Mercredi 12 décembre 2012

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Audition de M. Didier Houssin, président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES)

La commission auditionne M. Didier Houssin, président de l'AERES (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur).

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Dominique Gillot m'a encouragée à organiser cette audition, pour en savoir plus sur l'AERES dans la perspective du texte à venir sur l'enseignement et la recherche.

Nous sommes très attachés à l'évaluation, facteur de stimulation et de progrès, en même temps qu'outil de contrôle de l'emploi des deniers publics. Nous en mesurons l'utilité tout en entendant les critiques qu'ont émises les chercheurs. Ceux-ci se plaignent, entre le montage de dossiers pour les fonds européens, les demandes de subvention à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et l'évaluation, de passer plus de temps dans la paperasse que devant leur microscope.

M. Didier Houssin, président de l'AERES. - Merci d'avoir souhaité nous entendre ; Mme Laurence Pinson, secrétaire générale de l'AERES, m'accompagne.

Depuis son installation en 2007, en à peine cinq ans, l'AERES a accompli un cycle complet d'évaluation - plus de 4 000 programmes de formation, plus de 3 200 unités de recherche, 250 établissements ou organismes. Nous avons procédé de façon homogène, en combinant auto-évaluation et évaluation externe collégiale par les pairs. L'AERES est plus organisatrice qu'évaluatrice directe. Des entités dans le champ de la santé et de la culture ont aussi été évaluées pour la première fois. Cela explique sans doute pourquoi, dans sa contribution aux Assises, le ministère de la culture et de la communication a souligné le rôle important de l'Agence.

Égalité de traitement entre les entités évaluées, impartialité des évaluations grâce au statut indépendant de l'AERES, transparence des résultats des évaluations, voici trois acquis importants quant à la méthode. Dans un rapport de 2009, l'Académie des sciences estimait que l'Agence avait beaucoup apporté en termes d'éthique, de transparence et d'impartialité de l'évaluation.

Autre acquis important, la compétence et l'indépendance de l'AERES sont reconnues au niveau européen. La qualité des évaluations faites en France est, pour les acteurs européens, garantie. C'est crucial pour l'attractivité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. De nombreux pays sollicitent l'AERES pour évaluer des programmes et des institutions, ou pour aider à la mise en place d'un dispositif d'évaluation.

La recherche publique, source de connaissances nouvelles, est essentielle pour l'avenir de notre société française, au sein de l'Europe. Elle prend toute sa portée si elle s'articule au mieux avec les formations relevant de l'enseignement supérieur. Or l'AERES, chargée aussi de l'évaluation des unités de recherche, des formations et des établissements qui les dispensent, a justement la possibilité d'évaluer la qualité du lien qui s'établit entre recherche et formation, notamment au niveau des écoles doctorales. La qualité de ce lien est déterminante pour l'innovation et la compétitivité. Cet atout, qu'il faut préserver, est au coeur du projet d'articulation entre l'espace européen de l'enseignement supérieur et l'espace européen de la recherche. Il est jugé très intéressant à l'étranger : il y a quinze jours, j'étais invité par l'agence italienne créée récemment sur le modèle de notre agence.

L'AERES est adaptable et attentive à son environnement. Sans faire un plaidoyer pro domo, je veux souligner que l'AERES n'a pas attendu les Assises pour écouter les critiques et y répondre. Chaque année, nous organisons un retour d'expérience et l'Agence a déjà, à plusieurs reprises, fait évoluer sa méthode pour en tenir compte. Ainsi, fin 2011, les critiques sur la notation globale des unités de recherche ou sur l'insuffisante prise en compte de la recherche finalisée nous ont conduits à supprimer la note globale et à modifier le référentiel de recherche, afin d'affiner les critères d'évaluation des activités de recherche.

Les critiques sont parfois contradictoires entre elles. Si certains n'apprécient pas la notation, fût-elle multicritères, les décideurs, en revanche, qui s'efforcent d'identifier les meilleures entités de recherche, voire de financer ces unités de recherche selon des critères de qualité, n'apprécieraient guère de ne plus disposer d'une notation qui éclaire leurs décisions. L'AERES a supprimé la note globale. Doit-elle vraiment supprimer la notation multicritères ?

