Mercredi 21 octobre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Instaurer des contrats territoriaux de développement rural - Examen des amendements au texte de la commission

M. Hervé Maurey, président. - Nous examinons les amendements à la proposition de loi visant à instaurer des contrats territoriaux de développement rural.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Nous avons examiné la semaine dernière en commission la proposition de loi de notre ancien collègue Pierre Jarlier. Je vous avais alors proposé de supprimer l'article 2 mais je vous proposerai ce matin de le réintroduire, ayant été convaincue par les différents avis qui s'étaient alors exprimés parmi vous. La nouvelle rédaction de l'article que je vous soumets vise à proposer des critères plus adaptés à l'identification des territoires ruraux. Conformément aux discussions que nous avons eues lors de l'examen en commission et aux propositions de certains de nos collègues, les paramètres que je propose pour définir les territoires ruraux en difficulté sont la densité de population, le déclin démographique, le revenu par habitant et le potentiel fiscal. Un décret en Conseil d'État précisera les modalités d'application, notamment seuils et valeurs de référence.

Ces critères permettront de cibler les territoires ruraux les plus fragiles d'un point de vue social et économique, et dépourvus de recettes fiscales suffisantes pour faire face à ces difficultés. Il s'agit d'éviter toute mise en concurrence des territoires.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je ne veux en aucun cas être désagréable, mais ce texte n'a malheureusement pas d'intérêt puisqu'il enfonce des portes ouvertes et n'apporte rien au droit existant.

M. Hervé Maurey, président. - Je rappelle que cet amendement répond à une demande qui avait été formulée la semaine dernière par un certain nombre de membres de la commission qui souhaitaient, en premier lieu ne pas supprimer l'article 2, et en second lieu, préciser, au sein de cet article, les critères permettant de bénéficier des contrats territoriaux.

M. Claude Bérit-Débat. - Il répond à une demande de la majorité !

M. Ronan Dantec. - Je suis plutôt favorable à cet amendement, mais le fait d'utiliser la conjonction de coordination « et » pour le critère de déclin de la population me semble dangereux car à mon avis, il existe des territoires ruraux en difficulté du fait du vieillissement par exemple, ce qui n'est pas un déclin.

M. Pierre Médevielle. - Il ne serait pas inintéressant de revoir le classement de ces zones rurales en difficulté. Je partirais d'un cas précis pour illustrer mon propos : celui des zones de revitalisation rurale (ZRR). La moitié sud de mon département est quasi-exclusivement constituée de ZRR et certains territoires ne bénéficient aujourd'hui plus de ce dispositif, pour la seule raison qu'ils sont traversés par un bout d'autoroute.

M. Hervé Poher. - La rédaction laisse penser que les quatre critères sont cumulatifs. Or, certains territoires, qui ne cumulent que deux de ces critères, auraient vraiment besoin de ce type de contractualisation.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous rappelle que le texte renvoie à un décret en Conseil d'État.

M. Rémy Pointereau. - Je crois que cet amendement complexifie les choses. Nous avons en effet déjà les zones de revitalisation rurale (ZRR) avec des critères établis depuis vingt-cinq ans et cet amendement prévoit un nouveau zonage des territoires en difficulté, qui devraient tous entrer dans le champ des ZRR. Il ne faut pas multiplier les zonages.

M. Jean-Claude Leroy. - Pourquoi ne met-on pas un peu de cohérence avec les ZRR ? Dans les travaux qui sont actuellement en cours sur la redéfinition des ZRR, il y a justement la faible densité de population et le faible niveau moyen de revenu par habitant. Introduire des critères cumulatifs durcit en réalité les conditions d'éligibilité. On a intérêt à avoir une seule et même définition des territoires en difficulté, et la plus simple possible.

M. Gérard Miquel. - Nos concitoyens appellent à plus de simplification. Nous avons l'art de complexifier les choses. À quoi sert-il de rajouter des couches de réglementation ? J'ai été pendant longtemps un promoteur des « pays ». J'avais même obtenu un « pays test ». Mais aujourd'hui, je suis favorable à leur suppression puisqu'on a les PETR et une nouvelle organisation de la carte intercommunale. Je ne vois pas pourquoi rajouter des contrats territoriaux ruraux.

