Mercredi 4 juillet 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Groupe de travail sur les incapacités industrielles souveraines - Examen du rapport d'information

M. Jean-Louis Carrère, président - Je remercie les co-présidents et les membres du groupe de travail pour ce rapport très complet.

M. Yves Pozzo di Borgo - Ce rapport est le premier d'une série de six rapports de notre commission destinés à préparer le Sénat à participer aux travaux de la commission du Livre blanc. Il est le fruit des réflexions d'un groupe de travail composé de Jacques Gautier, Alain Gournac, Gérard Larcher, Rachel Mazuir, Jean-Claude Peyronnet et Gilbert Roger. Il a été co-présidé par mon collègue Daniel Reiner et moi-même.

Il porte, je cite sur « les capacités industrielles souveraines », ce qui n'est pas un sujet facile puisque, en dehors de quelques références journalistiques, ce concept n'a pas de définition officielle. Il est la contraction d'une expression complexe figurant dans le Livre blanc : « La France conservera la maîtrise nationale des technologies et des capacités de concevoir, fabriquer et soutenir les équipements nécessaires aux domaines de souveraineté pour lesquels elle estime ne pas pouvoir envisager un partage ou une mutualisation compte tenu de ses choix politiques ».

La volonté de maîtriser sur une base nationale les technologies et les capacités industrielles pour les armes nécessaires aux domaines de souveraineté constitue le « premier cercle » de la stratégie d'acquisition des équipements militaires esquissée dans le Livre blanc. Ce premier cercle ne peut se comprendre que par rapport aux deux autres, à savoir : pour la majorité des acquisitions, une stratégie qui va dans le sens d'une interdépendance européenne ; et pour tous les cas où la sécurité d'approvisionnement n'est pas directement en jeu, le marché mondial.

Rappelons encore que cette nécessité d'organiser la stratégie d'acquisition d'armement de la France en trois niveaux part du constat posé par le Livre blanc de 2008 : « qu'aucune nation en Europe, pas même la nôtre, n'a plus la capacité d'assumer seule le poids d'une industrie de défense répondant à l'ensemble des besoins de ses forces ». C'est dire que l'importance des « capacités industrielles souveraines » tient avant toute chose à la nécessité de concentrer ses moyens budgétaires sur les équipements militaires ressortissant aux domaines les plus importants : les domaines de souveraineté.

Quels sont ces domaines ? Quelles sont ces capacités ? C'est toute la difficulté du sujet. Si l'intérêt de définir les CIS ne fait aucun doute, et qu'une fois définies, on peut facilement envisager des outils pour les financer et pour les protéger, le plus difficile est bien de s'accorder sur une définition claire et précise.

Nous avons donc envisagé de traiter ce sujet en cinq points :

1. La définition des capacités industrielles souveraines

2. Les enjeux d'une telle définition

3. La procédure actuelle de définition

4. Les outils de financement et de financement.

5. Quelques interrogations et pistes de réflexions.

En accord avec mon collègue Daniel Reiner, je vais vous exposer les quatre premiers points et il vous exposera le dernier, qui contient l'essentiel de nos propositions.

Commençons donc par la définition. Elle est difficile à donner puisque, on l'a vu, le Livre blanc ne mentionne pas ce terme et que, lorsqu'on interroge les grands commandeurs, aucun n'est capable d'en donner une définition précise.

Le délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon, définit une capacité industrielle, comme étant : « un ensemble cohérent qui réunit des infrastructures, des moyens matériels, et surtout des équipes de personnels maîtrisant des technologies de pointe et des savoir-faire industriels parfois uniques. ».

Le secrétaire général de la défense nationale, M. Francis Delon, a, lui, défini les capacités industrielles souveraines par la négative, comme étant « les compétences et les moyens de production dont le défaut placerait la France en situation de dépendance technologique ». Puis il s'est efforcé d'en cerner les contours par un faisceau d'indices : les technologies, la sécurité d'approvisionnement, l'effet de levier, l'existence de contrats avec le ministère de la défense...

Le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, a, lui, préféré parler des « capacités opérationnelles », c'est-à-dire des capacités des armées à remplir les contrats opérationnels qui leur sont assignés.

Enfin, le directeur pour les affaires stratégiques, M. Michel Miraillet, a donné la définition suivante : « On entend par capacités souveraines les capacités concourant directement, aujourd'hui et pour l'avenir, à la préservation de notre souveraineté nationale. ». Ce qui est très proche de la notion du Livre blanc « technologies et d'équipements nécessaires aux domaines de souveraineté » mais ne nous renseigne toujours pas de façon précise sur ce que sont ces capacités.

En réalité, il faut repartir des concepts. La souveraineté est un concept juridique. C'est la capacité de l'État de n'être contraint, en droit, que par sa propre volonté, c'est-à-dire par les engagements auxquels il aurait librement souscrits. Un Etat est souverain ou il ne l'est pas. Il ne peut pas être « un peu » souverain ou souverain dans tel domaine et pas dans tel autre comme on l'entend souvent.

L'indépendance est un concept de fait susceptible de revêtir de multiples formes. Pour l'apprécier il est nécessaire de prendre en considération de nombreux sujets tels que les ressources alimentaires, les capacités d'approvisionnement, le contrôle de l'eau, la protection des populations, la santé, les réseaux de communication, la fragilité de ses systèmes de paiement, la valeur de la monnaie, le financement de la dette, l'efficacité de ses capacités industrielles, voire l'enseignement et l'influence de sa langue et de sa culture...

S'il est donc impropre de parler d'armes souveraines, il existe, en revanche, des armes concourant de façon déterminante -on pourrait dire critique ou décisive- à l'indépendance nationale et, par glissement sémantique, à la souveraineté. Il existe donc des capacités industrielles elles-aussi critiques pour la conception, le fonctionnement et le soutien de ces armes, capacités qu'il convient de protéger et de développer.

Ce que l'on appelle « capacités industrielles souveraines » sont en réalité les capacités à concevoir, développer et maintenir des technologies et équipements militaires concourant de façon critique à l'indépendance nationale. Au terme de « capacités industrielles souveraines », il convient donc de préférer celui de « capacités industrielles et technologies militaires critiques ». Pour être complet, il faudrait ajouter à ces capacités et technologies, les matériaux critiques, c'est-à-dire ceux qui entrent ou permettent la fabrication des armes. Il faudrait également préciser que le terme de capacités englobe les ressources humaines. Cela donnerait alors un acronyme très long que nous résumerons par celui de « capacités industrielles militaires critiques » ou CIMC.

Pour cerner ces CIMC, encore faut-il savoir ce que sont les armes critiques. Dans le domaine militaire, la notion de criticité ne prend son sens et sa mesure que par rapport à l'indépendance, ce que le Livre blanc appelle « l'autonomie stratégique ». Une arme critique est une arme susceptible de jouer un rôle déterminant dans l'affirmation de l'indépendance militaire d'un État souverain. Cette indépendance peut être appréhendée dans ses trois composantes, rappelées par le chef d'état-major des armées, que sont l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action, domaines sur lesquels on peut élaborer et préciser les différents systèmes de force.

Pour autant, cela ne suffit pas à épuiser la définition CIMC. Les satellites d'observation, par exemple, contribuent sans aucun doute à l'autonomie d'appréciation. Pourtant le Livre blanc recommande de les produire en coopération européenne ! Où est la souveraineté ? En sens inverse, il n'y a pas de doute sur le fait que les forces de dissuasion fassent partie des CIMC. Mais si la France sortait du nucléaire, que se passerait-il ? Cesserions-nous d'être souverains ? L'Allemagne n'est-elle pas souveraine sans armes nucléaires ?

Le concept de CIMC revêt donc des contenus différents dans différents pays, à différentes époques. La métallurgie à l'âge du bronze aurait certainement été classée dans les capacités critiques. Nos ancêtres n'utilisaient pas des termes compliqués. Mais tous comprenaient intuitivement l'importance de certains savoir-faire dont la possession jouait un rôle déterminant dans l'art de la guerre.

Ceci montre bien le caractère contingent des CIMC et le rapport étroit qu'elles entretiennent avec la physionomie de l'outil de défense.

Comme l'affirmait le Livre blanc, c'est l'analyse stratégique -et en particulier la stratégie d'acquisition- qui va permettre de « déduire » des « objectifs stratégiques » les « priorités technologiques et industrielles ». Il y a donc un chemin de questionnement. Ce n'est qu'après avoir répondu à la question : « quelles sont les ambitions de défense raisonnables ? » et donc : « quels sont les outils militaires nécessaires pour les atteindre ? » que l'on peut répondre à la question : « quelles sont les capacités industrielles dont il faut garder la maîtrise au niveau national ? ».

Nous nous sommes efforcés de donner une description synthétique de la démarche stratégique au travers du modèle ci-après, qui n'est bien évidemment qu'une simplification de la réalité, nécessitant des explications complémentaires qui figureront dans le rapport écrit. Je vais m'efforcer d'être le plus rapide possible, mais ce schéma est au coeur de notre réflexion. Je précise qu'il a été validé par l'état-major des armées ainsi que par la DGA.

Il y a donc deux boucles de réflexion : celle spécifique à l'analyse stratégique ou boucle stratégique et celle plus spécifique aux décisions concrètes de la politique de défense : la boucle politique.

La boucle stratégique -ou analyse stratégique- est un processus itératif consistant à confronter, d'une part, l'état du monde tel qu'on le perçoit, avec les menaces, les risques et les opportunités, réelles ou supposées, qu'on en déduit, et d'autre part, ses propres ambitions de défense, terme qui résume bien la projection d'une volonté, volonté qui doit prendre en compte les moyens et ressources disponibles afin d'accoucher d'un modèle d'armée.

