Mardi 15 juin 2010

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Audition de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale

M. Jacques Legendre, président. - Je remercie M. Chatel d'avoir répondu à notre invitation, pour nous en dire plus sur ses initiatives dans le domaine des rythmes scolaires et, plus généralement, sur le fonctionnement de l'éducation nationale, au moment où la Cour des Comptes vient de rendre son rapport tandis que l'institut Montaigne vient lui aussi de publier ses analyses.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale. - Je suis heureux de venir devant vous éclairer les actions que nous menons à l'éducation nationale au regard de notre ambition pour le système éducatif.

J'ai constaté, dans la crise que nous traversons, que tous les ministres de l'éducation que j'ai rencontrés partagent la même ambition. Le monde n'a jamais eu autant besoin d'éducation. Nous ne devons pas céder au fatalisme et rester ambitieux pour l'avenir de nos enfants. L'école reste le lieu de tous les possibles, où se prépare l'avenir de la nation, dans la relation singulière qui se noue entre élève et professeur.

Nous voulons permettre aux jeunes de maîtriser les savoirs fondamentaux, limiter le nombre d'entre eux, trop élevé puisqu'il est encore de 120 000, qui sortent du système sans diplôme, respecter, enfin, notre engagement de Lisbonne d'amener 50 % d'une classe d'âge au niveau de la licence.

Nous avons mis en oeuvre des réformes ambitieuses pour adapter notre système, afin de le différencier en fonction de la situation de chaque élève. Alors qu'il y a vingt ans, 20 % seulement d'une génération se présentaient au baccalauréat, ce sont aujourd'hui 65 % qui l'atteignent : notre système éducatif doit s'adapter à l'hétérogénéité des élèves qui en est le corollaire. C'est la force de notre système que de tenir compte de cette diversité.

Après la réforme du primaire, puis celle de l'enseignement professionnel, nous engageons celle du lycée général et technologique qui illustrera, dès la prochaine rentrée, ce que nous voulons faire.

Nous améliorons l'orientation, qui ne doit pas être un couperet, en la rendant plus progressive, réversible, avec des passerelles entre séries et filières. Un tutorat sera mis en place pour ceux qui le souhaitent.

Autre enjeu majeur, l'accompagnement personnalisé, de deux heures par semaine, tout au long de la scolarité jusqu'au lycée, doit apporter une solution aux élèves en difficulté mais aussi à ceux qui veulent aller plus loin car nous défendons l'idée d'une école de l'excellence. Nous apportons également un soutien méthodologique aux élèves. La personnalisation doit répondre à la « massification » du système. Grâce à l'aide personnalisée, le lycée pourra pousser chaque lycéen le plus haut possible, vers l'excellence.

Nous donnons plus d'autonomie aux établissements. Je sais que ce point fait débat, mais j'estime qu'il faut faire confiance au personnel d'encadrement et aux équipes pédagogiques. Je suis très attaché aux programmes nationaux, aux diplômes nationaux, au recrutement national. Il ne s'agit nullement de créer un lycée à plusieurs vitesses, mais de donner aux établissements la possibilité de tenir compte des spécificités de leur territoire d'implantation.

Nous facilitons, enfin, l'accès à la culture et mettons en place un plan pour l'apprentissage des langues étrangères.

Chaque élève doit disposer de tous les atouts pour aller vers l'excellence. La maîtrise des fondamentaux, du socle commun de connaissances issu de la loi de 2005, doit devenir réalité. L'aide personnalisée permettra de traiter dès le plus jeune âge les difficultés, sans les laisser se sédimenter. Songeons que 15 % des élèves maîtrisent encore mal la lecture en sixième !

La prévention de l'illettrisme, la mobilisation sur l'apprentissage de la lecture constituent les moyens d'agir en amont. Nous axons l'enseignement, dès la maternelle, sur le lexique - des inspecteurs généraux, spécialisés sur la maternelle, y travaillent. Nous avons en outre engagé un partenariat avec l'Académie française et l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme pour transmettre le goût de la lecture.

Autre volet, celui de la sécurité, que nous entendons garantir à l'école. Les États généraux des 7 et 8 avril derniers nous ont aidés à définir des modes d'action plus efficaces, grâce à une approche globale, ainsi que le recommandent les experts. Nous nous mobilisons sur des mesures concrètes de sécurité des établissements, comme le doublement des équipes mobiles de sécurité, mais aussi sur des mesures de prévention, comme la formation des enseignants à la gestion des conflits.

Nous allons ouvrir, pour les élèves qui menacent de sortir du système, souvent les plus perturbateurs, des établissements qui pourront les accueillir sur la durée, pour une ou deux années : cela va bien au-delà de ce qui existe déjà, comme les classes-relais.

Nous nous mobilisons contre l'absentéisme et le décrochage scolaire, en réfléchissant à la place et au rôle des parents, en travaillant avec les 5 000 médiateurs de réussite scolaire, en agissant sur les allocations familiales - la proposition de loi que vous connaissez sera examinée demain par l'Assemblée nationale - pour revenir à un système plus simple.

Nous maintenons la reconnaissance du mérite, avec les internats d'excellence. Après celui de Sourdun, une douzaine de nouveaux internats seront ouverts, dans onze académies.

Vous avez mentionné, monsieur le président, le travail engagé sur les rythmes scolaires. La France est le pays qui dispense le plus d'heures de cours sur l'année, sur le plus petit nombre de jours. D'où des emplois du temps de plus de trente heures hebdomadaires, intenables pour les élèves et source de bien des difficultés pour les personnels.

Des années durant, l'école s'est adaptée aux rythmes sociaux. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître qu'elle rythme aussi l'activité, avec de nombreuses conséquences sur le fonctionnement de l'économie. La Conférence nationale sur les rythmes scolaires, animée par Christian Forestier, administrateur général du CNAM, doit travailler sur le long terme : le comité de pilotage, qui comportera, parmi ses membres associés, des parlementaires de la majorité comme de l'opposition, organisera des auditions avec l'ensemble des acteurs. La réflexion, que nous entendons voir aboutir courant 2011, sera menée sans tabou.

La revalorisation de la condition enseignante me tient particulièrement à coeur. N'oublions jamais que la principale ressource de l'éducation nationale est humaine. D'année en année, le métier d'enseignant s'est dévalorisé. Nous revalorisons leur formation, puisqu'ils seront désormais recrutés au niveau du master, soit un an de plus qu'auparavant, et nous améliorons leur formation tout au long de la vie. Un nouveau « pacte de carrière » leur assure une revalorisation de traitement - 157 euros pour les certifiés, 259 euros pour les agrégés, soit une augmentation de 10 % - grâce à la réaffectation de la moitié des économies réalisées avec le non remplacement d'un départ en retraite sur deux. C'est un message fort dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons. Nous leur ouvrons également un droit individuel à formation, qui jusqu'à présent n'existait pas à l'éducation nationale. Nous leur assurons un meilleur accompagnement en matière de santé. Nous prévoyons aussi des mesures d'accompagnement de carrière, grâce à une révision du système des promotions.

L'éducation est au coeur de nos politiques. La place de la France dans le monde est intimement liée à l'élévation du niveau de connaissance dans notre pays.

L'école, les élus que vous êtes le savent, est le premier service public de proximité. C'est la meilleure arme pour préparer l'avenir. C'est le creuset de notre pacte républicain. Voilà pourquoi nous mobilisons nos énergies pour répondre aux attentes des élèves, des parents et des enseignants.

M. Jacques Legendre, président. - Je vais donner la parole à nos trois rapporteurs dans la discussion budgétaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Le budget de l'enseignement scolaire constitue la première dépense de la nation. Mais cette dépense est un investissement. Je partage, monsieur le ministre, vos objectifs : personnaliser l'enseignement et maîtriser l'orientation.

Le Parlement a voté, ces dernières années, plusieurs textes relatifs à l'école primaire auxquels manquent encore certains décrets. Où en est-on, ainsi, du décret rénovant le statut du directeur d'école prévu par la loi du 23 avril 2005 pour l'avenir de l'école ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le décret relatif aux regroupements pédagogiques intercommunaux, dont le projet est actuellement devant le Conseil d'État ? Où en est le décret nécessaire à l'application de l'article 86 de la loi du 13 août 2004 prévoyant l'expérimentation d'établissements publics d'enseignement primaire (EPEP), dotés de l'autonomie administrative et financière.

Les GRETA, qui jouent un rôle précieux, sont aujourd'hui dénués de personnalité juridique. Où en est-on de leur transformation en groupements d'intérêt public ? Ces groupements seront-ils académiques ou respecteront-ils la diversité des territoires ? Qu'en est-il du statut des conseillers en formation continue, aujourd'hui très instable ? Comment expliquer que les vacataires ne bénéficient pas de la défiscalisation des heures supplémentaires, comme les enseignants et les établissements privés, pour la formation initiale ?

Le rapport de la Cour des Comptes, plutôt critique, émet un certain nombre de recommandations : évaluer les dispositifs, différencier les moyens au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin, passer d'une logique de l'offre à une logique de la demande pour mieux répondre aux besoins des élèves. Comment entendez-vous y répondre ?

Ma dernière question porte sur l'absentéisme et la violence scolaire. Une proposition de loi a été déposée, ainsi que vous l'avez rappelé, à l'Assemblée nationale. Le premier signe de la délinquance, les experts nous le rappellent, est souvent l'absentéisme, auquel on peut trouver trois origines : la défaillance de la famille, mais aussi l'école, qui lorsqu'elle n'intègre plus les jeunes, les rejette de fait à la rue, et le contexte urbanistique. Comment associer ces trois acteurs que sont la famille, l'école et les élus locaux ? 

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire. - L'enseignement agricole représente 2 % de la mission enseignement scolaire. Tous les ans, lors du débat sur le projet de loi de finances, je dois me battre contre le recul de son budget et de ses emplois, et tous les ans, je suis déçue.

La période est certes à la rigueur, et l'élue que je suis sait bien que les choix sont souvent difficiles, mais le non remplacement d'un enseignant partant à la retraite sur deux a ses limites, monsieur le ministre. Dans l'enseignement agricole, aux dimensions réduites, les effets en sont ravageurs.

Lors de la dernière loi de finances, j'avais cru comprendre qu'un engagement avait été pris de mener un travail conjoint avec le ministère de l'Agriculture, pour l'élaboration des diplômes, les lycées des métiers, la mise en oeuvre du Grenelle... De nombreuses coopérations sont envisageables, qui seraient positives, tant au plan budgétaire que pédagogique. Or, le bruit court aujourd'hui que le programme 143 pourrait être placé sous la houlette du ministère de l'agriculture : chronique de la mort annoncée de l'enseignement agricole, qui serait soumis à tous les aléas que connaît ce ministère, et je ne parle pas seulement des aléas climatiques. Sans compter que cela serait en tout contraire à l'esprit de la LOLF. Nous avons le devoir, monsieur le ministre, d'accompagner les jeunes qui choisissent l'enseignement agricole.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement professionnel. - « Le monde a besoin d'éducation », « ne cédons pas au fatalisme », « l'école est le lieu de tous les possibles » : belle ambition, monsieur le ministre, mais qui requiert une réflexion globale, concertée, loin des à-coups brutaux qui caractérisent votre politique, menée sans évaluation, sans tenir compte de l'avis des organisations syndicales, et qui fait le désespoir des enseignants.