M. Benoît Huré. - Je suis de plus en plus mal à l'aise avec ce texte, parce qu'il comporte beaucoup plus d'enjeux qu'on ne le pense. Aujourd'hui, la priorité totale est donnée au phénomène métropolitain : c'est le choix qui a été fait. On complexifie là les choses et on dévitalise ce qu'il nous reste de solide en termes d'aménagement du territoire. Il y aura un vrai combat sur les ZRR et nous sommes ici dans la dispersion. Nous représentons les territoires. Nous avons besoin d'une loi d'aménagement solide mais surtout qui comporte des moyens financiers en adéquation avec les objectifs. Avec ce texte, on complexifie les choses et on désespère les acteurs sur le terrain, à commencer par nos élus municipaux.

Mme Annick Billon. - Je voudrais répondre sur cet article 2. Je rappelle que mon amendement répond à vos remarques de la semaine dernière qui visaient à le réintégrer avec de nouveaux critères. L'objectif de Pierre Jarlier, en outre, était de donner du sens à tous les outils qui peuvent exister d'ores et déjà comme les zonages ou encore les fonds d'aide via une contractualisation avec l'Etat. Elle existe avec les villes mais pas avec les territoires ruraux. Mon objectif en tant que rapporteure a été de simplifier le dispositif. Concernant les critères de l'article 2, l'objectif est d'éviter la mise en concurrence des territoires. Si vous souhaitez que l'on s'arrête sur les critères des ZRR, j'y suis pour ma part favorable puisque j'avais même proposé initialement de laisser les territoires définir eux-mêmes leurs critères. Je suis consciente que cette proposition de loi ne révolutionne pas l'aménagement du territoire mais je note tout de même qu'il n'y a eu pratiquement aucun amendement de déposé pour la modifier non plus.

M. Hervé Maurey, président. - La semaine dernière, la rapporteure avait proposé de supprimer cet article 2. Et c'est la commission qui a demandé à ce que l'article soit maintenu et à ce que la rapporteure dépose un amendement précisant les critères. On ne peut pas lui reprocher de faire ce que vous lui avez demandé.

Je suis par ailleurs assez étonné que cette proposition de loi suscite de telles réactions. Elle ne mérite, comme on dit, ni cet excès d'honneur, ni cet excès d'indignité. Elle n'a pas prétention à être la grande réforme de l'aménagement du territoire que, j'espère, nous proposerons. C'est un texte pragmatique, qui propose de mettre à disposition du monde rural la contractualisation, qui existe aujourd'hui uniquement pour le monde urbain.

M. Benoît Huré. - Je ne me suis pas emporté sur le travail de simplification de la rapporteure, que je félicite d'ailleurs. C'est sur l'idée même de cette proposition de loi. Nous allons engager, dans un contexte d'absence de moyens publics, de nouveaux outils pour l'aménagement du territoire. Il y a là un risque d'affaiblissement et de dispersion.

M. Jean-François Longeot. - J'ai l'impression que l'on fait beaucoup de bruit pour rien, surtout pour un texte qui vise avant tout à reconnaître davantage les territoires ruraux. On aurait mieux fait de concentrer davantage nos critiques sur la loi NOTRe, il n'y a qu'à regarder les résultats des commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), publiés la semaine dernière, pour s'en convaincre. Nous avions obtenu en CMP l'abaissement du seuil d'intercommunalité de 20 000 à 15 000 habitants. Pourtant, une communauté de communes à côté de chez moi passera de 4 000 à 25 000 habitants !

Et on ignore totalement comment les calculs vont être effectués pour les ZRR : il n'est pas assuré que les communes qui bénéficiaient du dispositif continueront à être éligibles avec le nouveau zonage.

Nous devons exprimer, à travers cette proposition de loi, que les choses ont mal été faites, et que la situation administrative s'est compliquée au fil des réformes. Si l'un d'entre nous connaît un seul élu satisfait de la situation actuelle, qu'il nous le dise !

M. Hervé Maurey, président. - Certains départements vont encore plus loin. Je parle sous le contrôle de Jean Bizet, mais je crois qu'il n'y aura plus que cinq intercommunalités dans la Manche !

M. Jean Bizet. - En effet, mais nous devons aussi faire évoluer l'état d'esprit de nos concitoyens. Je suis le premier surpris de voir la réaction des élus locaux. On dit souvent que la Manche est un département violemment modéré...

