Mardi 30 octobre 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Transition vers un système énergétique sobre - Nomination d'un rapporteur

M. Daniel Raoul est désigné rapporteur sur la proposition de loi visant à la transition vers un système énergétique sobre suite à la démission du précédent rapporteur, M. Roland Courteau.

Mercredi 31 octobre 2012

- Présidence de MM. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, et Raymond Vall, président de la commission du développement durable -

Effets à long terme des OGM associés à des pesticides - Audition de M. Marc Mortureux, Directeur Général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur l'avis de l'agence du 19 octobre 2012 relatif à l'étude du Professeur Séralini

La commission entend M. Marc Mortureux, Directeur Général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur l'avis de l'agence du 19 octobre 2012 relatif à l'étude du Professeur Séralini sur les effets à long terme des OGM associés à des pesticides.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui va nous présenter l'avis de l'Agence sur l'étude très médiatisée - c'est peu de le dire - du professeur Séralini. Il nous dira quelques mots aussi de l'histoire et des missions de l'Anses.

L'une des questions posées par cette étude est celle de la taille des échantillons statistiques, déjà abordée par notre collègue Gilbert Barbier dans son rapport sur les perturbateurs endocriniens pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Une autre question est celle de la durée des essais. On se demande en outre comment assurer l'indépendance des recherches financées par les industriels pour obtenir des autorisations de mise sur le marché. Enfin, je sais que l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), ne parvient pas à recruter des doctorants pour des recherches sur les plantes génétiquement modifiées (PGM) - expression que je préfère à celle d' « organismes génétiquement modifiés », cette dernière recouvrant aussi des vaccins, des bières, etc., alors que le débat scientifique et socio-économique porte surtout sur les plantes.

M. Raymond Vall , président de la commission du développement durable. - Mon département, le Gers, a, le premier, entrepris d'interdire les essais de PGM en plein champ. Il a même envisagé d'organiser un référendum sur les PGM, jusqu'à ce que l'Europe l'arrête... J'attends donc de cette audition des éclaircissements sur les études menées et sur les risques encourus. Les essais, poursuivis pendant des semaines ou des mois, peuvent s'avérer coûteux : qui doit payer ?

M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses. - Depuis sa création en 2010, l'Anses est chargée de l'évaluation des risques dans un vaste domaine qui recouvre les anciens champs de compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), et qui a donc trait à la fois à la santé humaine et à la santé animale et végétale. Elle peut ainsi évaluer les risques présentés par une même source de danger - agent chimique, biologique ou physique, comme les rayonnements - à travers différentes expositions : alimentation, travail, environnement quotidien. C'est un modèle original qui suscite beaucoup d'intérêt, en Amérique du Nord comme en Europe : aux Etats-Unis se côtoient la Food and Drug Administration et l'Environmental Protection Agency, en Allemagne le Bundesinstitut für Risikobewertung et l'Umweltbundesamt (UBA), respectivement chargés de l'alimentation et de l'environnement. La fusion de l'Afssa et de l'Afsset n'a pas été simple, certains se demandaient quelle serait la place de la santé au travail ou encore de la santé animale, dans ce vaste ensemble. Mais ces inquiétudes ont été apaisées au terme de longs débats, qui ont bousculé bien des habitudes et c'est tant mieux, car le plus grand risque dans notre domaine de compétence est de laisser s'installer la routine, l'accoutumance.

L'Anses est aussi dotée d'un modèle de gouvernance original, avec une expertise scientifique extrêmement protégée contre toute intervention externe - des procédures rigoureuses prévenant tout conflit d'intérêts - mais aussi de nombreux échanges avec la société civile, en amont, au sein des comités d'orientation thématiques placés auprès du conseil d'administration - lui-même divisé en cinq collèges reproduisant ceux du Grenelle de l'environnement - pour définir le programme de travail. En aval, il y a les discussions et contributions au débat public de la part de l'Anses. Un exemple : notre avis sur l'étude du professeur Séralini a été rendu public un lundi et dès le mardi nous réunissions les parties pour dialoguer, sans chercher à mettre tout le monde d'accord mais en espérant une compréhension mutuelle.

Les experts travaillent au sein de collectifs et sont recrutés pour leur compétence et en évitant tout conflit d'intérêts : l'évaluation des risques est ainsi menée de façon collective et contradictoire, dans un cadre réglementaire, en se fondant alors sur les données obligatoirement fournies par les industriels - c'est le cas pour les produits phytosanitaires et les PGM -, soit en réponse à la saisine du ministère ou d'une des parties représentées au conseil d'administration, soit par auto-saisine. Je regrette au passage que le Parlement n'ait pas le pouvoir de saisir l'Anses, c'est la loi qui a créé les agences sanitaires et nous sommes disposés à répondre à ses sollicitations...

