Mercredi 11 mai 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Gestion et pilotage des parcs nationaux - Audition pour suite à donner au référé de la Cour des comptes

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, ainsi que de Jean-Pierre Giran, député du Var, président de l'établissement public « Parcs nationaux de France » (PNF), et Jean-Marie Petit, directeur de PNF, Denis Girou, directeur du parc national de la Guadeloupe, directeur du « collège des directeurs » des parcs nationaux, Pascal Berteaud, directeur-adjoint de cabinet de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature, et Laurent Machureau, sous-directeur de la quatrième sous-direction du Budget.

M. Jean Arthuis, président. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous renouons ce matin, et je m'en réjouis, avec la procédure de l'audition pour suite à donner sur un référé de la Cour des comptes. Comme vous vous en souvenez, celle-ci avait été initiée en étroite concertation avec le Premier président Philippe Séguin, dans le but commun de valoriser les travaux de contrôle, et mise en oeuvre par la commission des finances depuis son séminaire de travail du Mans du printemps 2007.

Ainsi, outre la procédure classique des enquêtes effectuées au titre de l'article 58°-2 de la LOLF, nous avons décidé d'organiser un suivi plus visible et systématique des rapports particuliers et des référés, en sélectionnant des sujets qui sont particulièrement importants ou qui ont appelé des observations critiques de la Cour des comptes.

Je vous rappelle les précédentes de nos auditions sur la gestion de l'établissement public d'aménagement de la Défense (EPAD), sur l'interopérabilité des systèmes d'information de santé, sur la gestion des carrières des hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères, ou sur la fusion ANPE-UNEDIC.

Je constate que les présents travaux de la Cour des comptes sur la gestion et le pilotage des parcs nationaux et de PNF réunissent les conditions d'un débat et justifient pleinement l'organisation de l'audition publique de ce jour.

En effet, la Cour a rendu successivement deux référés aux conclusions critiques, le premier sur Parcs Nationaux de France, début 2010, puis le second sur l'ensemble des parcs nationaux, qui nous a été transmis en début d'année. Si chaque parc a ses spécificités, on retrouve cependant des points communs dans les défaillances pointées par la Cour.

Sans vouloir intervenir plus avant dans l'analyse de ces documents qui vont nous êtres présentés par le président Descheemaeker, je relèverai la sévérité de certaines observations qu'ils contiennent.

Ainsi, la Cour constate que les parcs nationaux ont bénéficié au cours des dernières années d'un renforcement sensible de leurs moyens, dans un contexte budgétaire pourtant tendu. Pour autant, aucun progrès significatif du point de vue de la protection de l'environnement comme de la rigueur de la gestion n'a été constaté.

La Cour observe au contraire que la gestion des parcs demeure critiquable, et que leur pilotage par le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement reste défaillant. Enfin, elle insiste sur les contre-performances de Parcs Nationaux de France.

En effet, alors que la création de cet organisme visait à renforcer le pilotage de la tutelle sur les parcs nationaux, à travers un rôle d'animation et d'expertise, une politique de communication nationale et une mutualisation de la gestion administrative devant déboucher sur des économies d'échelles, la Cour constate que les résultats des trois premières années d'existence de PNF ont été très décevants à tous égards.

La Cour a donc émis un certains nombre de recommandations pour améliorer cette situation. Notre audition vise ainsi à faire le point sur la mise en oeuvre de ces dernières par PNF, les parcs nationaux et la tutelle.

La commission a décidé d'ouvrir cette audition à nos collègues de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et à la presse, afin que les travaux réalisés par la Cour des comptes connaissent une suite effective. Je salue la présence de notre collègue Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.

Nous recevons, pour la Cour des comptes, Christian Descheemaeker, président de la septième chambre,  Jean-Luc Lebuy, conseiller-maître, Bénédicte Roquette, conseillère-référendaire, ainsi que Cécile Arcade, rapporteure.

Les parcs nationaux sont représentés par Denis Girou, directeur du Parc national de la Guadeloupe et directeur du « collège des directeurs » des parcs nationaux, et « Parcs Nationaux de France » (PNF) par Jean-Pierre Giran, président, député du Var, et Jean-Marie Petit, directeur.

Pour le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, nous entendrons Pascal Berteaud, directeur-adjoint du cabinet de Nathalie Kosciusko-Morizet, et Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature.

Enfin, pour le ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, nous recevons Laurent Machureau, sous-directeur de la 4ème sous-direction du budget.

Afin de préserver une possibilité effective de dialogue et de débat, je demande que les présentations de la Cour des comptes et des administrations concernées se limitent aux observations principales.

Ensuite, chaque commissaire qui le souhaitera pourra librement poser ses questions.

Je propose que notre collègue Fabienne Keller, rapporteur spécial de la mission « écologie, développement et aménagement durables », intervienne à titre liminaire, puis j'inviterai les représentants de la Cour des Comptes à prendre la parole pour présenter les principales conclusions des travaux réalisés sur la gestion et le pilotage des parcs nationaux et de PNF.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial de la mission écologie, développement et aménagement durables. - Je me réjouis de l'organisation de cette audition, en présence de nos collègues de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui sera l'occasion d'approfondir un sujet important, à savoir celui des moyens affectés aux parcs nationaux pour la protection de la biodiversité, et de l'usage qu'ils en font.

Je rappelle que les neuf parcs nationaux et PNF disposent de ressources conséquentes. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2011 a prévu des autorisations d'engagement de 70 millions d'euros, et des crédits de paiement de 73,8 millions d'euros.

En tant que rapporteur spécial de la mission « écologie, développement et aménagement durables », j'ai été frappée par la lecture des deux référés de la Cour des comptes aux observations particulièrement critiques, notamment au regard de la gestion financière et administrative, et du pilotage de la tutelle.

Les parcs sont des outils de protection de la biodiversité. L'augmentation des moyens doit s'accompagner de contreparties, notamment en termes de rigueur de gestion.

Il ne s'agit pas ici de stigmatiser tel ou tel. Au contraire, je souhaite que cette audition constitue une opportunité pour les différents acteurs de la gestion des parcs de dialoguer ensemble, afin de renforcer la bonne utilisation et l'efficacité des moyens attribués, mais aussi le pilotage et la gouvernance de la biodiversité, sujet transversal.

Pour conclure, je tiens à saluer l'excellent travail des magistrats de la Cour des comptes. Je les remercie, ainsi que nos autres intervenants, d'avoir bien voulu venir éclairer la représentation nationale sur ce sujet.

M. Christian Descheemaker, président de la septième chambre de la Cour des comptes. - La Cour des comptes a mené une série de contrôles sur l'ensemble des parcs nationaux, anciens ou récents, y compris l'Agence des aires marines protégées, sur l'établissement public « Parcs nationaux de France », ainsi que sur la Fédération nationale des parcs naturels régionaux pour compléter son information.

Ces contrôles ont donné lieu à des communications administratives propres à chaque organisme : la série des lettres du Premier Président vous a été transmise en réponse à votre demande, conformément à l'article L. 135-5 du Code des juridictions financières. Deux référés ont été successivement adressés au ministre chargé de l'écologie, M. Borloo puis Mme Kosciusko-Morizet : l'un le 11 janvier 2010 sur Parcs nationaux de France, auquel le ministre a répondu le 19 mars ; l'autre le 29 novembre 2010 sur la gestion et le pilotage des parcs nationaux, document de synthèse auquel la ministre a finalement répondu le 26 avril 2011. Cette réponse vous a été transmise hier par un courrier du Premier président.

Certes, les enjeux budgétaires des parcs nationaux paraissent modestes. Mais ils sont les instruments de politiques publiques qui ont pris une importance accrue ; ils ont reçu des moyens nouveaux non négligeables dont il faut s'assurer qu'ils sont bien utilisés ; enfin, la Cour savait, par ses contrôles antérieurs, que la gestion administrative et comptable des parcs était médiocre et il lui fallait vérifier comment elle avait évolué.

Je rappelle que les contrôles de la Cour ont été achevés il y a près d'un an. Que dit la Cour dans son référé de synthèse de novembre 2010 ? Premièrement, que les moyens attribués aux parcs ont très sensiblement augmenté. Deuxièmement, que la mission des parcs n'en n'a pas pour autant été profondément étendue. Troisièmement, que leur gestion continue d'appeler des critiques. Enfin, que leur pilotage par le ministère reste encore bien insuffisant.

Les crédits ont été fortement augmentés : entre 2007 et 2010, les autorisations d'engagement ont été majorées de 53 %, passant de 49 millions d'euros à 75 millions d'euros. Cette augmentation tient compte de la création de « Parcs nationaux de France » en 2006 et de deux nouveaux parcs, le parc amazonien de Guyane et le parc de la Réunion. Si l'on s'attache aux sept parcs qui existaient déjà, l'augmentation de la subvention de l'Etat pour charge de service public reste sensible.

Parallèlement, les effectifs augmentent pour atteindre, en réalisé 2010, 820 équivalent-temps plein (ETP) auxquels s'ajoutent 89 ETP à l'Agence des aires marines protégées. Quelques exemples : le Parc des Cévennes comptait 75 agents en 2005, contre 98 en 2009. De même, le Parc de la Guadeloupe comptait 43 agents en 2005, et 62 en 2009. Enfin, le Parc des Ecrins se caractérise par l'augmentation la plus modeste, avec 103 agents en 2005 contre 113 en 2009.

Un tel renforcement des moyens n'est pas critiquable en soi, dans la mesure où il reflète l'ambition politique d'améliorer la conservation du patrimoine naturel et la préservation de la biodiversité. Encore faut-il, surtout dans un contexte de rareté de la ressource budgétaire, que des résultats significatifs soient obtenus. Tel n'est pas le constat que fait la Cour.

En effet, si le nombre des parcs nationaux a augmenté, la zone centrale des parcs existants - désormais dénommée « coeur » du parc tandis que la zone périphérique devient « l'aire d'adhésion » - n'a été étendue que dans deux cas sur sept et très modestement. Dans le parc des Cévennes, créé en 1970, la zone centrale de 91 000 hectares a connu une très petite extension, obtenue non sans mal et non sans contentieux, sur une partie de la commune de Hures-la-Parade. Dans le parc de la Guadeloupe, créé en 1989, le coeur est passé de 17 000 à 17 803 hectares pour sa partie terrestre, cette zone incluant désormais, aussi, une partie maritime. Enfin, dans un contexte différent, le coeur du parc des Pyrénées - qui ne correspond qu'à une modeste partie du massif dont il porte le nom - n'a pas été étendu depuis sa création en 1967. Il se présente pourtant comme un ruban de 100 kilomètres de longueur posé le long de la frontière espagnole et extrêmement étroit par endroits (800 mètres).

En revanche, selon les derniers renseignements disponibles, le coeur du parc de Port-Cros, créé en 1963, serait en voie d'intégrer l'île de Porquerolles dont le parc assure la gestion. Si la procédure va jusqu'au bout, après une longue période de débats difficiles, ce sera incontestablement un point positif.

Autre aspect de la critique : les contrats d'objectifs des parcs, qui ne datent que de 2007, se caractérisent par le très faible nombre d'indicateurs de résultat et par l'absence d'objectifs en matière de protection des espaces. Un exemple emblématique : le bouquetin des Pyrénées. Emblématique parce que la protection de son cousin, le bouquetin des Alpes, est à l'origine de la réserve du Grand Paradis, grâce au roi d'Italie, et concerne notamment le parc voisin de la Vanoise. Rien de tel dans les Pyrénées : quand le parc a été créé, il y avait encore des bouquetins dans ce massif de montagnes ; aujourd'hui, si mes renseignements sont exacts, l'espèce a disparu aussi bien côté espagnol que côté français.

J'en viens maintenant à mon troisième point sur la gestion des parcs. La Cour avait déjà fait part au ministère, en 2005, des nombreuses critiques qu'appelait la gestion des différents parcs nationaux. Les critiques persistent sur de nombreux aspects de la gestion administrative et comptable : connaissance, comptabilisation et amortissement des actifs ; gestion budgétaire ; passation et exécution des marchés publics, et, plus généralement, règles de l'achat public, avec des reports de délais entraînant des avenants de régularisation ; rémunération et conditions de logement du personnel par exemple.

Sans détailler les critiques, je fournirai quelques données tirées du jugement des comptes des différents parcs, comptes confiés progressivement au même agent comptable, celui de « Parcs nationaux de France ». Des débets - c'est-à-dire les sommes irrégulièrement payées par le comptable public et mises à sa charge par la Cour après une procédure contentieuse - ont été prononcés à l'encontre de ce comptable en ce qui concerne PNF, le parc du Mercantour, celui de Port-Cros, celui de Guyane et celui de la Guadeloupe. Le total est à ce jour, pour ce seul comptable, de 1,08 million d'euros, ce qui est inhabituellement élevé et démontre l'existence de nombreuses irrégularités dans la gestion. Si l'on étend la liste aux autres comptables qui ont été concernés par les contrôles, on atteint 1,2 million d'euros.

Une observation de nature différente est enfin à faire sur la gestion des parcs : si l'augmentation de leurs effectifs a un coût direct, elle a aussi un coût indirect qui peut être élevé dans la mesure où elle les conduit à agrandir leur siège ou à déménager. Les projets immobiliers en cours à ce titre s'échelonnent entre 850 000 et 4,8 millions d'euros, ce qui est beaucoup.

Enfin, j'aborderai la question du pilotage insuffisant des parcs par la tutelle. La Cour formule d'abord des critiques sur la gestion budgétaire des parcs. Des dépenses ont fréquemment été mandatées et payées en début d'exercice alors qu'un parc ne disposait pas d'un budget exécutoire, ce qui est une violation des règles élémentaires de gestion, respectivement par l'ordonnateur et par le comptable. La conséquence des lacunes de cette gestion est que des subventions ont souvent été versées trop tôt aux établissements publics, avant qu'ils en aient réellement besoin, comme leur fonds de roulement l'aurait montré.

S'agissant de la gestion des personnels, et pour m'en tenir au cas le plus important, une critique porte sur une catégorie importante du personnel des parcs, les agents techniques et techniciens de l'environnement. Le décret de 1987 qui leur est applicable a été modifié en 2001 dans des termes tels que, fait exprès ou maladresse de plume, l'indemnité de logement devient un droit pour les agents non logés par l'administration. Cette modification, appliquée dans des conditions variables selon les parcs, éloigne cette catégorie d'agents du droit général de la fonction publique. Elle ne concerne d'ailleurs pas que les parcs nationaux, mais aussi d'autres établissements publics sous la tutelle du même ministère.

De façon plus générale, la Cour avait invité dès 2005 le ministère à mutualiser les moyens de fonctionnement des parcs nationaux. Cette recommandation se justifiait par le surcoût que représente la multiplication des structures de gestion. L'orientation retenue n'a pas été une fusion, bien au contraire : sur initiative parlementaire, un établissement public nouveau dénommé « Parcs nationaux de France » a été créé par la loi du 14 avril 2006. A cet organisme supplémentaire, qui ne saurait exercer à la place du ministère la tutelle des parcs, il a été demandé d'assurer la mutualisation toujours invoquée et souhaitée, mais pas toujours facile à définir.

Le contrôle de la Cour sur PNF a été mené en 2010. Il dresse un bilan mitigé de ses premières années de fonctionnement : un peu de mutualisation, très peu d'économies d'échelle. PNF remplit certes plusieurs tâches supplémentaires mais le compte n'y est pas : le nouvel établissement public emploie une trentaine de personnes à Montpellier et l'on débat actuellement pour savoir à quelle échéance, au début 2011 ou à la mi-2011, PNF aura permis d'économiser trois agents équivalent-temps plein dans le réseau des parcs nationaux.