Lorsque nous mettons en cause le schéma d'emploi 2011-2013, vous rétorquez que ce n'est pas de plus de moyens dont l'éducation a besoin et nous renvoyez à cet argument du quantitatif. Mais les coupes budgétaires sont devenues le dénominateur commun de toutes vos politiques. C'est vous qui faites du quantitatif en supprimant des dizaines de milliers d'emplois. Je partage les préoccupations de Mme Férat : fermetures brutales, élèves laissés sans solution... Quand je songe que 13 000 établissements de deux classes pourraient bientôt fermer, que l'on renonce à la scolarisation des enfants de deux ans, je m'interroge...

La proposition de loi censée lutter contre l'absentéisme scolaire m'inquiète, je vous le dis avec solennité : vous tentez de répondre à un problème urgent en aggravant une sanction déjà prévue et fort peu utilisée, puisque les conditions de rétablissement des allocations seront plus restrictives.

Je vous rappelle que ces allocations sont versées sans condition de ressources : la sanction sera donc inéquitable puisqu'elle représentera une véritable amputation pour les plus faibles, tandis que les plus aisés seront à peine touchés. Et si là est votre remède, quid des familles qui n'ont qu'un seul enfant, et ne touchent pas d'allocation : pas de lutte contre l'absentéisme pour elles ?... Donnez plutôt la possibilité aux jeunes, aux parents, aux enseignants de marcher d'un même pas vers une solution concertée.

Sur l'expérimentation des rythmes scolaires, soyons prudents. Ce n'est sans doute pas pour rien que l'Allemagne fait marche arrière. Vous proposez des après-midi consacrées au sport, fort bien, mais vous supprimez à tout-va les postes de professeurs d'éducation physique et sportive (EPS), au nom de la sacro sainte RGPP : quelle contradiction !

M. Luc Chatel, ministre. - Vous nous avez invités à plusieurs reprises à donner aux directeurs d'école davantage de responsabilités. Le Président de la République a confié une mission au député Frédéric Reiss sur ce sujet : les situations sont très variables, il faudra en tenir compte, mais il est vrai que le statut de nos écoles doit évoluer. Vous m'interrogez sur les regroupements pédagogiques intercommunaux : le projet prévoit de ne retenir que ceux qui sont adossés à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Après avis du Conseil d'État, un décret sera publié.

Ce qui était hier pour les GRETA un atout, leur adossement à la formation initiale, leur pose aujourd'hui des problèmes. Il n'est cependant pas question pour l'éducation nationale de renoncer à la formation des adultes. Le statut et les missions des conseillers sont sans doute incompatibles avec la nécessaire cohésion de ce corps. Le groupe de travail qui avait été mis en place, après avoir procédé à de nombreuses auditions, vient de rendre son rapport. Certaines de ses propositions portent sur la structuration en groupements d'intérêt public (GIP) locaux. Nous rendrons nos arbitrages au terme d'une phase de consultation des partenaires.

Le rapport de la Cour des Comptes est utile au débat. Il est vrai que notre système ne s'est pas assez adapté à la diversité des élèves. La Cour des Comptes préconise de sortir d'une logique du tout-égalitaire pour faire plus en faveur des élèves en difficulté : c'est dans cette direction que nous nous acheminons. Le Premier président de la Cour, que l'on ne peut taxer d'esprit partisan, insiste sur le fait que la question n'est pas des moyens, mais de leur efficacité.

Le lien entre assiduité scolaire et versement des prestations familiales remonte, madame Gonthier-Maurin, à 1959 : ce n'est pas une nouveauté et pourtant, c'est une question dont vous ne vous êtes pas souciée sous la gauche... En 2006, le gouvernement a mis en place le contrat de responsabilité parentale, mais le dispositif s'est révélé complexe et inefficace : il faut revenir à une logique plus simple. Il ne s'agit pas d'une suppression, mais d'une suspension des allocations : elles sont reversées dès le retour de l'assiduité. Cette mesure s'inscrit dans un dispositif global, qui comprend un ensemble de dispositions préventives, en collaboration avec les parents et les collectivités. Je pense à l'« école des parents », en Charente-Maritime, à la « mallette des parents », dans l'Académie de Créteil.

Comme le président Migaud le dit dans son rapport, la question n'est pas celle des moyens. La France investit six points et demi de son PIB dans l'éducation : c'est davantage que la plupart des pays développés. Le budget de l'éducation nationale est cette année en hausse de 1,6 %, et reste le premier budget de l'État. Il ne saurait, à ce titre, s'exonérer de l'effort commun de maîtrise de la dépense. Il est des pays où l'on licencie des fonctionnaires, où l'on réduit leur rémunération : rien de tout cela chez nous, mais il reste que nous devons nous adapter. Alors que le système scolaire compte 700 000 élèves de moins et 50 000 enseignants de plus qu'il y a vingt ans, on comprend les préoccupations de M. Migaud : la question première est celle de l'affectation des moyens.

Élu rural, je suis très attaché à l'enseignement agricole. Nous allons, il est vrai, vers une logique de rattachement de cet enseignement au ministère de l'Agriculture. On ne peut pas chaque année continuer à prélever des moyens supplémentaires sur l'enseignement général. Ce n'est pas la chronique d'une mort annoncée, mais une clarification. Vous appelez de vos voeux des coopérations : j'y suis favorable. Nous pouvons en particulier progresser sur la carte des formations.

Madame Gonthier-Maurin, assurer deux heures d'accompagnement personnalisé ne relève pas d'une action purement quantitative. Idem pour le soutien scolaire apporté aux élèves du primaire éprouvant des difficultés en lecture. Il en va de même pour les stages de rattrapage organisés pendant les vacances scolaires avec des enseignants de l'éducation nationale, ce qui évite aux parents de s'adresser à des officines privées.

D'autre part, nous ne sommes pas engagés dans une logique de fermeture brutale des établissements. Vous êtes souvent élus locaux et participez aux conseils départementaux de l'éducation nationale, où le travail de concertation est conduit très en amont, sans organiser de coupes sombres. Nous maîtrisons les dépenses avec discernement, sans négliger les nécessités démographiques locales.

M. Jacques Legendre, président. - Certes, le budget de l'enseignement agricole relève d'abord du ministère de l'agriculture. Et nous n'avons pas été totalement satisfaits de voir la mission « enseignement scolaire » prise en otage plusieurs années pour pallier l'insuffisance des moyens alloués à l'enseignement agricole. Toutefois, nous sommes très attachés à cet enseignement, car il rend des services éminents à de jeunes ruraux qu'il aurait fallu rattraper - difficilement et sans doute imparfaitement - s'ils avaient été maintenus dans l'enseignement général. Il y a deux ministères, mais il n'y a qu'un Gouvernement ! Et tout relève du budget de la nation. À deux reprises, notre commission a obtenu que l'enseignement agricole bénéficie d'une mise à niveau, en se tournant vers l'enseignement scolaire. Nous ne pourrions accepter que l'enseignement agricole soit hors d'état d'accueillir les jeunes qui se tournent vers lui, car ils y trouvent une forme de salut !

Je le dis de façon solennelle : le Gouvernement devra prendre ses responsabilités. À défaut, le budget deviendra le terrain d'un véritable débat, et pas seulement avec cette commission. Soyez notre porte-parole auprès du Gouvernement et du ministère de l'agriculture, qui doit faire vivre l'enseignement agricole.

M. Ivan Renar. - Je suis préoccupé par l'avenir du service public de l'orientation dans l'éducation nationale. Le métier des conseillers d'orientation psychologues a été bouleversé. Lorsque j'étais enseignant, j'ai constaté leur action d'humanité individualisée auprès de chaque élève, contrastant avec la prise en charge globale d'une classe qui empêche de soutenir les élèves en difficulté. Ici, la suppression porte non sur la moitié des postes, mais sur les cinq sixièmes ! Autant dire que le corps va disparaître.

Deuxièmement, je m'inquiète de constater la réduction des références à la psychologie dans l'éducation nationale, alors que le décrochage scolaire et la violence, par exemple, appellent une prévention accrue plus que la sanction. Le rôle indispensable des psychologues est reconnu par les parents, les enseignants et les élèves. Pourquoi ne pas créer un corps de psychologues de la maternelle à l'université, en instituant un concours interne et externe ?

Avec la nouvelle formation des enseignants, la rentrée s'annonce désastreuse, avec des stagiaires dans la tourmente alors que des enseignants chevronnés ne pourront assurer la nécessaire prise en main d'une classe. Résultat : des formations privées prolifèrent comme les escargots un soir d'orage pour transmettre en quelques jours aux stagiaires - moyennant quelques centaines d'euros - les « trucs » permettant de prendre des classes en charge.

Enfin, je déplore que les enseignements artistiques soient amputés une fois de plus, alors qu'ils sont indispensables à la construction de la personnalité, à l'élaboration de la citoyenneté, au dialogue des civilisations. J'ai en commun avec le recteur Dubreuil l'expérience conduite par l'orchestre national de Lille. Quand le chef d'orchestre apparaît dans une classe avec des musiciens, il se produit après quelques semaines un moment magique lorsque des jeunes découvrent qu'il n'y a pas de talent sans travail gigantesque. Et un saut de pensée conduit des jeunes en difficulté à rejoindre le train en marche.

M. Yannick Bodin. - Monsieur le ministre, quittons quelques instants les Bisounours et revenons à la réalité.

Au début de vos propos, vous avez dit - sans doute sincèrement - rechercher la réussite de tous les élèves, afin que l'excellence puisse éclore partout. Mais vous avez oublié votre mission première : supprimer la moitié des fonctionnaires de l'éducation nationale. À ce propos, il a été dit que votre ministère serait le plus « impacté » par cette politique, car c'est celui où il y a le plus de fonctionnaires.

Vous avez mentionné l'internat d'excellence de Sourdun, mais les 2 500 lycées d'enseignement général de France vous laissent une grande marge de progression !

D'ici peu, les enfants de moins de trois ans ne seront plus scolarisés.

Avec la fin de la carte scolaire, vous avez créé des ghettos réservés aux jeunes de la diversité, pour ne pas dire des ghettos ethniques. Je pourrais citer des exemples.

Sous prétexte d'aider au rattrapage, vous supprimez largement les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), alors qu'il s'agit de métiers différents. Il en va de même à propos du samedi matin, avec des heures d'accompagnement pour certains, mais surtout des heures perdues pour tous.

Enfin, vous réduisez la formation professionnelle des maîtres, prétendument pour leur conférer un master 2. Le résultat n'a pas loupé ! M. Renar vient de rappeler ces stages de cinq jours dans des boîtes, payés 600 euros par des jeunes qui viennent d'obtenir leur mastère et qui ont la pétoche à l'idée d'entrer dans une classe. La disparition de l'année de stage vous a fait « gagner » 16 000 emplois. Quelle économie !