M. Hervé Maurey, président. - En tant que centriste, j'apprécie cette formule !

M. Jean Bizet. - ...dans un premier temps, les élus se sont crispés, mais ils ont fini par admettre qu'ils ne voulaient pas rester tous seuls ! J'ignore au final quelle solution sera retenue, mais la préfète a d'ores et déjà réussi son pari : les gens en parlent positivement. Nouvelle génération d'élus, baisse des dotations de l'État, avenir incertain : ils ne veulent surtout pas rester seuls. Le plus intéressant est que ces nouvelles intercommunalités correspondent pratiquement au périmètre des pays, qui ont véritablement servi de préfigurateurs.

M. Rémy Pointereau. - Je reviens sur l'amendement proposé : ne pourrait-on pas faire coïncider ces contrats avec les ZRR, plutôt que de rajouter une couche supplémentaire ? Il faut également insister auprès du Gouvernement pour que les parlementaires soient associés à la détermination des nouveaux critères : nous n'avons toujours pas été consultés !

Mme Annick Billon, rapporteure. - Je vous propose une nouvelle rédaction : « Sont définis comme territoires ruraux en difficulté au sens de l'article 1er de la présente loi les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre caractérisés par une faible densité de population et par un faible revenu par habitant, en référence à des valeurs nationales ». Cela correspond aux nouveaux critères des ZRR, mais il n'est pas nécessaire de les citer explicitement puisque les nouveaux critères n'ont pas encore été validés.

M. Jean-Claude Leroy. - Je suis d'accord avec Rémy Pointereau. Renvoyer à un décret en Conseil d'État le soin de définir les critères d'éligibilité, c'est faire fi du rôle du Parlement et des associations d'élus.

En ce qui concerne les pays, je souligne que la région est plus que jamais devenue le lieu de la planification, car c'est elle qui contractualise avec les pays !

M. Hervé Maurey, président. - Je vais donc mettre aux voix cet amendement, qui ne sera pas directement intégré au texte mais bien discuté en séance publique.

M. Jérôme Bignon. - On vote bien sur la nouvelle rédaction proposée par la rapporteure ?

Mme Annick Billon, rapporteure. - En effet.

L'amendement n° DEVDUR.2 est adopté.

Mme Annick Billon, rapporteure. - L'amendement n° 2 de M. Delcros vise à rétablir la possibilité pour un syndicat chargé de l'élaboration d'un SCoT d'être le signataire principal d'un contrat territorial. En commission, nous avions supprimé cette disposition compte tenu de l'inadéquation d'une telle structure pour mettre en oeuvre un projet de développement territorial.

Je ne suis donc pas favorable à cette disposition d'autant plus que l'article 3 prévoit la possibilité, pour toute personne publique, d'être cosignataire du contrat territorial, ce qui permettra d'intégrer un syndicat mixte chargé d'un SCoT, si cela est pertinent.

M. Jean-Claude Leroy. - Je rappelle ce que nous avons dit la semaine dernière : un SCoT est un syndicat mixte d'études et pas de réalisation ! Nous soutenons l'avis défavorable de la rapporteure.

M. Rémy Pointereau. - Je félicite également la rapporteure pour sa sagesse. Nous ne devons pas introduire de complexité supplémentaire. Jean-Claude Leroy a raison d'insister sur le fait que le SCoT n'est pas un syndicat de projet, mais un syndicat d'études et de zonage !

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

Mme Annick Billon, rapporteure. - L'amendement n° 1 rectifié bis vise à systématiser l'intégration dans les contrats d'un volet économique comportant une compensation financière pour les entreprises installées en zone de faible densité.

Si le soutien à l'activité économique est une dimension importante du développement local, et a vocation à être intégré dans certains contrats territoriaux, l'insertion systématique d'une clause de compensation financière pour les entreprises est susceptible de rigidifier le dispositif contractuel. Il ne me paraît pas nécessaire d'imposer un volet spécifique aux entreprises dans la loi, alors que d'autres sujets comme le maintien des services publics, l'accès à la santé ou le déploiement des réseaux de communication électroniques ne feraient pas l'objet d'une même systématisation.

Nous nous sommes précisément employés à alléger le dispositif, afin d'éviter que les parties prenantes soient contraintes par un cadre législatif excessivement développé, et contraire à l'esprit d'un mécanisme contractuel. Je proposerai donc le retrait sinon mon avis sera défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.

Consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes - Désignation des candidats appelés à faire partie de la commission mixte paritaire

M. Hervé Maurey, président. - Nous devons désigner les sénateurs appelés à siéger dans la commission mixte paritaire (CMP) relative à la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes, excellemment rapportée par notre collègue Michel Vaspart. Cette CMP devrait se tenir le mardi 10 novembre à 14 heures, à l'Assemblée nationale, et ne devrait pas durer très longtemps.

