Mardi 24 juillet 2012

- Présidence de M. Raymond Vall, président, -

Audition de M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

La commission procède à l'audition de M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Raymond Vall, président. - Bienvenue, Monsieur le Ministre, devant la nouvelle commission du développement durable ; elle compte parmi ses membres des spécialistes du transport et l'un des tout premiers groupes de travail qu'elle a installés porte, précisément, sur les mobilités et les transports. Vos attributions ministérielles nous intéressent tout particulièrement, au Sénat, car les infrastructures et les services de transports ont un caractère essentiel dans l'aménagement et dans l'équilibre entre les territoires. Nous y avons beaucoup travaillé ces dernières années, en particulier pour examiner les versions successives du schéma national d'infrastructures de transports (SNIT), ou encore pour esquisser la réforme nécessaire du fret ferroviaire. Une question liminaire, donc, avant celles, nombreuses et certainement précises, que mes collègues s'apprêtent à vous poser : quelle est votre feuille de route, en particulier pour le SNIT ? 

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux transports, à la mer et à la pêche. - C'est un très grand plaisir de m'exprimer devant votre commission, qui traite de sujets majeurs pour les élus locaux que vous êtes aussi - et que j'ai été jusque très récemment. Je sais qu'elle compte en son sein des spécialistes reconnus, en particulier Mme Herviaux pour la mer et le littoral, MM. Ries, Teston et Nègre, pour les transports terrestres. Je me réjouis donc de nos échanges et souhaite qu'ils soient les plus réguliers possibles, car je sais qu'ils seront vivants et enrichissants pour chacun d'entre nous. 

Une information préalable : je définis actuellement, avec le Premier ministre - que je rencontre après-demain à ce sujet -, les grandes orientations de mon ministère : nous vous les présenterons à la rentrée. Vous comprendrez que, dans ces conditions, je ne sois pas en mesure de tout vous dire aujourd'hui, même si je vais tâcher de vous donner la plus entière satisfaction.

Un constat, ensuite : si le Grenelle de l'environnement a prétendu transformer notre vision et nos pratiques des transports, les résultats sont encore loin du compte : l'objectif est de porter le fret non routier de marchandises à 25%, mais nous peinons à dépasser les 10%. Fin 2011, les Assises du ferroviaire ont constaté les handicaps de notre système ferroviaire, plombé par la dette de RFF, par une organisation peu lisible, par des persistances du passé à la SNCF - que certains qualifient de dinosaure. La dette de RFF dépasse non seulement les 30 milliards, mais elle croît de 1,5 à 2 milliards par an : à ce rythme, la dette atteindrait 55 milliards en 2025, ce n'est guère supportable. Le mauvais état de notre réseau, sauf quelques lignes à grande vitesse, le rend incapable d'absorber le surplus de fret que nous souhaitons, ceci malgré toute la priorité qu'on accorde au fret : ce qu'il faut d'abord, c'est remettre notre réseau à niveau ! Cela vaut d'ailleurs pour toutes nos infrastructures de transports. Le premier sujet de ma feuille de route, c'est donc la réforme de notre système ferroviaire : elle est nécessaire, nous la mènerons, conformément à ce qu'en a dit le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

Un mot sur l'ouverture à la concurrence des transports de voyageurs : elle interviendra assurément, puisque l'Union européenne l'a prescrite, et nous devons l'anticiper pour ne pas nous retrouver dans la situation d'impréparation qui était la nôtre lors de l'ouverture du fret à la concurrence, avec toutes les conséquences négatives que notre opérateur historique a subies. Cependant, la première chose à faire, c'est de réformer l'organisation de notre système ferroviaire, indépendamment même de la question de l'ouverture à la concurrence. Les organisations syndicales me l'ont bien dit : l'urgent, c'est d'améliorer l'efficacité de notre système ferroviaire, de clarifier les compétences entre le gestionnaire d'infrastructures et les opérateurs ferroviaires, de bien poser le cadre social du ferroviaire et de moderniser les réseaux.

Sur le SNIT, je commencerai par une remarque de méthode : imaginez que, comme le Gouvernement précédent l'a fait avec les collectivités, chacun de vous demande à ses administrés quelles infrastructures ils souhaiteraient,  pour en faire une liste sans retenue - mais pour avouer seulement lors du débat budgétaire, que la liste n'est pas réalisable ! Vous conviendrez qu'une telle méthode n'est pas des plus réalistes, et l'idée que l'inscription sur la liste serait un sésame ne nous facilite guère la tâche ! Cependant, l'Etat doit tenir sa parole et le Président de la République a été très clair : les travaux engagés seront menés à leur terme. Le SNIT n'est pas un document contractuel et son montant de 245 milliards d'euros n'est guère financé - cette coquette somme représente 120 années de mon budget, je le dis par boutade, mais c'est une réalité... Dans ces conditions, il est bien normal que nous nous interrogions sur des lignes à grandes vitesse qui ont été annoncées par le Gouvernement précédent sans qu'aucune étude d'impact économique et environnemental n'ait démontré leur pertinence. 

Deuxième sujet de ma feuille de route, nous saisirons l'acte III de la décentralisation pour renouveler la répartition des compétences en matière de transport. Nous avons besoin de nouvelles relations entre l'Etat et les collectivités locales : c'est vrai pour le cofinancement - qui, fort heureusement, a résisté aux assauts de ceux qui voulaient l'éradiquer -, mais c'est vrai également pour le choix des infrastructures, pour définir leur pertinence, car nous avons besoin de territoires unis autour de leurs projets de transports et qui trouvent toute leur place dans la négociation avec l'Etat. Les transports sont un levier essentiel pour réduire la fracture territoriale, dans le plein respect des territoires, de leurs spécificités, de leurs choix : nous en avons éminemment besoin, tant les écarts de développement expliquent que dans certains territoires, parce qu'ils ont été oubliés, nos concitoyens en sont venus à douter des capacités mêmes de développement de leurs territoires, à douter d'eux-mêmes - on en a vu les conséquences avec le vote extrême dans la dernière élection. La compétence transport est segmentée - le ferroviaire aux régions, le transport scolaire aux départements, les transports urbains aux agglomérations, voire aux communes -, elle est trop peu lisible ; nous devons la réorganiser, en associant tous les modes de transport et en repensant les liens entre la stratégie nationale, dont l'Etat est responsable, et les échelons locaux, en particulier celui de la coordination. Cette coordination serait plutôt d'échelle régionale, mais elle devra composer avec les autorités organisatrices de transport d'échelon infra-régional, qui peuvent garder toute leur pertinence.

Nous accorderons également toute notre attention au fret ferroviaire, en tenant compte des spécificités du secteur. Il est certain que le fret ferroviaire subit le dumping social du transport routier. Nous mettrons en place l'écotaxe poids lourds, qui a été décidée par nos prédécesseurs - mais je souhaite un cadre apaisé pour son application : l'intermodalité ne se fera pas sans une coopération entre les divers modes de transport, nous associerons les entreprises de transport et les chargeurs à nos discussions sur l'application de l'écotaxe, elle touche à leur compétitivité, tout en constituant un enjeu pour la société toute entière.

Je souhaite encore conduire des réformes structurantes dans le domaine maritime. La mer et la pêche se retrouvent, dans mon ministère, aux côtés des transports : c'est bien le signe que nous reconnaissons l'économie maritime dans son entier, et que nous faisons toute leur place aux liens entre nos ports maritimes et leur hinterland. Nos ports maritimes doivent être confortés, mais également mieux reliés aux infrastructures de transport : c'est à cette aune que nous évaluerons les investissements à réaliser. Ensuite, je sais d'expérience que bien des infrastructures ne sont pas suffisamment utilisées, faute de gouvernance et d'insertion dans un schéma d'ensemble : à nous de faire qu'elles servent plus, grâce à une meilleure organisation. Enfin, je veux avancer sur le chemin d'une politique maritime intégrée : la mer, ce n'est pas d'un côté la pêche, de l'autre le littoral, ailleurs encore la construction navale - c'est tout cela à la fois et c'est bien l'enjeu d'un ministère de la mer que de donner à cet ensemble une gouvernance intégrée qui soit un levier de développement. La gouvernance du littoral doit encore s'adapter aux réalités des façades maritimes, qui varient bien entendu selon les territoires, de l'érosion, ou encore des risques naturels : l'Etat doit accompagner les collectivités locales dans la mise en place d'une telle gouvernance, au besoin en activant un fonds d'aménagement du littoral, que nous examinerons comme une piste. La mer représente également un enjeu important pour l'énergie, avec les énergies marines renouvelables : nous avons des chercheurs, une technologie made in France, dans l'éolien flottant, « l'hydraulien », nous avons des filières industrielles en gestation - à nous de les soutenir, voilà bien un enjeu de développement !

Sur l'aérien, des négociations internationales capitales sont en cours. Je pense en particulier aux travaux de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) sur le système d'échange de quotas d'émission de CO2, tel que l'Union européenne le propose avec l'ETS. L'Union européenne fait jusqu'ici un peu cavalier seul et l'adoption d'un système d'envergure international lui serait d'un grand secours dans la concurrence sans trêve que se livrent les constructeurs aériens et leurs commanditaires.

Voilà donc esquissé ce portefeuille ministériel si vaste et passionnant que le Premier ministre m'a fait l'honneur de me confier. Puisse cette esquisse vous tenir en haleine jusqu'à cet automne où, comme je vous l'ai dit, je pourrai vous présenter en détail quelle sera ma stratégie !

M. Raymond Vall, président. - Place aux questions ! Je salue notre nouveau collègue Stéphane Mazars, ancien suppléant d'Anne-Marie Escoffier devenue ministre, qui assiste pour la première fois aux travaux de notre commission.

M. Michel Teston. - Tout le monde savait que le SNIT n'était pas directement programmatique, que les 260 milliards identifiés - dont 37% à charge des collectivités locales - n'étaient pas financés, mais cela n'enlève rien à son intérêt pour aider à définir les politiques de transports de demain.

Pendant sa campagne électorale, le candidat devenu président de la République a mis en avant l'impératif de réduire les inégalités territoriales : ce critère, monsieur le ministre, ne doit-il pas être premier dans la sélection des projets indiqués par le SNIT ? Je vous renvoie à l'excellente étude qu'avait réalisée la DATAR en 2003, identifiant les territoires mis à l'écart du développement - parmi eux le Sud-Ardèche, mais pas seulement...

Sur l'entretien du réseau, tout le monde m'est témoin ici que nous nous battons depuis dix ans pour augmenter, du moins maintenir les crédits de régénération, ce qui permet aujourd'hui d'entretenir quelque 1000 kilomètres de voies ferrées par an ; monsieur le ministre, comptez-vous poursuivre cet effort l'an prochain, pour la régénération des voies, mais aussi pour les trains d'équilibre du territoire (TET) ?

Mme Odette Herviaux. - Je me félicite du rapprochement, dans votre ministère, de la mer, de la pêche et des transports : c'est de très bon augure pour l'économie maritime, de même que le rattachement de ce ministère à celui du développement durable fera mieux prendre en compte les enjeux environnementaux de nos grands ports maritimes.

L'an passé, dans le bilan que nous avons fait de la réforme portuaire de 2008, nous recommandions l'application de cette réforme à l'outre-mer : monsieur le ministre, qu'en pensez-vous ?

Mme Maria Damanaki, commissaire européenne à la pêche, vient de proposer d'interdire la pêche en eau profonde, ce qui serait une catastrophe pour la pêche française : monsieur le ministre, comment comptez-vous faire échouer cette proposition ?

M. Rémy Pointereau. - Monsieur le ministre, vous parlez d'impréparation pour l'ouverture du fret à la concurrence, mais le sujet était pourtant sur la table depuis vingt ou trente ans, depuis que le fret ferroviaire perdait du terrain. N'oublions pas que, dans les années 1980, la SNCF est devenue le premier transporteur routier de France !

M. Michel Teston. - Elle l'est restée depuis...

M. Rémy Pointereau. - Le Gouvernement a annoncé l'abandon de certaines lignes à grande vitesse, pouvez-vous nous en dire davantage ? Vous avancez que les projets du SNIT ne sont pas financés, mais c'est la règle dans ce genre d'exercice, on n'a jamais vu un grand programme d'infrastructures être entièrement financé lorsqu'il est esquissé ! Que va-t-il se passer pour la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) ? Le débat public s'est achevé en février dernier, RFF et les régions engagent des moyens supplémentaires pour étudier le tracé, les populations et leurs élus sont mobilisés : que leur répondez-vous ?

M. Louis Nègre. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir choisi l'assemblée générale de l'association « Transport intermodal et mobilité » (TDIE) pour annoncer votre intention de « mettre de l'ordre » dans les projets du SNIT. Je partage également votre priorité pour la régénération, la remise à niveau fait largement consensus, mais à la condition de préserver les grands projets qui font l'unanimité ! Je vous suis tout à fait, ensuite, sur le maritime : il est aberrant, en effet, que nos ports maritimes ne soient pas mieux reliés à leur hinterland. On mesure le chemin à parcourir lorsqu'on réalise que le premier port français, c'est Anvers, et qu'à Hambourg, le port représente 40 000 emplois directs et 160 000 emplois indirects !

Sur le SNIT, cependant, vous nous laissez sur notre faim : quelles seront vos orientations ? En 2007, le Gouvernement avait, lui, annoncé qu'il visait la réalisation de 70 à 80 % des projets inscrits au CIADT de 2003.

Je regrette, ensuite, que vous n'évoquiez pas l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), alors qu'elle est un outil essentiel pour préparer le « nouveau SNIT ». L'Agence va renouveler son président très prochainement, on annonce un député socialiste : ne pensez-vous pas qu'il faut, quoiqu'en dise la Cour des comptes, consolider l'Agence, véritable gage de la sanctuarisation des crédits pour les infrastructures de transport - ce dont elles ont le plus grand besoin ?

Vous déplorez l'impréparation dans l'ouverture du fret à la concurrence, je crois que le problème est plus complexe : le fret a diminué dans son ensemble, au profit du routier, ce dont a d'ailleurs profité le fret routier de la SNCF.

Quelle réforme souhaitez-vous pour l'organisation du ferroviaire ? Je vous ne le cache pas : nous sommes très hostiles à l'unification de la SNCF et de RFF, qui serait un véritable retour en arrière et qui nous vaudrait une condamnation de la Cour de justice de l'Union. Il faut certainement un dialogue étroit entre le gestionnaire d'infrastructures et les opérateurs ferroviaires, mais un dialogue entre unités bien distinctes : quelle est votre position sur ce dossier ?

J'aimerais encore, si le temps ne m'était pas compté, vous interroger sur les mesures que vous comptez prendre pour la filière industrielle du ferroviaire, et sur le troisième appel à projet pour les transports en commun en site propre (TCSP).

M. Raymond Vall, président. - Je vous confirme que, le mardi 31 juillet à 14h30, nous entendrons Philippe Duron, candidat à la présidence de l'AFITF.

