Mercredi 10 juillet 2013

- Présidence de M. Raymond Vall, président, et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -

Audition de Mme Anne Lauvergeon, présidente de la commission « Innovation 2030 »

La commission entend, en commun avec la commission des affaires économiques, Mme Anne Lauvergeon, présidente de la commission « Innovation 2030 ».

M. Raymond Vall, président. - La commission « Innovation 2030 » a été mise en place par le président de la République le 19 avril dernier. Elle est composée de vingt personnalités reconnues pour leurs compétences - industriels, scientifiques, économistes, chercheurs - qui, sous votre présidence, ont été chargées « de proposer, d'ici à l'été, les secteurs et les technologies où la France est susceptible d'occuper des positions de leader à l'horizon 2030 ». L'idée est de faire émerger les champions de demain dans des domaines utiles à la société et prometteurs en termes d'emplois.

A quelques semaines de votre échéance, nous serions très heureux de savoir où vous en êtes et comment vous avez procédé pour identifier les secteurs les plus prometteurs pour les vingt années qui viennent.

A la commission du développement durable, nous avons la faiblesse de penser qu'un immense champ d'avenir existe dans ce domaine du développement durable, que ce soit au titre des énergies renouvelables (marines, biomasse, géothermie, etc.) que du recyclage des déchets, d'une utilisation optimisée des ressources naturelles, d'une plus grande efficacité énergétique, etc.

Malheureusement, notre pays traverse une période où la confiance manque. Or, c'est essentiel.

Mme Anne Lauvergeon. - Ce que je souhaiterais faire ce matin, c'est avant tout vous écouter et recueillir vos suggestions. Lorsqu'on entend « Innovation 2030 », on retient l'année 2030. Contrairement à ce que nombre de personnes pensent, 2030, c'est un horizon de dix-sept ans et non de trente ! À l'échelle industrielle, c'est une échéance à la fois proche et lointaine. Il y a dix-sept ans, nous étions en 1996. Depuis, il n'y a pas eu de modification gigantesque des processus industriels, mais nous avons eu une révolution numérique, une évolution sensible dans le domaine des télécommunications et des systèmes d'information. Notre interrogation est donc la suivante : comment faire pour que nous ayons en 2030 une France qui ne passe pas à côté des grandes innovations, y compris de rupture ?

La commission s'est placée dans une logique d'anticipation. Une telle démarche avait déjà été mise en oeuvre par le passé, lorsqu'au début des années 1970, il a été décidé d'élever des champions français dans six secteurs : le spatial, l'aéronautique, le TGV, les télécommunications, le nucléaire et le Plan Calcul. Un seul de ces secteurs sur six a échoué ; le taux de réussite a été fantastique, puisque nous avons des numéros un ou deux mondiaux dans ces domaines. En remontant plus loin dans le passé, la création d'EDF et de Total compte également parmi nos succès.

Nous avons été mandatés le 8 avril dernier pour créer cette commission, composée de vingt personnes. J'ai eu carte blanche pour choisir au moins 80% d'entre eux, que j'ai souhaité d'horizons, de points de vue et d'expériences très différents : on y compte le philosophe Michel Serres, des personnes issues du marketing, des innovateurs, des industriels, des économistes...

La commission a pour mission de faire des choix. L'État a aujourd'hui plus de difficultés à les faire, compte tenu des demandes nombreuses et contradictoires auquel il est confronté. Or, il n'est pas possible de tout faire en même temps.

La seconde question que nous nous sommes posée est la suivante : comment faire pour que l'État ait une politique de long terme, pour éviter le « zapping » ? Les grandes réussites ne peuvent se réaliser que sur un temps long.

Nous nous sommes enfin demandé, en troisième lieu, quelle méthode utiliser pour que l'action de l'État, des collectivités territoriales et du privé puisse se concentrer sur un nombre délimité de sujets.

Notre travail d'anticipation porte sur les besoins de la France, mais aussi du reste du monde, en 2030. Nous avons souhaité nous appuyer sur ses atouts actuels : pour devenir un excellent danseur, il faut en effet avoir une bonne formation de base.

Nous avons travaillé dans des délais très contraints. Nous devions initialement rendre notre rapport avant le 14 juillet, mais nous avons finalement obtenu la possibilité de présenter notre premier rapport le 9 septembre. L'ampleur et l'importance du sujet justifient qu'on y passe du temps. Cet exercice a déjà été réalisé dans d'autres pays, comme les États-Unis, la Corée ou la Chine. Aux États-Unis, un appel d'offres mondial a été lancé pour recruter quatre innovateurs qui travaillent actuellement à la Maison Blanche. Le comité JASON travaille de façon permanente à ces questions. Faudrait-il que notre commission devienne permanente ? La question se pose, puisqu'on nous a demandé un travail de long terme.

Nous avons organisé de nombreuses auditions, que nous poursuivons encore. Les personnalités entendues sont très diverses : il s'agit de prospectivistes, de patrons de PME, de grands groupes, d'organismes de recherche... Ces auditions ont été mises en ligne pour partie. Chaque audition s'est en effet déroulée de la façon suivante : après l'exposé de la personne auditionnée et une première partie de questions-réponses enregistrée, un autre exercice de questions-réponses a été effectué hors enregistrement. L'expérience a en effet montré que les personnes souhaitaient parfois exposer certains points dans ce cadre. Comme nous ne pouvions pas entendre tout le monde, nous avons aussi recueilli des contributions écrites. Nous avons eu beaucoup de retours.