Lorsque la Cour a transmis ses observations en janvier 2010, elle a affirmé que PNF n'avait pas administré la preuve de sa pertinence en tant que structure de mutualisation et de coordination. C'était dit clairement. En sachant qu'il existe un projet de création d'un autre établissement public qui s'inspirerait des mêmes principes que PNF, la Cour recommande de simplifier l'organisation existante, avec un souci à la fois d'efficacité et d'économie, soit en développant des synergies entre les établissements, soit en réduisant le nombre de structures de gestion, à l'image par exemple de l'Agence des aires marines protégées conçue pour gérer des zones éloignées les unes des autres.

M. Jean Arthuis, président. - Je constate que les référés montrent de grandes marges de progression dans la gestion ! Parcs nationaux de France peut-il apporter des réponses ?

M. Jean-Pierre Giran, député du Var, président de « Parcs nationaux de France » (PNF). - Les critiques qui nous sont portées sont sévères et parfois, à mon sens, injustifiées. PNF s'exprime pour une grande famille mais cet établissement public n'a que trois ans et la loi de 2006 qui l'a créé a constitué une véritable révolution culturelle. La première année, il a fallu choisir un siège, recruter du personnel (30 personnes au total), changer la culture des établissements existants et trouver nos marques avec la tutelle. Au bout de trois ans, notre bilan n'est pas négligeable. Il comprend la mutualisation de la paie, de la comptabilité et de l'informatique, l'organisation de six colloques internationaux, une large action de communication vers la presse, une exposition qui a notamment été présentée en Slovénie, l'établissement d'un partenariat avec la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) pour un montant d'un million d'euros afin de faciliter l'accès des parcs aux handicapés, le soutien aux parcs actuels pour l'élaboration de leur charte, et l'accompagnement de la création de parcs nouveaux. PNF est également chargé d'une fonction de représentation, en particulier dans le cadre d'Europarc.

En ce qui concerne les questions budgétaires et comptables, il est exact que nous avons connu une augmentation très sensible de nos moyens, mais elle était liée à l'accroissement du périmètre des parcs, du fait des territoires intégrés dans les nouvelles aires d'adhésion. Je suis par ailleurs conscient que des erreurs ont été commises, par distraction ou incompétence, comme l'anticipation d'embauches ou l'attribution de subventions trop tôt par rapport aux besoins réels. Il est vrai aussi que le comptable de PNF ne répond plus aux questions mais il s'efforce d'appliquer les recommandations de la Cour des comptes.

Quant à moi, je pensais profiter de la reconnaissance liée à l'adoption de la loi de 2006 mais j'en ai plutôt subi les désagréments, et je suis devenu le « mouton noir » des élus locaux qui accusent PNF de tous les maux.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - La loi de 2006 a pourtant été adoptée à l'unanimité !

M. Jean Arthuis, président. - Il faut toujours se méfier de l'unanimité.

M. Jean-Paul Emorine. - Pour ma part, je relativiserais les difficultés budgétaires et comptables des parcs. Il ne s'agit pas de montants importants ! Pourriez-vous nous exposer le bilan de l'activité créée par les parcs depuis 2006 ? En outre, pourriez-vous présenter les enjeux spécifiques recouverts par la gestion des parcs ultra-marins, notamment du parc amazonien de Guyane et de celui de La Réunion ?

M. Jean-Pierre Giran. - Les parcs ont développé de nouvelles activités et il faut souligner à cet égard que notre mission de protection n'est pas contradictoire avec l'activité économique. Nous sommes au centre de la mise en application des principes du développement durable et il ne faut pas omettre que le label « parc national » est mondial. S'agissant de l'île de la Réunion, elle n'aurait jamais obtenu le label « Patrimoine mondial de l'humanité » si, au préalable, un parc national n'avait pas été créé au niveau français. Quant à la Guyane, j'observe que la moitié de l'activité du directeur du parc est liée aux problèmes de sécurité, du fait de l'orpaillage clandestin.

M. Denis Girou, directeur du parc national de la Guadeloupe, directeur du « collège des directeurs » des parcs nationaux. - Pour la Guadeloupe, l'augmentation du coeur du parc est plus proche de 20% ...

M. Jean Arthuis, président. - .... Pouvez-vous plutôt répondre à nos interrogations sur les irrégularités constatées ? En particulier sur le régime indemnitaire.

M. Denis Girou. - Le statut des fonctionnaires des parcs relève du ministère. Il est national et le régime indemnitaire est commun avec d'autres organismes comme l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Chaque parc national tient désormais un tableau de suivi des recommandations de la Cour des comptes. La création d'une agence comptable commune grâce à PNF a permis la standardisation des documents et procédures comptables. Les améliorations sont donc à venir. De même, pour les règles d'achat public et de suivi des marchés, nous aurons prochainement un logiciel de gestion unique.

M. Jean Arthuis, président. - Le processus est donc enclenché ?

M. Denis Girou. - Oui, mais il s'agit d'une vraie révolution par rapport au statut d'autonomie antérieur.

M. Jean Arthuis, président. - L'idée ne vous est-elle jamais venue de prendre de l'argent à chaque parc au titre d'une contribution pour des services communs ? C'est comme pour l'intercommunalité, on mutualise des moyens supplémentaires !

M. Denis Girou. - Il y a eu cependant quelques personnels en moins dans les fonctions comptables. Mais on ne peut pas transférer des fonctionnaires, les établissements publics sont autonomes.

M. Jean Arthuis, président. - Avez-vous une réflexion commune sur les indicateurs, qui doivent être des indicateurs de résultats et non de moyens ?

M. Denis Girou. - Nous disposons de quelques indicateurs généraux communs et aussi d'indicateurs propres à chaque parc. La réflexion se poursuit dans le cadre des contrats d'objectifs dont la troisième génération est en cours de finalisation.

M. Jean-Marie Petit, directeur de « Parcs nationaux de France » (PNF). - Les trois axes d'amélioration depuis les observations de la Cour des comptes sont la gestion de la paie, le système comptable et le système informatique. Il demeure difficile de mesurer exactement les économies réalisées mais on peut donner quelques indications. L'agence comptable centralisée a été créée le 1er janvier 2011, le personnel affecté à ces fonctions a de ce fait été divisé par deux, passant de douze à six. C'est un progrès, même si cela reste peu au regard d'un effectif total de 800 emplois. Sur la partie paie et ressources humaines, il n'y a pas eu de baisse d'ETP, mais le service rendu a été renforcé.

En outre, un schéma directeur est en cours de réalisation pour les réseaux informatiques. Les résultats de ce travail, entrepris il y a cinq ans, sont attendus en fin d'année afin de prendre les décisions nécessaires.

Le prochain contrat d'objectifs des PNF doit prévoir l'examen des différentes formes de mutualisation possibles, non seulement avec les parcs nationaux, mais aussi avec d'autres structures comme l'Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ou encore le Conservatoire du littoral.

L'effort de mutualisation va se porter aussi au niveau européen, ambition partagée avec les parcs régionaux, sur des domaines comme l'agriculture. Sur ce dernier point, les parcs nationaux ont démontré un réel dynamisme pour la mise en oeuvre des mesures agro-environnementales (MAE), comme en matière de gestion forestière et de tourisme, tout en se montrant attentifs à la protection de la nature.

A ce titre, il faut noter les conséquences favorables à l'emploi de l'élargissement du périmètre des parcs nationaux, à la suite de la loi de 2006 - celui-ci passant de 370 000 à 2,1 millions d'hectares, en intégrant les aires d'adhésion mais sans prendre en compte les nouveaux parcs nationaux. En effet, à un emploi créé et préservé dans un parc sont liés dix autres emplois pour la protection de la nature.

Enfin, pour améliorer la connaissance du patrimoine naturel, paysager et culturel des parcs nationaux, un observatoire a été mis en place. Dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs, PNF va s'attacher à développer des indicateurs sur l'évolution de ce patrimoine. A cet égard, en tant que réservoirs de la biodiversité, les parcs nationaux assurent la conservation des espèces, le cas litigieux des bouquetins des Pyrénées mis à part ; pour autant, il s'agit d'un travail de long terme qui implique, par exemple, d'affiner la connaissance des habitats naturels.

Une amélioration des procédures comptables et financières a été engagée. Ainsi, en 2011, ont été mis en oeuvre une harmonisation des comptabilités des parcs nationaux grâce à un progiciel commun, un contrôle des régies de recettes et d'avances pour l'ensemble des parcs nationaux, une comptabilité de droits constatés, et un contrôle interne pour chaque établissement. Un contrôle hiérarchisé de la dépense a été institué dans huit établissements sur dix. Un plan d'action a été élaboré à la suite des recommandations formulées par la Cour des comptes et des audits réalisés par la direction générale des finances publiques (DGFiP), tandis que la présentation des comptes financiers a été révisée. Un tableau de bord trimestriel de la situation financière et des effectifs a été établi. Les efforts réalisés par l'agent comptable de « Parcs nationaux de France » pour la réalisation de ces évolutions sont à souligner.

M. Philippe Dallier. - Je souhaiterais que soit à nouveau posée la question du bien-fondé du choix fait il y a quelques années de créer « Parcs nationaux de France », en lieu et place de la fusion des parcs nationaux, alors que la mutualisation des moyens paraît aujourd'hui insuffisante comme l'a mis en évidence la Cour des comptes. Cette dernière a relevé que les économies réalisées ne s'élèveraient qu'à trois équivalents temps-plein (ETP), mais PNF avance des chiffres supérieurs. Comme pour l'intercommunalité, la volonté de rationaliser et de simplifier s'efface souvent derrière l'ajout de nouvelles strates. C'est pourquoi il est aujourd'hui légitime de se demander si la fusion ne serait pas préférable.

M. Jean Arthuis, président. - Il serait maintenant intéressant d'entendre le représentant de la ministre car, en effet, comme l'a relevé la Cour, la tutelle est, elle aussi, susceptible de présenter des insuffisances.

M. Pascal Berteaud, directeur-adjoint de cabinet de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. - La tutelle s'inscrit dans une relation triangulaire intégrant aussi « Parcs nationaux de France » et les parcs nationaux.

L'audition organisée par la commission des Finances est opportune puisqu'elle intervient à un moment crucial pour les parcs qui élaborent actuellement leurs chartes.

La tutelle est rendue difficile du fait du nombre important de sujets qui remontent à la ministre. Néanmoins, cela révèle la grande implication des élus locaux sur ces thèmes.

La loi de 2006 a constitué une réelle révolution pour les parcs, en faisant passer ces derniers d'une logique de sanctuarisation d'une partie du territoire à une logique de préservation de la biodiversité, mais aussi d'aménagement du territoire. A ce titre, les parcs constituent désormais tout à la fois les outils d'une politique nationale et d'une politique locale. Il faut ici faire remarquer que les parcs nationaux accueillent près de 8 millions de visiteurs par an.

M. Jean Arthuis, président. - Les règles prévues par « Natura 2000 » sont-elles très différentes de celles qui prévalent dans les extensions des parcs nationaux ?

M. Pascal Berteaud. - Il semble que non ; le grand apport des parcs nationaux ne réside pas seulement dans l'instauration d'une règle de préservation de la diversité naturelle, mais dans la valorisation qu'il est possible d'en faire. Ainsi, les agents des parcs jouent un rôle à la fois sur la nature et la diversité, mais aussi auprès du public, des habitants, tels que les agriculteurs, et participent au développement économique. Les parcs sont devenus un outil de développement autour de la nature. Cette évolution, qui confirme la logique de la loi de 2006, s'inscrit parfaitement dans un contexte international marqué par des engagements forts concernant la biodiversité, de même que dans le cadre de l'application du « Grenelle de l'environnement ».

Je souhaiterais aussi intervenir sur les questions de l'efficience, du pilotage et de « Parcs nationaux de France », déjà largement évoqués...

M. Jean Arthuis, président. - ... Peut-on revenir sur les observations de la Cour ?

M. Pascal Berteaud. - Pour ce qui est de l'efficience, il y a certes eu une augmentation des moyens de 53%, mais celle-ci doit être mise en perspective avec l'évolution du périmètre des parcs nationaux. En effet, le travail des parcs porte désormais en grande partie sur les zones d'adhésion, et de nouveaux parcs ont été créés alors que trois projets de création sont actuellement traités, dont celui des Calanques.

La hausse des moyens ne doit pas seulement être rapportée à l'augmentation de la superficie du coeur des parcs. Si la protection des espèces reste constante, il faut cependant considérer les efforts faits en direction du développement économique. De plus, la protection de la biodiversité ne saurait être mesurée à l'aide d'un indicateur annuel. Il est nécessaire de travailler sur des indicateurs de résultat plus larges que ceux existants aujourd'hui.

Le ministère adopte progressivement une culture du pilotage. Au niveau national, notre directeur général a mis en place l'ensemble des instruments préconisés par la circulaire du Premier ministre de 2010, soit la conclusion de contrats d'objectifs entre les établissements et le Ministre, la remise de lettres d'objectifs pluriannuelles aux directeurs lors de leur nomination, de lettres d'objectifs annuelles accompagnées d'une évaluation, et l'organisation de rendez-vous budgétaires annuels avec les directions. Les lettres d'objectifs adressées aux directeurs des parcs intègrent les recommandations formulées par la Cour des comptes.

Au quotidien, la tutelle est assurée par un commissaire du gouvernement issu de l'administration déconcentrée. Mais, avant chaque conseil d'administration, un échange est prévu avec la direction générale et les services du préfet afin de préciser ce qui peut être demandé aux établissements. Enfin, deux fois par an se tient une réunion plénière des directeurs, et des lettres de cadrage sont transmises à chaque parc.

Les évolutions comptables, et notamment la mise en place d'un tableau de trésorerie depuis cette année, permettent d'ajuster les dotations en subventions aux parcs aux besoins de trésorerie, et d'identifier les dysfonctionnements comptables, puis de les corriger. Ainsi, il sera procédé à une correction des erreurs qui ont pu être commises par le passé en ce qui concerne les indemnités de logement et les logements de fonction.

M. Jean Arthuis, président. - Cette correction est-elle prochaine ?

M. Pascal Berteaud. - Des arbitrages interministériels portant sur ce sujet sont en cours. Lorsque ceux-ci seront arrêtés, ils seront immédiatement déclinés, soit dans les semaines ou les mois à venir.

Le système ne peut fonctionner que si la tutelle est forte.

M. Jean Arthuis, président. - Il faudra préciser la coordination entre le pilotage du ministère et la mission de l'établissement national. N'y aurait-il pas une forme de duplication ?

M. Pascal Berteaud. - « Parcs nationaux de France » a trois fonctions : la mutualisation de prestataires de services, actuellement mise en oeuvre, la représentation des parcs nationaux à l'international et leur coordination, PNF devant être un instrument de la tutelle pour harmoniser et piloter l'ensemble des parcs. Pour ce faire, PNF doit assurer la tenue d'indicateurs et la mise en place d'éléments méthodologiques de nature à éclairer la tutelle.

Il n'y a donc pas de redondance : PNF assure un travail technique et l'administration assume les questions d'ordre administratif et politique.

M. Jean Arthuis, président. - Quant aux projets immobiliers, est-il raisonnable de multiplier les sièges à 800 000 euros, voire 4 millions d'euros ? N'est-ce pas un mauvais usage de l'argent public ?

M. Pascal Berteaud. - Une augmentation du nombre de personnels entraîne nécessairement des besoins en nouveaux locaux. Pour autant, un suivi national est assuré afin que ces besoins soient traités au plus juste.

M. Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature. - Les effectifs ont connu un accroissement notable depuis 2005 pour arriver aux 800 personnels actuels. En effet, le nombre d'agents en fonction dans les seuls anciens parcs nationaux est passé de 500 en 2005 à 600 en 2010. Pourtant, le coefficient de progression des effectifs entre 2005 et 2010 est sans commune mesure avec le coefficient d'évolution de la superficie des parcs. La création des parcs nationaux de Guyane, de La Réunion et de « Parcs nationaux de France », de même que les missions d'étude qui leur sont liées, ont nécessité 220 emplois supplémentaires. Ces augmentations d'effectifs sont justifiées par le rôle majeur joué par les parcs nationaux de Guyane et de La Réunion. A cet égard, le parc de La Réunion occupe près de 40 % du territoire départemental, ce qui a justifié l'obtention du label « Patrimoine mondial de l'humanité » ; il en va de même du parc de Guyane.

La progression de la masse salariale a quant à elle été justifiée par une évolution du taux de la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ».

Afin de garantir l'efficacité du pilotage, une lettre d'objectifs annuelle, différente de celle envoyée par PNF, est remise à chaque établissement et chaque directeur, et vise notamment à identifier les efforts de mutualisation à conduire, de même que les fermetures d'activités-support au sein des parcs nationaux pour les rétablir au sein de PNF.

M. Jean Arthuis, président. - A titre d'exemple, que sont devenus les personnels administratifs qui étaient dans les parcs dès lors que les tâches administratives sont assumées par « Parcs nationaux de France » ?

M. Jean-Marc Michel. - Certains agents ont été maintenus dans des fonctions administratives du fait des nécessités relevant du fonctionnement institutionnel des établissements.

M. Jean Arthuis, président. - Cela révèle bien la difficulté de faire évoluer les institutions et les structures. Il va être nécessaire de faire bouger les choses.

M. Jean-Marc Michel. - Le volume des activités administratives demeure faible en comparaison avec les activités de terrain, puisqu'elles n'en représentent que 10 %.

M. Jean Arthuis, président. - Qu'en pense le représentant de la direction du Budget ?

M. Laurent Machureau, sous-directeur de la 4e sous-direction du Budget. - La direction du Budget souscrit à l'intégralité des observations et des recommandations de la Cour des comptes. Ce type de rapports présente un double intérêt pour nous. Tout d'abord, il existe une réelle difficulté à concilier la montée en charge des opérateurs en phase de développement, nombreux au sein du ministère de l'Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL), parcs nationaux inclus, et les règles transversales fixées sur la maîtrise des effectifs et des dépenses de ces derniers. L'expertise d'acteurs extérieurs qui s'intéressent à la réalité concrète du fonctionnement des différents établissements permet de compléter notre information et de mettre en évidence les marges de productivité et d'efficience. Il faut articuler les ambitions du « Grenelle » et l'impératif de maîtrise des déficits publics. D'autre part, la direction du Budget ne siège pas au sein du conseil d'administration des parcs, rendant l'exercice de la tutelle difficile.

Les marges mises en évidence par la Cour permettront d'éclairer les arbitrages budgétaires. Ainsi, les conclusions formulées auront une utilité particulière lors des conférences de répartition du projet de loi de finances pour 2012.

Enfin, la direction du Budget s'exprime en faveur du renforcement du pilotage afin de garantir une bonne utilisation des fonds publics. Face aux limites constatées et soulignées par la Cour, dans le cadre de l'exercice de la tutelle financière lors de l'approbation des délibérations financières, nous avons suggéré au MEDDTL de soumettre les parcs nationaux au droit commun posé par le décret de 1999, relatif à l'approbation des décisions financières, qui prévoit la transmission de celles-ci à la tutelle et au ministère en charge du Budget. Ces derniers peuvent s'y opposer dans le délai d'un mois. Cela nous aidera à avoir une vision plus claire du fonds de roulement des parcs et à optimiser le calendrier de versement des subventions.

M. Jean Arthuis, président. - A-t-on une image globale du fonds de roulement des parcs ? Sait-on à combien il s'élève ?

M. Jean-Marc Michel. - Nous en avons une image et nous savons décrire le contenu du fonds de roulement.

M. Jean Arthuis, président. - Cette façon d'accumuler de la trésorerie dans des établissements publics va à l'encontre des principes de bonne gestion. Avant d'accorder les subventions, il faut regarder à quel niveau se situe le fonds de roulement. Il y a là des marges de progression.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Votre présentation m'interpelle sur plusieurs points. Pourriez-vous préciser l'articulation des différents acteurs que sont les structures du ministère, les représentants des préfectures dans les conseils d'administration et PNF en matière de pilotage et de tutelle des parcs ? Je souhaiterais également connaître quelle est la stratégie nationale en matière de biodiversité au regard des différents parcs naturels, nationaux, régionaux et de Natura 2000. Des indicateurs de biodiversité et de développement économique ont-ils été élaborés, s'agissant plus particulièrement des nouveaux parcs, c'est-à-dire celui des calanques ainsi que celui situé entre la Champagne et la Bourgogne ? Ces indicateurs sont, en effet, essentiels à la mesure des objectifs fixés à ces parcs.

Où en sont les réflexions sur la création éventuelle de l'Agence de la nature ? Quel serait son rôle ? Quelle est la participation, que je pense significative, des parcs ultramarins à la biodiversité mondiale ? Je rappelle qu'elle est de l'ordre de 80 % au plan national. Enfin, quand pensez-vous pouvoir mettre en oeuvre les modifications nécessaires à une organisation comptable plus satisfaisante des parcs naturels ?

Mme Évelyne Didier. - À titre liminaire, je vous propose de prendre acte de la volonté des différents acteurs aujourd'hui présents d'améliorer la gestion des parcs naturels, puisque le rapport de la Cour des comptes a été accepté par eux. De surcroît, je tiens à souligner qu'on ne peut traiter l'ensemble des sujets de la même manière. On ne saurait assimiler la valeur d'un indicateur économique à celui d'un indicateur écologique, tant la notion d'écosystème est complexe à évaluer. On ne peut comparer un « paquebot » à un « hors-bord », un kilomètre carré de plaine en France à un kilomètre carré de plaine en Guyane.

Dans le même esprit, la gestion du personnel des parcs dont la diversité est extrême en termes de statut ne saurait s'assimiler à celle pratiquée dans une entreprise implantée dans un lieu unique.

La préservation du patrimoine des parcs naturels doit constituer une priorité pour un « gestionnaire sérieux ». Aussi, ne cédons pas aux propos excessifs qui remettraient en cause le bien fondé de la réforme qui a conduit à la mise en oeuvre du dispositif actuel. C'est pourquoi je vous demanderai, compte tenu de l'ensemble des remarques, combien de temps il vous faudra pour répondre à l'ensemble des observations de la Cour, de manière satisfaisante pour tous.

M. Paul Raoult. - La gestion des parcs nationaux est un sujet d'autant plus passionnant à mes yeux que je suis particulièrement investi en ce domaine en tant que vice-président des parcs régionaux. Je conviens qu'il existe de nombreuses difficultés obérant la gestion des parcs. Un fossé sépare l'analyse comptable et rigoureuse, certes nécessaire, de la réalité du terrain. En réponse à la disparition des bouquetins évoquée précédemment, je souhaite insister sur l'introduction de la loutre et du castor dans le parc naturel régional de l'Avesnois. Ces décisions, ainsi que l'ensemble des actions menées au sein des parcs, ne s'imposent pas immédiatement. Elles nécessitent un long travail de conviction et de concertation avec l'ensemble des forces vives du territoire (chasseurs, pêcheurs...), afin de surmonter les réticences face aux nombreux problèmes qu'elles soulèvent (risque de dégâts ...). Ainsi trois années ont été nécessaires afin de renouveler la charte du Parc de l'Avesnois impliquant 141 communes.

Je conviens que l'application de procédures financières comptables rigoureuses est nécessaire. Cependant, il faut également reconnaître que la mutualisation des moyens requiert persévérance et patience, afin de résoudre les contraintes créées par un tel regroupement de structures, notamment en raison de l'histoire et de la culture propres à chaque parc. Je peux en témoigner, après la récente et longue réunion tenue en région Nord-Pas-de-Calais sur la mutualisation des moyens des trois parcs régionaux, celui de l'Avesnois, de Scarpe-Escaut et des Caps et Marais d'Opale.

De surcroît, s'agissant de la gestion des personnels, on ne saurait considérer les agents des parcs comme des personnes aux fonctions répétitives, mécaniques et strictement encadrées. Ce sont de véritables militants de la nature lui dédiant sans compter leur temps. Je concède volontiers que des marges de manoeuvre existent afin d'améliorer l'efficience de la gestion. Cependant, celle-ci exige avant tout la création d'une dynamique d'équipe. Toute mutualisation ne peut donc être réalisée sans prise en compte des personnels. Elle ne doit pas conduire à briser l'instrument au nom de la rentabilité, dans un domaine qui n'obéit pas à des règles économiques traditionnelles. La concentration des syndicats intercommunaux d'eau et d'assainissement illustre mon propos. Que faire des personnels titulaires issus de cette fusion ?

La rigueur financière mise en avant dans le cadre des observations de la Cour doit donc être appréciée à l'aune du temps et du travail de conviction imposés par la gestion d'un parc naturel. Ainsi, force est de constater que la nature n'évolue pas aussi vite que la définition des objectifs et leur mesure par les indicateurs de performances.

Je suppose que vous recherchez des subventions européennes. Or, le délai d'obtention peut être de l'ordre de trois ans. Autrement dit, vous réalisez la dépense alors que vous ne recevrez le montant de la subvention que bien plus tard.

M. Jean Arthuis, président. - Cette chasse aux subventions est formidable mais l'Europe ne tire ses ressources que de la contribution de chacun des Etats membres. La répartition se fait donc sur un échelon plus européen, mais, sur le fond, cela ne change rien, car il s'agit à chaque fois de capter des subventions.

Merci, Monsieur Raoult, de ce témoignage inspiré du vécu et prononcé avec beaucoup de conviction et de passion.

M. François Trucy. - En écho au témoignage de notre collègue député Jean-Pierre Giran, j'ai assisté, en début d'année, à la séance de voeux d'un maire tentant d'alerter la population sur la menace pesant sur la commune en raison du projet d'extension du parc de Port-Cros.

En ce qui concerne la question de la trésorerie, il me paraît légitime qu'une collectivité ou un établissement public en disposant effectue des placements, car la tutelle, qui attribue la subvention, tient généralement compte de tels produits pour le calcul de la dotation qu'elle attribuera à l'organisme concerné. J'espère ne pas choquer Monsieur le Président avec mes propos !

M. Jean Arthuis, président. - En aucun cas ! Avec un peu de chance le trésorier aura souscrit des bons du Trésor pour financer le déficit de l'Etat ! En tant que dernier intervenant, je voudrais vous dire que j'ai trouvé cette audition très intéressante, car elle met en lumière des problématiques que nous vivons sur le terrain en tant qu'élus locaux.

La logique de la Lolf n'est-elle pas de dire que les parcs nationaux sont responsables, à charge pour eux de tenir des comptes très précis et d'avoir une certification annuelle de leur sincérité ? Ne semblerait-il pas normal que chaque parc ait sa feuille de route, en fonction de laquelle on le doterait de moyens ? A partir de là, il devrait rendre des comptes de son action, qui serait plus facile à évaluer.

Je n'ai pas encore bien saisi l'articulation entre la tutelle, PNF et les parcs nationaux.

Enfin, j'ajouterais que ce qui est en cause ici est la biodiversité, sujet qui nous concerne tous. La tentation peut donc être forte pour chaque parc de s'étendre. Cela dit, quand on regarde l'exemple du parc national de la Réunion, qui couvre 40 % du territoire, ne pourrait-on pas confier la gestion de cet espace au conseil régional ou au conseil général, plutôt que de créer une structure supplémentaire ? Peut-on administrer la Guyane autrement que dans une logique de parc national ? Donc, pourquoi faut-il créer un nouvel établissement ? Si les parcs s'étendent, ils devront s'étendre à la France entière. Nous avons aussi les parcs régionaux et Natura 2000.

Il me semble, mes chers collègues, que le développement durable, et notamment la préservation de la biodiversité, prendront de plus en plus d'importance dans les politiques publiques. Nous devons donc réfléchir dès maintenant à d'autres modes d'administration. De ce point de vue, il faut être conscient qu'il est contraire au développement durable de générer du déficit public, car c'est privilégier le présent et hypothéquer l'avenir.

M. Jean-Pierre Giran. - Il est certain que l'on ne peut pas multiplier indéfiniment le nombre de parcs nationaux. Ils sont et doivent rester des territoires exceptionnels et originaux. Leur spécificité doit être préservée. En revanche, ils ne sont pas des sanctuaires, car ils constituent des lieux de vie, non figés, qui accueillent de nombreux visiteurs.

Sur la question du financement, j'estime qu'il est anormal que les régions et les départements ne contribuent pas à alimenter les ressources des parcs nationaux, car ces territoires représentent pour eux un intérêt général et financier évident. Bien sûr, les parcs doivent conserver leur statut d'établissement public d'Etat, au risque de saper l'autorité sur leur périmètre, dans la mesure où leur création résulte parfois d'une véritable conquête sur des fiefs locaux. C'est d'autant plus important que la loi de 2006 fait une place plus importante aux acteurs locaux. Pour prendre l'exemple du parc de Port-Cros, c'est le parc des Varois et pas seulement un parc national. On a parfois l'impression d'être dans une logique de confrontation, alors que tel n'est pas l'esprit de la loi de 2006.

Enfin, je dirai que le temps de l'écologie n'est pas le temps de l'économie ou du politique. Il est plus long et il faut s'adapter à cette réalité.

Il est vrai qu'il est complexe de se situer entre la tutelle, PNF et les parcs.

Peut-être PNF manque-t-il d'autorité sinon de conviction pour mettre en oeuvre les orientations de la tutelle ? Mais c'est parce que nous n'avons pas de pouvoir d'injonction sur les parcs, et nous n'avons pas à en avoir. Je pense, cependant, qu'il serait utile de préciser, dans un texte législatif ou réglementaire, la responsabilité de PNF vis-à-vis des parcs sur la paye, la comptabilité, l'informatique. Cela nous permettrait d'être plus directifs. Si les statuts prévoyaient que PNF a autorité pour donner des orientations budgétaires aux parcs, nous nous acquitterions de cette mission. Je rappelle que nous avons un rôle de service, mais aussi et surtout de soutien et d'animation. Enfin, il ne faut pas oublier que l'on ne parlerait peut-être plus des parcs nationaux s'il n'y avait pas eu cette ambition collective de PNF.

M. Pascal Berteaud. - Sur ce dernier point, je crois que nous voyons bien l'articulation existante entre les parcs, PNF et la tutelle. La responsabilité de chaque parc doit être pleine et entière, ce qui ne signifie pas forcément l'indépendance.

La tutelle doit donner des orientations et assurer son rôle de coordination dans le respect des rôles de chacun au quotidien, c'est-à-dire, en pratique, tous les deux ou trois mois, à l'occasion du conseil d'administration. Il est vrai que, du point de vue de la mutualisation, les choses pourraient être précisées. Parallèlement, j'estime que nous avons déjà beaucoup progressé sur cet aspect.

M. Jean Arthuis, président. - Pourquoi ne pas aller au bout de la logique en demandant aux parcs de rendre des comptes, à travers une certification des comptes des parcs nationaux par la Cour des comptes par exemple ?

M. Pascal Berteaud. - Je tiens à dire que nous ne contestons nullement le diagnostic de la Cour et que, sur une quarantaine d'observations émises par l'institution, une vingtaine a d'ores et déjà donné lieu à des mesures correctrices. D'autres difficultés prennent en revanche plus de temps à résoudre, car elles sont plus complexes (définition des indicateurs par exemple). Les objectifs de mutualisation demandent encore davantage de réflexion. Tout cela dépend des sujets. Nous sommes conscients des défaillances pointées par la Cour, que avons toutes prises en compte, et nous nous efforçons réellement de les corriger le plus rapidement possible.