M. Jean-Jacques Filleul. - Si le fret ferroviaire est dans une situation catastrophique, c'est d'abord parce que la SNCF n'en a pas fait une priorité. Il faut inverser la tendance, nos concitoyens l'attendent, ou bien ce qui reste du fret ferroviaire disparaîtra sous les coups des camions toujours plus gigantesques - 60 tonnes ! - que la Commission européenne autorise sur les routes. Comme président du conseil supérieur du service public ferroviaire, j'avais constaté tout l'intérêt du ferroutage : pourquoi avoir abandonné cette piste ? En Touraine, je constate que nos concitoyens y sont très favorables ; je sais que les obstacles sont nombreux, mais pourquoi ne pas essayer de les surmonter ?

Je forme le voeu, enfin, que le Gouvernement soutienne l'Allemagne dans sa lutte pour conserver son système ferroviaire intégré. Pour avoir vécu la séparation entre RFF et la SNCF, je sais que tous les défauts que nous prédisions alors, se sont réalisés.

Mme Laurence Rossignol. - Devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez indiqué que le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais n'était pas des plus enthousiastes envers le canal Seine-Nord-Europe : je peux vous assurer qu'en Picardie, au contraire, nous souhaitons ardemment la réalisation de ce grand projet ! Et nous avons bon espoir, forts des propos rassurants du président de la République lors de son déplacement dans la Somme - lorsqu'il n'était, c'est vrai, qu'un simple candidat et, on le sait, le contexte des déclarations politiques a toujours de l'importance... Le canal Seine-Nord-Europe est important pour le report modal aussi bien que pour le développement régional : nous sommes enthousiastes, j'espère que le Gouvernement le sera tout autant !

Les difficultés du fret ferroviaire, ensuite, tiennent beaucoup à ce que la route n'est pas payée à son juste et vrai prix : le fret ferroviaire subit le dumping social du fret routier, ne l'oublions pas ! Nous devons donc rééquilibrer les choses, pour que la concurrence soit « juste et non faussée » : quel sera le calendrier de la taxe poids lourds ?

Enfin, je vous ai interrogé oralement sur le décret relatif à la circulation routière des 44 tonnes : envisagez-vous d'abroger ce décret ?

Mme Évelyne Didier. - Vous avez évoqué avec raison la coordination de niveau régional, qui est utile en particulier pour la politique tarifaire : le prix unique des transports est un levier pour la mobilité des personnes et il requiert une coordination régionale.

La nécessité de régénérer nos réseaux ferroviaires, ensuite, ne date pas d'aujourd'hui : notre regretté collègue François Gerbaud en faisait déjà son cheval de bataille, en 2001 ! Si nos trains ne vont pas assez vite - leur vitesse moyenne diminue ! - c'est d'abord parce que nos réseaux, mal entretenus, ne supportent pas la vitesse, et l'on ne parlerait peut-être pas nécessairement de LGV, en tout cas pas partout, si nos trains pouvaient rouler à leur vitesse normale, suffisante dans bien des cas !

Le fret ferroviaire subit effectivement la concurrence déloyale de la route ; dans ces conditions, on comprend que la SNCF ait investi dans le routier : c'était, ni plus ni moins, pour ne pas perdre toutes ses parts de marché.

Nous avons, cette année, avancé des pistes de réforme avec notre proposition de loi de relance du secteur public ferroviaire pour le droit à la mobilité et la transition écologique, et avec notre proposition de loi relative aux conditions d'exploitation et d'admission des navires d'assistance portuaire et au cabotage maritime : monsieur le ministre, comptez-vous les reprendre à votre compte ?

Enfin, sur l'organisation du ferroviaire, les cheminots nous font remarquer que la séparation de RFF et de la SNCF a fait disparaître la mutualisation des ressources et des moyens. L'Union impose des règles, certes, mais l'Allemagne a fait le choix d'un système intégré et nous pouvons, nous aussi, aller dans ce sens pour trouver notre voie de réforme !

M. Vincent Capo-Canellas. - Aéroports de Paris, qui a connu une profonde mutation en passant du statut d'établissement public à celui de société anonyme, cotée en bourse, voit son président atteindre la limite d'âge avant la fin de son mandat, en 2014 : comptez-vous, monsieur le ministre, étendre cette limite en modifiant les statuts, ou bien proposer un nouveau président ?

Le bureau d'enquête et d'analyse pour la sécurité de l'aviation civile (BEA), ensuite, vient de rendre son rapport sur l'accident tragique du vol AF 447 Rio-Paris du 1er juin 2009 : quelles suites comptez-vous donner aux recommandations de ce rapport ?

Air France, enfin, vient de faire connaître son nouveau plan de redressement. Sa situation est difficile, la compétition internationale fait rage - on comprend, dans ces conditions, votre prudence. Envisagez-vous, cependant, des mesures d'accompagnement de la compagnie, pour l'aider à améliorer sa compétitivité ?

M. Ronan Dantec. - Les transports ont toujours été « le vilain petit canard » pour les émissions de gaz à effet de serre, et les mauvais résultats français s'y expliquent pour grande partie. Cependant, la position européenne à la conférence de Durban est parvenue à faire bouger les lignes et, aujourd'hui, le bras-de-fer sur le système d'échange de quotas d'émission de CO2, le désormais célèbre ETS européen, est un véritable test face au chantage des pays émergents, avec les conséquences que l'on sait pour Airbus. Monsieur le ministre, nous assurez-vous que vous n'allez pas lâcher l'ETS aérien ?

Le transport routier, on l'a dit, ne paie pas le vrai prix de la route, mais il ne faut pas perdre de vue que ce vrai prix pénaliserait les régions périphériques : il faudrait donc prévoir des mesures compensatrices pour ces régions.

M. Louis Nègre. - Il y en a déjà...

M. Ronan Dantec. - Oui, mais il faudra peut-être aller plus loin.

Enfin, il faut prendre en compte la montée des eaux, qui aura une incidence directe et importante sur la gestion du littoral : le Gouvernement doit se résoudre à prendre la cote de la montée des eaux, le sujet est délicat, mais nécessaire.

M. Jean Bizet. - Il ne faudrait pas que la fracture territoriale se double d'une fracture conceptuelle, c'est-à-dire d'une hostilité de principe à toute ouverture à la concurrence, qui isolerait notre opérateur historique du reste du monde. Nous avons interpellé le président de la SNCF, il a montré peu d'empressement à l'ouverture à la concurrence. J'avais poussé M. Bussereau dans ses retranchements, lorsqu'il était secrétaire d'Etat aux transports, et il avait fini par me concéder que l'ouverture à la concurrence n'était pas du goût de tel syndicat de cheminots, et que cet obstacle était dirimant. Monsieur le ministre, qu'en ferez-vous pour, comme vous nous le dites, ouvrir les lignes de voyageurs à la concurrence avant 2019 ?

S'agissant de la route, je crois que nous devons faire leur place aux 2x25 tonnes, qui sont, ou vont devenir indispensables à la compétitivité de nos entreprises de transport routier. Elles subissent en effet la concurrence directe d'entreprises d'Europe du Nord, qui utilisent des tonnages supérieurs aux nôtres. De plus, du point de vue de la réduction des gaz à effet de serre, un tonnage plus important n'est pas sans intérêt.

M. Roland Ries. - Je me focaliserai sur deux thèmes, après avoir formulé une question - inquiète - d'ordre local. Air France vient d'annoncer la suppression de sa liaison directe Strasbourg-Roissy à la fin de l'année : n'est-ce pas compromettre inconsidérément le développement de l'aéroport de Strasbourg, qui a déjà son lot de difficultés ?

Sur la gouvernance du ferroviaire, ensuite, la séparation radicale du gestionnaire d'infrastructures et des opérateurs n'est pas viable, car elle compartimente le ferroviaire, entre un gestionnaire qui ne s'occupe que de l'infrastructure, et des opérateurs qui doivent s'en débrouiller. Dans la réalité, le dialogue est indispensable, consubstantiel au bon fonctionnement du système ferroviaire ! Ce dialogue n'est pas le synonyme de la fusion et nous savons bien que le système allemand n'a pas trouvé grâce auprès de la Cour de justice de l'Union. Cependant, il faut maintenir un lien entre RFF et l'opérateur historique, car celui-ci n'est pas un opérateur comme les autres - ceci parce qu'il compte quelque 150 000 agents, et que les questions statutaires y sont importantes.

Sur la réforme institutionnelle, enfin, il paraît nécessaire qu'une autorité organisatrice coordonne les transports à l'échelon régional. Cela se fait déjà ici ou là, en Alsace nous avons les comités de coordination des autorités organisatrices de transports - les COCO-AOT -, mais ces initiatives des collectivités locales n'emportent aucun pouvoir coercitif pour ces instances de coordination. Or, nous avons besoin d'aller plus loin, pour réaliser des schémas régionaux de transports, pour mettre en place la tarification unique. Deux voies se présentent : l'autorité organisatrice chef de file, qui pose la délicate question du pouvoir sur les autorités d'échelon géographique plus restreint ; le syndicat mixte, qui pourrait malencontreusement devenir la mille et unième feuille d'une organisation déjà trop complexe.

Toujours sur la réforme institutionnelle, nous aurons à examiner encore la proposition - et revendication ancienne du groupement des autorités responsables de transport, le GART - de créer des autorités organisatrices de mobilité durable, en particulier dans les territoires urbains. Ces AOMD devraient avoir tous les outils entre les mains : les transports quel qu'en soit le mode - le vélo, l'autopartage, le covoiturage... - mais encore la voierie et le stationnement. Nous retrouvons ici les travaux conduits par Louis Nègre sur la dépénalisation et la décentralisation du stationnement, facteur déterminant du choix modal par les usagers, et ses propositions, restées sans suite.

M. Raymond Vall, président. - Je confirme que Roland Ries sera rapporteur pour avis sur les transports ferroviaires et fluviaux.

M. Frédéric Cuvillier, ministre. - Sur le SNIT, d'abord, je peux d'ores et déjà vous préciser quelle sera notre méthode. Tout en tenant compte de la mission Gallois sur les investissements d'avenir, nous installerons une commission, formée d'experts, de personnalités qualifiées et de parlementaires, pour examiner les projets inscrits au SNIT. Le schéma n'est bien sûr pas programmatique, mais inscrire les projets sur une liste, c'est, en quelque sorte, s'engager sur une réalisation, même si l'on n'en dit pas le terme. Et c'est bien comme ça que les élus le comprennent, chacun tient bien sûr à ce que le projet qui le concerne soit réalisé à court terme. Or, nous en convenons tous, l'ensemble des projets n'est pas réalisable à court terme : il nous faut donc remettre de l'ordre, c'est l'expression que j'ai employée, tout simplement prioriser les projets, en esquisser le terme, en tenant compte bien entendu des travaux engagés et de nos engagements internationaux - cela vaut pour le Lyon-Turin même si, comme par hasard, le traité franco-italien reste muet sur le financement. Nous n'abandonnons donc pas de projets, nous allons seulement les mettre en perspective dans le temps, avec des critères que la commission prévue définira - par exemple la balance des coûts et avantages, la complémentarité avec les infrastructures existantes - en recherchant, c'est une nécessité, à optimiser l'investissement public. J'ajoute que, en plus de la régénération à laquelle nous sommes tous attachés, il faut prévoir le renouvellement des matériels roulants : c'est une priorité, qui est même nécessaire à la filière ferroviaire.

L'outre-mer est un enjeu majeur, sur lequel j'ai commencé à travailler avec mon collègue Victorin Lurel. Nous esquissons un programme « mer » pour les territoires ultramarins, qui comportera des mesures pour la compétitivité des ports. J'ajoute que chaque cabinet ministériel comprend désormais un conseiller « outre mer » : nos compatriotes ultramarins en sont mieux pris en compte.

La pêche en eau profonde est un sujet d'actualité et, Madame Herviaux, je comprends parfaitement votre crainte devant les propositions de Mme Damanaki, commissaire européenne à la pêche. Je constate, d'abord, une méconnaissance des questions propres au littoral et à la mer au sein de notre représentation permanente à Bruxelles, quelle que soit la qualité des membres qui la composent. Nous avons trop longtemps pratiqué la politique de la chaise vide et je m'engage à nouer un contact étroit avec mes collègues européens, pour faire valoir ces questions littorales et maritimes. De fait, si la préservation des espèces s'opposait à la pêche en eau profonde, nous aurions à suivre l'avis des scientifiques, qui nous alerteraient sur l'insuffisant renouvellement des espèces marines ; or c'est l'inverse qui se produit : les scientifiques nous disent que les stocks au-dessus du seuil de durabilité progressent - nous sommes passés de 27% à 53% de stocks au renouvellement assuré -, tout nous indique que la pêche en eau profonde ne dégrade pas les habitats vulnérables, mais la commissaire européenne propose de l'interdire. La moindre des choses serait de cartographier les habitats et les espèces concernés, d'écouter les scientifiques, mais aussi les pêcheurs, qui sont d'autant plus disposés à débattre, qu'ils ont été parmi les tout premiers à s'inquiéter du renouvellement des espèces, qu'ils font beaucoup pour que leur pêche respecte l'environnement. Qui plus est, comme vous le dites, Madame Herviaux, cette interdiction serait catastrophique pour au moins quatre de nos ports : Lorient, Concarneau, Boulogne-sur-Mer et Le Guilvinec.

Nous devons nous interroger également sur le financement des projets d'infrastructures. Les grands projets qui engagent sur des décennies ne sont évidemment pas financés au premier jour, là n'est pas mon propos. Mais, dans le contexte budgétaire actuel, nous devons rechercher les meilleures solutions, qui ne sont pas toujours celles qu'on croit : voyez les partenariats public-privé, que certains tenaient pour la panacée, et qui apparaissent défaillants sur certaines opérations - par exemple pour le contournement routier de Strasbourg.

Sur le canal Seine-Nord-Europe, nous devons examiner les choses dans leur détail, sans se laisser prendre à telle ou telle annonce. Ce projet est très important, tout le monde en convient. Mais ses financements sont incomplets, le loyer que l'Etat devrait payer est considérable, pour cinquante ans au moins, des ouvrages nécessaires au réseau ne tolèrent pas le grand gabarit et, dans un autre ordre d'idées, on est en droit de s'interroger devant tous ces projets locaux de plateformes logistiques en attente du grand canal : sont-ils au moins complémentaires ? Nos prédécesseurs sont bien rapides à nous faire la leçon : lorsque nous aurons examiné ce dossier du canal Seine-Nord-Europe dans son détail, nous saurons et nos concitoyens sauront ce qu'il en est vraiment. Dès lors, s'il faut repenser le projet, nous le ferons : il pourra en être décalé dans le temps, mais nous aurons respecté la réalité, plutôt que de s'attacher à des annonces !

Je rassure Louis Nègre : je suis favorable au maintien, et même au renforcement de l'AFITF. L'Agence donne de la visibilité aux financements pour les infrastructures de transport, c'est particulièrement utile quand les moyens publics se font plus rares, quoiqu'en dise la Cour des comptes.