Nous avons été ouverts à des regards étrangers, en auditionnant des personnes ayant eu des parcours à l'international, et en demandant aux ambassadeurs de dresser un état des lieux de ce que les autres pays font en matière stratégique dans le monde.

Puisque nous en sommes encore à une étape intermédiaire, mon exposé ne peut porter sur le futur rapport. Je peux toutefois vous dire qu'il contiendra des ambitions clairement identifiées, pour que notre pays puisse miser sur des secteurs créateurs d'emploi, d'export, avec aussi une dimension géopolitique. Il nous a été demandé de retenir cinq ou six secteurs au maximum. Tous les secteurs n'y seront pas, et la commission ne pourra répondre à l'ensemble des besoins.

La concurrence en matière d'innovation est aujourd'hui exacerbée : il ne suffit pas d'être bon, il faut être le meilleur et le plus tôt possible sur le marché. Le time-to-market est parfois plus important que l'excellence du produit. Il est impossible d'être meilleur en tout, mais rien n'empêche la France de voir naître l'Apple de demain. Nous devons retrouver confiance en notre potentiel, en notre audace. La France a vu émerger le coeur artificiel Carmat et les projets de robots Aldebaran. Les grands groupes sont à l'origine d'un grand nombre d'innovations dont le potentiel est réel. Nous devons envoyer un message fort, afin que toutes les personnes qui souhaitent innover puissent le faire en France et qu'elles soient convaincues qu'il n'est pas nécessaire de quitter le pays pour réussir. Il s'agit de créer un écosystème favorable à l'innovation.

Il y aura nécessairement des déceptions, des désaccords, des oppositions à l'idée d'un État stratège qui investit de manière ciblée et forte. Il faut savoir prendre des risques. La situation est grave : la France est le troisième pays de l'Europe des vingt-sept en partant de la fin en termes de valeur ajoutée de l'industrie par rapport au PIB brut. Il y a donc un travail collectif substantiel à réaliser. 150 millions d'euros nous ont été attribués. Ils ne doivent pas être une limite ; il s'agit de réaliser des choix stratégiques qui doivent insuffler l'action publique bien au-delà. La situation budgétaire contrainte nous conduit à concentrer les efforts.

Notre pays a un certain nombre d'atouts : l'excellence scientifique française n'est plus à démontrer, les ingénieurs français sont très recherchés dans le monde. Mais il manque la confiance et l'envie.

Soutenir l'innovation seule ne suffit pas. C'est un tout qu'il faut construire. Nous formulerons donc des propositions pour la création d'un écosystème favorable à l'innovation, avec des propositions à la fois thématiques et généralistes. La problématique réglementaire doit aussi être prise en compte. Dans les années 1970, le système réglementaire était construit en parallèle du monde industriel, de façon à le soutenir, alors qu'aujourd'hui, ces deux domaines sont très peu connectés. Toutes les auditions ont mis à jour le poids des contraintes sur l'économie, et, ce qui est encore plus grave, sur l'innovation. Par définition, cette dernière n'est pas prévue ; elle se heurte donc aux règles en place.

Nous avons beaucoup à apprendre de ce qui a été réalisé ailleurs, en analysant les grands plans stratégiques des autres pays. Ces derniers sont publiés, ce qui est assez étonnant. On n'y prête pas assez attention. Il y a là une dimension géostratégique. Comment allons-nous jouer ce jeu et comment les autres le feront-ils ?

Dans les choix que nous allons faire, nous n'allons pas nous restreindre à des technologies. Les innovations d'usage sont aussi très importantes. D'après les prospectivistes, l'enjeu de 2030 sera de consommer mieux, peut-être de consommer moins. Tout n'est pas technologique. L'iPhone est un objet technologique, mais c'est aussi un bel objet qui révolutionne le rapport entre la personne et le téléphone et l'usage qui en est fait.

Le deuxième élément important est de trouver le bon degré de pixel. La santé, par exemple, va être un sujet d'importance croissante. L'allongement de la durée de vie est un élément clé. Nous ne pouvons toutefois rester dans un tel degré de généralité. A l'inverse, il ne faut pas être trop précis et se limiter, par exemple, à la médecine régénérative qui fait pourtant des prouesses.

Notre commission travaille de façon collégiale. Une véritable convergence apparaît sur un certain nombre de sujets, avec des orientations de plus en plus claires. Mais je suis ici pour écouter vos suggestions et vos propositions.

M. Daniel Raoul, président de la commission des Affaires économiques. - La création de cette commission dénote la volonté d'un État stratège capable de prospective et de prise de décisions dans le domaine de l'innovation. Il n'en reste pas moins que dans les quinze ou vingt années à venir, l'enjeu principal sera en premier lieu de nourrir l'humanité, et en second lieu le domaine des biotechnologies, qui inclut la santé mais est un concept plus large. L'hybridation entre la biologie moléculaire et le traitement du signal est porteuse d'avenir : j'ai vu une rate dont la colonne vertébrale avait été coupée qui a pu marcher à nouveau grâce à des nanoconnexions. A l'égard du vieillissement de notre population, il y a des progrès énormes à réaliser.

Sans m'attendre à ce que vous nous exposiez la substance du rapport, je m'interroge sur la grille de critères que vous avez retenue pour sélectionner les cinq ou six domaines à cibler.

Vous disposez de 150 millions d'euros. Quelle articulation est prévue avec le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, ce que nous appelions auparavant « le plan », ainsi qu'avec le Commissariat général à l'investissement ?