De même, si certains reprochent à l'AERES de recueillir des données de nature individuelle, les décideurs, qui souhaitent financer les unités de recherche en fonction de leur activité, n'apprécieraient pas que l'Agence cesse de leur fournir des informations actualisées sur les effectifs, dès lors qu'ils ne disposent pas, en raison de la complexité du dispositif de recherche français, de la vision d'ensemble qui est la nôtre.

Les critiques exprimées dans le cadre des Assises concernent au premier chef l'évaluation des unités de recherche, laquelle est jugée trop complexe. Je rappelle cependant que l'Agence se heurte à la complexité du dispositif français de recherche : coexistence d'organismes nationaux de recherche et établissements d'enseignement supérieur et de recherche parmi lesquels universités et grandes écoles ; coexistence d'universités devenues plus autonomes avec des entités nationales d'évaluation - Conseil national des universités (CNU), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Commissions scientifiques spécialisées (CSS) - ; coexistence des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Face à cette complexité qui n'est pas de son fait, l'AERES est un facteur d'unité et de décloisonnement grâce à sa méthode homogène d'évaluation.

Il ne faut pas surestimer le poids que représente cette évaluation, à échéance de cinq ans. Cette charge est une plume par rapport à la charge administrative liée aux nombreuses tutelles de certaines unités. A côté des 956 équipes purement universitaires et des 256 unités propres à un organisme ou à une école, existent 1 503 unités de recherche dont un tiers ont plus de deux tutelles - l'une en a huit ! Rien de comparable, non plus, à la quête des financements sur projet auprès de l'ANR, de l'Europe, des régions, des grandes associations, des industriels, avec, chaque fois, des procédures annuelles propres de reporting des résultats et de suivi budgétaire. Néanmoins, afin de mieux répondre aux attentes, l'AERES va simplifier : dès janvier 2013, le dossier d'évaluation sera réduit de plus de la moitié.

L'Agence est jugée insuffisamment transparente. Son évaluation l'est pourtant beaucoup plus que ce qui avait cours auparavant. La composition des comités d'experts est publique, les rapports d'évaluation sont publics, les comptes rendus détaillés des séances du Conseil de l'AERES sont publics. Restent sûrement des marges de progrès, concernant le recrutement des délégués scientifiques de l'AERES et la signature des rapports d'évaluation, points sur lesquels l'Agence est prête à améliorer et clarifier ses procédures.

Une part importante des critiques portent sur la nécessité de clarifier les compétences en matière d'évaluation des unités de recherche. Le fait est que certains textes entretiennent l'ambiguïté. A côté de celui relatif aux compétences de l'AERES, il en demeure d'autres, relatifs à certains organismes de recherche, qui leur conservent leur compétence sur l'évaluation.

Certains acteurs réclament que l'Agence s'appuie davantage sur les instances nationales, voire délègue l'évaluation aux unités de recherche elles-mêmes, l'Agence se limitant à valider la procédure d'évaluation. Afin de renforcer la confiance des chercheurs, l'AERES est prête à évoluer sur la portée de l'évaluation, son rythme, la composition des comités d'experts, l'amélioration de l'articulation entre évaluation individuelle des chercheurs et des enseignants-chercheurs et évaluation des unités de recherche. Elle réunira dès lundi prochain un groupe de travail rassemblant les acteurs de l'évaluation, afin de dégager des propositions de rééquilibrage et de clarification. Cela répond au voeu exprimé par le Premier ministre, lors des Assises nationales, de voir formuler des propositions précises. Celles-ci doivent être respectueuses des principes posés lors des Assises, qui sont aussi ceux sur lesquels s'appuie l'AERES. Elles doivent également tenir compte de la complexité du paysage de la recherche en France, afin de ne pas ouvrir un conflit de compétence autour de l'évaluation, autant dire une guerre entre universités et organismes.