Si la concurrence sur le fret ferroviaire était un gage de croissance, nous le saurions : l'inverse s'est produit puisque le fret a diminué dans son ensemble, pas seulement pour la SNCF ! La dégradation du fret ferroviaire tient d'abord au manque d'anticipation. L'ouverture à la concurrence n'est pas l'alpha et l'oméga de la réforme : nous avons plutôt besoin de réformer la gouvernance du ferroviaire en premier, non par la fusion de RFF et de la SNCF, incompatible avec le droit européen, mais par la coordination entre le gestionnaire et les opérateurs, ce qui requiert de donner plus de visibilité à leurs relations.

La réforme de la gouvernance elle-même, - cette page que nous écrirons en connaissant ce que font nos voisins allemands -, est une condition nécessaire mais pas suffisante à la crise du ferroviaire. Nous devons, avant toute chose, dialoguer avec les cheminots, qui sont sensibles à notre ambition pour le ferroviaire, à notre souci de prendre en compte les spécificités historiques de ce secteur, parce que, comme nous, ils sont des passionnés du ferroviaire !

Sur le troisième appel d'offres de TCSP, je peux encore rassurer M. Nègre : cet appel d'offres est lancé.

Sur le fret routier, je ne dirai jamais assez que les transporteurs routiers doivent être pleinement acteurs des réformes visant le report modal, qu'il doit y avoir des incitations, un accompagnement : les transporteurs routiers sont prêts à prendre toute leur place dans la réforme, nous les y encourageons.

Je ne crois pas loisible de revenir sur le décret relatif à la circulation des 44 tonnes : il est en vis-à-vis de l'écotaxe poids lourds. Celle-ci est complexe à mettre en oeuvre, j'entends les critiques et les inquiétudes, en particulier celles des petites entreprises de transport, surtout lorsqu'on annonce un coût de 200 millions, pour une taxe censée rapporter un milliard d'euros.

Le groupe CRC a déposé des textes qui concernent directement mes compétences, en particulier sur les ports et les services portuaires : soyez assurée, Madame Didier, que nous examinerons attentivement les pistes que vous nous suggérez.

S'agissant du renouvellement à la présidence d'Aéroports de Paris, je peux dire simplement que les procédures prévues seront appliquées : votre commission y interviendra, comme c'est d'usage désormais pour bien des postes à responsabilité publique.

Les cinq recommandations du BEA seront d'application obligatoire. J'ai reçu les familles de victimes du vol Rio-Paris, ce drame humain oblige à nous poser bien des questions sur les procédures suivies, sur les relations à entretenir avec les familles en pareil cas. Est-il nécessaire, par exemple, d'envoyer les photographies des cadavres à toutes les familles, même lorsqu'elles ne l'ont pas demandé ? Comment prévenir une mère qui attend le corps de son enfant, alors qu'elle n'en recevra qu'un membre - je cite ce cas, parce qu'une mère m'a dit sa douleur devant ce qu'il restait de son fils, dont elle attendait la dépouille entière. Ces questions dépassent très largement mes compétences ministérielles, elles touchent à la communication des informations, au secret, et elles concernent la Justice au premier chef - mais cela n'empêche pas chacun de nous, devant un tel drame, de ressentir combien il faut adapter nos procédures aux réalités humaines.

Je veux encore rassurer Ronan Dantec : nous ne cèderons rien sur les échanges de quotas d'émission de CO2 aérien. Mon propos consistait seulement à dire que le système européen, l'ETS, serait conforté si l'OACI s'engageait sur la même voie : au lieu d'un cavalier seul européen, les transports aériens devraient partout respecter des quotas d'émission, ce qui serait bien plus favorable pour l'environnement et moins inconfortable pour Airbus.

M. Bizet pourra présenter, autant qu'il le souhaite, ses arguments pour le 2x25 tonnes, mais je le préviens qu'il lui faudra beaucoup de persuasion pour l'emporter ! Cependant, il est vrai que si les transporteurs jouent pleinement l'intermodalité, il n'est pas exclu de faire des efforts dans leur sens pour les derniers kilomètres.

Je vous invite à consulter l'avis que le Conseil économique, social et environnemental vient de consacrer à l'ouverture à la concurrence des services ferroviaires de voyageurs : cet avis est des plus prudent, voire défiant envers toute précipitation, il précise que l'ouverture ne peut se faire que sur la base du volontariat régional, pour quelques lignes seulement et avec un contrôle étroit des conditions de la concurrence. On comprend pourquoi l'ouverture à la concurrence ne saurait nous dicter notre calendrier de réforme !

Je crois, comme Roland Ries, que nous avons besoin d'une coordination régionale des transports, assortie d'un pouvoir de coercition. Cependant, prenons garde à ne pas substituer au centralisme national, un centralisme régional ! Les métropoles régionales sont certes des locomotives du développement, mais leur influence territoriale, par rapport à l'ensemble régional, n'est pas partout la même, nous devons nous adapter aux réalités. Les syndicats mixtes, de leur côté, ne faciliteraient pas la lisibilité du système, alors que c'est bien de clarté que nous avons besoin. Il nous faut donc trouver une organisation nouvelle, qui relie des compétences thématiques à leur territoire de pertinence - et nous y parviendrons par le débat, sans en décider préalablement au débat.

L'annonce aujourd'hui de la fermeture par Air France de sa ligne Strasbourg-Roissy, je l'espère, n'avait pas pour objectif de rendre ma tâche plus difficile devant vous ! (Sourires) Cependant, quand le TGV rejoindra Paris et Strasbourg en 1h50, la question du mode de transport prioritaire se posera effectivement.

M. Raymond Vall, président. - Merci pour toutes ces réponses, monsieur le ministre ! Une fois n'est pas coutume, je saisis l'occasion de cette audition pour vous prévenir de questions qui pourraient vous être faites très bientôt sur les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI). J'apprends, en effet, que le président de la République va se rendre dans le Gers ce samedi. Or, ce sera l'occasion pour des associations qui alertent depuis longtemps l'Etat de la forte mortalité sur la RN 21, d'interroger le chef de l'Etat à ce propos. Cette route nationale, qui relève de l'Etat, a été inscrite dans le SNIT parmi onze autres dans une situation comparable, parce qu'elle constitue, pour certains des territoires qu'elle traverse, quasiment le seul lien avec le reste du territoire national. Le chef de l'Etat ne manquera pas d'être interrogé très directement : comptez-vous maintenir les PDMI, rénover ces routes nationales qui sont les seules artères de certains territoires, et dont la dangerosité n'est plus tolérable ? Ou bien devrons-nous, dans ces territoires, contribuer pour le rail, pour les routes et bientôt pour le numérique, sans n'avoir aucun retour ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre. - Merci de me prévenir, je pourrai d'autant mieux anticiper ! Les PDMI seront maintenus à un niveau suffisamment élevé pour répondre à cette exigence de sécurité sur les routes nationales qui relèvent de la compétence de l'Etat. L'accidentologie est un critère central. Cela vaut également pour les voies ferroviaires, où l'on déplore encore quelque deux cents passages à niveau jugés dans un état « préoccupant », pour ne pas dire dangereux ! Nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi, sans aucune logique, tel ou tel tronçon d'une route n'est pas modernisé, alors qu'elle est passée à 2x2 voies : à ne pas achever ce qu'il a commencé, l'Etat perd sa crédibilité !

Les questions que vous m'avez posées, vous en conviendrez, dépassent largement le SNIT : nous avons bien du travail devant nous !

Mercredi 25 juillet 2012

- Présidence de M. Raymond Vall, président, -

Communication sur l'aménagement numérique des territoires de Yves Rome, président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA)

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Nous avons le plaisir d'entendre aujourd'hui notre collègue Yves Rome, qui va nous présenter les propositions de son association, l'AVICCA, pour le désenclavement numérique.

M. Yves Rome. - Je vous remercie pour cette invitation. Je suis venu accompagné de Patrick Vuitton, délégué général de l'AVICCA.

Il y a un an était adopté le rapport d'Hervé Maurey sur l'aménagement numérique des territoires. Ce rapport a été salué à l'époque par Pierre Hérisson et Catherine Morin-Desailly, au nom des groupes d'études Communications électroniques et Poste et Médias et nouvelles technologies. Le rapport lançait un cri d'alarme sur le retard numérique pris par la France. Ses conclusions ont été le point de départ de la proposition de loi Maurey-Leroy visant à assurer l'aménagement numérique du territoire.

Je voudrai d'abord dresser un bilan de l'année écoulée, suite à mes rencontres avec les acteurs de la filière, en utilisant les données du Fonds national pour la société numérique (FSN), ainsi que les remontées de terrain de nos adhérents. J'évoquerai également brièvement la 4G. J'espère que ces quelques éléments contribueront à alimenter notre réflexion, alors que nous auditionnerons dès cet après-midi la ministre en charge de l'économie numérique.

Quelques mots sur l'AVICCA : cette association regroupe 237 collectivités, communes, intercommunalités, syndicats d'énergie, syndicats mixtes, départements et régions qui représentent un total de soixante-deux millions de personnes. Seules quelques rares zones en France ne sont pas encore couvertes par l'AVICCA, zones que nous tâcherons de combler à l'avenir. Les départements très ruraux y côtoient de grandes agglomérations. Les retours d'expérience sont donc très diversifiés, avec des modes d'action différents. Le développement de l'AVICCA est bien sûr intrinsèquement lié à la reconnaissance progressive de l'intervention des collectivités territoriales dans l'aménagement numérique du territoire.

Venons en maintenant au bilan ; nous faisons dix constats.

Premier constat : le nombre de nouvelles prises a diminué pour le troisième trimestre consécutif depuis juillet 2011, passant de 140 000 à 105 000 prises, selon des données publiées par l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), même si cette dernière a choisi de faire une autre lecture de ces chiffres, mettant en avant l'augmentation de 39 % du nombre de prises d'une année sur l'autre. Il est certain qu'en partant d'un stock très bas sur une année, on peut constater des pourcentages de hausse élevés. Ce chiffre n'a pas beaucoup de signification. J'en profite pour souligner que l'ARCEP est la seule aujourd'hui à recevoir et traiter les données nationales. Nous avons fini par obtenir que des définitions précises soient publiées, notamment celle de la notion de « prise éligible ». Cette avancée terminologique est importante, car jusqu'à présent, chaque opérateur avait sa propre définition. Nous avions ainsi des communes déclarées couvertes à 100 % par la fibre, alors que leurs habitants ne pouvaient s'y abonner... Est ici en cause un travail moins coûteux mais inabouti, qui consiste à étendre le réseau à l'horizontale sans pour autant pénétrer dans les immeubles. Dorénavant, la définition de « prise éligible » existe et il faut donc s'y référer en toute transparence. L'ARCEP cherche par ailleurs à justifier les choix qu'elle a effectués antérieurement, comme la délimitation d'une zone très dense, ou encore la mise en place d'une régulation symétrique entre tous les acteurs. L'ARCEP n'est donc pas tout à fait neutre quand elle communique. Ceci à l'instar de la téléphonie mobile, où la notion de couverture satisfait souvent davantage ceux dont le souci se limite à la publication de bons chiffres, que ceux qui veulent tout simplement recevoir des appels chez eux et non pas à l'extérieur du centre-bourg, car telle est aujourd'hui la définition de l'éligibilité à la couverture de la téléphonie mobile.

Deuxième constat : nous n'avons pas d'indicateurs partagés pour suivre l'évolution de la boucle locale, or ceux-ci devraient être partagés à tous les niveaux : régulateur, industriels, opérateurs mais aussi collectivités locales, qui n'ont qu'un accès très limité aux données qui les concernent au premier chef. C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement de compléter le décret obligeant les opérateurs à porter à la connaissance des services de l'État et des collectivités qui en font la demande, l'état des zones de service sur leur propre territoire.

Notre troisième constat est que cette tendance négative que je viens de décrire risque fort de se prolonger. Chaque mois, les industriels de la fibre optique indiquent à leur syndicat professionnel, le Sycabel, le volume des commandes reçues. Sur la base d'un indice 100 en 2008, le volume est en chute libre depuis un an. Nous sommes largement en-dessous de ce qui était commandé il y a quatre ans. Autant dire que les prochains chiffres de construction de prises ne vont pas aller croissant, ce qui a des conséquences immédiates très préoccupantes pour notre économie, en termes de surcapacité industrielle et de réduction d'emplois dans la filière.

Quatrième constat : nous sommes actuellement très loin de pouvoir atteindre les objectifs du programme national très haut débit, qui ont fixé à 2025 la couverture de l'ensemble du territoire national par le très haut débit. Il faut donc accélérer le déploiement. On construit environ 400 000 prises FTTH par an (fibre optique), et pas toujours jusqu'au logement. A ce rythme, il faudrait quatre-vingts ans, et non dix, objectif du Président de la République, pour remplacer les trente-deux millions de lignes cuivre. L'un des freins au déploiement du très haut débit est aussi le manque de formation, les compétences en matière d'installation de la fibre font aujourd'hui défaut. Les industriels avaient pourtant commencé à mettre en place des centres régionaux de formation pour faire face à un volume de commandes censé augmenter. Faute de cadre cohérent et pérenne, la plupart de ces projets sont aujourd'hui interrompus. En matière de financement, la situation est elle aussi en suspens. Je siège au titre de l'AVICCA au FSN, au sein du Comité des réseaux d'initiative publique (CRIP), aux côtés de l'ARF, de l'ADF, ainsi que de la FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies). Nous y rendons des avis sur les projets présentés par les collectivités pour la mise à très haut débit de leur territoire. Cet observatoire nous permet de poser quatre constats complémentaires.

Malgré l'imperfection du cadre financier, et c'est là mon cinquième constat, les collectivités font preuve d'une forte mobilisation pour l'aménagement numérique de leur territoire. En sept mois, onze dossiers ont été examinés, concernant au total dix-huit départements.

Sixième constat : le FSN va rapidement arriver à épuisement, puisque les demandes qui ont reçu un avis positif de ce fonds représentent environ 330 millions d'euros sur les 900 millions d'euros disponibles et fléchés sur l'objectif. Cela concerne un volume de 1,2 million de prises FTTH. L'enveloppe totale du FSN ne permet même pas, pour le moment, d'initier les travaux dans seulement un département sur deux ; elle ne permet de remplacer que 10 % des trente-deux millions de lignes cuivre de notre pays.

Septième constat : les aides sont censées s'étager de 33 à 48 % du montant global de l'opération. Or, avec le jeu des plafonds et des écrêtements, elles ne représentent en fait que 20 à 25 % du montant des projets éligibles. Par ailleurs, elles ne sont pas progressives et sont trop déconnectées des typologies des territoires, par essence différents. La charge qui reste à couvrir par les collectivités demeure beaucoup trop lourde.