Sont désignés comme titulaires : MM. Hervé Maurey, Michel Vaspart, Didier Mandelli, Michel Raison, Jean-Jacques Filleul, et Mmes Nelly Tocqueville et Evelyne Didier et comme suppléants : Mme Nathacha Bouchart, et MM. Gérard Cornu, Rémy Pointereau, Pierre Médevielle, Jean-Claude Leroy, Hervé Poher et Guillaume Arnell.

La réunion est suspendue à 10 h 05.

La réunion est reprise à 14 h 45.

Groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire - Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique

M. Hervé Maurey, président. - Madame la ministre, mes chers collègues. Nous souhaitions vous auditionner car nous avons mis en place au mois de mars dernier un groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire, qui doit prochainement remettre son rapport. Nous avons créé ce groupe de travail afin de faire un point sur l'aménagement numérique, deux ans après la publication de la feuille de route du Gouvernement, début 2013.

Le numérique est une dimension essentielle du développement de la France et de ses territoires. Il représente une opportunité à saisir pour résorber les inégalités existantes. Toutefois, il peut également constituer une source de nouvelles fractures territoriales.

Dans la continuité de la précédente majorité, et avec assez peu de changements en termes d'architecture globale, le Gouvernement actuel a présenté sa stratégie numérique début 2013, promettant en particulier une couverture totale de la population en très haut débit fixe d'ici 2022, principalement grâce à la fibre optique jusqu'à l'utilisateur, le fameux FttH.

Le groupe de travail a mené de nombreuses auditions, afin d'examiner la mise en oeuvre concrète des annonces de votre Gouvernement.

Ce que nous avons constaté dans nos travaux nous inquiète pour l'avenir de nos territoires. Bien sûr, le très haut débit progresse, et nous atteindrons sans doute l'objectif de 50% de couverture en 2017. Mais cette situation est trompeuse car elle masque une double hétérogénéité, technologique et géographique.

Le très haut débit a été fixé à un niveau peu ambitieux, 30 mégabits par seconde, alors que l'on considère en général qu'un véritable très haut débit pérenne se situe à 100 mégabits par seconde avec des flux symétriques. Cette couverture en très haut débit sera donc majoritairement assurée par une modernisation du réseau de câble et du réseau de cuivre. La fibre optique de bout en bout restera minoritaire.

Géographiquement, l'accès au très haut débit sera essentiellement offert à la partie la plus dense de la zone réservée à l'initiative privée, c'est-à-dire le centre des grandes agglomérations. Les territoires périurbains et ruraux resteront largement dépourvus de couverture en 2017. Ajoutons que la notion de couverture est trompeuse car elle se fonde sur l'éligibilité au très haut débit, et non sur le raccordement effectif.

Nous craignons donc qu'en 2017, et a fortiori en 2022, les inégalités se soient accrues. Le Gouvernement se prévaudra peut-être en 2017 d'un déploiement atteint à mi-parcours. Il faut garder à l'esprit qu'à cette date, le plus dur restera à faire : les 50% restants seront les plus coûteux et les plus difficiles à couvrir, car à cette date, la couverture concernera essentiellement les zones denses.

Les objectifs fixés en 2022 sont extrêmement fragiles : la couverture à 100% du territoire semble très hypothétique, pour ne pas dire totalement irréaliste. Quant à l'objectif d'une couverture à 80% en FttH, le mix technologique observé dans la zone d'initiative privée, et la difficulté pour les collectivités de viser un niveau élevé de fibre optique, compte tenu notamment de leur situation budgétaire, fragilisent cet objectif.

D'ici 2020, les différents organismes auditionnés considèrent que les ressources des opérateurs privés devraient se concentrer sur la partie câblée de la zone réservée à l'initiative privée. Dans ces zones SFR-Numericable va s'appuyer sur son réseau déjà déployé, et les autres opérateurs, notamment l'opérateur historique, se concentreront sur ces zones, pour faire face à cette concurrence. Tout une partie de l'ancienne zone AMII risque de rester sans couverture, particulièrement dans les territoires périurbains. Dans ces zones, l'intervention des collectivités territoriales est impossible, les gouvernements successifs n'ayant pas envisagé de soutien aux déploiements, sauf défaillance caractérisée. Les opérateurs privés ont préempté ces territoires par des intentions d'investissement le plus souvent nébuleuses, dont l'aboutissement était fixé en 2015, et dont la reprise par des conventions de suivi est encore très incertaine. L'évolution de la structure du marché, suite à la fusion entre Numericable et SFR, a également modifié les incitations des différents opérateurs privés dans cette zone. Nous nous posons donc plusieurs questions Madame la ministre.

