Mardi 3 juillet 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Nomination de rapporteurs spéciaux

La commission nomme tout d'abord M. Jean Germain rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », en remplacement de M. François Marc, et M. François Rebsamen rapporteur spécial de la mission « Ville et logement », en remplacement de M. Jean Germain.

Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un candidat

La commission désigne ensuite M. François Marc comme candidat titulaire proposé à la nomination du Sénat pour siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, en remplacement de Mme Nicole Bricq.

Audition de MM. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia, Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor (DGT), et Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat (APE), sur la situation du groupe Dexia

La commission procède à l'audition conjointe de MM. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia, Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor (DGT), et Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat (APE), sur la situation du groupe Dexia.

M. Philippe Marini, président. - A l'automne dernier, nous avons légiféré dans l'urgence pour déterminer le montant des garanties apportées par l'Etat au groupe Dexia, dans le cadre du second plan - faut-il dire de redressement ? - depuis 2008. La France a accepté d'apporter une garantie plafonnée à 32,85 milliards d'euros, sur un total de 90 milliards, soit 36,5 %, compte tenu de la clé de répartition entre la Belgique, le Luxembourg et notre pays.

Depuis lors, nous avons entendu divers acteurs du dossier, comme M. Philippe Wahl, président du directoire de la Banque postale, au début de l'année, avec qui nous avons évoqué les conditions de mise en place d'une banque des collectivités territoriales, adossée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et capable de se substituer en partie à Dexia. Vous comprendrez que le Sénat soit particulièrement sensible à la question de l'accès au crédit des collectivités, corollaire des problèmes rencontrés par Dexia. Il faut aujourd'hui faire le point sur ce projet.

Nous recevons donc M. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia pour quelques semaines encore...

M. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia. - Jusqu'à l'arrêté des comptes du deuxième trimestre de 2012, selon ce qui est prévu.

M. Philippe Marini, président. - ... et qui assure la conduite opérationnelle du groupe depuis 2008. A ses côtés, M. Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat (APE) et représentant de l'Etat au conseil d'administration de Dexia, et M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor (DGT) : nous bénéficierons donc d'un double éclairage de cette direction.

Deux sujets nous préoccupent particulièrement. Tout d'abord, le montant des garanties et leur incidence sur les comptes publics : nous devons savoir aussi précisément que possible quels sont les risques pour l'Etat, en fonction des scenarii envisageables. Les garanties votées n'ont encore été mises en place que partiellement : 45, puis 55 milliards d'euros, dont 36,5 % pour la France. Or nous avons lu dans Les Échos que, d'après vous, la garantie temporaire de 45 milliards d'euros n'a apporté « que marginalement de la liquidité, car plus de la moitié de ce montant a servi à rembourser les cessions d'actifs intragroupe de Dexia Banque Belgique, et une partie a servi de collatéral aux Etats garants, à la demande de l'Etat belge ». Nous voudrions être au clair sur le partage des risques entre la Belgique et la France. L'Etat est à la fois actionnaire et garant de Dexia, ses intérêts budgétaires et patrimoniaux sont donc en jeu.

Ensuite, nous nous soucions de la continuité du crédit aux collectivités territoriales. Le nouvel établissement associant la Banque postale et la Caisse des dépôts reprendra-t-il les activités de Dexia et dans quelles conditions ? Ce projet a pris du retard, du fait de la complexité du montage, mais aussi des discussions en cours avec la Commission européenne.

M. Pierre Mariani. - J'étais devant votre commission le 12 octobre, deux jours après que le conseil d'administration de Dexia eut engagé non pas la restructuration, mais la résolution ordonnée du groupe. Ces quatre dernières années, avec le président Jean-Luc Dehaene, nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour réussir cette opération. Depuis le mois d'octobre dernier, nous avons engagé la cession des principales entités opérationnelles. L'Etat belge a acquis le 20 octobre 2011 l'intégralité de Dexia Banque Belgique - devenue Belfius -, après que le groupe eut été déconsolidé le 1er octobre, et Dexia a remboursé à Belfius dès le 31 mars 2012, avec neuf mois d'avance, les financements non sécurisés qui avaient été consentis par Dexia Banque Belgique à Dexia Crédit Local (DCL), rompant ainsi la plupart des liens financiers entre les deux banques. Le 3 avril 2012, nous sommes convenus de céder à la Banque royale du Canada notre participation de près de 50 % dans RBC Dexia Investor Services, banque spécialisée dans la conservation de titres ; la Commission européenne a donné son accord le 15 mai, et l'opération sera finalisée lorsque les régulateurs bancaires des nombreux pays où cette banque opère auront fait de même. Après des négociations entamées dès octobre 2011, un accord a été conclu le 4 avril 2012 pour la cession à Precision Capital, investisseur du Qatar, et au Luxembourg de notre participation de 99,9 % dans la Banque internationale à Luxembourg ; l'enquête approfondie de la Commission européenne est maintenant achevée, et j'espère que la transaction pourra aboutir au troisième trimestre. Une étape importante a été franchie le 8 juin, quand nous avons signé un accord de cession de notre filiale en Turquie à Sberbank, qui rapportera 3 milliards d'euros et contribuera au renforcement de nos fonds propres. Enfin, la cession de Dexia Asset Management est dans sa phase finale : les partenaires seront très bientôt choisis.

Il est prévu de céder Dexia Municipal Agency (DMA) à une entité dont le capital serait détenu par la CDC, la Banque postale et l'Etat : un protocole d'intention a confirmé le 16 mars l'accord trouvé en octobre, et les modalités ont été éclaircies, même si quelques détails techniques doivent encore être réglés. Mais nous attendons l'aval de la Commission européenne. C'est un obstacle sérieux au redémarrage du crédit aux collectivités territoriales, dont celles-ci pâtissent, ainsi que le secteur public hospitalier, les sociétés d'économie mixte et les syndicats intercommunaux.

En outre, nous avons mis en place avec les Etats concernés une garantie provisoire. Comme j'ai eu souvent l'occasion de le dire, celle-ci n'a que faiblement accru les liquidités du groupe, puisque sur 45 milliards d'euros, 23 milliards ont servi à rembourser des expositions intragroupe, et que nous avons engagé à la demande de la Belgique une collatéralisation des émissions qui n'avaient pas été utilisées pour rembourser la banque belge. La situation macroéconomique se détériorant, et les taux d'intérêts baissant - lorsqu'ils baissent de 1 %, le groupe a besoin de 14 milliards de liquidités supplémentaires, comme cela s'est vu dans les semaines qui ont précédé le dernier sommet européen -, nous avons demandé fin décembre une augmentation de l'enveloppe de 10 milliards d'euros. La garantie provisoire est aujourd'hui largement utilisée : à hauteur de 46 milliards d'euros sur les 55 milliards disponibles.

A quelles conditions la résolution ordonnée du groupe peut-elle aboutir sans dommage pour les Etats et les contribuables ? Tout d'abord, nous aurons besoin d'ici 2014 d'environ 90 milliards d'euros de garantie, ce qui suppose l'autorisation de la Commission européenne : les discussions devraient encore se poursuivre pendant de longues semaines. Ensuite, les Etats devront arbitrer entre des préoccupations de court terme - l'intérêt qu'ils ont à percevoir des commissions de garanties, qui se sont élevées à 280 millions d'euros depuis le début de l'année - et leur intérêt à long terme - une réduction des commissions permettrait au groupe de vendre des actifs plus rapidement, donc de réduire la garantie demandée aux Etats et les risques supportés par ceux-ci. Les Etats concernés divergent encore sur ce point.

Le soutien des banques centrales de la zone euro est également indispensable pour nous financer. La première garantie a été placée intégralement sur le marché, mais l'actuelle est surtout mobilisée auprès de la Banque centrale européenne (BCE), pour des raisons qui tiennent à la conjoncture macroéconomique. Voilà qui explique que sur 46 milliards d'euros, seuls 2 milliards aient été placés auprès du secteur privé.

Souhaitons aussi que la Commission européenne approuve aussi rapidement que possible les cessions projetées et l'ensemble du plan. Je comprends que le commissaire européen à la concurrence estime ce dossier complexe, puisque les problèmes de concurrence sont inexistants... : le groupe est quasiment démantelé, toutes ses entités opérationnelles auront bientôt été cédées, et son activité se bornera à la gestion en extinction d'un portefeuille obligataire et de ses filiales à l'étranger, en Espagne et en Italie surtout, qui ne sont pas cessibles comme chacun le comprendra.

Il nous faut donc mener à bien le programme de cessions, constituer une entité résiduelle stable et assurer la continuité du crédit aux collectivités territoriales en faisant reprendre nos activités par des institutions publiques françaises.

La cession de DMA est prête et les contours de la nouvelle banque dessinés avec la CDC et la Banque postale. Cette dernière a même commencé à prêter à court terme aux collectivités. Mais pour que des crédits à long terme soient de nouveau accordés, la Commission européenne doit donner son aval : le plus tôt sera le mieux. Certaines de ses réserves peuvent être levées. Je ne comprends pas pourquoi la France serait le seul pays d'Europe à ne pas pouvoir se doter d'une structure publique de financement des collectivités locales : il en existe en Allemagne, aux Pays-Bas, dans tous les pays d'Europe du Nord ainsi qu'en Italie, où l'équivalent de la Caisse des dépôts joue ce rôle, sans que l'on y voie une distorsion de concurrence.

En outre, ces derniers mois, la France a accru sa dette publique de près de 50 milliards d'euros pour soutenir les banques irlandaises, grecques puis espagnoles. Bankia, en Espagne, recevra 23 milliards d'euros, les banques grecques 70 milliards, payés par les contribuables européens. Et lorsque la France, le Luxembourg et la Belgique décident de régler ensemble le cas de Dexia, sans demander l'aide d'aucun autre pays européen, ce serait illégitime ?

Le problème n'est donc pas seulement technique, mais aussi politique : sa résolution dépend des discussions que la France aura avec la Belgique, et que les Etats concernés auront avec la Commission européenne.

M. Philippe Marini, président. - Dexia a-t-elle bénéficié de financements de la BCE au titre de l'opération LTRO (Long Term Refinancing Operation) ?

Les collatéraux demandés par la Belgique ont-ils pour effet de diminuer l'exposition de cet Etat et d'accroître les risques supportés par la France et le Luxembourg ?

S'agissant de DMA, j'ai cru comprendre que la Commission européenne s'inquiétait notamment des contre-garanties apportées par l'Etat. Pourquoi en avoir prévu pour des prêts aux collectivités territoriales, qui représentent un très bon risque, puisqu'elles lèvent l'impôt que les contribuables n'ont d'autre choix que de payer ? Est-ce parce que les écritures de certaines collectivités comprennent des actifs toxiques ?

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie M. Mariani de ses explications. En octobre, nous avions peine à comprendre les tenants et les aboutissants de ce dossier. Certains points ont été éclaircis depuis, mais on ne saisit toujours pas certains points.

En ce qui concerne la situation financière du groupe, comment se fait-il que les garanties apportées par les Etats et les cessions d'actifs ne lui aient pas permis de retrouver le chemin de la rentabilité ? En 2011, Dexia a enregistré une perte de 11,6 milliards d'euros, soit 5,2 milliards liés aux activités cédées ou abandonnées et 6,4 milliards liés aux activités poursuivies. Nous sommes loin d'un redressement rapide des comptes.

A la date du 31 mars 2012, Dexia était encore exposée à hauteur de 14 milliards d'euros aux dettes de la Grèce, de l'Irlande, du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie, dont 12 milliards pour cette dernière. Quel est le poids des dettes souveraines dans votre bilan ? Avez-vous souffert de l'accord trouvé avec les créanciers privés au sujet de la dette grecque, et dans quelle mesure ?

Je ne reviens pas sur vos déclarations dans le journal Les Échos, où vous déploriez l'effet limité de la garantie provisoire sur vos liquidités. Mais comme le président Marini, je m'interroge : en exigeant des collatéraux, la Belgique a-t-elle voulu réduire les risques qu'elle supporte, au détriment de la France et du Luxembourg ? Comment et par qui ces collatéraux sont-ils gérés ? La France a-t-elle fait la même demande, et si c'est le cas, qui gère les collatéraux et comment sont-ils évalués ?

La garantie apportée par les Etats est rémunérée : 225 millions d'euros ont été exigés lors de sa mise en place, et Dexia doit verser un complément à chaque émission garantie - 138 millions au premier trimestre 2011, alors même que le groupe a subi une perte de 431 millions. Comment cette rémunération est-elle calculée ?

Quel est l'avenir de DCL à moyen terme ? La banque est-elle gérée comme une structure extinctive, ou a-t-elle vocation à reprendre une activité pérenne de crédit ? Un certain flou demeure en la matière.

L'Etat doit-il entrer au capital de l'établissement qui reprendra les activités de l'établissement de crédit ? A quel niveau sa participation s'élèvera-t-elle, et comment sera-t-elle financée ?

Quel sort réservez-vous aux collaborateurs actuels de Dexia ? Y aura-t-il des licenciements, et combien ?

La convention régissant la contre-garantie de l'Etat auprès de la CDC a-t-elle été signée ?

M. Pierre Mariani. - Un mot sur les résultats de 2011. La perte d'environ 12 milliards d'euros est imputable à trois facteurs. Le rachat par la Belgique de Dexia Banque Belgique a occasionné une perte de 4 milliards. Nous étions également exposés à hauteur de 5 milliards d'euros à la dette souveraine grecque et à ses dérivés ; le plan de restructuration s'est soldé pour nous par une perte de près de 5 milliards d'euros - nous avons perdu 80 % des titres détenus, et il a fallu dénouer toutes les protections de taux. Enfin, nous avons également vendu au cours de l'été 2011 les 10 milliards de dollars de titres subprime américains que nous détenions encore. Du moins avons-nous ainsi supprimé les risques pesant sur notre bilan, et fait tomber la garantie sur ces produits votée par le Parlement à l'automne 2008.

Dexia est encore déficitaire. Cela tient au fait que les cessions d'actifs nous privent de toutes nos sources de rentabilité : nous ne conserverons que des activités très peu rentables. En 2012, certaines cessions occasionneront des pertes comptables ; nos coûts de financement ont beaucoup augmenté, puisque nous nous finançons surtout aujourd'hui grâce aux lignes d'urgence de la BCE, très bien rémunérées ; enfin la rémunération des garanties devrait progresser à mesure que les encours garantis augmentent. Si les comptes de 2011 ont pu être approuvés dans la perspective d'une continuité d'exploitation, c'est seulement parce que nous avons fait l'hypothèse que les commissions de garantie pourraient être ramenées à quelques points de base, au lieu de 50 ou 90 points aujourd'hui. A défaut, nous aurons besoin d'une recapitalisation.

Nous avons eu recours à la LTRO, pour une trentaine de milliards d'euros, puisqu'une grande partie de notre bilan reste éligible au refinancement de la BCE. Ainsi avons-nous pu consolider une partie de nos financements à très court terme.

M. Philippe Marini, président. - C'était une opération très bon marché.

M. Pierre Mariani. - En effet, mais la LTRO se substituait à des lignes à court terme qui l'étaient également, nous avons surtout allongé leur maturité.

Les collatéraux ont été mis en place au profit des trois Etats garants, dans les mêmes proportions. Nos capacités de refinancement s'en sont trouvées réduites d'autant. La gestion de ces collatéraux est assurée par la Banque de France, pour les trois Etats.

Les encours souverains étaient l'une des faiblesses structurelles du groupe, et la situation n'a pas significativement évolué depuis mars. Aux dettes d'Etat, il faut ajouter celles des collectivités : nous sommes également un financeur très important des collectivités espagnoles et italiennes. Nos filiales dans ces deux pays constitueront donc une part importante des actifs du groupe résiduel.

DCL n'a pas vocation à redevenir une banque de plein exercice. Elle se cantonnera à la gestion d'un portefeuille obligataire d'environ 70 milliards d'euros, contre 220 milliards en 2008, des filiales Crediop en Italie et Sabadell en Espagne, et d'un véhicule de Pfandbriefe en Allemagne qui représente lui aussi près de 50 milliards d'euros. La structure fonctionnera donc au ralenti, même s'il faudra conserver un minimum d'activité pour restructurer les dettes structurées, notamment celles des collectivités françaises.

La question de la gouvernance et des collaborateurs est d'une redoutable complexité, puisqu'il faut défaire l'imbrication de nos activités en Belgique et en France. Là-bas, la restructuration est achevée pour l'essentiel, et il ne nous reste plus, au sein de Dexia SA, la holding, que quelques dizaines de salariés sur 600 : à ma demande, près de 350 personnes travaillant pour la holding ont été reclassées au sein de Dexia Banque Belgique. En France, nous soumettrons aux organisations représentatives du personnel le schéma d'ensemble et les contours de la banque résiduelle et du nouvel établissement de crédit, dès que la Commission européenne aura donné son feu vert. Il ne devrait pas y avoir beaucoup de suppressions d'emplois, puisque la création de plusieurs établissements au lieu d'un seul est source de dyssynergie et de création d'emplois. Un cadre de négociations a été adopté avec les syndicats à l'automne dernier, pour éviter autant que possible les départs contraints.

La contre-garantie apportée par l'Etat est l'un des points soulevés par la Commission européenne. Elle a été accordée par le Parlement principalement pour couvrir des crédits structurés. Mais tant que la Commission européenne n'a pas approuvé le schéma d'ensemble, il n'est pas possible de signer la convention qui la régit. De nombreux travaux ont déjà été entrepris pour en définir les conditions et fixer la contribution de chacun. Il peut sembler paradoxal que l'Etat apporte sa contre-garantie à un établissement public pour des prêts consentis aux collectivités, qui sont solvables. Pour le moment, il en est résulté une hausse des impayés sur les crédits structurés, puisque cette contre-garantie a parfois été interprétée comme une prise en charge par le contribuable national des conséquences des décisions de gestion de certains élus locaux. Il faut clarifier les choses au plus vite. Si nécessaire, le préfet doit user de son droit d'inscrire d'office les dépenses d'intérêts au budget des collectivités concernées. A défaut, les tribunaux diront qui est dans son bon droit.

M. Serge Dassault. - Prenons, au hasard, un exemple concret ... la ville de Corbeil-Essonnes avait souscrit un emprunt toxique et, après discussion avec vos services, une offre de renégociation lui avait été faite, qui a ensuite été remise en cause en subordonnant désormais le passage d'un taux variable à un taux fixe au paiement d'une prime qui entraînerait un endettement supplémentaire pour la commune. Ne peut-on pas arriver à une transaction, consistant par exemple en un taux fixe raisonnable pour les deux parties ?

M. Philippe Dallier. - Ma commune n'a pas souscrit d'emprunt toxique mais, comme beaucoup de mes collègues, je m'inquiète des conditions d'accès au crédit pour les collectivités. Aussi, que pouvez-vous nous dire du calendrier de mise en place de la co-entreprise de la Banque postale et de la Caisse des dépôts et consignations, annoncée pour le 1er juin, puis reportée à septembre. Si l'on peut comprendre les difficultés techniques que rencontre la Banque postale pour appréhender ce nouveau métier, il convient toutefois de faire attention aux risques pour la croissance si les collectivités éprouvent toujours des difficultés à se financer, car elles représentent, je le rappelle, 70 % de l'investissement public civil.

M. Éric Doligé. - Quelles sont les strates de collectivités qui ne font pas face à leurs engagements ?

Mme Fabienne Keller. - Quel est le montant de prêts toxiques encore en stock dans votre bilan ?

M. Vincent Delahaye. - Les pertes pour 2011 s'étant élevées à 12 milliards d'euros, notamment en raison de la cession à l'Etat belge de DBB pour 4 milliards d'euros, est-il possible de connaître le niveau du risque résiduel subsistant pour les actionnaires, notamment français, dans le cadre de la liquidation de Dexia, étant entendu que les prêts toxiques souscrits par les collectivités doivent, quant à eux, être remboursés par ces dernières ?

M. François Fortassin. - Ma question sera peut-être désagréable, voire inopportune, mais au-delà de l'examen clinique de la situation, je n'ai rien entendu s'agissant des responsabilités ! Or, sans fustiger qui que soit, il faut identifier les responsables et les responsabilités, afin de comprendre en profondeur ce qui s'est passé.

M. François Marc, rapporteur général. - Qu'en est-il de la rémunération de la garantie, de son niveau et de sa traduction dans les comptes ? Quel est le bilan patrimonial pour l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations de leurs participations dans Dexia ? L'Etat, la CDC et la CNP sont-ils liés par un pacte d'actionnaires de façon à établir des positions concertées et concordantes ?

Enfin, l'Etat a-t-il vocation à entrer dans le capital de la holding dont la création est annoncée et, si oui, quel sera son coût et son mode de financement, question particulièrement aiguë dans la période actuelle ?

M. Pierre Mariani. - Sans revenir en particulier sur les négociations avec Corbeil-Essonnes, il est clair que la transformation des prêts à taux variable en prêts à taux fixe ne peut se faire qu'en payant une soulte, faute de quoi la banque subirait une perte et au final aurait un besoin de recapitalisation par les Etats. Sur près d'une dizaine de milliards d'euros de prêts au secteur public local contre-garantis par l'Etat, environ 4 milliards sont hors charte Gissler et 6 milliards correspondent à des prêts structurés classés 3E, 4E et 5E dans la charte Gissler.

Mme Fabienne Keller. - La charte Gissler décrivant les niveaux de risques liés aux indexations complexes, que signifie alors le « hors charte » ?

