Mardi 17 décembre 2013

 - Présidence de M. Simon Sutour, président -

Institutions européennes - Bilan des résolutions adoptées en 2013 -Communication de M. Simon Sutour

M. Simon Sutour, président. - Pour cette dernière séance de l'année, j'ai cru utile de faire très brièvement un bilan des résolutions adoptées depuis le début de la session ordinaire. Un document vous a été distribué.

Nous disposons, vous le savez, de trois principaux modes d'intervention :

- les résolutions de l'article 88-4, qui s'adressent au Gouvernement et portent sur le fond du texte ;

- les résolutions de l'article 88-6, qui s'adressent aux institutions européennes et portent sur la subsidiarité ;

- enfin, les avis politiques, qui s'adressent à la Commission européenne et portent sur le fond.

Notre commission a adopté cette année vingt-et-une propositions de résolution relevant de l'article 88-4, ce qui est moins que l'année dernière - vingt-sept. Dix-huit sont déjà définitivement adoptées, trois sont en instance d'examen par la commission au fond.

Les avis motivés ont été moins nombreux que l'année dernière, puisque nous en avons adopté quatre au lieu de sept.

Sur ces quatre avis motivés, trois sont déjà définitivement adoptés ; un est en cours d'examen par la commission au fond.

De même, les avis politiques ont été un peu moins nombreux que l'année dernière - quatre contre six.

Quelques mots pour commenter ce bilan. Nos interventions ont été un peu moins nombreuses cette année, ce qui correspond au cycle des activités de la Commission européenne, qui prend moins d'initiatives dans l'avant-dernière année de son mandat. L'année prochaine, nécessairement, sera une année où nous aurons moins d'occasions d'intervenir que dans une année normale, ce qui ne veut pas dire que nous serons inactifs.

Sur les suites données à nos résolutions de l'article 88-4, nous demandions depuis longtemps que le Gouvernement nous adresse, pour chaque résolution, des fiches de suivi indiquant comment il avait tenu compte, dans les négociations, des prises de position du Sénat.

Pour la première fois cette année, le Gouvernement nous a adressé des fiches de suivi, mais il s'en est tenu jusqu'à présent à trois. C'est un premier pas que nous devons saluer, mais il faut passer la vitesse supérieure. Il ne paraît pas utopique et irréaliste que le Gouvernement s'explique sur les suites données à une vingtaine de résolutions par an. Ce suivi donnerait toute sa portée au dialogue avec le Gouvernement dans le cadre de l'article 88-4.

Les suites données aux avis motivés sont plus faciles à mesurer, puisqu'il s'agit d'atteindre le seuil nécessaire au déclenchement d'un « carton jaune ». Cette année, comme l'année précédente, ce seuil a été franchi sur un texte. À la différence de ce qu'elle avait fait l'année dernière, la Commission européenne n'a pas annoncé qu'elle retirait son texte. Cependant, tout laisse à penser qu'en pratique, ce texte n'a plus maintenant aucune chance d'être adopté et que, si elle veut persévérer, la Commission devrait revoir profondément sa copie, ce que nous souhaitions.

Je précise qu'en tout état de cause, les avis motivés que nous adoptons, même s'il n'y a pas de « carton jaune », sont traduits et portés à la connaissance des commissions compétentes du Parlement européen et que la Commission européenne y apporte une réponse, avec malheureusement des délais souvent très longs.

Enfin, pour ce qui est des avis politiques, on peut dire que le dialogue politique avec la Commission européenne fonctionne, mais sans précipitation, puisque le délai de réponse, qui devait être de trois mois, est plutôt de l'ordre de six mois. Là également, il faut souligner que les avis politiques sont également communiqués aux commissions compétentes du Parlement européen, qui l'ont demandé.

Au total, je dirai que notre contrôle progresse pas à pas, et que pour chaque progrès, il y a des résistances à vaincre. Malgré tout, peu à peu, l'association des parlements nationaux progresse. L'année dernière avait été créée, non sans mal, la Conférence interparlementaire sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Cette année a été instituée la Conférence sur la coordination des politiques budgétaires - article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - même si, là encore, il existe des difficultés de mise en route.