Huitième constat : les collectivités ayant soumis des dossiers à instruction déplorent la lenteur des notifications, ce qui freine les procédures. Une fois l'avis déclaré positif, très peu de régions ont reçu une notification officielle de la délégation de crédits au titre du FSN.

Neuvième constat : dans le cadre financier actuel, les collectivités sont dans l'incapacité d'atteindre l'objectif national de 2025. Par ailleurs, les 10 % des prises les plus difficiles à installer représentent souvent un budget plus important que les 30 ou 40 % de prises précédentes. On saisit bien la difficulté qui est devant nous. Il est ainsi évident que les collectivités ne seront pas en mesure financièrement d'atteindre les objectifs nationaux, malgré la prise en compte des aides de l'État et des éventuelles aides européennes.

Enfin, dixième et dernier constat : la multiplicité des acteurs concernés complexifie le champ d'intervention des collectivités. Outre les opérateurs, il faut également compter avec des aménageurs, des installateurs, des équipementiers. Les collectivités nous font quotidiennement part de leurs inquiétudes.

Je terminerai par un mot sur le réseau mobile et la 4G. Nous avons contribué avec l'AVICCA à améliorer la législation pour mieux prendre en compte nos préoccupations d'aménagement dès la procédure d'attribution des licences, en ce qui concerne le dividende numérique. Cela se traduit par la constitution d'une zone dite de déploiement prioritaire, qui regroupe 22 000 communes. Or, les opérateurs refusent de communiquer sur leurs prévisions de déploiement. C'est pourquoi l'AVICCA reste particulièrement vigilante quant au respect des obligations. Si l'on regarde la carte d'un département cher à notre collègue Michel Teston, celle de l'Ardèche, on constate que ce qui sera couvert du fait de l'obligation de couverture que je viens de rappeler (40% de la zone, exprimée non pas en superficie mais en population) est bien inférieur à ce que pourrait être sa couverture à l'échéance 2017. Il s'agit certes déjà d'une réelle amélioration, mais la 4G peut-elle vraiment être une technologie de substitution au très haut débit fixe ? Nous ne le pensons pas. D'après les obligations inscrites dans les licences, rien de significatif n'est prévu en termes de couverture avant 2020. Je ne suis pas sûr que les habitants et les entreprises patientent jusqu'à cet horizon.

Pour conclure, chers collègues, et je sais que nous sommes très nombreux au sein de cette commission à partager ce constat, l'aménagement numérique du territoire est un enjeu central pour le développement économique et social de notre pays. Porteur d'emplois pérennes et dynamiques, il représente un formidable potentiel d'innovation, essentiel en cette période de crise. Mais le temps nous est compté. Le territoire national doit pouvoir bénéficier de l'accès au très haut débit d'ici dix ans. Tel est l'objectif fixé par le Président de la République. Des mesures fortes doivent donc être prises pour changer de modèle de déploiement et éviter que des collectivités ne soient lésées, faute de rentabilité pour les opérateurs.

La première exigence tient à la transparence, à l'accès aux informations et au suivi de ce que nous avons appelé une « opération vérité ». Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser les acteurs du numérique, mais plutôt de parvenir à construire avec eux les conditions d'un déploiement solidaire, pérenne et efficace du très haut débit sur notre territoire. Il me semble également indispensable que nous écrivions ensemble une feuille de route pour définir les moyens d'atteindre l'objectif.

Un état des lieux doit donc être dressé pour appréhender les freins mais aussi les succès de ce déploiement. Le cadre réglementaire et législatif doit être revu, stabilisé et sécurisé pour l'ensemble des acteurs. Des sources crédibles et pérennes de financement doivent être définies pour mettre en oeuvre à moyen et long termes ce programme d'envergure. Á cet égard, le coût du fibrage national est estimé, selon les observateurs, entre vingt-cinq et trente milliards d'euros. Ni les seuls opérateurs, ni les collectivités ne peuvent financer ce déploiement dans le cadre actuel. Le modèle qui prévaut encore à ce jour s'inscrit pourtant dans cette analyse puisqu'il prône une concurrence entre les opérateurs, une concurrence entre les opérateurs et les collectivités, et une concurrence bien plus certaine entre le fil de cuivre et la fibre optique. Il est donc à mon avis parfaitement inopérant. Nous ne pouvons du reste nous offrir le luxe de plusieurs réseaux, alors que nous avons des difficultés à financer et à bâtir un réseau unique. Ce réseau unique pourrait d'ailleurs être utilisé par les différents opérateurs. C'est la raison pour laquelle il me semblerait judicieux que nous demandions la constitution d'une mission d'information sur l'aménagement numérique du territoire.

Plusieurs raisons président à cette demande. Le cadre va encore évoluer : certains acteurs y travaillent, à commencer bien entendu par le Gouvernement, mais aussi la Commission européenne qui définit des principes de régulation et des aides. L'ARCEP aura également son rôle à jouer. Il est important que les parlementaires puissent être un interlocuteur permanent de ces différentes instances, en amont de leur réflexion, pour suivre et évaluer les impacts de leurs décisions.

Le cadre évoluera parce que le jeu des acteurs est en perpétuel changement. Free avait d'ambitieux projets en 2006 sur le très haut débit fixe, projets qui ont été abandonnés au profit du développement mobile avec le trouble qu'il nous a été donné de connaître. Demain peuvent encore se constituer des opérateurs à l'échelle européenne. La chaîne de valeur se modifie sans cesse, entre les fournisseurs de services, les fournisseurs de terminaux et les opérateurs. Les besoins des utilisateurs peuvent d'ailleurs changer très vite, comme nous l'avons vu pour le mobile. Je citerai simplement quelques chiffres du syndicat patronal des constructeurs : ils parlent d'une explosion du nombre des objets nomades dans les cinq ans à venir, allant jusqu'à indiquer que leur nombre pourrait être multiplié par vingt-cinq. Cela témoigne de l'ultra-dépendance de notre société à tous ces outils numériques. Un suivi des déploiements, territoire par territoire, est indispensable à l'aune d'indicateurs pertinents.

Je vous sais nombreux à vous préoccuper de cet enjeu de taille. Je vous sais forts de l'expérience acquise au sein de nos territoires. Nous avons donc intérêt à mutualiser nos expériences, confronter nos analyses et restaurer cette boucle vertueuse du modèle d'aménagement qui avait prévalu lorsqu'il s'était agi de mettre la France à haut débit. Les collectivités territoriales s'étaient vues reconnaître la possibilité d'agir sur leur territoire. Inspirons nous de ce modèle pour construire ensemble les bases solides de l'aménagement à très haut débit de la France, source d'un indéniable potentiel de croissance dont nous aurions bien tort de nous passer.

M. Michel Teston. - Je vous remercie d'avoir salué les efforts considérables consentis par le conseil général d'Ardèche pour mettre en place la téléphonie mobile entre 2003 et 2009, en association avec la Drôme. On constate aujourd'hui que la 4G ne suffira pas à couvrir l'intégralité du territoire du département : il faudra recourir aux deux technologies, la téléphonie mobile et l'internet fixe.

En ce qui concerne les positions de l'AVICCA, je les rejoins largement. Le plan national très haut débit fait la part très belle aux opérateurs et cantonne les collectivités locales à la desserte des zones les moins denses. Les opérateurs peuvent geler les initiatives des collectivités territoriales sur les zones qui les intéressent, en prenant des engagements dépourvus de sanctions. Si les collectivités déploient la fibre dans des zones moyennement denses, elles se trouvent par contre coup privées des aides publiques dans les zones très peu denses.

Le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) créé par la loi Pintat n'a jamais été alimenté. Les propositions de l'AVICCA pour le faire me paraissent intéressantes. Les opérateurs pourront être sollicités à mesure qu'ils déploieront la fibre dans les zones denses. Il faut également s'orienter vers une possibilité de sanctions des engagements pris par les opérateurs s'ils ne les respectent pas. Des partenariats public privé devraient permettre de couvrir les zones très peu denses, sans que l'Autorité de la concurrence s'y oppose. Bref, je plaide pour une répartition des rôles plus équilibrée.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je partage les positions de l'AVICCA. Par exemple, dans l'Indre-et-Loire, le schéma numérique que nous venons d'adopter est minimal. Il prévoit une « autoroute numérique » le long de la Loire et la desserte des grandes zones industrielles. Pour le reste, les communautés de communes sont chargées d'établir leurs schémas. Dans ma communauté de communes, dix relais Noeuds de Raccordement d'Abonnés (NRA) à 100 000 euros pièce sont nécessaires pour permettre simplement la montée en débit. Je me demande quel pourra être le rôle de la 4G. Lors de son audition, le président de France Télécom nous a dit que cette technologie pourra répondre à une partie des besoins de la montée en débit. Quel est votre avis sur ce point ? Doit-on investir dans les relais NRA ou dans d'autres stratégies, telle que la 4G ?

M. Hervé Maurey. - Beaucoup des constats faits par le président de l'AVICCA rejoignent ceux qui sont déjà inscrits dans la proposition de loi adoptée par le Sénat. Le programme national très haut débit fait la part trop belle aux opérateurs, qui font ce qu'ils veulent, où ils veulent, quand ils veulent, les collectivités territoriales n'ayant plus qu'à s'adapter à leurs décisions. Cela me paraît tout à fait inacceptable ; il faut rééquilibrer les relations entre les opérateurs et les collectivités territoriales.

Nous devons faire en sorte que la proposition de loi du Sénat soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Je n'ai pas le sentiment que le Gouvernement le veuille, alors qu'il est essentiel que la représentation nationale fixe un cadre au programme national très haut débit. Le Président de la République a fixé une échéance encore plus ambitieuse que son prédécesseur, ce qui impose de « changer de braquet ». Les collectivités territoriales sont désemparées, alors qu'il n'y a plus de pilote dans l'avion au niveau de l'État. Ce ne sont pas les communautés de communes qui peuvent se lancer dans le très haut débit. La fracture numérique va en s'accentuant. Depuis l'an dernier, la situation ne s'est pas améliorée : il suffit de considérer le nombre décroissant des prises installées. Or, la fibre représente beaucoup d'emplois en France. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de la filière industrielle française.

On parle de plus en plus de dissociation entre le très haut débit et la fibre, avec le recours au Very High Rate DSL (VDSL), qui est un fil de cuivre « boosté », ou la 4G. Mais ces technologies ne sont pas la panacée : avec elles, plus on est connecté, moins on a de débit. Je me souviens d'un propos du président de l'ARCEP, qui estimait qu'un taux de couverture de 40 % ou 50 % de la population par la fibre serait amplement suffisant. Ce n'est pas acceptable. Il faut que l'on se batte pour que l'on n'enterre pas la proposition de loi adoptée par le Sénat, quitte à l'amender si nécessaire.

M. Charles Revet. - La couverture numérique est un enjeu pour l'ensemble du territoire et le développement économique de notre pays. Dans le domaine des transports ferroviaires, on a créé Réseau Ferré de France (RFF), qui permet à des opérateurs venant de tous horizons de circuler sur un réseau unique. Pourquoi n'appliquerait-on pas ce modèle à l'échelle du territoire pour la fibre ?

M. Jean Bizet. - Vous avez souligné l'insuffisance des centres de formation aux métiers de la fibre. Pouvez-vous nous rappeler quels sont ceux qui existent ? Est-ce que les missions de l'AVICCA incluent un appui à ces centres pour les aider à s'adapter aux nouveaux métiers ?

M. Jean-François Mayet. - Le très haut débit nécessite beaucoup d'argent, l'essentiel du coût étant constitué par les opérations de travaux publics nécessaires au creusement des tranchées. On subit les volontés des opérateurs, et ce que je qualifierai de « dictature de la fibre ». Pourquoi, dans les zones rurales, n'imagine-t-on pas de combiner la fibre et le satellite ? Dans mon département, l'Indre, nous avions prévu de créer une « dorsale numérique », et puis France Télécom a annoncé qu'il règlerait le problème. Mais je sais que le directeur régional de France Télécom n'est pas intéressé à aller en dehors des communautés d'agglomérations.

M. Pierre Camani. - Je suis partisan du déploiement de la fibre, mais la vraie question est de savoir si aujourd'hui nous en avons les moyens financiers et juridiques. Dans le Lot-et-Garonne, la mise en place d'une couverture intégrale par la fibre représente un budget de 400 millions d'euros, comme 25 % de la population se trouvent dans les zones denses, ce sont donc 300 millions d'euros qui seront à la charge de la collectivité. Le problème juridique est que les opérateurs prennent des engagements dépourvus de sanctions, mais qui gèlent les initiatives des collectivités territoriales. Je comprends toutefois que le Gouvernement prenne du temps avant de proposer un nouveau cadre pour le programme national très haut débit.

Mme Évelyne Didier. - En Meurthe-et-Moselle, nous avons aussi prévu une « dorsale numérique » pour irriguer les zones économiques et les collèges, qui sont de la responsabilité du département. Dans ma commune, je peux faire les tranchées. Certes le génie civil est ce qui coûte le plus cher, mais il y a toujours moyen de trouver de l'argent. En revanche, il y a un vrai problème juridique. Nous nous souvenons tous d'une époque où, dans une logique d'aménagement du territoire, un opérateur public intégré finançait la desserte des zones moins rentables par les bénéfices réalisés dans les zones plus rentables. C'est ainsi que la France s'est dotée d'un réseau ferroviaire et d'un réseau autoroutier. Cela n'est plus le cas et nous efforçons aujourd'hui de reconquérir péniblement cette péréquation au niveau national. Nous avons fait la part trop belle aux opérateurs : à eux les bénéfices, et à la puissance publique les pertes. Je ne pense pas que l'on puisse parler de « dictature de la fibre ». Cette technologie reste essentielle, même si l'on doit trouver des complémentarités avec d'autres technologies.

M. Jean-Luc Fichet. - Je suis convaincu de la nécessité d'accéder au très haut débit le plus vite possible. Parfois, certaines grandes entreprises n'en ont pas vraiment besoin, mais c'est essentiel pour les petites et moyennes entreprises implantées dans les zones peu denses. La question financière est au coeur de nos préoccupations. Il faut cependant avoir bien conscience qu'on ne fera pas tout, tout de suite. Il s'agit d'un investissement étalé dans le temps. Il nous faut revoir la répartition des tâches entre les différents acteurs, et recréer une solidarité. Je suis en charge du dossier très haut débit pour le pays de Morlaix. Nous avons réalisé des travaux d'ingénierie, qui nous ont appris que les fourreaux de réservation pour la fibre ont déjà été mis en place par France Télécom : les travaux que pourraient réaliser les collectivités territoriales feraient double emploi ! Le territoire du pays de Morlaix est ainsi déjà virtuellement couvert aux deux tiers. Mais l'intérêt financier à court terme de France Télécom est évidemment le haut débit. Nous avons donc besoins d'accéder à certaines informations aujourd'hui cachées, et à nous doter de moyens de pression sur les opérateurs.