M. Philippe Marini, président. - C'est ce qu'il y a de pire !

M. Pierre Mariani. - Il s'agit essentiellement de crédits indexés sur des parités de devises hors zone euro, dont la parité euro/franc suisse, qui ne pourraient plus être consentis aujourd'hui car interdits par la charte. Ces produits sont non seulement les plus risqués, mais aussi ceux dont il est le plus difficile de sortir, le cours du franc suisse étant au-delà de nos barrières d'activation. Le seul moyen d'en sortir est donc le paiement de soultes importantes.

Ces crédits avaient été contractés avant 2008 puisque lors de mon arrivée, à l'automne de cette même année, j'ai ordonné qu'on cesse de les distribuer.

Quant à l'évolution des impayés, elle est significative. A la fin de l'année 2010, ils ne représentaient que 15 millions d'euros sur un encours de crédits d'environ 75 milliards d'euros et consistaient essentiellement en des décalages dans les paiements. Au 31 décembre 2011, ils avaient doublé pour atteindre 30 millions d'euros et, au 30 avril dernier, ils avaient encore augmenté pour s'établir à 103 millions d'euros. Ils sont dus pour 13 millions d'euros à des impayés sur des crédits structurés, certains clients décidant de ne plus payer les échéances en attendant les décisions de justice, mais l'augmentation la plus massive résultant des crédits à court terme, c'est-à-dire des lignes de trésorerie dont les impayés ne s'élevaient qu'à 8 millions d'euros fin 2011 mais qui atteignent aujourd'hui 75 millions d'euros. Ils concernent essentiellement les hôpitaux et le secteur public local au sens large. C'est là un signe des fortes tensions pesant sur les conditions d'accès au crédit : l'impossibilité d'obtenir des financements longs conduit les emprunteurs à utiliser ces lignes de court terme sans qu'il soit ensuite toujours possible de les rembourser. Ce phénomène devrait se renforcer, les régulateurs nous ayant imposé le non renouvellement des lignes de crédit de court terme : nous venons ainsi de révoquer 1,6 milliard d'euros de crédit long terme renouvelable, du crédit dit revolving. Il est donc très important que la Banque postale puisse, comme elle l'a fait, se substituer à nous.

Nous espérons que la création de la co-entreprise contribuera à résoudre les problèmes de financement des collectivités locales stricto sensu, mais le secteur hospitalier, non couvert par l'accord, devrait, lui, connaître les plus grandes difficultés. Le maire de Lyon a ainsi annoncé aujourd'hui l'octroi d'un prêt de 10 millions d'euros aux Hospices civils de Lyon, qui constituent tout de même le deuxième groupe hospitalier de notre pays.

Le rating moyen des actifs à notre bilan demeure très convenable, AA-, sa caractéristique demeurant leur très longue durée de vie, 15 ans en moyenne, ce qui rend nécessaire de continuer la gestion de notre portefeuille en cédant si possible des actifs, ce qui a été fait pour 90 milliards d'euros entre 2008 et 2011. Quant aux principaux risques, ils sont aujourd'hui concentrés en Espagne et Italie au travers du financement des collectivités locales, des banques ou des titres obligataires.

A propos des responsabilités, je rappellerai qu'entre 2005 et l'automne 2008, le portefeuille obligataire est passé de 70 milliards à 220 milliards d'euros. En octobre 2008, nous avons découvert un besoin de trésorerie à court terme de 260 milliards d'euros, soit l'équivalent de la dette de la Grèce... La durée des actifs était alors de 12 ans alors que celle des financements était légèrement supérieure à 4 mois. Au moment de la privatisation de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL), il existait trois ou quatre catégories de prêts aux collectivités, contre 170 à l'automne 2008. Ceci résume la nature des problèmes auxquels nous avons été confrontés.

M. François Marc, rapporteur général. - Le groupe Dexia a-t-il engagé une action pour recouvrer la retraite chapeau versée à M. Richard ?

M. Pierre Mariani. - Tout d'abord, dès l'automne 2008, il a été mis fin à ce régime dont ont bénéficié non seulement, l'ancien président, mais aussi un certain nombre de ses collaborateurs. Ensuite, à la demande de l'administrateur représentant l'Etat français, nous avons fait étudier les moyens de recouvrer cette somme, ce qui s'est révélé impossible dans le cadre de la législation française. En revanche, nous sommes en train d'identifier des possibilités d'action fondées, en droit belge, sur le respect d'obligations de publicité de cette décision, même s'il est difficile de retrouver la trace de certains dossiers. Cela pourrait déboucher sur une remise en cause totale ou partielle du régime de retraite vis-à-vis de l'intéressé.

M. Philippe Marini, président. - J'attire l'attention du Trésor sur les problèmes d'une gravité et d'une acuité exceptionnelles que pose aujourd'hui le financement des budgets locaux, des investissements, des trésoreries et du secteur public hospitalier. Au premier trimestre, lorsqu'a été annoncée la création d'une facilité susceptible d'atteindre 5 milliards d'euros à partir des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, nous avions cru comprendre qu'après la mise en place d'une première tranche de 2 milliards, une seconde suivrait. Cela n'a été fait ni par l'ancien Gouvernement, ni par le nouveau. Or beaucoup d'entre nous peuvent porter témoignage des situations de quasi-rupture de trésorerie des établissements hospitaliers ou des demandes reçues de collectivités territoriales, souvent de taille modeste, qui n'arrivent pas à solder les budgets votés. L'on n'a pas été assez clair jusqu'ici sur cet aspect des choses avec la représentation nationale.

A cette situation s'ajoutent les interrogations sur la mise en place de la nouvelle institution. La Banque postale est-elle opérationnelle, pour quel type d'actions et à quelle date ? Est-elle réellement en mesure de mettre en place des financements courts ? Quand pourra-t-elle, avec les compétences nécessaires et un réseau minimum, prendre le relais du crédit, qui n'est plus correctement assuré, du fait de la défaillance de Dexia, mais aussi du retrait des banques commerciales ?

Enfin, quelle est l'évolution des pourparlers avec la Commission européenne, notamment sur la question des contre-garanties ? Par ailleurs, s'agissant des responsabilités, qui était actionnaire de Dexia entre 2005 et 2008 ?

M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie de la direction générale du Trésor. - L'accord d'octobre 2011 a conduit à certaines cessions comme celle de Dexia Banque Belgique achetée, avec l'accord de l'ensemble des actionnaires, par l'Etat belge à hauteur de 4 milliards d'euros, soit la moitié des fonds propres.

L'Etat français a recapitalisé Dexia à hauteur d'un milliard d'euros aux côtés de l'actionnaire historique public, la Caisse des dépôts, qui avait fait de même en 2008 pour 2 milliards d'euros. En revanche l'Etat a perçu des commissions pour la garantie qu'il a accordée, soit une rémunération de 768 millions d'euros entre 2008 et 2012.

Suite à l'accord d'octobre 2011, un plafond de 45 milliards d'euros de garanties temporaires a été négocié avec la Commission européenne, montant relevé à 55 milliards d'euros pour les trois Etats, du fait des conditions de marché. Rappelons que ces garanties sont des engagements hors bilan, qui ne font pas partie de la dette publique dès lorsqu'elles ne sont pas appelées.

Aujourd'hui, les trois Etats sont exposés à hauteur de 66 milliards d'euros au titre des garanties, soit 46,5 milliards d'euros de garanties temporaires et 19,5 milliards de garanties octroyées entre 2008 et 2011. Sur ce total, la France est exposée à hauteur de 36,5 %, soit 24 milliards d'euros environ, ce montant étant appelé à augmenter si la Commission européenne donnait son accord. Le plafond voté en loi de finances s'établissant à 90 milliards d'euros, nous espérons nous situer entre 65 et 70 milliards d'euros, un pic devant être atteint en 2014 pour décroitre ensuite progressivement.

Nous étions à l'origine réservés sur la demande belge d'une collatéralisation des garanties car nous considérions que le collatéral disponible devait permettre à Dexia de trouver des financements sur les marchés ou auprès des banques centrales et d'éviter ainsi d'exposer les Etats en garantie. Au final, un accord a été trouvé aux termes duquel des collatéraux sont apportés à due proportion des garanties accordées par chacun des trois Etats. La collatéralisation a toutefois été faiblement utilisée, soit pour moins de 10 milliards d'euros et a plutôt concerné des actifs non éligibles ou peu éligibles à la banque centrale.

La réussite de ce plan nécessite un accord définitif entre les trois Etats et avec la Commission européenne. L'un des paramètres importants sera la façon dont les banques centrales pourraient continuer de financer à des conditions très attractives les besoins de liquidités liées aux garanties. Un autre est le niveau des commissions de garantie que les Etats choisiront de demander, l'Etat français plaidant pour leur limitation définitive à 5 points de base, sujet encore en discussion avec la Belgique. Enfin, l'environnement macroéconomique peut aussi fortement influer sur le bilan de Dexia en termes de liquidités et de risque.

Le bilan de Dexia était de 650 milliards d'euros en 2008, 550 milliards avant les accords d'octobre 2011, 400 après la cession de DBB, et, si les opérations prévues sont réalisées, le plan nous amènerait à un bilan de 270 milliards d'euros. Cela demeure considérable, mais la décroissance a été importante.

Nous sommes très vigilants à propos des collectivités locales, sujet sur lequel nous savons que nous sommes « attendus ». Le besoin de financement des collectivités et du secteur public local en France se situe entre 17 et 20 milliards d'euros. Or, les banques françaises hors Dexia se sont engagées, par un communiqué de presse récent, à maintenir leur production actuelle, soit 10 milliards d'euros ; Dexia apportait, selon les années, environ 4 milliards d'euros et un milliard d'euros provenait de financements obligataires. S'y ajoutent les financements sur fonds d'épargne ; une première tranche de 2 milliards d'euros a été débloquée, qui n'est, à ce jour, quasiment pas tirée.

M. Philippe Marini, président. - Pardonnez- moi, ce n'est absolument pas vrai ! Il suffit d'aller dans n'importe quelle délégation régionale de la Caisse des dépôts pour constater qu'il n'y a plus de fonds disponibles depuis des mois. Vous ne pouvez pas dire cela ici ! C'est contraire à la réalité des choses.

M. Hervé de Villeroché. - L'enveloppe a été réservée, pas en totalité, mais rien n'a été décaissé sur cette enveloppe.

M. Philippe Marini, président. - C'est un sophisme ! J'entends la direction du Trésor tenir toujours le même langage depuis plus de six mois : « il n'y a pas de problème, l'argent n'est pas dépensé, passez, nous sommes là, les banques maintiennent leurs engagements ! » Je peux vous dire qu'entre une collectivité locale réelle et ce que vous dites, il y a un monde...

M. Hervé de Villeroché. - Il s'agit bien d'un besoin global compris entre 17 et 20 milliards d'euros, selon que l'on intègre ou non le secteur hospitalier ; et les banques, hors Dexia, ont rappelé dans un communiqué, qu'elles apporteraient 10 milliards d'euros. Le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 5 milliards d'euros sur fonds d'épargne, dont 2 milliards qui n'ont pas été utilisés mais réservés, et 3 milliards qui seront mis à disposition des collectivités locales en fin d'année. Nous arrivons donc à 15 milliards, auxquels s'ajouteront 1 à 1,5 milliard de financements obligataires, les financements de la Banque postale ainsi que de DMA, structure sur laquelle nous comptons pour 2,5 milliards. L'on atteint donc les 20 milliards d'euros.

M. Philippe Marini, président. - Quand et comment la Banque postale pourra-t-elle intervenir ?

M. Hervé de Villeroché. - L'intervention de la Banque postale pour le court terme est déjà en place depuis le 22 juin. En ce qui concerne DMA, chargée d'apporter des financements à long terme, une incertitude demeure du fait des négociations avec la Commission européenne. Mais nous nous engageons à adapter nos outils de financement si DMA n'est pas capable d'intervenir d'ici la fin de l'année. Le ministre le redira : nous n'allons pas laisser les collectivités locales seules avec des besoins de financement non couverts.

La situation de l'hôpital nous préoccupe, sachant qu'il s'agit de petits montants, soit 2 à 3 milliards d'euros par an, mais dans un secteur où peu d'acteurs veulent remplacer Dexia. Ces niveaux de financements sont à la portée du secteur bancaire. Mais s'il demeure réticent, il faudra trouver des solutions.

Enfin, je précise que la position des collectivités locales à l'Agence France Trésor (AFT) est à son plus haut historique.

M. Philippe Marini, président. - Merci de nous expliquer que tout ne va pas si mal. Vous avez confirmé que le passage de 2 à 5 milliards d'euros n'interviendrait pas avant la fin de l'année, ce qui est, vous en conviendrez, très propice à une bonne gestion des collectivités qui votent leurs budgets fin mars et qui ne sauront pas, entre mars et décembre, si l'argent sera disponible ! Cela permet aussi de bien gérer la courbe d'activité des entreprises mais, si vous considérez que la situation est correcte, on ne saurait mieux dire...

M. Hervé de Villeroché. - Je n'ai pas dit qu'elle était correcte mais simplement que les 3 milliards à venir n'étaient pas hypothétiques et que les 5 milliards annoncés seront donc effectifs. C'est bien parce que les 2 premiers milliards n'ont pas été décaissés que le complément n'a pas encore été rendu disponible.

M. Philippe Marini, président. - Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations répartit son enveloppe globale région par région et, une fois que c'est consommé, il n'a plus rien et il attend qu'on la lui majore.

M. Hervé de Villeroché. - Oui mais la plupart des contrats ne sont pas signés, là est la difficulté.

M. Philippe Marini, président. - Peut-être parce que l'on ne s'empresse pas de les envoyer ?

M. Hervé de Villeroché. - Non, je ne le crois pas.

M. Philippe Marini, président. - Nous pourrions peut-être aller auditer cela cet été ....

M. Olivier Bourges, directeur général adjoint de l'Agence des participations de l'Etat (APE). - La perte patrimoniale pour l'Etat dans Dexia s'élève à environ 1 milliard d'euros puisqu'il a investi ce montant en 2008 à un prix de 9,9 euros par action et que celui-ci est aujourd'hui de seulement 15 centimes. En revanche, l'Etat a perçu une rémunération pour les garanties qu'il a accordées.

Par ailleurs, non, il n'existe pas de pacte d'actionnaires entre l'Etat, la CNP et la Caisse des dépôts et consignations, même si, jusqu'à maintenant, nos positions ont plutôt été concordantes.

En réponse à l'interrogation sur l'actionnariat de Dexia entre 2005 et 2008, période au cours de laquelle le bilan a gonflé par la création d'un quasi hedge fund, je rappellerai que l'Etat n'y est entré qu'à l'occasion du premier plan de sauvetage, en octobre-novembre 2008, et qu'auparavant les intérêts français étaient surtout représentés par la Caisse des dépôts et consignations. Quant à la clé de répartition du capital entre la France et la Belgique, elle n'a rien de mystérieux, puisqu'elle représente la part de leurs intérêts respectifs dans l'entreprise à l'époque.

M. Philippe Marini, président. - C'était donc la Caisse des dépôts qui était actionnaire et l'on dira que cela relevait de la responsabilité de Francis Mayer, qui n'est plus là pour répondre...

M. Olivier Bourges. - Non, je ne dirai pas cela. Ma réponse est strictement factuelle et il ne me revient pas de faire la part des responsabilités.

M. François Marc, rapporteur général. - L'injection de 6,4 milliards d'euros de capital le 3 octobre 2008 s'est faite au prix de 9,9 euros par action, soit 2 euros de plus que le cours de bourse de clôture du 28 septembre, situation ubuesque, unique en Europe ! Pourquoi les actionnaires ont-ils accepté une telle surcote ?

M. Olivier Bourges. - Ceci s'explique par le fait que le droit belge prévoit qu'en cas d'augmentation de capital réservée, le cours de bourse pris en référence est la moyenne des 30 dernières séances.

M. Pierre Mariani. - Certes, mais c'est, depuis le début de la crise financière, le seul cas en Europe de capitalisation au-dessus du cours de bourse. Il s'explique effectivement par le choix d'une procédure d'ouverture de capital réservée, ainsi, sans doute, que par la méconnaissance de la nature et de l'ampleur des difficultés du groupe au moment où cette décision a été prise.

M. Philippe Marini, président. - On peut aussi penser que, lors du montage de l'opération, l'on s'est efforcé de procéder de façon incontestable pour éviter des actions de la part du public, détenteur d'une partie du capital.

M. Olivier Bourges. - Je ne peux penser l'inverse.

L'Etat va t-il entrer dans le capital de la holding détenant DMA ? Oui, puisque le protocole du 16 mars prévoit que ce capital sera initialement détenu par la CDC, l'Etat et Dexia, chacun pour 31,7 % et la Banque postale pour 5 % à ce stade, sachant qu'au plus tard en 2020, Dexia a une option de vente pour céder le solde de sa participation dans DMA. A terme, cette société a donc vocation à être détenue par les trois autres actionnaires. DMA ayant été valorisé à 380 millions d'euros, cette participation représente donc 125 millions pour l'Etat, financés par le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », qui dispose actuellement de disponibilités.

Il est vrai qu'à propos de DMA, nous sommes en discussion avec la Commission européenne ; la négociation s'est intensifiée depuis que, suite au plan définitif que nous avions transmis le 21 mars dernier, Bruxelles a ouvert une procédure au titre des aides d'Etat le 30 mai. Nous ne connaissons donc que depuis très récemment les observations détaillées de la Commission, qui portent sur le droit de la concurrence.

La première concerne la désimbrication de DMA et Dexia, compte tenu de la détention du capital de la première par la seconde et des liens organisationnels entre les deux structures. La question est posée à Bruxelles d'une coupure plus rapide de ces liens.

La seconde, plus épineuse, porte sur les garanties et contre-garanties. Je rappelle qu'à la demande de la CDC, une garantie vendeur avait été accordée par Dexia, constituée d'une garantie générale dite de « stop-loss », c'est-à-dire de limitation des pertes et d'une garantie spécifique de litige et de performance portant sur les prêts structurés, représentants 10 milliards d'euros, dont 4 hors charte Gissler. A ceci est venu s'ajouter, à la demande de l'Etat belge, une contre-garantie qui a été validée par notre Parlement. Précisons toutefois que celle-ci comporte une franchise de 500 millions d'euros, ainsi qu'un ticket modérateur mis à la charge de Dexia afin d'éviter l'aléa moral. Des discussions approfondies sont menées avec la Commission européenne à propos de ce dispositif, certes compliqué, mais que nous défendons car il répond à une logique forte à la fois pour l'acquéreur et pour la Belgique.

Enfin, la Commission européenne s'interroge aussi sur l'existence d'éventuelles distorsions de concurrence sur le marché des prêts aux collectivités locales liées à l'existence de DMA.

M. Philippe Marini, président. - Sans préjuger du résultat, l'on peut donc comprendre qu'il y a un espace de discussion avec la Commission européenne.

M. Olivier Bourges. - Monsieur le président, nous faisons tout notre possible mais vraiment je ne préjugerai de rien.

M. Philippe Marini, président. - Certes, mais si l'on négocie, c'est pour aboutir, c'est que l'on est prêt à faire des concessions...

M. Olivier Bourges. - Cependant, il est certain que tant que la Commission européenne n'aura pas donné son autorisation préalable, DMA ne pourra pas intervenir.

M. Philippe Marini, président. - Et donc, cela bloque toute constitution d'un établissement public dédié au financement des collectivités territoriales françaises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette situation particulièrement tendue a-t-elle donné lieu à des contentieux engagés par les collectivités locales ?

J'ajouterai, en outre, à l'attention du Trésor, une raison supplémentaire à la nécessité de régler le problème du financement des collectivités : une raison qui tient à la sincérité budgétaire. En effet, la chambre régionale des comptes peut remettre en cause la sincérité de nos budgets si nous prévoyons d'équilibrer un investissement par l'inscription d'un emprunt que nous ne sommes désormais plus sûrs d'obtenir.

Aujourd'hui les préfets passent leur temps à essayer de débloquer la situation des petites communes. Comme l'a souligné le président Marini, il y a vraiment un problème !

M. Francis Delattre. - Dans les négociations en cours, de quels moyens disposez-vous ou avez-vous besoin pour proposer des rachats ou des refinancements ? Le représentant du Trésor me semble bien optimiste quand il indique que 10 milliards d'euros devraient être financés par les banques commerciales. Car les discussions avec elles sont très difficiles. Elles invoquent des contraintes telles que Bâle 3 pour justifier au final leurs décisions de ne pas donner un sou.

J'ai apprécié la remarque selon laquelle nous serions le seul pays d'Europe à ne pas disposer d'un établissement public de financement des collectivités locales mais je vous rappelle que la Banque postale dit ne pas envisager représenter plus de 20 % à 25 % du marché. Si les banques continuent à être de plus en plus réticentes, il va falloir trouver un instrument complémentaire. Et ne vous fiez pas aux effets d'accordéon actuels liés au fait que certaines collectivités retardent leurs investissements, cela ne va pas durer.

M. Philippe Marini, président. - Pourriez-vous nous rappeler le chiffre exact figurant dans le communiqué des banques commerciales ? Ce montant traduit-il une continuité ou bien une chute des financements ?

S'il apparaissait à la fin de l'année, au vu des statistiques de la Banque de France, que les banques n'ont pas agi conformément à ce communiqué, document au demeurant sans portée juridique contraignante, quels seraient les moyens dont disposerait l'Etat pour mettre en jeu la responsabilité de celles qui n'auraient pas tenu leur parole ?