L'AERES est attachée à ce que le choix des chercheurs ou enseignants-chercheurs sollicités pour les comités d'évaluation ne repose pas sur la seule élection. Le fait est que les experts sollicités pour faire partie des comités sont souvent des élus. L'Agence ne verrait pas d'inconvénient à ce que son Conseil comporte des élus émanant de la communauté scientifique. Sans oublier les deux parlementaires qui y siègent.

Beaucoup de ces améliorations peuvent être mises en oeuvre à droit constant. Certaines réclament des ajustements législatifs ou règlementaires. Il n'est cependant pas besoin pour cela de dissoudre l'AERES pour la faire renaître, avec quelques variantes, sous un autre nom. En cinq ans, l'Agence a su trouver sa place. Elle est reconnue au niveau européen ; elle a évalué des formations et institutions à l'étranger. Ne serait-il pas dommageable de mettre en cause cette image de marque, qui est celle de notre enseignement supérieur et de notre recherche ? Le ministère des affaires étrangères, dans sa contribution aux Assises, n'a-t-il pas écrit en septembre que « l'AERES est un des vecteurs essentiels de notre compétitivité », et que, « grâce à sa dynamique d'internationalisation, elle illustre notre capacité d'expertise et renforce notre image d'excellence » ?

L'AERES fait l'objet de critiques, ce qui est normal ; elle est prête à évoluer pour mieux répondre aux attentes, et proposer des solutions de compromis lorsque ces attentes sont contradictoires.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci de cette présentation qui n'est pas seulement défensive, mais offensive et pragmatique.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Elle montre que quelques mois après les Assises, l'AERES a su se tenir à l'écoute.

Vous avez proposé des évolutions quant à la méthodologie de l'AERES ; à quoi pensez-vous ? Quelques précisions, également, sur la composition de l'Agence seraient éclairantes pour les sénateurs ici présents.

Vous avez fait état de différences d'appréciation entre chercheurs et organismes de recherche d'un côté, universités de l'autre. Le fait est que les universités ont tout à gagner à votre évaluation, dès lors que celle-ci prend appui sur l'autoévaluation et débouche sur des préconisations qui peuvent être un moteur de progrès, à l'heure où les universités doivent s'interroger sur leur gouvernance, la gestion de leur patrimoine et de leurs ressources humaines. Sachant que 10 % seulement des universités ont mis en place une comptabilité analytique, comment l'AERES peut-elle en ce domaine aider à des évolutions ?

Comment le dialogue s'instaure-t-il avec les organismes de recherche et les chercheurs qui ont pris des positions très hostiles ? Vous avez cité l'exemple d'une unité de recherche placée sous huit tutelles ; quel moyen, dans ces conditions, de disposer d'une appréciation transparente du rôle de cet organisme dans la recherche ?

Les Assises ont proposé que soient négociés des contrats de sites ; cela est-il susceptible d'alléger la pression ? Je crains une confusion chez les chercheurs entre le travail administratif qu'ils ont dû fournir ces dernières années pour emporter des appels à projets et les demandes de l'AERES : ils y voient toujours une même bureaucratie. C'est pourquoi vous avez proposé des évolutions, afin que l'évaluation soit bien conçue non seulement comme un moyen de s'assurer qu'il est fait bon usage des fonds publics, mais aussi comme un outil de progrès, en un temps où les ressources sont rares et où la recherche est requise d'innover. Il est important qu'à tous les étages existe cette volonté de s'inscrire dans une démarche de progrès.

M. Didier Houssin. - La finalité de l'AERES est triple. Avoir un effet de levier sur les entités, pour les faire progresser, tout d'abord, grâce à un travail d'autoévaluation qu'elle fait suivre d'un regard extérieur par des personnalités à la fois compétentes et indépendantes, à la suite de quoi elle formule des recommandations qui figurent dans tous ses rapports d'évaluation. L'AERES est, ensuite, un outil dont s'est doté l'État stratège pour éclairer ses décisions, et qui peut aussi jouer le même office pour d'autres financeurs. Ses évaluations exposent clairement quelle est la stratégie de recherche de l'université, ses points forts et ses points faibles. L'Agence est, enfin, un instrument d'information du public. N'oublions pas l'importance du financement sur fond public de la recherche. Qui veut savoir, par exemple, ce qu'il en est de la recherche en chimie en Rhône-Alpes le peut, grâce à l'AERES.

