Mardi 9 septembre 2014

- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -

Audition de M. Philippe Duron, candidat proposé aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)

La commission procède à l'audition de M. Philippe Duron, candidat proposé aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

La réunion est ouverte à 16 heures.

M. Michel Teston, président. - Je vous prie d'excuser le président Vall, retenu dans son département.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la nomination de M. Duron aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ne peut intervenir qu'après son audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, auditions qui doivent être suivies d'un vote.

Leurs modalités ont été précisées par la loi organique et la loi ordinaire du 23 juillet 2010. Il est ainsi prévu que l'audition est publique, elle est également ouverte à la presse. À l'issue de cette audition, je raccompagnerai M. Duron et demanderai aux personnes extérieures de bien vouloir quitter la salle afin que nous puissions procéder au vote qui se déroulera à bulletin secret comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. Je vous rappelle qu'il ne peut y avoir de délégation de vote et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. En application de l'article 13 de la Constitution, il ne pourrait être procédé à cette nomination, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Monsieur le président, il est proposé de vous reconduire à la tête du conseil d'administration de l'AFITF, que vous présidez depuis deux ans, même si vous en êtes membre depuis bien plus longtemps.

C'est la deuxième fois que vous êtes soumis à cette procédure d'audition et de vote préalables devant les commissions du développement durable de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous vous avions en effet entendu le 31 juillet 2012, à la veille de votre prise de fonctions. Nous devons vous réentendre aujourd'hui car la durée de votre mandat était liée à celle de votre prédécesseur, Dominique Perben, qui n'avait pu achever son mandat en raison de sa perte de qualité de membre du Parlement ; or, la présidence de l'AFITF doit revenir à un parlementaire.

Depuis votre prise de fonctions, nous vous avons rencontré à plusieurs reprises, soit au titre des travaux de la commission Mobilité 21 que vous avez présidée à la demande du ministre Frédéric Cuvillier, soit en lien avec les travaux parlementaires sur l'écotaxe.

Votre audition d'aujourd'hui est pour nous une bonne occasion de faire un point sur l'ensemble de ces sujets.

Étant donné le contexte budgétaire très contraint, quel est le programme d'investissement désormais à la charge de l'AFITF ? Quelles sont ses ressources ? Pensez-vous que la situation actuelle soit tenable longtemps compte tenu de l'état d'un certain nombre d'infrastructures de notre pays ? Ne faudrait-il pas envisager un effort financier plus significatif ?

M. Philippe Duron. - C'est un plaisir pour moi d'être ici pour évoquer un sujet qui, au-delà de la question des infrastructures de transport, est lié à l'ensemble des problématiques de mobilité et comporte de réels enjeux économiques.

L'AFITF est un établissement public de l'État dont la création a été décidée lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de décembre 2003. L'idée était de traiter la question des infrastructures de transport en leur affectant une recette dédiée - les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes - à travers une structure de cantonnement, l'AFITF. Celle-ci a été mise en place le 1er janvier 2005 ; Gérard Longuet en a été nommé président ; Dominique Perben lui a succédé en 2011. Depuis 2005, le conseil d'administration s'est réuni à 46 reprises. Il a engagé 33 milliards d'euros, dont 16 ont déjà été financés. Les projets retenus ont fait l'objet d'une contractualisation par l'État, le Parlement ayant voté chaque année les recettes affectées à l'AFITF. La privatisation des sociétés d'autoroutes par le Gouvernement Villepin a privé l'Agence d'une recette dynamique mais la logique initiale a été maintenue malgré les réserves du ministère des finances et de la Cour des comptes. On lui a donc affecté d'autres recettes : une soulte de 4 milliards d'euros, liée à la privatisation - consommée en moins de trois ans -, mais aussi des recettes en provenance des sociétés d'autoroutes - la taxe d'aménagement du territoire et la redevance domaniale -, ainsi que, par la suite, une part du produit des amendes radar. Comme cela n'était pas suffisant, on lui a attribué une subvention d'équilibre d'environ un milliard d'euros par an. L'AFITF a donc pu disposer d'un budget d'environ 2,2 milliards d'euros par an, nécessaire pour financer les projets engagés. Mais le contexte budgétaire difficile a rendu nécessaire de trouver d'autres financements. C'était le but de l'écotaxe, dont 760 millions sur un produit total de 1,2 milliard devaient revenir à l'AFITF. Les mésaventures de l'écotaxe sont connues avec des résistances à la fois populaires, celles des « bonnets rouges », et professionnelles, celles d'un grand syndicat professionnel de la route. Il n'a donc pas été possible de réduire à zéro en quatre ans la subvention d'équilibre budgétaire. Le péage de transit qui doit se substituer à l'écotaxe sera beaucoup moins productif et il manquera au minimum 500 millions d'euros au budget de l'AFITF, voire 800 millions à un milliard si l'on retient, comme cela avait été prévu par le Gouvernement Ayrault, les projets du deuxième scénario établi par la commission Mobilité 21. On entend parler depuis quelques jours de l'affectation d'un supplément de 2 centimes sur la taxe poids lourds, mais aucune décision ne semble être prise et il faut donc attendre le projet de loi de finances pour 2015.