Sur le plan interne au Sénat, je constate que les commissions permanentes ont désormais bien intégré le mécanisme des résolutions européennes, et en prennent même quelquefois l'initiative.

Nous avons encore beaucoup de progrès à accomplir ; les évolutions sont lentes, mais nous allons dans la bonne direction, ce qui est après tout l'essentiel.

M. Gérard César. - Notre action a été utile, je pense par exemple au texte sur les droits de plantation que nous avons défendu ensemble. Merci à la commission des affaires européennes, qui a soutenu cette proposition !

M. Simon Sutour, président. - Il s'agissait de revenir sur une législation européenne, ce qui n'est jamais facile. Mais en 2008, on ne pouvait être sur tous les fronts à la fois. On doit saluer le ministre de l'agriculture, qui s'est bien battu sur ce sujet.

M. Gérard César. - Les deux, l'ancien et le nouveau !

Politique de coopération - Relations Union européenne-Russie - Rapport d'information de MM. Simon Sutour et Jean Bizet

M. Simon Sutour, président. - Nous étions en Russie en juillet dernier, et nous ne publions ce rapport qu'aujourd'hui, après le sommet du Partenariat oriental, qui s'est tenu à Vilnius, la Russie et l'Union européenne jouant par ailleurs un rôle certain dans les événements d'Ukraine.

Ce rapport va sortir alors que la commission des affaires étrangères s'envole pour Moscou, avec une mission plus large, relative aux problèmes de défense, qui ne relèvent pas de notre compétence.

Jean Bizet et moi-même allons successivement vous présenter les enseignements que nous avons pu tirer de notre déplacement en Russie concernant les volets politique et économique.

Le faible résultat du sommet de Vilnius nous a confortés dans l'idée que l'Union européenne a intérêt à avoir un dialogue plus constructif et plus consistant avec la Russie.

Un accord de partenariat et de coopération (APC) est certes en vigueur depuis seize ans, mais son bilan est mince. Un effort pour le relancer a été engagé en 2007, comme il venait à expiration. L'idée était de le remplacer par un accord, plus ambitieux, de partenariat stratégique.

Les négociations sur ce nouvel accord se sont poursuivies depuis lors, l'APC restant en vigueur en attendant leur conclusion. Celles-ci n'avançant pas, un accord intérimaire intitulé « Partenariat pour la modernisation » a été adopté en 2010, destiné à relancer la coopération sur des sujets précis. Les résultats ne sont pas négligeables, mais restent encore relativement modestes.

Sur le plan politique, le principal facteur de défiance entre l'Union européenne et la Russie est aujourd'hui la situation des pays du Partenariat oriental, qui se situent quasiment tous entre l'Union européenne et la Russie.

Le Partenariat oriental est une initiative parfaitement fondée de l'Union. La politique de voisinage fait partie des devoirs de l'Union dans le traité de Lisbonne. L'Union a intérêt à promouvoir la démocratie, les droits de l'Homme et l'ouverture économique dans son environnement proche, à l'Est comme au Sud.

La Russie a perçu le Partenariat oriental plutôt comme une lutte d'influence, et a exercé toutes sortes de pressions sur les pays concernés pour qu'ils se tiennent à l'écart de cette démarche. Elle a même lancé sa propre union douanière, l'« Union douanière eurasiatique », incompatible avec un accord d'association avec l'Union européenne. Nous en avons rencontré les responsables. Ils ont de grandes ambitions.

Nous estimons naturellement que les pressions russes prennent des formes inacceptables, mais on fait de la politique avec des réalités, et il est clair que la Russie, malgré son immense territoire, a tendance à se sentir « assiégée », du fait de la montée en puissance de la Chine sur son flanc Sud-Est, de l'influence occidentale croissante sur son flanc Ouest, et du « printemps arabe » compromettant son influence au Moyen-Orient.

Si nous voulons intensifier les relations avec les pays du Partenariat oriental, nous devons donc, en parallèle, renforcer le rapprochement avec la Russie, de manière à éviter que la politique de voisinage oriental ne soit perçue comme un effort pour constituer un glacis.