Comment se déroulent les évaluations ? Chaque année, notre action est liée par les contrats État-universités. L'une des cinq grandes zones qui divisent le territoire de la recherche étant retenue, nous identifions l'ensemble des unités de recherche, formations et organismes à évaluer. Nous privilégions une approche collégiale, qualitative, par les pairs. Il ne s'agit pas pour nous, bien évidemment, de se contenter d'aller rechercher des occurrences dans une base de données type Scopus ou Isi. Nous passons, de là, à l'évaluation externe de la stratégie de recherche de l'université, en nous appuyant sur les informations recueillies. Cette approche évaluative intégrée est appréciée sur la scène européenne et internationale ; elle est, pour notre pays, un atout.

Qu'en est-il du dialogue au sein de l'institution ? Le conseil d'administration est constitué de personnes proposées par les organismes de recherche, les établissements, et les instances nationales - CNRS, CNU. Il comprend également un député et un sénateur, M. Michel Berson.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La recherche est un domaine partagé entre notre commission, pour ce qui concerne la production des savoirs, et la commission de l'économie, pour l'innovation, mais la nomination du sénateur membre du conseil d'administration de l'AERES revient au Président du Sénat.

M. Didier Houssin. - Vous évoquez les contrats de site. Le fait est que les évaluations nous ont amenés à constater que les établissements nouent de plus en plus d'alliances, de partenariats, qui se formalisent dans les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur ou par des fusions d'universités. Le ministère veut donc aller vers une approche plus large de la contractualisation, pouvant lier l'État et un groupement d'universités, d'écoles ou d'organismes nationaux. Le CNRS y est très intéressé, car ce type de contrats lui permettrait de développer des stratégies de coopération à grain moins fin qu'aujourd'hui. L'évaluation devra prendre en compte ces stratégies de coopération sur site.

Mme Corinne Bouchoux. - Il est toujours intéressant de confronter le point de vue macropolitique au vécu de terrain, et c'est pourquoi j'ai interrogé sur les évolutions de l'AERES les chercheurs que je côtoyais il y a un an. Ces collègues considèrent que l'Agence voit ce que l'on peut voir en quelques jours. Ils m'ont alertée sur le fait qu'en amont de ses visites se met en place tout un marché tenu par des officines qui vendent des prestations pour y faire bonne figure. Outre que le recours à de tels services coûte cher, il déforme la réalité. Un exemple. La réforme de l'université a eu cet effet que les conseils d'administration ont cessé d'être mixtes : entre 70 % et 95 % de leurs membres sont des hommes. Quand une visite de l'Agence est annoncée, l'université fait appel à des membres du conseil de la vie étudiante et du conseil scientifique, beaucoup plus mixtes, qu'elle mêle aux membres du conseil d'administration, si bien que les acteurs que rencontre l'Agence ne sont pas les vrais représentants du conseil, loin d'être paritaire.

Deuxième remarque, il est difficile d'évaluer à l'identique des disciplines où les comparaisons ont un sens, et d'autres, en particulier en sciences humaines, qui peuvent porter sur des questions très exotiques dans lesquelles il est aisé de faire illusion.

Troisième remarque, enfin, l'évaluation devient un véritable millefeuille. Certaines années, les équipes peuvent en subir jusqu'à cinq, celle de la commission des titres d'ingénieurs (CTI), celle de l'AERES pour le volet recherche, les mises aux normes ISO 9001 décidées par certaines universités pour préparer l'évaluation de l'AERES, etc. Tout cela finit par coûter cher.

Quelles mesures pourrait prendre l'AERES pour éviter que ne se développe le marché que j'ai évoqué, avec ces Powerpoint et ces mises en scène qui nuisent à la sincérité et à la pertinence de l'évaluation et pèsent sur le budget des organismes concernés ?