La vision de l'environnement global s'appelle la « prospective géostratégique ». Elle a pour ambition de décrire l'ensemble des situations auxquelles notre pays peut avoir à faire face. C'est le point de départ de toute analyse stratégique. Son objet est de décrire l'environnement national et international avec précision. L'horizon prospectif ne peut excéder les quinze ans, durée au-delà de laquelle, il paraît difficile d'anticiper les prochaines crises.

Une fois l'environnement global décrit, il faut en extraire un panorama des menaces, des risques et des opportunités. C'est le rôle de la prospective opérationnelle ou vision des conflits futurs. On observera, au passage, le peu d'attention porté en France à l'identification des opportunités. La prospective opérationnelle approfondit la dimension spécifiquement militaire de la prospective géostratégique, dans le prolongement de laquelle elle s'inscrit. Elle a pour ambition de décrire les conflits futurs, les acteurs qui en seront les causes, mais aussi les formes que ces conflits prendront. La prospective opérationnelle sert aussi à décrire la façon dont seront conduites les opérations militaires.

Une fois les menaces décrites, l'Etat doit définir ses ambitions de défense. Elles peuvent être exprimées en fonction des menaces identifiées, par exemple dans le cas de l'analyse stratégique américaine :

- « les extrémistes violents continueront de menacer les intérêts des Etats-Unis, de nos alliés, de nos partenaires et la sécurité intérieure » (prospective opérationnelle) ;

- « afin de contrer ces extrémistes les Etats-Unis continueront d'avoir une attitude proactive en contrôlant les territoires sans gouvernement et en frappant les groupes et les individus les plus dangereux » (ambition de défense).

Mais elles peuvent également être exprimées en termes de fonctions stratégiques, comme dans le cas français :

- « renforcer la fonction connaissance et anticipation ;

- « remettre au goût du jour la fonction de protection de la population ;

- « concentrer les moyens de prévention sur l'arc de crise ;

- « maintenir et moderniser les forces de la dissuasion nucléaire».

Ces deux façons d'exprimer des ambitions de défense ne sont du reste pas exclusives l'une de l'autre.

Enfin, l'Etat doit réaliser une analyse des moyens et des fins. Il s'agit de répondre au questionnement suivant :

- voilà ce que sont nos ambitions de défense ;

- voilà ce qu'il faudrait comme outil de défense pour répondre à ces ambitions ;

- voilà l'outil dont nous disposons aujourd'hui ;

- voilà ce qu'il faudrait changer pour se mettre à niveau ;

- voilà ce que ces modifications coûteraient ;

- et voilà ce que nous pouvons nous permettre.

A partir de là, et si l'on veut rester cohérent, il faut mettre en harmonie nos ambitions et nos moyens, c'est-à-dire réviser à la baisse les ambitions de défense ou bien à la hausse les ressources nécessaires à l'acquisition des moyens supplémentaires. L'analyse stratégique doit donc aboutir à la définition des grandes lignes de l'outil de défense, mais aussi de l'effort financier qui doit l'accompagner pendant toute la durée de sa mise en place.

La boucle « politique de défense » : je ne vais pas la décrire de façon précise ici puisque nous le faisons dans notre rapport écrit et puis parce d'autres groupes de travail ont approfondi ou approfondiront cette question. Mais je dirai simplement qu'il s'agit de traduire les orientations stratégiques issues de l'analyse, en décisions concrètes qui tiennent compte de la structure de l'appareil militaire et de la manière dont celui-ci opère sur le terrain avec ses hommes, ses doctrines, ses matériels, sa disponibilité opérationnelle. Cela va conduire un format, des armées, une stratégie d'alliance, une stratégie d'acquisition et enfin une stratégie de recherches.

Passons maintenant -c'est notre deuxième chapitre- à l'intérêt du concept de capacités industrielles militaires critiques.

Le premier intérêt est de nous forcer à réfléchir à ce qui est vraiment important : non seulement aux matériaux, aux technologies et aux équipements militaires critiques, et aux capacités industrielles qui permettent de les concevoir, de les produire et de les soutenir, mais aussi de voir comment tout cela s'articule avec les stratégies d'alliances et la stratégie d'acquisition nous permettant de doter nos forces des équipements dont elles ont besoin. Le second intérêt est de pouvoir concentrer les moyens dont nous disposons, en particulier financiers sur l'essentiel. C'est l'effet de levier. Enfin, le troisième intérêt est de protéger nos actifs. Cette protection doit intervenir sur toute la chaîne : recherche - conception - production - soutien - évolution. C'est l'effet de bouclier.

Cet intérêt est renouvelé par la crise financière et budgétaire. La France dispose encore d'atouts qu'il serait dommage de voir disparaître. C'est aujourd'hui encore un des rares pays d'Europe à maîtriser la quasi-totalité des savoir-faire technologiques et industriels nécessaires à la satisfaction de ses besoins militaires, ce qui lui confère des atouts indéniables. Or ce statut enviable est menacé par le coût des investissements à consentir pour conserver notre rang sur l'ensemble des domaines critiques identifiés.

Troisième chapitre de notre réflexion : la procédure de définition des CIS. Tout d'abord, plusieurs organismes orientent les recherches susceptibles de déboucher sur la découverte de technologies clés. Je mentionnerai, entre autres, l'Académie des sciences, l'Académie des technologies, le Conseil scientifique de la défense, le Conseil d'analyse stratégique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le Conseil économique de la défense. Il y a aussi le « High Level Expert Group » de la Commission européenne, lancé à l'initiative du Commissaire européen Michel Barnier, que nous sommes allés rencontrer à Bruxelles. Ce groupe vient d'éditer un rapport sur les « key enabling technologies » dont nous avons eu copie. Et enfin, l'AED -l'Agence européenne de défense- qui joue également un rôle dans l'orientation des technologies clés. Tous ces organismes influent de manière plus ou moins importante dans l'orientation des recherches. Mais soyons clairs : pour ce qui est de la détermination des technologies et capacités industrielles militaires critiques en France, le rôle central et quasi exclusif est joué par la DGA. Celle-ci assume et revendique la responsabilité et l'expertise de définir une liste de capacités industrielles, en fonction de critères technico-opérationnels, c'est-à-dire sur l'évaluation de la menace probable et des technologies matures et disponibles pour y faire face. Le rôle de la DGA et les documents qu'elle produit sont présentés en annexe du rapport. La plupart de ces documents sont classifiés et ne sont communiqués qu'avec parcimonie aux industriels. Pour mémoire, il s'agit de :

PP 30 (plan prospectif à trente ans) qui définit les technologies et aptitudes à maîtriser dans les cinq systèmes de force ;

POS (plan d'orientation stratégique) qui identifie les axes de recherche fondamentale à promouvoir pour faire émerger les technologies nouvelles nécessaires à nos futurs systèmes de défense ;

PS R&T (plan stratégique de recherche et technologie) qui constitue un cadrage global de l'action de la DGA destinée à anticiper et à maîtriser l'évolution des technologies nécessaires et utilisables dans les futurs systèmes de défense et de sécurité ;

- PTS (politique technique sectorielle). Ce document existe pour chaque pôle technique de la DGA.

Notons au passage et c'est très important que la DGA part de l'arborescence des technologies dans les différents secteurs pour remonter vers les équipements militaires, ce qui est caractéristique d'une stratégie industrielle, destinée d'abord à s'assurer du maintien des compétences et des capacités sur le territoire national.

Quatrième et dernier chapitre, pour ce qui me concerne le financement et la protection des capacités industrielles militaires critiques. J'irai assez vite, car ce n'est pas l'essentiel de notre réflexion dans le cadre de la préparation du Livre blanc.

Pour ce qui est du financement, la source quasi exclusive de financement des capacités industrielles militaires critiques provient des crédits budgétaires du programme 144 de la mission défense. Pour l'essentiel, ces crédits sont pilotés par la direction générale de l'armement (DGA) et, accessoirement, par la DAS. La dotation couvre essentiellement des crédits d'études amont qui s'élèvent à 732,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 633 millions d'euros en crédits de paiement et des subventions à divers organismes de recherche (ONERA, Institut franco-allemand de Saint-Louis) et aux écoles d'ingénieurs de la DGA (Ecole Polytechnique, École nationale supérieure de techniques avancées, École nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement et Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace). Ces subventions ont été 325 millions d'euros en 2012.

La seconde source de financement est le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui rassemble quatorze administrations de l'Etat. C'est encore aujourd'hui une structure de soutien et d'intervention gouvernementale au bénéfice des grandes entreprises (plus de quatre cent salariés) en difficulté.

Enfin, le fonds stratégique d'investissement est intervenu en 2008, pour aider les entreprises françaises à trouver des investisseurs stables pour financer leurs projets de développement. Il est souvent présenté comme un fonds souverain et se définit lui-même comme un « investisseur avisé, soucieux de l'intérêt général. Il pourrait jouer un rôle important dans le financement des CIMC, mais le fait est que, pour des raisons obscures, le FSI n'intervient pas dans l'investissement d'entreprises de défense.

Voyons enfin les outils de protection. J'irai très vite. Il y a en premier lieu, le régime des acquisitions des équipements de défense. L'une des premières mesures de protection des CIMC est de permettre à l'État de choisir des producteurs nationaux, quand bien même ces producteurs produiraient des équipements plus onéreux et moins performants que leurs compétiteurs internationaux. Cette possibilité d'écarter le code des marchés publics a été réduite par la directive sur les marchés publics de défense, que nous avons transposée en droit français l'an dernier. Il y a ensuite le contrôle des exportations des biens d'équipement et de technologies militaires. Il faut également mentionner le contrôle des investissements étrangers en France. Les CIMC font évidemment l'objet de mesures spécifiques d'application du secret-défense et des ses déclinaisons. Les personnels et les installations sont également classifiés et l'objet d'une surveillance particulière de la part de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense.