Mme Odette Herviaux. - Vous voulez promouvoir tout ce qui est lié aux transports, à l'ouverture au monde ayant un rôle stratégique et je soutiens le développement des transports maritimes. Il faut une prise de conscience des atouts de la France, s'agissant du domaine maritime et il faut mobiliser les savoirs faire des marins et des armateurs. En matière de transport maritime, nous ne sommes absolument pas compétitifs dans certains segments comme les vraquiers, mais plus dans d'autres, comme par exemple les câbliers, qui ont partie lié également avec les énergies renouvelables. Le domaine maritime recèle un vaste potentiel, c'est un secteur porteur où il y a matière à beaucoup d'innovations.

M. Rémy Pointereau. - L'énergie constitue un troisième enjeu essentiel pour restaurer la compétitivité française, ce qui inclut la recherche de nouveaux gisements en matière d'énergie fossile ou sur les gaz de schiste ou encore la recherche pour stocker l'énergie de manière fiable. Il convient également d'éviter le « zapping » en matière de fiscalité de l'énergie car les investissements doivent se faire dans la durée et éviter ainsi les revirements qui se sont produits dans le photovoltaïque.

M. Charles Revet. - L'horizon 2030 signifie que cet effort de réflexion et de prospective porte sur demain. Mais quel est votre périmètre de réflexion ? Vous concentrez-vous uniquement sur les technologies ou prenez-vous également en compte les aspects organisationnels qui en découlent ?

Face à l'émergence des BRIC (Brésil, Russie, Inde Chine) et à la puissance des États-Unis, la France n'a pas une dimension financière suffisante et on le voit en matière de défense. Pensez-vous que l'Europe dans certains domaines permette de mieux coordonner les efforts ? Enfin, en 2050, l'Afrique devrait atteindre deux milliards d'habitants, ce qui représente un marché et un potentiel de développement considérables. Je trouve très regrettable que la France s'en désintéresse, voire même soit en recul alors qu'elle pourrait y trouver des relais de croissance très importants.

M. Michel Teston. - La France a des champions européens - voire mondiaux - dans le nucléaire, l'énergie, les transports, la pharmacie et il s'agit de conforter ces secteurs. Mais la difficulté principale réside dans la faible taille de nos PME ce qui empêche d'avoir une politique de recherche et développement suffisante leur permettant, par exemple, de développer leurs exportations. Les 150 millions d'euros provenant du Programme d'investissements d'avenir et géré par la Banque publique d'investissement (BPI) permettront-ils de flécher des soutiens financiers efficaces dans un secteur aussi éclaté ? Il me paraît essentiel de veiller à une meilleure complémentarité entre le financement de la politique publique d'innovation et les apports du secteur privé, tant financier qu'industriel.

M. Robert Navarro. - J'ai confiance dans vos compétences pour dégager les secteurs économiques porteurs à l'horizon 2030 mais je considère que, sur le plan financier, le compte n'y est pas. Les financements engagés ne sont pas suffisants et auraient dû être mieux corrélés avec les choix effectués au niveau européen. Le choix des secteurs est primordial et il faut se garder des voies sans issue. Il ne s'agit pas de faire de la recherche pour le plaisir de la recherche mais d'identifier les voies et moyens de produire de la richesse et développer les emplois de demain. Enfin, attention à ne pas aider de grands groupes à se structurer, qui vont ensuite se délocaliser, réaliser des profits colossaux et détruire des emplois dans nos territoires après avoir récupéré des fonds publics.

M. Marcel Deneux. - Sur le long terme, les deux enjeux essentiels seront de nourrir le monde et lutter contre l'accroissement des gaz à effet de serre. Le problème majeur pour y répondre porte sur la formation et cela commence dès l'école primaire qu'il faut réformer pour répondre à ces enjeux. Il faut également revisiter notre système universitaire qui est mal classé au niveau mondial.

Sur un aspect sectoriel, mais qui apparaît primordial, je vous indique que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé hier de réaliser un rapport intitulé « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'efficacité énergétique des bâtiments » ; notre préoccupation rejoint donc largement la vôtre.

M. Hervé Maurey. - Il est essentiel de restaurer le rôle d'un État stratège capable d'identifier des « locomotives » en matière de développement économique. Je regrette qu'il n'en soit pas ainsi dans le domaine du numérique, dans lequel l'industrie de la fibre optique n'est pas assez soutenue et risque de disparaître. La situation industrielle française est très préoccupante car en dehors du secteur aéronautique nous sommes plutôt en recul, même dans des domaines où nous étions bien représentés.

Que faut-il faire pour que votre rapport ne soit pas un rapport de plus mais produise tous ses effets ? Vous avez-vous-même identifié des obstacles juridiques et financiers majeurs au développement de l'industrie et de l'innovation, mais comment faire pour les lever dans un contexte budgétaire et fiscal très contraint du fait de la crise ? Plus grave encore, il s'agit de restaurer un climat de confiance dans notre capacité à innover et produire car, de plus en plus aujourd'hui, un jeune pense que pour réussir il faut partir. Et je ne crois pas que les réponses proposées aujourd'hui par le gouvernement apportent les bonnes solutions.

M. Roland Courteau. - Je reprends la question d'Hervé Maurey. Comment ferez-vous pour que ce rapport ne soit pas sans suite ?

Je voudrais également revenir sur un autre domaine, celui de l'aviation civile, où nous sommes déjà leaders. Il faudrait le rester, d'autant que ce secteur génère environ 330 000 emplois directs et un million d'emplois indirects. Il s'agit là du résultat d'une politique de long terme.