M. Ronan Dantec. - La couverture numérique est une question symbolique pour notre doctrine de l'aménagement du territoire. Il faut se doter à nouveau d'une autorité organisatrice, c'est ce qui manque le plus. Nous sommes à un moment où il faut remettre les villes moyennes au coeur de notre action ; elles sont complémentaires des grandes villes. Enfin, nous devons faire preuve d'imagination en milieu rural, car il ne sera pas possible de déployer de la fibre partout.

M. Raymond Vall, président. - Je partage, bien sûr, tout ce qui a été dit.

Nous représentons des collectivités qui sont, sur cette question de l'aménagement numérique, des partenaires incontournables, mais souvent un peu perdus. Or, nous le savons, les problèmes d'aménagement du territoire et de désertification pourraient trouver une solution par le biais des nouvelles technologies. Certains citoyens, qui se trouvent à plus d'une demi-heure ou de trois quarts d'heure de toute proposition de santé ou de service public, ne peuvent même pas se servir de téléphones mobiles. Il y a encore trop de zones blanches ! Que dit-on à ces gens-là ? Tantôt il faut voir avec l'ARCEP ou avec France Télécom, tantôt il faut aller parler au président du Conseil général ou au préfet : ils tournent en rond ! On sait qu'un opérateur chef de file a été désigné et il est pourtant impossible de trouver quelqu'un qui mette autour d'une table les quatre opérateurs pour prendre une décision. Le texte existe ! Il faudrait vraiment qu'on trouve une solution pour ces territoires et que notre groupe de travail soit un partenaire qui les accompagne, car l'action de l'AVICCA ne pourra pas avoir le poids que nous, parlementaires, pouvons avoir. Nous avons besoin de transparence et d'accès aux informations, sur les feuilles de route et sur l'état des lieux. Êtes-vous d'accord avec l'objectif qui est le nôtre d'essayer de faire d'abord appliquer les textes existants ? Faisons en sorte, une fois les autres problèmes résolus, que ces territoires aient accès au minimum. Il y encore quatre ou cinq zones blanches dans mon département : cela signifie qu'il est impossible de survivre à un infarctus les fins de semaine. Il existe d'autres zones blanches ailleurs. J'ai récemment reçu une lettre de Free se plaignant que France Télécom l'empêcherait de découpler. Qui va trancher ? Le maire de la ville concernée, une sous-préfecture du Gers, ne sait pas à qui s'adresser. Doit-il s'adresser au ministre ? Au préfet ? Au préfet de région ? À l'ARCEP ?

Je vous propose donc de créer un groupe d'une forme nouvelle qui soit partie prenante, qui essaye de faire bouger les choses, pour que nos élus locaux puissent obtenir le minimum sur les territoires ; qui permette une forme de mutualisation des innovations, la mise à disposition d'une bourse aux idées et, éventuellement, la définition de quelques territoires expérimentaux.

M. Benoît Huré. - Cela me paraît une très bonne idée. Mais, que ferez-vous ? Nous serons le dernier espoir des collectivités qui penseront enfin trouver en nous une solution à leurs problèmes. Or, si nous n'avons pas l'autorité, cette capacité à obliger, nous risquons d'aller à l'échec. Tout le monde le dit : il s'agit d'une question d'aménagement du territoire. Ce serait une très belle initiative d'une commission du Sénat, mais il faut prendre toutes les précautions possibles pour ne pas, une fois de plus, faire des déçus !

M. Raymond Vall, président. - Bien sûr ! Il appartiendra à ce groupe de travail d'être véritablement une force d'intervention pour faire bouger certaines lignes. En dernier recours, il nous restera l'interpellation du Gouvernement, car la problématique est compliquée. J'en discutais hier avec la ministre de l'Égalité des territoires : il est évident qu'elle n'a pas la main sur cette question-là. C'est certes un problème d'aménagement du territoire, mais il y a au moins deux ou trois ministères concernés. Notre groupe, toutes représentations politiques réunies, devra être déterminé, jusqu'à mettre le Gouvernement devant ses responsabilités.

Mme Évelyne Didier. - Pourquoi ne l'a-t-on pas fait avant ? La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui s'est créée au cours des dernières années et jamais il n'a été fait montre de la même vigueur vis-à-vis du Gouvernement !

M. Raymond Vall, président. - Nous essayerons, bien sûr, de convaincre notre commission homologue à l'Assemblée nationale de nous suivre pour qu'on ait plus de force, mais ce qui est important, c'est que notre commission, puisque le Sénat est l'initiateur de l'énorme travail engagé, soit capable de faire bouger un certain nombre de choses par rapport à ce qui a déjà été décidé et qu'il y ait un peu d'espoir qui arrive dans les profondeurs de notre territoire !

M. Hervé Maurey. - Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le président. Lors de l'audition du président de France Télécom la semaine dernière, nous avons eu droit à des propos assoupissants et n'avons sans doute pas répondu de façon suffisamment musclée. France Télécom n'assume pas son statut d'opérateur privé, qui implique de faire de la rentabilité, et essaye de nous faire croire qu'il est encore mû par l'intérêt général, alors que c'est totalement faux ! Beaucoup d'élus, notamment locaux, voient encore en France Télécom un opérateur différent des autres alors que ce n'est plus une entreprise de service public. J'estime, moi qui étais dans la majorité, que le précédent Gouvernement était beaucoup trop soumis au lobby de France Télécom. C'est pour cela que je souhaite, je l'ai dit à la ministre et je serai le premier à la soutenir bien qu'étant dans l'opposition, que ce Gouvernement ait la capacité de résister aux lobbies des opérateurs pour être vraiment fort.

Permettez-moi de vous raconter brièvement une anecdote sur la téléphonie mobile. J'ai reçu un jour une lettre signée par tous les maires d'un canton, contresignée par le président des maires du canton, le président de la communauté de communes et le conseiller général, tous de bords différents, pour me dire unanimement qu'ils ne captaient aucun réseau. Je transmets ce courrier au ministre qui me répond que, vérifications faites, on reçoit très bien sur ce territoire. Il se moquait de nous ! J'avais moi-même constaté que, devant la mairie du chef-lieu de canton, cela ne fonctionnait pas.

M. Michel Teston. - Je trouve que le débat que nous avons est essentiel et qu'il faut effectivement que nous puissions nous organiser de manière à avoir davantage de poids et à faire en sorte, notamment, que les mesures de la proposition de loi rédigée par Hervé Maurey et Philippe Leroy, que nous avons amendée dans un esprit consensuel, soient prises en compte.

Cependant, l'objet de notre réunion aujourd'hui ne porte pas sur l'organisation du travail de notre commission. Il s'agit de l'audition, d'Yves Rome de l'AVICCA. Nous poserons cet après-midi à Fleur Pellerin les questions concernant le Gouvernement. Rien ne nous empêchera par la suite de nous organiser au sein de la commission, donc avec Yves Rome, pour élaborer une stratégie essentielle et peser davantage sur les opérateurs et le Gouvernement. Quel que soit l'intérêt de la discussion, il nous faut nous conformer aux règles de fonctionnement de la commission : nous sommes en audition, laissons la parole à Yves Rome.

M. Jean-François Mayet. - Je souhaiterais que soit organisée une réunion avec l'ARCEP et tous les opérateurs. Leurs réponses à nos questions seraient très instructives. Encore une fois, nous sommes dans la dictature de la fibre, or on ne s'en sortira pas qu'avec la fibre. C'est la base, mais après il faut irriguer.

M. Jean-Jacques Filleul. - En ce qui concerne les lobbies et l'enfumage dont nous serions tous victimes, je souhaiterais connaître le rôle des consultants qui viennent faire des schémas numériques sur les territoires. Sont-ils indépendants ? Le consultant qui a travaillé dans la communauté de communes que je préside n'a pas exposé les problématiques que vous évoquez concernant France Télécom. Les territoires sont démunis face à ces gens-là.

M. Raymond Vall, président. - C'est effectivement un sujet très important. France Télécom m'a avoué, a posteriori, que ses services téléguidaient le consultant mandaté pour mettre en place le schéma de mon département !

M. Yves Rome. - Je vais répondre de façon assez générale à l'ensemble des questions posées.

Je ne peux pas accepter que la situation dans laquelle nous nous trouvons soit qualifiée de « dictature de la fibre ». Mais vous avez raison de dire que la fibre n'est pas universelle et que le bon sens doit l'emporter pour trouver des solutions alternatives. N'entrons pas dans le débat opposant la fibre à autre chose. Sinon nous nous exposons à une opération de retardement du déploiement de la fibre. Le principal ennemi de la fibre, c'est le fil de cuivre, car France Télécom en tire encore des bénéfices considérables. Je ne souhaite pas accabler France Télécom qui est enfermé dans une logique qui doit être dépassée. L'erreur commise fut de donner trop de poids aux opérateurs. Je suis d'accord avec Hervé Maurey qui estime que l'État doit retrouver sa vocation d'aménageur et de décideur pour constituer un cadre global à l'intérieur duquel pourra se développer l'objectif. On ne mesure pas l'importance que la fibre peut avoir en termes de compétitivité et d'organisation de la vie sur nos territoires. On peut ainsi aller plus vite dans le fibrage, pour amener par exemple la télémédecine dans certains de nos territoires, que dans la formation d'un médecin, qui nécessite dix ans !

Avant de s'installer sur un territoire, les citoyens et les entreprises vérifient la présence de structures de scolarisation et de péri-scolarisation, d'infrastructures sportives et culturelles, d'établissements de soins mais aussi le niveau d'éligibilité de ce territoire au haut et au très haut débit, car ceci est désormais devenu un élément incontournable de notre vie. On comprend bien la colère qui monte de certains territoires et qui s'exprime parfois lors de scrutins. Ce sont les marqueurs d'un sentiment d'abandon, d'enfermement et de mise à l'écart des progrès généraux que connaît notre société.

Plus globalement, il faut changer de paradigme. Cela n'a pas fonctionné et je rends hommage à Hervé Maurey d'avoir dénoncé cet enfumage en prenant des positions difficiles allant à l'encontre de celles communément admises par son propre camp. La mise à haut débit du territoire national fut une belle réussite. En revanche, nous sommes en train de prendre un retard considérable en ce qui concerne le très haut débit, comparativement à des nations d'Europe du Nord, à l'Europe de l'Est, qui n'est pas embarrassée par le système de fils de cuivre de France Télécom, ou à certains pays émergents comme la Chine. Il faut que l'État, la puissance publique et au premier chef le Parlement s'emparent du sujet, assurent l'état des lieux et le suivi, vérifient la réalité des engagements des opérateurs, car l'aménagement du territoire et la préparation de l'avenir ne peuvent faire les frais d'un jeu entre France Télécom, Free et SFR.

Nous arriverons à résoudre les problèmes de financement. Certains fonds de pension, qui ont besoin de trouver des investissements de longue durée, sont prêts à se mobiliser, mais seulement si on leur garantit un cadre organisé, pérenne et sécurisé dans ce jeu d'acteurs que nous dénonçons. De plus, les financements sont souvent votés à l'unanimité, car cette question dépasse les clivages traditionnels.

On hérite d'un système absurde, on l'a vu avec l'intervention de Free et l'itinérance sur France Télécom, qui a mis le consommateur en son centre. Or, le consommateur ne peut pas s'ériger en défenseur de l'intérêt général ! Il faudra donc bien qu'un pilotage national du sujet soit organisé par la puissance publique ! Serait-on aujourd'hui dans l'incapacité de déployer une toile d'araignée pour alimenter les villages les plus reculés, semblable à celles des réseaux ferré et électrique ou de la desserte en eau réalisées au XIXe siècle ? Sans aller jusqu'aux extrêmes bien sûr, car la procédure satellitaire peut très bien être utilisée dans nos collectivités les plus reculées. La qualité des débits montants et descendants n'est certes pas la même, il s'agit simplement d'une solution palliative, mais le bon sens nous empêche aussi de payer 20 000 euros la prise pour desservir un seul foyer !

L'objectif n'est pas impossible à tenir à la condition, comme je l'ai dit, que tous les jeux d'acteurs soient sécurisés. Il faut refonder le système pour trouver des modalités différentes de financement, car France Télécom, qui doit verser des dividendes à ses actionnaires, ne peut pas s'engager dans un programme à long terme.

Au-delà des questions techniques, il s'agit, comme cela a été dit, d'un problème d'aménagement du territoire et de savoir le type de société dont nous voulons nous doter, en termes de déplacements, de modes de travail, de santé, d'éducation, à l'égard de la dépendance, de la domotique... La qualité de vie de nos concitoyens sera, à l'avenir, durablement impactée par le déploiement ou le non-déploiement du numérique. Mobilisons-nous sur cet objectif !

M. Michel Teston. - Pour conforter le discours qui a été tenu sur la nécessité de développer la fibre comme moyen de désenclavement de l'ensemble du territoire national, je voudrais rappeler ce que nous avaient dit les représentants d'Eutelsat lorsque nous les avions auditionnés dans le cadre de la préparation de l'examen de la proposition de loi précédemment évoquée d'Hervé Maurey et de Philippe Leroy. À l'époque, le contrat de base assurait un débit descendant de 6 Mega et un débit montant de 1 Mega alors qu'un contrat un peu plus coûteux assurait un débit descendant de 10 Mega et un débit montant de 4 Mega. Toujours selon les représentants d'Eutelsat, les futures générations de satellites qui sont envisagées ne permettraient pas d'atteindre le très haut débit. Cela montre bien la limite de la solution satellitaire qui peut apparaître comme un moyen d'apporter une réponse en haut débit mais pas en très haut débit.

- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -

Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique

La commission procède à l'audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Vos compétences, Madame la ministre, intéressent nos deux commissions. Nous diviserons l'audition en deux parties : le numérique d'une part, l'innovation et les PME d'autre part. M. Montebourg, que nous entendions hier, a déjà abordé certains de ces sujets, fondamentaux pour notre économie et nos territoires.

L'arrivée d'un nouvel acteur dans le secteur du numérique bouleverse les équilibres. Se posent les problèmes de la quatrième licence et de la 4G : quelles évolutions sont à prévoir, quelles alliances ? Vous avez regretté cette situation, du point de vue économique et du point de vue social. N'a-t-on pas privilégié le consommateur plutôt que l'emploi ? Il faudra à l'avenir mesurer l'impact social des mesures prises.

Quel régulateur pour quelle régulation ? La commissaire européenne a annoncé un allègement de la régulation - ce qui n'est pas pour nous rassurer. Le Gouvernement semble résolu à reprendre en main la gouvernance du numérique. Vous vous êtes déclarée ouverte à un rapprochement de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), idée que je soutiens depuis longtemps en raison de la convergence technologique. Sans doute nous en direz-vous davantage.

Sur les aspects liés à la consommation, les opérateurs demandent la révision de certains points de la loi Chatel. Le projet de loi que le Sénat a adopté à la fin de l'année dernière n'allait pas dans ce sens. Quel est votre avis sur la question ?