M. Daniel Reiner - Il m'appartient donc de vous présenter le dernier point de notre réflexion : les interrogations et pistes de réflexions.

Venons en tout de suite aux interrogations, directement liées à ces capacités industrielles militaires critiques.

Première question : est-ce que le rôle prééminent donné à la DGA dans la détermination des CIMC ne contribue-t-il pas à surpondérer la stratégie industrielle ?

Comme on l'a vu, la DGA joue un rôle prépondérant et quasi exclusif dans la détermination des orientations d'acquisitions des équipements. Or, ces orientations ont, dans la plupart des cas, pour finalité, de maintenir ou développer les capacités industrielles de notre pays ou de permettre l'éclosion de nouvelles technologies. L'action de la DGA peut s'enorgueillir de beaux succès. Elle a permis à notre pays de disposer d'un outil industriel de défense puissant, cohérent, compétitif et dont les produits sont technologiquement au meilleur niveau mondial. Il ne saurait donc être question de reprocher à la DGA de bien remplir la mission qui lui a été confiée.

Le problème vient de la faiblesse des autres acteurs dont le poids dans le processus décisionnel ne semble pas permettre de porter un regard différent, en particulier du point de vue opérationnel, sur les acquisitions d'équipements. Ce primat donné aux préoccupations de politique industrielle a des inconvénients et vos rapporteurs ont pu, par le passé, constater quelques ratés, heureusement rares, d'une politique qui peut, dans certains cas, conduire à priver les forces armées des outils dont elles ont besoin, comme ce fut le cas pour les véhicules haute mobilité, dont l'absence a fait défaut en Afghanistan.

Deuxième question : est-ce que l'absence de stratégie d'acquisition ne contribue-t-elle pas à sous pondérer les besoins opérationnels des armées ? Dans un chapitre intitulé « un nouveau partenariat entre l'industrie de défense et l'Etat » le Livre blanc préconisait que : « l'État doit être capable de faire connaître ses stratégies d'acquisition à long terme, permettant aux entreprises de se consolider et de se positionner sur le marché mondial. ». Or ces stratégies d'acquisition n'ont jamais été élaborées, alors qu'elles seraient fort utiles pour fixer un cap à l'action de l'Etat dans le long terme. Le propre d'une stratégie d'acquisition est en effet de privilégier le point de vue du client final, en l'occurrence les forces armées. Un tel regard nous semble aujourd'hui être insuffisant.

Enfin, troisième question : est-ce que l'absence d'instance d'arbitrage entre les besoins opérationnels et les préoccupations industrielles n'est-elle pas un manque ?

L'absence d'une instance d'arbitrage génère, sans doute à tort, un sentiment d'opacité, d'absence de collégialité et d'absence de stratégie tout court. Vos rapporteurs ont le sentiment que nombre de décisions récentes en matière d'équipements ont été prises à la va-vite, pour en finir avec des atermoiements qui n'auraient que trop duré. Or l'existence de conflits possibles entre stratégie d'acquisition et stratégie industrielle de défense n'est ni nouvelle, ni propre à la France. Il faut simplement trouver les voies et moyens de permettre aux politiques d'arbitrer entre ces points de vue également respectables.

Venons en maintenant aux pistes de réflexion.

Première piste de réflexion : nous pensons que l'Etat gagnerait à simplifier ses outils d'analyse stratégique et à rendre sa démarche plus libre, plus cohérente et plus transparente.

Vos rapporteurs ont le sentiment que le grand nombre de documents, pour la plupart classifiés, nuit à la clarté de la démarche stratégique. Ils doutent que la diffusion et plus encore l'exploitation de ces documents au sein de l'appareil d'Etat et dans la communauté industrielle de défense soit optimale. Ils ne sont même pas certains que les décideurs étatiques accordent à ces documents l'importance qu'ils méritent et prennent leur décision dans l'instant sur des considérations d'humeur, de complicité ou d'inimitié, en tenant compte d'un historique industriel, voire en fonction de préoccupations de communication en accordant trop d'importance au « qu'en dira-t-on ? ».

Le champ et l'articulation de ces documents mériteraient d'être repensés. Il serait dans l'intérêt de l'Etat de rendre publique, de façon maîtrisée, une partie de ces documents, comme c'est le cas aux Etats-Unis avec les listes de technologies militaires critiques (military technologies critical list MTCL) ou en Grande-Bretagne avec la stratégie d'acquisition. Le PP30 mériterait peut-être d'être scindé en deux documents, car il est à la fois un outil de prospective opérationnelle, dans sa dimension scientifique et technologique, mais aussi un instrument de stratégie industrielle et de dialogue avec les entreprises. Bref, une mise à plat des outils d'analyse stratégique et une clarification du statut des différents documents semblent nécessaires. Elles pourraient être inspirées par les impératifs suivants :

- l'impératif de transparence : le fait, par exemple, que la prospective opérationnelle soit secrète rend toute appréciation de l'adéquation du format des armées aux menaces anticipées impossible et, partant, tout contrôle parlementaire illusoire ;

- l'impératif de permanence : la présence d'un document stratégique fixant les lignes directrices de la défense de l'Etat pour une période longue présente des avantages, en particulier celui de fonder les lois de programmation militaires dans le but de mettre les équipements de défense à l'abri des régulations budgétaires annuelles. Néanmoins, le monde change au quotidien et pas tous les quinze ans. L'analyse stratégique doit donc être permanente. Notre pays gagnerait à désacraliser l'exercice du Livre blanc en ayant des documents de long terme plus brefs et plus incisifs, en synchronie avec les lois de programmation et une analyse stratégique conduite sur des exercices plus rapprochés ;

- l'impératif de liberté : pour être pertinentes la prospective géostratégique et la prospective opérationnelle ne doivent pas être contraintes par la prise en compte des moyens ou la définition des ambitions. Elles doivent associer de façon harmonieuse des hommes de l'art, militaires, industriels, politiques, mais aussi et surtout des personnalités fortes capables d'envisager des scénarios inédits et de décrire des menaces improbables. La perversion de l'analyse serait de minorer certaines menaces, sachant qu'on ne pourra les parer pour des raisons budgétaires, ou d'en majorer d'autres, afin de justifier le maintien d'armements coûteux, mais désormais inutiles ;

- l'impératif de sincérité commande de ne pas se payer de mots, comme par exemple définir au coeur des objectifs de la politique « la préservation de l'indépendance » et, en même temps, définir « l'ambition européenne comme une priorité ». Le plus d'Europe se traduira par un moins d'indépendance. Ce qui ne veut pas dire moins de souveraineté. Il faut en être conscient et faire des choix en conséquence, ne pas plonger la tête dans le sable, comme des autruches ;

- l'impératif de cohérence consiste à adapter ses moyens à ses ambitions. Si la France veut vraiment mettre en oeuvre une politique d'indépendance nationale, cela a un coût important qu'il faudra assumer par des choix budgétaires volontaristes. L'impératif de cohérence commande également de ne pas procéder à la programmation financière, et encore moins aux arbitrages budgétaires -à la hausse comme à la baisse- sans avoir au préalable conduit une nouvelle analyse stratégique. Il serait inconséquent de s'interroger sur les programmes qu'il ne faut pas lancer ou sur ceux qu'il est possible de réduire sans avoir au préalable réexaminé nos ambitions de défense.

Toujours dans cette voie consistant à améliorer la démarche stratégique française, vos rapporteurs considèrent que la coordination entre les différentes étapes gagnerait à être mieux articulée. C'est le cas, en particulier, de la liaison entre la prospective géostratégique menée par la DAS et la prospective opérationnelle menée par l'EMA. Notre sentiment est qu'il n'est pas tenu suffisamment compte de la prospective géostratégique, dans l'exercice consistant à dresser la physionomie des menaces. Enfin, la notion de « menace » ne doit pas être l'angle unique de regard de la prospective opérationnelle. Celle-ci devrait considérer davantage les opportunités. Le fait, par exemple, que le monde se réarme doit-il être considéré comme une menace ou au contraire comme une opportunité de vente d'armes aux compétiteurs ?

Toujours dans le même ordre d'idées, il serait souhaitable de travailler davantage sur la boucle « définition des ambitions de défense - analyse des moyens ». C'est la partie la plus difficile de l'analyse stratégique. Mais aussi la plus nécessaire, car il ne servirait à rien de mener une prospective stratégique et opérationnelle élaborée, si in fine, tout est dicté par des considérations budgétaires ou de préservation de tel ou tel programme, de telle ou telle compétence, de telle ou telle entreprise industrielle. Autant dans ces conditions faire l'économie du Livre blanc et passer directement au vote du budget !

Par ailleurs, nous estimons qu'il serait souhaitable que l'Etat élabore et rende publique sa stratégie d'acquisition des équipements militaires. La stratégie des trois cercles part du constat que la France ne peut plus se payer tous les équipements militaires et qu'identifier les capacités et technologies les plus critiques pour notre indépendance, c'est se donner les moyens de concentrer nos ressources sur l'essentiel. Or l'essentiel n'est pas l'important. Dresser un inventaire à la Prévert de toutes les technologies importantes et de toutes les capacités industrielles à fort effet de levier ne ferait que nous conduire à disperser nos moyens sur des capacités dont l'utilité militaire ne nous est peut être pas indispensable. La stratégie d'acquisition doit prendre en compte les intérêts de l'Etat et de ses forces armées qui ne se confondent pas avec ceux de l'industrie de défense. Pour être comprise et partagée par tous au sein de l'appareil d'Etat cette stratégie d'acquisition doit être claire et transparente.