M. Ambroise Dupont. - Le but de l'AERES est bien de faire progresser. Estimez-vous que l'aide de l'État et de l'AMUE (Agence de mutualisation des universités et établissements) dans la mise au point d'outils d'audit et de gestion est suffisante ? Comment expliquez-vous que seulement 10 % des universités mettent en oeuvre une comptabilité analytique ? Que peut-on faire ? Les universités ont-elles les moyens de connaître leur parc immobilier, d'évaluer leurs besoins de rénovation, de reconstruction, de mise aux normes, pour éclairer leur choix quant à la reprise de propriété ? Comment peuvent-elles obtenir ces informations ? Leur faut-il en passer par des prestataires extérieurs ?

Comment rendre l'évaluation des enseignants-chercheurs plus pertinente, pour remédier aux problèmes rencontrés ? Les évaluations individuelles doivent-elles relever de la seule compétence du Conseil national des universités (CNU) ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Manque de clarté, de légitimité, d'indépendance, caractère chronophage des évaluations : vous avez rappelé les critiques adressées à l'AERES.

Nul ne nie la nécessité de l'évaluation, qui répond à une exigence de contrôle de l'utilisation des fonds publics, mais quelle doit être, au-delà, sa visée ? Si elle ne doit servir qu'à piloter les moyens, sans que ses résultats aient d'incidence sur les formations, cela pose, à mon sens, problème. Or la mise en place d'une logique de crédits sur projets ne me semble guère de bon augure. Quel est votre sentiment ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mettez-vous en oeuvre l'amendement sénatorial à la loi Goulard, qui fait entrer le partage de la culture scientifique dans l'évaluation ? Les efforts des laboratoires pour faire connaître les objets de leur recherche sont-ils appréciés par l'AERES ?

La dernière loi sur la recherche a réaffirmé le caractère central de la mission d'expertise dans la recherche. Contrôlez-vous les conflits d'intérêt, la bonne tenue des registres relatifs aux liens d'intérêt des chercheurs qui se livrent à l'expertise ?

L'évaluation met de fait les laboratoires en compétition. Disposez-vous, en contrepoids, d'outils valorisant leur coopération ?

M. Didier Houssin. - J'ignorais, madame Bouchoux, le rôle des officines privées dont vous dénoncez l'influence. Ce n'est pas ainsi que l'on procède sainement à une autoévaluation, même si je sais bien qu'il n'est pas facile de reconnaître ses points faibles. Je ferai passer le message pour que les méthodes de l'AERES n'aient pas pour effet d'encourager ces pratiques, contraires à l'esprit de l'autoévaluation.

Puisque vous avez évoqué la parité, je puis vous dire que le conseil de l'AERES est strictement paritaire.

Sur l'évaluation des disciplines, je veux lever un malentendu. Il est vrai que nous nous appuyons sur un référentiel d'évaluation des unités de recherche, mais il est suffisamment générique pour croiser l'ensemble des disciplines. Cela étant, on ne va pas évaluer de la même façon l'histoire médiévale et la physique nucléaire. Dans certaines disciplines, c'est la publication d'articles en revues qui compte, dans d'autres, comme l'économie, c'est la participation aux grandes conférences internationales ; en archéologie, ce sont les rapports de fouille, en histoire de l'art, ce peut être la publication de catalogues d'exposition. Nous ne visons pas l'homogénéité. En revanche, il est des critères communs, comme la production scientifique, la formation à la recherche, le rayonnement académique, l'attractivité pour les chercheurs étrangers, qui transcendent toutes les disciplines.

L'évaluation devient un millefeuille, dites-vous ? Puisque vous avez soulevé la question de la CTI, je puis vous dire que nous avons passé l'an dernier convention avec elle et nous nous organisons pour travailler plus étroitement ensemble, notamment en calant nos calendriers d'évaluation et en prévoyant de coopérer à l'international pour les évaluations demandées par des pays tiers.

L'AERES, monsieur Dupont, porte un regard sur la qualité des dispositifs d'aide. Dans notre rapport 2011, nous constatons que les établissements remarqués pour la qualité de leur pilotage le sont rarement pour avoir su mobiliser des systèmes d'information dotés des outils indispensables à un pilotage à responsabilité élargie. Signe que des progrès restent à faire. Il faudra certes renforcer la comptabilité analytique, mais nous avons constaté que des universités qui s'en sont dotées depuis plus de dix ans peinent encore à répartir leurs dépenses. Il ne suffit pas de se doter de l'outil, encore faut-il savoir s'en servir.