À propos des rythmes scolaires, qui encadrera les nouvelles heures d'éducation physique et de sport l'après-midi ? Pas les maîtres d'EPS, puisque leur nombre diminue. Alors qui ? Le privé ? Les collectivités territoriales ? Chaque année, vous supprimez les postes par dizaines de milliers !

Tout a été dit sur l'enseignement agricole. Faut-il vous parler de la médecine scolaire, si tant est qu'elle existe encore ? Faut-il vous parler de l'orientation ?

Comme un certain nombre de ministres, vous vous livrez à un exercice qui exige bien des qualités, mais la recherche d'économies réduit la capacité de l'éducation nationale à assurer sa mission. Sur chaque poste, vous présentez une théorie tendant à justifier une mesure dont le motif réel est d'atteindre votre principal objectif : supprimer un fonctionnaire sur deux. Votre discours manque de crédibilité, car l'éducation nationale est en danger. Elle ne représente plus une priorité nationale, ce dont vous êtes responsable.

Comme de nombreux collègues, je doute que l'éducation nationale soit plus efficace avec moins de moyens.

M. Pierre Martin. - Je pourrais associer Mme Papon à ma première observation, car nous avons conduit ensemble une mission sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Nous avons auditionné de nombreux parents, souvent enchantés par la perspective de voir leurs enfants pris en charge dans un jardin d'éveil dont le personnel aurait suivi une formation spécifique. La scolarisation avant trois ans reculant chaque année, il est judicieux de mettre en place une nouvelle prise en charge sur l'ensemble du territoire. Le ministère de la famille y travaille. Pourquoi n'a-t-on pas organisé le partenariat indispensable avec l'éducation nationale ?

Le second point de mon intervention concerne les rythmes scolaires, sujet dont on parle depuis 25 à 30 ans, en introduisant des modifications à petites doses. Les contrats d'aménagement du temps de l'enfant (CATE), dits « contrats bleus », organisent l'accès aux sports et à la culture, avec quatre heures de cours le matin. Puis nous sommes passés à trois heures et demie. Malgré la promesse de mettre en place l'accompagnement éducatif dès la rentrée de 2009, il n'en fut rien. Quant aux effectifs, trois ministères devaient intervenir : l'éducation nationale pour l'aide aux devoirs, le centre national pour le développement du sport (CNDS) pour le sport - à condition de trouver une association exerçant sous la responsabilité de l'éducation nationale - et la culture. Le Président de la République a mentionné les « orphelins de 16 heures ». Ils sont dans la rue. L'ennui à l'école est source d'absentéisme. En montrant aux élèves qu'on peut y faire autre chose, on les raccroche. Les trois ministères concernés doivent donc établir un partenariat dans l'intérêt des enfants et des collectivités territoriales.

J'en viens à l'article 89 de la loi du 13 août 2004 à propos du financement des écoles privées, que M. Carle a fait évoluer sans régler le problème. En effet, en cas de scolarisation dans le secteur public, le maire de la commune d'accueil négocie avec le maire de la commune de résidence, alors qu'une bagarre oppose le directeur de l'école au maire de la commune de résidence quand la scolarisation a lieu dans le secteur privé. J'ai examiné récemment le cas d'un enfant atteint de difficultés imposant qu'il soit scolarisé dans une autre commune. En pareil cas, certains maires refusent de payer, car ils ne s'estiment pas responsables de ces difficultés. Que faire ?

À quoi sert le diplôme supplémentaire requis des professeurs des écoles ? Ayant besoin de tenir une classe, y exercer leur autorité, obtenir la discipline, ils ne demandent pas le master. Les enseignants du primaire viennent aujourd'hui à l'école du village comme s'ils allaient à l'usine et se sauvent dès 17 heures. Autrefois, ils participaient à la vie locale... Il faut revaloriser le métier pour donner aux enseignants l'autorité et les moyens de faire respecter la discipline.

Nous reparlerons de l'absentéisme à l'occasion d'une proposition de loi. Il nous faudra traiter des cas bien spécifiques. Nous y sommes quotidiennement confrontés, sans pouvoir apporter de solution.

M. Luc Chatel, ministre. - Entre le monde des Bisounours et le cataclysme décrit par M. Bodin, il y a la réalité du premier budget de l'État, avec 60 milliards d'euros par an. En comparaison avec notre PIB, nous investissons dans l'éducation bien plus que les pays développés qui nous environnent.

Il n'est pas question de supprimer les RASED, qui doivent en revanche être affectés dans les classes.

Sur un autre plan, il est exclu de réduire la formation professionnelle des enseignants. Les non titulaires à qui des classes seront confiées en septembre auront bénéficié de stages d'observation ; ils auront droit au tutorat et au compagnonnage.

Pour étoffer la médecine scolaire, nous avons recruté trois cents infirmières cette année, après une longue interruption.

Nous ne copions aucun modèle de rythmes scolaires, mais la conférence nationale analysera les exemples étrangers.

Au lycée Jean-Vilar de Meaux, les programmes du collège sont respectés, bien que l'après-midi soit consacré au sport. Je précise que l'encadrement est assuré par des enseignants d'éducation physique, au titre des trois heures qu'ils doivent à l'Union nationale du sport scolaire. J'ai également signé des conventions de partenariat avec de grandes fédérations sportives pour encadrer les élèves dans une centaine d'établissements scolaires. Au demeurant, tous les établissements n'ont pas vocation à suivre cette expérimentation.

M. Renar s'est ému de l'offre de formation privée destinée aux futurs enseignants. En ce domaine, comme pour les élèves, l'éducation nationale fait mieux et gratuitement ! Les parents rivalisent de dépenses dans les officines privées, mais nous préférons l'intervention du service public. Elle sera maintenue pour élever la formation de tous les enseignants en allongeant leur formation.

Quant à l'enseignement artistique, un professeur sera nommé à la rentrée « référent culture » dans chaque lycée pour organiser sa vie culturelle et ouvrir l'établissement sur l'extérieur. Nous avons déjà créé une plate-forme de grands films classiques pour lycéens.

M. Bodin pose comme postulat qu'un poste de fonctionnaire sur deux disparaîtra. Je lui rappelle que la moitié de l'économie réalisée est redistribuée aux enseignants. La revalorisation de 10 % en début de carrière dès la prochaine rentrée est un message fort en temps de crise.

L'internat de Sourdun est destiné aux élèves talentueux issus de milieux défavorisés, ce qui rend à l'école sa vocation initiale.

L'obligation scolaire existe de six à seize ans, avec une préscolarisation entre trois et cinq ans. En ZEP et en milieu rural, l'accueil avant trois ans permet aussi de garder certaines écoles ouvertes. Nous agissons avec discernement. Il n'est donc pas question de cesser toute scolarisation entre deux et trois ans.

La nouveauté en matière de rythmes scolaires tient à ce que l'éducation nationale veut aboutir. Il ne s'agit pas uniquement du sport l'après-midi, mais aussi des activités culturelles, afin que la nouvelle répartition du travail des élèves leur permette d'obtenir de meilleurs résultats. C'est ce que nous avons immédiatement constaté au lycée Jean-Vilar.

La modification de l'article 89 présentée par M. Carle rassure les maires en alignant le régime du secteur privé sur celui du secteur public. Dans mes fonctions municipales, je dois gérer ces dossiers avec mes homologues des communes voisines. L'éventuelle procédure amiable organisée par le préfet aboutit dans les trois mois.

Mme Françoise Cartron. - Je reviens sur le rapport de la Cour des Comptes, dont deux observations atténuent vos propos : le budget de l'éducation nationale étant passé en dix ans de 4,5 % à 3,9 % du PIB, la hausse des moyens n'est donc pas clairement établie ; ensuite, l'enseignement primaire coûte en France 10 % de moins que dans le reste de l'OCDE.

Je comprends que les ZEP bénéficient d'une priorité pour la scolarisation entre deux et trois ans, mais les zones de revitalisation rurale (ZRR) manquent de structures adaptées. Parfois, l'académie ne retient que deux des douze enfants de moins de trois ans inscrits !

Vous dites avoir ouvert un grand chantier d'un an sur les rythmes scolaires. Je viens de la Gironde, où la semaine de quatre jours est en place depuis plus de vingt ans. Des chrono-biologistes ont souligné les inconvénients de cette formule. J'étais donc atterrée lorsque M. Darcos a généralisé cette organisation de la semaine scolaire. Et vous vous donnez encore un an de réflexion... Les collectivités territoriales seront-elles représentées au sein du comité de pilotage ? Il faut certes penser au rythme des enfants, mais aussi à la place des collectivités territoriales, qui doivent être associées à l'élaboration du projet, pas seulement à son financement. Enfin, vous avez annoncé 5 000 euros par an pour le sport l'après-midi, bien peu en regard des 70 000 jugés nécessaires par le proviseur du lycée du Mirail. Il faut des installations sportives. Je crains une différenciation par la pénurie.

En Finlande, la formation des enseignants est axée sur la pédagogie plus que sur les connaissances. J'aimerais que l'on aille dans ce sens, car nous avons besoin d'une autre façon de travailler en équipe, avec un projet global tournant le dos à une formation individualiste.

L'orientation commence dès le collège, où trop d'élèves abandonnent le système scolaire sans aucun diplôme.

La suppression de la carte scolaire fait l'apologie des différenciations, avec la ghettoïsation de certains établissements. On parle d'excellence et de méritocratie. Mais celle-ci représente-t-elle la justice ? Où est l'égalité sociale ? Certains jeunes ont beau fournir de grands efforts durant leur parcours scolaire, les places ne sont pas toujours au rendez-vous comme le soulignait encore récemment le sociologue François Dubet.

Mme Catherine Morin-Desailly- Internet a bouleversé notre façon de travailler et d'apprendre, avec de nouvelles applications qui donnent le vertige. Ce phénomène touche de plein fouet la « génération digitale », non sans risque. Lorsqu'elle s'était saisie pour avis de la proposition de loi sur le droit à l'oubli numérique, notre commission avait proposé avec succès un amendement tendant à faire bénéficier tous les jeunes d'une formation à la pratique d'Internet.

Les enseignants devraient se pencher sur ce sujet, auquel notre collègue Assouline a consacré un rapport. Une réflexion est-elle engagée sur le décalage entre la maîtrise d'Internet par les élèves et les enseignants ?

Mme Maryvonne Blondin- Je commencerai par les auxiliaires de vie scolaire (AVS). Avec Mme Morano, ministre de la famille, vous avez annoncé la signature de nouvelles conventions avec des associations et des services d'aide à domicile comme l'UNA et l'ADMR. Selon quels critères ont-elles été élaborées ? Comment sont formées les personnes qui accompagnent les enfants en situation de handicap, sachant que les difficultés financières extrêmes affrontées par l'UNA et l'ADMR obligent en pratique les conseils généraux à les soutenir ? Quelles sont les modalités financières des conventions signées ? S'agit-il d'un nouveau transfert de charges de l'État vers les associations, donc les collectivités territoriales ? Je crains que ces associations ne puissent pérenniser l'accompagnement des enfants en situation de handicap, si bien que les accompagnants seront bientôt à pôle-emploi. La privatisation du système se profile à l'horizon.