S'agissant du volet PME, nous intéressent particulièrement les liens entre recherche, innovation et compétitivité, les transferts de technologies entre recherche fondamentale et industrie. Les 6 milliards d'euros du grand emprunt affectés aux sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT), créées de toutes pièces, auraient été plus utiles aux technopôles et à l'interface entre les universités et les technopôles. La priorité, ce sont les territoires !

Quel bilan faites-vous du programme « Investissements d'avenir ? Comment le réorienter ? Ne peut-on optimiser les structures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles ? Quel regard portez-vous sur les pôles de compétitivité, qui peuvent être un moyen de mieux intégrer les acteurs autour de projets communs : comment les articuler avec le programme ?

Les PME doivent être au coeur de nos politiques de soutien car elles innovent et créent de la valeur et de l'emploi. Mais leur haut de bilan est fragile, leur trésorerie insuffisante. Que comptez-vous faire pour améliorer leur capitalisation, pour faciliter leur transmission ? Une politique d'achats publics stimulerait-elle leur activité et l'innovation ? Faut-il un Small Business Act ?

Enfin, la commission des finances vient de publier un rapport sur le crédit impôt recherche (CIR). Nous souhaitons pour notre part qu'il soit réorienté vers les PME et les ETI, entreprises de taille intermédiaire. Espérons que le projet de loi de finances pour 2013 sera l'occasion de revenir sur le statut fiscal des jeunes entreprises innovantes (JEI). Les entreprises réellement innovantes doivent pouvoir être mises sous perfusion pendant leurs premières années de vie.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - À mon tour de remercier madame la ministre de sa présence. La commission du développement durable, créée il y a peu, est en charge de l'aménagement du territoire, des transports, du développement durable. Le désenclavement numérique est donc dans ses compétences. C'est un sujet sur lequel le Sénat a déjà beaucoup travaillé.

Nous avons récemment auditionné le président de France Telecom, ses réponses nous ont souvent déçus. Notre collègue Yves Rome, président de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), nous a dressé ce matin un tableau alarmiste de la situation. Quelle est votre vision, votre feuille de route ? Pouvez-vous apaiser nos craintes ? Nous sommes là pour vous aider, pour travailler avec vous, afin de redonner espoir aux territoires qui souffrent de l'enclavement numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. - Merci de me recevoir. Je veux instaurer un dialogue de qualité avec les assemblées. La Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales, revêt une importance toute particulière, tant la réussite de mon action sera conditionnée au pacte que nous saurons nouer avec elles.

Le portefeuille qui m'a été confié est tourné vers l'avenir. C'est une chance : celle d'impulser et conduire le redressement productif de notre pays, dans une période chargée d'inquiétudes. Avec Arnaud Montebourg, nous sommes mobilisés au service de cette ambition. Au coeur de la crise, il s'agit de préparer l'avenir, de dessiner les conditions du rebond, de construire les leviers de la compétitivité, de préparer la croissance future. Les raisons de croire au sursaut de notre pays ne manquent pas. Cela suppose d'agir là où le retour sur investissement sera le plus rapide et le plus efficient. Nous n'avons plus le temps de faire les mauvais choix.

Premier chantier : les PME, qui représentent 97 % du tissu économique. Elles doivent avoir accès aux financements, être accompagnées à chaque étape de leur développement, être encouragées à exporter. Nos PME offrent déjà de belles réussites : le potentiel, les atouts sont là, mais la situation demeure tendue, des menaces pèsent sur leur activité. Deux crises successives laissent des traces. Selon la CGPME, la trésorerie de ces entreprises est toujours sous tension. Les difficultés sont aussi plus structurelles. Nos PME naissent petites en effectifs et en capitaux propres, et peinent ensuite à grandir et à exporter. Je présenterai donc à la rentrée un Plan PME. Parmi ses lignes de force, briser le « plafond de verre » qui fragilise leur expansion, et ce dès la première étape de leur financement. La création de la Banque publique d'investissement (BPI) apportera de ce point de vue une réponse en même temps qu'une sécurité plus importante. Aucune source de financement ne sera négligée. La proposition du rapport Nyse Euronext d'une plateforme boursière dédiée aux PME et aux ETI est à expertiser.

Il faut améliorer l'environnement des entreprises - sans tout chambouler, car elles ont besoin de stabilité. Il faut reprendre le chantier de la simplification administrative, pour ne pas décourager l'envie d'entreprendre. Tout sera mis en oeuvre pour faciliter l'activité et la croissance, car c'est la France qui en bénéficiera.

Il faut une fiscalité adaptée. Les PME sont plus lourdement imposées que les grands groupes. Nous proposerons des dispositifs fiscaux avantageux pour les PME, car le redressement des finances publiques doit se faire sous le signe de l'équité entre petites et grandes entreprises. Il faut faire naître une culture PME. Chaque nouvelle législation sera soumise à un « test PME », pour en percevoir tous les effets sur ces entreprises.

Nous prenons deux engagements. D'abord, stimuler le reflexe PME et l'esprit d'entreprise. Ces notions n'appartiennent pas à une famille politique plutôt qu'à une autre : le temps des clivages idéologiques factices est révolu. Nous voulons rétablir l'équilibre entre donneurs d'ordre et sous-traitants ; à l'État, à ses opérateurs et aux collectivités de montrer l'exemple.

Stimuler le réflexe PME, c'est provoquer ce déclic entrepreneurial dans le pays pour innover, exporter, créer les emplois de demain. J'ai confié Philippe Hayat, fondateur de l'association Cent mille entrepreneurs, une réflexion sur l'action publique à mener pour soutenir durablement l'esprit d'entreprendre. Je recevrai ses conclusions le 29 août.

Autre engagement : gagner la bataille de l'international. Cela signifie soutenir les PME dans la conquête de marchés internationaux. Notre commerce extérieur va mal : la part des exportations françaises a baissé de moitié et nos PME sont trop peu nombreuses à exporter, par rapport à nos voisins allemand, italien ou britannique : en valeur, moins d'un euro sur deux exporté provient des PME. Avec Nicole Bricq, nous mettons tout en oeuvre pour faire participer nos PME à l'effort de redressement des exportations. Le différentiel de performance à l'exportation s'est creusé avec l'Allemagne. Pour y remédier, j'entends soutenir la stratégie globale d'innovation des entreprises : accompagnement de la transition numérique, design, marketing, stratégie de marque, propriété intellectuelle, etc.

Nous voulons bâtir un nouveau modèle français de l'innovation. Pour tirer parti de nos ressources, il faut changer la manière dont nous pensons l'innovation. La recherche fondamentale est indispensable, c'est un trésor national, une locomotive, mais il faut une stratégie d'ensemble qui ne se limite pas à cette approche. Le CIR, pérennisé dans son principe, sera pleinement mobilisé. C'est un puissant outil d'aide à la recherche et développement. Il faut protéger ce dispositif crucial pour notre compétitivité à long terme. François Hollande a souhaité le sanctuariser, tout en le réformant, pour le rendre plus juste et l'ouvrir aux dépenses aval d'innovation. Sur les 13 000 bénéficiaires du CIR, les vingt-et-un plus gros captent le quart du total. Nous pouvons mieux cibler les PME sans pénaliser pour autant les grandes entreprises, dont le rôle est capital pour l'écosystème de l'innovation.

Le CIR sera étendu aux dépenses d'innovation. Il faut encourager les entreprises à valoriser le fruit de leur recherche, jusqu'à la commercialisation des produits. Un nouveau modèle de l'innovation, c'est aussi son ancrage dans la réalité des territoires. Avec la multiplication des structures ces dernières années, incubateurs, pôles de compétitivité, technopôles, etc., le paysage est bien complexe. Une bonne articulation entre les structures suppose une implication forte des collectivités territoriales. Les grands instituts de recherche technologique comme le CEA ou l'Inria auront également un rôle d'impulsion.

S'agissant du financement de l'innovation, nous concentrerons le soutien sur les technologies clés et les PME innovantes. Je suis favorable à un dispositif fiscal en faveur des jeunes entreprises innovantes. La BPI soutiendra l'innovation, particulièrement au niveau du capital-risque.

Il faut créer un choc culturel pour valoriser et diffuser la culture de l'innovation. Cela passe notamment par la promotion de l'étude du numérique à l'école, avec le manuel numérique, mais aussi la valorisation des jeux vidéo pédagogiques sérieux.

M. Roland Courteau. - Très bien !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - La prise de risques liée à l'investissement dans les jeunes entreprises innovantes sera encouragée, tant pour les particuliers que pour les grandes entreprises.

Une nouvelle culture de l'innovation exige enfin une politique d'attractivité qui attire des compétences et des financements étrangers. Nous voulons faire de la France une terre d'accueil des projets d'innovation internationaux.

J'en viens au secteur des télécommunications et du numérique, qui connaît des difficultés en matière d'emploi. J'ai rencontré, avec Arnaud Montebourg, les quatre opérateurs de téléphonie mobile pour identifier les voies vers un modèle de croissance au bénéfice de l'emploi et de l'investissement. Il est inacceptable que le secteur des télécoms, réglementé et protégé de la concurrence internationale, détruise des emplois. C'est le message que nous envoyons aux salariés des opérateurs et aux sous-traitants, centres d'appel, installateurs de réseaux.

Il existe une voie pour garantir aussi les droits des consommateurs : investir dans les relais de croissance. Le marché doit se développer en intégrant la demande des consommateurs et les nouveaux besoins. Nous ne jouons pas les opérateurs contre les consommateurs. Notre méthode est toujours la concertation, avec les syndicats, les opérateurs, les associations de consommateurs. Nous nous mobilisons pour empêcher que des emplois ne soient détruits ou délocalisés, que des investissements ne soient remis en cause ou retardés.

Le très haut débit fixe, le déploiement de la fibre optique posent, sur certains territoires, de vraies difficultés. Sans compter que 50 % des Français n'ont pas accès à un haut débit satisfaisant, et donc à une offre triple play de qualité. Je comprends le mécontentement des habitants des zones périurbaines ou rurales, qui souffrent du manque de concertation entre élus et opérateurs, du manque de financements, du manque de lisibilité des objectifs.

Candidat, le président de la République avait prévu la couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici dix ans. Il faut clarifier ces objectifs de couverture, et se donner pour objectif un vrai haut débit pour tous dès 2017.

Les rôles respectifs de l'État, des opérateurs et des collectivités doivent être clarifiés. L'État devra préciser le cadre d'investissement des opérateurs et des collectivités et le sécuriser. Il n'est pas tolérable que les élus n'aient pas d'assurance sur l'utilisation qui sera faite de leur réseau par les opérateurs. Dans le même temps, ceux-ci doivent disposer d'un cadre d'intervention clair pour libérer l'investissement.

La question des financements doit être tranchée. L'Europe devra prendre sa part ; l'État jouera son rôle de garant de la solidarité entre les territoires via un mécanisme de péréquation. Je pense naturellement à l'abondement du Fonds d'aménagement numérique du territoire, ou à toute autre modalité pour pérenniser l'intervention des territoires. Nous établirons à la rentrée notre feuille de route, à l'issue de la concertation qui débute aujourd'hui.

Le développement de la 4G doit intervenir le plus rapidement possible. Deux bandes de fréquences sont aujourd'hui accessibles, mais des travaux doivent être effectués sur les fréquences issues du dividende numérique pour éviter les brouillages de la TNT. La question de l'utilisation de la bande 1 800 Hertz est également posée. Le gouvernement souhaite avancer vite, car les attentes sont fortes. Il faut lever les contraintes au lancement de nouveaux services mobiles. Cela suppose une meilleure diffusion du numérique sur le territoire, auprès des très petites entreprises, des personnes fragiles. Autre chantier, le développement de l'e-administration, qu'il s'agisse de l'administration d'État ou des collectivités territoriales, dans une logique interministérielle.

Ces sujets dessinent l'avenir de la France. Je tenais à vous faire connaître nos pistes de travail, et à vous communiquer l'enthousiasme qui m'anime pour mener à bien cette belle mission.

M. Hervé Maurey. - Je veux rappeler à madame la ministre le travail accompli par le Sénat. Il y a un an, la commission de l'économie - avant de se scinder en deux commissions - a adopté à l'unanimité mon rapport, intitulé « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes ». Dans le prolongement, j'ai cosigné avec Philippe Leroy une proposition de loi, adoptée à une large majorité en février dernier. Premier volet de ce texte : le droit au haut débit pour tous, car aujourd'hui, 77 % de la population a seulement accès à une couverture minimale de 2 méga ! Nous avions proposé que ce droit soit inclus dans le service universel ou soit rendu opposable.

Vous n'avez pas évoqué la téléphonie mobile. Les taux de couverture affichés sont flatteurs, mais c'est que la couverture est mesurée à l'extérieur, en zone habitée, en position immobile ! Le groupe de travail installé par votre prédécesseur n'a pas apporté d'autre réponse que poncifs et platitudes.

Le programme national très haut débit (PNTHD) fait la part beaucoup trop belle aux opérateurs, qui vont là où ils veulent, au rythme qu'ils souhaitent, et qui ne sont pas liés par les annonces d'investissement - annonces qui empêchent les collectivités d'investir dans les zones ainsi préemptées, au risque de perdre toute subvention !

Notre proposition de loi opérait un rééquilibrage entre opérateurs et collectivités, reposant sur une contractualisation contrôlée, dont le non-respect serait sanctionné par l'Arcep. Elle prévoyait également que soit enfin abondé le Fonds d'aménagement numérique des territoires (Fant), afin que les collectivités locales puissent couvrir l'ensemble de leur territoire. Que comptez-vous faire de cette proposition de loi ? Ce n'est pas la panacée, elle peut sans doute être améliorée, mais il faut l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Un texte législatif serait un symbole politiquement fort et offrirait un cadre précis aux acteurs.

Le président de la République a fixé des objectifs ambitieux - plus encore que ceux de son prédécesseur. Si l'on veut les tenir, il va falloir changer de braquet ! Pour l'instant, je ne vois rien venir. Je ne suis pas dans la majorité, mais je soutiendrai toutes les actions qui iront dans le bon sens. L'aménagement numérique du territoire doit faire consensus. Il faut de plus encourager cette filière industrielle importante, créatrice d'emplois. Souhaitons que le slogan « le changement, c'est maintenant » s'applique en la matière !

M. Michel Teston. - Comme l'a dit Hervé Maurey, le PNTHD favorise trop les opérateurs et cantonne l'action des collectivités territoriales aux zones très peu denses. En annonçant un investissement, les opérateurs gèlent les initiatives des collectivités - et n'encourent aucune sanction s'ils ne tiennent pas leur engagement ! Autre problème : dans l'interprétation du gouvernement Fillon, une collectivité territoriale portant un projet intégré, couvrant à la fois une zone moyennement dense et une zone très peu dense, ne bénéficie d'aucune aide pour la partie très peu dense. Enfin, le Fant, créé par la loi Pintat, n'a jamais été alimenté. Trois suggestions donc : contractualiser les engagements des opérateurs, et sanctionner leur non-respect ; aider les collectivités qui investissent dans des projets intégrés, pour la part concernant les zones très peu denses ; abonder le Fant, dans une logique de péréquation : les opérateurs doivent y contribuer au fur et à mesure qu'ils développent leur réseau dans les zones très et moyennement denses, afin d'aider les collectivités à le faire dans les zones peu denses. Il faut faire évoluer le PNTHD afin d'atteindre les objectifs fixés à dix ans par le président de la République.