En ce qui concerne le parc immobilier, la situation s'est améliorée. La qualité du système d'information est essentielle. Bien que les situations soient variables, la vision est désormais plus claire, à la différence de ce qui prévaut pour les ressources humaines.

Pour l'évaluation des chercheurs et des enseignants-chercheurs, la loi nous a confié mission de valider les procédures d'évaluation. Nous avons peu progressé, car nous nous sommes heurtés à l'opposition du CNU. Mais on ne peut en rester là, et c'est pourquoi nous avons lancé, en septembre 2011, une enquête pour que l'on nous fasse parvenir les procédures utilisées dans les universités et les organismes de recherche. La trentaine de réponses que nous avons reçues montrent que ces procédures restent très inégales et très incomplètes. Sur la définition des finalités, le contexte déontologique, l'organisation, les critères d'évaluation, il reste bien des progrès à faire. Les organismes de recherche sont plus avancés que les universités : autonomie et rôle du CNU y coexistent mal, ce qui rend les choses complexes. On doit pouvoir s'entendre sur un guide partagé pour améliorer les procédures.

La finalité de l'évaluation, madame Gonthier-Maurin ? Il est vrai qu'il y a ambivalence. Si notre mission première est de cibler les programmes, il n'en reste pas moins que notre travail doit aussi éclairer les pouvoirs publics sur les décisions à prendre. Les chercheurs estiment que la notation multicritères ne leur est en rien une aide. Mais si elle n'existait pas, comment se prendraient les décisions de financement ? C'est au fond d'un bureau que se ferait une notation sauvage demandée par les potentiels financeurs. Mieux vaut une notation par un organisme indépendant.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour vos propos, qui nous ont bien éclairés.

Loi de finances rectificative pour 2012 - Information de la commission

M. David Assouline. - Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 10 heures 55, reprend à 11 heures 05.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le groupe majoritaire ne souhaitant pas, en définitive, que la commission nomme un rapporteur pour avis sur le collectif, il n'y aura pas d'avis soumis au vote de la commission...

M. Jacques Legendre. - Vous parlez de groupe majoritaire, mais c'est une minorité de commissaires qui est sortie, pendant que les membres des autres groupes attendaient, d'où le départ de certains de nos collègues. Cette situation est un peu bizarre.

M. Jacques-Bernard Magner. - Ce n'est pas la première suspension de séance dans cette commission !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Ce n'est pas grave ! Je ne présente pas un rapport pour avis, mais une information de la commission sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, qui intéresse notre commission à plusieurs titres.

Nous pouvons nous réjouir de la prise en compte de l'impact économique et culturel de la production cinématographique et audiovisuelle dans le pacte de compétitivité. Une adaptation du cadre fiscal était nécessaire pour renforcer l'attractivité de la France, comme l'avait demandé notre commission.

Deux articles additionnels améliorent les crédits d'impôt et favorisent le tournage de productions d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles sur notre territoire. Ces dernières années, d'autres pays européens - comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou la Belgique - ont mis en place des dispositifs fiscaux plus avantageux. L'article 16 quater porte le plafond du crédit d'impôt national, d'un à quatre millions d'euros, ce qui le rapproche de mécanismes étrangers similaires. Seront désormais prises en compte : les rémunérations versées aux figurants, au titre des dépenses artistiques ; les dépenses de transport, de restauration et d'hébergement dues à la production de l'oeuvre sur le territoire français, pour harmoniser l'assiette avec celle du crédit d'impôt international. Les dépenses d'hébergement seront éligibles dans la limite d'un montant par nuitée qui sera fixé par décret. Le crédit d'impôt audiovisuel est ouvert aux fictions produites dans le cadre de coproductions internationales d'envergure ; les images d'archives sont éligibles pour les documentaires ; les plafonds sont revalorisés pour les autres oeuvres.