Or nous savons qu'à horizon 2030, le nombre de passagers dans le monde va doubler pour atteindre environ 5,7 milliards par an. Nous savons aussi que les avions devront être plus économes en carburant et émettre moins de gaz à effet de serre. Des ruptures technologiques ont déjà eu lieu avec la fibre carbone, quand on sait qu'alléger l'avion d'une tonne permet d'économiser 6 000 tonnes de carburant sur l'ensemble de son cycle de vie. Il faut s'attendre à d'autres importantes ruptures technologiques, sur l'architecture des avions, sur les moteurs, et également sur les biokérosènes de troisième génération où l'on n'avance pas très vite pour le moment. La courbe de progrès semble asymptotique.

Je signale que les Américains et les Chinois investissent massivement en matière de recherche. En ce qui concerne la France, je constate que depuis 2011, le budget consacré à l'ONERA, qui fait le lien entre la recherche académique et le développement technologique, est passé de 140 à 60 millions d'euros. Je pourrais également évoquer le problème du financement du CORAC qui travaille sur les nouvelles configurations d'aéronefs et sur les ruptures technologiques. Dans ce secteur, où nous sommes leaders actuellement, il ne faudrait pas que le recul des crédits destinés à la recherche conduise à nous reléguer au bas du classement.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Votre mission a pour vocation d' « être utile à la société tout en générant des emplois », comme vous l'avez rappelé. En même temps, l'État stratège ne peut pas faire l'impasse sur ses responsabilités. Par conséquent, quelle sera l'articulation entre le travail de votre commission et les ministères concernés, notamment ceux du redressement productif et de la recherche ? Il ne faudrait pas que le fruit de vos travaux reste lettre morte, sans être suivi d'applications pratiques.

Sur le plan de la stratégie industrielle, je n'arrive pas à me satisfaire du désengagement de l'État dans les secteurs clés. En disant cela, je fais directement référence à la perte d'actifs de l'État en ce qui concerne EADS.

Mais je souhaiterais aujourd'hui surtout vous interroger sur le cas de Sanofi. Ce fleuron de l'industrie pharmaceutique figure dans le peloton de tête du CAC 40 et dégage entre 5 et 8 milliards d'euros de bénéfice par an en moyenne. Le groupe est actuellement en pleine mutation, et délaisse progressivement les blockbusters pour se diriger vers des médicaments d'avenir plus personnalisés. Pour autant, il reste quand même de nombreux marchés pour les anciens médicaments, dans les pays émergents comme en France, notamment pour les pathologies infectieuses qui ne sont pas encore maîtrisées. On est au coeur ce de que vous évoquiez, « être utile à la société tout en générant de l'emploi ».

Or sous prétexte de se tourner vers l'avenir, on assiste aujourd'hui à la tentation de diminuer le soutien à la R&D dans ces secteurs. Adopter une vision trop restrictive et faire l'impasse sur cette industrie serait à mon sens une faute énorme.

M. Yannick Vaugrenard. - Finalement 2030, ce n'est pas après-demain, c'est demain. L'idéologie dominante selon laquelle le marché allait tout réguler a vécu. Aujourd'hui, je constate que la nécessité d'un État stratège fait l'unanimité, toutes sensibilités politiques confondues.

Les moyens de communication individuels se sont formidablement développés. Comme le montre Michel Serres dans son récent ouvrage « Petite poucette », la capacité à détenir, à tout moment et en tout lieu, toutes les informations désirables révolutionne profondément le domaine de la formation et de l'enseignement. Peut-on anticiper d'autres évolutions similaires en matière de communication dans les dix ou quinze ans ?

Je souhaiterais également souligner l'importance du développement de l'énergie hydrolienne. Sa spécificité repose sur le fait que, contrairement au vent, l'énergie des courants est permanente. Au regard de la situation géographique de notre pays, ne faudrait-il pas investir de façon importante dans ce domaine ?

M. Jean-Jacques Filleul. - J'ai le sentiment qu'il y a une vraie volonté de rupture de la part du Gouvernement. Il faut que la France retrouve un destin industriel.

Il y a chaque jour des PME qui sont freinées dans leur production, dans leur innovation et dans leur développement par les contraintes administratives. On ne s'imagine pas tout le mal qui est fait aux entreprises. Comment allez-vous explorer ce dossier ? Ce n'est pas une filière globale, mais c'est la filière du quotidien, celle qui permet de dégager des forces nouvelles.

Je voudrais également ajouter quelques mots sur Sanofi. J'ai travaillé 28 ans dans un laboratoire pharmaceutique, chez Pfizer. Ils avaient à l'époque des laboratoires dans le monde entier, aujourd'hui il n'en reste presque plus. Leur nouvelle stratégie consiste à racheter des start-ups innovantes, pour les transformer en blockbuster sur le marché mondial. J'ai bien peur que Sanofi ne suive le même chemin, et ne ferme les uns après les autres ses laboratoires innovants et générateurs d'emplois.

M. Ronan Dantec. - Je suis d'accord avec mes collègues. Il y a bien un paradoxe français. Nous sommes restés très colbertistes et en même temps on ne développe plus de stratégie industrielle. J'ai deux interrogations par rapport à votre travail.

La première rejoint celle de mes collègues Charles Revet et Robert Navarro. On ne peut pas s'en tenir à des réflexions franco-françaises : il faut une structuration et un pilotage européen des filières. Culturellement, nous ne sommes pas habitués à faire cela, et l'on met traditionnellement davantage d'énergie à défendre nos anciens secteurs, pourtant marginalisés à l'échelle européenne ou mondiale. Pourriez-vous nous exposer une vision de l'intégration européenne et de la gouvernance européenne des grandes filières, dont l'aéronautique est l'archétype ?

