appuyant sur les chiffres antérieurs, un solde migratoire de 100 000 personnes. Pour la natalité, il avait retenu 1,9 enfant par femme, et une mortalité de 83,8 ans pour les hommes et de 89 ans pour les femmes. Sur l'alignement des régimes, un pas a été fait, lors de la réforme de 2008, en unifiant la durée de cotisation à quarante et une annuités en 2012. La question de l'âge de départ à la retraite et des régimes spécifiques est liée au débat sur la pénibilité du travail. Dans un projet de loi que le Sénat examinera sous peu, il est prévu d'améliorer le statut des infirmières en contrepartie d'un alignement de leurs conditions de départ à la retraite sur le droit commun.

Le Cor n'est pas habilité à faire des propositions sur la politique fiscale. Il peut procéder à des simulations, si on lui en fait la demande, quoiqu'il ne soit pas le mieux équipé pour le faire. Néanmoins, la question fiscale est évoquée dans ses travaux, même s'il n'y a pas consensus au sein du Cor sur ce sujet.

Par ailleurs, le Cor a toujours insisté sur le lien irréductible entre l'emploi, notamment des seniors, et l'avenir des retraites.

Le rapport du Cor de janvier contient de nombreuses informations sur une éventuelle réforme systémique. Il montre clairement les avantages respectifs des trois systèmes de retraite au regard de six objectifs, dont la transparence, la solidarité, l'équité et la lisibilité, et évoque une période de transition. Rien n'empêche le Sénat de saisir le Cor s'il souhaite un complément d'information.

Orientations du rapport - Echange de vues

Puis la mission a procédé à un échange de vues sur les orientations du rapport sur le rendez-vous 2010 pour les retraites.

Après avoir rappelé les nombreuses auditions organisées par la Mecss sur les retraites, Mme Christiane Demontès, rapporteure, a présenté l'architecture d'ensemble du projet de rapport. Une première partie, consacrée au constat, s'efforcera de montrer que le système de retraite a permis d'assurer une quasi parité de niveau de vie entre les retraités et les actifs, puis d'expliquer en quoi ce système est aujourd'hui en danger. Une deuxième partie insistera sur la nécessité et l'urgence à agir à court terme pour restaurer la soutenabilité financière du système. Enfin, une troisième partie, plus prospective, abordera la question d'une modernisation durable du système à moyen et long terme. Quelles que soient les décisions qui seront prises à l'occasion du rendez-vous de 2010 sur les retraites, il faut en effet avoir conscience que les mesures paramétriques ne suffiront pas à assurer sa pérennité.

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a tenu à rappeler le rôle des différents acteurs dans le pilotage du système de retraite : le conseil d'orientation des retraites (Cor), grâce à ses travaux d'expertise technique, apporte un éclairage sur les grandes problématiques liées aux retraites ; le politique, et lui seul, est chargé d'arbitrer entre les différentes solutions possibles. La Mecss, quant à elle, a non seulement une mission d'évaluation, mais elle se veut également force de proposition.

Au-delà de l'urgence financière, il est indispensable de penser dès à présent à une modernisation profonde du système, qui serait gage d'une plus grande transparence et d'une plus grande équité. Dans cette optique, certains rapprochements entre les paramètres des différents régimes (taux de cotisation, salaire de référence, bonifications...) sont envisageables, sans que ce processus n'aboutisse pour autant à un régime unique. L'évolution vers un système par points avec neutralité actuarielle à horizon 2030 est, en outre, une piste qui mérite d'être étudiée.

Par ailleurs, il sera instructif d'évoquer les expériences étrangères, notamment en matière de méthode de réforme. Plusieurs pays - en particulier la Suède - ont en effet accordé du temps à la réflexion et à la concertation avant de procéder à une réforme d'ampleur de leur système.

M. Bernard Cazeau a insisté sur le fait que la Mecss n'a pas simplement un rôle d'expertise ; elle doit aussi s'efforcer de formuler des propositions en vue d'éclairer la représentation nationale.

Approuvant les propos de Bernard Cazeau, M. Gilbert Barbier a estimé que la Mecss se devait d'être attentive à deux questions en particulier : la pénibilité du travail et les transferts financiers entre les régimes de retraite.

M. Guy Fischer a fait valoir que plusieurs sujets étroitement liés aux retraites méritent d'être traités : la pénibilité, l'emploi des jeunes, la précarité des personnes âgées, les inégalités hommes/femmes, les régimes spéciaux, les exonérations de charges sociales, etc. Il faudra également expliquer et justifier l'affirmation selon laquelle il existerait une parité de niveau de vie entre les retraités et les actifs. Par ailleurs, comment se fait-il que le conseil de surveillance de l'Acoss ne se soit toujours pas réuni ?

M. Jacky Le Menn a souhaité que le rapport de la Mecss puisse aborder la question de la pénibilité, l'articulation entre les différents régimes de retraite, ainsi que le problème du financement de la protection sociale, et envisager l'idée d'un prélèvement sur les retraités disposant de hauts revenus.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe a estimé à son tour que la Mecss, bien qu'ayant une mission d'expertise, doit aller plus loin que les travaux du Cor et formuler des préconisations, notamment sur la pénibilité du travail, l'équité et le financement du système de retraite.

M. Alain Vasselle, président, a rappelé que la Mecss s'efforce, à l'occasion de chacun de ses rapports, d'apporter l'éclairage le plus précis possible afin que les parlementaires puissent prendre des décisions en toute connaissance de cause.

S'agissant de l'Acoss, il a regretté que, malgré plusieurs demandes de reconstitution du conseil de surveillance de sa part, aucune réponse ne lui ait été jusqu'à présent adressée.

A M. Guy Fischer qui demandait si les groupes, et notamment le groupe CRC-SPG, pourront faire annexer au rapport une contribution, M. Alain Vasselle, président, a répondu par l'affirmative.

Mme Christiane Demontès, rapporteure, a précisé que, dans le cadre de la deuxième partie du rapport consacré aux mesures d'urgence, tous les paramètres seront examinés, de même que les questions d'emploi des jeunes, d'emploi des seniors et de pénibilité du travail. Sachant que les ajustements paramétriques ne résoudront pas le problème du financement des retraites, il est nécessaire de lancer dès aujourd'hui le débat sur une remise à plat du système. En tout état de cause, le rapport de la Mecss ne se contentera pas de dresser un constat, il sera aussi force de proposition et donnera lieu à un débat en séance publique au mois de juin, au cours duquel les groupes politiques pourront également formuler des préconisations.

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a confirmé qu'au-delà du constat, le rapport suggèrera plusieurs pistes d'évolution du système, d'abord à court terme, puis à moyen et long terme. A cet effet, plusieurs thèmes seront abordés : la convergence progressive des règles de calcul des pensions, l'épargne retraite, la pénibilité, les mécanismes de compensation entre régimes.