Comment le Gouvernement s'assure-t-il que les opérateurs privés déploieront véritablement des réseaux d'ici 2020 dans l'intégralité de la zone AMII ? Le conventionnement permettra-t-il de garantir le respect des engagements pris par les opérateurs privés, dès lors qu'il est loin de couvrir la totalité de la zone et que ses effets sont bien peu contraignants ? La seule perspective d'une perte du monopole des déploiements est-elle suffisante pour inciter les opérateurs à déployer ? Le Gouvernement dispose-t-il d'un « plan B » en cas de défaillance massive sur les déploiements privés dans la zone moins dense ?

Quant à la zone d'initiative publique, les collectivités territoriales ne disposent pas des moyens, ni des assurances nécessaires pour envisager une couverture totale en 2022. Dans un contexte de diminution générale des dotations, et de difficultés économiques, les collectivités ont élaboré des projets ambitieux de déploiement, qui restent exposés à de nombreux risques et incertitudes : qu'il s'agisse de choix technologiques, de modèle économique, ou de commercialisation. Sur bien des sujets, les collectivités territoriales sont livrées à elles-mêmes.

Quelles sont les perspectives de subvention pour les collectivités au-delà de 2020, alors que l'objectif est fixé en 2022 ? Comment lutter contre la stratégie attentiste des opérateurs privés sur la majorité des réseaux d'initiative publique ? Les collectivités doivent, malgré les baisses de dotations, investir pour déployer un réseau que les opérateurs n'ont pas souhaité construire, mais elles ne disposent d'aucune garantie sur la venue des opérateurs pour commercialiser leurs offres de services. Cette situation risque de créer un véritable scandale en termes d'argent public, avec des réseaux onéreux déployés par les collectivités, et des opérateurs choisissant de ne pas les utiliser. Il s'agit d'une inquiétude très forte pour les élus locaux.

Quel est l'avenir de la solution de montée en débit, alors même que la Commission européenne a mis en cause le subventionnement public à l'offre proposée par Orange ? Hier, notre collègue Patrick Chaize a posé une question au Gouvernement, mais n'a pas obtenu de réponse. Par ailleurs, les règles de transition du cuivre vers la fibre optique permettront-elles de mettre un terme à la rente du cuivre qui fragilise les nouveaux réseaux en fibre optique ?

À ces craintes sur le très haut débit, s'ajoute une exclusion persistante sur le haut débit fixe. Près de 15 % de la population reste privée d'un accès à un haut débit satisfaisant. Or l'objectif du Gouvernement est de garantir à tous un tel accès d'ici 2017. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement compte résorber d'ici cette échéance une fracture numérique aussi élémentaire ?

Quant au mobile, je me réjouis que le Gouvernement ait repris ce dossier, qui était bloqué depuis plusieurs années. Toutefois, de nombreuses interrogations subsistent sur la relance de la couverture mobile. Les zones non-couvertes vont-elles être recensées de façon exhaustive ? Dans le département dont je suis élu, la préfecture a identifié une dizaine de sites, quand le conseil départemental en a recensé deux cents ! Si l'identification des difficultés est aussi limitée, le problème ne sera pas réglé. Des questions demeurent également sur le soutien réel de l'État aux collectivités dans la mise en place de points hauts, et sur l'utilisation par les opérateurs d'infrastructures créées sur fonds publics. Enfin, pour les 800 sites prioritaires hors centre-bourg, ni les critères de sélection ni les modalités de financement ne sont fixés.

Enfin, le déploiement de la 4G reste extrêmement limité en zone de déploiement prioritaire... qui n'a jusqu'à présent de prioritaire que le nom. Cette dernière regroupe pourtant 63 % du territoire et 18 % de la population. La lenteur des déploiements dans nos territoires ruraux est d'autant plus regrettable que la 4G à usage fixe représente une chance pour permettre aux zones qui ne bénéficieront pas à moyen terme d'un accès filaire au très haut débit de disposer d'une alternative technologique. Patrick Chaize avait mis en évidence la possibilité d'accélérer ces déploiements lors de l'attribution des licences sur la bande 700, opportunité manquée par le Gouvernement et le régulateur en juillet dernier.