M. Jean Arthuis, président. - Vous aurez compris que cette audition ne constitue pas un lieu de jugement, mais que nous nous inscrivons dans une démarche positive et constructive, qui vise à mieux assurer les missions d'intérêt général dont nous avons la charge. Nous pensons que les travaux de contrôle et d'évaluation sont au moins aussi importants que nos travaux législatifs. Je souligne à cet égard l'importance de nos échanges pour rechercher ensemble des solutions, afin de mettre un terme aux dysfonctionnements. Je remercie donc la Cour et tous nos intervenants d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. L'enseignement que l'on peut en tirer est que les parcs nationaux vont devoir se préparer à fonctionner avec des moyens constants...

Je demande à nos collègues de la commission s'ils sont d'accord pour publier cet important travail de contrôle et le débat.

La commission autorise, à l'unanimité, la publication du compte-rendu de la présente audition et des travaux de la Cour des comptes sous la forme d'un rapport d'information.

Equilibre des finances publiques - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

Puis la commission demande à se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle n° 499 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'équilibre des finances publiques, et nomme MM. Jean Arthuis et Philippe Marini, rapporteurs pour avis de ce texte.

Nomination d'un rapporteur

M. Adrien Gouteyron est ensuite nommé rapporteur du projet de loi n° 450 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales.

Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un candidat

Enfin, la commission désigne M. Philippe Dominati comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger au sein du Comité de suivi du niveau et de l'évolution des taux d'intérêts des prêts aux particuliers.

Prélèvements obligatoires reposant sur les ménages - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation de l'étude réalisée par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur les « prélèvements obligatoires reposant sur les ménages ».

M. Jean Arthuis, président. - Nous avons l'honneur d'accueillir M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), pour la présentation d'un rapport répondant à une demande de notre commission. Je vous rappelle les termes de la saisine du CPO : « La commission des finances du Sénat souhaite que cet organisme réalise une étude consacrée aux prélèvements obligatoires reposant sur les ménages, en comparant la situation de la France à celle de ses principaux partenaires et en insistant en particulier sur le caractère progressif et sur les effets redistributifs de ces prélèvements ». Cette saisine permet de traiter des problèmes que Mme Bricq souhaitait vivement voir abordés.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du CPO. - Je me présente devant vous, à votre invitation, en qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires. Je suis accompagné de Mme Catherine Démier, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire générale du CPO, et de M. Antoine Guéroult, conseiller maître, rapporteur général de cette étude. Ils m'assisteront pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser. Je suis également assisté de M. Alexis Eidelman, administrateur à l'INSEE.

Il s'agit d'une première puisque le Conseil a travaillé sur une étude conjointement demandée par les commissions des finances des deux Assemblées. Lorsque votre commission s'est adressée au CPO pour étudier la question de la progressivité et des effets redistributifs des prélèvements obligatoires pesant sur les ménages, nous ne pensions pas qu'un tel sujet entraînerait autant de questions méthodologiques. Aussi vais-je préciser quelques points de méthode.

En premier lieu, les notions de progressivité et de redistribution sont des notions voisines, intimement liées mais, malgré tout, distinctes. La progressivité n'est pas une condition nécessaire à la redistribution. En effet, même un impôt proportionnel au revenu de chacun - comme la contribution sociale généralisée (CSG) - peut avoir des effets redistributifs verticaux si son produit est majoritairement affecté aux ménages disposant de revenus faibles. A l'inverse, un impôt progressif a des effets redistributifs limités, si son produit est faible. C'est notamment le cas de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Cela dit, la classification des différentes catégories de prélèvements selon leur caractère progressif, proportionnel ou dégressif, conserve tout son intérêt, mais il importe d'en mesurer les limites. L'évolution de la progressivité de l'ensemble des prélèvements dépend à la fois de l'évolution de leur poids par rapport au PIB, mais aussi de l'évolution de la progressivité de chacun d'eux.

La redistributivité d'un système « socio-fiscal » s'apprécie autant par les prestations que par les prélèvements. C'est pourquoi le CPO a estimé devoir réfléchir sur les dépenses. Pas sur toutes les dépenses - notamment il n'est pas toujours possible de mesurer le caractère redistributif des dépenses de transfert en nature, comme les dépenses d'éducation nationale ou de santé -, mais l'analyse a porté sur les dépenses de transfert monétaire. Je pense par exemple aux allocations familiales, aux minima sociaux ou encore à la prime pour l'emploi.

Quant aux prélèvements, ils finissent toujours par peser sur les ménages et c'est pourquoi l'étude a pris l'approche la plus large possible. Les prélèvements acquittés par les entreprises sont, de fait, à la charge ultime des ménages, soit en tant que salariés, soit en tant que consommateurs, soit en tant qu'actionnaires.

M. Jean Arthuis, président. - Cela fait plaisir d'entendre cela !

M. Didier Migaud. - La TVA ou les cotisations patronales en sont des exemples éloquents. Par ailleurs, la redistribution emprunte d'autres canaux que ceux des prélèvements. L'existence d'un salaire minimum en France, le SMIC, ou la fixation du prix du gaz et de l'électricité permettent à la puissance publique d'opérer des choix qui, eux aussi - en amont ou en aval de la distribution -, ont des effets redistributifs.

Quand on parle d'effets redistributifs, encore faut-il être en mesure d'en distinguer les formes. Il existe une redistribution spatiale - par exemple la péréquation entre les régions ou l'existence de zones franches -, intertemporelle voire intergénérationnelle - comme l'illustrent les régimes de retraite -, une redistribution verticale qui s'exerce des plus aisés vers les plus modestes ; enfin une redistribution horizontale entre des ménages appartenant à la même catégorie de revenus - des bien portants vers les malades ou des célibataires vers les familles par exemple. Dans le rapport le CPO a privilégié les dimensions verticale et horizontale de la redistribution.

Enfin, nous n'avons pas perdu de vue que d'autres objectifs sont assignés à la politique fiscale, prise dans son sens le plus large : le rendement budgétaire, l'efficacité économique, ou encore la lisibilité et l'acceptabilité pour le citoyen. Le rapport, en s'appuyant sur l'analyse économique, tente de montrer dans quelle mesure il est possible de concilier efficacité économique et redistribution. Dans cette optique, c'est au prisme de la progressivité et de la redistributivité que notre système « socio-fiscal» a été passé en revue, comme votre saisine le demandait.

Notre travail peut se résumer par trois grandes questions. Entre 1990 et 2009, notre « système socio-fiscal » est-il devenu plus progressif ? En 2009, sur la base d'un arrêt sur image, quel diagnostic peut-on porter sur sa redistributivité ? Enfin, si on analyse nos impôts, pris cette fois isolément les uns des autres, quelles en sont les principales caractéristiques au regard de la progressivité et de la redistribution dans l'échelle des revenus ?

Notre système français est plus progressif en 2009 qu'il ne l'était en 1990. En France, les écarts de niveau de vie disponible sont sensiblement inférieurs à ceux de pays comparables. L'INSEE, qui a récemment publié une enquête sur les revenus et le patrimoine des ménages, relève que les inégalités des niveaux de vie ont peu évolué entre 1996 et 2008. Entre 1996 et 2004, cette stabilité reflète un « rattrapage» des classes moyennes par les plus pauvres. Toutefois l'INSEE constate, depuis 2004, que cette réduction se serait interrompue : le revenu des ménages les plus modestes a cessé d'augmenter alors que les revenus des plus aisés continuaient de croître, notamment sous l'effet de l'augmentation rapide des revenus du patrimoine.

Dans ce contexte, le taux d'effort des ménages - c'est-à-dire l'effort contributif demandé par rapport à leur revenu - a augmenté de plus de quatre points en vingt ans. Mais cette augmentation n'a pas été la même selon le périmètre d'analyse retenu ; d'où plusieurs lectures possibles. En retenant le champ le plus large, c'est-à-dire en incluant l'ensemble des prélèvements, y compris les transferts en espèce - et c'est le champ sur lequel le Conseil des prélèvements obligatoires fonde son analyse -, la progressivité du système s'est accrue sur la période. Même si c'est de manière différenciée selon les niveaux de revenus, cette augmentation a touché l'ensemble des déciles de la distribution : le taux d'effort est de 0,8 point pour les ménages du 1er décile, de trois points pour le 3ème décile et va continuellement croissant jusqu'au 9ème décile où il est de sept points. Le taux d'effort du dernier décile, c'est-à-dire la tranche des revenus les plus élevés, est toutefois légèrement inférieur : six points. Ces résultats sont ceux où les exonérations de cotisations sociales patronales sont considérées comme bénéficiant en totalité aux catégories de ménages comprenant des employés dont les salaires sont couverts par ces exonérations. Si cela n'avait pas été totalement le cas, l'augmentation de la progressivité aurait été plus faible et concernerait une fraction plus réduite de la distribution. Toutefois, on peut également considérer un champ plus restreint, sans tenir compte des transferts en espèce, mais seulement des prélèvements obligatoires. Dans ce cas, l'augmentation de la progressivité est plus marquée sur la période. En sens inverse, si on retire du champ de l'analyse les cotisations patronales, pour se rapprocher de la perception que les ménages ont de leur revenu net, le système socio-fiscal apparaît alors avoir perdu en progressivité.

C'est pour l'essentiel entre 1990 et 1998 que la progressivité a augmenté. Cette croissance des années 1990 doit largement à la fiscalisation de la protection sociale. En revanche, les évolutions intervenues ultérieurement, au cours des années 2000, n'ont que peu modifié la progressivité globale du système, même s'il faut tenir compte de la mise en oeuvre de la prime pour l'emploi ou de la réforme de la taxe d'habitation. Le taux d'effort moyen a légèrement diminué et a été globalement réparti de façon homogène sur l'ensemble des ménages.

La CSG a joué un rôle essentiel dans l'augmentation de la progressivité, puisqu'elle contribue pour 30 % aujourd'hui dans le financement de la protection sociale. En dépit de ses taux proportionnels, la CSG contient des éléments de progressivité que ne comportaient pas les cotisations sociales auxquelles elle s'est substituée. En outre, elle a une assiette plus large et s'applique aux revenus du patrimoine à des taux plus élevés. CSG et contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) réunies représentent désormais 4,6 % de la richesse nationale.

A l'inverse, d'autres phénomènes ont eu l'effet opposé de diminuer la progressivité. Les prestations sociales - qu'il s'agisse des minima sociaux, des allocations familiales ou des allocations logement par exemple - ont été revalorisées non pas en fonction de l'évolution du revenu moyen, mais le plus souvent selon l'indice des prix, ce qui les a rendues moins progressives. En outre, l'impôt sur le revenu, impôt progressif par construction, a vu son poids relatif et sa progressivité diminuer dans l'ensemble des prélèvements obligatoires. Il ne représente désormais plus que 2,6 % du PIB.

Le CPO a, dans un deuxième temps, opéré un arrêt sur image pour mesurer la redistributivité de notre système en 2009. Le premier enseignement que l'on en tire est que la redistributivité globale de notre système socio-fiscal repose moins sur les impôts que sur les transferts sociaux. En matière de redistribution verticale, les prestations sociales concourent pour les deux tiers à la réduction des inégalités et les impôts directs pour un tiers. Cela confirme les diagnostics antérieurs.

Le cas particulier de l'assurance maladie illustre bien le caractère redistributif d'une dépense sociale. En elles-mêmes, les dépenses d'assurance maladie ne sont pas supposées avoir d'effet redistributif. Mais, les cotisations sont proportionnelles au revenu, alors que n'importe quel régime d'assurance privée fixerait un tarif qui serait, non pas fonction du revenu de l'assuré, mais rapporté au risque encouru. C'est pourquoi l'assurance maladie opère une redistribution très importante, du fait que tout le monde a l'obligation de cotiser. Cette ampleur est d'autant plus importante que les prestations maladie représentent un enjeu financier de 163 milliards d'euros. En Allemagne, les cotisations ne sont pas obligatoires pour les revenus supérieurs à 4 000 euros : le même système appliqué en France provoquerait un déficit supplémentaire de 20 milliards d'euros.

Mme Nicole Bricq. - Non merci !

M. Didier Migaud. - La redistribution verticale s'effectue au profit des ménages à bas revenus, à partir de cotisations perçues sur les hauts revenus, notamment depuis que ces dernières sont déplafonnées. Mais, l'assurance maladie participe aussi - et fortement - à la redistribution horizontale. La cotisation sociale d'un membre d'un foyer est la même quel que soit le nombre de ses membres. Par les effets de redistribution horizontaux qu'elle organise, l'assurance maladie participe puissamment à la politique familiale.

Plus généralement, c'est aux deux extrémités de l'échelle des revenus que s'effectue la redistribution, c'est-à-dire des ménages aux revenus les plus élevés vers les ménages aux revenus les plus faibles, appartenant essentiellement au 1er décile. Ces derniers, après redistribution, voient leur niveau de vie augmenter de 44 %. En revanche, celui des ménages moyens - situés au milieu de la distribution - ne se modifie guère. Pour le dire autrement, le système socio-fiscal est progressif jusqu'à 20 000 euros de niveau de vie - ces 20 000 euros s'entendent par unité de consommation ou par personne -, puis il est proportionnel jusqu'à 50 000 euros. Au-delà le système est probablement dégressif au sommet de la distribution, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure.

La grande caractéristique du système français est que la redistribution horizontale y est particulièrement développée : celle qui s'opère entre ménages ayant un niveau de vie identique, des bien portants vers les malades, des célibataires vers les couples, des ménages sans enfants vers ceux qui ont des enfants. Les prestations familiales - notamment concentrées sur les familles d'au moins trois enfants - ainsi que le quotient familial et le quotient conjugal ont un rôle important. Mais cette redistribution n'empêche pas que 54 % des familles monoparentales avec trois enfants sont pauvres, en 2008, contre 36 % en 2004.

Parmi les mécanismes de redistribution horizontale, le quotient familial, créé en 1948, vise à moins taxer les ménages qui comptent en leur sein des enfants. Mais, même plafonné, il comporte des effets régressifs dans la mesure où l'économie d'impôt qu'il provoque croît plus que proportionnellement au revenu. Cette question n'est pas nouvelle et a fait l'objet de débats anciens et récurrents. Ce quotient familial constitue une exception, puisque, hors de France, il n'existe qu'au Portugal et au Luxembourg. D'autres dispositifs d'aide aux familles, avec des effets non régressifs, seraient envisageables, comme le crédit d'impôt forfaitaire appliqué aux États-Unis ou la réduction d'impôt comme celle qui existe en Italie et en Autriche.

L'autre illustration de l'imbrication entre redistributions verticale et horizontale est le quotient conjugal. Il est justifié au nom de l'équité horizontale : à revenu égal, les couples dans lesquels un seul conjoint travaille acquittent le même impôt que ceux composés de deux revenus. Pour autant, le rapport explique, aux pages 203 et suivantes, les raisons pour lesquelles l'avantage va croissant avec le revenu, de sorte que la proportion des couples bénéficiant de ce dispositif est de 7,1 % dans le 1er décile regroupant les ménages les plus modestes, alors qu'elle est de 71,5 % dans le décile supérieur de l'échelle des revenus. D'ailleurs, la tendance à l'individualisation de l'impôt sur le revenu est très nette dans les pays de l'OCDE, et, là encore, seuls la France, le Portugal et le Luxembourg font de l'imposition commune une obligation. En Allemagne, en Irlande, au Canada ou en Espagne, elle constitue une option. Sur les 34 pays de l'OCDE, 17 pratiquent la règle de l'imposition séparée. Cela montre que la redistribution verticale et la redistribution horizontale sont non seulement imbriquées, mais peuvent aussi se neutraliser, au point que certains instruments horizontaux - en particulier l'impôt sur le revenu avec le jeu des quotients - contrarient en partie les objectifs de redistribution verticale.