Quelque 10 % des emplois sont précaires à l'éducation nationale. Le Président de la République a évoqué ce sujet en janvier. Y a-t-il eu des avancées ?

Comment les lycéens pourront-ils s'ouvrir au monde, aux langues et civilisations étrangères dès lors que les assistants de langue seront supprimés ?

M. Luc Chatel, ministre. - Madame Cartron, la France investit moins dans l'enseignement du premier degré, mais la situation est inverse dans le second degré. D'ailleurs, notre école maternelle est enviée dans de nombreux pays pour son rôle dans la prévention de l'illettrisme.

Les enfants de deux à trois ans habitant une zone de revitalisation peuvent être accueillis à l'école, sous certaines conditions, en l'absence d'autre offre de garde. La scolarisation avant trois ans est pour l'essentiel un phénomène rural.

J'ai diffusé récemment une circulaire rappelant que la semaine de quatre jours n'était pas obligatoire dans le premier degré, ce qui impose d'accompagner les communes souhaitant revenir à la semaine de quatre journées et demie. Ainsi, la ville de Toulouse a repris ce rythme en septembre 2009. Au demeurant, nous devons en ce domaine réfléchir aux nombre de jours de cours par an, à la charge hebdomadaire et au travail quotidien. La pause méridienne est parfois trop brève.

Le comité de pilotage associera le Parlement - majorité et opposition - ainsi que l'Association des régions de France (ARF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des maires de France (AMF).

L'enveloppe destinée à couvrir les dépenses inhérentes aux activités sportives de l'après-midi a été calculée en se fondant sur l'expérience du lycée Jean-Vilar : 5 000 euros suffisent pour couvrir les besoins de transport, même si l'on peut toujours préférer 70 000 euros. Mais il n'est pas question de généraliser cette expérimentation. Après l'avoir évaluée, nous la développerons afin que dans certaines académies, au moins un établissement par ville puisse proposer une offre scolaire de ce type.

La formation des enseignants repose sur l'équilibre entre la pratique pédagogique et la maîtrise de la discipline concernée. On ne supprime pas totalement la formation pédagogique. La mastérisation représente un progrès pour nos enseignants.

Il est vrai que l'éducation à l'orientation doit sans doute commencer dès le collège. Surtout, nous allons accentuer sa réversibilité. Grâce aux conseillers d'orientation, les élèves seront mieux encadrés tout au long de l'année. Grâce à la loi sur la formation professionnelle, que vous avez votée, un service d'orientation dématérialisé avec vision interministérielle sera en place. Concrètement, les conseillers d'orientation-psychologues seront coordonnés par le délégué interministériel à l'orientation. Ils interviendront prioritairement auprès du public en difficulté, mais sans abandonner les établissements scolaires. Ils participeront au nouveau système dématérialisé.

Madame Morin-Desailly, les enseignants bénéficient désormais d'un module de formation initiale en informatique. Parallèlement, un brevet d'informatique et Internet (B2i) est intégré dans le cadre du brevet des collèges.

Les auxiliaires de vie scolaire permettent la scolarisation d'élèves handicapés, un sujet très important puisque nous en accueillons chaque année 10 000 en plus. Nous en sommes à 185 000.

Nous ouvrons, chaque année, deux cents unités pédagogiques d'intégration (UPI) supplémentaires par an. Nous devrions passer les 2 000 à la rentrée prochaine. Au-delà de l'accompagnement matériel - l'ouverture de classes -, il y a l'accompagnement humain. L'an dernier, vous avez adopté un amendement en urgence qui autorisait les associations de parents d'enfants handicapées à reprendre les auxiliaires de vie scolaire individuels dont le contrat était arrivé à terme avec l'éducation nationale. Tout au long de l'année, nous avons travaillé avec Mme Nadine Morano à l'amélioration du dispositif. Cela a été concrétisé par la signature de conventions avec les associations de parents d'enfants handicapés il y a quinze jours et les associations de service à domicile dans le but d'augmenter le nombre d'enfants handicapés pris en charge. Désormais, l'éducation nationale prendra en charge 90 % du montant de la rémunération, contre 80 % l'an dernier.

L'éducation nationale compte relativement peu de non titulaires. Y recourir est parfois incontournable, notamment pour les disciplines rares dans l'enseignement professionnel. Pour autant, nous travaillons à l'amélioration la titularisation des contractuels de l'éducation nationale. Après les déclarations du Président de la République, la directrice générale des ressources humaines, à ma demande, a installé un groupe de travail pour discuter avec les organisations syndicales de cette question. Quant aux assistants de langue, les professeurs des écoles sont désormais formés pour initier leurs élèves aux langues étrangères.

M. Jacques Legendre, président. - Le temps presse. Nous devons auditionner à 17 heures les représentants des organisations syndicales du spectacle. Je prie les orateurs suivants d'être brefs.

Mme Catherine Dumas. - Que peut faire l'éducation nationale pour valoriser les métiers manuels et artistiques auprès des jeunes ? Si la désignation d'un « référent culture » est une bonne initiative, ne faut-il pas généraliser l'enseignement du dessin, dénominateur commun à de nombreux métiers, pour détecter les talents ?

M. Claude Domeizel. - Par souci de concision, je formulerais mon inquiétude sous une forme affirmative plutôt qu'interrogative afin d'éviter au ministre une réponse... Monsieur le ministre, vous avez appliqué une méthode très astucieuse pour justifier la réduction du nombre des enseignements en renvoyant à la discussion avec les élus la question des collèges à faible effectif et en niant la relation entre nombre d'élèves par classe et qualité de l'enseignement, pourtant établie dans la circulaire n° 173 de mars 2006. Bref, vous tentez de nous rouler dans la farine ! Dans mon département excessivement rural, la fermeture des petits collèges et de nombreuses classes se traduira par la désertification des territoires.

M. Louis Duvernois. - Lors des états généraux de l'enseignement du français à l'étranger, il a été considéré nécessaire d'attribuer, aux côtés de l'homologation, un label pour l'enseignement à pédagogie française afin de répondre à la demande actuelle. Où en est ce dossier ?

Mme Colette Mélot. - La Finlande, où nous avons effectué une mission, a placé l'autonomie au coeur de son système éducatif, dont je rappelle qu'il est classé au premier rang de l'enquête PISA de l'OCDE. Le gouvernement fixe les objectifs tandis que leur mise en oeuvre est du ressort des collectivités, des établissements, des professeurs et des élèves. Ce système donne d'excellents résultats : la profession d'enseignant est recherchée, les élèves sont heureux. De quelle marge de manoeuvre disposez-vous pour accorder davantage d'autonomie aux établissements face aux pressions de l'égalitarisme, très prégnant dans notre système éducatif, qui a donné lieu à d'importantes inégalités au détriment des élèves les plus défavorisés ?

M. Jacques Legendre, président. - Monsieur le ministre, permettez-moi d'insister sur la nécessité de maintenir l'enseignement des langues vivantes rares au sein de l'éducation nationale. J'ai dû intervenir à la suite d'une menace de suppression de l'enseignement de l'arabe dans un collège lillois. Des inquiétudes pèsent également sur la situation de l'enseignement du polonais dans le Nord-Pas-de-Calais où vivent de nombreuses familles originaires de Pologne. La Pologne lie la place de notre langue dans ses écoles à celle que nous réservons au polonais. De fait, en Pologne, huit millions d'élèves apprennent l'anglais, deux millions l'allemand et seulement 200 000 le français. Monsieur le ministre, l'enseignement de ces langues est aussi porteur de débouchés professionnels. Faites en sorte qu'elles ne deviennent pas trop rares !

M. Luc Chatel, ministre. - Monsieur le président, j'ai évoqué récemment avec le président de l'Institut du monde arabe l'enseignement de l'arabe : le problème est moins celui de la présence que de la répartition de l'offre. Nous restons extrêmement vigilants sur ce dossier car mieux vaut que cette langue soit enseignée au sein de l'éducation nationale plutôt que dans certaines officines. En outre, lors d'une récente rencontre, j'ai travaillé avec mon homologue polonais à l'amélioration de l'enseignement de nos langues respectives dans nos deux pays.

Madame Dumas, l'éducation nationale contribue à la valorisation des métiers via le parcours de découverte des métiers et des formations mis en place dans la loi de 2005, désormais partie intégrante du socle commun et la possibilité, dans le cadre des réformes de l'enseignement professionnel et du lycée, accordée à des jeunes qui n'ont pas encore trouvé leur voie de passer de l'enseignement professionnel à l'enseignement général, et inversement, dès la rentrée prochaine. Enfin, nous progresserons en améliorant l'information sur la formation et les débouchés dans les régions. Les plates-formes de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) - j'ai récemment visité celles de Bordeaux et d'Amiens -, proposent désormais une cartographie des offres de formation et une géo-localisation de leurs débouchés professionnels, très utile aux jeunes.

Monsieur Domeizel, ne me reprochez pas de favoriser le dialogue entre élus locaux et académies...

Monsieur Duvernois, l'arbitrage définitif n'a pas été rendu quant aux labels pour l'enseignement du français à l'étranger, lesquels font actuellement l'objet d'une étude par le ministère des affaires étrangères.

Madame Mélot, l'autonomie des établissements, recommandée par la Cour des Comptes dans son rapport, est effectivement d'importance. Dès la rentrée prochaine, dans le cadre de la réforme du lycée, les chefs d'établissement détermineront l'utilisation d'environ 30 à 35 % du temps des professeurs, soit une dizaine d'heures en classe de seconde sur vingt-huit heures de cours par semaine, notamment consacrées aux aides personnalisées. De surcroît, les chefs d'établissement de la centaine de collèges et de lycée en zones d'éducation prioritaire ou défavorisées participant au nouveau programme baptisé « collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite », décidé à l'issue des états généraux de la sécurité à l'école, auront, dès la rentrée prochaine, la possibilité de recruter eux-mêmes leur équipe pédagogique. Cette mesure contribuera à réduire l'importante rotation des enseignants dans ces établissements et à favoriser la venue d'enseignants volontaires, mieux préparés et adhérant au projet pédagogique de l'établissement.

M. Jacques Legendre, président. - Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu aux nombreuses questions des commissaires.

Audition de représentants du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles

La commission procède à l'audition de M. François Le Pillouër, président du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), Mme Irène Basilis, directrice du SYNDEAC, M. Jean Voirin, secrétaire général CGT Spectacle, M. Serge Clavier, délégué général de l'union fédérale d'intervention des structures culturelles (UFISC), Mme Patricia Colet, coordinatrice de l'UFISC, M. Michel Lefeivre, vice-président du syndicat national des scènes publiques (SNSP), et Mme Caroline Coll, directrice du Centre d'art de l'Abbaye Maubuisson, au titre du Congrès interprofessionnel de l'art contemporain (CIPAC), fédération des professionnels de l'art contemporain.

M. Jacques Legendre, président. - Lors des manifestations organisées à Paris il y a quelques semaines, j'avais pris l'engagement que notre commission recevrait une délégation des organisations du spectacle, qui avait souhaité rencontrer le président Larcher, avant la discussion au Sénat, en deuxième lecture, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales au cours de laquelle seront abordées les compétences des collectivités. Nous les recevons donc aujourd'hui.