Deuxième piste de réflexion, l'Etat doit déduire les CIMC de son analyse stratégique et pas l'inverse. Si le nouveau Livre blanc dessinait un outil de défense très différent de l'outil actuel, il devrait donc en déduire les capacités industrielles associées. Aujourd'hui notre outil de défense est organisé pour remplir trois missions, définies dans la préface du Livre blanc : « relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales ; assurer l'indépendance de la France ; assurer la protection de tous les Français. »

Pour remplir ces missions, les forces armées doivent disposer des moyens leur permettant de garantir l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action des responsables politiques. Elles doivent donc avoir la capacité non seulement de protéger les Français, sur l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, mais aussi de se projeter, pour remplir nos obligations internationales. Ces fonctions stratégiques supposent que l'Etat soit particulièrement vigilant sur certaines capacités industrielles militaires que nous listons, pour l'exemple, dans notre rapport et dont je vous épargnerai l'énumération.

Troisième piste de réflexion : l'Etat doit poursuivre ses efforts pour la sécurisation des approvisionnements en matériaux critiques. Soyons juste, la situation s'est améliorée. Le 24 janvier 2011 a été créé par décret un comité pour les métaux stratégiques (COMES) placé auprès du ministre de l'industrie afin de garantir nos approvisionnements. Il faut poursuivre cet effort.

Quatrième piste, c'est l'action sur l'offre : l'Etat ne pas renoncer à faire baisser les coûts des équipements militaires. Cela ne s'obtiendra par un coût de baguette magique. Nous suggérons de considérer les actions suivantes :

- réexaminer les doctrines d'emploi : l'objectif est ici de concentrer nos moyens budgétaires sur les équipements critiques et acquérir des équipements moins gourmands en technologie pour le reste.

Poursuivre l'action sur les règles d'acquisition : en l'absence de clause de préférence communautaire, ces directives ne permettront pas l'émergence d'un marché européen de la défense. Elles faciliteront, en revanche, l'émergence d'un marché transatlantique des équipements de défense. Or sur ce marché, les équipementiers américains, parce qu'ils disposent d'un marché vaste et profond et d'une protection réglementaire que nos industriels n'ont pas, ont des avantages comparatifs considérables qui, à terme, pourraient se traduire par la disparition des compétiteurs européens. Une renégociation des directives européennes du paquet défense afin d'y incorporer une clause de préférence communautaire semble difficile et, pour tout dire, hors de portée. Cela tient, en particulier, à la position britannique et au positionnement commercial de BAé sur le marché américain. En revanche, la proposition d'une lettre d'intention en faveur d'une préférence communautaire avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols afin de créer un coeur industriel de défense européen, mériterait d'être tentée. Enfin, on peut se demander pourquoi l'Etat français renonce souvent de lui-même à faire des appels d'offre dans des secteurs tels que les drones, ce qui joue contre ses propres intérêts et se traduit par un renchérissement des équipements acquis.

Ne pas renoncer à des programmes en coopération : les grands programmes d'armement menés en coopération européenne ont donné des résultats mitigés. Néanmoins certains programmes européens ont été de grand succès. Surtout, sans coopération certains programmes n'auraient tout simplement pas existé. C'est le cas, en particulier, de l'avion de transport européen A400M, sur lequel nous vous présenterons dans quelques instants nos conclusions. Sans déflorer le sujet, je dirai que si ce programme a connu des difficultés, il est finalement en bonne voie d'achèvement et le produit final semble là aussi, très prometteur et bien moins cher (130 M€) que si les nations européennes avaient dû acheter des C17 américains (230 M€).

Malheureusement, plus aucun grand programme commun n'est envisagé en Europe. C'est fort dommage car, à condition d'être bien menés et peut être au prix de l'abandon du principe du juste retour, ces programmes permettent réduire le coût des équipements.

Est-il encore raisonnable de lancer sur une base nationale un nouveau programme de véhicule de transport de troupes terrestres (VBMR) ? Avons-nous vraiment tout tenté pour une coopération en matière d'armement naval ? Est-il possible qu'aucun autre pays européen ne soit intéressé en matière satellitaire ?

Ne pas placer trop d'espoirs dans le partage capacitaire : le partage capacitaire suppose, en effet, le moment venu, d'être assuré de pouvoir disposer des équipements. Cela suppose aussi que tout le monde ait quelque chose à partager, ce qui est de moins en moins le cas. Cette technique de partage des coûts peut donner de bons résultats dans les équipements éloignés du champ de bataille (transport aérien, matériel médical...). Mais peut-on envisager un partage des moyens de combat, comme par exemple les avions de combat ? Les Belges, les Hollandais, les Danois et les Norvégiens semblent vouloir s'y hasarder en raison d'une expérience commune découlant du partage d'un même équipement (le club F-16). Mais avec qui la France serait-elle prête à partager son aviation de combat ?

L'Etat doit repenser sa stratégie industrielle : l'industrie de défense française est un pôle d'excellence de l'industrie française. Il n'y aura pas de réindustrialisations de notre pays sans prise en compte de l'industrie de défense. Paradoxalement, en matière de défense, alors que la stratégie industrielle prend souvent l'avantage sur la stratégie d'acquisition, l'Etat actionnaire - au plus haut niveau de décision - semble avoir cruellement manqué de vision, en particulier dans les secteurs de l'armement naval, de l'armement terrestre et de l'électronique de défense. Il ne s'agit pas de remettre au goût du jour les nationalisations ni un quelconque « mécano industriel », hors de portée financière. Mais l'Etat ne peut se désintéresser de la façon dont les entreprises de défense s'organisent. Il ne peut abdiquer ses responsabilités d'actionnaire.

Or, tout le monde le sait, le marché des équipements de défense européen est trop fragmenté, avec un nombre trop important d'acteurs n'ayant pas la taille critique pour les investissements de R&D. Il est donc temps que l'Etat mette de l'ordre dans ses participations, puisque les règles du marché, en particulier la directive MPDS, ne joueront pas le rôle orthopédique que l'on en attendait, surtout si ceux-là même qui l'ont promue, en particulier notre pays, refusent d'y recourir.

Les dernières années ont été marquées par la montée en puissance du groupe Dassault comme groupe pivot de l'industrie de défense française, avec la prise de participation majoritaire au capital de Thales, puis, à travers celui-ci, dans DCNS et Nexter. L'idée avait même été évoquée un moment de la constitution d'un champion national, à l'instar du groupe britannique BAE.

Cette stratégie est critiquable à maints égards. D'abord parce qu'elle laisse l'Etat face à un monopoleur national et le condamne donc à acheter les produits de ce monopoleur au prix fort. Ensuite, parce que la constitution de monopole est injustifiable si elle se fait au profit d'intérêts privés. Enfin, parce qu'elle ne pourra jamais conduire à la constitution d'une « Europe de la défense » et handicapera les différents champions nationaux européens (BAE, Dassault, Finmeccanica), omnipuissants sur leur marché intérieurs, mais d'une taille insuffisante pour entrer en compétition avec leurs concurrents occidentaux.

Il serait donc préférable de favoriser la constitution de groupes européens. Les industries de défense européenne doivent avoir une taille critique suffisante pour concurrencer leurs compétiteurs sur les marchés mondiaux et offrir aux forces armées européennes des équipements performants mais moins chers. Pour repenser sa stratégie industrielle, l'Etat a besoin de moyens financiers, mais aussi et surtout, d'une vision claire et cohérente. Pour ce qui est de la vision, l'État doit repenser sa stratégie, non pas de façon isolée, mais de concert avec ses alliés. La raison pour laquelle toutes les tentatives de regroupement ont échoué au niveau des programmes, au niveau des règles ou au niveau capacitaire, ou au niveau des restructurations industrielles, c'est simplement parce qu'il n'y a pas eu d'accord préalable sur la vision stratégique d'ensemble, sur une grande stratégie pan européenne. Ce qui m'amène à notre cinquième et dernière piste de réflexion :

L'action sur la demande - promouvoir la défense de l'Europe

Tous les Etats européens bénéficient de la protection des Etats-Unis au travers de l'Alliance atlantique. Beaucoup en ont profité pour réduire leur outil de défense au-delà du raisonnable. Ils bénéficient aujourd'hui de cette sécurité, sans en payer le prix. Cette situation pourrait ne pas durer si les Etats-Unis, comme ils le laissent entendre, se lassaient pour de bon de payer pour les Européens. Il faut donc que, dans le respect de leurs alliances, les Européens se prennent en charge eux-mêmes.

Mais pas plus que la défense des Etats-Unis ne repose sur les seuls Etats de Floride et de Californie, la défense de l'Europe ne peut reposer exclusivement sur la France et le Royaume-Uni. La défense de l'Europe est aujourd'hui une nécessité parce que plus aucun Etat européen n'a les moyens d'assumer seul les coûts d'un outil de défense permettant de satisfaire les principales fonctions stratégiques. Il est donc nécessaire que chacun y contribue à la même hauteur, avec le même pourcentage d'effort. Cela aussi fait partie de la solidarité européenne et c'est quelque chose que nous pourrions rappeler à nos amis allemands qui nous donnent des leçons en matière de déficit. On ne pourra pas avancer, si les uns font un effort de 1 % du PIB et les autres un effort de 2 %.

Quoiqu'il en soit, les réflexions qui précèdent permettent de voir en quoi l'absence de réflexion stratégique partagée au niveau européen entrave l'émergence d'une authentique politique de défense européenne. Si l'on souhaite mettre en place une politique de défense européenne, ou même seulement une défense de l'Europe, la première chose par laquelle commencer est de mener, en commun, une analyse stratégique qui débouche sur une même vision géostratégique, une même vision des conflits futurs, qui partage les mêmes ambitions et qui définisse les grandes lignes d'un outil de défense encore à construire. Tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout cela, il ne pourra y avoir de politique de défense européenne, pas plus que la constitution d'une base industrielle de défense européenne, tout au plus la mise en place de quelques centrales d'achats et des projets ponctuels. Bref, un « Livre blanc sur la défense européenne » n'est pas une option pour ceux qui souhaiteraient que la France soit porteuse d'une ambition européenne. Il en est le préalable.