L'article 16 quinquies concerne le crédit d'impôt cinéma et audiovisuel international. Film France évalue à 2 milliards d'euros les dépenses réalisées pour raison fiscale en Europe au titre des tournages, qui résultent pour l'essentiel d'investissements américains. La France n'en capte que 3 % à 5 %, contre 50 % pour le Royaume-Uni ; l'objectif est d'augmenter significativement cette proportion. Cet article porte le plafond de ce crédit d'impôt de quatre à dix millions d'euros ; il abaisse le seuil minimal de dépenses éligibles à réaliser en France, qui passe d'un million à 500 000 euros, afin de bénéficier à des productions plus petites et indépendantes ; il prend désormais en compte les dépenses d'hébergement.

Ce sont de bonnes nouvelles pour tous les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel. Je m'en réjouis pour nos industries techniques, fragilisées. Les retombées seront très positives sur la création d'emplois indirects et les finances publiques, puisque les recettes liées à la localisation des productions seront très supérieures au coût des dispositifs fiscaux. Le caractère vertueux de ces derniers a été reconnu par l'inspection générale des finances : un euro de crédit d'impôt cinéma induirait 11,30 euros de dépenses dans la filière et 3,60 euros de recettes fiscales et sociales. Un euro de crédit d'impôt audiovisuel entraînerait 13,80 euros de dépenses dans la filière et 4,80 euros de recettes publiques.

L'article 24 quater, issu d'un amendement du Gouvernement, refond les taux de TVA fixés, au 1er janvier 2014, à 5, 10 et 20 %. Le livre et le spectacle vivant bénéficieront du nouveau taux de 5 %, ce dont je me réjouis. En revanche, le Gouvernement a donné un avis défavorable aux sous-amendements visant à appliquer le taux réduit de 5 % à d'autres biens et services culturels (droits d'auteur, cinéma, expositions, abonnements audiovisuels). Il souhaite mesurer préalablement l'impact financier et économique de toute nouvelle baisse de TVA.

Je ne vous cache pas ma déception devant ce traitement différencié des divers secteurs culturels. Le Gouvernement a annoncé une concertation en 2013. Nous serons très vigilants, afin que l'exception culturelle soit bien prise en compte dans toutes ses facettes. L'harmonisation du taux de TVA de l'ensemble des secteurs de la culture serait un atout dans notre dialogue avec l'Union européenne. Distinguer le cinéma par un fort taux de TVA le renverrait davantage vers l'industrie que vers la culture, ce qui affaiblirait notre position sur l'exception culturelle.

Le relèvement du taux normal de TVA à 20 % aggrave l'effet négatif de la distorsion de taux avec la presse papier pour le marché de la presse en ligne, qui ne bénéficie toujours pas du taux super-réduit de 2,1 %. Le rapporteur David Assouline avait relevé ce non-sens économique et philosophique et déposé un amendement, ainsi que le groupe CRC et Mme Morin-Dessailly. Souvenez-vous, il y a un an, nous en fîmes un amendement de la commission...

M. Jacques Legendre. - Absolument !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - L'article 27 bis reporte d'un an la date limite de mise en oeuvre de la réforme du volet « distributeurs » de la taxe sur les services de télévision, affectée au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

L'article 20 de la loi de finances rectificative de l'an dernier était destiné à contourner les pratiques d'optimisation fiscale de certains opérateurs de télécommunications. Cette mesure devant faire l'objet d'une autorisation préalable de la commission européenne, son entrée en vigueur avait été renvoyée par décret au 1er janvier 2013. Les discussions n'ayant pas encore abouti, il est peu probable que cette autorisation intervienne avant le 1er janvier 2013. Il est donc prévu que la date d'entrée en vigueur, toujours fixée par décret, ne pourra être postérieure au 1er janvier 2014. Ce report technique n'interdit pas qu'une mesure soit votée avant fin 2013.