L'Anses s'insère dans un schéma logique qui repose sur la séparation des missions : à l'agence l'évaluation des risques, aux ministères leur gestion. Le rôle de l'Anses est de livrer l'état des données scientifiques pour que les gestionnaires et les autres acteurs puissent prendre les décisions appropriées. L'Anses gère aussi des laboratoires, consacrés à la santé animale, végétale ou aux risques alimentaires. Nous aidons les pouvoirs publics à mettre en place les plans de contrôle et de surveillance prévus par la réglementation. Nous parlerons aujourd'hui des PGM et des produits phytosanitaires, mais nous nous intéressons à bien d'autres choses : biocides, téléphones portables, amiante, perturbateurs endocriniens, nanomatériaux... Bref, nos 1 300 agents, dont la moitié en laboratoire, et nos 800 experts extérieurs, réunis en une vingtaine de collectifs, sont bien occupés.

Au sujet de l'étude du professeur Séralini, le Gouvernement nous a demandé si elle remettait en cause, d'une part les évaluations précédentes du maïs NK603 ou de l'herbicide Roundup, d'autre part les lignes directrices actuelles d'évaluation de ces produits, dans le cadre de la réglementation européenne. Nous avons donc créé un groupe d'expertise collective d'urgence, composé de spécialistes des biotechnologies, des produits phytosanitaires, de toxicologie, de nutrition, de génotoxicité, sous la présidence d'un directeur de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), spécialiste des faibles doses et des mélanges. Nous avons veillé à écarter tout conflit d'intérêts : les déclarations d'intérêts des membres sont mises en lignes sur notre site.

Nous n'avons pas voulu réagir à chaud : le temps de l'expertise n'est pas celui des médias, même si nous avons rendu notre avis au bout d'un mois, ce qui est court. Nous avons souhaité replacer l'étude Séralini dans le contexte des publications disponibles sur le même sujet, car telle est notre valeur ajoutée. Nous ne sommes pas un super-comité de lecture !

On a de plus en plus tendance à considérer toute nouvelle étude comme décisive, alors qu'il est difficile de prendre des décisions sur la base d'une seule étude. Notre démarche vise toujours à resituer les éléments nouveaux dans l'ensemble du corpus des connaissances. Et nous adoptons une attitude résolument scientifique, sereine et respectueuse : cette étude, malgré ses faiblesses, lance des signaux d'alerte. A l'occasion de l'audition de Gilles-Eric Séralini le 10 octobre dernier, le groupe d'expertise a pu récupérer des données brutes qui ne figurent pas dans sa publication, laquelle doit être suivie par d'autres. Nous avons aussi entendu François Veillerette, représentant de Générations futures et spécialiste des produits phytosanitaires. Les dirigeants de Monsanto n'ont pas souhaité être entendus publiquement, mais nous ont adressé une contribution écrite. Nous avons bien sûr collaboré avec le Haut conseil des biotechnologies - nos missions étant spécifiques, nous avons cependant travaillé en toute indépendance -, avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui a, très vite, rendu une analyse critique sur l'étude du professeur Séralini, mais rendra à la mi-novembre un avis intégrant les travaux des différentes agences nationales. Nous avons aussi eu des échanges avec les agences allemande et néerlandaise qui ont réagi très rapidement. Toutes ont pointé les faiblesses de l'étude, mais nous avons voulu aller plus loin en faisant un état des lieux de la recherche.

Des méta-analyses avaient déjà balayé l'ensemble des études consacrées aux effets à long terme des PGM, notamment en cas d'association avec des produits phytosanitaires. Celle du professeur Séralini concerne l'herbicide Roundup et le maïs NK603, tolérant au glyphosate, la substance active du Roundup. Les auteurs ayant voulu faire beaucoup de choses à la fois, l'étude porte sur 200 rats, répartis en vingt groupes : des groupes témoins et des groupes auxquels on a fait consommer du maïs NK603 avec ou sans Roundup, à faible dose - correspondant aux résidus maximaux, donc à une exposition possible - ou à forte, voire très forte dose. Gilles-Eric Séralini et son équipe ont observé une mortalité et une incidence de tumeurs plus importantes et plus précoces dans les groupes traités que dans les groupes témoins, et ils ont conclu que ces substances ont des effets à long terme sur la santé.