Mon second point n'est pas sans lien avec le précédent. Est-ce que l'on est vraiment disposé à affronter les conservatismes français ? En termes industriels et économiques, ils sont d'ailleurs relativement partagés entre les différentes formations de l'échiquier politique. Nous considérons que certains secteurs sont de pointe, alors qu'en réalité ils sont plutôt marginalisés à l'échelle européenne. Je veux bien sûr parler du nucléaire, qui est une industrie d'appoint en Europe. Seulement 16 milliards d'euros d'investissements sont prévus dans le nucléaire à l'échelle européenne pour les dix prochaines années, contre 250 milliards d'euros pour les énergies renouvelables.

M. Yannick Vaugrenard. - C'est n'importe quoi.

M. Ronan Dantec. - Non, ce sont les chiffres d'EUELECTRIC. Reprenez le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le coût réel de l'électricité !

Je voudrais d'ailleurs souligner que les conservatismes sont à l'oeuvre dans beaucoup d'autres domaines. Dans le domaine de l'automobile, l'industrie française n'a pas pris non plus le tournant des grands enjeux environnementaux. On pourrait même considérer qu'une part de son déclin est liée au fait de n'avoir pas pris en compte les enjeux environnementaux émergents dans les années 1980.

Est-ce que cette mission envisage de faire des propositions pour sortir en bon ordre de ces secteurs plutôt considérés comme des bijoux de notre patrimoine industriel mais qui sont en réalité des secteurs de niche aux perspectives réduites. C'est une des clés de l'avenir industriel français.

Mme Bernadette Bourzai. - Je souhaiterais reprendre l'une de vos observations : « il faut être attentifs aux usages ». Dans certains secteurs, les usages vont devenir extrêmement importants en termes de développement, en particulier pour tout ce qui concerne la « silver economy », comme le maintien à domicile ou la télémédecine.

Dans le Limousin, région la plus vieille d'Europe, nous sommes en train de mettre en place des politiques de maintien à domicile en s'appuyant sur la domotique, la firme Legrand étant particulièrement spécialisée dans ce secteur. Il s'agit d'un bel exemple d'usage innovant, qu'il convient de conforter. Nous sommes l'image de l'Europe dans quinze ou vingt ans. Nous avons un devoir de préfiguration dans ce domaine.

M. Didier Guillaume. - Le fait que l'on reparle aujourd'hui d'État stratège et que l'on refuse le déclin industriel est positif. Tous les outils dont l'État disposait auparavant ont été démontés ou se sont épuisés par manque de moyens. On réalise à présent que le libéralisme ne sauvera pas la planète. Il faut au contraire une économie « planifiée » avec des stratégies. La régulation est l'une des réponses sur lesquelles tout le monde s'accorde.

Deux sujets me semblent importants et générateurs d'emplois.

Le premier est celui de la fibre optique. Au-delà du support matériel se pose la question des usages. Il existe de multiples niches dans de nombreux secteurs. À titre illustratif, dans le département de la Drôme, un hôpital a été maintenu à Nyons uniquement grâce à la fibre optique qui a permis de le relier aux hôpitaux de Lyon ou Valence, pour certains usages comme la radiologie.

Le second sujet est celui de l'énergie. Il s'agit d'un problème crucial à l'échelle de la planète, et nous n'avons pas suffisamment d'entreprises pour innover. Il faut continuer à avancer dans ce domaine, en particulier dans le nucléaire. Contrairement à Ronan Dantec, je pense que dans les quarante prochaines années, il faudrait que nous soyons capables de construire une quarantaine ou une cinquantaine de centrales nucléaires de plus petite puissance. Jean-Louis Borloo avait l'opportunité de le faire mais cela n'a rien donné.

M. Pierre Hérisson. - Et bien vous allez le faire alors ?

M. Didier Guillaume. - Je ne sais pas si ce gouvernement le fera, mais je suis sûr d'une chose : la demande d'énergie va continuer à augmenter. Et la R&D dans ce secteur est sous-dimensionnée par rapport aux enjeux.

M. Pierre Hérisson. - Je partagerai mon intervention avec Michel Magras. Je vais vous parler du goût de l'effort et il vous parlera du goût du risque.

Nous vivons dans une société où l'on naît sous péridurale et où l'on meurt sous palliatifs. Inconsciemment, nous sommes en train de perdre le goût de l'effort indispensable à la R&D et à la recherche de la rentabilité. Comment fait-on pour donner à la nouvelle génération le goût de l'effort ? Quelle incitation et quel intérêt à l'effort ? Il faut une récompense qui soit suffisamment substantielle si l'on veut que la recherche progresse.

Dans le domaine de l'énergie, il faut également éviter certains écueils. L'accès à l'énergie bon marché est l'un des principaux leviers de compétitivité des entreprises françaises. Parallèlement à cela, pour assurer la transition énergétique, il faut bien trouver quelque part des recettes mais qui pèseront sur le chiffre d'affaires de nos entreprises. Comment gérer cette contradiction ?

M. Michel Magras. - Par le passé, la France est parvenue à gagner des places au niveau mondial, et à se maintenir en tête dans certains secteurs. Il y a sans doute de bonnes raisons à cela. Aujourd'hui, vous nous dites qu'en termes de valeur ajoutée dans le domaine industriel, nous sommes passés au 3e rang, mais en partant de la fin, au niveau européen.

Le but de votre mission est de regarder l'avenir pour définir les secteurs dans lesquels la France doit se placer. C'est un aspect du problème.