Un dialogue plus constructif avec la Russie est-il possible ? Nous le croyons, les sujets de friction qui concernent les relations entre l'Union européenne et la Russie ne nous semblant pas insurmontables. C'est le cas des contentieux commerciaux et de l'énergie
- Jean Bizet y reviendra - car la réalité est celle d'une interdépendance entre la Russie et l'Union, personne n'ayant donc intérêt à « renverser la table ».

C'est aussi le cas du lancement de l'« Union douanière eurasiatique », dont il ne faut pas faire un épouvantail. Nous verrons finalement quels pays en seront membres, plus ou moins contraints.

L'Arménie va ainsi en faire partie, mais elle n'a guère le choix, du fait de sa situation géopolitique, le conflit avec l'Azerbaïdjan, jouant au-delà des échanges économiques.

Si cette Union douanière prend plus de consistance, il deviendra intéressant d'envisager des négociations commerciales globales entre l'Union européenne et cette nouvelle zone, de façon à engager une ouverture commerciale à l'échelle du continent, qui pourrait être mutuellement profitable.

Beaucoup de nos interlocuteurs ont évoqué la question des visas. Il nous paraît effectivement indispensable de progresser sur cette question, et d'en supprimer, dès que possible, l'obligation pour les courts séjours. C'est peut-être le meilleur moyen de progresser sur la question des droits de l'Homme, autre point de friction, car plus les Russes seront nombreux à circuler entre l'Est et l'Ouest, plus le rapprochement sur les valeurs fondamentales sera facile.

Cela paraît d'autant plus souhaitable que la Russie semble aujourd'hui tentée de se tourner davantage vers l'Asie, dont le dynamisme économique fascine. C'est un moyen de pression qu'on a bien ressenti.

Les États-Unis ont, par ailleurs, une influence culturelle certaine, comme c'est le cas un peu partout dans le monde. Si nous voulons préserver l'ancrage essentiellement européen de la Russie, nous avons intérêt à pratiquer une ouverture dans sa direction.

Il faut souligner que, selon les projections démographiques actuelles, l'Union européenne représentera 5 % de la population du globe en 2050. Une bonne entente avec la Russie, qui compte 143 millions d'habitants, et les pays qui lui sont voisins, sera de plus en plus nécessaire pour compter dans l'équilibre mondial.

Je termine mon propos par quelques mots sur la situation de l'Ukraine, qui suscite beaucoup d'espoir, mais aussi beaucoup d'inquiétude. Il faut souligner que nous ne sommes pas dans le cas des Balkans : l'Union n'a jamais reconnu la vocation à l'adhésion des pays du Partenariat oriental, même si elle n'a pas dit non plus que cette perspective était exclue à jamais.

Au cours des dernières années, les pays du Partenariat oriental - et spécialement l'Ukraine - ont vu leur population se tourner davantage vers l'Union européenne qui, malgré ses difficultés, reste synonyme d'État de droit et de relative prospérité. En même temps, ces pays restent en pratique très liés à la Russie, voire dépendants d'elle.

Lors de la conférence que Gérard César et moi avions donnée devant l'Alliance française d'Odessa, lors de notre déplacement en Ukraine, nous avions senti l'attrait des étudiants pour l'Union européenne.

Il n'est donc pas souhaitable que les pays du Partenariat oriental se trouvent tout d'un coup sommés de choisir, un peu comme certains enfants du divorce, alors qu'ils ne peuvent trouver une réponse complète à leurs difficultés et à leurs aspirations ni du côté de la Russie seule, ni du côté de l'Union européenne seule.

À mon avis, l'Ukraine devrait et pourrait être un pont entre la Russie et l'Union européenne, mais elle ne peut répondre à cette vocation que si ces deux grands partenaires ne s'éloignent pas l'un de l'autre.

Nous croyons qu'un dialogue renforcé avec la Russie pourrait aider à ce qu'une issue durable soit trouvée pour l'Ukraine. Bien sûr, la crise politique que connaît ce pays est largement liée à sa situation intérieure, et notamment à une récession qui dure depuis quinze mois, mais les antagonismes se cristallisent sur les rapports avec l'Union européenne et la Russie.

Il serait bon, à notre avis, que l'Union ne fasse rien pour renforcer ces antagonismes et qu'elle s'efforce au contraire de les réduire. Il n'y a pas, selon nous, de fatalité à ce que l'Union et la Russie se trouvent en situation de concurrence, alors que la réalité est celle d'une interdépendance et, d'une manière ou d'une autre, d'un avenir commun.