M. Hervé de Villeroché. - Le communiqué de la Fédération bancaire française mentionnait le chiffre de 9,5 ou 10 milliards d'euros, soit un maintien du niveau de leur financements, ce qui signifie qu'elles ne se substituent nullement à Dexia. Certes, un communiqué de presse n'est pas contraignant mais nous n'avons pour l'heure aucune indication qui nous donnerait à penser que cet engagement ne serait pas respecté. Nous suivons cette question avec une immense attention, d'autant plus que nous comptions sur la création de DMA, qui est retardée.

M. Philippe Marini, président. - L'on peut comprendre que les banques procèdent à des redéploiements mais, au plan microéconomique, sur le terrain, l'on sent une véritable volonté de retrait. C'est par exemple ce que je constate pour la Société Générale ou le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel semblant plus allant. Si, en fin d'année, vous constatez qu'ils ne respectent pas leurs engagements, que faites-vous ?

M. Hervé de Villeroché. - J'espère que nous ne nous trouverons pas dans cette situation, mais la première urgence serait de remédier au manque de financement.

Sans commenter la situation individuelle de banques, je note toutefois que le Crédit Agricole a fait une annonce dont j'espère qu'elle sera suivie d'autres. Au vu des enveloppes engagées par chacun des établissements, l'on constate qu'il y a bien continuité avec les financements précédents.

Cela dit, un financement sur fonds d'épargne est de toute façon nécessaire, d'où les 5 milliards prévus, dont 2 ont été mis à disposition immédiatement. Si l'opération DMA ne se fait pas et que la Banque postale n'apporte pas les financements suffisants, il faudra trouver une solution. Mais, quoi qu'il en soit, si les engagements sont tenus, on se situera à un niveau raisonnable.

M. François Marc, rapporteur général. - Petite question technique : en octobre 2011, il y avait encore 28 milliards d'euros d'émissions bénéficiant de la garantie accordée en 2008. Quel est leur niveau actuel ?

M. Hervé de Villeroché. - Il en reste 19,5 milliards d'euros de garanties répartis pour les trois Etats avec la clé de répartition déjà indiquée. La dernière échéance sera amortie fin 2014, ce qui conduira à la montée en puissance des nouvelles garanties.

M. Francis Delattre. - Dans mon département, trente collectivités sont en discussion avec Dexia. Mais doivent-elles continuer et aller au bout si, au final, cela ne sert à rien ? Deux ou trois communes ont choisi d'aller au contentieux mais, pour les autres, se pose la question de savoir si vous avez les moyens d'aboutir intelligemment.

M. Pierre Mariani. - Nous avons aujourd'hui une trentaine de contentieux, les autres banques en ayant globalement le même nombre. En effet, pendant que l'on parle de Dexia et de ses crédits structurés, les autres établissements sont tranquillement tapis derrière nous en espérant que l'on ne prononce pas leurs noms, mais notre part des contentieux correspond peu ou prou à notre part de marché, 40%.

Lors des négociations que nous menons, il est possible de sortir intelligemment des prêts structurés si l'on peut prêter de nouveau aux collectivités locales de façon à étaler le coût sur de plus longues périodes. Mais aujourd'hui le principal obstacle réside dans les conditions de marché (volatilité, niveau des taux) et l'évolution de la parité euro/franc suisse qui est, dans la très grande majorité des cas, à l'origine des situations les plus tendues. En outre, pour sortir des crédits structurés, il faut d'autres structures ; or l'on a aujourd'hui davantage de difficultés à trouver des contreparties.

Notre ligne de conduite consiste ne pas traiter tous les clients de la même manière. Pour les plus petites collectivités locales, qui ont peu de profondeur d'encours, nous procédons, sous l'égide du médiateur Gissler, à une prise en charge ou à un plafonnement des intérêts. C'est le groupe qui en supporte les conséquences financières jusqu'au moment où nous serons capables de sortir ces collectivités de ces produits dans de bonnes conditions.

A l'inverse, pour les autres collectivités, soit l'on sort de manière acceptable pour tout le monde, en plusieurs étapes si nécessaire, soit l'on prend le risque d'aller au contentieux.

A propos du back-office de la nouvelle banque, je précise que l'offre de crédits à court terme faite, depuis le mois de juin, par la Banque postale n'aurait pas été possible sans les compétences de Dexia. Les décisions de crédits sont prises par des équipes largement issues du groupe, la Banque postale ne disposant pas des outils de mesure des risques. Surtout, le nouvel établissement qui sera mis en place à l'automne, utilisera très largement les systèmes informatiques issus de Dexia. Nous faisons en sorte d'être prêts à distribuer des crédits à partir de fin octobre.

Enfin, j'ai une vision un peu plus pessimiste qu'Hervé de Villeroché sur la situation des collectivités pour cette année et, plus encore, pour l'année prochaine, surtout si l'on considère le secteur public au sens large. Les acteurs du logement social vont en effet se retrouver en fort besoin de financement, surtout après les annonces de construction de 500 000 nouveaux logements supplémentaires, soit un besoin supplémentaire de 5 à 6 milliards d'euros pour les bailleurs sociaux, venant augmenter le besoin de financement local global.

S'il manque de l'argent à la fin de l'année, cela ne se verra pas, puisque les collectivités ajusteront leurs investissements, mais cela aura évidemment des incidences macro-économiques.

M. Philippe Marini, président. - Il y aura moins de travail pour le bâtiment et les travaux publics, donc plus de chômage...

M. Pierre Mariani. - En effet. Aujourd'hui les représentants du bâtiment et des travaux publics se plaignent des retards de paiement.

Mme Michèle André. - C'est un problème qui s'ajoute au premier.

M. Pierre Mariani. - Ces trois dernières années, les structures de financement des collectivités françaises ont été profondément modifiées : les banques étrangères ont presque disparu depuis 2008 ; en 2009, 2010 et jusqu'en 2011, la Caisse d'épargne s'est substituée à Dexia et à ses concurrentes étrangères, avec l'appui de la CDC ; en 2012 cette dernière a assuré presque seule la continuité du crédit. Ce ne peut être une solution structurelle. Si l'on veut que les collectivités se financent auprès du marché, il faut mettre en oeuvre le schéma de financement du secteur public local décidé en octobre. Sinon, il faut s'inspirer des exemples allemand et néerlandais.

M. Philippe Marini, président. - Je remercie M. Mariani, qui a exercé des fonctions ingrates mais indispensables alors que Dexia était en déshérence. La crise des dettes souveraines l'a empêché de mener à bien son rétablissement, mais il ne faut pas moins lui rendre hommage, car il est intervenu très activement sur les marchés internationaux pour réduire l'exposition de la banque, et il s'est mis à l'écoute des collectivités, préoccupées de leur accès au crédit. Merci aussi à MM. Bourges et de Villeroché, dont la tâche n'a pas été facile au cours de cette audition publique. Nous aurons, à n'en pas douter, l'occasion de reparler de ce dossier.

Mercredi 4 juillet 2012

- Présidence de M. Roland du Luart, vice-président

Déplacement d'une délégation du Bureau de la commission en Égypte, Libye et Tunisie - Compte-rendu

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend le compte-rendu du déplacement effectué par une délégation du Bureau de la commission en Égypte, Libye et Tunisie du 18 au 24 mars 2012.

M. Roland du Luart, président. - Ce déplacement s'est inscrit dans le cadre des déplacements annuels à l'étranger d'une délégation de la commission des finances. En 2012, elle s'est rendue en Egypte, en Libye et en Tunisie du 18 au 24 mars, pour faire le point sur la situation économique et politique un an après les « printemps arabes ».

La délégation de la commission des finances, dont je faisais partie, a été conduite par son président Philippe Marini. Elle était composée de quatre autres sénateurs, représentant les différentes sensibilités politiques du Sénat, Yvon Collin et Aymeri de Montesquiou, vice-présidents, ainsi que Jean-Vincent Placé et Michel Berson.

Malgré leur proximité géographique et culturelle, l'Egypte, la Libye et la Tunisie présentent chacune des spécificités. C'est pourquoi je vais vous présenter successivement chacun de ces Etats.

S'agissant de l'Egypte, son avenir institutionnel reste suspendu au transfert effectif du pouvoir aux autorités civiles démocratiquement élues.

Le 11 février 2011, à l'issue d'une révolution de dix-huit jours, le Président Hosni Moubarak a quitté le pouvoir qu'il exerçait depuis 1981. La direction politique est transitoirement exercée par le Conseil supérieur des forces armées (CSFA).

Les élections aux deux chambres se sont déroulées en plusieurs phases : du 28 novembre au 11 janvier 2012 pour les élections à l'Assemblée du peuple, et du 29 janvier au 6 février 2012 pour les élections à la chambre haute, la Choura.

Notre visite a été marquée, le 17 mars 2012, par la disparition du pape Chenouda III, primat de l'Eglise copte orthodoxe, laquelle représente 90 % de la minorité copte, soit 10 % de la population égyptienne. La délégation a tenu à lui rendre hommage.

La désignation des candidats à l'élection présidentielle a eu lieu en avril 2012. Le premier tour du scrutin s'est déroulé les 23 et 24 mai 2012, et le second tour  les 16  et 17 juin, avant l'investiture officielle du nouveau président le 1er juillet.

La délégation de la commission des finances a été reçue au plus haut niveau à la Choura, par son Président, M. Ahmed Fahmy, et six présidents de commission.

Après ce rappel du calendrier électoral, j'en viens aux résultats du scrutin.

Les élections à l'Assemblée du peuple ont vu le succès de la Coalition démocratique, animée par le Parti liberté et justice (PLJ) proche des Frères musulmans, qui a recueilli 37 % des voix et obtenu 45 % des sièges. Une percée inattendue a été réalisée par les salafistes du parti Al Nour, avec 28 % des voix et 25 % des sièges. Les formations laïques ont été minoritaires : 9 % des voix et 8 % des sièges pour le Néo-Wafd, formation historique d'opposition, d'inspiration libérale ; 9 % des voix, ayant conduit à l'attribution de 7 % des sièges, pour le Bloc égyptien, coalition libérale et de partis de gauche.

La phase de l'élection présidentielle a ensuite commencé par la désignation des candidats en avril 2012. La commission suprême de l'élection présidentielle a disqualifié dix candidats sur vingt-trois, dont Ahmed Chafik, qui avait été le dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, finalement autorisé à se présenter après un recours.

Sur les treize candidats qui se sont présentés, cinq se sont détachés dans les sondages :

- le laïc Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, qui a reçu la délégation du Sénat à son domicile ;

- Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien dirigeant des Frères musulmans, exclu de la confrérie pour avoir décidé de se présenter, partisan d'un Islam modéré, et que la délégation a également rencontré ;

- Mohamed Morsi, investi par le PLJ ;

- Ahmed Chafik ;

- Hamdine Sabahi, dirigeant d'une petite formation socialiste de sensibilité nassérienne.

Les 23 et 24 mai 2012, le premier tour de l'élection présidentielle a été marqué par une surprise, puisque sont arrivés en tête Mohamed Morsi (qui a recueilli 24,8 % des voix) et Ahmed Chafik (23,7 %), alors qu'ont été éliminés Hamdine Sabahi (20,7 %), Abdel Moneim Aboul Foutouh (17,5 %) et Amr Moussa (11,1 %). Ces deux derniers étaient pourtant les favoris des sondages.

Des tensions et des coups de théâtre ont émaillé la campagne de l'entre-deux-tours.

Le 2 juin, de vives protestations ont suivi la condamnation à perpétuité d'Hosni Moubarak, alors que la peine de mort était requise, pour son rôle dans la répression de la révolution de janvier-février 2011 qui a causé 850 morts.

Le second tour de l'élection présidentielle, qui s'est tenu les 16 et 17 juin, a eu lieu dans un contexte politique nouveau. D'une part, la Cour constitutionnelle a invalidé le Parlement en raison d'irrégularités supposées dans l'attribution d'un tiers des sièges de la chambre basse ; d'autre part, le CSFA a décidé de s'arroger le pouvoir législatif et de désigner les membres du comité chargé de rédiger la Constitution, qui sera soumise à un référendum, mais sur laquelle le CSFA aura un droit de veto. D'importantes manifestations ont eu lieu place Tahrir contre ce que les participants ont qualifié de « coup d'Etat » militaire.

L'islamiste Mohamed Morsi a remporté l'élection et été déclaré vainqueur le 24 juin, mais dans un contexte politique radicalement différent de celui de l'avant-premier tour.

Il est apparu que les militaires n'ont jamais quitté la scène politique, même s'ils déclarent s'engager à poursuivre le processus de transfert du pouvoir aux nouvelles autorités civiles élues. Par ailleurs, les oppositions islamistes et laïques sont affaiblies par leurs divisions, tout en ayant fait preuve d'un grand pragmatisme face à l'urgence économique et sociale lors de leurs entretiens avec les membres de la délégation.

Les tribunaux, proches de l'ancien régime, ont fait irruption sur le devant de la scène politique par l'invalidation de candidats à l'élection présidentielle, puis des membres du Parlement élu.

Dans ce contexte, les chancelleries occidentales appellent au respect des échéances politiques.

Malgré ces incertitudes politiques, la situation économique est caractérisée par un retour progressif à la normale.

Pendant la révolution, l'Egypte a connu la fermeture pendant plusieurs semaines des usines, des banques, de la Bourse du Caire, ainsi qu'une forte chute du tourisme et un tarissement des flux d'investissements directs étrangers.

Une amélioration est perceptible en début d'année 2012. Sur l'année fiscale qui couvre la période juillet 2010 - juin 2011, la croissance économique a atteint 1,8 % et les perspectives pour l'année fiscale 2011-2012 sont comprises entre 2,2 %, selon le FMI et 3,2 %, suivant l'hypothèse retenue par le gouvernement pour l'élaboration du budget 2011-2012.

Le nouveau budget pour 2011-2012 prévoit un déficit de 8,6 % du PIB et des hausses d'impôts, ainsi qu'un taux d'endettement de 76 % du PIB. Les déficits prévisionnels s'établissent à 6 milliards de dollars pour le compte courant, 14 milliards de dollars pour la balance des paiements.

Pour l'avenir, un des premiers enjeux est de répondre à l'urgence sociale, alors que le taux de chômage réel est proche de 20 %. Des hausses de salaires sont intervenues sous l'effet d'un rehaussement du salaire minimum à hauteur de 75 % en octobre 2011, en vue d'un quintuplement sur cinq ans : son montant doit être réévalué de 400 à 2 000 livres égyptiennes (soit de 50 à 250 euros).

Les responsables politiques égyptiens ont également insisté sur la nécessité de lutter contre la corruption et de réduire la part de l'économie relevant du secteur informel, aujourd'hui estimée à 40 %.

Les réformes de structure ont également vocation à réduire, à terme, les subventions aux hydrocarbures et aux produits alimentaires, qui représentent 23,3 % des dépenses budgétaires et tendent à abaisser le taux d'inflation, lequel atteint néanmoins 10 % en rythme annuel.

S'agissant des équilibres économiques et financiers, le montant des réserves de change a chuté à 15 milliards de dollars au printemps 2012, soit seulement trois mois d'importations, tandis qu'une restructuration du secteur bancaire reste à engager.

Dans ce contexte, il pourrait être recouru à des financements extérieurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Si des discussions sont en cours, des décisions ne devraient intervenir qu'après la stabilisation de la situation politique.

Compte tenu du potentiel économique du pays, qui permet d'envisager le retour à un taux de croissance annuel au moins égal à 5 % permettant d'assurer le décollage économique, 120 entreprises françaises sont déjà présentes en Egypte. Elles emploient 50 000 personnes et représentent un stock d'investissements directs étrangers (IDE) de 4,5 milliards de dollars. Les échanges commerciaux bilatéraux entre la France et l'Egypte s'élèvent en 2011 à 1,82 milliard d'euros d'exportations françaises et 1,34 milliard d'euros d'importations.

M. Philippe Dallier. - Quelles sont les importations françaises d'Egypte ?

M. Roland du Luart, président. - Les matières premières (historiquement le coton, et aujourd'hui les hydrocarbures) constituent la plus grande part des importations françaises d'Egypte.

J'en viens maintenant à la présentation de notre déplacement en Libye.

Le soulèvement contre le régime du colonel Kadhafi, apparu en février 2011 à Benghazi, l'a emporté en octobre. Officiellement constitué le 5 mars 2011, le Conseil national de transition (CNT) présidé par Mohamed Abdeljalil a exercé les fonctions exécutives jusqu'à la formation d'un gouvernement de transition, et reste l'organe législatif dans l'attente des élections à l'Assemblée constituante libyenne.

La France ayant été le premier pays à avoir reconnu le CNT, elle jouit d'un grand prestige, ce dont ont témoigné les entretiens de haut niveau de la délégation, notamment avec le Premier ministre Abderrahim Al-Kib. Les membres du gouvernement sont des interlocuteurs de qualité, souvent formés en Occident et attachés aux droits de l'homme, pleinement conscients des défis à relever.

Le processus électoral est en cours. L'inscription des électeurs et des candidats s'est achevée mais a pris du retard, nécessitant de reporter du 19 juin au 7 juillet les élections au Congrès national. Celui-ci aura un double rôle d'assemblée nationale et constituante.

Le mode de scrutin, mixte, combine les systèmes proportionnel et majoritaire. Dans un pays qui n'avait plus de partis politiques, la loi sur les partis représente un progrès. Elle suscite toutefois des interrogations, en interdisant les partis fondés sur une base régionale, religieuse, qui seraient le prolongement de partis à l'étranger et ceux qui seraient financés par des gouvernements ou des organisations de l'étranger. D'ores et déjà, les Frères musulmans ont formé le Parti de la justice et du développement (PJD), tandis qu'une formation laïque, le Parti démocratique, soutient le CNT.

La situation politique reste toujours instable. Le 6 mars 2012, la Cyrénaïque a proclamé son autonomie, à l'initiative d'Ahmed Al-Senoussi, cousin de l'ancien roi Idriss Senoussi. Même si ce mouvement se défend d'être indépendantiste, le CNT a déclaré être prêt à s'opposer à toute velléité séparatiste par tous les moyens, y compris militaires.

L'ordre public est toujours assuré par les 500 brigades révolutionnaires, et des cas de violation des droits de l'homme sont rapportés. Pour y remédier, le ministère de l'intérieur a constitué un Comité suprême de sécurité (CSS), mais les méthodes du CSS sont également critiquées.

Si les autorités libyennes sont conscientes de la situation, disposent-elles de tous les moyens d'agir ?

Par ailleurs, le gouvernement libyen est confronté à la réintégration de quelque 160 000 anciens combattants, nécessaire pour des raisons d'équilibre social et politique, alors que les divers trafics à la frontière Sud posent toujours un défi majeur de sécurité.

En ce qui concerne l'économie libyenne, celle-ci reste fondée sur les hydrocarbures, qui constituent 95 % des exportations. Mi-mars 2012, la production pétrolière avait atteint 1,35 million de barils par jour, soit 80 % de son niveau d'avant-guerre. En juin, elle a atteint 90 % du niveau de production de 2010. Le PIB a reculé de 60 % en 2011, et le FMI prévoit une croissance de 70 % en 2012. Sur le long terme, la production libyenne de pétrole et de gaz restait inférieure, en 2010, à son niveau de 1970, malgré des réserves importantes, ce qui témoigne des sous-investissements dans ce secteur.

Le 12 mars 2012, le CNT a adopté un budget de 68,5 milliards de dinars libyens (soit 42,9 milliards d'euros), dont les principaux postes sont le paiement des fonctionnaires et les subventions aux hydrocarbures et aux produits de première nécessité.

Pour l'avenir, plusieurs enjeux sont posés. Tout d'abord, le gouvernement éprouve des difficultés à honorer ses promesses, en particulier le versement d'une indemnité de 1 200 euros à chaque famille de révolutionnaires et de martyrs. Ensuite, l'économie libyenne, longtemps planifiée, doit être diversifiée et libéralisée, comme l'ont souligné les interlocuteurs économiques privés libyens rencontrés à Tripoli, le Conseil des hommes d'affaires et l'Union des chambres d'économie. S'agissant du financement de l'économie, le secteur bancaire souffre d'un manque de confiance des épargnants. Enfin, le système fiscal reste à construire, alors que le produit des impôts ne constitue que 5 % des ressources budgétaires.

La présence économique de la France est traditionnellement forte. En 2010, les importations françaises de la Libye s'élevaient à 4,8 milliards d'euros, tandis que les exportations françaises atteignaient 3,8 milliards d'euros.

Le stock d'IDE français en 2009 a été évalué à 1,33 milliard d'euros, dont 1,1 milliard d'euros pour Total. Si l'on observe à présent une reprise des grands contrats français en Libye, la réactivation des anciens projets est soumise à l'appréciation d'un comité spécial d'examen des contrats suspendus, lequel doit réévaluer les contrats signés sous l'ancien régime selon deux critères : leur pertinence économique et l'absence de corruption.

Lors de leur rencontre avec la délégation de la commission des finances, les investisseurs français en Libye ont insisté sur la nécessité d'actualiser le site du ministère des affaires étrangères, qui reflète une situation ancienne ne tenant pas compte, selon eux, des améliorations récentes de la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur le besoin de renforcer les liaisons maritimes et aériennes entre la France et la Libye.

J'en viens à présent à la troisième et dernière étape de notre séjour, en Tunisie.

Le 17 décembre 2010, l'immolation de Mohamed Bouazizi marquait le déclenchement de la révolution tunisienne jusqu'au départ du Président Zine El Abidine Ben Ali, qui s'était emparé du pouvoir le 7 novembre 1987. Le 27 février 2011 un nouveau gouvernement transitoire était mis en place, dirigé par Caïd Essebsi. Enfin, le 3 mars 2011, le Président par intérim Fouad Mebazza a annoncé la tenue d'élections législatives qui ont eu lieu du 20 au 23 octobre suivant.