M. François Le Pillouërn, président du SYNDEAC. - La réforme des collectivités territoriales a très tôt suscité notre inquiétude car il a été question de retirer la compétence culturelle aux collectivités territoriales qui, depuis de nombreuses années, aident l'art et la culture. De fait, les départements nous consacrent 1,3 milliard, les régions 1 milliard et les communes plus de 2,5 milliards. L'enjeu n'est pas seulement financier : les collectivités ont l'habitude de réfléchir à nos côtés sur la politique culturelle et artistique. Notre mouvement, auquel se sont joints les sportifs par parallélisme entre compétence culturelle et compétence sportive des collectivités, a plaidé auprès des parlementaires et du ministre le maintien de la compétence générale aux collectivités et des financements croisés. Sauf erreur de notre part, après passage du projet de loi à l'Assemblée nationale, les collectivités restent détentrices des compétences culturelle, sportive et touristique à l'article 35 et les financements croisés autorisés mais encadrés à l'article 35 quater. Y aura-t-il des dérogations possibles ? Nous sommes venus aujourd'hui vous demander de conforter la compétence culturelle de toutes les collectivités et la possibilité des financements croisés et attirer votre attention sur le problème des financements. De nombreux élus sur le terrain, quelle que soit leur obédience politique, nous expliquent que la réforme de la taxe professionnelle a limité leurs possibilités d'intervention et qu'ils ne pourront plus aider les entreprises artistiques et culturelles comme ils le souhaitent d'autant que les dotations de l'État aux collectivités dans le budget pour 2011 seraient gelées. En bref, le spectacle vivant et les arts plastiques seront l'objet d'une double peine à laquelle il faut ajouter les effets de la RGPP et la réduction drastique du budget de la culture en 2011 selon nos informateurs à Bercy, budget déjà érodé depuis plusieurs années. Les nouvelles mesures et structures lancées par le ministère de la culture ces dernières années, dont nous nous réjouissons, ont souvent eu pour conséquence l'absence de ré-indexation des structures historiques.

Pour conclure, nous avons aujourd'hui l'impression de ne pas être entendus bien que nous ayons activement participé aux entretiens de Valois et avancé de nombreuses propositions de réforme pour dynamiser notre secteur.

M. Jean Voirin, secrétaire général de la CGT spectacle. - La réforme des collectivités territoriales a effectivement cristallisé le mécontentement. Au problème de la compensation de la taxe professionnelle s'est ajouté celui du transfert des compétences, du gel des dotations de l'État aux collectivités, du lancement de la deuxième phase de la RGPP, annoncée par M. Fillon, qui touchera les opérateurs publics, nombreux dans le secteur culturel. Quant aux arbitrages rendus sur le projet de budget pour 2011, ils sont de mauvais augure : le budget de la culture ferait l'objet d'un coup de rabot pour atteindre l'objectif d'une réduction de 10 %. Avec un budget pour 2010 inférieur à l'inflation, nous avons déjà payé l'addition ! Nous, nous demandons une hausse de 5 % ! Restent deux dossiers lourds : la transposition de la directive « Services » qui aura des implications dans le champ culturel et le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle qui n'a fait l'objet d'aucune initiative des pouvoirs publics alors que l'échéance du 31 mars 2011 approche. Enfin, je n'oublie pas certaines rencontres organisées discrètement dans les ministères jusqu'à Matignon... Résultat, le climat social est plus en plus tendu à la veille de la saison des festivals. Une nouvelle journée d'action est prévue demain lors de la réunion du Conseil national des professions du spectacle, présidée par M. Mitterrand et, pour ne rien vous cacher, nous envisageons de nous manifester, avec tact mais savoir-faire et fermeté, à l'occasion des festivals. Je rappelle que, après l'éclatement d'un conflit social au théâtre national de Chaillot, l'Opéra comique est aujourd'hui en grève. Les personnels des opérateurs publics, dont le budget ferait également l'objet d'un coup de rabot de 10 % l'an prochain, n'en peuvent déjà plus. De fait, afin de réaliser les fameuses économies d'échelle, les directions sont aujourd'hui invitées à remettre à plat les conventions collectives de travail.

Pouvez-vous nous aider à décrypter les incidences juridiques des articles 35 et 35 quater tel qu'ils ont été adoptés par les députés ?

Mme Caroline Coll, directrice du centre d'art de l'Abbaye de Maubuisson, au titre du CIPAC, fédération des professionnels de l'art contemporain. - Le CIPAC, la Fédération des professionnels de l'art contemporain, regroupe associations, critiques, commissaires d'exposition, directeurs de Fonds régionaux d'art contemporain et directeurs de centres d'art qui soutiennent la création contemporaine en arts plastiques en complémentarité avec le monde marchand des galeries. Bref, elle représente ce remarquable maillage artistique du territoire, cette exception française fruit de trente ans de décentralisation, qui pourrait être balayé par les réformes annoncées et le tarissement des subventions. Il y a fort à craindre, par exemple, que la suppression de la taxe professionnelle, dont l'objet était de faciliter la création d'emplois dans les entreprises, n'aboutisse à la destruction d'emplois dans notre secteur, fragile et dont le rôle est souvent mal compris par les élus. Pour cette année 2010, nous observons déjà un désengagement des collectivités, de droite comme de gauche.

Mme Marie-Christine Blandin. - Je vous donne acte de la pertinence et de l'exactitude du regard que vous portez sur la fragilisation de ce secteur. La mention ajoutée dans le texte de la commission à l'Assemblée nationale à l'article 35 : « ne sont pas considérés le tourisme, la culture et le sport » a constitué un pas dans le rétablissement de la compétence culturelle, sans que cela vaille légitimité complète. De fait, celle-ci constituait non un droit acquis par la décentralisation, mais une possibilité soumise à l'arbitrage du préfet. Au reste, même au temps de la compétence générale, la région Nord-Pas-de-Calais avait eu des démêlés avec le représentant de l'État à propos du financement du festival du Fresnoy et du film Germinal. La rédaction de l'article 35, après les travaux en séance publique à l'Assemblée nationale, est bien meilleure. En l'état actuel du texte, plus aucun financement croisé de la région et du département ne sera possible à compter du 1er janvier 2015 si toutes les collectivités de la région concernée n'ont pas établi un schéma de répartition des compétences culturelles et sportives. Or, que le département et la région s'entendent semble simple puisqu'il s'agira des mêmes élus - même si je n'approuve pas ce mode d'élection - mais quid de la réussite de ce dialogue avec les grandes villes et les métropoles qui auront toute compétence sur leur territoire ?

Néanmoins, au-delà du démontage de l'édifice, le principal risque est la RGPP et son acte II. La suppression de la taxe professionnelle obligera les élus à faire des choix. Soyez assurés que les Verts préféreront verser des aides à la culture plutôt qu'aux usines de surgelés, polluantes et destructrices de ressources... En revanche, la directive « Services », qui n'est pas encore transposée en droit français, ne présente pas de danger. La culture, au nom du principe de la diversité culturelle revêtu désormais de la signature de l'UNESCO, est l'un des seuls secteurs à pouvoir plaider, en toutes circonstances, la nécessité de ne pas être soumis aux règles de la concurrence.

Mme Irène Basilis, directrice du SYNDEAC. - Certes, mais M. Fillon a envoyé aux préfets une circulaire qui va dans le sens contraire.

M. Jean-Jacques Pignard. - Le débat porte aujourd'hui sur les compétences des collectivités territoriales, et non sur les financements. Mon groupe n'a pas changé de position à ce sujet : nous étions inquiets que la disparition de la compétence culturelle ne porte un coup réel au spectacle vivant. Que serait l'Opéra de Lyon, dont je suis vice-président, sans les subventions de la ville et de la région ? Il y va de même de tous les opéras et orchestres nationaux dans les villes de France. Mon groupe votera l'article 35, modifié par l'Assemblée nationale. Concernant les financements croisés, nous devons établir un schéma pour hiérarchiser les subventions à la culture et à l'art en 2015, comme cela était prévu dans les entretiens de Valois. S'il est justifié que les collectivités subventionnent les institutions importantes - les orchestres, les centres dramatiques nationaux ou les opéras - est-il normal qu'elles interviennent sur de tout petits dossiers ? Peut-être ce travail sera-t-il compliqué par l'existence des métropoles. Mais dans la région Rhône-Alpes, nous avons toujours travaillé en bonne entente avec un maire et un président de conseil régional socialistes et un président du conseil général centriste. Pourquoi ce pragmatisme ne pourrait-il pas être trouvé ailleurs ?

M. Ivan Renar. - Je me réjouis que notre commission reçoive aujourd'hui votre délégation. Nos rencontres devraient être plus régulières, comme elles l'étaient autrefois avant le budget. Hélas !, je note une méfiance des artistes, et du monde de la matière grise en général, envers les parlementaires, une conception très verticale des rapports avec l'État. N'oubliez qu'il existe, aux côtés de l'exécutif, le pouvoir législatif et qu'un parlementaire, qui a reçu deux ou trois lettres sur le même sujet, s'émeut et devient vigilant sur la difficulté signalée. Le débat sur la clause de compétence générale ne concerne seulement pas le secteur culturel, mais aussi le secteur social. Déjà, des programmes de construction de crèches sont supprimés du jour au lendemain. Votre mouvement doit donc rassembler davantage. Les conseils régionaux sont désormais des nains fiscaux, ils n'ont plus aucune fiscalité propre. Et leur dotation va être gelée. Résultat, l'orchestre national de Lille, dont je suis président, risque de disparaître, faute de la subvention de la région. Nous devons faire oeuvre de pédagogie. Certaines communautés urbaines, notamment celle de Lille, n'ont pas pris la compétence culturelle, bien qu'elle profite de toutes les structures culturelles financées par la région. La compétence culturelle, comme celle des droits de l'homme, doit être universelle. La culture est aussi importante que l'éducation, le logement ou l'accès à la nourriture. L'État doit jouer, en la matière, son rôle de garant d'une création indépendante, signe d'une société démocratique.

La bataille, même si je n'aime pas ce vocabulaire militaire, ne fait que commencer. La réduction de 10 % du budget de la culture pèsera davantage sur les structures culturelles importantes, comme les scènes dramatiques nationales. La situation n'a jamais été aussi grave qu'aujourd'hui. « Les enfants, là est la clé du trésor ! » disait Malraux. Or l'école, qui forme avec la télévision le pilier de la culture de masse, est aujourd'hui laissée en déshérence. Heureusement que nous pouvons compter sur les interventions des artistes en milieu scolaire ! J'ai d'ailleurs toujours milité pour que ces heures soient comptabilisées au titre du régime de l'assurance chômage des intermittents. Les arbitrages sur le budget de la culture seront rendus à Avignon, puissions-nous nous rencontrer de nouveau avant le débat budgétaire à l'automne. Les menaces sur les financements et l'assurance chômage des intermittents sont des blessures ouvertes. La démocratisation de la culture est un combat permanent en milieu rural et en milieu urbain difficile. Roger Planchon n'affirmait-il pas déjà il y quarante ans : « Les ouvriers ne vont dans les théâtres que pour les construire » ?