L'AFITF est une agence « grenellienne » dans sa conception puisque 70 % des autorisations d'engagement vont à des modes de transport alternatifs à la route, même si 58 % des crédits de paiement vont à la route, du fait de la plus grande rapidité de consommation des crédits routiers.

Le budget 2014 de l'AFITF peut être qualifié de budget de crise. Il a été bouclé en 2013 grâce à une ponction sur la trésorerie, en 2014 il l'a été par un accroissement de la subvention d'équilibre budgétaire qui atteint 625 millions d'euros au lieu des 400 millions prévus. Si l'année est plutôt normale en crédits de paiement, elle fait apparaître une diminution des engagements : les contrats de projet n'ont pu être inscrits, de même que le troisième appel à projets de transports collectifs en site propre (TCSP). Enfin, certaines dépenses ont été étalées, celles de la ligne TGV Tours-Bordeaux et de la deuxième partie de la ligne Est. Ces retards de paiement ne pourront perdurer.

Quel bilan depuis deux ans ? Comme je l'avais annoncé, j'ai cherché à améliorer la transparence de l'agence, en créant un site web et en établissant un rapport annuel d'activité. Je m'étais engagé aussi à modifier la structure du conseil d'administration qui est paritaire entre hauts fonctionnaires et représentants des administrations, d'un côté, et élus nationaux et personnalités qualifiées de l'autre. Il me parait en effet souhaitable que les grandes associations d'élus soient présentes dans le tour de table, ce qui pourra être fait dès l'achèvement de la réforme territoriale.

Nos priorités sont en cohérence avec celles du Gouvernement. Le ministre des transports, lors d'un déplacement dans le Nord ce matin, a insisté sur la sécurité. C'est essentiel, que ce soit à travers l'entretien des infrastructures de transport ferroviaire, une priorité que de récents accidents ont dramatiquement rappelée, ou pour la préservation du patrimoine routier exceptionnel de notre pays. Plusieurs indicateurs semblent montrer une dégradation de l'état d'entretien des routes, par l'État comme par les conseils généraux. Ce sont 500 millions à 1 milliard d'euros par an qu'il faudrait pouvoir y consacrer.

L'autre priorité concerne les transports du quotidien pour lesquels les attentes de nos concitoyens sont fortes, en termes de capacité, de confort et d'efficacité. Le remplacement des trains d'équilibre du territoire (TET) est intégralement prévu d'ici 2025, 110 millions y sont affectés dès cette année. L'AFITF s'intéresse aussi aux grandes infrastructures à portée européenne, le projet Lyon-Turin et le canal Seine Nord Europe.

M. Jean-Jacques Filleul. - Le rôle de l'AFITF est essentiel malgré la situation difficile de ses recettes. Une taxe de 2 centimes supplémentaire sur le gazole est une piste intéressante mais il convient d'être prudent. Est-il possible pour l'AFITF de bénéficier de financements européens ?

Mme Hélène Masson-Maret. - Malgré les problèmes rencontrés, il semble que les engagements de l'État ont été assurés. Pour l'avenir peut-on identifier les projets qui doivent être impérativement réalisés et ceux qui peuvent être abandonnés ? Quelles recettes trouver si une grogne empêchait la mise en place des 2 centimes supplémentaires récemment évoqués ? Ne serait-il pas souhaitable que la fonction de président de l'AFITF soit exercée à plein temps ?