Elles se sont déroulées au scrutin proportionnel à un tour, du 20 au 23 octobre 2011, dans le cadre de 33 circonscriptions. Pour la première fois de l'histoire de la Tunisie, une instance indépendante a été chargée du bon déroulement du scrutin.

Les élections ont été remportées par le mouvement islamique Ennahda (Renaissance), lié aux Frères musulmans, avec 37 % des voix et 89 sièges sur 217. Celui-ci a formé une coalition pour gouverner la Tunisie avec le Congrès pour la République (gauche nationaliste ; 8,71 % et 29 sièges) et le Front démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol, social-démocrate ; 6,74 % et 20 sièges).

Le 10 décembre 2011, l'Assemblée constituante a adopté une loi d'organisation des pouvoirs qui fait reposer le fonctionnement institutionnel sur une troïka, dans l'attente de l'adoption de la nouvelle Constitution. Le Président de la République, Moncef Marzouki (CPR), a été élu par la Constituante ; chef des armées, représentant l'Etat tunisien, il exerce des responsabilités partagées avec le chef du gouvernement et l'Assemblée nationale. Le Président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol) conduit les travaux de l'Assemblée nationale. Enfin, le Premier ministre Hamadi Jebali (Ennahda) dirige le gouvernement et exerce le pouvoir exécutif.

La délégation a rencontré deux des trois responsables de la troïka, des raisons de calendrier ayant empêché l'entretien prévu avec le Premier ministre Hamadi Jebali, ancien opposant qui a passé dix années de prison en isolement total. De fait, les anciens prisonniers politiques jouissent d'un grand prestige dans la Tunisie actuelle, et occupent souvent des fonctions ministérielles dévolues dans d'autres pays à des personnalités ayant davantage un profil de technicien.

L'élaboration de la Constitution domine actuellement l'agenda politique. Six des dix-huit commissions de l'Assemblée nationale constituante sont ainsi chargées de la rédaction de la nouvelle Constitution, dans le délai d'un an d'ici octobre 2012, laquelle sera soumise à référendum. Comme l'avaient déjà fait apparaître les entretiens conduits par la délégation de la commission des finances, un consensus se dégage sur l'absence de référence à la Charia et la possibilité d'un régime semi-présidentiel qui pourrait s'inspirer du modèle français.

Malgré la vigueur du débat parlementaire, des contestations sont vivement exprimées par les salafistes et l'extrême-gauche. Des pressions politiques sur les Frères musulmans sont exercées par les salafistes, qui souhaitent l'application de la Charia et sont à l'origine d'émeutes les 11 et 12 juin contre une exposition artistique jugée blasphématoire. Par ailleurs, une agitation sociale et politique, vivement déplorée par les chefs d'entreprise tunisiens, est entretenue par l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), sans perspective aujourd'hui d'une cogestion à l'allemande.

La situation politique de l'an passé a fortement affecté l'économie tunisienne, qui a enregistré une croissance économique de - 1,8 % en 2011, sous l'effet notamment d'une chute de 34 % des revenus du tourisme et de la diminution de 25 % des flux d'investissements directs étrangers. Nos interlocuteurs tunisiens ont d'ailleurs déploré la réticence des touristes occidentaux à revenir en Tunisie, alors qu'il s'agit d'un des moteurs d'une reprise économique.

La politique économique donne la priorité au soutien à la croissance. Alors que la loi de finances initiale pour 2012 prévoyait un déficit budgétaire prévisionnel de 3,9 % du PIB, la loi de finances complémentaire (LFC) pour 2012, adoptée le 10 mai 2012, a porté le déficit budgétaire prévisionnel à 6,6 % du PIB. Le taux d'endettement public atteindrait ainsi 45,9 % du PIB fin 2012.

La LFC pour 2012 se fonde sur une hypothèse de croissance volontariste (3,5 %), en écartant notamment l'hypothèse d'une dégradation économique dans la zone euro qui affecterait fortement l'économie tunisienne.

A l'issue de l'adoption de la LFC, les dépenses budgétaires prévues en 2012 s'élèvent à 25,401 milliards de dinars (soit près de 12,5 milliards d'euros), pour des ressources évaluées à 19,644 milliards de dinars, soit un déficit de 5,757 milliards de dinars.

S'agissant des ressources supplémentaires, celles-ci se répartissent entre une augmentation des ressources fiscales, des recettes provenant de la vente de sociétés confisquées et du déblocage de fonds gelés après la privatisation de Tunisie Télécom en 2006, une contribution volontaire exceptionnelle, dont le principe répond aux règles de l'Islam, et enfin de nouvelles ressources extérieures apportées par les bailleurs multilatéraux.

La hausse des dépenses se répartit, à part quasi-égales, en dépenses de gestion supplémentaires et nouveaux investissements publics, à hauteur d'un milliard de dinars. Il est prévu des aides à l'emploi à destination des entreprises, la création de 25 000 emplois publics, ainsi qu'un développement des programmes de lutte contre la précarité sociale et la pauvreté. Parmi ces mesures figure la reconduction du programme AMAL pour les jeunes diplômés chômeurs, en l'absence de dispositif d'assurance chômage.

Dans ce contexte, l'aide internationale est fortement sollicitée par la Tunisie pour limiter le déficit budgétaire et financer la croissance. A cet égard, le sommet du G8 à Deauville en mai 2011 avait confirmé l'engagement de la France, qui fournit 68 % des flux bilatéraux d'aide publique au développement à ce pays.

La loi de finances complémentaire pour 2012 a prévu des ressources extérieures à hauteur de 4 milliards de dinars, soit un cinquième du budget, comportant notamment :

- 1 milliard d'euros de la Banque mondiale ;

- des interventions de la Banque africaine de développement et de l'Union européenne, pour des montants respectivement de 350 millions et 100 millions d'euros ;

- 100 millions d'euros de la deuxième tranche d'aide budgétaire de l'Agence française de développement ;

- un emprunt déjà décaissé auprès du Qatar ;

- une enveloppe de prêts du Fonds saoudien de développement ;

- un apport en garantie d'émissions obligataires et un don des Etats-Unis.

A ce stade, une possibilité d'intervention du FMI n'a pas les faveurs des responsables politiques tunisiens, même si les discussions se poursuivent. L'aide du FMI serait combinée à des réformes structurelles, dont la mise en oeuvre est renvoyée après la transition politique : la diminution des subventions alimentaires et aux hydrocarbures, la révision des lois sur l'investissement étranger, la lutte contre la corruption, la mise en place d'une autonomie des collectivités locales et un élargissement de l'assiette fiscale.

En ce qui concerne les relations économiques extérieures, l'année 2011 a marqué une poursuite de la hausse des échanges, mais à un rythme ralenti : les exportations ont augmenté de 6,7 % et les importations de 5,9 %. En 2011, la France a été le premier fournisseur de la Tunisie (à hauteur de 18,4 %) et son premier client (ayant reçu 30,7 % des importations tunisiennes).

Le secteur « off-shore » explique ce dynamisme : il représente les deux tiers des exportations. Bénéficiant d'un régime fiscal favorable, les exportations off-shore se concentrent sur quelques secteurs : industries mécaniques et électriques, textile, habillement et cuir.

La France est le premier investisseur étranger en Tunisie en termes de stock (hors énergie) avec un investissement total de 880 millions d'euros, correspondant à 1 270 entreprises françaises et 114 000 emplois.

Telles sont, mes chers collègues, les principaux enseignements d'une mission riche et dense.

M. Jean-Vincent Placé. - Je me réjouis également de la qualité des échanges de notre délégation, dont j'étais membre.

La situation de l'Egypte, de la Libye et de la Tunisie nous interpelle après que ces pays ont connu un vent de démocratie unanimement salué en Occident. Les enjeux de gouvernance et d'amélioration de l'administration centrale sont au coeur des défis à relever par les nouvelles équipes dirigeantes.

Au plan économique, une industrie avait commencé à se mettre en place, mais sa compétitivité est concurrencée par celle des nouveaux pays émergents, notamment en Asie. Dans ce contexte, les préoccupations environnementales, sur lesquelles j'ai interrogé nos différents interlocuteurs, ne sont pas apparues comme la première de leurs priorités.

Tous ont exprimé leur souhait d'une présence accrue de la France pour consolider la démocratie et accompagner le développement économique. Pourtant, les moyens dont dispose notre réseau diplomatique et économique restent limités, malgré le travail remarquable accompli par nos équipes dans des contextes difficiles.

M. Yannick Botrel. - Pour ma part, j'estime que la stabilisation politique est étroitement liée à la reprise de l'économie, alors que les régimes autoritaires prospèrent sur la pauvreté.

Dans le cadre de la mission que j'effectue, en ce moment même, avec plusieurs de nos collègues sur les dispositifs de soutien aux exportations agricoles, j'ai relevé que l'Egypte était un des principaux importateurs de céréales françaises, achetées par un unique organisme ayant le statut d'office national. Comment la délégation a-t-elle pu apprécier la question de l'impact du coût de l'alimentation sur la situation sociale dans les trois pays visités ?

M. Roland du Luart, président. - Les travaux de la délégation de la commission des finances se sont concentrés sur la situation politique et financière de l'Egypte, de la Libye et de la Tunisie.

Toutefois, en Egypte, 40 % de la population dispose de revenus inférieurs à 2 dollars par jour, et les subventions aux hydrocarbures et aux produits alimentaires de première nécessité jouent un rôle majeur pour leur subsistance. La conjugaison d'une population jeune et d'un manque de perspectives professionnelles constitue une « bombe à retardement » sociale et politique. Si les subventions aux produits alimentaires sont un élément clé du pacte social dans chacun des trois Etats, elles s'inscrivent dans des contextes différents. A cet égard, la Tunisie dispose d'un haut potentiel d'éducation, et la combinaison des enjeux sociaux et de formation pose plutôt la question de débouchés professionnels à la hauteur des investissements éducatifs.

En complément de mon exposé, je tiens à souligner le rôle politique toujours important des militaires en Egypte. Dans le processus démocratique en cours, la partition qui se joue est celle d'une « symphonie inachevée ».

Mme Michèle André. - Comment avez-vous perçu la situation des femmes en Egypte, Libye et Tunisie ? Occupent-elles des fonctions de direction ?

M. Roland du Luart, président. - En Egypte, nous avons rencontré une dirigeante de banque très dynamique, Mme Levine Loutfy, PDG de la National Bank for Development. Toutefois, les femmes restent pratiquement absentes des principaux postes de décision. Par exemple, plusieurs femmes ont figuré parmi les dix personnalités désignées par le CSFA pour siéger à l'Assemblée du peuple, seules quelques députées ayant été élues au scrutin de liste. En Libye, nous n'avons pas rencontré d'interlocutrices. Enfin, en Tunisie, les femmes sont davantage présentes, mais leur place au sommet de l'Etat et de l'économie reste modeste.

J'ajoute que, parmi les personnalités désignées de l'Assemblée du peuple égyptienne, figuraient aussi des représentants de la minorité copte. A cet égard, l'hommage rendu par la délégation au patriarche copte Chenouda III, au nom du gouvernement français, a été un moment riche en émotion, au cours duquel nous avons pu rencontrer des personnalités coptes au plus haut niveau. L'effervescence était telle que, lorsque nos véhicules ont cherché à quitter l'enceinte de la cathédrale, une marée humaine les a immobilisés. Pendant une heure et demie, des centaines de Coptes se sont positionnés à une autre sortie pour nous permettre de quitter l'enceinte du « Vatican des Coptes ».

M. Michel Berson. - J'ajouterai simplement une observation sur la formation d'une troïka associant des partis islamistes et laïcs en Tunisie. En effet, leurs représentants ont été emprisonnés ensemble, ce qui a créé des liens de solidarité et facilité le travail en commun après la révolution. Les représentants d'Ennahda nous ont tenu un discours moderniste sur les droits des femmes et le respect des minorités, permettant d'envisager une évolution vers des formations politiques européennes de type démocrate-chrétien.

M. Roland du Luart, président. - Il convient en effet d'établir une distinction entre islamistes modérés et radicaux.

A l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication des conclusions de la mission de sa délégation en Egypte, Libye et Tunisie sous la forme d'un rapport d'information.

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, préalable au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) et sur l'audit des comptes publics demandé par le Premier ministre

La commission procède ensuite à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, préalable au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) et sur l'audit des comptes publics demandé par le Premier ministre.

M. Philippe Marini, président. - Nos deux commissions, des finances et des affaires sociales, ici réunies, sont toujours très attentives, étant respectivement en charge des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, aux travaux de la Cour des comptes. Nous le serons d'autant plus aujourd'hui que la Cour, réviseur et certificateur des comptes de l'Etat, exerce, en ce début de législature et pour la première fois de façon aussi formelle, sa mission qui va à éclairer et émettre des recommandations pour la période à venir.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie d'avoir organisé cette audition. Elle permet à la Cour de vous livrer son analyse destinée à nourrir le débat d'orientation des finances publiques, mais aussi ceux qui auront lieu prochainement lors des discussions successives de la loi de finances rectificative, de la prochaine loi de programmation des finances publiques et des lois de finances et de financement pour 2013.

L'une des missions de la juridiction est de vous faire part de ses constats, analyses et préconisations sur la situation des finances publiques. A travers ces rapports prévus par la LOLF, mais aussi les enquêtes que vous nous demandez chaque année, les travaux d'évaluation des politiques publiques que nous vous livrons, ainsi que les· rapports publics thématiques, référés et rapports particuliers dont vous prenez connaissance, la Cour remplit sa mission d'assistance au Parlement pour le contrôle de l'action du Gouvernement. Je suis accompagné de Raoul Briet, président de la première chambre, de Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour, de Denis Morin et François Ecalle, conseillers maîtres.

L'audition de ce matin s'inscrit dans un contexte particulier, au lendemain de la publication du rapport sur les finances publiques dont je n'oublie pas que le premier destinataire est le Parlement. Il inclut cette année une évaluation détaillée, répondant à une demande du Premier ministre, des risques pesant sur la fin de la gestion 2012 et des enjeux qui sont associés, pour les années suivantes, au respect de la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes publics. Dans le cadre de la procédure contradictoire, le Gouvernement a eu connaissance d'une version provisoire du rapport dès le 22 juin. Il a donc pu tirer parti de cette analyse avant de prendre les arbitrages qui lui reviennent et élaborer le projet de loi de finances rectificative que vous examinerez très prochainement et qui sera soumis à votre approbation.

Avant tout, je souhaite insister sur l'enjeu que représente pour la France, à ce moment de son histoire, le retour à l'équilibre durable de ses comptes publics. N'ayant pas assuré depuis plus de trente ans l'équilibre de ses comptes - ne serait-ce qu'une année, même en période de forte croissance -, la France est entrée dans la crise avec une dette trop élevée et des comptes en déficit structurel. Au cours des dix années qui ont précédé la crise, nos engagements européens de redressement des comptes n'ont quasiment jamais été tenus. Maintes fois, le retour à l'équilibre de nos comptes a été annoncé et sans cesse différé, alors que les contextes économiques étaient favorables à un tel rétablissement. Cette situation a nui à la crédibilité de la France à l'égard de ses partenaires européens.

Au plus fort de la crise, en 2009, le déficit public a atteint le niveau historique de 142 milliards d'euros. La dette a vivement progressé pour atteindre, fin 2011, 86 % du PIB alors qu'elle était de 64 % en 2007, et de 46 % en 1993. Cette dette, de 1 717 milliards au 31 décembre 2011, représente 62 000 euros par ménage. A ce niveau, proche de 90 % - et qui devrait être dépassé à la fin de l'année 2012 ou au début de 2013 -, le pays est dans une zone dangereuse, pour son économie comme pour ses finances publiques. En effet, le risque d'un emballement de la dette ne peut être écarté. La crise des dettes souveraines en Europe montre que ce risque n'est pas théorique. Il se réalise malheureusement, pour des Etats voisins du nôtre, et se manifeste par une hausse brutale des taux d'intérêt demandés sur les emprunts publics. De telles situations conduisent les Etats concernés à des choix économiques et sociaux drastiques qui leur sont imposés de l'extérieur. Afin que ce risque ne se concrétise pas, il convient, selon nous, que la France restaure sa crédibilité en respectant la trajectoire de financement qu'elle s'est fixée et qui passe par un déficit de 4,4 % du PIB en 2012 puis, depuis le programme de stabilité de janvier 2010, par un déficit de 3 % du PIB en 2013, pour atteindre l'équilibre en 2016 ou 2017. Tout écart au regard de cette trajectoire porterait atteinte à la crédibilité de la France, fraîchement restaurée en 2011, pourrait déclencher une dynamique insoutenable d'augmentation de notre endettement et l'incapacité simultanée à le financer à des conditions supportables. Si, à l'inverse, la France tient ses engagements trois années de suite, tout en ayant connu une alternance, la confiance et la crédibilité du pays ne pourront qu'être confortées, sa dépendance à l'égard des marchés financiers réduite et sa capacité à peser efficacement sur la scène européenne renforcée. D'autres raisons militent pour le retour à l'équilibre rapide des comptes publics. La première est le niveau atteint par la charge d'intérêt des administrations publiques, soit 52,6 milliards d'euros. Elle prive notre pays d'importantes marges de manoeuvre qui lui manquent particulièrement en période de crise. Plus le redressement sera tardif, plus il sera difficile à conduire : agir a un coût, ne pas agir en a un, selon nous, encore plus grand, parce qu'entre-temps, la dette et la charge d'intérêt auront continué à progresser. Enfin, le niveau de la dette pose une question d'équité entre les générations, car cette dette correspond pour l'essentiel à des dépenses de fonctionnement dont rien ne justifie que la charge soit transférée sur les générations les plus jeunes.

L'analyse de la Cour a montré qu'en 2010, les deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Ce déficit structurel, hérité du passé, était déjà de 3,5 % du PIB en 2007 ; il était très proche de 4 % du PIB en 2011. Ces 4 points de PIB, soit 80 milliards d'euros, représentent le chemin à parcourir d'ici 2016 ou 2017 pour garantir un retour à l'équilibre des comptes, indépendamment de la conjoncture économique.

La Cour n'ignore pas que ce nécessaire effort de rééquilibrage peut comporter un effet négatif à court terme sur la croissance. Mais cet effet négatif peut être limité par un dosage approprié des mesures de redressement et par une initiative de croissance au niveau européen. Il doit surtout être relativisé par rapport aux effets beaucoup plus graves et durables que comporterait une sortie de la trajectoire de retour à l'équilibre.

Les mesures de rééquilibrage doivent être justement réparties entre les différents acteurs économiques. Elles doivent par ailleurs préserver la compétitivité de l'économie française, comme la Cour l'a montré dans son rapport établissant une comparaison des systèmes de prélèvements obligatoires entre la France et l'Allemagne. Le Gouvernement doit en effet s'attacher à réduire simultanément non pas un, mais deux déficits, celui de ses comptes publics et celui de sa compétitivité. Réduire l'un n'est pas exclusif de la réduction de l'autre.

L'année 2011 a représenté une première étape dans le redressement des comptes publics. Le déficit public s'est établi à 5,2 % du PIB, soit 103 milliards d'euros. Cette baisse résulte pour plus de 40 % de la fin des mesures temporaires comme le plan de relance de 2009 et 2010. Le déficit structurel s'est replié de 0,9 point de PIB, principalement par l'effet de mesures fiscales. Les règles budgétaires, notamment les normes de dépenses s'appliquant au budget de l'Etat, aux dépenses d'assurance maladie ainsi qu'aux transferts de l'Etat vers les collectivités territoriales, ont été respectées. Les comptes 2011 se situent sur la trajectoire de redressement des comptes.

Néanmoins, la France n'a pas rattrapé son retard par rapport aux autres pays européens qui sont eux-mêmes engagés dans la voie de la réduction des déficits, souvent à un rythme plus rapide que nous : le déficit structurel de 2011, de 4 % du PIB, se situe au-dessus de la moyenne des autres Etats membres de la zone euro, qui s'élève à 3,2 %. Il demeure très supérieur au déficit structurel allemand, de 0,8 %. Les niveaux de dette français et allemand divergent dorénavant, et c'est une évolution nouvelle et inquiétante : en France, la dette continue d'augmenter, car le déficit est le double de celui qui stabilise la dette. Le rapport de la dette dans la richesse nationale est devenu supérieur à celui de l'Allemagne, alors que ce dernier entame son repli.

En 2012, la France s'est engagée, en avril dernier, à revenir à un déficit de 4,4 % du PIB après 5,2 % en 2011. La Cour a cherché à apprécier, au regard des informations disponibles à ce stade de l'année, et compte non tenu, j'y insiste, des mesures décidées après le 6 mai 2012, si cet objectif de 4,4 % pouvait être tenu. Il ne s'agit pas d'un pronostic sur le solde qui sera atteint en fin d'année, mais d'une analyse des risques qui pèsent sur l'année 2012, compte non tenu, j'y insiste là encore, des mesures nouvelles dont le financement devra par ailleurs être assuré.

L'analyse de la Cour montre que le respect de la trajectoire pour 2012 est possible mais suppose des mesures rapides de correction, en raison de moins-values probables de recettes.

S'agissant en premier lieu des dépenses, les travaux conduits par la Cour ont identifié des risques de dépassement sur certaines dépenses de l'Etat, notamment les dépenses de personnel et d'opérations extérieures du ministère de la défense, les dépenses de logement, en particulier l'aide personnalisée au logement (APL) ou les dépenses relatives à l'allocation adultes handicapés (AAH) et, plus largement, les dotations pour l'emploi et la solidarité. Ces éléments sont retracés dans les annexes du rapport. Ont également été identifiés d'autres risques, dont l'ampleur peut être significative à l'échelle des programmes budgétaires auxquels ils appartiennent, mais dont le montant n'est pas significatif par rapport aux enjeux de la maîtrise du budget de l'Etat dans son ensemble.