S'agissant des PGM, ils estiment que les études imposées pour vérifier l'absence de risque sur la santé à long terme sont insuffisantes, en particulier parce que leur durée serait trop courte. Quant aux produits phytosanitaires, en l'état actuel de la réglementation, seules les substances actives donnent lieu à des études à long terme. Les produits commerciaux, composés d'une ou plusieurs substances actives et de coformulants, ne sont soumis qu'à des tests composant par composant mais non sur leur mélange. Un test de toxicité aiguë est tout de même pratiqué, mais s'il ne révèle pas d'écart sensible par rapport au même test mené sur la substance active, on en reste là. L'équipe du professeur Séralini réclame des études à long terme sur les mélanges.

Les experts de l'Anses, comme ceux des autres agences, ont estimé que l'étude ne suffisait pas à établir une relation de cause à effet entre la consommation de PGM, éventuellement traitées avec des pesticides, et l'apparition de tumeurs. L'espèce de rats sélectionnée développe spontanément des tumeurs ; il y avait donc au sein de l'échantillon des « faux positifs », des cas où le développement de la tumeur n'est pas lié à la consommation du maïs. Il aurait fallu des groupes d'au moins cinquante à quatre-vingts rats au lieu de dix, pour que l'analyse des écarts fût statistiquement valide.

Une autre étude, due au professeur Sakamoto et plus conforme aux protocoles classiques de l'OCDE, portait sur une variété génétiquement modifiée de soja, très largement consommée au Japon. Souvent citée, l'étude n'avait guère été lue et nous l'avons fait traduire du japonais. Or elle ne montre aucune différence entre les rats ayant consommé ce soja et les autres. Une troisième étude, menée par le professeur Malatesta et consacrée aux effets hépatiques d'une alimentation composée à 14  % de soja génétiquement modifié, concluait aussi à l'absence d'effets significatifs sur la mortalité ou la taille du foie.

L'Anses a donc considéré que l'étude Séralini formulait des conclusions non soutenues par les données, autrement dit qu'elle surinterprétait celles-ci ; la réglementation en vigueur sur le maïs NK603 et le Roundup n'est donc pas remise en cause. Déplorant cependant la rareté des études sur les effets potentiels à long terme des PGM, associées ou non à des préparations phytosanitaires, l'agence a appelé dès le début de 2011 à renforcer la réglementation européenne pour imposer davantage de tests subchroniques, à 90 jours ; cette réforme est en cours, et notre première recommandation est de la faire aboutir au plus vite.

Nous préconisons en outre de lancer de nouvelles études sur les effets à long terme de ces produits, en définissant clairement les objectifs poursuivis, les types de produits étudiés, et en assurant l'indépendance de l'expertise par la mobilisation de fonds publics. L'Anses est prête, avec d'autres agences, à travailler à l'élaboration des principes généraux de ces futures études.

L'Agence appelle aussi à accroître la recherche sur les effets « cocktail », à propos desquels il existe déjà un projet de recherche Périclès de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Vu la complexité des mélanges et leur nombre potentiel, de nouvelles méthodologies de recherche s'imposent, autres que l'expérimentation animale.

Nous aimerions pouvoir mobiliser des fonds publics pour des études d'envergure sur des risques sanitaires insuffisamment étudiés. Actuellement, il existe des études réglementaires, financées par l'industrie ; et une recherche publique, aux moyens beaucoup plus réduits, qui ne porte pas en priorité sur ces risques auxquels les chercheurs ne trouvent qu'un intérêt scientifique limité. Le problème n'est pas propre aux PGM. Il est bon que l'industrie soit obligée de prouver l'innocuité des produits qu'elle fabrique, mais sur certaines questions, il faudrait pouvoir mener des études complémentaires et indépendantes. Nous ne demandons pas directement d'argent, mais la possibilité de mobiliser des financements publics dans le cadre des mécanismes existants, afin de crédibiliser un peu notre dispositif. Il faut s'appuyer sur les études des industriels et financer des études complémentaires larges mais coûteuses, lorsque nécessaire.

Nous pourrions suivre l'exemple du National Toxicology Program américain, auquel sont associées plusieurs agences et qui, grâce à une dotation de 120 millions de dollars, a pu mener il y a deux ans des travaux sur les perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A. Votre mission d'information sur les pesticides a abouti aux mêmes conclusions au terme d'une analyse très poussée. Avant même la publication de l'étude Séralini, j'avais eu l'occasion de faire cette demande lors des Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur.