Je souhaite insister sur un autre aspect. Aujourd'hui, les Français s'exportent et éprouvent le besoin d'aller à l'étranger. La France n'incite plus à prendre des risques. Il existe une peur, une culture de l'échec. Il faut absolument réussir à la changer car c'est un frein pour l'avenir. Sans un droit à la deuxième, voire à la troisième chance, la France ne s'en sortira pas.

L'idée n'est donc pas seulement de savoir dans quels domaines l'État doit orienter notre tissu économique. Il s'agit aussi de savoir dans quels domaines la France pourra attirer sur son territoire des entreprises qui vont l'enrichir et comment elle sera capable de s'exporter à l'extérieur.

Par conséquent, que faut-il faire aujourd'hui pour inciter les Français à innover ?

Mme Anne Lauvergeon. - Merci à toutes et tous pour cette formidable contribution. Vos remarques vont alimenter nos travaux.

Je souhaiterais d'abord répondre à l'une de vos préoccupations communes. Effectivement, notre mission va s'adresser à l'écosystème en général. De façon imagée, on nous demande quel type de vitamine et d'alimentation il faut donner à des poissons pour qu'ils puissent se développer dans un aquarium. La première réponse est que l'aquarium doit avoir la bonne luminosité, la bonne salinité, le bon pH. L'écosystème est la clé. À partir de là, et dans un second temps seulement, il y a effectivement des recettes spécifiques pour développer tel ou tel type de poisson.

L'écosystème français a des points forts évidents, notamment d'excellents chercheurs et d'excellents ingénieurs. Un ingénieur français est infiniment plus créatif face à une situation inattendue. Ces caractéristiques nous poussent vers l'innovation.

Mais en même temps, nous avons une fiscalité et des contraintes réglementaires qui nous freinent. L'idée selon laquelle on a gardé le colbertisme sur le plan réglementaire tout en perdant la stratégie industrielle est très juste. Le poids du fiscal est considérable. Il y a aujourd'hui énormément de start-ups en France, les fonds d'amorçage et les premiers financements fonctionnent bien. Mais ensuite, au lieu de continuer à croître, elles sont vendues, en général à une société étrangère, et l'entrepreneur s'en va ailleurs, souvent pour des raisons fiscales.

L'écosystème doit donc être analysé dans son ensemble : complexité normative et administrative, difficultés de financement, poids de la fiscalité, profondeur et intégration des marchés.

Je souhaite ensuite répondre à une deuxième interrogation commune. On s'aperçoit de plus en plus que les nouveaux vecteurs d'innovation et de richesse sont à l'intersection de ce qui était séparé jusqu'à présent, comme la biologie et les nanotechnologies, ou le big data et la finance. Pour susciter l'innovation, il faut faire de l'hybridation. Cela suppose de mettre en relation des personnes qui n'ont pas eu l'habitude de communiquer entre elles. Les jeunes ont tous envie de faire des start-ups, mais ils ne connaissent généralement que des gens qui ont été dans les mêmes universités ou suivi les mêmes spécialités qu'eux. Quelqu'un qui vient du monde du design a une chance très faible de rencontrer un ingénieur ou un commercial.

En tant que présidente du conseil d'administration de l'École des mines de Nancy depuis neuf ans, je suis très impliquée personnellement sur ce sujet. Depuis l'année dernière, nous avons installé sur le même campus une école d'ingénieur, une école de commerce et une école de design. Il faut développer ces possibilités d'hybridation, dans les différents secteurs comme dans les formations, pour décloisonner, « désîloter » notre système.

Autre remarque commune dans vos interventions, à laquelle je souscris : nous avons effectivement besoin de retrouver un État stratège. Nous sommes en compétition avec des États stratèges, qu'il s'agisse de la Chine, de la Corée, du Japon, de la Russie, du Moyen-Orient via les fonds souverains, ou encore des États-Unis avec leurs dépenses militaires et civiles. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de normes et de contraintes réglementaires. Il faut retrouver le sens de la stratégie.

Notre grille d'analyse, c'est à la fois le commerce extérieur, l'emploi, la place de la France dans le monde et l'acceptation sociale. Il faut en effet que l'innovation soit acceptée. Je vous renvoie à la célèbre histoire de l'Anglais qui a inventé la machine à tisser vers la fin du XVIIIe siècle. En réalité, sept ou huit personnes avaient inventé la même technologie auparavant. Son succès est avant tout lié au contexte : en période de blocus, la Grande-Bretagne avait absolument besoin de retrouver des capacités de production. La mécanisation était devenue un impératif. L'innovation naît donc de la rencontre entre des porteurs d'idées et une société qui est prête à les accepter. L'acceptation sociale est un facteur clé. Que veulent vraiment les gens aujourd'hui ? Et en 2030 ? Consommer mieux ? Consommer différemment ? Les 30 glorieuses étaient centrées sur la propriété. Aujourd'hui, l'économie s'oriente davantage autour du partage des biens d'usage. Cette évolution influe sur les modes de production.

J'en profite pour réintroduire l'idée simple de l'innovation « Jugaad », qui consiste à innover en développant des solutions flexibles, frugales et économes. L'innovation occidentale a un degré élevé de sophistication, par exemple la mise en place d'un système pour que votre réfrigérateur communique avec votre téléphone portable et commande automatiquement les bouteilles de lait manquantes. En Inde, les besoins sont plus basiques. 700 millions de personnes n'ont pas accès à l'électricité. Dans beaucoup d'endroits, il n'est pas possible de faire fonctionner un réfrigérateur. Par conséquent, les Indiens ont réinventé un nouveau réfrigérateur qui coûte 40 dollars et qui utilise la chaleur pour créer du froid, à partir des mécanismes de condensation de l'eau. Autre exemple, une couveuse pour enfant prématuré coûte 200 000 dollars. Une jeune indienne a inventé à Stanford un modèle à eau bouillante qui permet de maintenir la température constante pendant sept heures, grâce à un jeu complexe de composants à transfert de phase, pour un coût total de 20 dollars.