Au total, les risques de dépassement peuvent être estimés à un niveau compris entre 1 et 2 milliards d'euros, sur un total de 275 milliards d'euros hors dette et pensions. Un tel niveau de risque ne se démarque pas de ceux couramment identifiés en cours d'année, à l'occasion des exercices précédents. Ces risques peuvent et doivent être résolus en gestion par le jeu des annulations et des redéploiements de crédits. Si les possibles dépassements ne sont pas d'une ampleur exceptionnelle, ils s'appliquent toutefois à un budget particulièrement serré. Le respect des normes de dépenses fixées suppose une grande vigilance afin que les dépassements identifiés ne soient pas couverts par des ouvertures de crédits mais par la mobilisation de la réserve de précaution, dont le montant actuel de 5 milliards d'euros environ. Cela rend nécessaire un accroissement de cette réserve afin d'assurer le pilotage fin de l'exécution.

En matière d'assurance maladie, le Parlement a voté une progression des dépenses d'assurance maladie, ce qu'on appelle l'Ondam, de 2,5 % en 2012. L'Ondam réalisé en 2011 a été inférieur d'environ 500 millions d'euros au montant voté. Compte tenu de cet effet de base, la progression réelle de l'Ondam en 2012 s'élèverait à 2,7 % et non à 2,5 %. La Cour recommande de viser en exécution une progression de l'Ondam pour 2012 de 2,5 % par rapport aux dépenses effectivement constatées en 2011. La mise en oeuvre complète des mesures d'économie engagées, ainsi qu'une gestion rigoureuse des gels de crédits dans le secteur hospitalier, de 415 millions d'euros, devraient permettre d'atteindre cette cible.

S'agissant des collectivités territoriales, il n'existe malheureusement aucun outil fiable permettant de suivre en cours d'année l'exécution de leurs budgets. Les incertitudes portent essentiellement sur leurs dépenses d'investissement. La prévision inscrite dans le programme de stabilité d'avril est plausible mais il existe un aléa, de l'ordre de 0,1 point de PIB, qui peut affecter le déficit des administrations publiques dans un sens ou dans l'autre.

Concernant les recettes, la Cour a identifié des risques importants de moins-values, qui appellent sans tarder des mesures correctrices. Ces risques sont d'une double nature : d'une part, des hypothèses de calcul trop favorables ont été adoptées pour l'évaluation initiale du produit des prélèvements obligatoires. Il s'agit notamment des hypothèses d'élasticité, c'est-à-dire des estimations de la façon dont le produit d'un impôt évolue en fonction de la croissance. Elles ont conduit en particulier à surestimer le produit de l'impôt sur les sociétés. A ce stade, il est difficile d'évaluer l'impact de cette surestimation. La Cour le situe dans une fourchette comprise entre 3 et 7 milliards d'euros pour l'ensemble des recettes des administrations publiques.

Par ailleurs, le scénario macroéconomique retenu en avril reposait sur un niveau de croissance de 0,7 %, en phase avec les prévisions des organismes internationaux. En raison de la dégradation récente de la conjoncture, ce scénario est devenu trop optimiste. Les dernières prévisions de l'Insee situent le taux de croissance pour 2012 à 0,4 %, ce qui réduit mécaniquement les prévisions de recettes de 3 milliards d'euros supplémentaires. Le Gouvernement a donc fait savoir qu'il retenait une hypothèse de 0,3 %.

Au total, les recettes pourraient donc être inférieures de 6 à 10 milliards au montant prévu dans le programme de stabilité. Ces estimations, encore fragiles, pourront être précisées au vu des données relatives aux rentrées fiscales disponibles en juillet.

Le respect de l'objectif de déficit public pour 2012, fixé à 4,4 %, est essentiel, car les efforts à fournir en 2013 sont suffisamment importants pour ne pas prendre de retard en 2012. Face aux risques identifiés, des mesures nouvelles doivent être rapidement prises, en recettes et en dépenses.

Avant d'aborder les enjeux de l'année 2013, je souhaite évoquer un sujet qui aura un impact budgétaire important sur plusieurs exercices. Il s'agit de deux contentieux perdus par l'Etat devant les juridictions européennes, l'un portant sur le précompte mobilier et l'autre sur la fiscalité des dividendes versés à des organismes de placement en valeurs mobilières - les OPCVM - non résidents. Sans entrer dans le détail, l'un des deux, le second, n'a pas été intégré dans le budget pour 2012 alors qu'il existait une forte probabilité que le contentieux soit perdu et entraîne des remboursements dès cet exercice. Les conséquences en comptabilité nationale de ces deux contentieux devraient peser surtout sur les années 2013, à hauteur de 5,75 milliards, et 2014, pour 1,75 milliard soit au total 7,5 milliards d'euros. La Cour juge anormal que les informations qui avaient conduit en 2011 à provisionner le contentieux OPCVM en comptabilité générale n'aient eu de traduction ni sur les lois de finances pour 2012 ni sur le programme de stabilité.

Au total, le respect de l'objectif de déficit de 4,4 % du PIB en 2012 suppose de compenser un manque à gagner de recettes de 6 à 10 milliards d'euros.

J'en viens aux perspectives pour l'année 2013 et les années suivantes. Même si les incertitudes sont encore nombreuses, la prévision de croissance de 1,75 % pour l'année 2013, fixée en avril dernier, paraît aujourd'hui hors de portée. La Cour a quantifié les efforts à accomplir selon quatre scénarios de croissance, allant de 0 % à 2 %.

Dans l'hypothèse de 1 % de croissance, afin d'atteindre les 3 % de déficit, la marche sera plus haute que les années précédentes : après 0,9 point de réduction du déficit structurel en 2011 et 1,2 point en 2012, l'effort structurel à réaliser est de 1,6 point en 2013, soit 33 milliards, compte non tenu de l'impact budgétaire des contentieux dont j'ai parlé, à hauteur de 5,75 milliards - sauf si des modalités différentes sont mises en place. Si les objectifs sont tenus, la plus grande partie du chemin à réaliser depuis 2010 aura été parcourue : sur les cinq points de PIB à effacer par rapport à 2010, plus de trois et demi l'auront été. C'est dire l'importance pour la crédibilité de notre pays de tenir l'engagement pour 2013.

Cet effort peut sembler important ; il est cependant de même ampleur que celui que la France a réalisé pour se qualifier pour entrer dans l'union monétaire en 1997, dans un contexte économique quelque peu différent.

Se pose la question du partage de cet effort entre réduction du poids des dépenses publiques et recettes supplémentaires. Le rapport présente plusieurs hypothèses. La Cour a toujours considéré que le levier de la maîtrise des dépenses devait jouer un rôle essentiel. Mais si l'on retient par exemple un partage égal entre mesures sur les recettes et mesures sur les dépenses, ce sont 16,5 milliards d'économies sur les dépenses qui devront être réalisées par rapport à leur évolution tendancielle. Un tel effort reviendrait à stabiliser en volume les dépenses publiques dans leur ensemble, c'est-à-dire à faire en sorte qu'elles n'évoluent pas plus vite que l'inflation. Par comparaison, en 2012, en dépit de l'application des normes de dépenses et de la réduction des effectifs de fonctionnaires de l'Etat, la dépense publique totale devrait croître en volume de 0,5 %.

La Cour évoque, dans le rapport, différentes modalités de répartition de cet effort global entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Le premier scénario est celui d'une stabilisation en volume de toutes les dépenses des administrations publiques, qui conduirait les administrations de sécurité sociale à fournir un lourd effort car ce sont leurs dépenses qui affichent des croissances tendancielles les plus fortes. Un autre scénario prévoit de réduire l'effort sur ce secteur, par exemple en laissant croître les dépenses de 1,2 % en volume. Dans ce cas, les dépenses de l'Etat devraient être stabilisées en valeur, ce qui conduirait à un durcissement des normes de dépenses appliquées en 2012. Dans ces scénarios, les dépenses des collectivités territoriales seraient stabilisées en volume.

Je voudrais insister sur les enjeux qui s'attachent à l'implication de toutes les administrations dans le respect des engagements de la France en matière de finances. En effet, le fait que les collectivités territoriales aient des comptes structurellement équilibrés ne saurait les dispenser, à notre sens, de participer à l'effort collectif. Les engagements européens de la France portent en effet sur une trajectoire de déficit cohérente avec une évolution donnée des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. Il est donc essentiel que, sur ces trois points, les engagements nationaux puissent impliquer chaque secteur d'administration publique. Or, en l'état actuel de la gouvernance de nos finances publiques, plus du quart des administrations publiques échappe aux contraintes du pacte de stabilité. Ainsi, les collectivités territoriales, les régimes complémentaires de retraite, l'assurance chômage, peuvent définir leurs objectifs financiers sans prendre en compte les engagements de la Nation.

S'agissant des collectivités territoriales, la croissance de leurs dépenses, hors impact des compétences transférées par l'Etat, a été très rapide au cours des dernières années, même si elle s'est infléchie en 2010, avant de repartir à la hausse en 2011. Hors transferts de compétences, leurs effectifs se sont accrus de plus de 260 000 postes depuis 2002, dont près des trois quarts concerne les communes et intercommunalités. Cette croissance doit être mise en regard de l'évolution des effectifs de l'Etat sur la même période qui, après avoir diminué de quelque 25 000 agents entre 2002 et 2007, ont décru de 150 000 agents depuis cette date. Le seul instrument d'action de l'Etat à l'égard des collectivités territoriales consiste à freiner l'évolution de ses concours, qui atteignent 100 milliards d'euros et représentent près de la moitié des ressources des collectivités. La moitié de ces concours, soit 50 milliards, sont aujourd'hui gelés en valeur, ce qui fait désormais peser une contrainte plus forte sur l'évolution de leurs dépenses. Mais les effets de cette contrainte sont variables selon le niveau de collectivité : contrainte très élevée sur les départements, élevée sur les régions, mais faible sur les communes et intercommunalités, par ailleurs les seules à disposer encore d'une marge de manoeuvre fiscale après les dernières réformes en la matière. La Cour recommande une poursuite de ce gel, tout en proposant de moduler l'évolution des dotations en fonction des catégories de collectivités, en renforçant la contrainte qui pèserait sur les communes et intercommunalités.

L'accroissement des dépenses des collectivités au cours des deux dernières décennies a été financé par une hausse concomitante des impôts locaux, réduisant ainsi la capacité contributive des ménages et rendant plus difficile des augmentations d'impôts en faveur des autres administrations publiques, qu'il s'agisse de l'Etat ou de la sécurité sociale.

Cela montre que la gestion d'ensemble des finances publiques appelle désormais l'élaboration de règles partagées sur l'évolution des dépenses et sur la répartition des recettes. Ainsi, une stratégie devrait être adoptée au niveau des administrations publiques dans leur ensemble, associant chaque catégorie à la définition et à la mise en oeuvre d'objectifs de maîtrise des dépenses et de modération des prélèvements. Ceci rend nécessaire, à notre sens, la mise en place d'une gouvernance partagée des administrations publiques, reposant sur un cadre normatif ou contractuel assurant la cohérence globale, le respect des engagements pris par la France et la juste répartition des efforts.

A cette fin, un pacte de stabilité pourrait être conclu entre l'Etat et les collectivités territoriales afin d'engager celles-ci dans le respect de la trajectoire globale définie pour le pays. Dans cette même perspective, le champ des lois de financement de la sécurité sociale pourrait être élargi à l'assurance chômage et aux régimes de retraites complémentaires pour devenir de véritables lois de financement de la protection sociale.

Si l'effort doit porter sur toutes les administrations publiques - sachant qu'il revient au Gouvernement et au Parlement d'apprécier quelle part revient à chacun -, il doit également concerner toutes les catégories de dépenses. Le principal enjeu budgétaire porte sur la masse salariale. En effet, ces dépenses, y compris les pensions, représentent 13,2 % du PIB, toutes administrations confondues. La masse salariale de l'Etat s'élève à 80 milliards d'euros et connaît une croissance tendancielle soutenue, à effectifs constants : 1,6 % par an. Le respect de la trajectoire de redressement des comptes publics implique que la masse salariale de l'Etat soit stabilisée en valeur.

Pour l'exercice 2013, la Cour a présenté quatre scénarios qui permettent chacun de stabiliser la masse salariale, chacun d'eux utilisant de façon variable les quatre leviers que constituent l'évolution des effectifs, la valeur du point d'indice, les déroulements de carrière et les mesures catégorielles. Je me contenterai de commenter deux de ces scénarios. Le premier envisage une poursuite du gel du point d'indice et de la réduction des effectifs de 30 000 postes par an. Il permet de ne pas peser sur les déroulements de carrière des agents publics et sur les mesures catégorielles. Le second scénario repose à l'inverse sur une stabilisation des effectifs. Cette hypothèse requiert, outre la poursuite du gel du point d'indice, une réduction significative de l'avancement des fonctionnaires et un quasi gel des mesures catégorielles. Ainsi, pour résumer, seule une baisse des effectifs est à même de fournir des marges de manoeuvre en matière de politique salariale.

Les dépenses d'intervention représentent 620 milliards d'euros sur 1 120 milliards de dépenses totales, soit 55 %. Sur ce total, les prestations sociales représentent 82 %, soit 510 milliards d'euros. Elles concernent l'ensemble des collectivités publiques, dont l'Etat pour 150 milliards d'euros.

Il convient avant tout de développer, selon nous, une démarche d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience de l'action publique dans ce domaine. Il s'agit d'adopter une approche par politique publique, et non par dispositif d'intervention ou par acteur. Les politiques d'intervention sont aujourd'hui partagées entre l'Etat et les diverses collectivités publiques, avec un enchevêtrement des compétences qui nuit à leur efficacité, par exemple en matière de formation, de logement ou d'emploi. Et de nombreux rapports montrent que le ratio coût-efficacité n'est pas des plus performants.

Cela suppose de s'interroger sur l'articulation entre les divers acteurs et dispositifs, dont le nombre dépasse 1 300. Des exemples concrets d'interventions redondantes et mal coordonnées, donc inefficientes, peuvent être trouvés dans le rapport, dans les secteurs que je viens d'évoquer. Des marges de manoeuvre peuvent aussi être trouvées pour améliorer l'efficacité économique et le ciblage social des dispositifs publics de solidarité.

De telles évaluations supposent, à la différence de la RGPP, d'associer toutes les parties prenantes et de faire partager les diagnostics et les réformes envisagées, tout en adoptant un pilotage politique fort pour mener à bien ces projets. La Cour, en exerçant sa mission d'évaluation des politiques publiques à l'attention du Parlement et du Gouvernement, pourra prendre sa part à cette revue des politiques d'intervention, en y associant les chambres régionales et territoriales des comptes.

De même, devant l'écheveau de nos politiques publiques, source de complexité et de gaspillages, l'acte III de la décentralisation qui a été annoncé doit, pour nous, être avant tout l'occasion d'une clarification des compétences entre Etat et collectivités territoriales ainsi qu'entre ces collectivités elles-mêmes. Il devrait être guidé par le souci premier d'améliorer l'efficience des politiques concernées.

Les dépenses de transfert concernent aussi la sécurité sociale. Le rééquilibrage des comptes sociaux doit être assuré en priorité : la Cour a régulièrement rappelé que l'existence même d'une dette sociale constitue une anomalie profonde, car les dépenses de soins n'ont pas de raison d'être reportées sur les générations futures. Le système de retraite ne devrait pas connaître le retour à l'équilibre prévu par la réforme de 2010, en raison de prévisions trop optimistes, notamment en matière d'évolution de la situation de l'emploi. Ainsi, le déficit annuel de l'ensemble des régimes de retraite pourrait être supérieur à 10 milliards d'euros à l'horizon 2020. La question du rééquilibrage des comptes devra donc prochainement être examinée par vos soins.

Pour l'assurance maladie également, les efforts doivent être amplifiés. En effet, la poursuite d'une croissance des dépenses d'assurance maladie de 3 % chaque année, sans l'apport de recettes nouvelles, conduirait à un retour à l'équilibre en 2024 seulement. Si ce taux de croissance était ramené à 2,5 %, le retour à l'équilibre serait atteint en 2018. Le système de soins peut gagner en efficience, sans perte de chance pour les malades, en améliorant la coordination entre professionnels de santé, et entre médecine de ville et hôpital, en renforçant les bonnes pratiques de soins et en maîtrisant plus efficacement certaines dépenses. Le rapport annuel de la Cour sur la sécurité sociale fournit de nombreuses pistes de réformes en ce sens. Et notre rapport à venir en septembre en comportera également. S'agissant enfin des dépenses d'investissement, l'ampleur des engagements envisagés ou déjà pris doit conduire à réexaminer leur compatibilité avec le retour à l'équilibre des comptes publics. Il importe désormais de mieux choisir les investissements publics, pour ne retenir que ceux qui auront fait la preuve de leur utilité, notamment au regard du relèvement de la croissance potentielle de l'économie. La Cour préconise la mise en place d'une expertise indépendante des opérateurs en matière d'études de rentabilité socio-économique et une meilleure prise en compte de celles-ci dans les choix et la hiérarchisation des investissements. En janvier dernier, en particulier, la Cour a appelé à reconsidérer le programme de développement de lignes ferroviaires à grande vitesse retenu dans le volet « transports » du Grenelle de l'environnement, qui entraînerait 166 milliards d'euros de dépenses publiques nouvelles, non financées à ce jour. L'investissement des collectivités territoriales et des hôpitaux devrait également respecter ces principes.

L'augmentation des recettes est inévitable pour compléter l'effort. Elle devrait, selon nous, jouer dans le processus de redressement un rôle sensiblement moins important que la réduction du poids des dépenses, et décroissant dans le temps. Elle doit reposer principalement sur l'élargissement de l'assiette des prélèvements existants plutôt que sur des hausses de taux, pour des raisons d'efficacité économique. Il faut donc que vous puissiez poursuivre et amplifier la réduction et la suppression des niches fiscales et sociales : les rapports de la Cour, ainsi que nombre de rapports du Parlement, fournissent de multiples exemples de niches pouvant être supprimées - par exemple les réductions d'impôts en faveur de l'investissement outre-mer, ou le taux réduit de TVA sur la restauration - ou dont les plafonds pourraient être abaissés, comme la réduction et le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile.

Si la réduction des niches ne suffisait pas à dégager les recettes attendues - j'insiste sur cette condition -, il pourrait être nécessaire d'augmenter le taux d'impôts à assiette large, c'est à dire la CSG ou la TVA, la première étant adaptée au rééquilibrage des comptes sociaux dont la Cour souligne, une nouvelle fois, le caractère absolument prioritaire. Une telle augmentation devrait avoir un caractère temporaire, et s'effacer au fur et à mesure du rééquilibrage des comptes publics et de la montée en puissance des économies sur les dépenses.

Après 2013, l'effort de redressement devra se poursuivre, à un rythme moindre, afin de garantir le retour à l'équilibre structurel en 2016 ou 2017, que l'Allemagne est en passe d'atteindre dès 2013.

Notre pays se trouve à la veille d'une profonde transformation dans la conduite de ses finances publiques, sous l'effet des nouvelles règles européennes adoptées depuis 2011. La prise en compte de celles-ci est loin de se réduire au débat sur la règle de retour à l'équilibre structurel à moyen terme - ce qu'on appelle la règle d'or. En effet, la série de dispositions qui a été adoptée conduira la France, dans le respect des pouvoirs du Parlement, à réviser la façon dont elle élabore et suit les textes budgétaires. Ces nouvelles règles européennes appellent également des progrès dans la qualité de nos comptes publics. La France dispose en la matière d'une avance par rapport à ses partenaires européens, avec, depuis six ans, la certification des comptes de l'Etat et du régime général de sécurité sociale par la Cour des comptes. Afin de progresser dans la fiabilité des comptes et dans leur harmonisation entre les différentes catégories d'administrations publiques, cette démarche de certification gagnerait à être élargie. La Cour recommande la mise en oeuvre concrète de la certification des comptes des hôpitaux publics déjà décidée par le législateur, ainsi que la mise en place d'une expérimentation de la certification des comptes des plus grandes collectivités territoriales. Par ailleurs, l'autorité statistique européenne Eurostat considère que la comptabilité nationale établie par l'Insee devrait s'appuyer sur une comptabilité en droits constatés, donc sur la comptabilité générale de l'Etat, et non sa comptabilité budgétaire. Une coopération renforcée entre la Cour et l'Insee devrait contribuer à améliorer la qualité de la comptabilité nationale. Les mêmes règles européennes rendront enfin nécessaire la mise en place d'une gouvernance partagée des administrations publiques, j'ai déjà évoqué ce sujet.