M. Jean-Luc Fichet. - Je partage vos inquiétudes : la période à venir s'annonce extrêmement difficile, les possibilités d'intervention des collectivités se réduisant à peau de chagrin. Or, en milieu rural, réduire les subventions à un théâtre, c'est porter un coup à l'attractivité de nos territoires, déjà amoindrie par la désertification médicale. Donnons à la culture la place qui lui revient en lui trouvant des financements pérennes.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale sur la question des compétences vont dans le bon sens. Ma communauté de communes, qui représente vingt-cinq communes et 15 000 habitants, n'est pas très riche. Nonobstant, elle s'est saisie de la compétence culturelle. Grâce à la volonté des élus, elle gère désormais la bibliothèque et l'école de musique, mais elle a aussi créé un centre culturel qui comporte deux salles de cinéma. Depuis, les entrées ont presque doublé. Prenons garde à ne pas noircir le tableau !

Mme Françoise Cartron. - Quel est l'avis des organisations syndicales sur la politique de labellisation des salles culturelles ? De fait, la remise en cause d'un label pourrait entraîner la suppression des subventions qui lui étaient liées...

M. Jack Ralite. - Il ne faudrait pas, nous dit-on, dramatiser la situation quand attaquer les collectivités, c'est attaquer 75 % du budget de la culture ? Le jour où le Sénat a adopté l'article 35, j'avais pourtant mis en garde mes collèges. Messieurs les représentants des organisations, méfiez-vous des chiffres du Parlement. Ils veulent dire autre chose avec les nouvelles méthodes financières. Pour exemple, en tant que membre du conseil d'administration de l'Ensemble Intercomporain, j'ai appris la semaine dernière que nous devrions fermer la porte si nous n'avions pas un fonds de roulement, lequel se tarira en 2013. Se tourner vers le mécénat ? Mais la situation n'est-elle pas difficile pour les entreprises ces temps-ci ? En plus, si le mécénat est facilité par une niche fiscale, qui nous dit que cette niche fiscale ne fera pas l'objet du coup de rabot en plus de la réduction du budget de la culture de 10 % décidée sans concertation par M. Fillon. ? La conception du financement même a changé. Il suffit de se reporter au « petit grand emprunt » pour le comprendre. Lors d'une récente réunion de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, Mme Kosciusko-Morizet n'a-t-elle pas déclaré qu'il n'y aurait pas plus que 25 % de subventions et qu'une partie d'entre elles devraient donner lieu à un retour sur investissement ? Bref, les chiffres publics sont un mirage. Même discours en Avignon l'an dernier où l'on a entendu un financeur déclarer que toute subvention devait être soumise à la notion de profit ! Il faut donc un mouvement fort pour contrer cette tendance de drainage de l'aide publique vers le privé. La question de la responsabilité du service public est posée. Quant au bricolage intervenu à l'Assemblée nationale, ma collègue a légitimement évoqué ces gigantesques mastodontes que seront les métropoles. Celles-ci pourront décider de tout.

On n'entend pas aujourd'hui assez parler de création dans les textes publics et politiques. Qui peut le faire mieux que vous ? Vous en parlez beaucoup, mais labourez encore, sans quoi, quand la disette sera là, nous aboutirons à une festivalisation des pratiques artistiques. Enfin, le régime d'assurance chômage des intermittents aurait dû être sauvé à l'Assemblée nationale, mais le président Accoyer a demandé le quorum ! Nous pouvons néanmoins encore redresser la situation. Le Sénat compte de nombreux sénateurs sensibles à cette question. Rendez-nous visite ! Assistez à nos débats dans les tribunes !

M. Jacques Legendre, président. - Membres de la commission de la culture, notre intérêt pour le spectacle et la création est réel. Nous sommes tous des acteurs de la culture dans nos départements et nos régions. Permettez-moi, tout d'abord, de signaler qu'il n'a jamais été question de retirer la compétence culturelle aux communes et à leurs groupements, mais de spécialiser les interventions du département et de la région dans ce domaine dans un souci de simplicité. Aujourd'hui, il est plutôt question de parvenir à un accord de répartition entre département et région, qui auront les mêmes élus avec la création du conseiller territorial. A défaut, il existera certainement une grille nationale.

Ensuite, je veux vous apporter quelques précisions. Notre commission travaillera sur le texte de la commission des lois, saisie au fond sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Son intérêt pour cette question de la répartition des compétences est marqué par cette saisine pour avis en deuxième lecture, qui n'est pas dans les habitudes du Sénat, et le choix du rapporteur, soit le président de la commission, votre serviteur. Nous sommes attachés à l'idée que les collectivités annoncent ce qu'elles comptent faire. Un débat doit avoir lieu entre élus. Pour prendre un exemple que je connais bien, la communauté urbaine de Lille ne participe pas au financement de la culture, contrairement à la région, non pour des raisons politiques mais parce qu'elle ne veut pas mettre la main à la poche.

Enfin, s'agissant des questions financières, le Sénat tiendra bientôt un débat d'orientation budgétaire qui sera l'occasion d'évoquer le budget dans la culture dans sa globalité, qui n'avait nullement donné lieu à des réactions d'indignation marquée l'an dernier, avant le vote du budget en novembre.

M. François Le Pillouërn, président du SYNDEAC. - La commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale nous a proposé de créer un groupe de travail. Il s'agit, notamment, pour nous de préciser dans notre dispositif législatif l'accès à la culture pour tous reconnu dans la Constitution de 1958. Le Sénat veut-il se joindre à cette initiative ?

M. Jacques Legendre, président. - Le bureau de notre commission en débattra prochainement. Sachez que la commission sera toujours heureuse de recueillir votre avis. Merci de votre présence aujourd'hui.

Mercredi 16 juin 2010

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Lutte contre l'échec à l'école primaire - Audition de représentants de l'institut Montaigne

La commission procède à l'audition de MM. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne, Michel Zorman, médecin de santé publique, chercheur associé à Cogni-sciences laboratoire des sciences de l'éducation de l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Centre de référence des troubles du langage du CHU de Grenoble, Mme Maylis Brandou, co-rapporteur du rapport, chargée d'études à l'institut Montaigne, et M. Alexandre Quintard-Kaigre, responsable des affaires publiques de l'institut Montaigne, sur le rapport de l'institut Montaigne « Treize propositions pour « vaincre l'échec à l'école primaire » » 

M. Jacques Legendre, président. - Après avoir auditionné hier le ministre de l'éducation nationale, nous recevons aujourd'hui les responsables de l'institut Montaigne qui vont nous présenter leur rapport « Vaincre l'échec à l'école primaire ».

M. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne. - On a longtemps cru que, si l'université, le lycée et le collège devaient être réformés, l'école primaire française, à défaut d'être la meilleure du monde, fonctionnait bien. Ce n'est pas le cas, et l'on en prend aujourd'hui conscience. Or une société de la connaissance ne peut être édifiée sur du sable. Voilà pourquoi l'institut Montaigne a souhaité mener une réflexion sur l'état de l'école primaire dans notre pays, auditionner des spécialistes et publier un rapport. Les constats sur lesquels nous nous fondons ne sont pas nouveaux : alors que 800 000 enfants entrent chaque année dans le système scolaire, 300 000 en ressortent avec des lacunes qui, pour la moitié d'entre eux, sont très graves. Depuis vingt ans que cette situation perdure, nous avons donc formé trois millions d'illettrés. En dépit des efforts des gouvernements successifs et du Parlement, malgré l'investissement massif de fonds publics, rien ne change. Cette incapacité à obtenir des résultats est une singularité française.

Moi qui fus professeur dans le secondaire et qui enseigne toujours à Sciences Po, j'ai découvert avec effarement que l'ensemble du système scolaire primaire n'était pas conçu pour répondre aux intérêts des enfants mais des adultes, qu'il s'agisse de préoccupations économiques liées au tourisme et aux transports, ou du souci des parents et des enseignants de mieux organiser leurs vacances. La France est le pays occidental où il y a le plus de redoublants ; or, loin d'être une solution, le redoublement fait peser la responsabilité de l'échec sur l'élève. C'est dans notre pays que l'année scolaire est la plus courte - 140 jours contre 170 au moins au Royaume-Uni et en Allemagne - ainsi que la semaine scolaire. On s'est rendu compte que la semaine de quatre jours était une erreur ; l'institut Montaigne recommande le passage à la semaine de cinq jours, assorti d'une réduction de la durée des journées.

Nos propositions se laissent classer sous quatre chefs. En ce qui concerne les cycles d'apprentissage, la réforme voulue par M. Jospin en 1989 n'est pas appliquée. La terminologie est aujourd'hui trop complexe. Les cycles doivent être adaptés aux rythmes individuels. Nous en préconisons trois : un cycle d'apprentissages premiers de 3 à 4 ans, un cycle d'apprentissages fondamentaux de 5 à 7 ans, et un cycle d'approfondissement de 8 à 10 ans.

Viennent ensuite les mesures relatives au temps des enfants. Je l'ai dit : nous recommandons une semaine de cinq jours et une année scolaire moins compacte, allongée d'au moins deux semaines. Beaucoup de parents y sont favorables : moi-même, je m'attends à ce que l'on me demande de garder ma petite-fille pendant les vacances scolaires, alors que ses parents travaillent... Les enseignants, en revanche, n'y sont pas toujours favorables.

Le métier d'enseignant doit évoluer. Les intéressés sont demandeurs : l'immense majorité d'entre eux souffrent de l'échec scolaire et veulent être aidés. Les réformes actuelles ne nous paraissent pas aller dans le bon sens : plutôt que de former les professeurs à leur métier après leurs études, il faut mettre en place une formation en alternance. Je ne comprends d'ailleurs pas qu'ils ne soient pas entraînés à s'adresser différemment à des enfants de trois et de huit ans : même à l'université, l'on ne peut s'adresser à des étudiants de vingt ans comme à des étudiants de vingt-huit ! Nous regrettons que les hausses de traitement n'aient pas été assorties, en contrepartie, d'une obligation de présence accrue dans l'établissement, essentielle au renforcement des liens entre les maîtres et les élèves.

Enfin, la gouvernance actuelle de l'école est absurde. Alors que le collège est dirigé par un principal, le lycée par un proviseur, l'école primaire n'a pas de véritable directeur ! Le décret d'application de la loi du 13 août 2004 n'a pas été publié. Les maires sont responsables des bâtiments, mais dans le domaine pédagogique le directeur ne peut compter que sur son charisme, car il n'a pas les moyens d'imposer ses projets éducatifs, d'affecter par exemple dans les classes les plus difficiles les enseignants rompus aux techniques pédagogiques adaptées. Pour l'heure, le bizutage prévaut : le dernier arrivé écope de la classe la plus dure. Moi-même, quand j'étais jeune enseignant à Nanterre, je me vis confier un cours devant 1 200 étudiants, et je compris bientôt que j'aurais 1 200 copies à corriger...