M. Roland Ries. - Merci pour la clarté de l'exposé. En quoi une structure intermédiaire comme l'AFITF peut-elle apporter une plus-value au financement des infrastructures de transport ? Vous indiquez que les dépenses liées aux deux lignes TGV prises en charge par l'AFITF ont été étalées mais, sur le chantier de la ligne TGV Est, les travaux avancent normalement et l'objectif de mise en service semble toujours être 2016. Si le modèle du « tout TGV » parait dépassé aujourd'hui, avec une inversion des priorités en faveur de la rénovation des infrastructures et des transports du quotidien, doit-on pour autant considérer que le réseau TGV est achevé et que le maintien d'une compétence de haut niveau dans ce domaine n'est pas une nécessité ?

M. Jean-Pierre Bosino. - A-t-on une estimation précise des besoins sur l'ensemble du pays ? Le tableau de financement des grandes infrastructures de transport est bien sombre et il est regrettable d'en être arrivé là alors que ces infrastructures ont un rôle économique utile. D'autres sources de financement sont certainement possibles ; l'AFITF participe-t-elle à la réflexion même si ce n'est pas elle qui détermine ses recettes ? Pensez-vous que le projet de liaison Seine Nord Europe a des chances de déboucher, en particulier après les difficultés connues avec la procédure du partenariat public privé (PPP) ? Où en est-on du développement du ferroutage que d'autres pays européens pratiquent avec plus d'efficacité ?

Mme Chantal Jouanno. - Le Grenelle de l'environnement avait bien prévu d'inscrire parmi les priorités les travaux de sécurité du réseau routier. Comment se fait-il que le budget 2014 de l'AFITF ne consacre que 30 millions d'euros aux PDMI et aucun crédit aux transports collectifs ? À quoi sont destinés les 153 millions inscrits pour la liaison transalpine ? Après les débats malheureux sur l'écotaxe poids lourds, avez-vous des propositions de recettes alternatives ? Quel serait selon vous le budget optimal pour cette agence ?

M. Philippe Duron. - Le budget actuel de l'AFITF est de 1,8 milliard d'euros. Pour réaliser les engagements pris par l'État, ce sont 2,2 milliards qui sont au minimum nécessaires. Pour mettre en oeuvre le scénario 2 de la commission Mobilité 21, c'est-à-dire 30 milliards d'engagements supplémentaires d'ici 2030, il faudrait un budget annuel de 2,5 milliards. Ce budget souhaitable repose sur une analyse qui prend en compte aussi bien les retombées économiques, en termes d'emploi et d'activité économique, que sociales, pour répondre aux attentes et besoins du public, de ces travaux d'infrastructures. Ce sont de vrais investissements qui peuvent avoir un impact économique tout à fait significatif, comme par exemple si l'on décidait d'améliorer l'accès à l'hinterland des ports du Havre et de Marseille.

Pourquoi passer par l'AFITF ? Auparavant, tout se faisait par la voie budgétaire. Mais des travaux menés avec l'ancien sénateur Jacques Oudin ont montré que trop souvent la baisse des investissements était devenue une variable d'ajustement budgétaire, d'où la nécessité de flécher l'utilisation de certaines recettes et de garantir qu'elles ne soient pas trop systématiquement modulées en fonction de la situation budgétaire. D'autres pays ont procédé de la même manière, en créant des agences dédiées au financement des infrastructures de transport, comme l'Espagne, l'Allemagne ou la Suisse.

Un autre avantage de l'Agence est que l'État doit justifier ses choix. Il est ainsi arrivé que le conseil de l'AFITF refuse des dossiers pour lesquels l'évaluation socio-économique n'était pas réalisée. L'idéal serait que l'Agence puisse disposer de ses propres services d'expertise financière, comme c'est le cas en Allemagne, mais la toute petite structure actuelle de 4 emplois équivalent temps plein, ne le permet pas.