Je cède la parole à Jean Bizet, afin qu'il aborde le volet économique.

M. Jean Bizet. - Avant de m'engager sur la partie purement économique, et plus spécialement énergétique de mon exposé, je voudrais faire trois commentaires, plus ou moins en relation avec ce que vient de dire Simon Sutour.

Je me réjouis tout d'abord d'avoir réalisé ce déplacement ; j'avais souhaité, m'intéressant de très près à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), voir comment la Russie, après deux à trois ans, ressentait cette évolution dans son marché intérieur et industriel. Ainsi que je le pressentais, ceci n'a quasiment rien changé ! L'OMC a plus constitué pour eux une signature politique qu'une entrée dans une économie de marché très ouverte. Il y a bien eu une mutation, mais dans beaucoup de pans de l'économie, l'évolution reste à parfaire.

Comme l'a dit Simon Sutour, les Russes sont bien plus intéressés par l'Union douanière qu'ils sont en train de mettre en place avec le Kazakhstan et la Biélorussie, à laquelle ils voudraient associer l'Ukraine.

En second lieu, la France bénéficiait d'un acquis véritablement extraordinaire. L'intelligentsia russe parlait français au XVIIIème siècle, et nous disposons, en quelque sorte, d'un crédit bien plus important que le crédit européen, avec cependant quelques interrogations concernant l'évolution de nos valeurs, au travers de certaines lois récemment adoptées. On a notamment évoqué devant nous le mariage pour tous qui, pour eux, suscite une incompréhension totale ! Nous n'avons pas voulu entrer dans le débat, mais nous disposons d'un crédit important en Russie ; il ne faudrait pas la laisser s'estomper, car il s'agit d'un grand partenaire.

Enfin, mon troisième point rejoindra celui évoqué par Simon Sutour à propos des relations avec l'Ukraine. Il convient de prêter une grande attention aux sentiments et ressentiments des pays qui se sentent l'objet soit d'un encerclement, soit de postures de grands voisins. Il faut se mettre à leur place et y demeurer attentif, car la Russie constitue, sur le plan économique et politique, un partenaire extraordinaire. Je n'ai pas compris
- et j'accepte mal - la présence d'un sénateur américain, il y a quelque jour, à Kiev, en la personne de M. McCain. Ceci peut être perçu par nos amis russes comme une véritable provocation ! C'est une affaire de relations entre la Russie et l'Union européenne, et les États-Unis n'ont pas à s'immiscer dans celles-ci ! Je précise que je suis vice-Président du groupe d'amitié France - États-Unis, et que je ne peux être soupçonné d'anti-américanisme.

En ce qui concerne le secteur de l'énergie, chacun en connaît l'importance dans les relations entre l'Union européenne et la Russie. Les trois quarts des importations européennes en provenance de Russie sont constitués de ressources énergétiques. Le marché européen absorbe à lui seul les deux tiers des exportations russes en ce domaine, celui-ci représentant environ la moitié du total des exportations de la Russie !

Habituellement, lorsqu'on parle d'énergie à propos de la Russie, on pense à Gazprom, géant russe dont on imagine à tort qu'il représente à lui seul toute l'activité russe sur le marché de l'énergie.

Or, bien que la position dominante de Gazprom soit une incontestable réalité, cette entreprise n'en est pas moins concurrencée sur son coeur de métier, à la fois par une autre très grande société publique autrefois exclusivement pétrolière, Rosneft, qui diversifie son activité pour se lancer dans le gaz naturel, mais aussi par un grand nombre d'opérateurs privés de taille bien plus réduite, dont les ambitions peuvent être impressionnantes.

Vous avez sans doute relevé dans le rapport le projet de terminal méthanier situé au-delà du cercle polaire, en un lieu pris par les glaces neuf mois sur douze : le Français Total intervient aux côtés d'un opérateur privé qui dessert environ 15 % du marché gazier en Russie.

Le gaz est très loin d'être l'unique source d'énergie exportée par la Russie : il faut ajouter bien sûr le pétrole - dont la Russie est un important producteur - ainsi que le charbon et l'uranium.