M. Jean Bizet. - C'est à nos anciens collègues Charles Descours et Claude Huriet que l'on doit en 1995 et 1996 la création des agences sanitaires, coiffées par une autorité européenne. Cette organisation a fait la preuve de son efficacité, en établissant par exemple que des graines de soja germé étaient à l'origine d'une série d'intoxications par la bactérie E.coli. En revanche, je suis déçu de constater que le comité économique, éthique et social du Haut conseil des biotechnologies ne fonctionne pas bien. Sa composition est déséquilibrée : un tiers de personnes favorables aux OGM et deux tiers d'anti-OGM. En outre, alors que seul le comité scientifique peut rendre des avis d'une grande technicité, le comité économique se mêle de science. Cela m'a conduit à démissionner au bout d'un an. On a tout fait pour instaurer la confiance, or, à force de communications intempestives, on inquiète la population. Les hommes politiques ne sont pas toujours en reste.

Quant au professeur Séralini, c'est un militant avant d'être un chercheur, et il s'est livré à mes yeux à une véritable manipulation : après avoir annoncé des découvertes dès le quatrième mois, il a attendu deux ans avant de livrer ses conclusions, au lieu d'avertir immédiatement la communauté scientifique internationale de ce qu'il considère comme un problème de santé publique !

Sur les OGM, sur l'expertise, la France a perdu : les chercheurs sont partis.

Afin d'éviter d'inutiles souffrances aux animaux de laboratoire, pourquoi ne pas passer à des méthodes toxicogénomiques, plus modernes, plus efficaces et moins chères ?

Mme Sophie Primas. - La mission d'information sur les pesticides dont j'étais présidente et Nicole Bonnefoy rapporteure a souhaité, comme l'Anses, qu'un fonds abondé par des financeurs publics ou privés serve à mener des études indépendantes sur les effets à long terme de ces produits. Trois études sur un sujet si important, c'est trop peu. L'Anses ne manque pas de moyens, grâce aux fonds que les industriels doivent verser avant toute autorisation de mise sur le marché. Reste à obtenir de Bercy que les effectifs de l'Anses autorisés au-dessus de son plafond d'emplois soient relevés.

Sur de tels sujets, il faut travailler sereinement, avec expertise, en écoutant chacun. Les agences doivent être au coeur de l'évaluation des risques et en avoir les moyens financiers et humains.

Mme Renée Nicoux. - Merci à M. Mortureux de son exposé, qui montre bien qu'une agence nationale indépendante est indispensable. Je ne vous ai pas entendu parler de l'espèce de rats qu'emploie Monsanto dans ses propres études : qu'en est-il ?

Vous portez sur l'étude de Gilles-Eric Séralini une appréciation sévère, tout en concédant qu'elle lance un signal d'alerte et en appelant à intensifier les recherches. C'est indispensable pour rassurer les consommateurs que nous sommes tous, directement ou par le biais de l'alimentation du bétail.

M. Gérard Bailly. - Excellente idée que d'avoir invité M. Mortureux : j'espère que nous le reverrons régulièrement. Président du groupe d'études sur l'élevage, j'ai été très attentif à la publication de l'étude Séralini. Quel bruit n'a-t-elle pas fait ! Vous avez souligné ses faiblesses, mais le mal était fait. Les éleveurs ont déjà beaucoup souffert de la crise de la vache folle et des farines animales : prenons garde. Avant d'être publiées, les études devraient être validées.

La compétitivité de notre agriculture est en jeu : je suis bien placé pour le savoir, étant moi-même producteur de lait. Il faudra nourrir 3 milliards d'êtres humains de plus dans cinquante ans. Si les OGM ne sont pas nocifs, ce serait dommage de ne pas les utiliser ! Mais s'ils sont nocifs, il faut les bannir. L'évaluation des risques doit se faire au niveau européen. Oui, il faut y consacrer plus de moyens. La question des OGM est importante pour l'avenir des campagnes : Renée Nicoux et moi-même le savons bien, qui devons rendre un rapport à ce sujet au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.

Une question : quelles sont les relations de l'Anses avec l'Inra ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Comment l'Anses se prémunit-elle contre les conflits d'intérêts, même indirects ? Ne devrait-elle pas joindre à ses avis la liste des experts consultés, par mesure de transparence ?

La France a pris beaucoup de retard en matière de toxicologie. J'ai suivi de près au Parlement européen la mise en place du programme Reach (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals), et j'ai constaté que l'âge moyen de nos toxicologues était supérieur au mien ! Nous ne faisons pas assez de recherche dans cette discipline, et nous ne l'enseignons pas assez : pour avoir des experts, il faut beaucoup de gens compétents.