En conclusion, je résumerai donc nos travaux en disant que les membres de votre groupe de travail concluent que le concept de « capacités industrielles souveraines », trop imprécis, mérite d'être abandonné au profit de celui de « capacités industrielles militaires critiques ». Dans la perspective d'une meilleure utilisation de ce concept les pistes de réflexion qu'ils ont explorées portent avant tout sur la méthode.

Premièrement, l'Etat gagnerait à simplifier ses outils d'analyse stratégique et à rendre sa démarche plus libre, plus cohérente et plus transparente. Il devrait s'efforcer de mieux en articuler les étapes, de consacrer plus d'attention à la confrontation des ambitions et des moyens et enfin d'élaborer et rendre publique une stratégie d'acquisition des équipements militaires.

Deuxièmement, l'Etat doit déduire les capacités industrielles militaires critiques de la forme qu'il souhaite donner à son outil de défense et non l'inverse. Aujourd'hui, tel qu'il est dessiné, l'outil de défense français suppose de surveiller un certain nombre de capacités dont ce rapport s'est efforcé d'esquisser, pour l'exemple, une liste non exhaustive. Si à l'issue du nouveau Livre blanc, la France dessinait un nouvel outil de défense, il lui faudrait alors déterminer quelles autres capacités y associer. Le plus important est de bien retenir qu'en matière d'équipements de défense, tout ajustement budgétaire, à la hausse comme à la baisse, ne doit intervenir qu'après une révision de l'analyse stratégique et non pas avant. Il en va de l'efficacité et de la cohérence de l'outil de défense.

Troisièmement, l'Etat doit poursuivre ses efforts pour surveiller les matériaux critiques.

Quatrièmement, l'Etat ne doit pas renoncer à faire baisser les prix des équipements militaires. Il n'est pas dit que toute diminution de dépenses de défense doive se traduire par une réduction du format des armées.

Enfin, la mise en place d'une authentique défense européenne, qu'elle se fasse à deux, à trois ou à vingt sept, passera nécessairement par une analyse stratégique partagée.

La défense de l'Europe doit d'abord passer par des Livres blancs avant d'être concrétisée par des traités.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je remercie les co-présidents et les membres du groupe de travail pour ce rapport qui est dans l'esprit du travail confié aux différents ateliers.

Mme Nathalie Goulet - Il est important que nous puissions faire partager les enjeux exposés par nos concitoyens car le débat reste souvent confiné entre professionnels de la défense.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je me réjouis du caractère parfois idéaliste du rapport, car c'est un moteur qui conduit à ne pas renoncer.

S'agissant de la coopération européenne en matière de défense, il convient de mettre l'accent sur la nécessité pour les états-majors des armées concernées de se mettre préalablement d'accord sur les spécifications des matériels commandés. Je suis conscient que ceci serait plus facile si la démarche d'un Livre blanc européen était entreprise. Je l'avais d'ailleurs évoqué lors de notre récente rencontre avec la commission de la défense du Bundestag.

M. Jean-Pierre Chevènement - Je partage les orientations du rapport qui nous conduira à quelques difficultés au moment des discussions budgétaires. Mais je suis prêt à faire le constat que « nous sommes vraiment à l'os » dans beaucoup de domaines.

La souveraineté et l'indépendance doivent être distinguées. La souveraineté est une notion de droit, elle est la « compétence de la compétence ». Elle ne peut se déléguer. Elle est la puissance originaire qui fonde les actes des gouvernements et des assemblées délibérantes. A côté de la souveraineté, il y a l'indépendance à laquelle on aspire et qui n'est jamais une réalité car on est toujours dépendant de beaucoup de choses. Elle relève de l'ordre contraint par la réalité concrète. Les deux notions sont donc très différentes. On peut déléguer des compétences, partager des compétences, mais cela suppose une volonté commune.

J'ai entendu ce qui a été exposé sur la défense européenne, elle suppose une analyse commune des menaces de conflits futurs. Cette analyse existe-t-elle ? Non. Pouvons-nous le faire pour le compte des autres ? Non. Nous ne pouvons la faire qu'ensemble. Cette réflexion n'a pas lieu.

Il y a la question des armes nucléaires qui renvoie à des questions mondiales : la montée en puissance des grandes nations d'Asie qui développent leurs arsenaux nucléaires, le niveau des arsenaux russes et américains qui disposent de 1 550 armes et que ces pays n'ont pas vraiment l'intention de l'abaisser en dessous de cette limite. La dissuasion a d'abord pour fonction de protéger notre territoire ou, le cas échéant, de nous tenir en dehors d'une guerre où nos intérêts ne sont pas être engagés. Cette formulation ancienne n'a pas perdu de son actualité. Il y a des menaces de proliférations en matière balistique et d'armes de destruction massive, l'évolution du monde arabe reste incertaine, il faut donc rester vigilant.

La théorie des trois cercles n'est pas mauvaise, il ne faut pas l'abandonner. La DGA joue un rôle directeur en matière industrielle, en même temps elle a contribué au maintien de l'industrie de défense comme pôle d'excellence, cette préoccupation étant liée à l'idée de l'indépendance nationale. On connaît le tropisme de l'état-major qui voudra toujours d'obtenir son matériel rapidement en l'achetant sur étagère. L'arbitrage est toujours politique, il a toujours été fait dans le sens de la préservation du premier cercle ou du deuxième autant que possible.

Mais « autant que possible » renvoie à la question de savoir à ce que les Allemands voudront faire avec nous dans le domaine des armements terrestres où ils excellent, mais également dans le domaine naval ; et puis il y a des coopérations aussi avec d'autres pays comme l'Italie ou La Grande-Bretagne. Mais la coopération avec l'Allemagne se pose car, curieusement, comme beaucoup de pays européens, elle a fait l'analyse, qui est maintenant dans le traité de Lisbonne. Tous ces pays développent leur défense dans le cadre de l'OTAN, et donc s'en remettent aux Américains. Il se développe une sorte d'insouciance et de légèreté. Qu'y pouvons-nous ? Si les Allemands ne perçoivent pas aujourd'hui les menaces, demain ils les percevront peut-être. Mais le danger serait alors qu'ils se rangent encore davantage sous le bouclier américain et que les Américains imposent le fameux « burden sharing » qui ne résoudra pas le problème de la défense mais accroîtra notre dépendance.

M. Daniel Reiner - Je me réjouis que nous partagions la réflexion de Jean-Pierre Chevènement sur la définition des concepts et notamment celui de souveraineté. Sur le nucléaire, ce débat sera évoqué dans le cadre du groupe de travail sur l'avenir des forces nucléaires. S'agissant de l'effort de défense, il est du devoir de la France de porter cette question au sein de l'Europe en permanence, même si l'exercice est difficile. L'Europe doit être responsable de sa propre défense surtout à un moment où les États-Unis se désengagent progressivement du continent européen pour redéployer leurs forces.

M. Gérard Larcher - Je crois qu'il est très important que cette réflexion puisse être partagée entre les responsables de la défense au sein des assemblées parlementaires des pays européens les plus importants. Ne serait-il pas envisageable de réunir une conférence avec des présidents de commission de la défense, comme nous l'avions fait pour partager nos analyses en matière de politique agricole commune, il y a deux ans, avec les présidents des commissions compétentes.

Je partage l'analyse de M. Reiner sur le redéploiement des forces américaines vers l'Asie.

Je veux également souligner qu'il n'y a pas de stratégie industrielle future sans la contribution des industries de défense à la recherche et à l'économie de notre pays. Prenons par exemple le cas des nanotechnologies. Il est clair que si nous renoncions à disposer de capacités industrielles militaires critiques, nous serions absents de nombreux domaines porteurs d'avenir.

M. Xavier Pintat - Ma conviction est que le redéploiement américain crée une opportunité, avec l'accord franco-britannique sur le nucléaire, pour promouvoir un livre blanc européen.

Le besoin de transparence sur l'acquisition des équipements va de pair avec celui en matière de mutualisation et d'équipements développés en commun.

Il faut également insister sur les équipements critiques et leur sécurisation et avoir une approche permanente de ces questions, qui s'inscrivent dans le temps. Des technologies anodines développées par une petite entreprise aujourd'hui peuvent s'avérer critiques pour nos armées demain.

M. Daniel Reiner - On peut citer les technologies dans le domaine des infrarouges.

M. Jeanny Lorgeoux - La présentation du processus décisionnel entre la direction générale de l'armement, l'état-major des armées et la responsabilité politique est importante pour la compréhension du système.

M. Robert del Picchia - Il est important que ce rapport contienne des développements sur l'analyse stratégique. La commission avait amorcé ce genre de travail avec un rapport sur la fonction anticipation et stratégie au ministère des affaires étrangères.

M. Jean-Louis Carrère, président - L'enjeu est de convaincre l'opinion publique de l'importance et de l'utilité de l'effort de défense y compris en période de crise.

Le rapport du groupe de travail est adopté à l'unanimité.

Suivi de l'A400M - Examen du rapport d'information

M. Jean-Louis Carrère , président - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport de la mission de suivi sur le programme d'avion de transport militaire A400M. Ce rapport d'information s'inscrit dans le prolongement des travaux du Sénat de 2009 qui avaient donné lieu à la publication d'un rapport conjoint de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat finances et de notre commission intitulé : « l'Airbus militaire A 400M sur le «chemin critique»  de l'Europe de la défense ».