Nous avons eu quelques débats autour du gaz de schiste, dont les Russes ne veulent ni entendre parler, ni admettre qu'il fait baisser les coûts mondiaux. La Russie est souvent assimilée au gaz, car elle possède un quart des réserves mondiales conventionnelles. Cette première place est confirmée au niveau de la production. Il n'en va pas de même pour le pétrole, dont la Russie ne possède que 4 % des réserves conventionnelles, bien qu'elle figure actuellement parmi les principaux producteurs mondiaux.

Le charbon figure aussi parmi les grandes réserves énergétiques de la Russie. C'est une ressource connue depuis longtemps, mais encore promise à un brillant avenir
- dommage pour l'environnement ! - si l'on en juge par l'ampleur des réserves disponibles au niveau mondial, l'échéance d'épuisement n'étant pas inférieure à un siècle, alors qu'elle tourne autour d'une cinquantaine d'années pour les hydrocarbures. Ceci explique peut-être les rapports de plus en plus étroits entre la Russie et l'Allemagne.

Pour l'uranium, au rythme actuel, il resterait, là aussi, plus d'un siècle avant d'épuiser les ressources connues. La Russie fournit à l'Union européenne un peu moins du tiers de l'uranium nécessaire au fonctionnement des centrales électronucléaires en place, mais les exportations, dans le domaine de l'énergie, ne se limitent pas aux matières premières, car l'industrie russe est très compétitive dans le domaine électronucléaire. L'essor de la société Rosatom - dont la dénomination signifie « atome de Russie » - est un des succès industriels à l'actif de M. Poutine.

En 2012, le secteur de l'énergie a représenté environ 34 % du produit intérieur russe, mais a procuré 67 % de l'ensemble des recettes d'exportation, et 50 % des recettes budgétaires au niveau fédéral.

Sans ses exportations d'énergie - 300 millions de tonnes de pétrole et 150 milliards m3 de gaz chaque année - la Russie ne pourrait importer sans mettre en péril sa situation financière. La Russie a, de fait, un besoin vital de vendre, ce qui relativise pour le moins la dépendance énergétique de ses clients, notamment l'Union européenne. À ce jour, l'Union européenne absorbe en effet les trois quarts des exportations russes de pétrole et les quatre cinquièmes de ses exportations de gaz.

Or, il faut noter que les importations de combustible fossile en provenance de Russie représentent seulement 18 % de la consommation finale d'énergie au niveau de l'Union européenne. Si l'on prend en compte les livraisons d'uranium enrichi, la dépendance de l'Union européenne envers ses fournitures russes atteint 22 % de sa consommation finale d'énergie.

Ce pourcentage confère certes à la Russie une position éminente, mais le produit de ces exportations représente à lui seul près de la moitié de ses revenus. En matière énergétique, il convient donc de parler d'une véritable interdépendance entre l'Union européenne et la Russie, plutôt que d'une dépendance de la première à l'égard de la seconde.

Cette interdépendance en matière d'énergie devrait conduire, selon nous, à un rapprochement économique plus global. Nous y avons intérêt, car l'économie russe est loin de se résumer à son secteur énergétique, malgré son poids déterminant sur les grands équilibres macro-économiques.

Or, avec l'adhésion à l'OMC, la Russie a fait un pas important vers son intégration internationale.

Je suis dans cette maison depuis une douzaine d'années. J'ai vu la délégation russe à Bali, où j'étais il y a une dizaine de jours, dans le cadre de l'Union interparlementaire (UIP). Pour le moment, sans être péjoratif, la Russie n'y fait que de la figuration, alors que les Chinois, qui ont eu ce rôle durant quelques années, sont excessivement pugnaces et peu faciles. J'avais déposé un amendement sur la propriété des données personnelles, souhaitant éviter la constitution de monopoles : j'ai échoué, car les Chinois veulent constituer un Google chinois capable de damer le pion au Google américain !

Les Russes ne font pas partie du débat. Ils ne sont qu'observateurs, n'étant entrés que timidement dans une économie de marché. Ce sont les règles de l'OMC : qu'il s'agisse des droits de l'Homme ou de l'économie de marché, on n'attend pas que leur copie soit parfaite. C'est une façon de les faire évoluer.