Enfin, à la lumière de ces caractéristiques globales, comment décrire nos principaux impôts en fonction des objectifs de progressivité et de redistributivité ? Premier constat : même si les prestations sociales jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités, elles y contribuent moins aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Pourquoi ? Parce que leur mode de revalorisation, fondé sur l'évolution des prix plutôt que sur celle des revenus moyens, les a fait diminuer, de 20 % à 30 %, selon les cas, par rapport au revenu moyen disponible. Elles ont donc perdu en progressivité. Or cette tendance est significative, dans la mesure où les prestations monétaires assurent près de 60 % du revenu des plus modestes.

La CSG a beaucoup modifié la physionomie de notre système « socio-fiscal ». Créées respectivement en 1991 et en 1996, la CSG et la CRDS s'appliquent désormais à l'ensemble des revenus : revenus du travail, de remplacement, des placements, du patrimoine, mais aussi aux gains de jeux. Du fait de sa proportionnalité, la CSG ne poursuit pas, à première vue, un objectif de redistribution. Elle comporte pourtant des effets redistributifs induits de deux façons. D'abord, contrairement aux cotisations sociales qui ne portaient que sur les revenus d'activité, la CSG, en se substituant à celles-ci, a élargi l'assiette des prélèvements sociaux à d'autres catégories de revenus, qui sont plutôt concentrés dans le haut de l'échelle des revenus. En outre ses taux sur les revenus de remplacement sont inférieurs à ceux qui s'appliquent aux revenus du travail. Ceux des revenus du patrimoine et des placements sont supérieurs à ceux du travail. Enfin, une partie de la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu. Ce sont ces recettes qui permettent de socialiser les risques relevant du champ de la protection sociale, et c'est surtout par ce biais que la CSG comporte des éléments de redistributivité. Avec ses prélèvements annexes, elle représente aujourd'hui un produit de plus de 88 milliards d'euros, soit 4,6 % du PIB.

C'est évidemment sur l'impôt sur le revenu que je souhaite particulièrement insister. Historiquement, c'est l'impôt à qui l'objectif de progressivité et de redistribution a été clairement assigné. Pourtant il peine de plus en plus à remplir cette fonction ; ce constat, le Conseil des impôts l'avait déjà fait dès 1990, puis en 2004. L'IR ne représente plus que 2,6 % de la richesse nationale alors qu'il en représentait 5,2 % en 1985-1987. C'est le taux le plus faible des pays de l'OCDE et ses recettes d'environ 50 milliards d'euros stagnent depuis vingt ans. Sa concentration est forte, puisque 74 % de son produit est acquitté par les 10 % des foyers disposant des revenus les plus élevés, et que 47 % des foyers ne sont pas imposables. Cette proportion n'a pas varié depuis vingt ans. Son faible produit affecte d'autant sa capacité redistributive.

L'impôt sur le revenu est devenu moins progressif que par le passé, ce qui évidemment concourt au même effet. Sa perte de progressivité s'explique par trois raisons principales. D'abord son barème a fait l'objet de modifications successives, réduisant le nombre de tranches et abaissant les taux. Le taux marginal, à 41 %, est désormais inférieur à ceux en vigueur dans nombre de pays comparables, comme l'Allemagne où il est de 45 %, ou encore le Royaume-Uni où il atteint 50 %.

Ensuite, les nombreux mécanismes dérogatoires - les niches fiscales - réduisent son assiette. Sous la forme le plus souvent de réductions d'impôt, ils sont présentés comme ayant une vocation économique ou sociale ; je pense par exemple aux mesures en faveur de l'investissement locatif, des économies d'énergie ou du développement économique dans les DOM-TOM... Leur prolifération a en tout cas un coût budgétaire et présente aussi l'inconvénient de ne pas être forcément économiquement efficace.

Enfin, l'impôt sur le revenu comporte un effet régressif important dans la mesure où le taux de taxation est différent selon les catégories de revenus qu'il frappe. C'est le cas, notamment, de la fiscalité des revenus de l'épargne financière, avec la généralisation du prélèvement libératoire forfaitaire, qui concerne aussi les revenus des dividendes depuis 2008. Ce sont en effet les contribuables les plus aisés dont les revenus se composent davantage de revenus de capitaux mobiliers ou du patrimoine. Ces revenus, contrairement aux revenus salariaux, sont taxés à des taux forfaitaires ou proportionnels inférieurs. Par exemple, en 2009, les ménages appartenant au 1 % des revenus les plus élevés en France - soit un peu plus de 350 000 foyers fiscaux - ont un taux moyen d'imposition sur le revenu de 18,3 %. Au-delà, au sommet de la distribution, ce taux baisse à 15 %. Cette dualité de fait, même si elle n'est pas propre à la France, ne paraît pas toujours justifiée au plan économique - sauf pour lutter contre la fraude - et elle pose un problème d'équité fondamental.

Le chapitre 1er de la troisième partie du rapport décompose de manière précise les différentes étapes de calcul de l'impôt sur le revenu et présente l'ensemble des mécanismes qui permettent de fonder ce constat. L'impôt sur le revenu a vieilli, plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis sa dernière réforme d'envergure ; ses défauts se sont accentués ; ses recettes sont désormais faibles et il a perdu l'efficacité redistributive et économique qui lui était assignée. Le Conseil des prélèvements obligatoires estime qu'il ne s'agit plus désormais de procéder à des modifications qui remédieraient, ici ou là, à ces insuffisances, mais d'engager une réflexion et une réforme ambitieuses. Mais là, c'est de la responsabilité des parlementaires.

La fiscalité du patrimoine dans sa globalité - j'entends par là les taxes foncières -, les droits de mutation et l'ISF, soit une recette de l'ordre de 40 milliards d'euros, présente, sur le plan de la redistribution, des avantages car la concentration du patrimoine est plus forte que celle des revenus. Mais les défauts des uns et des autres sont bien connus : d'une part les bases des taxes foncières sont obsolètes, d'autre part les droits de mutation dont le rendement fiscal est le principal objectif sont plutôt préjudiciables à l'efficacité économique. Leurs caractéristiques redistributives sont pour le moins incertaines.

L'ISF comporte des éléments de modernité : c'est un impôt progressif dont les bases reposent sur des valeurs vénales, donc actuelles. On peut en outre déduire ses dettes de sa déclaration d'ISF, alors que ce n'est pas le cas pour les taxes foncières. Mais le Conseil des prélèvements obligatoires considère que son assiette est étroite - moins de 2 % des foyers français en sont redevables - et de nombreux actifs en sont exemptés. En corollaire, ses taux sont élevés, surtout dans les tranches supérieures, ce qui a conduit à instaurer des mécanismes permettant d'y déroger.

La taxe d'habitation était jusqu'à l'an 2000 un impôt continument dégressif sur l'ensemble de la population. La réforme intervenue en 2000 l'a rendue progressif pour les ménages situés dans la première partie de l'échelle des revenus, ce qui veut dire que des ménages modestes en ont bénéficié. En revanche, force est de constater que la taxe d'habitation reste dégressive pour la moitié la plus aisée des ménages.

L'évolution de la TVA et des accises a eu peu d'effets au total sur la progressivité de notre système socio-fiscal. Rapportée au revenu disponible des ménages, la TVA pèse beaucoup plus lourdement sur les plus modestes que sur ceux des derniers déciles. D'une manière générale, la taxation indirecte a des effets très régressifs. C'est un outil de rendement fiscal. Il y a vingt ans, la France se trouvait parmi les pays où les recettes de TVA étaient particulièrement importantes. Aujourd'hui, elle ne se situe plus que dans la moyenne. Les récentes baisses de taux à 5,5 % sur certains secteurs - rénovation immobilière, hôtellerie, restauration - n'ont pas atténué sa régressivité, puisqu'elles ont concerné des biens et des services qui ne sont pas particulièrement consommés par des ménages modestes. Quant aux accises - telles que le tabac ou les carburants -, elles ont un caractère régressif encore plus prononcé.

En conclusion, ce rapport a cherché à dresser un bilan le plus complet possible sur la progressivité, les effets redistributifs et l'évolution depuis vingt ans de notre système socio-fiscal. Il est complexe mais peu d'études à ce jour avaient fait le tour de la question de manière aussi approfondie. Enfin, il donne des indications importantes et nombreuses sur l'impôt sur le revenu, en particulier sur l'imposition des plus hauts revenus.

Et pour répondre à la question qui a été posée au Conseil des prélèvements obligatoires par votre commission, je dirai que notre système socio-fiscal est relativement efficace en matière de redistribution verticale, dans le sens où il permet de réduire les écarts de revenus. L'est-il davantage ou non, par rapport à d'autres pays comparables ? Il est difficile d'y répondre car il n'existe que peu d'études disponibles sur ce sujet précis, c'est-à-dire sur le caractère progressif et redistributif des systèmes au sein de l'Union européenne ou dans l'OCDE. Il n'est pas certain que notre système soit particulièrement efficient sur ces deux plans.

Mais ce qui caractérise particulièrement notre système, c'est l'importance de sa redistribution horizontale. Cette singularité explique que la France ait un champ de protection sociale plus étendu que dans d'autres pays. C'est pourquoi nos prélèvements sont élevés et que se pose avec acuité le problème du financement de notre protection sociale par l'emprunt, c'est-à-dire par un transfert de la charge sur les générations à venir.

Pour aller vers une meilleure redistributivité de notre système, une réforme de l'impôt sur le revenu est nécessaire, la fiscalité du patrimoine doit être reconsidérée de manière globale et la redistribution horizontale ne doit pas être telle qu'elle contrarie la redistribution verticale. Sur ce dernier point, le rapport fournit des clefs pour mieux distinguer ces deux dimensions de la redistribution.

Mais je ne perds pas de vue que chaque instrument fiscal doit se voir assigner, non pas plusieurs objectifs, mais celui qui convient le mieux à sa nature. Par exemple, l'impôt sur le revenu doit jouer un véritable rôle de redistribution, tandis que la TVA doit avoir pour objectif le rendement fiscal. C'est le meilleur moyen de favoriser progressivité et redistribution, comme nous y invite la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, selon laquelle « pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, à raison de leurs facultés ».

M. Jean Arthuis, président. - Merci pour cette synthèse du rapport du CPO. J'ai bien noté que l'impôt est, finalement, toujours payé par les ménages. Il est bon que ce soit une autorité comme la vôtre qui le proclame. Pour la TVA, le France est dans la moyenne, ce qui laisse des marges de progression éventuelle.

M. Philippe Marini , rapporteur général. - Ce rapport nous sera utile et compte tenu de l'agenda fiscal qui nous attend, une telle mise en perspective est appréciable.

S'agissant de la création d'une tranche supplémentaire du barème de l'IR pour les très hauts revenus, vous avez rappelé que le taux marginal est de 41 % pour les revenus supérieurs à 70 830 euros par part de quotient familial, alors qu'il est de 50 % au-dessus de 150 000 livres au Royaume-Uni, soit environ 225 000 euros. Comment expliquer que cette tranche produit quelque trois milliards d'euros au Royaume-Uni, alors qu'en France le rendement d'une tranche comparable est estimé entre 250 et 300 millions d'euros ? Cela pose le problème de notre compétitivité fiscale.

Le CPO peut-il réfléchir à un système de prestations sociales qui soumettrait celles-ci à des conditions de ressources ? Il est étrange qu'en France, en matière de protection sociale, on persiste à ne raisonner que sur les ressources, et jamais sur les dépenses.

M. Didier Migaud. - Le CPO s'est contenté de faire un état des lieux, pour répondre à votre saisine, et s'est bien gardé de formuler des propositions. Nous avons en effet constaté que, dans d'autres pays, existent des taux marginaux supérieurs à 41 %. Mais le travail qui nous était demandé devait porter sur la progressivité et la distributivité de nos prélèvements, pas sur notre compétitivité fiscale. Au Royaume-Uni, l'assiette fiscale est différente et il y a peut-être davantage de hauts revenus. Sachez que ce rapport général est accompagné de cinq rapports particuliers portant sur des comparaisons internationales, l'impôt sur le revenu et l'ISF, les prélèvements sociaux, une photographie de notre système socio-fiscal en 2009 et l'évolution de la progressivité des prélèvements obligatoires entre 1990 et 2009. Ils sont disponibles dès maintenant.

Notre travail ne portait pas sur le financement des prestations sociales. Donc je ne suis pas en mesure de répondre à la question du rapporteur général. Mais beaucoup de prestations sont déjà sous condition de ressources.

Mme Nicole Bricq. - Ce rapport est issu d'une demande du groupe socialiste. Je remercie la commission de l'avoir acceptée et le Conseil des prélèvements obligatoires d'y avoir répondu si rapidement. Les éléments de ce constat sont connus mais il est utile de les rappeler. Il est utile de rappeler qu'il y a bien un lien mécanique entre la diminution des prélèvements obligatoires et le recours à l'emprunt. Il est utile également de rappeler que l'augmentation des dépenses et la diminution des prélèvements nuisent à la progressivité.

Mais je note aussi des éléments novateurs dans ce rapport. Il serait maintenant intéressant d'étudier le rôle positif de la CSG dans la progressivité, afin de conforter ceux qui veulent la fusionner avec l'impôt sur le revenu.

Autre élément novateur : vous distinguez quotient familial et quotient conjugal. Je suis favorable à l'individualisation de l'impôt : la société a considérablement évolué depuis trente ans, les femmes salariées sont beaucoup plus nombreuses. Entre un couple dont un seul membre travaille pour une grosse rémunération, et un couple de smicards actifs, c'est ce dernier qui est désavantagé par le système actuel. C'est anormal. En outre, cette individualisation est logique dès lors qu'on prône la fusion entre CSG et impôt sur le revenu. Comment votre distinction entre quotients familial et conjugal peut-elle faire avancer dans la voie de cette individualisation à laquelle il faudra bien arriver un jour ?

La pauvreté se concentre chez les familles monoparentales, notamment de trois enfants. Il faudrait concentrer l'effort sur ces familles. Comment favoriser la redistribution verticale et horizontale ? L'extension de la prime à l'emploi, par exemple, n'a pas rempli son objectif initial d'encourager l'activité et l'effet redistributif du quotient familial a atteint son « plafond de verre ».

M. Didier Migaud. - Je confirme que le quotient conjugal, c'est-à-dire l'imposition conjointe des deux membres d'un couple, a un caractère régressif. Il n'est avantageux que si les deux revenus sont très inégaux. Si l'un des deux est très élevé, cet avantage n'étant pas plafonné, l'effet régressif est évident. Quant au quotient familial, même plafonné, il a un effet régressif et il diminue la progressivité de l'IR du fait de la concentration de cet avantage sur le 1er décile supérieur (46 %) contre 18 % pour le 9e. Le nombre des familles monoparentales, notamment avec trois enfants, est en augmentation sensible, comme le montre le rapport de l'INSEE. S'agissant de la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, le CPO a fait le constat des inconvénients de l'IR et appelle à une réforme qui, soit refonde cet impôt, soit fusionne les prélèvements directs. La question de l'individualisation de l'impôt peut être envisagée dans les deux cas.

M. Joël Bourdin. - Je constate que, dans notre pays, la redistribution est une réalité puisque les inégalités y sont moins prononcées qu'ailleurs.