Pour conclure, j'observerai que la France est loin d'être considérée comme exemplaire dans la gestion de ses finances publiques depuis plusieurs décennies. En 2011, un peu plus d'un mois des dépenses de l'ensemble des administrations publiques étaient financées par l'emprunt. Pour l'Etat seul, cela représente même quatre mois. Dans le contexte actuel de crise de la zone euro, afin de sécuriser le financement de l'action publique, d'éviter que le poids de la dette n'étouffe l'économie, de continuer à peser dans le concert européen, de restaurer des marges de manoeuvre pour l'action publique et de sauvegarder la cohésion entre générations, la France doit assurer le retour à l'équilibre structurel de ses comptes publics dans les quatre ou cinq prochaines années. La Cour insiste sur l'importance du strict respect de l'engagement de réduction du déficit à 3 % en 2013, à juste titre considérée comme une année charnière pour le redressement des comptes publics de la France. La discipline qu'exige le respect de cette trajectoire est sévère. Elle suppose une évolution en profondeur des modalités de l'action publique : gouvernance partagée entre administrations publiques, application généralisée de normes de dépenses, réforme en profondeur des méthodes d'allocation des moyens et remise en cause de certaines missions de l'Etat, revue des politiques d'intervention, clarification des compétences partagées entre l'Etat et les collectivités territoriales, évaluation indépendante de l'utilité des investissements... Voilà, pour vous, beaucoup de travail. Cette discipline implique également des choix difficiles en matière de politique salariale et d'évolution des effectifs dans les fonctions publiques. De même, de nombreux dispositifs qui n'auront pas fait la preuve de leur efficience devront être réduits ou supprimés, des projets d'investissements retardés ou abandonnés. L'objectif de ces réformes doit être expliqué aux citoyens et c'est pourquoi la Cour, tout en fournissant des pistes d'économies précises, insiste sur les méthodes de réforme qui doivent privilégier la pédagogie et la transparence.

L'effort structurel prévu en 2013, de l'ordre d'un point et demi de PIB, sera certes difficile, il est néanmoins atteignable. Le FMI a identifié dans le monde, entre 1980 et 2009, une trentaine de consolidations budgétaires de cette ampleur. La France l'a fait par le passé, et, en 2012, l'Italie et l'Espagne devraient, de leur côté, réduire leur déficit structurel de près de 3 points, soit un effort double. J'espère que cet audit des finances publiques aura montré que le redressement est exigeant et suppose la mobilisation de tous les acteurs publics. Il doit être réalisable sans étouffer la croissance. En contribuant à une meilleure prise de conscience de ces enjeux par les citoyens et les décideurs, en fournissant des pistes utiles à l'action, la Cour des comptes assure déjà la fonction de comité budgétaire indépendant dont les nouvelles règles européennes prévoient la mise en place prochaine dans notre pays. Elle est à la disposition du Parlement pour jouer son rôle d'analyse et de conseil indépendant et s'exprimera aussi souvent que nécessaire pour jouer pleinement ce rôle de vigilance, d'information et de conseil.

M. Philippe Marini, président. - Vous avez insisté sur le fait que l'administration publique compte trois sous-ensembles, Etat, sécurité sociale et collectivités territoriales. Pour l'Etat, vous avez pris une hypothèse d'évolution spontanée, et une hypothèse de correction. Pour la sécurité sociale, je n'ai pas bien compris comment vous intégrez la réduction de l'estimation de croissance par rapport à la loi de financement pour 2012, pour les entrées en recettes. Vous avez laissé entendre, enfin, que si le déficit de la sécurité sociale était plus important que prévu, les collectivités territoriales pourraient servir de régulateur. Je comprends également de votre intervention qu'au regard des différences dans leur autonomie fiscale, un traitement plus sévère est à imaginer pour les communes et intercommunalités que pour les départements et les régions. Vous êtes entré dans un domaine institutionnel, sujet lourd, en imaginant une gouvernance partagée entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités territoriales de différents niveaux : n'est-ce pas préjuger de l'organisation des pouvoirs publics dans notre pays ? Est-ce si simple ? Vos lignes directrices peuvent-elles néanmoins s'imaginer à règles juridiques et constitutionnelles constantes ?

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Vous avez dit toute l'importance de la protection sociale et mis en garde contre le report de sa dette sur les générations futures. Un débat sur la loi handicap, dont je sors à l'instant, a mis en relief le manque de moyens dont disposent les collectivités locales pour appliquer les dispositions de ce texte. Vous avez, quant à vous, souligné les difficultés sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et sur l'allocation personnalisée au logement (APL), toutes prestations qui nous touchent de près. C'est pourquoi il me semblerait bon de vous inviter de nouveau pour mener avec nous un débat plus au fond sur ces questions.

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie le Premier président pour son exposé, exigeant quant aux efforts à entreprendre mais très éclairant sur nos difficultés.

Il a insisté sur la responsabilité politique du Gouvernement et du Parlement. Je me réjouis que le nouveau gouvernement ait souhaité inscrire son action dans la ligne des exigences manifestées dans le rapport de la Cour, et attendu sa publication pour arrêter ses orientations. J'ai souvenance d'avoir entendu ici même, il y a quelques années, un discours de Philippe Seguin, alors Premier président de la Cour, appelant l'attention sur la croissance des déficits, de 100 milliards d'euros alors, et qui insistait sur le fait que ce déficit était imputable, pour les deux tiers, à des décisions conjoncturelles, pour conclure qu'il convenait de changer de politique. Ses préconisations n'ont sans doute pas, alors, été suffisamment écoutées. C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement conduise une action ambitieuse.

Vous avez tracé des perspectives pour les mois à venir, en retenant une hypothèse de croissance spontanée des dépenses publiques de 1,5 %, alors que vous reteniez 1,7 % dans votre rapport de février 2012. Pourquoi cette révision à la baisse ?

Sur les risques pour 2012, la Cour ne mentionne que des aléas sur les recettes, rien sur les dépenses. Pourquoi considérez-vous qu'il n'y a pas de risque de dérapage des dépenses ?

J'insiste enfin sur un point, pénalisant pour le Gouvernement : le dérapage qui est la conséquence des contentieux, notamment sur la fiscalité des OPCVM. Le sujet est lourd, puisque 5 milliards d'euros sont en cause, dont 1,5 milliard en décaissement prévisible décembre 2012, et 1,75 milliard pour chacune des deux années suivantes. Or, vous dites que ces dépenses ont été provisionnées en compte général à hauteur de 3,3 milliards, fin 2011. Cela montre que le risque de perte n'était pas négligé par le précédent gouvernement, qui n'a pourtant rien fait pour prévenir son accroissement en arrêtant les compteurs d'une imposition non-conforme au droit communautaire, et en lui en substituant une autre. Rien n'a été fait, au point que l'Etat va encaisser encore 800 millions d'euros qu'il devra rembourser avec intérêts. Curieuse gestion, et qui tranche avec ce que l'on avait vu dans le passé, quand l'avoir fiscal avait été supprimé dès que le risque de condamnation était apparu.

Savez-vous depuis quand ce risque était perçu comme sérieux à Bercy, et pourquoi le précédent gouvernement a fermé les yeux, laissant à son successeur une ardoise de 5 milliards d'euros ?

Les concours de l'Etat aux collectivités territoriales doivent, dites-vous, être différenciés selon les catégories de collectivités. Mais comment ? Le taux de remboursement du FCTVA doit-il varier ? Faut-il baisser davantage les parts forfaitaires de DGF, ou faire évoluer différemment les parts versées aux départements et aux communes ?

La Cour préconise une réduction des dépenses publiques locales. Pourtant elle confirme qu'un solde nul peut plausiblement être atteint en 2013, et que les comptes des administrations publiques locales sont structurellement équilibrés. La baisse de ces dépenses est-elle vraiment une priorité ?

M. Philippe Marini, président. - Pour l'Etat, on parle de geler les dépenses en volume ou en valeur, mais les collectivités devraient-elles réduire les leurs ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - On n'apprend rien de très surprenant en lisant le rapport de la Cour, même si, en ce qui concerne les comptes sociaux, l'évolution de la branche vieillesse est préoccupante. Vous constatez que la dégradation de la conjoncture se traduira par une aggravation de 2 milliards d'euros du déficit des comptes sociaux en 2012. A moyen terme, les déficits resteront élevés si des mesures correctrices ne sont pas prises. Comme l'an passé, la Cour préconise de rééquilibrer en priorité les comptes sociaux, rappelant que le financement à crédit de dépenses courantes de protection sociale est une « anomalie profonde ». Le rapport souligne aussi que si les branches retraites et famille ne semblent pas devoir revenir à l'équilibre après 2013, ce n'est pas exclu pour la branche maladie, à plus ou moins long terme selon l'évolution de l'Ondam.

Vous recommandez de limiter la progression de l'Ondam à 2,5 % par an, alors que la hausse spontanée est de 4,5 % ou 4 %, en raison du vieillissement de la population, du développement des maladies chroniques et des nouveaux traitements. Mais des réformes structurelles comme une meilleure coordination entre la médecine de ville et l'hôpital y suffiront-elles ?

La branche famille, écrivez-vous, ne retrouvera pas l'équilibre, parce que, dans son financement, on a substitué à une part de CSG des recettes au rendement décroissant. Vous suggérez de supprimer l'indexation des prestations pour limiter l'évolution des dépenses. N'est-il pas préférable d'affecter à cette branche des recettes plus stables ?

Enfin, la dette sociale va continuer à progresser, plus ou moins en fonction de notre capacité à réduire les déficits. Par quels prélèvements la financer ?

M. Christian Bourquin. - Votre rapport insiste sur le rétablissement des comptes de l'Etat, de la sécurité sociale, mais aussi des collectivités territoriales. Moi qui suis président d'un conseil régional, je sais quelles sont les contraintes. Il faut éviter d'étouffer la croissance, se plier aux normes que nous-mêmes, législateurs, édictons, supporter des transferts de compétence. Comme l'a dit M. le rapporteur général François Marc, les comptes des collectivités sont équilibrés. Les élus de gauche comme de droite sont très contrariés d'être montrés du doigt. Pensez-vous que les chambres régionales des comptes soient suffisamment armées pour conseiller les collectivités ? Ce serait plus utile que de lancer de bons mots relayés par la presse, et cela rétablirait la confiance.

Mme Fabienne Keller. - La Cour s'inquiète des effets dépressifs sur la croissance de la réduction des déficits. Elle invite le Gouvernement à rétablir, non seulement l'équilibre budgétaire, mais aussi la compétitivité de notre pays, en s'inspirant des comparaisons avec l'Allemagne. Dans ces conditions, ne serait-il pas judicieux d'élargir les bases fiscales en diminuant les cotisations familiales et en créant une TVA « antidélocalisations », frappant les produits et les emplois étrangers ?

M. Georges Patient. - Vous recommandez de réduire les niches fiscales, notamment celles qui favorisent l'investissement outre-mer. Mais sont-elles les plus coûteuses ? Avez-vous mesuré leurs effets en termes d'emploi et de développement ? Si elles étaient supprimées, ne faudrait-il pas leur substituer des dépenses budgétaires plus élevées ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je remercie la Cour de son importante contribution. Pour 2013, elle écrit que la maîtrise des dépenses doit jouer un rôle essentiel dans le respect de la trajectoire budgétaire. A supposer que baisse des dépenses et hausse des recettes y contribuent à égalité, il faudrait faire 16,5 milliards d'économies l'an prochain. N'est-ce pas un minimum ?

M. Jean-Paul Emorine. - L'Etat est actionnaire d'un grand nombre d'entreprises, souvent à plus de 60 % : il possède 93 % d'Areva, 85 % d'EDF. Ne faudrait-il pas ouvrir au secteur privé  le capital de certaines d'entre elles - sans parler de privatisations, comme dans les pays voisins en difficulté ? Cela nous ferait retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. J'avais d'ailleurs posé la même question au précédent gouvernement.

M. Philippe Marini, président. - Le cas échéant, on pourrait ainsi financer des investissements.

M. Didier Migaud. - Monsieur le président Marini, la perte de recettes de 6 à 10 milliards d'euros s'entend toutes administrations publiques confondues : 800 millions d'euros pour la sécurité sociale, 1,2 milliard de droits de mutation à titre onéreux pour les départements, et le reste pour l'Etat, provenant de la TVA et surtout de l'impôt sur les sociétés.

Oui, la Cour croit nécessaire d'améliorer la gouvernance des finances publiques : comment réussir le redressement en laissant de côté les administrations responsables du quart des dépenses publiques ? Pourquoi serait-ce plus difficile que dans d'autres pays, y compris fédéraux ? Mais il ne s'agit pas nécessairement d'édicter des normes : l'Etat peut contracter avec les collectivités.

M. Philippe Marini, président. - Mais qui signera ? Le Languedoc-Roussillon ne peut s'engager au nom de la Bretagne, la Drôme au nom de la Lozère, Compiègne au nom de Chaumont en Haute-Marne.

M. Didier Migaud. - La réponse revient aux autorités politiques. La Cour rappelle simplement que la signature de la France l'engage, et qu'il faut faire en sorte que cet engagement soit tenu : il y va de notre crédibilité auprès de nos partenaires européens et de nos créanciers.

Mme la présidente David a vu dans notre rapport beaucoup de sujets d'inquiétude. Notre responsabilité est de poser les termes du débat public. La politique du handicap est un parfait exemple d'enchevêtrement des compétences : l'Etat dépense 13 milliards d'euros, la Sécurité sociale 9 milliards, et les collectivités interviennent aussi. Est-ce justifié ? En clarifiant les compétences de chacun, on rendrait les politiques publiques plus efficaces sans les renchérir.

Monsieur le rapporteur général Marc, je n'ai rien à ajouter à ce qui figure dans le rapport au sujet des contentieux au niveau européen. Il manque 600 millions d'euros pour 2012 ; les éléments étaient connus à la fin de l'année dernière, avant le vote des lois de finances rectificatives.

Nous avons également évoqué des risques de dépassement des dépenses, c'est-à-dire de sous-budgétisation, de l'ordre d'un à deux milliards : on observe à peu près la même chose chaque année, hélas, et chaque année la Cour fait des observations. La situation est gérable, grâce à la réserve de précaution - qu'il faudrait toutefois augmenter d'un milliard environ grâce au gel de certains crédits -, à supposer du moins que les autorités soient extrêmement vigilantes sur l'évolution de l'exécution des dépenses, et que toute nouvelle dépense soit financée par redéploiement ou, éventuellement, par une nouvelle recette.

Les collectivités sont soumises à une sorte de règle d'or, puisqu'elles ne peuvent emprunter que pour couvrir des dépenses d'investissement. Leurs comptes sont donc structurellement équilibrés, mais ce n'est pas une raison pour les exonérer de tout effort : il faut se préoccuper des dépenses et de leur évolution, qui ont une incidence sur la fiscalité - or le contribuable local est aussi un contribuable national. La politique suivie localement doit être cohérente avec la trajectoire globale.

M. Philippe Marini, président. - Ne suffit-il pas de réguler les dotations de l'Etat ? La Cour voudrait que nous allions jusqu'à réglementer les dépenses locales...

M. Didier Migaud. - Nous nous garderions bien de faire pareille suggestion. Il faut aussi faire confiance aux collectivités.

M. Philippe Marini, président. - Voilà qui est mieux...

M. Didier Migaud. - Mais cela suppose que chacun tienne ses engagements. Les dépenses publiques locales doivent, elles aussi, être rendues plus efficaces.

L'Etat doit s'adapter à la situation des différentes collectivités. Les départements et les régions sont dans un contexte plus tendu que les communes et intercommunalités. Le rapport de l'Observatoire des finances locales ne dit pas autre chose.

Monsieur le rapporteur général Daudigny, nous croyons en effet possible de limiter la progression de l'Ondam à 2,5 % par an, à condition que les dépenses soient maîtrisées : lors de la présentation de notre rapport sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale en septembre, nous récapitulerons les pistes de réformes qui nous paraissent prometteuses.

En ce qui concerne la branche famille, la Cour est naturellement favorable à ce qu'elle perçoive des recettes stables, mais il faut aussi prendre garde à ce que la branche ne dépense pas plus qu'elle ne doit, ce qui implique de surveiller le niveau des recettes. Le rapport formule plusieurs observations sur la gestion de la branche.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des Comptes. - Il montre aussi que les branches maladie, vieillesse et famille continuent à générer de la dette. Si rien n'est fait, il faudra donc à brève échéance procéder à une reprise de dette. Il me paraîtrait logique de financer une telle opération au moyen d'un prélèvement large comme la CRDS, plutôt que par un cocktail de recettes dont le dynamisme et la solidité seraient sujets à caution.

M. Didier Migaud. - Monsieur Bourquin, la Cour n'accuse personne et surtout pas les collectivités : elle ne fait que dresser des constats. Je ne suis pas hostile à ce que les chambres régionales des comptes exercent une mission de conseil auprès des élus locaux : c'est une réflexion qu'il faudra avoir dans le cadre de l'acte III de la décentralisation. Les chambres régionales des comptes ont été réorganisées à effectifs constants, afin que chacune soit dotée d'une taille critique minimale et que les magistrats, spécialisés, soient capables de faire face à tout type de problème.

Monsieur Patient, notre rapport public annuel comportait des remarques sur les dispositions dérogatoires en faveur de l'outre-mer. La Cour comprend fort bien que l'on souhaite soutenir ces territoires, au nom d'une politique d'aménagement et pour prendre en compte leurs spécificités. Mais le rapport coût-bénéfice des dispositifs existants est faible, car ce sont des guichets ouverts, dont l'effet est très difficile à cibler et le coût à maîtriser.

Madame Des Esgaulx, nous avons évoqué un partage égal entre maîtrise des dépenses et hausse des recettes, ce qui serait déjà mieux que jusqu'à présent, mais la Cour a naturellement tendance à préférer la réduction des dépenses. Plusieurs études de l'OCDE montrent d'ailleurs que le redressement n'en est que plus durable.

Je ferai à peu près la même réponse à M. Emorine : les recettes qu'il suggère seraient exceptionnelles, et il n'est pas sûr que la situation des marchés se prête à des privatisations. Mais il faudrait interroger le Gouvernement.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Premier président, merci : ce débat a été fort utile. Nous nous reverrons bientôt, car un immense travail nous attend.

Audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour 2011 et sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012

Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission procède enfin à l'audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour 2011 et sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012.

M. Philippe Marini, président. - Messieurs les ministres, je vous souhaite la bienvenue dans cette salle de la commission des finances que M. le ministre du budget connaît bien pour l'avoir fréquentée lors des commissions mixtes paritaires.

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. - Nous venons poser les premiers jalons de la politique économique de redressement dans la justice qui a été voulue par le président de la République et présentée ici par le Premier ministre, avec plusieurs textes : la loi de règlement, qui offre un panorama plutôt sombre de la situation financière du pays, le débat d'orientation des finances publiques, qui permettra au Parlement d'apporter son soutien aux inflexions nécessaires, et la loi de finances rectificative, qui constitue le première étape d'un plan d'ajustement des comptes publics et de justice fiscale.

Pour nous, il est fondamental que le Parlement soit associé à ce chantier crucial conjuguant dans la durée crédibilité et changement. Jérôme Cahuzac qui a été président de la commission des finances de l'Assemblée nationale connaît et respecte la qualité de vos travaux. J'étais moi-même simple membre de la commission des finances de l'Assemblée. Nous partageons l'envie d'aller à votre rencontre et avons la même considération pour tous. Nous veillerons à ce que chacun remplisse sa tâche : culture du dialogue et de l'écoute pour le Gouvernement, pleine association aux débats pour les parlementaires.

Quelques mots sur la situation économique. La croissance est atone, le Premier ministre a rectifié la prévision à 0,3 % en 2012, et 1,2 % en 2013. Le chômage touche 10 % de la population active, en particulier les jeunes et les seniors. La France souffre d'un triple déficit de croissance et de compétitivité, de crédibilité et de confiance. Croissance et compétitivité sont tributaires de nos partenaires européens, mais souffrent aussi de la faible consommation des ménages et de la perte sans précédent de compétitivité - nos parts de marché à l'exportation ont reculé de 20 % en cinq ans.

Déficit de crédibilité, ensuite. Nos comptes publics dérivent depuis dix ans ; la dette publique a augmenté de 800 milliards depuis 2002 et le déficit public pour 2011 s'élève à 100 milliards d'euros. L'audit de la Cour des comptes montre que la crise n'explique pas tout : l'Allemagne a su approcher l'équilibre en 2011.

Déficit de confiance enfin. L'instabilité, les permanentes remises en question ont sapé la confiance tandis que l'injustice des décisions fiscales a entamé la cohésion sociale.

Les Français ont choisi de changer de cap, et c'est cette stratégie d'action résolue pour la croissance et la solidarité, et de redressement des comptes dans la justice que je me propose de vous présenter.

L'Europe, chère à mon coeur et à l'action que j'entends mener. Le sommet des 28 et 29 juin dernier a marqué trois avancées : le paquet de croissance, s'établit à 120 milliards d'euros, soit 1% du PIB de l'Union, l'équivalent du budget de celle-ci, la supervision financière intégrée qui permettra à l'Espagne et à l'Italie de trouver des réponses aux déséquilibres qu'elles subissent, et, enfin, une feuille de route pour une intégration solidaire qui ira dans le sens d'une intégration politique, d'un partage de souveraineté. L'Union n'est pas seulement synonyme de restriction ; un changement de méthode donne des résultats.

Au niveau national, des mesures d'urgence ont d'ores et déjà été prises en faveur de la justice, de l'emploi et du pouvoir d'achat : décret sur les retraites, hausse de l'allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, contrats aidés supplémentaires. Toutes sont intégralement financées par des hausses de recettes ou des économies supplémentaires.

La loi de finances rectificative traduira dans la fiscalité la priorité donnée à l'emploi et à l'investissement, en favorisant l'investissement des bénéfices plutôt que la distribution de dividendes, ou en supprimant, sauf pour les plus petites entreprises, les avantages consentis pour les heures supplémentaires qui n'ont pas contribué à améliorer la situation de l'emploi. D'autres mesures seront prises dans le projet de loi de finances pour 2013.