On a parfois l'impression, dans ce domaine, d'avoir affaire au rocher de Sisyphe. Mais si l'on est impuissant à le faire rouler, c'est peut-être qu'un caillou l'empêche d'avancer. Si paradoxal que cela paraisse, on a négligé trop longtemps la pédagogie. Après avoir auditionné de nombreux spécialistes - Mme Marie Duru-Bellat, M. François Dubet, M. Michel Zorman - et considéré l'exemple d'autres pays et États - par exemple la Floride où les enfants dont l'espagnol est la langue maternelle apprennent à lire et à écrire grâce à des méthodes spécifiques - nous nous sommes convaincus de la nécessité de diffuser des pratiques pédagogiques fondées sur des données objectives et évaluées. Il faut organiser le respect des rythmes propres à chacun et s'appuyer sur des techniques qui permettent de vaincre l'échec scolaire. Mais sans une révolution mentale des enseignants, nous n'arriverons à rien. La réforme que nous préconisons n'est pas coûteuse : la suppression des redoublements ferait même faire des économies.

M. Jean-Claude Carle. - Merci de cet exposé très clair. Je partage votre avis sur la nécessité de renforcer le statut du directeur et d'améliorer la formation des maîtres. Nous manquons d'outils d'évaluation. Il faut passer d'une logique de l'offre à une logique de la demande.

J'aimerais vous interroger sur le rôle des parents. L'échec ne leur est-il pas en partie imputable ?

Quelle doit être selon vous la coordination entre l'école primaire et le collège ?

Ne serait-il pas judicieux de briser le rocher en petits cailloux et, tout en fixant par la loi des orientations générales, de laisser le champ libre aux initiatives locales ? Les velléités de réforme sont aujourd'hui entravées par le très fort corporatisme de l'éducation nationale. Mais il faut privilégier l'échelon de proximité, et faire travailler ensemble toute la communauté éducative, au sens de la loi Fillon.

M. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne. - Je vous suis sur ce point. L'éducation nationale compte 1 200 inspecteurs généraux et 300 000 professeurs, et lorsque le ministre cherche à imposer une réforme d'en haut, il ne se passe rien.

M. Zorman vous répondra sur le rôle des parents. Aujourd'hui l'école ne réduit plus les inégalités, mais les creuse, rompant ainsi le pacte républicain. Seuls les parents peuvent aujourd'hui accomplir un travail individualisé avec leurs enfants, mais encore faut-il qu'ils en soient capables. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que, dans la perspective d'une réforme de l'école primaire, il faille d'abord s'intéresser aux parents.

S'agissant du lien entre l'école primaire et le collège, je ferai seulement remarquer que lorsque les connaissances ne sont pas acquises à un certain niveau, l'enseignant considère que ce n'est pas à lui de les transmettre : il y a là un problème.

M. Michel Zorman, médecin de santé publique, chercheur associé à Cogni-sciences laboratoire des sciences de l'éducation de l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Centre de référence des troubles du langage du CHU de Grenoble. - Les études montrent que les parents qui n'aident pas leurs enfants dans leur apprentissage scolaire sont très rares, et n'expliquent pas à eux seuls le taux d'échec scolaire, compris entre 15 et 20 %. Mais les parents des milieux favorisés font de la surenchère. L'école française est très académique : ses programmes sont très ambitieux, mais ses résultats globaux plus faibles qu'ailleurs, qu'il s'agisse du niveau des plus faibles ou des plus forts. Les consignes données aux élèves restent implicites, ce qui handicape les familles qui ne savent pas les interpréter. En outre, ce n'est qu'à la maison que les enfants peuvent travailler de manière individualisée, et ils le doivent pour réussir.

La recherche en laboratoire et les expérimentations de terrain menées à grande échelle montrent que, lorsque plusieurs personnes ont des dispositions inégales pour une certaine activité - que ce soit dû à leur conditionnement biologique ou culturel, à leurs motivations... -, on ne peut adopter à leur égard une méthode pédagogique unique si l'on veut obtenir de bons résultats. L'individualisation de l'apprentissage permettrait à la fois de réduire de 15 à 5 % le taux d'échec grave, et de porter à 50, voire 70 % la part de la population ayant accès aux études supérieures - taux qui s'élève aujourd'hui à 37 % en France, contre 70 % en Suède.

Dans certains pays, l'individualisation prend la forme du travail en petits groupes, ailleurs est mis en place un travail strictement individualisé. Sont concernés tantôt les seuls élèves en difficulté, tantôt l'ensemble des élèves : les bons deviennent alors excellents. Cela vaut bien mieux que de tenir le même discours à tous les élèves, en fonction de ce que l'on imagine être leurs connaissances et capacités moyennes ! Les enseignants doivent pouvoir évaluer les facultés de raisonnement et les compétences langagières des élèves dès leur entrée à l'école, afin de s'y adapter. Aujourd'hui, ceux qui réussissent sont ceux qui reçoivent un soutien individualisé de la part de leurs parents ou par le biais de cours particuliers. Les parents de milieux populaires payent aussi à leurs enfants des cours particuliers, mais seulement en cas d'échec, alors que les plus riches anticipent. Il vaut mieux prévenir que guérir : l'imagerie cérébrale montre que les enfants de CE1 en difficulté, lorsqu'ils essaient de lire, mobilisent des réseaux neuronaux visuels et non langagiers, parce qu'ils ont développé des stratégies de reconnaissance optique ; or il est impossible de déconstruire ces stratégies cognitives lorsqu'elles sont bien établies.

Pour ce qui est de l'apprentissage de l'écriture, de même qu'il existe des références médicales opposables, les expérimentations menées dans dix-neuf domaines linguistiques permettent aujourd'hui de fixer des références pédagogiques opposables, déterminant ce qu'il est exclu de ne pas faire : développer les compétences langagières, la conscience phonologique, la maîtrise du code alphabétique.

J'ai constaté, lorsque j'étais le collaborateur du recteur de l'académie de Grenoble, que rien ne pouvait être décidé au niveau national. Avec une communauté de communes et l'inspecteur d'académie de l'Isère, j'ai mis en place une expérimentation dans une école située en zone urbaine sensible (ZUS), consistant à individualiser les enseignements : alors que dans le groupe de contrôle, non concerné par l'expérimentation, 28 % des élèves maîtrisaient mal l'écriture à l'entrée en CE1, ils n'étaient que 8 à 10 % dans le groupe expérimental ! Cela montre que le ministère, tout en fixant des axes directeurs, doit libérer les énergies et accepter que les collectivités locales s'impliquent dans la politique scolaire. L'éducation nationale est jusqu'à présent un milieu très fermé, et tout est fait pour que la collaboration soit impossible.

M. Yannick Bodin. - L'école est un sujet qui dépasse les clivages politiques, et c'est donc très librement que je m'adresse aux responsables de l'institut Montaigne. Environ 300 000 élèves quittent l'école primaire sans savoir correctement lire, écrire ni compter. Vous êtes-vous interrogés sur l'origine socioprofessionnelle de ces élèves et sur la proportion d'entre eux dont la langue maternelle n'est pas le français ?

Ne faudrait-il pas cesser de considérer le passage en sixième comme une rupture ? Ce n'est peut-être pas si grave de sortir de l'école primaire avec des lacunes, puisque la scolarité obligatoire dure jusqu'à seize ans. La sixième ne doit pas être considérée comme la première classe du lycée, comme au temps du lycée napoléonien !

Vous vous fondez sur des études internationales comparatives, mais comparaison n'est pas raison : il est beaucoup plus facile de maîtriser l'écriture quasi phonétique du finnois que l'orthographe française !

S'agissant des rythmes scolaires, vous avez parlé de la nécessité de prendre en compte avant tout les intérêts des enfants. Je rappelle toutefois que la suppression des cours le samedi matin satisfait beaucoup de familles recomposées, où les parents assument alternativement la garde des enfants pendant les week-ends. Quant à la semaine de quatre jours, les professeurs en sont très contents. Qu'est-ce qui importe le plus dans l'esprit de ceux qui déterminent les rythmes scolaires, le tourisme estival ou le secteur du ski ?

Que pensez-vous de la réforme en cours de la formation des maîtres ? Plutôt que de mettre l'accent sur les connaissances disciplinaires, par le biais de la mastérisation, ne faudrait-il pas apprendre leur métier  aux futurs enseignants ? Nous avons reçu hier M. Luc Chatel, qui nous a assurés que la formation professionnelle n'avait « pas totalement disparu »...

En France, tout est fondé sur le face-à-face entre l'élève et le professeur. Mais ce dernier est membre d'une équipe éducative. Pourquoi, dans une école comprenant deux classes de vingt-cinq élèves, ne pas confier pendant quelques mois à un instituteur les quinze élèves les plus en difficulté ? Voilà qui permettrait d'individualiser l'apprentissage !

Mme Maryvonne Blondin. - J'accorde moi aussi un rôle primordial à la formation des enseignants. Ils doivent être formés à s'occuper d'élèves handicapés, eux aussi concernés par l'individualisation.

L'inspection est trop souvent considérée comme une sanction, plutôt que l'occasion de conseiller les professeurs et de dialoguer avec eux. Certes, les choses ont changé depuis que les inspecteurs arrivaient en classe inopinément. Mais il faut cesser de faire peser cette épée de Damoclès sur la tête des enseignants !

Je suis entièrement d'accord pour dire que rien ne peut se faire au niveau national. Lorsque j'étais enseignante, j'ai voulu expérimenter une nouvelle méthode pédagogique : emmener mes élèves dans une caserne de pompiers pour leur enseigner les premiers secours, plutôt que de rester en classe. Le chef d'établissement s'y opposant, j'ai dû demander l'aval de l'inspection. Pour récolter de l'argent, j'ai organisé une kermesse, mais aujourd'hui l'esprit communautaire n'existe plus dans les établissements.

J'aurais voulu dire un mot du zonage, car beaucoup de familles cherchent à envoyer leurs enfants dans des établissements situés en dehors des ZEP et des ZUS.

Je finirai par une remarque logistique : pour que les enseignants puissent passer plus de temps dans les établissements et y recevoir élèves et parents, il faudrait qu'ils disposent d'un lieu approprié !

M. Pierre Martin. - L'échec scolaire est depuis longtemps un leitmotiv du débat politique. Les réformes entreprises sont restées sans résultat. Sur le redoublement, mon avis est plus nuancé que le vôtre: il permet parfois aux élèves de combler leurs lacunes, et qu'est-ce qu'une année dans le cours d'une scolarité ?

Il existe des différences biologiques entre les enfants, mais aussi entre les maîtres, ce qui rend l'équation difficile. Il faut trouver des solutions à l'échec, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Je pense comme vous qu'il faut un directeur fort dans une école ou, pour employer une métaphore sportive, un capitaine capable d'animer une équipe. Les syndicats y sont très rétifs, mais le chef d'établissement doit pouvoir envoyer les maîtres les plus chevronnés dans les classes difficiles. Cela impliquerait de mieux valoriser ces postes, surtout en CP, classe des apprentissages fondamentaux.

On a voulu étaler sur plusieurs années l'apprentissage de la lecture. Mais certains enseignants en ont profité pour se défausser sur leurs collègues !