En page 265 de votre rapport, on lit « Plus les revenus augmentent, plus s'accroissent les parts des revenus non salariaux et des revenus taxés à taux forfaitaires ou proportionnels ». Cela signifie que l'imposition est croissante jusqu'à un certain revenu puis devient décroissante. Or, malheureusement, en page 268, vous constatez que « l'imposition globale des plus aisées ne peut être mesurée ». Nous nous apprêtons à plonger dans un projet de loi de finances réformant la fiscalité : il est gênant de ne pouvoir mesurer les revenus des plus aisés.

M. Yvon Collin. - Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoire tient à un principe constitutionnel qui veut que chacun contribue selon ses capacités. Or, le système de nos prélèvements, rendu abscons par une complexité qui défie l'entendement, fait peser un danger sur le pacte républicain : il est vrai que les Français sont portés à la méfiance, mais reconnaissons que les lois fiscales ne favorisent pas la clarté. Il est urgent de remédier à une obscurité qui mine la confiance.

Pour apprécier la charge fiscale sur les ménages et l'ampleur des effets redistributifs, il serait bon d'élargir le spectre de l'enquête à tous les prélèvements, de la TVA à l'impôt sur les sociétés, et de mesurer avec précision la redistribution. Avez-vous l'intention de compléter vos travaux en ce sens ?

Ma deuxième question, plus circonscrite, porte sur la fiscalité des diplômés des grandes écoles qui s'expatrient. Nombre d'écoles sont financées sur fonds publics, qui profitent ainsi, implicitement, à ceux de nos diplômés qui poursuivent ensuite leur carrière à l'étranger. Ces sommes ne sont jamais récupérées. Vous êtes-vous penché sur le sujet ?

Ma dernière question, enfin, portant sur l'aspect redistributif des cotisations sociales, dépasse celle du seul impôt sur le revenu. Quel est, à ce titre, l'effet du mécanisme d'exonérations sur les heures supplémentaires, de même que celui des avantages attachés au mécanisme de participation et d'intéressement, dont on dit qu'il joue sur la flexibilisation des salaires et va à rebours de la redistribution verticale ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - Le conseil prend-il en compte, dans le jeu des prestations sociales, la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC), élément important pour les faibles revenus ? L'intégrez-vous dans l'analyse de la redistribution ?

Quelle incidence aurait sur le rendement de l'impôt  le remplacement du quotient familial par un crédit d'impôt, comme l'a fait l'Allemagne ?

Votre résumé fait apparaître que notre système socio-fiscal de redistribution est assez efficace, mais repose davantage sur les prestations sociales, pour les deux tiers, que sur les effets de la fiscalité. Comment remédier à la faiblesse redistributive de notre système fiscal, pour parvenir à ce qu'il compte pour la moitié ?

M. François Marc. - Les informations que nous délivre ce rapport sont très précieuses, et je vous en remercie.

Ma première question porte sur l'assiette de la fiscalité du patrimoine. Si je prends l'exemple du foncier, à combien estimez-vous la moins-value de recettes liée à l'incertitude sur l'assiette et à la sous-évaluation de bases restées trop anciennes ?

Ma deuxième question - et le rapporteur général ne s'étonnera pas que je m'intéresse à ce sujet - porte sur les effets dégressifs de l'impôt sur le revenu pour les 10 % les plus riches. La CSG, à laquelle sont soumis les revenus du patrimoine, peut-elle avoir un effet de rattrapage ? Vous évoquez, dans vos conclusions, la question de la refondation de l'impôt sur le revenu. Si j'en crois ce que l'on pouvait lire ce matin dans une dépêche, entre l'option du rapprochement entre impôt sur le revenu et CSG, et celle de la refondation, que préconiseriez-vous ?

M. Philippe Dallier. - Votre rapport nous invite à un « grand soir » fiscal qui semble peu possible. L'expérience montre que les embûches ne manquent pas : voir l'impossible révision des valeurs locatives pour les impôts locaux. A qui chercherait à concilier rendement et correction des inégalités les plus flagrantes, quel point d'entrée conseilleriez-vous ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - A l'issue de votre étude, la technique de l'impôt négatif vous paraît-elle encore opérationnelle ou la considérez-vous désormais comme une belle utopie ?

M. Didier Migaud. - Nous nous sommes bornés, dans ce rapport, à honorer la commande qui nous était faite, et qui allait à dresser un état des lieux, sans nous aventurer à émettre des préconisations. Reste que ces éléments sont faits pour nourrir la réflexion. Nous n'appelons donc pas, monsieur Dallier, à un grand soir fiscal : nous ne faisons que souligner des dysfonctionnements et des inconvénients au regard du principe de redistribution. Sur les bases de la taxe foncière, la balle est dans le camp du Parlement et de l'exécutif. Vous disposez de tous les éléments. Je sais bien que la difficulté est d'arriver à faire...

L'impôt sur le revenu est devenu, de fait, moins progressif ; il n'a plus le même rendement, et cette évolution à la baisse est plus importante que dans d'autres pays, y compris en incluant la CSG. Un rapport particulier fournira des éléments chiffrés pour situer la France dans le paysage international, mais il apparaît déjà ici que, quand la moyenne de l'OCDE était de 9,7 % du PIB en 2007, on en était en France à 2,4 %...

M. Jean Arthuis, président. - C'est l'effet des niches fiscales. La différence des systèmes, aussi. En France, contrairement à l'Allemagne, le bénéfice des PME entre dans le revenu des personnes. De plus, l'impôt sur les sociétés est moindre en Allemagne qu'en France.

M. François Marc. - Reste que ces chiffres sont très mauvais...

M. Didier Migaud. - A vous de décider du qualificatif. Deux pistes s'offrent pour la réforme : soit une révision de l'impôt sur le revenu, via l'assiette et les niches fiscales, soit une fusion des impôts directs, sachant qu'il faudra lever certains préalables. Ces décisions relèvent du pouvoir politique.

Il est vrai, monsieur Bourdin, que la multiplicité des fichiers statistiques pose problème : il faut faire la synthèse. Les limites de notre étude sont liées à la disponibilité des statistiques et à leur traitement. Vous pouvez beaucoup contribuer à l'accessibilité des données fiscales : le Parlement pourrait demander cette information. Je ne mets pas en cause leur disponibilité, lorsqu'elle existe : nous n'avons eu aucun problème pour y accéder, l'un et l'autre ministres, les Finances comme les Comptes publics, ont joué le jeu.

Bien des rapports, monsieur Collin, dénoncent l'opacité de notre système de prélèvements. Vous en déplorez la complexité. Mais la simplicité n'est pas gage de justice sociale : un système très simple peut être très injuste. Il s'agit plutôt de trouver le bon compromis. Sur le régime fiscal des expatriés, M. Guéroult pourra peut-être vous répondre.

M. Antoine Guéroult, rapporteur général du Conseil des prélèvements obligatoires. - Nous n'avons pas étudié ce régime fiscal sous l'angle spécifique que vous évoquiez.

M. Didier Migaud. - Cela peut s'intégrer à d'autres travaux. Quant aux exonérations de cotisations sociales, elles ont déjà fait l'objet d'autres enquêtes.

La CMUC, monsieur Fourcade, est prise en compte dans le champ de notre étude. Nous n'avons pas calculé, en revanche, ce que serait le rendement d'autres outils de politique familiale que le quotient, mais ce calcul peut être fait. Les recettes de l'État s'en trouveraient vraisemblablement augmentées. Le conseil de la famille dispose vraisemblablement d'éléments d'information.

Faire passer l'effet redistributif de la fiscalité du tiers à la moitié ? La réflexion à engager relève là encore d'une décision politique. Cela étant, je précise que la place importante des prestations sociales dans la redistribution n'a pas de quoi étonner ; ce n'est pas une particularité française.

Nous n'avons pas calculé, monsieur Marc, les moins-values de recettes fiscales liées à la sous-évaluation des bases. Mais d'autres rapports s'y sont employés. On sait que ce qui pose problème dans la réévaluation, ce sont les transferts de catégorie à catégorie, y compris à produit constant. Une expérimentation est en cours, en liaison avec le Parlement, dans quatre départements.

Sur les 10 % des contribuables les plus riches, le rapport contient des éléments. L'élargissement de l'assiette de la CSG a pu être un facteur de compensation de la dégressivité de l'impôt sur le revenu. Reste que, même en prenant en compte la totalité de l'impôt, on constate que les taux moyens d'imposition se réduisent au sommet.

J'ai répondu à M. Dallier sur les bases : la réforme est une décision politique, qui ne nous appartient pas.

M. Jean Arthuis, président. - Sage réponse : on ne peut à la fois décider et contrôler.

M. Didier Migaud. - Quant à l'impôt négatif, monsieur Bernard-Reymond, ...

M. Jean Arthuis, président. - Il existe déjà. Qu'est-ce d'autre, par exemple, que la prime pour l'emploi ?

M. Didier Migaud. - ...Il existe, en effet, des transferts comparables à l'imposition négative, de même que les cotisations patronales peuvent être considérées comme du salaire différé.

M. Jean Arthuis, président. - Il me reste à vous remercier de la qualité de ce rapport, qui va nourrir nos réflexions pour travailler à dessiner l'architecture d'une fiscalité juste et conforme à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

Loi de finances rectificative pour 2011 - Audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

Puis, la commission procède à l'audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur le projet de loi n° 3406 (XIIIe législature) de finances rectificative pour 2011, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

M. Jean Arthuis, président. - Nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir M. Baroin. Nous excuserons Mme Lagarde, retenue par des impératifs européens.

Le conseil des ministres vient d'adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2011, qui porte notamment sur la réforme de la fiscalité patrimoniale dont le Président de la République avait annoncé le principe à l'automne.

Notre commission des finances a régulièrement dénoncé, par le passé, les défauts du dispositif actuel, et émis des propositions. Cette réforme intervient après trois mois de travaux très denses, au cours desquels nous avons mené des échanges avec un large panel de spécialistes. Nous vous écouterons donc avec intérêt.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. - Ce collectif marque une étape significative dans la poursuite des engagements du Gouvernement. Il effectue en outre un certain nombre d'ajustements en matière de recettes et de redéploiements entre dépenses, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre du plan de soutien à l'emploi et à l'alternance annoncé par le Président de la République. Ces mouvements sont globalement neutres sur le plafond de dépense autorisé et le solde budgétaire, qui reste inchangé par rapport à la loi de finances initiale, à 91,6 milliards d'euros.

Je concentrerai ma présentation sur la réforme de la fiscalité du patrimoine ainsi que sur les modalités de son financement. Je remercie la commission des finances et son président d'avoir participé, de longs mois durant, à nos travaux. Il était essentiel que tous disposent du même niveau d'information que le Gouvernement pour se déterminer en conscience. L'oeuvre finale résume les contraintes budgétaires qui sont les nôtres.

Nous voulons un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) plus juste et mieux adapté aux réalités économiques. L'ISF, souvent considéré comme une « exception française », pénalise l'attractivité de notre pays, en raison :

- d'un seuil d'entrée décalé par rapport à l'évolution des prix de l'immobilier au cours des dix dernières années, qui a fait entrer artificiellement dans l'ISF des contribuables n'ayant jamais quitté leur résidence principale ;

- de taux d'imposition fixés à d'autres époques et aujourd'hui déconnectés du rendement réel des actifs, de sorte que l'impôt est devenu dans de nombreux cas confiscatoire ;

- enfin, des modalités déclaratives trop pesantes ou trop « inquisitoriales » pour les contribuables.

Nous entendons agir sur la structure de notre fiscalité, afin de la rendre plus simple, plus juste et plus compétitive. Après la réforme du crédit d'impôt recherche et celle de la taxe professionnelle, la réforme de la fiscalité du patrimoine s'inscrit logiquement dans cette ambition.

L'acte I de cette réforme, c'est la suppression du bouclier fiscal et, avec lui, de toute forme de plafonnement de l'ISF. Cette suppression répond à une exigence de justice. Il s'agissait, d'abord, de prendre en compte la situation des bénéficiaires actuels du bouclier fiscal de condition modeste, majoritaires : un dispositif de plafonnement de la taxe foncière en fonction des revenus serait maintenu à leur profit. Il s'agissait, ensuite, de s'attaquer aux raisons qui ont rendu le bouclier fiscal nécessaire : sa suppression ne pouvait s'envisager sans une profonde réforme du barème de l'ISF, sauf à redonner à cet impôt un caractère confiscatoire que pas même ceux qui l'ont instauré en 1989 n'avaient voulu lui conférer.

Nous prévoyons donc une simplification de l'ISF et son adaptation aux réalités économiques. Nous vous proposerons de supprimer, tout d'abord, la première tranche de cet impôt, qui concerne les ménages possédant un patrimoine net d'une valeur comprise entre 800 000 euros et 1,3 million d'euros. Dès 2011, le seuil d'entrée à l'imposition sur la fortune serait fixé à 1,3 million d'euros de patrimoine, ce qui permettrait à quelque 300 000 foyers qui sont devenus redevables de l'ISF du seul fait de la bulle immobilière de ne plus être assujettis à cet impôt. Cette mesure évitera également à 200 000 autres ménages d'entrer dans l'ISF dans les prochaines années. Au total, ce sont donc 500 000 ménages qui vont bénéficier de la suppression de la première tranche.

Nous vous proposerons ensuite de corriger le barème de l'ISF, devenu un véritable encouragement à l'expatriation : entre 1,3 et 3 millions d'euros de patrimoine, le taux d'imposition serait de 0,25 % et les redevables de cette tranche seraient exemptés de déclaration, la valeur totale de leur patrimoine étant désormais simplement portée sur la déclaration d'impôt sur le revenu, pour un paiement au même terme.

Au-delà de 3 millions d'euros de patrimoine - cela représente moins de 30 000 contribuables - le taux d'imposition serait de 0,5 %. Les assujettis auront toujours à remplir une déclaration d'ISF, comme c'est le cas aujourd'hui. Pour lisser les effets de seuil, un dispositif de décote serait instauré pour les patrimoines compris entre 1,3 et 1,4 million, ainsi que pour ceux compris entre 3 et 3,2 millions. Les modalités déclaratives seraient également simplifiées pour la majorité des redevables, à compter de 2012.

Enfin, nous avons été attentifs à corriger les effets économiques les plus néfastes de l'ISF : pour préserver le développement de nos PME, nous vous proposerons de redéfinir le régime d'exonération des biens professionnels pour les entrepreneurs qui dirigent plus d'une entreprise ou qui diluent leur participation à l'occasion d'une augmentation de capital ; nous voulons également encourager le développement d'un capitalisme familial par des assouplissements des « pactes Dutreil », dont nombre d'entre vous savent combien ils sont essentiels pour assurer la pérennité des entreprises sur plusieurs générations.

Suppression du bouclier fiscal, protection de la résidence principale avec le relèvement du seuil d'entrée dans l'ISF, retour à des taux cohérents avec le rendement des actifs et aménagement des régimes d'assiette pour tenir compte de la vie des entreprises : telles sont les grandes lignes d'une réforme qui porte la marque d'un juste équilibre entre équité et efficacité économique.

Mais la réforme ne peut se concevoir que dans sa globalité. Car nous entendons présenter un projet équilibré pour les finances publiques et faisant peser l'impôt sur la population même qui profite de l'allègement de l'ISF. Plusieurs mesures sont ainsi prévues pour le financer : taxation plus importante des donations et successions des hauts patrimoines, contribution des non-résidents et instauration de dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale internationale.

Conformément au souhait du Président de la République, nous avons opté pour un financement simple, qui pèse sur les flux plutôt que sur le stock, sur la transmission du patrimoine plutôt que sur sa détention.