L'innovation « Jugaad » a sa place dans les pays développés. Entre la télévision, le magnétoscope et le lecteur de DVD, il y a une multiplicité de télécommandes très complexes. Est-ce que l'on a besoin de tout ça ? L'innovation par la simplification a fait le succès de l'IPhone. La facilité d'usage va devenir un élément-clé. Nous ne sommes pas historiquement très forts en France sur ce point, nous avons plutôt tendance à privilégier la sophistication. Aujourd'hui, c'est un peu dépassé.

Quant à l'articulation de la commission « Innovation 2030 » avec le système existant, nous avons essayé d'inclure tous les acteurs potentiellement intéressés : le commissaire général à l'investissement, le directeur général de la Banque publique d'investissement, le commissaire général à la stratégie et à la prospective, le cabinet d'Arnaud Montebourg, le député Thierry Mandon qui s'occupe du budget R&D, et Alain Rousset qui représente les régions. Il nous manque un sénateur, ou une sénatrice, que je serais ravie d'accueillir.

Concernant les grands sujets, vous nous avez suggéré la mer, l'énergie, l'Afrique, les PME. De fait, nous sommes bien dans un retour sur un triangle de base des besoins de l'humanité : l'eau, la nourriture, l'énergie. Ce triangle est de plus en plus interconnecté. Pour faire de la nourriture, il faut de l'eau. Pour faire de l'eau potable à partir de l'eau de mer, il faut de l'énergie. Le triangle va se resserrer de plus en plus sous la contrainte. Notre pays a de vrais atouts dans ces trois domaines.

Quant au risque évoqué de conforter les secteurs existants, un travail sur les filières est actuellement effectué par le ministère du Redressement productif, en liaison avec Matignon. Nous n'avons pas toujours su reconnaître les projets d'avenir. On a souvent englouti de l'argent dans des secteurs non porteurs. Le discernement est indispensable.

Vous avez également dit à plusieurs reprises que 150 millions d'euros, ce n'est pas assez. Cette décision n'est pas la mienne, mais j'ai le sentiment que l'on doit pouvoir trouver d'autres sources de financement, en mobilisant des financements européens, privés ou régionaux.

Vous avez aussi beaucoup parlé de l'éducation et de la formation. La révolution des systèmes d'information transforme effectivement l'éducation. Mais il n'est pas sûr que nous ayons les moyens de l'impulser de l'extérieur.

Comment faire pour éviter que cela ne soit pas un rapport de plus ? Les dés ne sont pas pipés et on va tout faire pour éviter le « classement vertical ». Mais j'ai besoin de vous pour faire bouger les choses.

Sur la question de l'Afrique, je suis totalement d'accord avec Charles Revet. Le continent est en train de se réveiller, précisément au moment où la France s'en désintéresse. Il y a là un énorme paradoxe à résoudre.

Vous avez également beaucoup évoqué les obstacles juridiques et fiscaux. J'ai envie de vous interpeller notamment sur un sujet, celui du big data. Ne faisons pas de nouvelle législation avant d'en comprendre les tenants et les aboutissants. Il faut laisser le big data se développer avant de mettre en place une législation qui va le contraindre. La CNIL exerce déjà un contrôle très ferme.

Donner confiance aux jeunes ? C'est le sujet majeur aujourd'hui. Un jeune américain qui s'est lancé dans une création de start-up soldée par un échec, dans la mesure où il est capable de le comprendre et de l'analyser, en tirera un avantage sur son CV. En France, le rapport à l'échec est beaucoup plus négatif. On fait néanmoins quelques progrès : la Banque de France n'applique plus l'interdiction bancaire systématique pendant trois ans à toute personne ayant fait faillite. Mais il faut progresser davantage vers le droit à l'échec.

Quant aux inquiétudes sur l'ONERA ou le CORAC, je rappelle qu'en matière d'aviation civile, la France dispose de grands acteurs comme Airbus ou Safran qui font énormément de R&D intégrée, et l'intègrent de plus en plus. Au vu des gains de parts de marché mondiales d'Airbus par rapport à Boeing, on ne peut pas dire que la situation soit alarmante.

M. Roland Courteau. - Certes, mais les avions de 2030 se conçoivent aujourd'hui. Or la recherche est en baisse.

Mme Anne Lauvergeon. - C'est un peu normal dans le cas d'EADS, qui vient de développer trois avions en même temps : l'A380, l'A350 et l'A400M. Le cycle de vie d'un modèle est de trente ans. Ils ne vont pas développer un nouvel avion demain. La bonne nouvelle, c'est qu'aujourd'hui EADS a été capable de verser 3,5 milliards d'euros à ses actionnaires, dans une situation de santé financière qui lui permet d'engager de nouveaux développements. C'est également le cas de Safran. Je ne suis donc pas très inquiète pour la R&D de l'aéronautique civile en France aujourd'hui, ni militaire d'ailleurs.

Sur le sujet des hydroliennes, je prends note de vos remarques.

Conforter les petites PME ? Ce n'est pas avec 150 millions d'euros que l'on va y arriver Michel Teston. Il s'agit d'une politique bien plus vaste.