M. Roland Courteau. - Très bien !

M. Yves Rome. - Les collectivités locales sont inquiètes. Le programme national très haut débit du précédent Gouvernement ne fonctionne pas. Le rapport et la proposition de loi Maurey l'ont prouvé. Selon l'Arcep, au rythme actuel, il faudrait 80 ans pour atteindre les objectifs ! La Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (Fieec) témoigne également des insuffisances du plan et des retards pris, et s'inquiète des conséquences sur l'emploi, la capacité d'innovation, la croissance.

Le président de la République a fixé comme objectif la couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici dix ans. Il faut un New Deal du numérique - outil fabuleux pour la croissance, pour l'emploi, pour le bien vivre ensemble sur le territoire - afin de briser le « plafond de verre ». Comment demander aux opérateurs, que l'on stigmatise parfois à l'excès, d'atteindre les objectifs fixés, quand on sait qu'il va falloir investir 25 à 30 milliards d'euros sur dix ans ? L'opérateur historique ne mobilise aujourd'hui qu'environ 300 millions par an...

Quels correctifs apporter au PNTHD ? À court et moyen terme, quel changement de paradigme pour rendre crédibles les objectifs fixés par le président de la République ? Il ne faut pas opposer les opérateurs les uns aux autres, opposer les opérateurs aux collectivités, mais mobiliser les intelligences collectives. C'est grâce à l'heureuse coopération entre opérateurs et collectivités territoriales que la France est devenue un leader européen sur le haut débit. Il s'agit désormais de faire de même pour le très haut débit, avec l'État pour pilote.

M. Bruno Retailleau. - Le programme national très haut débit ne fonctionne pas ? Il en est à son tout début ! Comment porter un jugement aussi brutal avant même le démarrage des opérations ? Ma collectivité vient tout juste de commencer à le déployer !

Le très haut débit, ce sont deux infrastructures complémentaires : le mobile et le fixe. Nous avions veillé, lors de l'attribution des fréquences 4G, à ce que les opérateurs soient obligés, pour la première fois, de déployer simultanément les antennes dans les villes et dans les zones dites prioritaires, qui sont des zones rurales. Comment comptez-vous faire respecter cette obligation règlementaire ? C'est important pour le monde rural.

Le PNTHD doit certes être amélioré. Première question : comment faire respecter les engagements des opérateurs ? Êtes-vous favorable à une sanction financière ? Deuxième question, la complémentarité ou la concurrence entre initiatives publiques et privées. Êtes-vous prête demain à subventionner une initiative publique dans une zone d'appel à manifestation d'intérêts (AMII) ?

Les projets du plan national sont sous-subventionnés. Les opérateurs n'ont guère besoin du guichet A, qui pourrait en revanche apporter aux collectivités territoriales des financements bienvenus - même si nous préférerions des subventions !

La Commission européenne a annoncé quelques milliards pour les infrastructures, dont une part pour le numérique. Il me paraîtrait inconcevable que les project bonds n'aient pas une dimension numérique.

La taxe sur les opérateurs n'est pas euro-compatible, mais pourrait toutefois être utilisée pour alimenter le Fant, si l'on suit un cheminement légal précis.

Nous avons tous souffert, à commencer par les collectivités territoriales, de l'absence de pilotage national. L'État doit rester stratège, il faut installer une task force auprès de vous, madame la ministre, si l'on ne veut pas que le rôle de l'État se limite au ministère de la parole.

M. Jean-Luc Fichet. - On ne pense pas assez aux PME en zone rurale qui ont elles aussi besoin du très haut débit, par exemple dans le domaine de l'image ou, de manière cruciale, dans celui de la télémédecine.

Des infrastructures existent : France Télécom pose des fourreaux lors de ses opérations de génie civil, pour être prête à déployer la fibre optique le moment venu. Mais elle garde ces opérations confidentielles : résultat, certaines collectivités territoriales réalisent des travaux de génie civil en parallèle ! Si France Télécom était plus ouverte sur les investissements réalisés, nous ferions des économies importantes. La loi n'est pas appliquée, faute de décrets d'application sans doute. Comment pensez-vous régler ce problème ?

M. Alain Fouché. - Deux questions. Êtes-vous favorable aux propositions de Martin Bouygues visant à limiter le recours aux accords d'itinérance pour déployer le mobile 3G et 4G ? Quelles pistes privilégiez-vous pour abonder le Fant ?

M. Martial Bourquin. - La couverture du territoire en très haut débit s'impose : il en va de l'égalité de tous les citoyens dans l'accès aux infrastructures, mais aussi de la compétitivité de nos territoires et de notre industrie. La désindustrialisation découle du sort réservé aux PME, « ces PME qu'on assassine », comme le magazine Challenge intitulait un article sur le médiateur de la sous-traitance, M. Volot. Le groupement les entreprises informatiques, le Conseil économique, social et environnemental et l'Igas ont dénoncé le recours abusif à la sous-traitance et l'externalisation croissante des directions informatiques dans les entreprises informatiques. Ces entreprises mènent une politique de réduction massive des coûts, les articles 1 et 3 de la loi de 1975 sont systématiquement détournés. Que comptez-vous faire pour rééquilibrer la relation entre les grands donneurs d'ordre et les sous-traitants ?

Mme Laurence Rossignol. - A mon tour je veux insister sur la fragilité de nos PME et des start up en gestation. J'ai présenté à votre cabinet le cas de l'une d'elles, exemplaire dans sa banalité, qui après s'être vu refuser tout fonds d'amorçage, ne parvient à obtenir aucun fonds de croissance. Quelle alternative sinon partir aux États-Unis ? La BPI est donc très attendue. A quelle date sera-t-elle installée ?

Comment comprendre l'impuissance des pouvoirs publics face aux banques, prêtes à prendre des risques considérables dans le secteur financier mais qui rechignent devant le moindre risque que peut présenter une PME ? N'y a-t-il donc aucun moyen de contrainte, aucune voie de discussion pour les amener à réorienter leurs interventions vers les entreprises, en prenant un risque somme toute mesuré ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Serait-il possible de disposer d'un état comparatif du déploiement, en France et en Europe, du haut débit et du très haut débit ?

Vous avez pris l'intéressante initiative de vous rapprocher de M. Peillon pour travailler au développement des moyens pédagogiques que le numérique pourrait offrir aux jeunes qui, bien que doués en ce domaine de talents dont notre génération est hélas dépourvue, ne se voient offrir que des programmes essentiellement ludiques.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Hervé Maurey a souligné à juste titre les enjeux de l'aménagement du territoire. Enjeux économiques mais aussi pour la santé, l'éducation, ainsi que vous l'avez rappelé, madame la ministre. Les conclusions du colloque qui s'est tenu la semaine dernière sur les défis sociétaux de la révolution numérique sont propres à faire mesurer dans quel monde nous basculons.

Comment, dans ce contexte, lutter contre les géants américains ? N'est-ce pas au niveau de l'Europe, et d'une Europe plus intégrée, qu'il faut pousser une stratégie globale ? Lors de la dernière réunion de la Cosac à Copenhague, nous avons souligné combien les écarts de fiscalité pouvaient devenir l'outil d'une concurrence déloyale, comme l'atteste le dumping fiscal pratiqué par certains pays : des géants américains s'y installent, pour aspirer toute notre valeur ajoutée. Nous saluons donc la poursuite de l'effort gouvernemental pour défendre devant les instances européennes notre TVA adaptée aux oeuvres numériques. Le Sénat fut le fer de lance de l'harmonisation entre fiscalité du numérique et fiscalité du papier, non seulement pour le livre mais aussi pour la presse, secteur dans lequel les entreprises subissent de plein fouet les mutations technologiques et sont à la recherche d'un nouveau modèle économique. Comment, au-delà, ce gouvernement entend-il s'engager dans la défense d'une stratégie européenne globale, incluant les équipements, les logiciels, les serveurs ? A quand l'info-nuage européen ? Souhaitons-nous voir Google organiser « toute l'information du monde », comme il en affirme l'ambition ?

Mme Bernadette Bourzai. - Les collectivités locales qui ont pris des initiatives, je pense au syndicat mixte Dorsal dans le Limousin, méritent d'être soutenues dans leurs projets de couverture des territoires, y compris les plus handicapés, les zones de montagne ou les îles.

La commission des affaires européennes et la commission de l'économie du Sénat ont ainsi adopté, en février, une résolution relative au mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), soit 50 milliards d'euros de crédits dont 30 doivent aller aux transports, 10 aux interconnexions énergétiques et 10 aux télécommunications. Ces sommes sont-elles bien prévues dans le plan de relance adopté par le dernier Conseil européen ? Quel usage la France entend-elle faire de ces crédits pour relancer le plan national de développement du très haut débit ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il ne suffit pas, en effet, M. Lenoir, de déployer des tuyaux. Encore faut-il qu'il en soit fait utilement usage. Nous avons porté un projet ambitieux au cours de la campagne. Il demandera du temps. Mais je crois indispensable de développer dès à présent les usages éducatifs du numérique. Faute de quoi, l'avance prise par d'autres pays les mettra bientôt en position de fixer les standards et les normes, dont on sait combien ils sont déterminants pour peser. Il faut donc préparer la transition à l'école, et pas seulement pour alléger le cartable, en réfléchissant à la façon dont le numérique peut modifier la pédagogie. Une telle réforme ne peut réussir qu'en se construisant autour du professeur, plus que de l'élève. Il ne suffit pas de distribuer des tablettes, il faut réfléchir aux contenus. Nous travaillons en synergie avec le ministère de l'Éducation nationale dans le cadre du chantier lancé par Vincent Peillon, qui vise à modifier les maquettes pédagogiques pour susciter une véritable acculturation des élèves au numérique, bien au-delà de la frappe sur clavier et la recherche sur moteurs.

Il n'est pas question Monsieur Maurey, de passer le travail considérable du Sénat par pertes et profits. C'est bien pourquoi vous êtes invités à vous exprimer à partir de vendredi, lors de la table ronde, mais aussi ensuite, à la rentrée, afin que nous définissions en commun une feuille de route. Le fait est que le plan national très haut débit, tel que défini par le précédent Gouvernement, n'est pas satisfaisant. Il n'y a pas de pilote dans l'avion ! Nous voulons donc un pilotage national, sous forme d'établissement public ou de GIP, et dont la déclinaison régionale reste à définir. Cette structure aura vocation à apporter aux collectivités une assistance à maîtrise d'ouvrage. Elle aura donc besoin de compétences de haut niveau en ingénierie. Elle gérera aussi les subventions et les prêts éventuels - si nous parvenons, dans le cadre de la discussion budgétaire, à transformer le guichet A en guichet de prêts.

On sait aussi que l'abondement de l'État, à hauteur de 900 millions d'euros, était insuffisant pour financer le plan très haut débit. Il faudra donc mobiliser des financements complémentaires, notamment européens - fonds structurels, mécanisme d'interconnexion, mais aussi project bonds et prêts de la Banque européenne d'investissement, laquelle peut octroyer des crédits avantageux pour les investissements de long terme.

Les modèles économiques ne sont pas, aujourd'hui, sécurisés, ni pour les collectivités, ni pour les opérateurs. Les collectivités n'ont aucune garantie que leurs réseaux dans les zones non denses seront utilisés par les opérateurs. Ceux-ci n'ont aucune garantie sur les conditions techniques qui leur seront offertes pour déployer leurs services. Il faut donc définir nationalement un cahier des charges techniques, en partenariat avec les uns et les autres, pour les sécuriser. Et notre rôle est aussi, Monsieur Fichet, en lien avec l'Arcep, d'exiger de France Télécom une cartographie exacte de l'existant, pour éviter les doublons et déployer plus rapidement le haut débit. Et nous entendons bien instaurer, en tant qu'actionnaires, une relation plus virile que par le passé avec l'entreprise.

En matière de téléphonie mobile, se pose la question des zones blanches. Le programme en cours depuis 2003, qui associé l'État, les collectivités et les opérateurs, a permis de couvrir 97,7 % de ces zones. Restent 217 communes...

M. Yves Rome. - Non ! Le problème est celui de la définition de la couverture : c'est le centre bourg qui est pris pour repère, si bien qu'aucun écart n'est comptabilisé.

M. Hervé Maurey. - Il est grand temps de redéfinir la mesure !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il nous reviendra donc de rediscuter avec l'Arcep des critères de mesure de la qualité du service, pour en revoir la pertinence.

Il est exact Monsieur Retailleau, que sur le très haut débit mobile et la 4G, les opérateurs se sont engagés, chaque fois qu'ils déploient une antenne en centre ville, à en déployer une autre en zone rurale prioritaire. C'est désormais une obligation réglementaire au respect de laquelle nous veillerons. Les expérimentations servent pour l'heure à mesurer les aménagements à accomplir pour nettoyer les bandes brouillées par les fréquences TNT.

M. Bruno Retailleau. - C'est le canal du bas qui est brouillé, or il n'est pas utilisé dans les grandes villes : dans ces zones, il n'y a pas de brouillage.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Les fréquences ouvertes pour la 4G sont sur la bande 800. Seul un opérateur, Free, est sur une autre bande. Nous devons faire tous les efforts afin que la bande 800 soit utilisable et que les trois autres opérateurs puissent y déployer la 4G.

Les opérateurs qui se sont manifestés sur les zones AMII doivent être sanctionnés financièrement lorsqu'ils ne respectent pas leurs engagements. Se pose la question de la nature juridique de ces engagements... C'est une question qui occupera la table ronde. Nous étions plutôt favorables à un observatoire national piloté par la future instance de pilotage national, afin que le rythme de déploiement des investissements soit contrôlé en toute transparence. Le plus concerné, en l'affaire, est l'opérateur historique, que l'État actionnaire peut rappeler fermement à l'ordre.

Nous avons été sollicités par la Commission européenne afin d'émettre un projet pour les project bonds et le MIE. Lors du Conseil compétitivité, nous avons souhaité que le MIE puisse être exploité en faveur des réseaux des collectivités, lesquelles doivent aussi se manifester auprès de la BEI. Les financements étant maigres, et partagés entre 27 pays, nous devrons nous mobiliser pour faire émerger les projets auprès de la BEI ou via l'instance de pilotage.

La taxe Copé, qui n'est pas euro-compatible, sera sans doute remise en cause d'ici la fin de l'année, ce qui obligera l'État à rembourser 1,5 milliard d'euros aux opérateurs. Voilà qui complique nos discussions avec eux, sur leur contribution aux investissements pour le très haut débit. Nous trouverons un moyen intelligent de faire coïncider les calendriers, afin qu'une taxe de substitution vienne relayer la taxe Copé pour abonder les financements destinés au déploiement des réseaux.