Tout le monde a un rôle à jouer à l'école : les enseignants, les maires, mais aussi les parents, et pas uniquement ceux des élèves les plus doués qui sont les seuls à se rendre aux réunions de début d'année !

En ce qui concerne l'évolution du métier d'enseignant, je n'ai jamais été favorable à la mastérisation : une formation pratique est nécessaire. Lorsqu'un jeune enseignant se voit attribuer sa première classe, il est mis à l'épreuve par les parents et par les élèves eux-mêmes, et ses moindres défaillances sont vite décelées.

Il faut enfin décentraliser la gestion de l'éducation nationale, et laisser libres les gens qui veulent s'y investir. Notre objectif doit être la réussite des enfants.

M. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne. - Veuillez m'excuser de répondre de façon désordonnée aux interventions de MM. Bodin, Martin et de Mme Blondin. Un graphique, qui figure dans le résumé du rapport, m'empêche de dormir : celui-ci montre le décrochage scolaire des enfants d'ouvriers, d'agriculteurs et d'inactifs entre 1987 et 2007. Que l'école de la République ne corrige pas les inégalités, mais les accentue est inacceptable !

Oui, il faut totalement transformer le rôle des inspecteurs.

« Il est plus difficile de vaincre un préjugé que de briser un atome », disait Albert Einstein. Le grand préjugé est une attitude fataliste face à l'échec scolaire dans notre pays qui touche pourtant des enfants dans toutes nos familles. Moi-même, j'ai dû m'y reprendre trois années de suite pour obtenir mon baccalauréat... Or, d'après les travaux de M. Zorman, il est possible de réduire le taux d'échec scolaire de 15 à 5 %. Pour ces 5 %, soit quelque 40 000 élèves, il faudra chercher d'autres moyens.

Certes, chacun doit jouer son rôle au sein de l'école. Mais la première étape est de répondre à l'angoisse des enseignants confrontés à l'échec scolaire en leur donnant les outils adaptés. Si j'étais ministre de l'éducation, pardonnez-moi de cette prétention invraisemblable, je commencerais, non par briser l'éducation nationale comme au Canada, mais par accompagner les enseignants dans la lutte contre l'échec scolaire.

Soit, monsieur Bodin, la langue française a une orthographe plus complexe que le finnois. Pour autant, les comparaisons internationales ont du sens : depuis vingt ans, la position de la France au sein de ces classements n'a cessé de se dégrader.

Les problèmes du zonage, d'un lieu pour les enseignants au sein de l'école sont importants, mais la question centrale est celle de la lutte contre l'échec scolaire. Le directeur d'une école élémentaire devrait avoir pour seule obsession son taux d'échec scolaire, comme le taux de récidive hante le directeur de prison. Or j'ai constaté, en participant à des conseils de classe, qu'on y parlait longuement des bons élèves pour balayer le sort des autres d'un « celui-là, il faut s'en occuper ». Il ne s'agit pas de dicter aux enseignants ce qu'ils doivent faire, mais de leur dire que nous allons les aider.

L'articulation avec le collège est également une question essentielle. Mais, rendez-vous compte, j'ai rencontré des élèves en quatrième année à Sciences-po qui ne savaient pas prendre de notes. Pourtant, cela s'apprend ! Il existe aujourd'hui des techniques, mises au point en laboratoire, pour remédier à l'échec scolaire. Diffusons-les ! Si l'expérimentation à grande échelle que va mener l'institut Montaigne - soit, 500 écoles environ sur 50 000  -, donne des fruits, je suis convaincu qu'elle aura un effet d'entraînement au niveau national.

M. Michel Zorman, médecin de santé publique. - Plutôt que de parler de réforme et de dispositif, ayons pour seule préoccupation d'apporter une valeur ajoutée aux élèves. D'après nos études, les deux heures d'aides personnalisées à l'école élémentaire ne sont pas efficaces car 80 % des professeurs appliquent leur technique d'enseignement habituelle. L'individualisation n'est pas fonction du nombre d'élèves par classe - dans mon académie d'Ardèche, une classe de huit élèves avait les plus mauvais résultats -, mais de pratique pédagogique. Donnons aux enseignants les moyens d'analyser les difficultés et les outils pédagogiques pour répondre aux besoins différenciés des élèves. Transformer le rôle du directeur, le rythme scolaire aura peu d'effet tant que l'on ne sera pas attaqué à la relation humaine entre l'élève et l'enseignant.

A propos des comparaisons internationales, l'enquête PISA porte sur la compréhension de la langue et la maîtrise des mathématiques, non de l'orthographe. Trois pays ont un taux d'échec scolaire de 5 % : la Corée du Sud, le Canada anglophone et la Finlande. Preuve que la réussite scolaire n'est une question ni de langue ni de système scolaire, mais d'individualisation de l'apprentissage des compétences exigées par une société.

Mme Françoise Cartron. - Merci aux intervenants de ce regard porté sur l'école que nous partageons. L'angoisse des enseignants, la solitude dans l'exercice de ce métier sont réels. Vaincre l'échec scolaire impose une triple révolution. Tout d'abord, une révolution pédagogique : penser l'apprentissage des connaissances en termes de cycles, et non de classe, ce qui, de facto, élimine la question du redoublement ; accompagner les enseignants via des personnes relais pour travailler à la gestion de l'hétérogénéité des élèves, puis à la mise au point de techniques pédagogiques. Ensuite, une réorganisation de l'école autour de la notion d'équipe et de projet pédagogiques avec des inspecteurs dont le rôle serait moins de contrôler que d'impulser des initiatives, une place faite aux collectivités locales - contrairement à ce que croient certains, les élus ne sont pas que des financeurs, ils doivent aussi avoir voix au chapitre sur les questions pédagogiques ! - et, enfin, l'adaptation du rythme scolaire au temps de l'enfant. En la matière, depuis vingt-cinq ans, les lobbies l'ont emporté sur l'intérêt de l'enfant. De quel levier disposons-nous aujourd'hui pour changer cette situation ? Pour finir, une revalorisation, y compris financière, du métier d'enseignant.

Vendre la semaine de quatre jours contre deux heures d'aides personnalisées était un contresens pédagogique et éducatif !

M. Jean-Luc Fichet. - L'école est tout sauf un lieu neutre ; elle est le lieu de toutes les émotions. Pour une grande partie des parents, il n'est pas simple d'y pénétrer. D'où l'importance d'accorder davantage de temps au directeur d'école pour l'accueil des familles. Ensuite, comment rendre l'école enthousiasmante ? Personne n'en est satisfait aujourd'hui, que ce soient les collectivités ou les parents. Ceux qui ont des enfants bons élèves veulent dicter aux enseignants leur conduite, ceux qui ont des enfants mauvais élèves redoutent la discussion avec l'enseignant de peur d'avoir à parler de leur propre échec. Dans l'école de ma commune finistérienne, il y a une classe monolingue et une classe bilingue français-breton. La première ronronne tandis que l'on constate dans la seconde une synergie incroyable entre les parents d'élèves qui s'impliquent dans l'école, les enseignants qui ont du temps libre et les élèves. Ne pourrait-on pas s'inspirer de cette expérience ? Enfin, dernier point important pour moi, l'école doit porter un projet pédagogique inscrit dans la dynamique de la commune et chaque commune doit avoir son école.

M. Jacques Legendre, président. - Je prie les orateurs suivants d'être brefs. M. Rachline doit bientôt nous quitter.

M. Serge Lagauche. - Monsieur le président, dans ce cas, faites respecter les temps de parole en début d'audition, sans quoi le dialogue ne peut avoir lieu ! Je vous propose de suivre les mêmes règles qu'en séance publique.

M. Jacques Legendre, président. - Je prends bonne note de cette suggestion.

M. Serge Lagauche. - En tant que parlementaires, notre devoir est d'aiguillonner l'éducation nationale ou, pour reprendre les mots de Claude Allègre, le mammouth. Il faut poursuivre le mouvement de décentralisation par lequel la gestion des lycées, collèges et écoles a été respectivement confiée aux régions, départements et communes. L'État doit fixer des objectifs et allouer les moyens en fonction des résultats obtenus. Nous devons obtenir de l'éducation nationale des résultats pour l'école primaire, département par département, afin d'évaluer, par exemple, les répercussions des suppressions de postes d'enseignants. Si nous invitons enseignants, parents et élèves à se battre pour changer la réputation de leur établissement, ils s'impliqueront et organiseront kermesses, fêtes, voyages ou feront tout pour améliorer leur résultat, y compris en zone sensible, tout en sachant qu'il ne faudra pas proposer du pastis au buffet... Donnons-nous les moyens d'accueillir cette diversité et convainquons l'éducation nationale des bienfaits de la décentralisation !

M. Jean-Claude Carle. - Que pensez-vous de la proposition de loi aujourd'hui discutée à l'Assemblée nationale qui vise à suspendre les allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme scolaire ?

M. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne. - « Mieux vaut se répéter que se contredire », m'avait dit Raymond Barre à qui j'avais fait remarquer à la fin d'un cours, avec l'insolence de ma jeunesse, qu'il avait déjà traité le sujet. Pardonnez-moi donc d'insister encore sur la nécessité de commencer par transformer la pratique pédagogique. Si le taux d'échec scolaire diminue de 22 à 11 % dans une école, tout s'ensuivra, l'implication des parents dans la vie de l'école comme l'enthousiasme. Voilà le petit caillou qui fera bouger le mammouth : la modification de la pédagogie. La classe bilingue est une expérience riche pour les élèves, comme l'ont montré les travaux du docteur Tomatis. Bref, encore et toujours de la pédagogie ! Non sans lâcheté, je donne la parole à M. Zorman pour répondre à la question posée sur l'absentéisme scolaire.

M. Michel Zorman, médecin de santé publique. - A titre personnel, et non en tant que chercheur, je considère que supprimer les allocations familiales pour se faire plaisir ne résoudra en rien le problème de l'absentéisme scolaire. Comment faire revenir un enfant à l'école en ajoutant l'humiliation à l'échec scolaire ! La seule réponse à cette question me semble être de donner à chaque élève une place en tant qu'être humain au sein de l'école.

Permettez-moi de revenir sur les personnes relais : il serait vain de décréter un changement des pratiques pédagogiques au niveau national. Il faut combiner décentralisation et autorisation d'expérimenter. Enfin, il faut pratiquer l'individualisation des enseignements, non après les cours, mais dans le temps scolaire, soit huit heures de travail par petits groupes sur les vingt-quatre heures hebdomadaires. Les enseignants canadiens anglais et finlandais pratiquent tous le travail par petits groupes. Par parenthèse, il y a un bruit et un chahut dans la classe qu'aucun enseignant français ne tolérerait. Cette guidance cognitive avec chaque élève, j'y insiste, ne fait pas l'objet d'un autre dispositif.

M. Jacques Legendre, président. - Merci de votre présence et de vos explications.

M. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne. - Merci de nous avoir consacré votre temps et votre attention. L'institut Montaigne est à votre disposition si vous avez besoin d'informations supplémentaires. Je remercie également M. Zorman de sa venue, fort utile pour éclairer notre débat.