La taxation des donations et successions sera réévaluée pour les hauts patrimoines et eux seuls, j'y insiste : les acquis essentiels de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (Tepa), qui a permis d'exonérer 97 % des successions en ligne directe et qui a facilité les transmissions anticipées de patrimoine, seront intégralement préservés. En revanche, nous revenons sur des dispositions antérieures à la loi Tepa, qui, du fait notamment du triplement des abattements intervenu avec celle-ci, ont perdu de leur pertinence.

Cette stratégie se décline en trois axes. Tout d'abord, l'augmentation de cinq points des tarifs applicables aux deux dernières tranches du barème d'imposition applicable aux successions et aux donations consenties en ligne directe, ainsi qu'aux donations entre époux et titulaires d'un pacte civil de solidarité (PACS). En pratique, cette hausse ne frappera que 2 000 successions par an. Ce sont donc bien les très grosses successions qui sont visées.

Ensuite, la suppression des réductions de droits de donation accordés en fonction de l'âge du donateur. Je rappelle que ces droits ne sont dus qu'à hauteur des donations qui dépassent l'abattement de 159 000 euros. C'est bien plus déjà que la totalité du patrimoine de la majorité des Français. La mesure frappe donc là encore un nombre très limité de personnes fortunées.

Enfin, un délai de rappel des donations qui sera porté de six à dix ans. Le raccourcissement du délai de dix à six ans étant intervenu en 2006, toutes les donations qui pourraient profiter aujourd'hui du délai de six ans sont intervenues. On prive ainsi certains d'un effet d'aubaine, mais personne ne sera pris au dépourvu.

Réformer la fiscalité du patrimoine, c'est aussi taxer de nouvelles capacités contributives, adapter le droit pour limiter les possibilités d'optimisation et renforcer les outils permettant de lutter contre l'évasion fiscale. Trois mesures permettront d'améliorer l'efficacité de notre fiscalité sur ce point.

Les non-résidents participeront désormais au financement des services publics nationaux dont ils bénéficient, via une taxation des résidences secondaires. Ce dispositif ne concerne que les personnes dont les revenus de source française ne représentent qu'une faible part de leurs revenus totaux. Il institue une participation proportionnelle aux capacités contributives conférées par le patrimoine immobilier dont elles ont la jouissance sur le territoire français, et au titre duquel elles n'acquittent actuellement que des impositions à caractère local. Les personnes qui s'expatrient temporairement, notamment pour des raisons professionnelles, en seront exonérées.

Nous prévoyons, ensuite, l'introduction d'une « exit tax » sur les plus-values latentes. Ce dispositif a été conçu pour être parfaitement conforme au droit communautaire et aux engagements internationaux de la France. Il s'inspire de ceux adoptés par certains de nos partenaires européens tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Cette taxe sera assise sur les plus-values sur titres constatées lors du transfert de la résidence fiscale hors de France et exigible en cas de cession des titres dans les huit années qui suivent.

Enfin, nous prévoyons plusieurs mesures pour mettre fin à des schémas d'optimisation et d'évasion fiscales. Nous vous proposerons ainsi de mettre fin au schéma par lequel des non-résidents échappent à l'ISF en plaçant leurs biens immobiliers dans une société civile immobilière (SCI) criblée de dettes. Nous entreprenons également de donner à l'administration la capacité d'appréhender fiscalement les biens et droits placés dans des trusts, institutions de droit anglo-saxon sans équivalent en droit français, dont le régime fiscal incertain facilite l'utilisation à des fins d'évasion fiscale.

Ces deux dernières mesures s'inscrivent dans le prolongement d'autres opérations fortes que nous menons pour lutter contre la localisation d'actifs ou de revenus sur des comptes bancaires offshore. La cellule de régularisation, l'exploitation de fichiers de comptes bancaires détenus à l'étranger ont ainsi permis de rapatrier des recettes importantes au cours des années 2010 puis 2011. D'autres initiatives suivront.

En régime de croisière, la réforme dégagera dans son ensemble et indépendamment de toute ressource exceptionnelle un surcroît de recettes de quelque 200 millions d'euros par an.

Au-delà de la réforme de la fiscalité du patrimoine, ce projet de loi de finances rectificative comprend un nombre limité de dispositions qui reflètent notamment la priorité donnée à l'emploi et au pouvoir d'achat, sans modifier ni le plafond de dépense autorisé, ni le solde budgétaire pour 2011.

En matière d'emploi, conformément à l'engagement du Président de la République, le Gouvernement souhaite orienter son action vers quatre priorités : l'emploi des jeunes, le soutien aux demandeurs d'emploi de longue durée, la formation des demandeurs d'emploi et la sécurisation des parcours professionnels. Ce texte procède ainsi à plusieurs ouvertures ciblées de crédits, dont les principales ont vocation à financer la formation en alternance, les contrats aidés du secteur marchand, diverses actions de formation pour les chômeurs de longue durée ainsi que la mise en oeuvre du nouveau contrat de sécurisation professionnelle.

En matière de pouvoir d'achat, au regard des fortes hausses du prix des carburants, le Gouvernement a revalorisé de 4,6 % les barèmes kilométriques utilisés par les salariés qui optent pour les frais réels et par certains non-salariés pour évaluer forfaitairement leurs frais de véhicules. Cette revalorisation entrera en vigueur dès cette année. Nous proposons de financer cette décision par une contribution exceptionnelle à la charge des entreprises du secteur pétrolier, dont le rendement, de 120 millions d'euros en 2011, permettra de couvrir le coût de la revalorisation du barème. En outre, afin de mieux maîtriser la hausse du coût de l'électricité et son impact sur les consommateurs, nous prévoyons de lisser la revalorisation de la contribution au service public de l'électricité.

Quelques mots sur les autres dispositions de ce texte. Les premières concernent le financement de la réforme de la garde à vue, via la création d'une contribution pour l'aide juridique et l'ouverture de moyens supplémentaires sur les programmes du ministère de la justice et de l'intérieur. Vient ensuite un dispositif d'indemnisation spécifique des victimes du médicament « Mediator » et de ses génériques. Il est également procédé, comme chaque année, à des ajustements de crédits ciblés, qui visent à couvrir les insuffisances en gestion anticipées sur certains programmes.

L'ensemble de ces mesures, je le répète, ne modifie pas le solde budgétaire, qui reste inchangé par rapport à la loi de finances initiale et s'établit à 91,6 milliards d'euros.

Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement est déterminé à poursuivre l'adaptation de notre fiscalité pour la rendre plus simple, plus juste et plus efficace. Nous engageons ces réformes sans dévier du cap que nous nous sommes fixé : la réduction des déficits et la maîtrise accrue de nos finances publiques. Je souhaite à présent que nos travaux s'inscrivent dans ce même esprit de responsabilité.

M. Jean Arthuis, président. - Merci de ces informations délivrées sur le vif, qui devraient apaiser le débat sur la réforme de l'ISF - même si certains d'entre nous considèrent que vous demeurez à mi-chemin... Nous examinerons de près les évaluations, pour nous assurer que cette réforme ne dégrade pas le solde public. Il semble, notamment, que les bureaux de notaires soient très sollicités ces temps-ci pour anticiper les donations...

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je souscris aux grandes lignes de cette réforme et invite mes collègues de la majorité à me suivre : elle constitue l'aménagement raisonnable d'un impôt dont les effets pervers sont manifestes. En atténuant la ponction sur les valeurs immobilières, souvent concentrées sur la résidence principale, elle exonère 300 000 foyers. De plus, le barème de la taxation redevient cohérent avec l'échelle de rémunération des actifs financiers. Enfin, il est mis fin au bouclier fiscal, sans endommager le solde public, grâce à la compensation d'un surcroît de recettes dans le même domaine de la fiscalité du patrimoine. L'équation apparaît donc séduisante.

Mme Nicole Bricq. - Apparaît...

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ce n'est rien d'autre que le terme, madame Bricq, qu'exige, en bonne méthode cartésienne, l'exercice du doute méthodique.

Il nous faudra disposer, monsieur le ministre, de tous les éléments d'évaluation, pour comprendre comment se fait, exercice par exercice, la compensation, en distinguant les effets momentanés, comme les dépenses exceptionnelles liées à l'anticipation du dispositif, et permanents. Nous avons besoin d'une démonstration carrée, pour la mener ensemble avec conviction.

Le dispositif qui vise les non-résidents est bien ciblé, opportun, raisonnable. Il conviendra de mettre en valeur sa conformité aux principes généraux du droit et au droit communautaire. Mais j'avoue que si Bruxelles devait émettre une interprétation divergente, il y aurait lieu de douter plus encore des vertus de l'Union européenne...

Ce collectif ne touche pas à la fiscalité des revenus de l'épargne, puisque l'équilibre se fait sur la seule fiscalité relative à la détention et à la transmission du patrimoine. Ce qui ne signifie pas que le Président de la République n'ait pas bien fait de déclarer, à Saint-Nazaire, le 25 janvier dernier, que des initiatives devaient être prises pour que les 1 400 milliards d'euros d'encours des assurances s'orientent vers l'investissement en fonds propres des entreprises. Nous attendons des propositions dans le futur projet de loi de finances.

En matière d'ouverture de crédits, je suis surpris de ne rien trouver pour les opérations extérieures (Opex), alors que notre pays est engagé en Afghanistan, en Libye, en Côte-d'Ivoire. Est-ce à dire que les prévisions budgétaires étaient suffisantes ? Cette question pourrait vous être l'occasion, monsieur le ministre, de nous délivrer quelques informations sur les opérations aériennes et navales en Libye.

Un commentaire, enfin, sur les chiffres récents du déficit budgétaire : des effets techniques ont conduit à une présentation alarmiste sur son creusement. Vous comprendrez donc que nous soyons appelés à rester attentifs, mois par mois, aux évolutions.

M. François Baroin. - Le tableau de financement de la réforme est à votre disposition. L'équilibre est assuré, et, en régime de croisière, le rendement sera supérieur au coût. Au reste, les recettes de l'ISF sont dynamiques. La suppression de la réduction sur les droits de donation vaudra pour 290 millions d'euros, le passage de six à dix ans du délai de reprise sur les donations pour 450 millions, l'augmentation de cinq points des deux premières tranches du barème des droits de mutation à titre gratuit pour 85 millions, à quoi s'ajoutent d'autres éléments, comme l'exit tax, pour 75 millions, et surtout le produit de la lutte contre l'évasion fiscale, pour 400 millions, sachant que la cellule de régularisation a permis d'engranger 300 millions affectés à la réforme. L'équilibre financier est donc garanti. Les documents annexés au projet de loi explicitent les méthodes de chiffrage.

Je puis vous confirmer que l'exit tax est parfaitement compatible avec nos conventions fiscales. Pour ce qui concerne le droit communautaire, le Conseil d'État, sollicité, n'a émis aucune objection. A la différence des dispositions qui nous avaient valu une condamnation en 2004, l'impôt ne sera pas dû au départ, mais seulement lors d'une cession ultérieure de titres, comme cela est déjà le cas dans d'autres pays de l'Union. Nous sommes donc parfaitement confiants.

Si le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé de sortir l'assurance-vie du champ de cette réforme, c'est que même en retenant un seuil analogue à 1 ou 1,3 million d'euros, le débat aurait pu être mal interprété et détourné de son objet, ce qui aurait nui à la simplicité et à l'efficacité de la présente réforme. Le projet de loi de finances pour 2012 sera l'occasion d'aborder le problème : mobiliser l'épargne au service de l'activité économique est un souci que nous partageons.

Les prévisions sur les Opex sont par nature incertaines. La loi de finances pour 2011 ne pouvait anticiper les évènements de Libye. Cela étant, les nouvelles modalités retenues en loi de finances initiale permettent de réduire l'imprévu.

Il n'est pas utile de modifier le montant prévu dans la loi de finances initiale pour les Opex, fixé à 630 millions d'euros. C'est pourquoi nous n'avons pas déposé de texte pour réclamer des crédits supplémentaires.

M. François Marc. - Le délai entre les donations va passer de six à dix ans. Ceux qui se sont déjà engagés seront-ils concernées par cette mesure ? Si oui, ne seront-ils pas en droit de s'estimer floués par la modification des règles du jeu ?

Pour justifier la réforme de l'ISF, j'ai l'impression que vous forcez le trait selon le vieux principe : « qui veut noyer son chien l'accuse d'avoir la rage ». Vous parlez d'une « incongruité » en Europe, de « procédures inquisitoriales » à l'encontre des contribuables. Ne noircissez pas les choses à l'excès ! Nos collègues qui ont été aux Pays-Bas ont constaté que l'impôt sur la fortune y rapporte 4 milliards d'euros, soit le même montant que notre ISF, pour 16 millions d'habitants. Un impôt sur la fortune n'est donc pas d'une totale incongruité en Europe.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il s'agit d'une taxe sur le rendement théorique du capital !

M. François Marc. - L'impôt sur la fortune n'a donc pas disparu.

M. Jean Arthuis, président. - Aux Pays-Bas, c'est un impôt sur une base forfaitaire.

M. François Marc. - Habillez-le comme vous voulez : il n'empêche que le dispositif existe.

M. Jean Arthuis, président. - Les revenus fonciers ne sont pas imposés comme tels.

M. François Marc. - Enfin, vous prétendez qu'avec la loi Tepa, ce sont 97% des successions en ligne directe qui sont désormais exonérées d'impôt. Mais vous oubliez de préciser qu'avant cette loi, plus de 90% des successions l'étaient déjà.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Finalement, cette loi Tepa n'a que peu réformé ...

M. André Ferrand. - Je vais m'exprimer au nom des Français de l'étranger dont je suis l'élu. La taxe sur les résidences secondaires des non-résidents les a vivement inquiétés, d'autant que diverses rumeurs circulent. Il est urgent de rassurer ceux qui n'ont pas de raison de s'angoisser. Certes, vous proposez une pilule dorée, mais la mesure va quand même avoir beaucoup de mal à passer.

D'autre part, sur un plan plus technique, pourquoi le projet de loi prévoit-il la rétroactivité de l'exit tax au 3 mars 2011 ?

Sait-on combien de nos compatriotes sont concernés par l'abrogation de l'article 164 C du code général des impôts ? Cette mesure ne s'applique que lorsqu'il n'existe pas de convention fiscale bilatérale.

Vous avez parlé d'expatriés temporaires pour raison professionnelle : quels seront les critères retenus ? S'agira-t-il exclusivement des expatriés pour le compte des grandes entreprises ?

Bref, comment nos deux millions de compatriotes résidant à l'étranger vont-ils être traités ?

Mme Nicole Bricq. - J'ai lu, monsieur le ministre, le communiqué du conseil des ministres et l'entretien que Christine Lagarde a donné au Figaro, et je viens de vous entendre. Il en ressort que vous allez supprimer le bouclier fiscal : mieux vaut tard que jamais ! En outre, vous allez réformer la fiscalité du patrimoine et notamment l'ISF. Dans son interview, Mme Lagarde cherche surtout à rassurer sa « clientèle électorale » puisqu'elle affirme que les plus « petits » contribuables encore concernés par l'ISF payeront 1 500 euros au lieu de 3 250 et que la niche ISF-PME perdurera. Donc, vous allez sortir 300 000 personnes de l'ISF tandis que les barèmes et les taux seront plus favorables : êtes-vous vraiment sûr, monsieur le ministre, de la neutralité du dispositif ? Le rapporteur général a l'air d'en douter et il n'a pas apporté la preuve que cette réforme était neutre pour les finances publiques. Nous y verrons plus clair lorsque nous examinerons votre projet de loi. Vous estimez que cette réforme est juste et raisonnable : je la qualifierais plutôt d'injuste et déraisonnable.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Quelle déception !

Mme Nicole Bricq. - Et puis, arrêtez de prétendre que l'ISF est une exception en Europe ! C'est faux. Cet impôt existe aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. En outre, dans ce pays, la dernière tranche de l'impôt sur le revenu est à 50 %.