Honorant un engagement de mon prédécesseur, le Président Josselin de Rohan, j'ai souhaité que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat confie, en décembre 2011, une mission de suivi à trois de ses membres pour faire le point sur ce programme. Tout naturellement, le choix de la commission s'est porté sur nos collègues Bertrand Auban, Daniel Reiner et Jacques Gautier.

La lettre de mission que je leur ai confiée, au nom de notre commission, leur assignait le soin d'éclairer la commission sur les points suivants :

- le respect du nouveau calendrier des livraisons ;

- le maintien en conditions opérationnelles (MCO) ;

- la préparation de l'armée de l'air à la réception de cet avion et la modernisation des bases ;

les perspectives ouvertes par la mise en place d'une flotte européenne de projection avec la création de l'EATC (European Air Transport Command).

Il s'agissait donc davantage d'une mission destinée à établir des faits, plutôt qu'une mission de prospective destinée à faire des propositions.

Les investigations des rapporteurs les conduit à se rendre sur place pour visiter les installations des industriels les plus impliqués dans ce programme et en particulier les motoristes, ainsi que l'EATC basé à Eindhoven aux Pays-Bas.

Compte tenu de la très grande technicité du sujet nous avons demandé à un expert aéronautique militaire, le général de corps d'armée aérien deuxième section Denis Guignot, de nous assister de ses conseils.

Je leur donne la parole.

M. Jacques Gautier, rapporteur - Nous avons choisi de l'intituler « A400M - tout simplement le meilleur - simply the best » parce que tout simplement, c'est tout simplement la vérité : l'A400M est le seul avion de transport militaire au monde à pouvoir remplir à la fois des missions stratégiques et tactiques, c'est-à-dire à être capable de transporter très vite des cargos très importants et à voler très bas, dans des environnements militaires dégradés, en s'auto protégeant et en se posant très court, sur des terrains sommairement aménagés. Du point de vue tactique, un A400M c'est l'équivalent de deux C130 Hercules et de quatre C160 Transall.

Cela suppose que cet appareil soit équipé de moteurs exceptionnels - très puissants, mais équipés d'hélices, car les réacteurs ne résisteraient pas dans des ambiances dégradées comme au Sahel. Il s'agit en l'occurrence de turbopropulseurs fabriqués par un consortium des meilleurs motoristes européens : Rolls Royce, Safran, MTU et ITP, auxquels il faut rajouter l'Italien Avio pour le réducteur. C'est vous le savez, le turbopropulseur le plus puissant du monde occidental, puisque chaque moteur fournit la puissance de 11.000 CV. Avec quatre moteurs, un A400M fournit la même puissance que cinq TGV sud-est.

L'A400M occupe donc un créneau manquant entre le grand C17 de Mc Donnell Douglas équipé de turboréacteurs, mais qui coûte beaucoup plus cher - environ 230 millions d'euros si on avait voulu l'acheter sur étagères - et le petit C130 Hercules de Lockheed dont la conception remonte aux années 1950. Tout est dit.

A l'issue du contrat renégocié, l'A400M coûtera 10 % de plus que ce qui était initialement envisagé, c'est vrai, mais cela reste néanmoins très acceptable compte tenu des séries de production : 130 millions d'euros - c'est un ordre de grandeur - et beaucoup moins cher que si nous avions acheté des C17 sur étagères au prix discount de 230 millions d'euros.

Si l'avion tient ses promesses, il s'agira de l'un des meilleurs rapports qualité/prix de l'aéronautique militaire et une très bonne affaire pour les nations clientes.

Repartons du nouveau calendrier. On voit que le premier avion devrait être livré aux forces aériennes françaises fin mars 2013. Le sera-t-il ? C'était la première question à laquelle il nous fallait répondre.

Il y avait trois séries d'inquiétude. Reprenons les une par une.

La première était le groupe propulsif. Comme vous le savez, ce groupe propulsif n'a pas été produit par un motoriste unique, mais par cinq motoristes européens, ce qui complique considérablement les choses. Il y avait quatre motifs de préoccupations sur le moteur.

Le premier était le logiciel de régulation du moteur. Ce logiciel - appelé FADEC - est d'une extraordinaire complexité. Il était sous la responsabilité initiale de MTU, puis de SAFRAN. Ce logiciel a dû être complètement refait et donne désormais satisfaction.

Le deuxième motif de préoccupation provenait des aubes de compresseur, sous la responsabilité de Rolls Royce, dont plusieurs se sont brisées lors d'une mise en résonnance de l'ensemble compresseur sur une plage de fréquence correspondant à un faible régime lors du roulage. Ce problème a été résolu.

Le troisième motif était provenait du fait que des mesures de température hors tolérance au niveau de la nacelle moteur, sous la responsabilité d'Airbus, ont été enregistrées. Ce dysfonctionnement est en cours de règlement.

Enfin, à plusieurs reprises, des réducteurs ont été déposés en raison de problèmes sur des roulements ou des pignons de réducteur, et l'industriel Avio en charge de la conception et de la réalisation a du effectuer des modifications significatives de ces pièces.

Au total on peut dire qu'il reste des zones d'incertitude et le groupe propulsif n'a pas encore atteint la maturité technique que l'on voudrait qu'il ait à quelques mois de l'entrée en service. C'est pourquoi ce point doit demeurer sous étroite surveillance. Néanmoins nous ne sommes pas inquiets.

Deuxième sujet : la cellule. Il y avait, là aussi quatre motifs de préoccupation. Vous en trouverez le détail dans le rapport écrit. Il s'agissait : de l'aménagement de la soute, de la rampe, de différents éléments tels que la capacité des canots de sauvetage imbriqués dans les ailes et des lance-leurres. Tous ces problèmes ont été réglés, ou sont en passe de l'être.

Vous avez à l'écran une photo du chargement de la soute de l'A400M par un NH-90 et voici une photo du premier A400M français, le MSN 7 en cours d'assemblage à Séville.

J'en viens maintenant au dernier point de vigilance : le FMS - le flight management system. C'est parce qu'il y a eu des problèmes sur le FMS qu'il a fallu mettre en place six standards de livraison. Vous en trouverez le détail dans le rapport. Aujourd'hui ces problèmes sont derrière nous.

En conclusion partielle de cette première partie je dirai que le programme ne devrait plus connaître de retard supplémentaire. Néanmoins, afin d'assurer le succès de son exploitation et maximiser les économies générées par la mutualisation des enjeux importants subsistent :

- s'assurer dans le temps que les standards d'évolution des appareils soient les mêmes et qu'ils soient mis en place de façon coordonnée ;

- s'assurer qu'à qualification identique les personnels des nations clientes soient autorisés à intervenir sur tous les avions ;

- s'assurer que les établissements des nations soient à même d'accueillir tous les avions le nécessitant ;

- s'assurer que les standards des pièces de rechange permettent la mutualisation des stocks ;

- proposer, aux fins d'export, une certification militaire unique à un futur client.

M. Bertrand Auban, rapporteur - Je vous parlerai maintenant de la question du soutien.

Autant vous le dire tout de suite, l'optimisme qui prévaut pour ce qui est du respect du nouveau calendrier contractuel, n'est plus de mise concernant le soutien.

C'est une question compliquée et je vais faire de mon mieux pour en expliquer les tenants et les aboutissants. Mais avant que nous commencions, je voudrais vous rappeler trois principes en matière de soutien aéronautique.

1. Pour un euro dépensé à l'achat de l'équipement, il faut prévoir - c'est un ordre de grandeur - deux euros pour le soutien.

2. En matière de soutien, l'essentiel des coûts provient de l'entretien des moteurs - environ 60 % - sur un avion quadrimoteurs comme l'A400M et encore davantage si on prend en compte les pièces de rechange ;

3. Enfin, le cycle d'investissement des moteurs est très long - ce qui veut dire que les motoristes ne commencent à gagner de l'argent qu'au-delà de la quinzième année et qu'ils se récupèrent sur le soutien. Ce qui veut dire que s'ils ne vendaient que les moteurs, leur prix serait bien plus important.

Pour ce qui est plus particulièrement du soutien de l'A400M, c'est vraiment compliqué et je vous renvoie à notre rapport écrit. Je résumerai la situation en quatre points.

Premièrement, il y a eu un divorce entre les nations européennes qui n'ont pas réussi, à court terme, à se mettre d'accord pour contractualiser ensemble les services de soutien. Mais il y a encore un espoir...

Deuxièmement il y a eu un deuxième divorce entre l'avionneur, AMSL, et le consortium des motoristes EPI. La logique initiale du contrat était d'avoir un contrat unique entre les nations et AMSL. Cela n'a pas été possible et au final il y aura deux contrats, l'un pour les moteurs, l'autre pour la cellule.

Troisièmement, il résulte de cet état de fait qu'il y aura :

- un contrat provisoire de soutien d'une durée de dix-huit mois, portant à la fois sur la cellule et les moteurs ; seule la France est concernée ;

- deux contrats séparés pour le moyen terme : l'un pour les moteurs, l'autre pour les cellules, mais un service commun. Potentiellement, toutes les nations pourraient le signer, le moment venu.

C'est l'approche dite : « deux contrats/un service » qui prévoit deux contrats séparés ; l'un pour l'avionneur l'autre pour le consortium des motoristes et un commun, l'ensemble des participants ayant l'intention de fournir opérationnellement des services combinés.

En conclusion partielle, de cette partie, on peut admettre, comme c'est de règle dans l'aéronautique civile, que l'on n'ait pas réussi à mettre en place un soutien global pour la cellule et les moteurs.

En revanche, on ne peut se résoudre à ce que les nations arrivent en ordre dispersées pour le soutien pérenne et qu'aucun stock commun de pièces de rechanges ne soit en voie de constitution.

Avoir un stock européen de pièces de rechange - mutualisé - est une voie d'économies considérable pour les nations et il est de la plus haute importance que l'on arrive à trouver un accord commun. Il ne faut pas laisser tomber cet objectif.