Dès le deuxième semestre 2012 nous lancerons des réformes ambitieuses. Pour le financement de l'économie tout d'abord, avec la création d'une banque publique d'investissement tournée vers les PME et PMI et régionalisée, la réforme bancaire et la réforme de l'épargne réglementée et de la fiscalité de l'épargne. Nous voulons également une fiscalité plus lisible, plus efficace et plus juste, plus favorable aussi à l'esprit d'entreprise.

Nous voulons un volet compétitivité très solide. Le soutien à l'activité n'est pas contradictoire avec le redressement des comptes publics, qui constitue une nécessité absolue, tant pour respecter nos engagements européens, que pour rester souverains face aux marchés financiers, restaurer la confiance et dégager des marges de manoeuvre pour la croissance. Le Premier ministre l'a dit, le poids de la dette est devenu écrasant. L'Etat verse chaque année 50 milliards d'euros à ses créanciers et le service de la dette est le premier poste de la Nation : c'est évidemment insupportable.

Sur ce point, la Cour des comptes est claire : si les déficits ont bien été réduits à 5,5 % en 2011, le niveau spontané dérivait vers 5 % en 2012 : il fallait donc une correction budgétaire. Parce que le retour de la croissance et de la confiance est graduel, nous avons choisi la sincérité, ce qui suppose de clarifier nos objectifs : un déficit public contenu à 4,5 % du PIB en 2012, pour atteindre 3 % en 2013, et l'équilibre d'ici 2017. Ces engagements ont été rappelés par le Gouvernement, en particulier auprès de nos partenaires européens. Nous les tiendrons.

Nous ne cachons pas les efforts significatifs à accomplir, nous voulons qu'ils soient justement répartis : entre les recettes et les dépenses, dans le temps, entre le secteur privé et le secteur public, au sein de celui-ci, entre les ménages et les entreprises. Nous assumons parfaitement le fait que les ménages les plus aisés et les grandes entreprises seront mis à contribution davantage.

La loi de finances rectificative est le premier élément de cette politique de redressement. Il s'agit d'ajuster la loi de finances 2012 afin de sécuriser le déficit public à 4,5 % du PIB sans casser une croissance vacillante. Calée au plus juste, elle rapportera 7,2 milliards de recettes supplémentaires tout en revenant sur les mesures les plus injustes et les plus inefficaces du mandat précédent (TVA dite sociale, allègement de l'ISF et des droits de succession), tout en préservant les entreprises et les ménages les plus touchés par la crise.

Notre méthode se décline en trois principes : sincérité des comptes et des prévisions de croissance, condition sine qua non de la remise en ordre des finances publiques ; concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités territoriales, c'est le sens de la grande conférence sociale qui se tiendra le 10 juillet prochain ; pragmatisme : nous arrêtons de supprimer des emplois dans la fonction publique et visons la stabilisation des effectifs. En clair, la RGPP, c'est terminé !

On nous accuse de troubles bipolaires : tantôt trop laxistes, tantôt trop austères. Notre défi est pourtant simple : il s'agit de redresser les comptes en soutenant la croissance. Nous avons pris la mesure du défi et avons la conviction que le sérieux de notre démarche est cohérent avec notre ambition.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie de la qualité de votre synthèse. Vous répondez par avance aux questions qui n'ont pas encore été formulées ! Cela ne nous empêchera pas de vous en poser d'autres...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. - Je vous présente deux projets de loi : le projet de loi de règlement pour 2011, et le projet de loi de finances rectificative. Cette concordance est opportune, car le projet de loi de finances rectificative est la conséquence quasi inéluctable de ce qui s'est passé en 2011 comme de ce qui s'est passé depuis le premier collectif et le rapport de la Cour des comptes.

La loi de règlement pour 2011 fait état d'une réduction du déficit budgétaire de l'Etat d'une ampleur jamais constatée, presque 59 milliards d'euros. Cette réduction n'est cependant que la conséquence d'un déficit budgétaire lui-même historique, et résultant lui-même de la relance décidée par le gouvernement de l'époque. A y regarder de plus près, ces 59 milliards correspondent en réalité à l'arrêt de dépenses ou d'engagements exceptionnels, puisque la Cour des comptes n'admet comme ayant un caractère structurel que 14 milliards, desquels il faudrait encore retrancher les 4 milliards de remboursement des prêts à l'industrie automobile.

Impressionnant en affichage, l'effort ne s'élève qu'à une dizaine de milliards d'euros, c'est-à-dire un montant correspondant à la croissance spontanée des recettes de l'Etat. Le déficit public doit être réduit de 1,9 point de PIB. Sur ce chiffre flatteur, 0,8 point sont dus, selon la Cour des comptes, à des facteurs conjoncturels. La Cour note en outre une contribution négative de la dépense publique (-0,2 % en 2011). L'effort structurel n'est pas nié, mais il ne concerne que les recettes. Convenons que ces améliorations sont moins enthousiasmantes qu'il y paraît, voire préoccupantes, sauf à considérer qu'il ne faut mobiliser que les recettes.

Le rapport de la Cour des comptes est intervenu entre la loi de règlement et le projet de loi de finances rectificative. Il s'agit d'un ordre purement chronologique, sans relation de cause à effet. D'après la Cour, le manque à gagner en recettes en 2012 s'élèvera entre 6 à 10 milliards d'euros. Je le chiffre à 7,1 milliards : 3,4 milliards au titre de l'IS, 1,4 milliard au titre de la TVA, 1 milliard au titre des droits de mutation à titre onéreux et 1 milliard au titre des rentrées de cotisations sociales.

Si certaines prévisions sont difficiles à établir, d'autres ont été délibérément consenties par le pouvoir de l'époque : il était aisé de voir que la prévision de recette de TVA était surestimée puisque la totalité des remboursements à ce titre n'avait pas été effectuée ; de même, on savait que l'impôt sur les sociétés ne progresserait pas des 5,4 % escomptés ; de plus la contribution exceptionnelle à l'IS diminue de 500 millions d'euros. Au total, pour satisfaire aux exigences que nous nous fixons, nous avons besoin de recettes supplémentaires. Le PLFR les fournit à hauteur de 7 milliards d'euros.

La Cour relève également que certaines dépenses ne peuvent être assurées à loi de finances constante. Certains dépenses dérapent, d'autres sont sous-consommées : au total, l'incertitude règne sur 1 à 2 milliards d'euros, un niveau classique à ce moment de l'exécution budgétaire. C'est pourquoi la réserve de précaution a été instaurée, mais nous savons qu'elle ne permet pas à elle seule d'effacer les dépenses, puisque les dérapages déjà constatés la consomment. Ainsi, en 2010, les annulations de crédit à partir de cette réserve furent nulles, et l'année dernière, à hauteur de 200 millions d'euros seulement, alors que les réserves de précaution avaient fixées respectivement à 5 et 7 milliards d'euros. On peut craindre que les choses ne se répètent cette année, c'est pourquoi nous avons décidé un gel complémentaire de 1,5 milliard d'euros, sans dégeler les crédits ayant fait l'objet de la réserve de précaution. Avec cette marge de manoeuvre, nous espérons pouvoir étaler ces dépenses supplémentaires.

Nous devons en outre intégrer le contentieux sur le prélèvement à la source de 30 % pour les OPCVM détenus par des étrangers, dont aucun parlementaire n'avait été informé et qui avait déjà été jugé contraire à la libre circulation des personnes et des biens. Le pouvoir de l'époque n'ayant pas décidé de l'apurer, la note s'élève à 1,5 milliard, - 5 milliards d'ici 2014, intérêts moratoires y compris.

M. Philippe Marini, président. - Sur la forme, vous parlez de « pouvoir ». Ne serait-il pas plus opportun de parler de gouvernement ?

M. Jérôme Cahuzac. - Bien volontiers, même si cela occulte le rôle du président de la République.

M. Philippe Marini, président. - Vous pouvez parler de pouvoir exécutif dans ce cas.

M. Jérôme Cahuzac. - C'est mieux ! Le pouvoir exécutif n'ayant pas informé les parlementaires, je pourrais donc comprendre un mouvement d'humeur.

Pour satisfaire aux engagements de la France, nous proposons de solliciter ceux qui ne l'avaient pas été à hauteur de leurs moyens. La surtaxe à l'ISF n'est pas la réforme de cet impôt, laquelle interviendrait lors de la loi de finances initiale, mais une taxe exceptionnelle destinée à récupérer le manque à gagner de la réforme de l'ISF intervenue l'année dernière ainsi que celui du bouclier fiscal en 2012 (400 millions d'euros cette année).

La taxation de 3 % des dividendes des entreprises répond à un double objectif : se conformer à un engagement du candidat François Hollande d'une part, compenser le manque à gagner de 800 millions à un milliard de prélèvement à la source sur les OPCVM détenus par des étrangers.

M. François Marc, rapporteur général. - Je me réjouis de la présence de deux ministres que nous connaissons bien, dont nous avons plaisir à penser qu'ils répondront efficacement à nos préoccupations actuelles. J'ai pour eux de l'estime et de l'amitié. En outre, leurs orientations politiques correspondent à celles que le nouveau président de la République a fait valider par les électeurs. Le redressement des finances publiques dans la justice a ici beaucoup de défenseurs.

Le Sénat débattra demain des résultats du Conseil européen et du sommet des Etats de la zone euro. Veillons à ne pas opposer croissance et discipline budgétaire. La naissance du MES est anticipée : le futur membre de son conseil des gouverneurs peut-il nous dire si le délai de juillet 2012 sera tenu malgré les recours devant la cour de Karlsruhe ?

La politique budgétaire dans sa dimension pleinement politique est enfin de retour. Auparavant, les gouvernements donnaient l'impression de subir les événements. On réduisait les dépenses de manière mécanique et parfois aveugle et on augmentait les prélèvements obligatoires, à contre-coeur, de manière désordonnée et imprévisible... Aujourd'hui, le Gouvernement affiche ses priorités et fait des choix : il est dans une logique et une stratégie d'action.

En matière de dépenses publiques, il affiche l'objectif ambitieux de limiter leur progression à 0,8 % en volume pour atteindre l'équilibre en 2017. Contrairement au précédent gouvernement, qui visait une progression irréaliste de 0,4 % sans expliquer comment il y arriverait, le Premier ministre a indiqué hier qu'il demanderait à chaque ministre les réformes de structure nécessaires. Nous aurons donc enfin un programme d'économie budgétaire documenté et étayé, et non plus des incantations.

En ce qui concerne les recettes, ce collectif a été présenté comme une addition de mesures de rendement. Il a pourtant une portée symbolique avérée. A l'automne dernier, notre rapporteure générale, Nicole Bricq dressait un bilan de la période 2007-2012 intitulé « Un quinquennat d'incohérence et d'injustice ».

M. Aymeri de Montesquiou. - Un jugement tout en nuance !

M. François Marc, rapporteur général. - Comme la majorité sénatoriale l'avait alors proposé, ce collectif revient dès ses premiers articles sur les mesures les plus injustes : les abattements de droits de succession de la loi TEPA, les heures supplémentaires, le bouclier fiscal, la baisse de l'ISF et la TVA sociale. Nous avions proposé de nombreux amendements sur ces sujets. C'est avec un a priori très positif que j'engage mes travaux de rapporteur général. Je suis persuadé que le Sénat saura oeuvrer utilement à vos côtés.

M. Philippe Marini, président. - J'ai cru comprendre que sur les 120 milliards du « paquet croissance » européen, 55 milliards seraient au titre des fonds structurels, et qu'il s'agirait de dégagements de crédits déjà inscrits au titre des différents Etats. S'agit-il de dépenses nouvelles et quelle est la part susceptible d'être dépensée dans la zone euro ? Peut-on décompter ces 55 milliards dans les chiffres du plan de croissance dont vous nous vantez les mérites ?

Vous dites en outre que vous en avez terminé avec la RGPP. Puis, le rapporteur général rappelle que les ministres détailleront les propositions qui permettront d'atteindre les objectifs budgétaires. Tout est affaire de terminologie : c'est ce qu'on appelle chez nous la RGPP ! Au-delà des mots et des personnes, la finalité reste celle d'une meilleure efficacité de l'argent public.

J'entendais ce matin le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, rappeler que seule une baisse des effectifs de la fonction publique serait susceptible de redonner une marge de manoeuvre salariale. En prônant leur stabilisation, renoncez-vous à améliorer le pouvoir d'achat des fonctionnaires, dont certains pourraient être pénalisés par la réduction des heures supplémentaires ? Le précédent gouvernement, dans sa générosité, reversait sous forme de primes une partie des économies liées aux suppressions d'emplois.

Enfin, avez-vous prévu d'augmenter la réserve de précaution d'un milliard d'euros comme le préconise la Cour ?

M. Pierre Moscovici. - Je remercie le rapporteur général de son a priori positif et lui confirme notre volonté de travailler étroitement avec cette commission.

Vous nous interrogez sur le « paquet croissance » européen. Il comprend d'abord la recapitalisation de la banque européenne d'investissement à hauteur de 10 milliards d'euros pour autoriser 60 milliards d'investissement. Il nous faudra monter des projets et nous en soumettrons très vite à l'interministériel. Il en est de même des projects bonds, qui doivent dégager un effet de levier substantiel. Quant aux fonds structurels, nous ciblons les fonds non engagés dans la période qui se termine en 2013. Malgré la concurrence féroce à laquelle se livrent les Etats-membres, en particulier de la part des pays dits de la cohésion, pour en bénéficier les premiers, nous présenterons des projets. Ce paquet correspond à 1 % du PIB, soit 120 milliards d'euros, et regroupe des politiques différentes : c'est de la capacité de chaque pays à dégager des projets de qualité que dépendra la mobilisation de cet argent.

La Commission européenne a proposé une taxe sur les transactions financières. Aucun accord n'a pu être trouvé lors du dernier Ecofin. Il a finalement été décidé de l'instaurer sous forme de coopération renforcée, regroupant au moins neuf états-membres : l'Allemagne, la France, l'Espagne, l'Italie se sont déjà portées volontaires. Il faut avancer à marche forcée pour être prêts d'ici décembre.

François Marc a posé une question sur le mécanisme européen de stabilité. Cette question a été la plus difficile à traiter lors du conseil - et un apport décisif. En résumé, nous avons avancé sur trois thèmes : la supervision bancaire et la possibilité de recapitaliser directement les banques, notamment espagnoles, sans passer par les Etats ; l'aide apportée à l'Espagne, soit 62 milliards d'euros, qui doit se faire sans séniorité, c'est-à-dire sans avantage du MES par rapport aux créanciers privés ; enfin, Mario Monti a demandé un « bouclier anti-spread » pour les Etats qui, comme l'Italie, ont consenti des efforts d'ajustements de leurs finances publiques. Il réclamait notamment la possibilité pour les fonds de secours d'intervenir directement sur le marché obligataire avec la Banque centrale européenne comme opérateur.

Nous étudierons la mise en oeuvre de ces trois décisions importantes lors du prochain Eurogroupe qui se tiendra le 9 juillet 2012.

Quant au MES, je retire de mes rencontres avec Wolfgang Schäuble le sentiment que l'objectif d'un lancement fin juillet est réaliste.

Après leur rapport, MM. Van Rompuy, Juncker, Draghi et Barroso ont mandat pour aller plus loin et proposer une feuille de route pour l'intégration à dix ans.

Un mot sur la RGPP. Si nous partageons en effet la volonté de moderniser l'Etat et de rationaliser l'action publique, les différences sont profondes entre les suppressions d'emploi et la stabilisation des effectifs. Nous créons des emplois dans l'éducation, la sécurité, la justice, ainsi qu'à Pôle emploi. En outre, nous visons une gestion plus fine des ministères, compte-tenu des critiques émises par la Cour des comptes et par des rapports parlementaires.

J'ai pour la Cour des comptes, dont je suis issu, un respect infini et la plus grande révérence. Reste que la définition des politiques publiques appartient aux pouvoirs exécutif et législatif et que ses conseils ne sont pas des préconisations absolues.

Le retour de la stratégie budgétaire ? En tout cas, un changement de stratégie.

M. Jérôme Cahuzac. - Je remercie le rapporteur général de sa future bienveillante vigilance.

Nous avons effectivement pris la décision de surgeler 1,5 milliard d'euros, l'opération est lancée.

En ce qui concerne la fonction publique et le pouvoir d'achat, nous privilégierons une approche globale. Nous assumons le zéro valeur. Ces cinq dernières années, la masse salariale a augmenté de 0,6 % chaque année. La suppression d'un emploi sur deux n'a pas généré les économies escomptées - le rendu sous forme de mesures catégorielles a été parfois bien généreux et le nombre des heures supplémentaires important. La rémunération moyenne dépend de plusieurs facteurs : il y a plusieurs leviers. Nous regarderons tout cela avec Marylise Lebranchu.

Nos divergences sur les heures supplémentaires ne sont pas nouvelles. Il est difficile d'affirmer que ce fut un succès. Avant de l'être comme une mesure de pouvoir d'achat, elles avaient été présentées comme un outil de lutte contre le chômage. Le rapport Gorges-Mallot a montré que le volume d'heures supplémentaires était resté identique une fois déclarées les heures supplémentaires qui ne l'étaient pas. Il n'y a pas eu d' « heure supplémentaire supplémentaire ». La réforme a constitué un simple effet d'aubaine, sauf dans les petites entreprises, pour lesquelles nous maintenons l'avantage forfaitaire. L'engagement du président de la République est tenu.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Je m'associe aux propos de bienvenue à nos deux ministres. La commission des affaires sociales est particulièrement concernée par les mesures relatives à l'emploi. Je ne doute pas que vous saurez répondre à nos questions.

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Messieurs les ministres, c'est un plaisir de vous rencontrer dans vos nouvelles fonctions. Mon angle d'approche est celui du financement de la protection sociale. L'exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative apporte plusieurs réponses quant à l'incidence des mesures nouvelles sur les finances sociales, qu'il s'agisse de l'abrogation de la TVA sociale ou de la majoration de 25 % de l'allocation de rentrée scolaire.

La quasi-suppression des allègements de cotisations sur les heures supplémentaires s'accompagne d'une réduction à due concurrence de la compensation accordée par l'Etat à la sécurité sociale : cette suppression sera neutre pour les finances sociales, c'est le budget de l'Etat qui bénéficiera à partir de 2013 de 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Une autre solution aurait été de maintenir tout ou partie du panier fiscal attribué à la sécurité sociale afin d'avancer plus rapidement dans la réduction des déficits sociaux. Pouvez-vous nous éclairer sur le choix qui a été opéré ?

Les mesures du PLFR vont en outre se traduire par des ressources supplémentaires d'1,5 milliard d'euros en 2012 et 5,7 milliards en 2013, plus 600 millions de hausse des cotisations vieillesse. Cela ne suffira pas à rétablir l'équilibre. D'autres mesures sont-elles en préparation ? Quelles orientations comptez-vous privilégier ?

M. Éric Doligé. - J'ai cru comprendre en lisant une interview de Mme Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, que les 60 000 postes de fonctionnaires seraient compensés par les collectivités territoriales, de manière à éviter les doublons. Si je n'ai pas bien compris cette intéressante analyse n'hésitez pas à me redresser !

M. Joël Bourdin. - On va créer des postes d'enseignants d'ici la rentrée, ai-je entendu dire. Encore faut-il en avoir le temps. Comme vous n'aurez jamais le temps d'organiser un concours d'ici septembre et que vous n'allez certainement pas désigner des vacataires, comment allez-vous faire ?

Doubler la taxe sur les transactions financières, pourquoi pas ? Comme rien n'empêche un ménage de réaliser ses opérations boursières à Londres ou à New-York, cette mesure ne risque-t-elle pas de fragiliser la place de Paris, qui n'est déjà pas très florissante ?

M. Jean Arthuis. - Je remercie les ministres des précisions qu'ils viennent d'apporter et de leur détermination de tenir une trajectoire budgétaire qui nous ramène à l'équilibre des finances publiques.

Alors que le déficit 2011 de la France est moins élevé que prévu, sa dette est plus importante qu'annoncé car en 2011, pour la première fois, elle a apporté un prêt bilatéral à la Grèce de 12 milliards et a doté le Fonds européen de stabilité financière, puis le Mécanisme européen de stabilité, pour venir en aide à l'Irlande et au Portugal. Va-ton accomplir des progrès dans la gouvernance et la surveillance multilatérale en Europe? Qu'avez-vous prévu pour tenir nos engagements de solidarité à l'intérieur de la zone euro ?

Jeudi soir, alors que s'ouvrait le sommet européen, les lettres de cadrage ont été dévoilées. Une réduction de 7 % va être appliquée aux crédits d'intervention et aux dépenses de fonctionnement. J'avais entendu un discours identique au printemps 2010, lorsque le président de la République de l'époque, lors d'une conférence budgétaire, avait proclamé qu'on réduirait de 10 % ces mêmes dépenses, soit 130 milliards d'économies. Mais dans ces dépenses figurent beaucoup de dépenses de guichet comme l'allocation aux adultes handicapés, l'aide personnalisée au logement, des dotations pour les universités et pour diverses autres institutions, comme RFF. Les résultats ont été très en deçà de l'annonce. Confirmez-vous le cap des 7 % ?

Enfin, les plans sociaux risquent de se multiplier, provoquant des déchirements irréversibles du tissu industriel résiduel. Vous abrogez la TVA sociale ou TVA anti-délocalisations, mais dans les pays européens où les dépenses publiques sont supérieures à 55 %, la TVA atteint facilement 25 %. En France, ce que l'on ne fait pas payer à la consommation pèse sur la production, d'où l'accélération des délocalisations et des destructions d'emplois. Qu'avez-vous prévu pour renforcer la compétitivité de notre industrie ?