On appelle au renforcement du système européen d'évaluation des risques, mais beaucoup de nos partenaires, favorables aux OGM, n'en veulent pas. Quant nous obtenons l'interdiction de la mise en culture, nous n'interdisons pas les importations ! Mettons fin à cette schizophrénie, et résolvons-nous au bras de fer, sinon les multinationales gagneront. Nous sommes allés jusqu'au conflit avec les Etats-Unis à propos des hormones, nous avons payé, mais au moins on n'élève pas de veaux aux hormones en Europe !

M. Jean Bizet. - On en mange...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est que l'on n'en a pas interdit l'importation !

M. Marc Mortureux. - Indépendance et expertise sont deux caractéristiques fondamentales de l'Anses. Nous avons tout mis en oeuvre pour les préserver, d'autant que la fusion Afsset-Afssa suscitait des craintes et des critiques à cet égard. Au niveau de la sélection des experts d'abord, nous avons cherché à prévenir les conflits d'intérêts. La composition des collectifs d'experts est renouvelée tous les trois ans ; les membres sont sélectionnés sur des critères de compétence ; ils remplissent systématiquement une déclaration publique d'intérêts. Le conseil scientifique, indépendant de la direction de l'agence, participe à l'examen des candidatures. J'ajoute que les appels à candidatures sont aussi ouverts que possible. Les déclarations d'intérêts ne sont jamais vierges, d'autant moins que la nouvelle législation les a rendues très détaillées. Permettez-moi de souligner que cette technique est la seule possible : on s'interrogerait légitimement sur la crédibilité d'un chercheur absolument dépourvu d'activités extérieures !

Avant chaque réunion et pour chaque point de l'ordre du jour, nous établissons une matrice d'identification des risques d'intérêts, pour identifier les liens d'intérêts jugés non rédhibitoires mais porteurs d'un risque de conflit sur un dossier particulier. Ainsi l'agence prend-elle ses responsabilités et elle évite de laisser à l'expert seul l'entière responsabilité de déclarer son conflit d'intérêts.

Ce dispositif a été testé en pratique : il y a quelques mois, une étude visait à analyser l'influence des facteurs de croissance du lait sur le déclenchement de certains cancers. Or, certains experts du collectif censé la valider étaient membres de la fondation Danone. Nous avons estimé qu'ils ne pouvaient participer aux travaux. Notre décision a été mal comprise. Pourtant nous ne remettons nullement en cause l'intégrité des chercheurs, nous appliquons simplement les règles indispensables à la crédibilité du système. Ne confondons pas, soit dit en passant, liens et conflits d'intérêts.

Les chercheurs s'interrogent parfois sur l'intérêt qu'il y a à entrer dans de tels comités d'experts, dès lors qu'un seul mot dans une déclaration publique de vingt pages est susceptible de déboucher sur une mise en cause de leur déontologie. A prolonger cette tendance au soupçon, nous risquons de nous priver de compétences indispensables.

Nous tenons beaucoup au caractère collectif et contradictoire de nos expertises. Celles-ci sont explicitées et rendues publiques, afin de garantir l'expression d'une pluralité de points de vue. A cet égard, prenons garde également à ne pas juger une structure ou une expertise à son maillon le plus faible. Nous travaillons sur de nombreuses sources d'information. Nous ne faisons pas nous-mêmes de la recherche, nous nous appuyons sur toute la documentation existante et cultivons le respect et l'écoute de l'ensemble des parties prenantes. Les lanceurs d'alerte agacent parfois dans leur manière de présenter les choses, mais nous devons tenir compte des signaux qu'ils envoient. L'audition de Gilles-Eric Séralini a donné lieu à un bon dialogue. Lui-même reconnaît les limites de son étude et appelle de ses voeux des recherches plus complètes.

Sur les PGM, notre rôle est d'anticiper, d'aller plus loin dans les connaissances scientifiques. Si le NK603 ne modifie qu'une seule protéine pour rendre une plante résistante au Roundup, les derniers OGM conçus permettent d'en modifier jusqu'à cinq. La plante génétiquement modifiée s'éloigne progressivement de la plante d'origine. Dans ce contexte, notre rôle est d'anticiper en permanence l'évolution des connaissances et de proposer, en conséquence, l'adaptation des protocoles. Nous sommes plus sévères sur l'espèce de rat utilisée dans l'étude.

M. Gérard Lasfargues, directeur général adjoint de l'Anses. - La critique a essentiellement porté sur l'interprétation que fait le professeur Séralini des données de son étude. Lors de son audition, il a motivé le choix de rats Sprague-Dawley par la nécessité d'utiliser un protocole comparable à celui retenu dans les études réglementaires. Or, cette souche de rat est surtout utile pour les études de toxicité à 90 jours, ou les tests de toxicité aigüe. Cette souche est naturellement plus sujette aux tumeurs, donc plus difficile à utiliser dans des études de cancérogenèse à plus long terme : au bout de deux ans, on observe une prévalence de 60 % de tumeurs mammaires spontanées. Dès lors cette étude n'aurait de puissance statistique acceptable qu'à partir de 80 à 100 rats par groupe... ce qui aurait fait passer son coût à 5 voire 10 millions d'euros.