Cette adhésion est en même temps, pour la Russie, un défi économique de grande ampleur, car il n'est pas simple de restructurer une économie presque totalement protégée de la concurrence internationale, pour s'orienter vers un modèle fondé sur cette concurrence. Sans surprise, certains secteurs étaient catégoriquement hostiles à la perspective ouverte par l'OMC. Tel était en particulier le cas de la production agricole, surtout de sa filière porcine, ainsi que de la métallurgie.

Or, qui dit restructuration dit aussi opportunités pour qui sait les saisir. L'ampleur du relais de croissance ainsi ouvert aux entreprises européennes dépend en premier lieu de l'ardeur qu'elles mettront à l'utiliser. Nos entreprises sont loin d'être mal placées : le groupe Auchan est le premier employeur étranger en Russie, pays où le premier constructeur automobile n'est autre que Renault !

Qu'elles soient industrielles ou qu'elles interviennent à titre de service dans l'industrie, les entreprises européennes pourraient participer à cette mutation économique d'envergure. Celle-ci semble anticipée par le Gouvernement russe, qui réserve une partie du produit des ventes de ses hydrocarbures à cette reconversion.

Le rapprochement avec l'Union européenne et la mise en place d'un espace économique commun passent avant tout, selon nous, par la mise en oeuvre d'un partenariat industriel permettant aux entreprises européennes d'accéder à ce marché en pleine évolution.

Pour conclure, je dirai que l'ouverture au monde représentée par l'adhésion de la Russie à l'OMC constitue un défi pour une économie bâtie à l'abri de la concurrence étrangère et ne pouvant compter que sur de rares secteurs pour se procurer les devises nécessaires à l'importation de certains biens manufacturés.

L'admission à l'OMC sera donc un accélérateur de réformes dont l'étape initiale sera souvent douloureuse, comme pour toute restructuration. Des turbulences paraissent donc probables, mais cela n'empêche pas le marché russe d'être solvable et prometteur. Obtenir que les entreprises européennes participent davantage à son développement est un véritable enjeu de croissance pour l'Union dans son ensemble.

Il était très important d'accueillir la Russie dans l'OMC, mais il est encore plus important que nos entreprises apprennent à voir comment fonctionnent les Russes. Il nous faut prendre garde, quant à nous, dans le cadre du Partenariat oriental, à ne pas les froisser. La Russie doit être, pour l'Union européenne, un partenaire très important. Ils conservent en effet, on nous l'a beaucoup dit, un oeil sur l'Union européenne et un oeil sur l'Asie. À charge pour nous d'être pertinents, d'autant que les valeurs de la France restent chez eux très importantes. Nous avons un avantage sur l'Asie, mais M. Poutine est un stratège de haut vol !

M. Simon Sutour, président. - Notre collègue Pozzo di Borgo, au sein de notre commission, s'était intéressé, il y a quelques années, aux relations entre l'Union européenne et la Russie. Nous avons actualisé son analyse. Sur le fond, je pense, comme Jean Bizet, qu'il faut davantage dialoguer avec la Russie, sans que cela signifie pour autant qu'il faille s'aligner sur ses positions.

L'Union européenne représente 500 millions d'habitants, sur une population mondiale de 7 milliards. Les Russes sont environ 140 millions. Ce pays, en termes de standards démocratiques, n'est pas si mal placé par rapport à d'autres pays, que je ne citerai pas. Certaines choses doivent sans doute évoluer, mais la Russie est incontestablement un pays européen. Son territoire bénéficie de richesses énergétiques considérables, qui leur permettent de peser dans le jeu international.

Cette mission a été très intéressante. J'ai été impressionné par notre visite à Gazprom, qui ouvre d'ailleurs un bureau à Bruxelles, afin de travailler avec l'Union européenne, la Russie ne manquant toutefois pas de clients potentiels, comme on nous l'a fait remarquer. Nous avons dialogué avec beaucoup de responsables politiques, dont la liste figure en annexe du rapport.