M. Jean Arthuis, président. - Aux Pays-Bas, il s'agit d'une imposition forfaitaire calculée sur ce que devrait être le revenu du patrimoine !

Mme Nicole Bricq. - L'ISF a l'immense intérêt d'être évolutif. Si vous aviez voulu une vraie réforme, vous vous seriez intéressé à l'assiette de l'ISF.

M. Jean Arthuis, président. - Les oeuvres d'art, par exemple...

Mme Nicole Bricq. - Pas seulement ! Il y a aussi l'outil professionnel. Ne faudrait-il pas regarder du côté des actionnaires non actifs ?

M. Jean Arthuis, président. - C'est le pacte Dutreil !

Mme Nicole Bricq. - Nous y reviendrons lors du débat fiscal.

M. Joël Bourdin. - J'adhère à la logique de cette réforme : 300 000 ménages sortent du périmètre de l'ISF, ce n'est pas rien. Il faut en outre ajouter à ce chiffre ceux qui allaient entrer dans le périmètre et qui craignaient de devoir payer l'ISF et ceux qui, à cause de l'immobilier, risquaient d'y entrer. Cela fait pas mal de monde. Ce dispositif est donc juste.

J'en viens à l'exonération de taxe afférente au foncier bâti que vous prévoyez en fonction des revenus. Vous mélangez là fiscalité nationale et fiscalité locale. Je croyais qu'on était sorti de cette confusion et que les systèmes étaient désormais simples avec des assiettes pour les impôts locaux et des assiettes pour les impôts nationaux. Avec ce dispositif, vous allez satisfaire des contribuables, mais au détriment des finances des collectivités locales, car je n'imagine pas que vous prévoyiez des compensations pour ces dernières. Je souhaite connaître le sort de cette exonération car je comprendrais mal que l'on prive les collectivités de 7 millions d'euros à partir de l'année prochaine. En outre, le gouvernement de M. Bérégovoy s'était essayé à cette réforme, sous la forme d'un plafonnement, mais il avait dû battre en retraite très vite, car elle s'était révélée difficilement applicable.

Je ne comprends pas bien le fonctionnement des trusts, mais je voudrais savoir si la disposition relative aux biens compris dans les trusts est réellement applicable. Comment appliquer le principe de traçabilité ?

M. Roland du Luart. - Je n'ai pas la même analyse que Mme Bricq.

Mme Nicole Bricq. - Voilà qui est étonnant !

M. Roland du Luart. - Comme l'ont dit plusieurs grands hommes politiques, l'ISF est un impôt imbécile et je vous remercie d'avoir le courage de le réformer, monsieur le ministre. Mieux aurait valu le faire en 2007 plutôt qu'aussi tardivement. Le nouveau barème que vous mettez en place n'est pas spoliateur par rapport au rendement d'un placement de l'argent. En revanche, il faut en finir avec l'instabilité fiscale qui pénalise notre pays. Nous perdons de la crédibilité et nuisons à la confiance des investisseurs, ce que je déplore. Ne serait-il pas judicieux d'inscrire cette réforme dans le marbre de la Constitution, comme l'ont fait les Allemands ?

A cet égard, le Premier président de la Cour des comptes est venu nous remettre un rapport sur les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les ménages : page 305, il fait état de la suppression de l'ISF dans les autres pays européens. Je croyais que M. Migaud était crédible, mais Mme Bricq et M. Marc semblent penser le contraire.

Par ailleurs, en tant que rapporteur spécial des crédits de la justice, je me félicite de la mesure qui va permettre d'abonder les crédits destinés à l'aide juridictionnelle. Je ne suis pourtant pas certain qu'elle suffira, compte tenu de la récente réforme de la garde à vue. Les cours d'appel de métropole et d'outre-mer estiment déjà qu'elles ne pourront plus payer les frais de justice fin septembre : je souhaite donc attirer solennellement votre attention sur ce problème.

M. Albéric de Montgolfier. - J'adhère à cette réforme car l'augmentation des prix de l'immobilier avait des effets pervers sur l'ISF. De plus, l'abaissement des taux de l'impôt est une réponse adéquate du fait des taux des placements mobiliers.

Il y aura un sursis de paiement de l'exit tax lorsque le contribuable transfèrera son domicile dans un pays de l'Union qui est partie d'une convention fiscale. Peut-on voter cette réforme sans revoir les conventions fiscales qui nous lient ?

La mesure ISF-PME est maintenue, mais demeure-t-elle attractive ? Quel sera le coût fiscal du nouveau barème de l'ISF, qui va réduire le nombre de contribuables ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les mesures proposées me semblent équilibrées : la suppression du bouclier fiscal était indispensable, les exonérations des petites et moyennes successions ne devaient pas être remises en cause et les contribuables ne pouvaient pas continuer à être taxés en raison de l'augmentation des prix de l'immobilier. Dans le bassin d'Arcachon, nous sommes, nous aussi, concernés par ce phénomène.

Comme l'a dit M. Bourdin, les collectivités locales vont être privées d'une part de leur taxe foncière : on confond valeur locative et valeur intrinsèque des biens. Or, nous savons bien que les valeurs locatives varient beaucoup d'une ville à une autre : entre la valeur locative moyenne d'Arcachon et celle qui est pratiquée chez moi, à Gujan-Mestras, à douze kilomètres, l'écart est immense.

Parmi les ouvertures de crédits, ce collectif prévoit un dispositif d'indemnisation des dommages subis par les patients exposés au Mediator. C'est surprenant : dispose-t-on de tous les éléments relatifs aux responsabilités des uns et des autres qui permettent d'ores et déjà de prendre une telle décision ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - Sur l'ISF, le bon sens l'a emporté. J'ai toutefois quelques inquiétudes sur l'équilibre pour 2011 : dans le climat actuel de populisme, j'aurais fixé le seuil de l'exonération à un million d'euros, plutôt qu'à 1,3 million.

Vous révisez l'estimation des recettes de 500 millions que vous compensez par l'amélioration du solde des comptes spéciaux. Quel est le compte spécial concerné ?

Dans les rectifications de dépenses, tenez-vous compte du fait que l'inflation ayant dépassé 2 %, nous allons devoir acquitter une contribution supplémentaire pour les obligations assimilables du Trésor (OAT) indexées ?

M. Philippe Dallier. - Ma question concerne les Rmistes et les petits retraités de l'ile de Ré dont on avait beaucoup parlé lors de l'instauration du bouclier fiscal. Vous prévoyez de maintenir un dispositif en faveur des plus modestes pour un montant de 7 millions d'euros. N'aurait-on pas pu conserver l'ancien dispositif pour ces contribuables ? Y avait-il eu des abus de droits ?

M. Serge Dassault. - J'aurais préféré que l'ISF soit complètement supprimé, mais je me satisfais de cette réforme.

Y aura-t-il d'autres collectifs en cours d'année ?

En début d'exposé, vous avez parlé d'emplois, de formation en alternance et d'emplois aidés. Allez-vous augmenter les crédits qui leur sont consacrés ?

Avez-vous des informations sur le déficit prévisionnel total pour 2011 ?

M. Jean Arthuis, président. - Nous allons recevoir des informations nous permettant d'expertiser les prévisions de recettes qui viennent gager cette réforme en 2011. J'observe cependant que les 300 millions d'euros de recettes provenant de la lutte contre l'évasion fiscale internationale étaient déjà acquis : il ne s'agit donc pas d'un gage idéal. De mon point de vue, il manque donc 300 millions d'euros. Pour trouver cette somme, verriez-vous un inconvénient majeur à ce que puisse être ajoutée une tranche additionnelle à l'impôt sur le revenu ?

M. François Baroin. - M. Marc m'a interrogé sur l'allongement de la durée des donations, qui passe de six à dix ans. Lorsqu'on fait une donation, il est très difficile d'anticiper sur la date de son décès... La loi Tepa a permis de passer de 50 000 à 150 000 euros. Comme le dispositif a été indexé, le seuil est désormais proche de 160 000 euros.

Mme Nicole Bricq. - Vous aggravez votre cas !

M. François Baroin. - La fortune moyenne des Français s'établit à près de 130 000 euros : en une fois, la plupart des donations permettent donc de supprimer les droits de succession. Cela nous permet de dire que l'on a effacé 97 % des droits de succession. Je comprends que ceux qui ont entrepris une donation s'interrogent devant l'allongement de la durée : si un parlementaire me propose une mesure permettant de conserver les six ans tout en assurant la compensation fiscale à l'euro près, je serai ouvert au débat.

Les sénateurs socialistes ont une vision très partiale du « modèle hollandais » : il ne s'agit pas d'un impôt sur la fortune. Le modèle est notionnel : le patrimoine produit un revenu forfaitaire de 4 % sur lequel s'applique la taxe, et tout le monde est concerné. Il ne s'agit donc pas d'un impôt stigmatisant les patrimoines élevés. D'ailleurs, le bouclier, qui n'est que l'enfant du plafonnement Rocard, a été mis en place pour corriger l'ISF. Supprimant le bouclier, il était normal de corriger l'ISF.

A André Ferrand, je précise que ne sont dans le champ de la taxation sur les résidences secondaires et non-résidents que les personnes qui sont parties depuis plus de six ans. Ensuite, cette taxe équivaut à la taxe foncière, dont le montant est raisonnable. Il n'est pas illogique de demander à ceux qui bénéficient des services publics sans les financer d'apporter une contribution.

Vous savez par ailleurs que l'article 164 C du code général des impôts n'est jamais appliqué : il s'agit d'un dispositif selon lequel un non-résident qui détient un immeuble en France est imposable à l'impôt sur le revenu sur trois fois la valeur locative de l'immeuble.

M. André Ferrand. - Cela existe à Hong Kong !

M. François Baroin. - Je parle du 164 C chez nous ! Les expatriés pour raison professionnelle ne seront pas non plus concernés. Avec la taxe foncière sur les résidences secondaires, nous ciblons les exilés fiscaux ou les grands investisseurs qui ne déclarent aucune assiette fiscale dans notre pays malgré les conventions qui nous lient avec leur État d'origine et qui bénéficient, en France, d'un dispositif de santé publique très accueillant.

M. André Ferrand. - Il faudra l'expliquer clairement.

M. François Baroin. - Les documents sont très explicites. Peut être faudra-t-il attendre la fin du débat parlementaire avant d'informer plus avant nos compatriotes installés à l'étranger, mais vous pouvez d'ores et déjà les rassurer.

Madame Bricq m'a interrogé sur l'assiette de l'ISF. En ce qui concerne l'assouplissement du pacte Dutreil, nous souhaitons avant tout protéger les entreprises familiales. Un débat sur l'augmentation de l'abattement pourra avoir lieu. Nous voulons protéger le pacte d'actionnaires, lorsqu'un actionnaire se retire, afin de protéger le pacte et de ne pas créer d'obligations supplémentaires.

Le Parlement a diminué le taux d'abattement de l'ISF-PME de 75 % à 50 % dans le cadre de la dernière loi de finances. Nous aurions pu aligner l'ISF-PME sur le dispositif « Madelin » qui est applicable sur l'impôt sur le revenu : si nous étions passés de 50 % à 22 %, nous aurions augmenté le plafond pour permettre d'assurer le financement des PME. A propos du schéma finalement retenu, je vous fais observer que les 300 000 personnes qui sortent de l'ISF étaient les plus petits investisseurs. A l'inverse, ceux qui resteront assujettis à l'ISF après la réforme sont ceux-là mêmes qui finançaient déjà l'ISF-PME.

Nous voulons que les gens qui ont de l'argent restent en France mais contribuent, un peu plus que les autres, aux politiques publiques. Nous voulons également éviter toute injustice entre les entrepreneurs qui ont créé de la richesse et des emplois et qui ont choisi de rester en France au moment de la transmission et ceux qui, après un petit « tourisme fiscal » à Bruxelles, poursuivent leur activité en France sans avoir payé de plus-values de cession. L'exit tax est morale vis-à-vis de ceux qui ont choisi de rester en France.

Mme Nicole Bricq. - La loi Dutreil a été faite pour favoriser les transmissions d'entreprise. Or, l'obstacle principal demeure, notamment dans les entreprises familiales : les petites PME ont du mal à devenir de grosses PME. L'objectif n'a donc pas été atteint.

M. François Baroin. - Nous recherchons la même chose, madame Bricq : les dispositifs prévus pour préserver l'ISF-PME, pour augmenter le taux d'abattement et pour protéger le pacte d'actionnaires poursuivent un objectif identique au vôtre : la préservation du tissu des entreprises familiales.

Monsieur Bourdin, nous avons souhaité qu'il n'y ait pas de perdants avec cette réforme et c'est pourquoi nous avons lissé les effets de seuil. Par la suppression du bouclier et l'effacement de la première tranche d'ISF, à peu près la moitié des bénéficiaires du bouclier se retrouvaient perdants. Or il s'agissait de ménages défavorisés dont la plupart vivent à La Réunion, notamment à Saint-Denis. L'État prendra donc à sa charge la compensation prévue.

Pour les trusts, soit le patrimoine est déclaré à l'ISF par le constituant ou le bénéficiaire, soit le trust est taxé : il fallait sortir de l'ambiguïté actuelle.

Merci, monsieur du Luart, de soutenir ce projet de loi. S'agissant de la réforme de la garde à vue, le coût est estimé à 100 millions d'euros en année pleine. Nous pourrons répondre cette année à la montée en charge du nouveau dispositif.

M. de Montgolfier m'a interrogé sur l'exit tax : il n'est pas nécessaire de modifier les conventions fiscales pour la mettre en oeuvre.

Pour l'ISF-PME, le coût après réforme est évalué à 450 millions.

Le ministre de la santé défendra le dispositif Mediator qui se trouve dans ce véhicule législatif. J'ai entendu vos réserves mais Xavier Bertrand s'est expliqué cette après-midi.

Monsieur Fourcade, l'État va recevoir le remboursement de 2 milliards d'euros de prêts. Si l'on défalque le 1,5 milliard d'euros des prêts à la Grèce, les comptes spéciaux vont s'améliorer de 500 millions.

J'ai répondu aux questions de Mme Des Esgaulx sur le dégrèvement et sur le Mediator.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Vous n'avez rien dit sur les OAT indexés sur l'inflation.

M. François Baroin. - Nous n'avons pas prévu, à ce stade, un financement supplémentaire. Je saisis l'occasion pour répondre au rapporteur général qui m'a interrogé sur les déficits : le communiqué de mon ministère est clair. Nous avons le décaissement des prêts de soutien à la Grèce mais tous les autres indicateurs vont dans la bonne direction : nous serons en-dessous du niveau de déficit prévu pour 2011. Nous sommes à 5,7 % du PIB et si nous pouvons faire mieux, nous le ferons.

Nous aurons 350 millions d'euros supplémentaires pour l'emploi et l'alternance, monsieur Dassault. Je vous confirme que la prévision du déficit reste inchangée.

M. Dallier a cité l'ile de Ré. En réalité, il s'agit surtout de l'île Bourbon, devenue île de la Réunion...

Enfin, en réponse à votre question, monsieur Arthuis, je vous confirme que le Gouvernement ne souhaite ni créer une tranche supplémentaire, ni toucher au barème actuel de l'impôt sur le revenu d'ici la fin de la législature. En revanche, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, une taxation spécifique sur les très hauts salaires pourrait être évoquée afin d'aller vers plus de justice et de moralité dans la répartition de la richesse.

M. Jean Arthuis, président. - Ces nouvelles dispositions contribueront sans doute à la simplification et à la lisibilité de notre fiscalité...

Je remercie M. Baroin d'avoir répondu à nos questions.