Le professeur Séralini souhaitait surtout vérifier si les tests à 90 jours sont prédictifs d'effets sur la cancérogenèse à plus long terme ; et si l'on doit s'attendre à la survenance de cancers. Je rappelle que les méthodes alternatives posent un délicat problème financier.

La nouvelle réglementation européenne, sur les phytosanitaires notamment, rend possible la réalisation selon des méthodes alternatives de tests in vitro permettant d'identifier les dangers de certaines substances actives et coformulants. Il s'agit par exemple d'études portant sur la génotoxicité de certains produits - qui modifient un gène ou un chromosome - ou sur les effets perturbateurs endocriniens. Dans le cas des désherbants comme le Roundup, ces tests ont permis d'identifier l'action de coformulants dérivés du nonylphénol.

M. Martial Bourquin. - L'indépendance est une vraie question. Plus il y a d'intérêts en jeu, plus elle est difficile à préserver. De larges études épidémiologiques internationales ont montré que certains détenteurs d'une grande notoriété scientifique ont pu être rapidement discrédités par la révélation des liens qu'ils entretenaient avec des groupes industriels. Je ne voudrais pas que l'étude de Gilles-Eric Séralini, qui a fait l'effet d'un coup de tonnerre, passe à la trappe. Sous de multiples prétextes, comme la nécessité de nourrir le monde, d'aucuns nous proposent d'accepter les OGM comme un fait accompli ! Or, après cette étude, rien ne sera plus comme avant.

La situation n'évolue pas dans le bon sens en matière de pesticides. Le Grenelle de l'environnement a fixé l'objectif d'une baisse de leur utilisation de 50 % d'ici à 2018. Or la consommation continue d'augmenter. Jusqu'où ira-t-on ?

Une étude de l'université britannique d'Aston a montré que la combinaison d'un effet cocktail et d'un effet de durée pouvait entraîner le déclenchement de maladies comme celle de Parkinson ou d'Alzheimer. Or les résultats de cette étude ont été passés sous silence, sans doute parce qu'ils portent atteinte à d'énormes intérêts financiers.

Mme Bernadette Bourzai. - Je parle au nom de Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d'information du Sénat relative aux pesticides. L'analyse de l'Anses a le mérite d'identifier, dans l'étude du professeur Séralini, ce qui est discutable et ce qui est profitable, c'est-à-dire les lacunes et problèmes que nous devrons régler à l'avenir.

Comme Sophie Primas, présidente de la mission d'information sur les pesticides, je pense qu'il nous faut travailler dans la sérénité. Monsieur le directeur général, vous avez souhaité crédibiliser « un peu » les études réalisées. Je préférerai qu'on les rende totalement crédibles ! L'opinion publique ne peut supporter la demi-mesure. Cela suppose que vous disposiez des moyens de travailler. Vous nous avez parlé des précautions prises pour garantir l'indépendance de l'Agence, c'est très bien. Mais il faut également supprimer son plafond d'emplois. Je conseille la lecture du rapport de Sophie Primas et Nicole Bonnefoy, notamment ses recommandations relatives à l'indépendance des études, aux lanceurs d'alerte ainsi qu'à l'évaluation des perturbateurs endocriniens. A partir de ce rapport, nous pourrons travailler avec les scientifiques et les responsables politiques pour progresser dans ce domaine particulièrement délicat.

M. Ronan Dantec. - L'étude du professeur Séralini a atteint au moins 90 % de ses objectifs en forçant la puissance publique à commander les études nécessaires sur les OGM. Mais de précédents avis de l'Anses étaient hostiles à la mise en culture de certaines variétés, de soja notamment, faute d'études complémentaires. Ce coup de tonnerre médiatique va conduire la puissance publique à commander enfin des recherches rigoureuses sur cette question. Mais pourquoi les avis antérieurs, fondés sur les lacunes des études présentées, n'ont-ils déclenché aucune commande de l'Etat ? Pourquoi faut-il repasser encore une fois par la case départ ? La chaîne de décision, à partir des avis que vous rendez, ne fonctionne pas !

Mme Patricia Schillinger. - J'étais rapporteure du projet de loi relatif au bisphénol A, et je remercie le directeur de l'Anses du récent changement de classification.