Troisième volet : la préparation de l'armée de l'air.

Pour apprécier de façon objective la préparation de l'armée de l'air française à l'A400M, il ne semble pas possible de la dissocier du contexte dans lequel elle s'est déroulée. Ce contexte peut être qualifié de turbulent, puisque jusqu'en 2010, le fait que le programme aille à terminaison n'était pas assuré. Ensuite, l'armée de l'air a dû participer activement à trois engagements extérieurs : l'Afghanistan, sur toute la période, la Côte d'Ivoire, jusqu'au 1er semestre 2011 et bien sûr l'opération Harmattan, de mars à novembre 2011. Enfin, les cinq dernières années ont été marquées, par une profonde restructuration des armées, avec la création des bases de défense, une réduction drastique du nombre des personnels, la mise en oeuvre de nouveaux systèmes d'information (une trentaine concernant l'armée de l'air) qui impactent profondément les processus internes de l'armée de l'air.

Dans ces conditions, sans oublier évidemment la contrainte budgétaire, la préparation de l'armée de l'air, peut être qualifiée de remarquable aussi bien en ce qui concerne les infrastructures que les formations de ses équipages et de ses mécaniciens.

Concernant tout d'abord les infrastructures. Les travaux d'adaptation ont été lancés dès 2008 et s'échelonneront jusqu'en 2018. L'opération comprend des constructions neuves et des travaux d'adaptation des infrastructures. Avec la rénovation et le renforcement de ses aires aéronautiques pour l'A400M, la base aérienne d'Orléans sera amenée à accueillir des gros porteurs MRTT, les futurs ravitailleurs en vol de l'armée de l'air. Orléans constituera ainsi un des trois hubs du transport aérien militaire avec les bases aériennes d'Istres et d'Evreux.

On voit que tout a été prévu pour une transition harmonieuse des flottes de transport sur la base d'Orléans.

Venons en maintenant aux formations. La formation des personnels joue un rôle central, qui peut vite devenir critique, quant à l'introduction de nouveaux appareils dans les forces. Elle est au coeur des préoccupations des armées. L'armée de l'air a choisi de construire les effectifs du premier escadron de transport A 400M et de la première unité de maintenance chargée du NSO (niveau de soutien opérationnel) des avions français l'ESTA (Escadron de Soutien Technique Aéronautique), positionné sur la base aérienne d'Orléans.

Pour les personnels naviguant la formation théorique et sur simulateurs se fera à Séville puis sera complétée ultérieurement à Orléans pour les phases tactiques.

Pour les personnels non naviguant, essentiellement les techniciens, les formations se feront au départ à Séville, puis en Allemagne à Wunstdorf.

Le diagramme à l'écran donne une idée précise de la montée en puissance de la préparation de l'armée de l'air, après la livraison des premiers avions.

Pour autant que nous puissions en juger, la préparation de l'armée de l'air est donc satisfaisante, même si nous avons le sentiment qu'elle s'est faite un peu à l'économie, compte tenu des restrictions budgétaires, notamment en ce qui concerne les commandes de pièces de rechange.

Il ne faudrait pas que des restrictions budgétaires supplémentaires remettent en cause cette montée en puissance.

M. Daniel Reiner - Dernier volet : les perspectives pour la flotte européenne de la mise en place de l'EATC, l'European Air Transport Command.

L'EATC est né d'une volonté politique paneuropéenne affirmée par les Chefs d'Etats et de gouvernement européens d'Allemagne, lors du sommet de Tervuren le 29 avril 2003. Cette volonté a conduit, à une déclaration d'établissement de l'EATC en octobre 2009 et à la signature d'un arrangement technique en juin 2010.

Ce commandement a pour objet d'optimiser les ressources, d'accentuer l'interopérabilité, de réduire le coût du soutien logistique, de réduire les dépenses globales et d'être en mesure de soutenir les opérations des quatre nations.

L'EATC doit être partie intégrante des structures de commandement des nations. Pour ce faire, il se situe à un niveau intermédiaire de commandement entre les états-majors et les grands commandements de chacun des grands pays et le niveau d'exécution formé des escadres et des escadrons. Néanmoins, pour inter-opérer les avions des quatre nations un minimum d'harmonisation des règles d'emploi - heures de vol, heures d'entraînement - et de standardisation a été nécessaire.

Je voudrais vous montrer ce que cela représente en termes d'aéronefs concernés.

On voit ainsi que l'EATC a autorité - au travers des nations - sur 128 avions, ce qui peut représente une soixantaine d'avions qu'il peut assigner à des missions à tout moment. C'est la démonstration que l'on peut faire ensemble plus que l'on ne peut faire tout seul.

L'EATC a été bâti en attente de l'A 400M, en attente d'un avion capable de missions stratégiques et tactiques, d'un avion dont le standard sera unique et qui pourra ravitailler en vol, capacité qui manque cruellement aujourd'hui aux nations européennes.

En 2011, première année de fonctionnement de l'EATC, les avions mis à disposition ont transporté 7.700 tonnes et 47.000 passagers. Mais depuis les échanges croissent à grande vitesse.

Pendant l'opération l'Harmattan, les avions de l'EATC ont effectué 15 % des missions nécessaires au soutien des troupes françaises.

L'étude de la mise en service de l'A400M nous a conduits à nous poser la question de la navigabilité en Europe et en particulier la question de savoir s'il fallait que l'Europe dispose d'une autorité militaire de navigabilité ou pas.

En regard de la certification militaire, la certification civile paraît d'une grande simplicité, puisque c'est une autorité unique, au niveau européen, l'Agence européenne pour la sécurité aérienne ou EASA (European Aviation Safety Agency) qui est à la fois autorité technique et autorité de contrôle qui est née il y a dix ans à Cologne.

Le programme A 400M est le premier programme militaire ayant eu pour ambition d'obtenir la certification « civile » délivrée par l'EASA. Il y avait à cela de bonnes raisons, en particulier le fait qu'il n'y a pas d'autorité militaire unique en Europe. Je ne vais pas rentrer dans le détail, tout cela est dans le rapport écrit. Je dirais simplement ceci :

Premièrement les règles de certification civile sont extrêmement exigeantes et impriment toutes les phases de conception, de fabrication et de soutien de l'avion pendant tout son cycle de vie. C'est ce qui explique, en partie, les retards accumulés sur le planning initial et en particulier sur le FADEC et le FMS. Aujourd'hui l'avion respectera cette certification et c'est une des raisons qui nous rendent absolument confiants dans l'affirmation qu'il sera tout simplement le meilleur.

Deuxièmement, les logiques de certification représentent, pour les Européens, un enjeu de pouvoir considérable. L'existence d'un label européen de ce niveau en matière civile, mais aussi en matière militaire est un élément critique dans notre capacité à exporter nos productions industrielles.

C'est pour cela que nous sommes favorables à ce qu'à terme émerge une autorité militaire européenne unique. Cela est demandé par nos clients. Ce serait un avantage décisif pour nos exportations.

En conclusion, je ferai cinq observations.

Premièrement, le programme A400M a connu des débuts très difficiles. Des leçons doivent impérativement en être tirées pour les prochaines coopérations européennes. En particulier, le principe du juste retour doit être définitivement abandonné et liberté doit être donnée aux industriels contractants de choisir leurs sous-traitants en fonction de leurs compétences et non pas de leur nationalité. Il ne s'agit pas là d'un voeu pieu mais d'un principe vital. Sans quoi, les Etats européens ne pourront jamais tirer les bénéfices de leurs coopérations. Or de telles coopérations sont indispensables car la voie en solitaire est désormais fermée.

Deuxièmement, le programme suit désormais un cours plus normal. Il devrait respecter le nouveau calendrier de livraison et l'avion devrait satisfaire aux exigences contractuelles. L'A400M sera le meilleur avion de transport militaire au monde parce que le seul d'une telle dimension disposant à la fois de capacités stratégiques et tactiques.

Troisièmement, la satisfaction légitime que l'on peut tirer de la livraison imminente des appareils contraste avec les inquiétudes que l'on peut avoir quant à la mise en place d'un soutien commun.

Ces inquiétudes ne tiennent pas au fait que l'on ait abandonné l'idée initiale d'un contrat global sur les moteurs et la cellule. Un tel contrat eût grandement facilité la vie des Etats clients et il aurait été la garantie d'une évolution commune. Mais il aurait généré des surcoûts importants. Au demeurant, le fait d'avoir des contrats séparés, l'un pour la cellule, l'autre pour le moteur, est la règle dans l'aéronautique civile et militaire.

En revanche on ne peut se résoudre au fait que les nations arrivent en ordre dispersé, ne tenant compte que de leurs seuls intérêts, dans la négociation des différents contrats de soutien face aux industriels. On ne peut davantage accepter qu'aucun stock commun européen de pièces de rechanges ne soit sérieusement en cours de constitution.

Les deux tiers des économies à attendre d'un programme européen de cette ampleur proviennent de la capacité des Etats à mettre en place un soutien commun et des stocks communs. Les nations clientes doivent donc faire de nouveaux efforts afin de remédier à cette situation dans les meilleurs délais. Cela passera nécessairement par une action diplomatique au plus haut niveau. Cela passera également par la mise en commun des centres d'excellence dont chacun dispose. De ce point de vue, la France, avec ses AIA (ateliers industriels de l'aéronautique) a des atouts à proposer. Que les autres nations fassent valoir les leurs.

Quatrièmement, cette action concertée est d'autant plus nécessaire que la mise en place de l'EATC a changé la donne et pousse en faveur d'une harmonisation des règles d'emploi.