M. Gérard César. - Je félicite le tandem qui a présidé à l'élaboration de ce rapport !

Vous avez bien fait d'insister sur le problème de l'énergie. J'ai eu l'occasion, à Mourmansk, de voir le projet élaboré entre Total, Gazprom et le groupe norvégien Statoil, concernant le captage du gaz en Mer du Nord, par - 40 degrés, avec toutes les difficultés que cela peut représenter - banquise, icebergs. En avez-vous entendu parler ? Où en est-on ? Avance-t-on ? Les difficultés techniques sont grandes, mais il existait une volonté d'aboutir, en particulier en matière de gaz naturel liquéfié (GNL). Par ailleurs, l'ambassadeur de France se trouve-t-il toujours là-bas ?

M. Simon Sutour, président. - Il est parti à la retraite au moment du G20.

M. Gérard César. - Il était très au fait des problèmes russes, et très opérationnel ! D'autre part, avez-vous été satisfait des relations que vous avez pu avoir avec les conseillers au commerce extérieur, et en particulier avec UBIFRANCE ?

M. Jean Bizet. - Total est effectivement engagé avec Gazprom dans un projet de GNL, qui avance doucement. J'ai de bonnes relations avec M. de Margerie, qui est de mon département. J'essaierai d'obtenir des précisions.

Quant aux conseillers du commerce extérieur, nous avons pu avoir deux heures de débat à la Chambre de commerce ; nous avons également rencontré les gens d'UBIFRANCE, que j'ai trouvés pugnaces, très investis et très déterminés. J'ai mis quelques entreprises en relation ; nous verrons ce que cela donne. Ce marché n'est guère facile. Nous avons eu un petit-déjeuner de travail avec des Français établis depuis une dizaine d'années, voire plus, à Saint-Pétersbourg. Il faut à la fois faire preuve de fermeté, mais aussi d'un grand professionnalisme.

Mme Bernadette Bourzai. - Je souhaite, à l'issue de cet exposé, exprimer mon sentiment à propos de la responsabilité de la Russie dans les événements qui se déroulent en Ukraine.

L'Ukraine doit rester indépendante, libre de choisir d'engager un partenariat avec l'Union européenne ou de développer des relations privilégiées avec la Russie, qui n'a aucunement le droit d'imposer sa volonté, ni de se servir du gaz comme d'une arme, ainsi qu'elle le fait vis-à-vis des autres pays - qui, fort heureusement pour eux, sont déjà entrés dans l'Union européenne - pour les contraindre à accepter des situations inacceptables ! Chaque pays est indépendant, et je pense que nous devons soutenir l'Ukraine dans son souhait de partenariat avec l'Union, même si son Gouvernement tergiverse ! L'opinion publique ukrainienne, qui manifeste depuis des semaines à ce sujet, a le droit d'être entendue !

M. Simon Sutour, président. - Gérard César et moi-même suivons ce sujet depuis un certain nombre d'années au sein de notre commission. J'ai toujours gardé de bonnes relations avec les responsables politiques ukrainiens. Je devais d'ailleurs recevoir M. Vitali Klitschko mercredi dernier, celui-ci devant passer la journée à Paris, à l'invitation de Laurent Fabius. Il a dû reporter sa visite, compte tenu de la situation à Kiev.

L'Ukraine est l'une des anciennes républiques socialistes soviétiques, tout comme les trois républiques baltes. La Crimée avait été donnée à l'Ukraine par Khrouchtchev. Une partie de ce pays est russophone, l'autre ukrainophone. Beaucoup s'expriment en Russe et se sentent russes. Le plus important est d'amener l'Ukraine sur la voie des standards démocratiques.

Pour certains jeunes manifestants, l'Union européenne représente toutefois l'Etat de droit, au-delà de l'aspect économique de l'accord d'association. Celui-ci était en cours de négociation quand nous y étions.

Tous les problèmes techniques ont été peu à peu résolus. Restait la difficulté politique. L'Union européenne permet à ces pays d'avancer face à certains problèmes
- justice, corruption - soit à l'occasion d'une perspective d'adhésion, comme on l'a vu récemment en Serbie, soit à l'occasion d'accords d'association, qui permettent d'intensifier les relations avec l'Union.

Ceci est valable pour des pays du Partenariat oriental, comme pour des pays méditerranéens. Au Maroc, les progrès ont été indéniables, même s'ils ne sont pas toujours suffisants, grâce à l'appui de l'Union européenne.