M. André Ferrand. - Sénateur des Français de l'étranger, je souhaite savoir si l'assujettissement des revenus immobiliers des non-résidents aux prélèvements sociaux est bien compatible avec toutes les conventions fiscales bilatérales que notre pays a signées.

Vous annoncez la suppression de la prise en charge sans condition de revenu des frais de scolarité des enfants français scolarisés dans des établissements français de l'étranger. Cette mesure s'appliquera dès la rentrée 2012 et une partie de l'économie irait à des mesures d'accompagnement exceptionnelles des élèves concernés. Les parents ont deux mois pour se mettre en mesure de payer les frais de scolarité de leurs enfants. Certaines familles, mais aussi certains établissements, vont rencontrer des difficultés. Les mesures exceptionnelles dont il est question bénéficieront-elles aux familles ? Quitte à changer de programme, l'autre partie de l'économie réalisée restera-t-elle à disposition du ministère des affaires étrangères ?

M. Philippe Marini, président. - Mon collègue plaide-t-il pour des affectations de crédits ?

M. François Patriat. - Je félicite les ministres pour la clarté de leurs propos.

La RGPP a également pesé sur les recettes : alors qu'entre 2002 et 2012, 25 000 emplois étaient supprimés à la DGFiP, la Commission européenne a estimé que l'évasion fiscale nous coûtait 2 % à 2,5 % du PIB, soit 40 à 50 milliards d'euros. Le chef de l'Etat entendait dégager 1 milliard d'euros chaque année de recettes supplémentaires grâce à la lutte contre l'évasion fiscale. Le rapport sur l'évasion fiscale propose de créer un Haut commissariat à l'évasion fiscale. Quand je lis dans un journal satirique que Microsoft a échappé en grande partie à l'impôt sur les sociétés et à la TVA, je me dis que nous avons des progrès à faire. Il conviendrait donc de renforcer les moyens humains et d'améliorer la coopération entre les services français et européens. Entendez-vous obtenir des résultats à cet égard ?

M. Serge Dassault. - Les informations données par les ministres sont intéressantes, mais manquent de chiffres.

Vous avez besoin de 7 milliards d'euros et vous créez des impôts nouveaux ! Pourquoi ne pas commencer par faire des économies en ne recrutant pas des fonctionnaires supplémentaires ? Augmenter les dépenses en revenant à la retraite à 60 ans n'est pas malin !

L'augmentation de 8 % à 20 % du taux de forfait social à la charge des employeurs sur l'épargne salariale me touche profondément parce qu'elle est profondément antisociale. Cette mesure proprement scandaleuse va ruiner des mesures de participation au bénéfice de salariés. Vous allez ruiner des augmentations de pouvoir d'achat qui ne coûtent rien à la production de l'entreprise. Mon entreprise paye 100 millions par an de participation : il faudra dépenser vingt millions. Je déposerai un amendement car la participation est un dispositif formidable qui devrait intéresser les socialistes.

M. Vincent Delahaye. - Les gouvernements changent, pas mon discours. Je partage vos grands objectifs comme le redressement dans la justice ou la recherche de la croissance. J'apprécie les termes de sincérité des comptes publics que vous avez employés. En revanche, quid de la prudence ? Je n'ai pas l'impression qu'à 2 % par an, entre 2014 et 2017, vos hypothèses de croissance du PIB soient très prudentes. Nous n'avons jamais atteint ce taux depuis douze ans. Est-il prudent de baser le retour à l'équilibre des finances publiques sur des hypothèses aussi optimistes ?

De plus, vous ne proposez aucune mesure pour accroître notre compétitivité ou réduire le coût du travail. Or, ces deux facteurs expliquent largement nos difficultés économiques.

J'ai toujours plaidé pour qu'il y ait un équilibre entre l'augmentation des recettes et la diminution des dépenses. Vous affirmez que l'effort en dépenses et en recettes sera équilibré sur la période 2012 à 2017. Cela commence mal : ce ne sera pas le cas en 2012 et un rattrapage sera ensuite nécessaire. Maintenir les effectifs des fonctionnaires ne va pas non plus dans le bon sens, à moins que vous ne vouliez réduire leurs rémunérations. Il n'est pas réaliste ni sincère d'affirmer que vous maintiendrez les effectifs et le pouvoir d'achat tout en revenant à l'équilibre des comptes publics.

Vous allez faire passer le forfait social de 8 % à 20 % : combien de salariés vont-ils être touchés ? Entre 5 et 7 millions de Français seraient concernés, soit beaucoup plus que les 1 % de privilégiés dont parle le Premier ministre. Cette disposition me gêne beaucoup.

M. Richard Yung. - Les futurs textes budgétaires européens prévoient que les prévisions économiques soient élaborées par une autorité indépendante, ce qui répondrait aux interrogations de Vincent Delahaye sur le taux de croissance.

Les Allemands ont-ils accepté le mécanisme de rachat des dettes publiques par le MES et celui-ci ne devrait-il pas recevoir un statut bancaire ?

Quels seront le taux et l'assiette de la taxe sur les transactions financières ? Un certain nombre de pays vont instaurer cette taxe et d'autres ne le feront pas, notamment la Grande-Bretagne. Nous aurons donc une Europe à géométrie variable. Comment faire face à cette situation ?

Pour ce qui concerne les Français de l'étranger, la prise en charge des frais de scolarisation va être supprimée. J'espère qu'il restera une partie des 8 millions économisés pour les bourses et autres dépenses.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - La suppression des allègements sociaux attachés aux heures supplémentaires concernera-t-elle aussi les agents des collectivités locales ? Quelles conséquences l'article 2 aura-t-il pour les collectivités territoriales et le seuil de 20 employés s'appliquera-t-il ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Pourquoi lire les rapports de la Cour des comptes dans des morceaux choisis ? Ses conseils sont souvent les plus sages et j'ai toujours demandé à ce que les gouvernements s'y réfèrent.

Je suis convaincu de la sincérité de M. Moscovici mais il y a contradiction entre la gouvernance européenne et certaines des mesures qu'il présente. La TVA anti-délocalisation évite des destructions majeures d'emplois en France. Tous les pays européens ont diminué le nombre de leurs fonctionnaires, c'est indispensable à l'équilibre des comptes, même si le terme RGPP vous écorche l'oreille. Vous allez ébrécher la loi sur les retraites tandis que la plupart des pays européens ont fait passer l'âge de la retraite à 65, voire 67 ans, du fait de l'allongement de l'espérance de vie. J'attends de votre part une politique qui privilégie la compétitivité des entreprises françaises, et il ne me semble pas qu'une fiscalisation plus lourde la favorise.

Mme Annie David. - Ma première question de membre du groupe CRC concerne l'évasion fiscale : ne pourrions-nous aller au-delà des mesures que vous nous proposez dans ce collectif ? La commission d'enquête sénatoriale, qui vient de rendre son rapport, l'estime à 50 milliards. Or, ce collectif envisage de récupérer 200 millions...

L'Etat débiteur tarde à payer ce qu'il doit aux collectivités territoriales, notamment aux conseils généraux qui gèrent la politique de protection sociale. Que comptez-vous faire ?

M. Marini s'inquiétait du pouvoir d'achat des fonctionnaires : c'est louable, mais ils auraient été bien plus pénalisés par le jour de carence et par la TVA anti-délocalisations, mais surtout antisociale adoptés par l'ancienne majorité. Vos mesures vont plutôt dans le bon sens, mais serait-il possible de mettre un terme au gel de l'indice ?

Enfin, contrairement aux affirmations de M. Dassault, l'épargne salariale est bien une mesure antisociale, puisqu'elle réduit les recettes de notre protection sociale. J'espère bien que la mesure proposée sera maintenue.

M. Pierre Moscovici. - Nous serons ravis de travailler avec la commission que Mme David et M. Daudigny représentent ici.

Je vais commencer par répondre à MM. Delahaye et Dassault sur la prudence et la sincérité de nos prévisions. Nos estimations sont prudentes : l'INSEE prévoyait il y a dix jours 0,4 % de croissance pour 2012. Nous avons préféré tabler sur 0,3 %, chiffre plus proche du consensus des instituts de prévision. De même, nous avons prévu 1,2 % pour 2013 alors que la Commission européenne est à 1,3 %. Oui, nous avons prévu 2 % pour les années 2014 et suivantes. Ce chiffre n'est pas imprudent : les services du ministère des finances estiment que le taux de croissance potentielle est de l'ordre de 1,6 %. Comme depuis plusieurs années, nous avons été bien en deçà, il s'est creusé un écart de production, un output gap. Il n'est pas anormal d'estimer que la croissance va repasser au-dessus du potentiel à moyen terme : plutôt prudente, l'hypothèse de 2 % ne permet même pas de résorber l'écart de production d'ici 2017. Un tel taux de croissance suppose effectivement qu'un certain nombre de réformes soient faites en matière de compétitivité et de redressement, pour parler comme M. Doligé qui lui-même parle comme M. Montebourg. Il devrait y avoir un phénomène de rattrapage, puis de dynamisation de la croissance.

Enfin, une directive sur l'indépendance des prévisions est en cours de discussion au Parlement européen : le texte ne sera vraisemblablement pas en vigueur au moment du projet de loi de finances, mais nous avons tenu compte du consensus avec prudence. Je ne me sens pas reprochable.

M. Philippe Marini, président. - La nécessité d'un organisme européen d'expertise indépendant est évidente et, avec Jean Arthuis, nous avons à de nombreuses reprises dit notre souhait qu'Eurostat deviennent une autoritaire communautaire indépendante. Les interprétations d'opportunité, en la matière, ont causé de lourdes difficultés.

Vous citez un taux de croissance potentielle de 1,6 %. Avant la crise, on l'estimait à 2 %. Pourquoi n'auditionnerions-nous pas les auteurs de ces modèles pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ce taux ? L'écart mesure-t-il les dommages durables de la crise ?

M. Pierre Moscovici. - Je ne vois aucune objection à une telle audition. Il faut avoir ce débat, mais on ne peut pas dire que nos perspectives ne sont pas sérieuses. Nous avions durant la campagne électorale des perspectives supérieures mais nous nous sommes calés sur 2 % : nous ne sommes pas dans l'excès.

L'équilibre des recettes et des dépenses, maintenant. Si les choses avaient été telles qu'annoncées, nous n'aurions pas été contraints de revenir aux 4,5 % de déficit. Ma première visite a été pour M. Schäuble, la deuxième pour la Commission européenne, dont j'ai lu les recommandations. Nous avons suivi les préconisations de la Cour des comptes avec des prélèvements supplémentaires à hauteur de 7,2 milliards. Quant aux économies de dépenses, elles sont plus faciles à enclencher en début d'année, leur inertie étant extrêmement forte.

Pour la suite, l'effort entre dépenses et recettes sera équilibré. Sur la période 2012-2013, l'ajustement se fera d'abord par les recettes, tandis que les économies de dépenses se déploieront sur toute la période. Quand un gouvernement propose 0 % en valeur et 0,8 % en volume, ne lui reprochez pas de ne pas faire d'économies.

Il est difficile de dire dès maintenant quels seront le taux et l'assiette de la taxe sur les transactions financières. Nous militons pour qu'elle s'applique à toutes les transactions sur les actions des entreprises installées sur le territoire des Etats participant à la coopération renforcée.

M. Philippe Marini, président. - Seulement les actions ?

M. Pierre Moscovici. - Oui, c'est ce sur quoi nous travaillons. Les résidents des autres pays devraient également payer la taxe. C'est une forme d'extra-territorialité mais il en existe déjà un exemple en Europe. On parle peu de la stamp duty britannique dont le taux est de 0,5 %. Une coopération renforcée n'a pas vocation à se limiter aux pays qui l'on choisie, M. Bourdin. Elle doit se diffuser et même se communautariser, même si l'on peut imaginer que la Grande-Bretagne la refusera sans doute encore longtemps. La place de Paris ne sera donc pas affaiblie.

Le MES a la vertu d'être conçu comme un établissement financier : les Etats le capitalisent puis le MES se finance sur les marchés. Sa dette n'est donc pas comptabilisée dans la dette des administrations publiques. En revanche, la dotation en capital l'est. En 2012, nous avons versé 6,5 milliards. Il en ira de même en 2013, puis nous verserons 3,3 milliards en 2014, soit un total de 16,3 milliards. Nous avions comptabilisé notre part de la dette du FESF dans la nôtre : le mécanisme est plus performant. Oui, la France est favorable à une licence bancaire pour le MES. Nous n'en sommes pas encore là car la formulation retenue par le Conseil européen est politiquement très forte mais les modalités techniques restent à préciser. C'est ce que l'Eurogroupe fera dans les prochains jours avec la BCE.

Un mot sur la TVA sociale : nous souhaitons redresser les comptes publics et améliorer la compétitivité. Nous présenterons avec M. Montebourg notre stratégie industrielle. Nous estimons que la TVA pèse sur le pouvoir d'achat, bride la consommation et crée de l'injustice. C'est pour ces raisons que nous abrogeons cette disposition, sans avoir le sentiment de pénaliser la compétitivité de notre économie.

Nous allons bien créer des emplois dans l'éducation nationale et dans d'autres ministères. Nous ne transfèrerons pas de charges sans contrepartie, comme cela a été le cas il y a quelques années.

M. Jérôme Cahuzac. - La notion de croissance potentielle doit être précisément définie pour que nous sachions de quoi nous parlons. Même chose pour le déficit structurel : nous y avons d'ailleurs déjà réfléchi dans le cadre d'une commission que présidait M. Camdessus. Aujourd'hui, cette définition n'est pas exactement la même pour la Cour des comptes et pour le Trésor, même si les constats que tous deux font sont malheureusement cohérents : entre 2007 et 2011, le déficit structurel du pays est passé pour la Cour des comptes de 3,5 % à 3,9 % et pour le Trésor de 3,9 % à 4,2 % du PIB. Ces chiffres traduisent la même tendance : le quinquennat passé a vu notre endettement structurel s'aggraver.

Je me demandais si la remarque de M. Doligé était due à une incompréhension ou à une tentative d'anticipation sur le troisième acte de la décentralisation. J'ai opté pour la deuxième solution : s'il est prématuré d'aborder cela aujourd'hui, les propos de M. Moscovici sont de nature à le rassurer.

M. Bourdin a évoqué la taxe sur les transactions financières. Sur cette question, certains d'entre vous ont évolué ces dernières années : l'opposition de l'époque la proposait et la majorité la refusait systématiquement, au motif que la place de Paris serait pénalisée. Cet argument a été abandonné par ceux-là même qui le reprenaient à leur compte et le principe de cette taxe a été finalement adopté. Nous gardons la même assiette et, si nous doublons le taux, c'est pour garantir que le rendement annoncé à l'époque soit bien celui que nous constaterons. Se posera ensuite la question de son affectation.

M. Philippe Marini, président. - Avant tout, combler les déficits budgétaires !

M. Jérôme Cahuzac. - Certains le souhaitent effectivement, d'autres estiment qu'il devrait permettre à l'Europe de lever des fonds.

M. Philippe Marini, président. - Ne soyons pas trop généreux avec l'argent que nous n'avons pas encore.

M. Jérôme Cahuzac. - Vous avez raison, mais cela nous permet d'avoir les meilleurs débats, car ils sont franchement désintéressés !

Le président Arthuis est un partisan convaincu de la TVA anti-délocalisation. Convenons que la disposition qui avait été prise ne pouvait que très faiblement contribuer à accroître notre compétitivité, puisque le coût du travail dans l'industrie manufacturière représente 40 % du prix final et que la baisse de charges aboutissait à un effet prix de moins de 1 % en une fois. J'ai toujours été très dubitatif sur l'effet réel de cette mesure, même si je devine qu'il ne s'agissait que d'une première étape qui en appelait d'autres. Le Gouvernement a fait un choix différent ; nous revenons sur un effet prix totalement marginal et qui n'aurait rien changé à la compétitivité de nos entreprises ; le niveau de gamme, la qualité, l'export sont des raisons au moins aussi puissantes pour expliquer nos piètres performances en matière de commerce extérieur.

C'est précisément parce que le principe de territorialité est scrupuleusement respecté avec la taxe sur les plus-values immobilières que nous ne craignons rien avec les conventions fiscales déjà passées, monsieur Ferrand. Le principe communément admis dans le concert des nations est celui de la territorialité : seuls les Etats-Unis d'Amérique s'appuient sur le principe de nationalité. Nous n'aurons donc aucun problème, y compris avec l'Amérique du Nord.

La disposition sur les frais de scolarité avait été adoptée, puis plafonnée à 30 ou 35 millions d'euros par an. Elle consomme près de 80 % des ressources consacrées à la scolarité à l'étranger pour ceux de nos jeunes compatriotes qui s'y forment mais ne concerne que 25 % de ceux-ci. Nous revenons sur un déséquilibre majeur. Un engagement a été pris pour que les sommes distraites de cette opération soit en partie consacrées aux bourses.

M. Patriat m'a interrogé sur la fraude fiscale : l'administration fiscale récupère chaque année de 15 à 17 milliards d'euros, dont 2 à 2,5 milliards sur la fraude. Dans ce collectif, nous empêchons les optimisations déloyales, qu'il s'agisse de l'achat de déficits à l'étranger, des dividendes exagérés des filiales afin d'incorporer dans la maison mère leur situation comptable. Bref, les quatre dispositifs anti-abus auront un rendement d'au moins un milliard et certainement beaucoup plus.

Je veux essayer de rassurer M. Dassault. Nous demandons à nos compatriotes des efforts supplémentaires, mais pas toujours sous forme d'impôts nouveaux. La taxe sur les transactions financières existe, même si nous en doublons le taux. Vous avez voté la surtaxe à l'impôt sur les sociétés, dont nous percevrons le produit de manière anticipée. Les impôts nouveaux ne sont pas là pour financer des politiques inutiles ou nuisibles. Ils ne financeront pas les agents que l'Etat recrutera dans l'éducation nationale, la police ou la gendarmerie, puisque ces recrutements se feront à stabilité des effectifs de la fonction publique d'Etat. Les mesures sur la retraite ou sur l'allocation de rentrée scolaire sont financées pour leur propre compte et non à partir des 7,1 milliards d'euros supplémentaires qui serviront à la France à bien respecter les 4,5 % de déficit. Le forfait social va effectivement monter de 8 % à 20 % ; la Cour des comptes proposait de le fixer à 19 %. Ce dispositif concerne 5 millions de salariés, essentiellement d'ailleurs dans les grandes entreprises, très peu dans les PME. Il s'agit à la longue d'une rémunération qui ne dit pas son nom et qui n'est pas frappée par les mêmes charges sociales. Avec un forfait à 20 %, cette rémunération reste deux fois moins imposée que les salaires. Une partie des sommes consacrées à l'intéressement pourrait servir à augmenter les rémunérations : les salariés y trouveraient leur compte, mais aussi la sécurité sociale.

M. Serge Dassault. - Sur le plan social, c'est dramatique !

M. Jérôme Cahuzac. - Nous espérons bien que non.

Entre 2010 et 2011, le taux des prélèvements obligatoires a augmenté de 1,4 point, soit 30 milliards d'euros. Entre 2011 et 2012, ce taux augmentera de 1,1 point, mais ce 1,1 point ne s'explique pas par les seuls 7 milliards d'euros d'efforts supplémentaires que nous demandons, mais aussi par les 15 milliards prélevés par les administrations publiques en 2012 à la suite des plans Fillon I et II. Assumons loyalement cette hausse : deux tiers pour vous, un tiers pour nous.

M. Delahaye, qui nous incite à la prudence, doit prendre en compte le phénomène de noria : les fonctionnaires qui partent à la retraite sont mieux rémunérés que les derniers recrutés, ce qui dégage une marge de manoeuvre. N'oubliez pas la garantie individuelle de pouvoir d'achat. De plus, le point d'indice n'est qu'un des éléments de la rémunération.

Il n'y aura pas de régime particulier pour les collectivités territoriales, madame Des Esgaulx.

M. de Montesquiou dresse un parallèle entre ce qui se passe à l'étranger en matière de retraite et l'augmentation de l'espérance de vie. Ce parallèle n'est pas judicieux, car la France est le seul pays à disposer d'un système de retraite qui se fonde sur le nombre d'annuités cotisé et sur l'âge - c'est le plus dur. Dans les autres pays, seul ce dernier élément est pris en compte : les Allemands et les Espagnols ne reculent pas l'âge de la retraite parce que l'espérance de vie augmente.

Notre échange est courtois, monsieur de Montesquiou, personne n'en sortira navré ou meurtri. Dans l'histoire de nos deux familles respectives, c'est une première puisque Dumas fait occire très proprement par d'Artagnan un garde du Cardinal nommé Cahuzac, et qui n'est pas la gloire de son lignage.

M. Yann Gaillard. - Je veux vous féliciter pour le rétablissement de la TVA à 5,5 % pour les livres papier et électronique. Il s'agit d'une dépense vertueuse.

M. Jérôme Cahuzac. - Ce sera le cas au 1er janvier.

M. Pierre Moscovici. - Le débat sur le livre électronique avec la Commission européenne est loin d'être conclu.

M. Philippe Marini, président. - Dans l'immédiat, le rapporteur spécial de la culture exprime sa satisfaction. M. Arthuis a le sentiment que vous n'avez pas répondu à sa question sur les lettres de cadrage.

M. Jean Arthuis. - L'objectif des - 7 % est sympathique, mais l'expérience précédente n'a donné que de piètres résultats. J'espère qu'il en ira différemment.

M. Philippe Marini, président. - Nous reprendrons prochainement cette discussion.