L'Assemblée nationale a adopté un article 24 bis créant, par amendement gouvernemental, un très large crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Parmi ses finalités figurent la recherche, l'innovation, la formation. Nous nous réjouissons de ces buts louables, mais la conditionnalité est faible et la taille des entreprises bénéficiaires ne fait l'objet d'aucun choix. Ce crédit d'impôt est destiné à améliorer la compétitivité des entreprises, par des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés et de reconstitution de leur fonds de roulement. Comme les PME, les entreprises innovantes pourront en demander le paiement immédiat. Nous avions déposé un amendement afin de rendre éligibles les entreprises de jeux vidéo - nous en avons beaucoup de qualité dans ce domaine, qui ont tendance à partir pour le Canada et ailleurs... Elles doivent pouvoir y accéder.

Depuis les jeux de Vancouver, les primes des médaillés olympiques étaient intégrées dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Certaines prestations comme l'allocation aux adultes handicapés ou la prestation de compensation du handicap, versées sous conditions de revenus, pourraient, en conséquence, ne pas être versées à certains médaillés paralympiques ! L'article 36 du projet de loi exclut les primes paralympiques des revenus pris en compte dans le cadre de l'attribution de ces prestations.

A défaut de rapport pour avis, j'espère avoir éclairé votre jugement sur ce projet de loi.

M. David Assouline. - Je salue votre propos. Donner un avis suppose, au préalable, d'être informé, ce qui n'était pas le cas avant ce matin, raison pour laquelle nous avons demandé que la saisine de la commission, qui n'est pas obligatoire, n'ait pas lieu, les délais d'examen de ce texte ne nous ayant pas permis de disposer de l'information indispensable pour formuler un avis sérieux. L'information que vous venez de donner nous éclaire un peu plus sur les aspects de ce texte qui concernent la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous pourrions appliquer cette règle désormais : chaque rapporteur serait tenu de communiquer toutes les informations avec beaucoup d'avance !

M. Jacques Legendre. - Vous aviez raison de souhaiter que notre commission rende un avis sur des sujets qui la concernent. Il me paraît difficile d'y renoncer lors de la discussion en séance publique de ce texte. Le contenu de cet avis doit être débattu avec le rapporteur, bien sûr. Mais je n'ai rien entendu qui puisse provoquer la moindre crispation. Je regrette que l'avis de la commission ne soit pas exprimé en séance publique, au nom de nous tous...

M. David Assouline. - Ce ne sera pas le cas !

M. Jacques Legendre. - L'avis qui vient d'être lu et qui figurera dans le compte rendu de notre séance, est-il celui de la commission ou de sa présidente ? Il serait bon de le préciser. En tout cas, il me paraît intéressant qu'il soit porté à la connaissance de l'ensemble des membres du Sénat, au nom de notre commission.

N'y voyez aucune malice de ma part, d'autant que nous avions déjà accepté ici, sur des textes semblables, de rendre des avis qui ne correspondaient pas nécessairement à celui des groupes ou du gouvernement de l'époque. Il serait logique de persévérer. Notre commission serait dans son droit.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je n'y vois pas malice, vous êtes tout à fait dans votre rôle ! Je salue votre déclaration, d'autant que lors de la dernière réunion de la commission, nous avions décidé de nous saisir pour avis. Il n'y a donc pas de coup d'État !

Mme Françoise Cartron. - Ne polémiquons pas !

M. David Assouline. - Malice ou pas, ne poussons pas plus loin ! Nous ne nous souvenons pas qu'une telle information ait été donnée lors d'une de nos réunions. Il eût été normal de statuer d'abord sur notre saisine, avant de désigner un rapporteur et d'adopter un avis. Nous demandons qu'il n'y ait pas de saisine pour avis. Le propos de la présidente n'est pas un rapport pour avis, mais une information. Je sais que nous sommes sur la même ligne, en dépit des nuances introduites par M. Legendre...

M. Jacques Legendre. - J'ai juste posé quelques questions...

M. David Assouline. - Ne nous amenez pas sur le terrain de l'éventuelle exemplarité de la commission dans le passé, vous nous obligeriez à dresser la liste de ce qui n'allait pas, ce que nous ne ferons pas !

M. Jacques-Bernard Magner. - A l'UMP, on veut voter tout le temps !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - N'entrez pas dans le dialogue que je poursuis depuis 1992 avec M. Legendre !