En ce qui concerne les entreprises freinées par les contraintes administratives, je suis preneuse des problématiques qui remontent du tissu industriel de vos régions respectives.

Sur le nucléaire, je ne suis pas tout-à-fait d'accord avec la vision de Ronan Dantec. Je pense néanmoins qu'il faut que nous fassions des choix. Le non-choix, le saupoudrage, la dispersion, le « zapping » sont préjudiciables. Dans un secteur qui réclame particulièrement une vision de long terme, il ne faut pas accepter que l'on change de stratégie à chaque nouveau ministre. À ce titre, en tant qu'ex-Présidente d'Areva, je ne saurais comment vous remercier pour votre soutien pendant toutes ces années. Je crois que les sénateurs ont un rôle considérable à jouer pour pousser l'État à avoir des boussoles et à tenir ses engagements.

En ce qui concerne la « silver economy », nous auditionnons la ministre Michèle Delaunay cet après-midi. Le Japon est très en avance dans ce domaine et développe toute une industrie de la robotique pour pallier le manque de jeunes générations.

La gouvernance européenne a besoin d'être un peu améliorée dans ces domaines. Les grands groupes européens ne le sont pas en réalité : EADS regroupe seulement quatre pays. Le modèle moderne est peut-être de réaliser des projets à partir d'un nombre limité de pays partageant la même volonté d'aboutir. Il faut sortir de l'isolement et tenir compte des enjeux liés à la taille de l'entreprise. J'appelle par exemple à construire l'Airbus du renouvelable.

Sur les gaz de schiste, je me suis exprimée à plusieurs reprises en tant que membre du comité de pilotage du débat sur la transition énergétique. Dans le pays de Descartes et de Montaigne, il me paraît étonnant, voire incroyable, qu'il y ait un tel conflit sur un sujet qui n'a même pas été mesuré. Il faudrait dresser un inventaire des gaz de schiste que nous avons et de ceux que nous n'avons pas. Si nous voulons développer des technologies propres, et nous avons tout à fait les moyens de le faire, avec l'IFP, le BRGM, Total, GDF-Suez, nous ne pouvons le faire qu'avec des expérimentations, contrôlées, pour que nous puissions avoir un avis. Tout ne peut pas se faire en laboratoire. Il me semble absurde de ne pas se lancer dans cette voie, mais c'est là mon opinion personnelle.

Je ne suis pas très compétente sur Sanofi. L'industrie pharmaceutique a beaucoup changé. Sa recherche interne était devenue insuffisamment productive. Ces industries rachètent désormais des start-up dans le domaine des biologies couplées au traitement des données, aux dépens de leurs grands laboratoires. Je suis incapable de formuler un jugement sur cette stratégie, même si je suis toujours un peu sceptique lorsqu'on réalise des changements de cap brutaux. Ces fermetures de laboratoires de recherche engendrent une perte de compétences. Cependant, il est vrai que les grands industriels ont de nouveau augmenté leur nombre de produits sur le marché.

Je voudrais conclure sur l'acceptation sociétale. Il y a une problématique collective. Nous l'avons vu avec le débat sur les lanceurs d'alerte. Nous sommes dans une espèce de révolution technologique avec un nombre considérable de données disponibles sur des terminaux très simples, qui communiquent entre eux, et en même temps un énorme problème de libertés et de contrôles qui va en grandissant. Le profil du consommateur est identifié et ensuite ciblé. Il doit y avoir une façon différente de gérer toutes ces technologies. Comment le faire en respectant les principes de liberté, égalité, fraternité ? Ce sujet est un gisement à approfondir.

On s'aperçoit que nos concitoyens se méfient des sciences et des technologies, avec des conséquences parfois importantes. En raison de l'opposition aux OGM par exemple, nous avons perdu une partie du leadership que nous avions dans l'agroalimentaire. Comment préparer les esprits à l'innovation, qui est par définition assez brutale ? Les gaz de schiste ont été interdits en quinze jours, sans étude, sans analyse, sans débat contradictoire. J'ai une devise que je pense placer au frontispice du rapport : le principe de précaution doit être rééquilibré par le principe d'innovation.

Pour répondre à Pierre Hérisson, naître sous péridurale et mourir sous palliatifs, c'est dur. Mais je ferais la différence entre l'effort et la douleur. Il n'y a pas besoin de souffrir. Il y a un bonheur dans l'effort. Cela va de pair avec la reconnaissance du savoir et des chercheurs, qui n'existe pas vraiment aujourd'hui.

Sur l'énergie, je voudrais attirer votre attention sur la différence qu'il y a entre décentralisation et mutualisation. Je vois émerger, partout sur les territoires, l'idée que vont naître des systèmes énergétiques décentralisés, intermittents, qui fonctionneront quand les conditions de soleil et de vent seront réunies et, lorsque ce n'est pas le cas, seront remplacés par le système national. La centralisation historique a peut-être été excessive, mais la centralisation est une mutualisation des intérêts. J'ai vu des régions qui annoncent 45 % d'énergie renouvelable. Les 55 % restants proviennent du système national. Mais s'il ne fonctionne pas le reste du temps dans cette région, il n'est plus rentable. Nous allons créer un système, qui est très cher, et qui est collectivement non rentable. En matière énergétique, il faut avoir en permanence le souci de l'intérêt général et ne pas être uniquement centré sur son sujet à soi. Il y a aussi un enjeu de préservation de la compétitivité française Je rappelle que nous avons une des énergies les moins chères d'Europe.

Sur les Français qui s'exportent, je trouve que c'est une expérience positive, mais il faudrait qu'ils se réimportent aussi.