Au niveau européen, le flou règne sur la production et l'importation d'OGM. Or, les effets sur le développement de cancers, de maladies de Parkinson, commencent à être connus. La presse apporte chaque jour de nouveaux motifs d'angoisse. Peut-on se donner les moyens, au niveau mondial, de faire prévaloir la santé publique sur les considérations économiques, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui ? C'est une situation honteuse, qui entraînera de graves conséquences pour notre jeunesse. Comment nous faire entendre au plan européen ? Les députés européens doivent se saisir du sujet.

M. Yannick Vaugrenard. - Ces sujets ont été portés au niveau européen, Marie-Noëlle Lienemann l'a évoqué, mais ils sont très compliqués.

Je déplore l'utilisation de la peur à des fins politiques. Je déplore tout autant le recours de l'industrie à des produits nuisibles à la santé publique, dans le seul but d'accroître le profit à court terme. Je souhaite que la raison l'emporte sur la crainte, instrumentalisée parfois pour vendre du papier.

Nous gagnerions à nous faire notre propre opinion. J'ignore si nous avons la possibilité de procéder à une audition contradictoire. Y inviter le professeur Séralini me semblerait opportun.

Enfin, s'il s'avère que ce dernier a utilisé les médias à mauvais escient, son comportement est condamnable. Y aurait-il, contre cela, des recours juridiques ?

M. Benoît Huré. - Je remercie le directeur de l'Anses pour la clarté de son exposé, sa grande expertise, l'humilité et la prudence de ses propos.

Pour réaliser ses missions, l'Anses doit disposer de moyens dédiés suffisants. La médiatisation des études non abouties ou insuffisamment expertisées entraîne immédiatement de graves conséquences économiques : en l'occurrence, on a fragilisé toute une filière industrielle. Le mal est fait : les médias ne montreront jamais le même intérêt à corriger ou nuancer ce qui a été annoncé dans un premier temps avec fracas. Nous pourrions d'ailleurs nous trouver dans le cadre des articles L. 120-1 et suivants du code de la consommation relatifs au dénigrement. On ne peut impunément donner un tel écho à des recherches non achevées.

M. Martial Bourquin. - Le professeur Séralini a gagné son procès !

M. Ronan Dantec. - Il a publié dans des revues scientifiques.

Mme Sophie Primas. - Pas des revues majeures. En revanche, il écrit des livres !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cela n'est pas interdit.

M. Daniel Raoul, président. - Il y a sans conteste un problème de recherche indépendante. Mais le problème de l'expertise et du conflit d'intérêts sont deux choses différentes. Dans la phase des essais cliniques, il y a nécessairement un lien d'intérêts entre le fournisseur de la molécule et la recherche clinique ; il n'y a pas conflit d'intérêts pour autant. Menacer ce lien nous priverait des experts dont nous avons besoin. Nous devons trouver un équilibre.

M. Marc Mortureux. - La liste des experts est systématiquement rendue publique. De même, les déclarations publiques d'intérêts sont en ligne sur notre site.

L'étude du professeur Séralini ne doit pas être enterrée, dites-vous. Notre position est claire : les résultats ont été sur-interprétés. Mais nous ne l'avons pas attendue pour faire un certain nombre de propositions. Le cadre européen, qui est l'un des plus exigeants au monde, a déjà progressé. Nous avons émis des avis défavorables lorsque nos exigences n'étaient pas respectées : ce fut le cas sur la question des essais à 90 jours, et lorsque la puissance statistique de l'étude ne nous semblait pas suffisante. Aujourd'hui, la réglementation n'impose pas des essais à deux ans, ni une expérimentation animale lorsqu'elle n'est pas nécessaire. Mais de ce fait, le nombre d'études incluant des essais à deux ans reste faible. Nous préconisons dès lors systématiquement des essais à 90 jours, bons signaux pour détecter les effets à plus long terme. Dans l'étude Séralini, ces données manquent. C'est pourquoi il faudrait procéder à des études complémentaires.

Nous souhaitons travailler avec d'autres pour définir des objectifs clairs, élaborer des protocoles et des méthodes adaptés. Les études d'envergure sont indispensables pour crédibiliser notre travail et recréer de la confiance.

La consommation de produits phytosanitaires n'est pas réellement de la compétence de l'Anses. Mais nous voyons croître le nombre de dossiers relatifs à des produits alternatifs à des substances chimiques, employés en combinaison avec les phytosanitaires et qui en réduisent donc l'utilisation. Le plan Ecophyto 2018 se déploie...