L'Europe « à la carte » est peut être utile pour progresser face aux blocages. Mais on en trouve vite les limites. Est-il rationnel de mettre le soutien en commun avec le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de l'EATC et le contrôle opérationnel avec les pays fondateurs de l'EATC ? La raison commande aux Européens de terminer ce programme comme ils l'ont commencé : ensemble.

Enfin, le moment semble venu de donner un nouvel élan à l'harmonisation des règles de sécurité aérienne européenne militaire, à l'instar de ce qui a été fait dans le domaine civil et de considérer sérieusement les voies et moyens de la mise en place d'une autorité européenne, susceptible de faire gagner à tous les Etats du temps et de l'argent ? Ces règles constitueront une référence internationale et un atout exceptionnel pour l'Europe.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je remercie les rapporteurs pour leur excellent rapport. Toutefois, je souhaiterai que le rapport écrit rende expressément hommage à l'action du ministre de la défense, M. Hervé Morin, pour sa contribution décisive au sauvetage du programme A400M, au tournant des années 2009-2010.

M. Jacques Gautier, co-rapporteur - C'est le cas. Si vous permettez, je vais vous citer la phrase que nous avons prévu d'écrire dans le rapport que nous soumettons à votre approbation : « Il faut rendre justice au ministre de la défense de l'époque, M. Hervé Morin, dont l'action énergique a sans doute permis de sauver le programme. »

M. Robert del Picchia - Je voudrais savoir, concernant l'EATC, comment cela se passe quand nous avons besoin de reprendre le commandement d'un avion pour des raisons qui ne regardent que nous. Est-ce possible ? ».

M. Jacques Gautier, co-rapporteur - C'est tout à fait possible. Les nations membres de l'EATC ont la possibilité à tout moment de reprendre l'autorité sur les avions, sans justification ; c'est la procédure dite de la « red card » - carton rouge.

Le rapport est ensuite soumis au vote de la commission et adopté à l'unanimité. Sa publication est autorisée.

Approbation de l'accord de coopération en matière de sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat des Emirats arabes unis - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Nathalie Goulet - Vous savez que la France développe, depuis une quinzaine d'années, une coopération technique en matière de sécurité intérieure avec les Emirats arabes unis, à la demande de ceux-ci.

Pour poursuivre cette action sur une base claire et stable, le présent accord a été conclu le 26 mai 2009 à Abou Dhabi par le ministre français des affaires étrangères et européennes et par le ministre émirien de l'intérieur. Il constituera un texte de référence pour les deux pays.

Proposé en 1995 par la France à son partenaire, l'accord a fait l'objet de négociations qui ont permis d'intégrer les remarques des deux parties.

Je vous rappelle que, fondée le 2 décembre 1971 lors du départ des Britanniques, la Fédération des Emirats arabes unis est constituée de sept émirats, dont les principaux sont Abou Dhabi et Dubaï.

D'une superficie d'environ 80.000 km2, dont Abou Dhabi représente 80 %, la fédération est peuplée de 7,1 millions d'habitants, dont 1,06 million de nationaux, selon les estimations émiriennes de 2010, soit 13 %.

Cet ensemble a été caractérisé par un fort développement économique durant la dernière décennie.

Vous trouverez dans mon rapport écrits des éléments concrets sur le contenu, et les limites, de cette croissance.

J'en viens directement aux buts du présent accord.

Il faut relever que les autorités émiriennes sollicitent les principaux pays européens en matière de coopération de sécurité intérieure. En effet, les points faibles de la police émirienne résident dans sa jeunesse, car les Emirats arabes unis existent seulement depuis 40 ans, et son manque d'expérience en matière de gestion de crise, sa répartition sur sept Emirats, sans structure fédérale solide de supervision et l'obligation de recourir à de la main d'oeuvre étrangère pour effectuer cette mission régalienne : presque tous les officiers sont émiriens, mais les tâches d'exécution sont le plus souvent confiées à des contingents de policiers provenant de pays de la Ligue arabe.

Enfin, l'absence d'une doctrine claire d'emploi, car de nombreux pays concourent à former la police des Emirats arabes unis, sans que cette dernière ne définisse toujours l'organisation ou les méthodes qui sont adaptées aux réalités du pays.

Conscientes de ces vulnérabilités, les autorités émiriennes ont conclu des accords bilatéraux de sécurité intérieure avec plusieurs pays européens comme l'Allemagne en 2005 ; la Grande-Bretagne en 2006 et les Pays-Bas en 2009. Ces forces de sécurité sont bien équipées, mais leurs structures sont perfectibles. Dans un but d'efficacité, le Vice-Premier ministre, ministre fédéral de l'Intérieur, est aussi le chef de la police d'Abou Dhabi. Il a engagé une action visant à renforcer progressivement son contrôle sur les polices des 6 autres Emirats de la fédération, mais la police fédérale a encore peu de prise sur ces entités.

La principale menace dans ce pays prospère, épargné jusqu'à présent par le terrorisme et marqué par un taux de délinquance très faible, réside dans la présence de communautés étrangères très largement majoritaires démographiquement par rapport aux nationaux. Cette caractéristique vaut également pour la police, qui n'est nationale ni dans ses structures, puisque chaque émirat a sa propre police, ni dans sa composition ethnique, car les personnels subalternes, qui sont les plus nombreux, sont étrangers.

Le rapport écrit détaille les structures de ces forces, composées d'environ 44 000 hommes, dont 5 000 relèvent du niveau fédéral.

Situés au coeur d'une zone sensible, les Emirats arabes unis n'ont, jusqu'à présent, jamais subi d'attaque terroriste. Cela s'explique par d'excellents services de renseignement, qui recourent abondamment à la technologie, comme l'utilisation massive de la vidéosurveillance, la censure d'internet, la surveillance des liaisons téléphoniques, les équipements de pointe dans les aéroports, mais aussi aux sources humaines. Dans un pays qui compte environ 85 % d'expatriés, les services de renseignement disposent d'un réseau très efficace d'informateurs réguliers ou occasionnels.

La menace la plus importante aux Emirats arabes unis en matière de sécurité intérieure réside dans l'insécurité routière, en dépit d'infrastructures en excellent état. Des automobilistes de plus de 150 nationalités partagent les mêmes routes, au volant de véhicules puissants et volumineux et, malgré l'implantation de très nombreux radars, les comportements au volant sont dominés par le fatalisme et l'insouciance. Depuis le début 2011, la police d'Abou Dhabi a engagé une politique volontariste de contrôles routiers sur les routes. Les vitesses maximales ont été abaissées de 160 km/h à 140 km/h, ce qui a eu un impact rapide sur le comportement des conducteurs. Des progrès encourageants sont donc constatés, même si beaucoup reste à faire.

Cet accord est, cependant, tout à fait opportun, car il permettra de renforcer une coopération déjà en oeuvre, avec la formation des forces spéciales de l'armée émirienne par le GIGN, notamment. Vous trouverez en annexe du rapport écrit la liste des actions de formation menées par la France au profit de chacun des émirats en 2009 et 2010. Ces actions sont très diverses, et vont de la formation des agents de l'aéroport d'Abou Dhabi à la détection des fraudes documentaires, jusqu'aux procédures de déminage, et à la gestion de la sécurité des stades, dans d'autres émirats.

En conclusion, je vous recommande d'adopter le présent accord dont les actions en cours et à venir seront intégralement financées par les Emirats arabes unis, et qui permettra à la France de développer les atouts spécifiques de sa coopération en matière de sécurité intérieure. Cet accord a déjà été ratifié en 2009 par les autorités émiriennes.

Je vous suggère que cet accord fasse l'objet d'un examen en séance publique, pour les raisons suivantes : ce texte contribue à renforcer la présence française aux Emirats arabes unis, qui bénéficie déjà de la création d'une base militaire à Abou Dhabi. Par ailleurs, il est indéniable que les Emirats arabes unis constituent une zone névralgique pour la stabilité du Golfe arabo-persique, située aux confins des pays marqués par les « printemps arabes ». Ces éléments me paraissent mériter que cet accord soit adopté au terme d'une délibération publique.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je ne suis pas totalement convaincu de la nécessité de discuter ce texte en séance publique. Il ne diffère pas des autres accords cadre en matière de coopération sur la sécurité intérieure que nous avons signés avec de nombreux pays et pour lesquels nous avons retenu la procédure simplifiée. Cependant, je respecte le choix de votre groupe politique. Je souhaite néanmoins que nous nous en tenions strictement au contenu de l'accord qui nous est soumis tant dans le rapport écrit que dans le rapport oral.

M. Gilbert Roger - Cette région, que je connais bien, est extrêmement sensible. Il faut donc être prudent. Je crois aussi que nous devons nous en tenir au contenu de l'accord.

M. Yves Pozzo di Borgo - Je m'associe à ce qui vient d'être dit.

M. Daniel Reiner - Il me semble également qu'il serait sage d'éviter que le débat porte sur d'autres sujets que le texte même de cet accord. Mais comme en Tunisie au début du printemps arabe, il ne faudrait pas que notre coopération et nos valeurs soient en conflit. Nous devons être attentifs sur ce point.

M. Michel Boutant - J'ai le souvenir de manifestations d'ouvriers originaires du Bengladesh qui se sont déroulées il y a quelques années à Dubaï pour protester contre la dureté des conditions de travail qui leur était faite. Elles ont été violemment réprimées. Je m'interroge donc sur le contenu effectif de la coopération formalisée par cet accord.

Mme Nathalie Goulet - Les Emirats arabes unis constituent une zone névralgique du Moyen-Orient, à fort potentiel économique. Je tiens à souligner que le présent accord a été élaboré à partir d'un texte type mis au point par notre ministère des affaires étrangères en 2007. Il est donc identique à de nombreux autres accords que nous avons déjà ratifiés.

Puis la commission adopte le projet de loi, M. Michel Boutant s'abstenant.