Les consultations que j'ai menées monsieur Teston, m'ont fait prendre la mesure des efforts accomplis par des régions ou des départements pilotes, parmi lesquels le projet Ardèche Drôme numérique figure en bonne place. Soyez sûr que dans le cadre de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, l'Etat ne manquera pas de mettre en avant les projets les plus efficaces pour nourrir l'expérience des autres collectivités.

Pour les zones les moins denses, le schéma actuel, contestable, ne prévoit rien pour la péréquation. Il est pourtant essentiel que les fonds soient là pour les collectivités qui s'engagent dans cette démarche et que les opérateurs, mis à contribution, déploient en priorité le très haut débit dans les zones où le haut débit est de mauvaise qualité. Des usages aussi vitaux que la télémédecine ou le maintien des personnes âgées à domicile se développent vite : on ne peut se satisfaire de débits de 1 ou 2 méga. Nous travaillons donc sur les rythmes et le calendrier d'investissement, avec cet objectif intermédiaire, à l'horizon du quinquennat, que tout citoyen dispose d'un débit d'au moins 5 à 6 méga, pour une offre triple play ou quadruple play de qualité.

Je crois avoir répondu à l'ensemble des questions...

M. Yves Rome. - Pas à toutes les miennes.

M. Bruno Retailleau. - Ni à celle qui concerne les zones AMII : quid des subventions aux projets publics ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Vous craignez que lorsqu'un opérateur ayant manifesté son intérêt à investir ne le fait pas, la collectivité se trouve bloquée. Mais si le dispositif est plus contraignant, le problème ne se posera plus, les opérateurs seront tenus de respecter le calendrier.

M. Bruno Retailleau. - Mais à supposer que malgré l'existence du réseau d'un opérateur, une collectivité souhaite financer le sien propre pour déployer un projet public ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je comprends mal l'intérêt. Nous sommes dans une optique de mutualisation.

M. Bruno Retailleau. - Certes. Mais la proposition de loi prévoyait un financement public.

M. Hervé Maurey. - Ce que nous contestons, c'est l'interprétation selon laquelle l'investissement en zone dense interdirait à la collectivité de recevoir des aides pour l'investissement en zone non dense. Voyez le cas des Hauts-de-Seine. Il est choquant que le cas n'ait pas été prévu au départ. Or il a été dit clairement en avril 2011 que les collectivités intervenant en zone AMII se privaient de toute subvention en zone non dense.

M. Michel Teston. - C'est le Gouvernement Fillon qui a interprété les choses ainsi.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous ouvrons notre table ronde vendredi et ma porte est ouverte à tous ceux qui souhaitent s'entretenir de ce sujet. Toutes les solutions ne sont pas encore définies : nous avons pris des orientations en matière de pilotage, de garanties de financement, d'obligations des opérateurs, de modèle économique, qui ne sont pas celles du précédent Gouvernement. Nous tiendrons la ligne, mais les modalités concrètes restent à définir en commun.

M. Daniel Raoul, président. - Nous en venons aux questions sur les PME et l'innovation.

J'ai rappelé ce qu'il ressortait du parallèle avec l'Allemagne : nos PME sont d'une taille très inférieure et se heurtent au problème du haut de bilan et de la capitalisation, trop fragiles. Il en va de même pour nos TPE, pourtant les pépinières de l'innovation.

Le rapport Berson s'interroge sur la manière d'optimiser le CIR à enveloppe constante, pour mieux soutenir l'innovation dans les PME et les jeunes entreprises innovantes - dont ce fut une erreur que de ramener le statut de huit à quatre ans. Comment optimiser, de même, les crédits du grand emprunt non encore affectés ? Les sommes prévues pour les SATT pourraient être reconsidérées. Le nombre d'organismes dédiés au transfert de technologie et au développement économique est extraordinaire...

Nous avons compris que la BPI comportera une déclinaison régionale. Comment son action se combinera-t-elle avec celle du FSI, qui intervient au capital, et des subventions d'Oseo ? Reste également à démêler, enfin, la question de la sous-traitance.

M. Roland Courteau. - Le soutien aux PME, madame la ministre, passe aussi par la lutte contre certaines pratiques déloyales dont elles sont les victimes. On voit se multiplier les entreprises de services en recrutement, dont le siège est établi sur le territoire d'un autre État membre et qui proposent des ouvriers polonais ou d'autres nationalités, en contrat de détachement, à un taux horaire qui oscille entre 14,5 et 17 euros, salaire, charges sociales, indemnités et congés payés compris, quand le taux horaire moyen est en France de 34 euros. Ces sociétés boîtes aux lettres contournent les règles du détachement et constituent de véritables filières qui bafouent notre droit du travail. Quelles solutions proposez-vous ? madame la ministre, pour en finir avec de telles pratiques, particulièrement destructrices pour le BTP ? Soutiendrez-vous le projet de directive présenté par la Commission européenne en mars, qui vise à prévenir la multiplication de telles sociétés qui détruisent nos emplois ?

Mme Évelyne Didier. - Nos PME à fort potentiel peinent à trouver des fonds. M. Beffa a même déclaré que la France avait fait de mauvais choix en soutenant davantage les entreprises de service et les commerces que l'industrie. Pour obtenir des fonds, les entreprises doivent être labellisées, à la suite d'une évaluation. Mais a-t-on évalué cette évaluation ? Quel type d'entreprises a été labellisé ? Dans quels domaines ? A-t-on mesuré l'efficacité des aides ? Nous avons besoin d'un audit.

Pour être aidées à l'export, les entreprises doivent développer des partenariats à l'étranger, ce qui complique le montage des dossiers. Quant aux subventions fléchées sur la France, on me dit qu'elles ne sont pas toutes consommées. Pourquoi ?

L'activité de garantie n'est-elle pas une aubaine pour les banques, qui prennent moins de risques et en profitent pour améliorer la qualité de leur bilan ?

Enfin, envisagez-vous de mener un audit des activités des fonds existants avant d'en créer de nouveaux ?

M. Daniel Raoul, président. - M. Migaud, que nous avons entendu hier, nous a indiqué qu'un rapport de la Cour sur le financement de l'économie était prêt : il fournira une partie des réponses.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - La Fédération française du bâtiment nous a alertés, en même temps que des députés, il y a trois jours, Monsieur Courteau, sur le problème que vous soulevez. Et la pratique ne touche plus seulement les zones transfrontalières, tant les difficultés pressent certains pays, comme l'Espagne. La Fédération peine à évaluer le phénomène. Il n'est pas facile de savoir combien de salariés sont concernés. A nous d'intensifier les contrôles dans le respect de la liberté d'établissement. J'ai pris l'attache de Michel Sapin à cette fin, notamment pour mobiliser l'inspection du travail. C'est un sujet très préoccupant.

M. Gérard Bailly. - Je souscris, madame la ministre, à votre credo sur les PME. Mais elles se heurtent aussi aux difficultés liées à l'immobilier. Si les collectivités pouvaient s'y impliquer davantage, mettre des locaux à disposition sous forme de crédit-bail, cela faciliterait beaucoup certaines installations.

Autre question. Comment le Fonds numérique financera-t-il les projets, sachant que la péréquation est capitale ? Je n'en oublie pas, pour autant, le désenclavement ferroviaire et routier des campagnes.

Les PME seraient souvent désireuses d'embaucher, mais craignent la conjoncture. Ne pourrait-on accroître la flexibilité de l'emploi à leur profit, sachant que leur carnet de commandes n'est pas rempli avec la même régularité que celui des grands groupes ?

M. Bruno Retailleau. - Ce serait une erreur que de vouloir faire un small business act à la française, que compliquent les règles de l'OMC et la doctrine concurrentielle de l'Europe. D'autant que l'on peut obtenir la même chose autrement. Les « tests PME » sont ainsi très utiles pour orienter l'action réglementaire...

Même chose pour la commande publique. Les grandes administrations lancent de vastes appels d'offres auxquels les PME n'ont pas accès, faute d'alotissement. N'est-ce pas là une atteinte aux principes de la concurrence ?

Sur la sous-traitance, j'ai commis un rapport qui proposait la création d'un médiateur - M. Jean-Claude Volot a été nommé. Le pacte PME, fait pour promouvoir les bonnes pratiques, me semble aussi un mode de soft régulation intéressant.

Après Bâle III et Solvency II, une séparation trop stricte entre banque d'investissement et banque de collecte poussera les entreprises à se financer auprès des marchés. Or, la profondeur de marché d'Euronext est dix fois inférieure à celle de l'AIM, Alternative investment market, de Londres. Songeons aussi aux coûts élevés du financement par le marché.

M. Daniel Raoul, président. - Dernier sujet, les brevets européens. Où en est le projet européen ? Il semble qu'il y ait des blocages, alors qu'il permettrait de diviser par neuf le coût des brevets.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le financement des PME, madame Rossignol, au-delà du problème d'amorçage de cette entreprise de Compiègne que vous avez cité, mérite d'être pensé sur l'ensemble de la chaîne, jusqu'à l'introduction en bourse, difficile pour les entreprises qui souhaitent lever des fonds au-delà de dix millions. La BPI est conçue comme une structure composite. Elle aura une dimension bancaire, avec un financement par la dette et une activité de prêt, d'une part ; elle regroupera d'autre part les activités d'Oseo-innovation, de la CDC-entreprises et des aides à l'exportation de la Coface et d'Ubifrance, et ce en un guichet unique, décliné en régions, avec un segment bancaire, un autre pour les apports en fonds propres et un autre encore dédié à l'innovation et à l'aide à l'export. Outre l'activité bancaire, il y aura donc le conseil et l'accompagnement. La mission confiée à Bruno Parent, qui doit rendre son rapport fin juillet, devra aboutir à une mise en oeuvre avant la fin de l'année, conformément au voeu du Premier ministre. La BPI sera opérationnelle fin 2012 ou début 2013. Reste la réflexion sur la participation des régions au capital : nous attendons les conclusions de M. Parent, qui présentera les différentes options.

La mesure de l'efficacité de l'action publique en faveur des entreprises innovantes, madame Didier ? Lorsque nous avons entrepris de dresser une cartographie, nous avons trouvé des milliers d'aides. Eviter le saupoudrage ? Sans doute, et je souhaiterais concentrer les moyens sur les secteurs de croissance. Mais au-delà, il faut une vision de l'efficacité économique. Nous avons entrepris de recenser l'efficacité économique de ces aides. Les aides à l'exportation relèvent davantage du domaine de Nicole Bricq, mais nous travaillons main dans la main pour conduire la réflexion sur les synergies possibles entre les acteurs de « l'équipe de France de l'export ». Il existe certaines redondances, entre les chambres de commerce et d'industrie et le réseau Ubifrance, notamment.

Oui, monsieur Bailly, la logistique et les moyens matériels ne sont pas rien pour les jeunes entreprises. Il est bien des initiatives de pépinières qui mettent à disposition les locaux, l'informatique et même des ressources humaines. Nous voulons les encourager. Nous rêvons de faire du Grand Paris, puis des autres régions, des hubs mondiaux du numérique et de l'innovation, en créant de grandes pépinières d'entreprises qui offriraient de nombreux services et pourraient également être appuyées par une fiscalité spécifique.

Assouplir le droit du travail au profit de ces entreprises innovantes ? Il est vrai que dans le secteur numérique, la flexibilité est une revendication récurrente. La création d'un jeu vidéo exige le travail de 300 développeurs pendant six mois, créant un ventre d'emplois dont on sait qu'il doit désenfler à terme...

Nous sommes tous très attachés à notre modèle social mais aujourd'hui une réflexion sur la compétitivité est engagée : comment aider ces entreprises ? Le statut de la JEI est un bon exemple. Je me suis engagée et je me bats tous les jours pour que ce statut soit au moins maintenu et stabilisé, au mieux, amélioré.

M. Daniel Raoul, président. - On vous aidera !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - M. Retailleau a évoqué les relations entre les sous-traitants et les grands groupes. La première exigence est de faire respecter les délais de paiement : les difficultés de trésorerie des petites entreprises en seraient considérablement allégées. Il faut également continuer à travailler avec l'Association pour la création d'entreprise et Jean-Claude Volot, pour établir des classements sur la relation entre sous-traitants et grands groupes. Nous y travaillons dans le cadre du plan PME. La création d'un segment boursier pour les PME renforcerait l'attractivité de la place de Paris. Nyse Euronext étudie les moyens de simplifier la procédure de cotation - donc de réduire les coûts - pour les PME.

M. Daniel Raoul, président. - Il y a aussi dans la sous-traitance des pratiques à la limite de la fraude...

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il faut briser la loi du silence qui entoure ces pratiques illégales. Nous réfléchissons, avec Pacte PME et M. Volot, à la possibilité de plaintes qui pourraient être déposées de façon anonyme, auprès d'une instance de médiation. Les entreprises s'autocensurent pour des raisons commerciales évidentes. Nous sommes néanmoins déterminés à multiplier les contrôles. Les délais de paiement pratiqués par une entreprise sont un indicateur fiable de son comportement général dans les affaires...

Au sujet du brevet européen, après un accord à 25 pays sur 27, les discussions ont finalement achoppé sur la localisation de la juridiction européenne qui sera chargée des litiges sur la propriété industrielle. En dépit des concessions qu'elle avait faites sur le dossier, la France n'a pas obtenu le siège de la juridiction. L'enjeu est considérable pour les PME, car les coûts de transaction liés au dépôt d'un brevet dans plusieurs pays sont très élevés. Le sujet est aujourd'hui dans les mains du Parlement européen. Le vote qui devait avoir lieu en juillet a été repoussé.

M. Daniel Raoul, président. - C'est un enjeu considérable. Vous pourriez prendre l'attache de votre collègue Geneviève Fioraso, car le sujet est au confluent de la recherche et du développement, de l'innovation, des biotechnologies, des nanotechnologies... Il y a des choses à faire, y compris dans le domaine des capteurs photovoltaïques à composants organiques, recyclables.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous travaillons beaucoup ensemble pour faire passer l'innovation dans l'entreprise, pour la monétiser. Il y a des initiatives en ce sens, notamment avec le CEA. Des plateformes régionales sont à disposition des PME pour que celles-ci aient accès aux brevets. Souvent, elles n'ont pas conscience qu'en faisant sauter un verrou technologique, elles peuvent gagner en compétitivité.

M. Daniel Raoul, président. - Une remarque, liée à mon passé universitaire : les universitaires sont évalués à partir de leurs publications dans des revues, jamais sur leurs efforts pour transférer l'innovation de leurs laboratoires vers le monde économique. Je me souviens de la première tentative, la loi sur l'innovation de Claude Allègre. Motivons les universitaires, pour qu'ils jouent le jeu.

M. Raymond Vall, président. - L'irrigation de ces pôles de compétitivité vers les PME est un vrai problème, surtout pour les entreprises situées loin des capitales régionales.

M. Daniel Raoul, président. - Madame la Ministre, je vous remercie.