M. Ronan Dantec. - Je ne suis pas satisfait de votre réponse. L'Anses a rendu des avis dans le passé, auxquels l'Etat n'a pas réagi. Dès lors, l'agence ne doit-elle pas obtenir la mainmise sur son budget et sur ses emplois, afin de hiérarchiser ses priorités, plutôt que de négocier ses financements au cas par cas avec les ministères ?

M. Marc Mortureux. - Ce débat me dépasse en partie. Des propositions avaient été faites dans la discussion début 2011. Deux ans plus tard il est vrai, le cadre réglementaire a peu évolué. Cela prend du temps. Les ministères nous ont toutefois aidés, et nos propositions devraient être progressivement prises en compte.

Sur le financement de l'agence, il m'est difficile de répondre. Le contexte budgétaire est complexe. Le problème des plafonds d'emploi est très spécifique. Sur l'évaluation des produits phytosanitaires par exemple, la réglementation donne aux industriels le choix, pour déposer un dossier d'AMM, entre les pays de la zone à laquelle ils appartiennent - la France fait partie de la zone sud avec l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Grèce. Or, compte tenu de la situation économique de ces pays, presque tous les dossiers sont déposés chez nous. Nous avons le volume de travail, l'argent nécessaire, grâce au produit des taxes, mais pas le personnel dont nous aurions besoin. Le stock s'accroit et les délais s'allongent. Tant pis ! Nous ne braderons pas le travail d'évaluation.

M. Gérard Lasfargues. - Il existe, sur les maladies neurodégénératives comme celle de Parkinson ou d'Alzheimer, des études expérimentales mettant en avant le lien avec les pesticides. Des études épidémiologiques chez l'homme l'ont confirmé. Ces études ont été rapportées à la commission des maladies professionnelles du régime agricole. Le tableau des maladies professionnelles inclut désormais la maladie de Parkinson, comme conséquence de l'exposition aux pesticides. On a ainsi avancé sur la réparation comme sur la prévention.

M. Marc Mortureux. - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a prévu une audition contradictoire du professeur Séralini, le 20 novembre prochain. Nous y participerons.

Notre collaboration avec l'Inra est fructueuse sur tous ces sujets. Néanmoins, nous ne sommes pas donneur d'ordre vis-à-vis de lui. Nous discutons ensemble. Le président de l'Institut a rappelé récemment que la réalisation d'études de grande envergure n'est pas du ressort de son institution. Cela étant dit, nous devons éviter de tous nous renvoyer la balle - et éviter aussi la duplication des expertises. Nous poussons à des études à l'échelle européenne.

M. Martial Bourquin. - Vous n'avez pas répondu sur l'étude publiée par l'université britannique d'Aston.

M. Gérard Lasfargues. - Nous avons commencé, à l'Anses, à évaluer les polyexpositions. Par exemple, lorsqu'il existe deux substances actives dans une même préparation, nous analysons leurs effets séparés ainsi que leurs effets conjoints. Nous militons au niveau européen pour que ces polyexpositions soient prises en compte, ce qui n'est pas encore le cas.

M. Daniel Raoul, président. - Si vous détectez un problème sérieux, vous ne pouvez imposer des études aux autres établissements, l'Inserm, Inra,... Quel parcours la prise de décision peut-elle emprunter ?

M. Marc Mortureux. - Nous émettons des recommandations de recherche, qui sont parfois rendues publiques, puis portées dans le système des alliances. Nous avons en effet des liens avec l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et l'Alliance nationale pour l'environnement (AllEnvi) notamment. Nous avons des relations avec l'ANR. Mais nos échelles de temps sont différentes et nous réfléchissons à des mécanismes de mobilisation plus rapides. Nous disposons d'un certain montant de crédits destinés à soutenir des projets de recherche de taille modeste, de l'ordre de 200 000 euros. Des études sur l'effet cocktail en ont bénéficié. Enfin, nous pouvons alerter les ministères ou les autorités compétentes au niveau européen. Le modèle en la matière est américain, qui organise les liens inter-agences au niveau fédéral.

M. Daniel Raoul, président. - Vous pourriez avoir un droit de tirage sur les programmes de recherche de l'ANR...

M. Raymond Vall, président. - Il nous faut travailler à deux niveaux essentiels. A l'échelle européenne, car il est ridicule de financer des études redondantes. Au niveau du ministère de la santé, qui doit, lorsque l'alerte est donnée, prendre ses responsabilités, c'est-à-dire considérer les rapports de l'Anses, débloquer les financements nécessaires pour faire face à la situation, organiser la coordination d'un réseau d'action européen.

M. Daniel Raoul, président. - Nous vous remercions.