Je suis d'accord avec Bernadette Bourzai sur le fond, mais je pense qu'il ne faut pas risquer d'aggraver la situation. L'Union européenne avait bien travaillé avec l'Ukraine, missionnant deux ambassadeurs, un ancien président de la République polonaise, M. Aleksander Kwasniewski, et un ancien président du Parlement européen, M. Pat Cox, qui ont beaucoup oeuvré. Sur ces entrefaites, la loi permettant à Mme Timochenko de se faire soigner en Allemagne a été repoussée par la Rada. Le président Ianoukovitch est aujourd'hui à Moscou, et l'opposition craint que ce ne soit pour adhérer à l'Union eurasiatique. Je ne le pense toutefois pas - j'espère ne pas me tromper ! L'Ukraine est un pays en grande difficulté économique. Le niveau de vie y reste bas. Certaines habitations possèdent encore des sols en terre battue !

M. Jean Bizet. - Je puis comprendre le sentiment de Mme Bourzai, mais je vous invite, si vous ne l'avez déjà fait, à lire le dernier ouvrage de Jean-Pierre Chevènement, qui est remarquable. L'Allemagne s'est sentie encerclée avant 1914. C'est ce qui a déclenché la Première, puis, par contrecoup, la Seconde guerre mondiale ! Il faut donc prendre garde à ne pas placer les Russes dans la même situation. Sans doute l'Ukraine vient-elle frapper à la porte de l'Union européenne pour partager certaines de ses valeurs, mais aussi pour bénéficier de ses échanges économiques et de ses aides financières ! Il ne faut donc pas être dupe.

Sans vouloir être provocateur, j'estime que nous sommes plutôt dans une ère d'approfondissement de l'Union. Il faut avoir l'honnêteté de dire que les perspectives d'adhésion d'autres États membres ne sont pas vraiment à l'ordre du jour.

Il faut tenter d'écrire de nouvelles formes de partenariat avec nos voisins, qu'il s'agisse de l'Ukraine ou de la Turquie. Il est certes séduisant que ces pays regardent plutôt à l'Ouest qu'à l'Est, mais il ne faut pas vexer le grand partenaire qu'est la Russie, même si, tant en matière de droits de l'Homme que d'économie de marché, le compte n'y est pas encore !

Si nous les braquons, ils risquent de s'éloigner de nos standards ; si nous dialoguons, nous avons quelque chance qu'ils s'en rapprochent. C'est tout l'objet du dialogue et du partenariat.

Je pense donc que le commissaire européen à l'élargissement devrait réfléchir à d'autres formes de partenariats, les décisions présidant aux nouvelles adhésions risquant de ne pas rencontrer l'accord des vingt-huit États membres.

Mme Bernadette Bourzai. - Je souscris à ce que vous venez de dire sur le plan économique. Il faut être réaliste : il suffit que les Russes coupent le robinet pour que l'Ukraine grelotte, ainsi que quelques autres pays - dont le nôtre !

Cependant, je fais partie de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont l'Ukraine et la Russie sont membres depuis longtemps...

M. Jean Bizet. - Ainsi que de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) !

Mme Bernadette Bourzai. - Les standards des droits de l'Homme et la marche vers la démocratie sont des éléments auxquels la Russie a souscrit ! Je trouve donc le chemin un peu long. Nous avons par ailleurs eu l'occasion de vérifier que les Russes ne tenaient pas certaines de leurs promesses. Cette volonté de faire adhérer à un ensemble plutôt qu'à un autre est fort dommageable - et l'Ukraine n'est d'ailleurs pas seule dans ce cas.

M. Jean Bizet. - Je ne puis vous contredire !

M. Simon Sutour, président. - S'agissant de l'élargissement, je souscris à ce qu'a indiqué Jean Bizet - sauf pour ce qui concerne les pays des Balkans, dont la situation est différente. Ils sont déjà engagés au coeur de l'Europe, et il faut en outre gérer l'après-guerre.

Mme Bernadette Bourzai. - N'oublions jamais que les conflits balkaniques de 1911 et de 1913 ont préparé le suivant !

La commission à l'unanimité autorise la publication du rapport.