Les priorités de l'AFITF sont celles que définissent le Gouvernement et le Parlement. Mais elle participe à la réflexion générale. À l'issue des travaux demandés par Frédéric Cuvillier, il est désormais clair que la priorité est de régénérer les voies existantes et de moderniser les systèmes de fonctionnement afin de permettre notamment des gains de capacité. Une attention toute particulière doit être portée aux grands noeuds ferroviaires autour des gares parisiennes, de la Part Dieu à Lyon et de Saint Charles à Marseille. Outre les infrastructures, le matériel aussi doit être modernisé, par exemple les trains corail qui, entre les TGV et les TER rénovés, ne sont plus à la hauteur des attentes en termes de confort, de régularité et de sécurité.

L'AFITF a récemment organisé un séminaire sur le modèle du TGV français, avec des économistes et des experts. Il est apparu que son coût doit être mieux pris en compte. Sur la ligne Tours-Bordeaux, par exemple, le contribuable devra payer 5 euros par passager pendant 50 ans. Sur Marseille-Nice, ce montant pourrait s'élever à 45 euros.

Mme Hélène Masson-Maret. - Que doit-on faire alors sur ce tronçon ?

M. Philippe Duron. - Plutôt que de rénover une voie fragile du XIXe siècle, il faudrait créer une nouvelle ligne. L'analyse des besoins montre qu'une ligne à grande vitesse n'est sans doute pas la solution pertinente car les habitants des territoires concernés, y compris à Monaco, souhaitent avant tout un transport du quotidien efficace. Chaque territoire doit examiner la pertinence de ses différents moyens de transport : pour certains territoires enclavés, la route sera plus utile, pour d'autres, comme Brest ou Nice, l'aérien est la bonne solution, etc.

Il faudra continuer les investissements en matière de LGV, afin de maîtriser la technologie, mais à un rythme plus raisonnable qu'actuellement car construire 4 LGV simultanément est excessif. Le coût des deux lignes confiées à des PPP pèsera en outre dans quelques années sur le budget de l'AFITF.

Quels projets abandonner ? Aucun sans doute mais certains sont plus prioritaires que d'autres, d'où le découpage en trois séquences effectué par la commission Mobilité 21 : avant 2030, entre 2030 et 2050, après 2050.

Quelles nouvelles sources de financement ? Un travail est en cours dans le cadre de l'association Transport Développement Intermodalité Environnement (TDIE). Plusieurs propositions ont été évoquées comme la création d'un livret d'épargne infrastructures ou le placement de fonds de caisses de retraite, mais elles n'ont pas été entendues.

Le ferroutage et, d'une manière plus générale, le fret ferroviaire sont des sujets importants. L'AFITF maintiendra dans ses budgets 2014, 2015 et 2016 les sommes consacrées aux autoroutes ferroviaires.

Sur la disponibilité du président, elle est réelle, surtout depuis les élections municipales de mars 2014 ! Le conseil d'administration de l'AFITF se réunit cinq à six fois par an, ce qui ne nécessite pas la présence d'un président à plein temps. La liaison entre cette fonction et celle d'élu et de parlementaire est néanmoins intéressante.

Mme Chantal Jouanno. - Qui arbitre sur les autorisations d'engagement ?

M. Philippe Duron. - C'est la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Pour les transports collectifs, il devrait y avoir à nouveau des crédits dans le budget de 2015.

M. Roland Ries. - On me dit qu'il y a eu un avis négatif de l'Araf sur les autoroutes ferroviaires.

M. Philippe Duron. - Cet avis ne remet pas en cause le projet. Il vise essentiellement un problème de concurrence avec le transport combiné.

M. Jean-Jacques Filleul. - Et l'accès aux financements européens ?

M. Philippe Duron. - L'AFITF ne met en place que des financements de l'État. Mais il faut saluer la volonté qui semble se manifester en Europe d'une plus grande participation aux projets d'infrastructures de transport.

M. Michel Teston, président. - Merci pour vos réponses claires et l'ensemble de ces précisions.

Vote sur la proposition de nomination du président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)

La commission procède au vote sur la candidature de M. Philippe Duron, aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), en application de l'article 13 de la Constitution.

M. Michel Teston, président. - Voici les résultats du scrutin : 8 voix pour et un bulletin blanc, sur 9 votants.

La réunion est levée à 17 h 25.