Vous l'aurez compris, Madame la ministre, nous sommes tous convaincus de l'importance du numérique pour nos territoires. Mais nous sommes très inquiets face à la trajectoire que prennent les infrastructures de communications électroniques : le cadre du très haut débit risque de créer une nouvelle fracture territoriale, plus d'un Français sur dix ne bénéficie toujours pas d'un haut débit fixe correct, et des milliers de communes restent privées d'une couverture mobile satisfaisante.

Cette exclusion numérique crée une précarité nouvelle, et alimente un sentiment d'abandon dans de nombreux territoires ruraux.

Au-delà des grands chiffres nationaux, nous souhaitons donc vous entendre sur les fragilités que nous avons pu identifier lors de nos travaux, et sur les solutions que le Gouvernement entend apporter afin d'assurer, à une échéance raisonnable, l'accès de tous les citoyens aux différents réseaux de communications électroniques. Je vous remercie.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Merci Monsieur le président. Je partage avec vous le constat d'un niveau élevé d'attente chez nos concitoyens, que je suis amenée à observer tous les jours lors de mes déplacements dans les territoires. Mais je ne partage pas le regard que vous posez sur le niveau d'ambition du Gouvernement dans ce domaine, à commencer par l'idée que nous nous soyons inscrits dans la continuité de la majorité précédente. En réalité, l'action du présent gouvernement se situe en rupture par rapport au précédent.

Le choix retenu en 2010 était le tout FttH, exclusivement, à déployer partout d'ici 2025, et avec des financements très faibles, à hauteur de 900 millions d'euros. Lors du changement de majorité, nous avons beaucoup écouté les collectivités territoriales, et nous avons décidé de privilégier une approche pragmatique, sans remettre en cause l'objectif d'une priorisation de la fibre optique. Car lorsqu'on déploie de la fibre optique, on prépare le pays pour les cinquante prochaines années, tandis qu'en cas de montée, on ne prépare que les cinq à dix ans à venir. La France est un des rares pays européens à avoir fait le choix de la fibre, et nous l'assumons. Mais plusieurs collectivités nous ont indiqué que certaines prises coûteraient près de 3 000 euros, alors même que la demande des citoyens ne permet pas d'engager de tels montants. Il faut donc privilégier un mix technologique. Il aurait été irresponsable de ne pas entendre ces difficultés. Le cahier des charges a ainsi été modifié pour permettre la montée en débit, sans remettre en cause l'objectif de fibre optique à terme. Il s'agit de préférer dans certains cas « la fibre jusqu'au village » plutôt que la fibre jusqu'à l'abonné. Nous préparons tous les territoires à accueillir la fibre optique, mais le réalisme l'emporte parfois lorsqu'il s'agit d'améliorer rapidement les débits.

Je m'inscris toutefois en porte-à-faux l'idée selon laquelle la montée en débit serait plus importante que la fibre optique dans les projets des collectivités territoriales. 88 départements ont déposé leurs dossiers de demande de subvention à l'État en l'espace de deux ans, depuis l'impulsion donnée début 2013 ! Ces projets prévoient 6 597 100 prises FttH, et 717 700 prises en montée en débit. Donc ne dîtes pas qu'il y aura plus de montée en débit que de fibre optique...

M. Hervé Maurey, président. - Je n'ai pas dit cela !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Nous finançons la montée en débit pour répondre à l'urgence, tout simplement. À terme, la montée en débit permettra d'accueillir la fibre optique.

Par ailleurs, vous suggérez un manque de priorisation des objectifs du Gouvernement, entre le soutien à la meilleure technologie, la baisse des prix pour les consommateurs, ou encore le découpage territorial des zones. En réalité, l'art de gouverner nécessite de poursuivre des objectifs de politique publique qui sont tous aussi importants les uns que les autres. Il faut tous les poursuivre, de façon pragmatique et équilibré. Concrètement, cela se traduit par des obligations de couverture sur la bande 700 qui sont plus élevées que celles prévues sur la bande 800, tout en prévoyant un plancher pour les recettes publiques dégagées, pour garantir au moins 2,5 milliards d'euros. Nous avons également ajouté des obligations pour la couverture des trains du quotidien. Cela concerne plus de six millions de passagers au quotidien. Nous introduisons pour la première fois de telles obligations. La perspective de cette obligation a par ailleurs accéléré les négociations entre la SNCF et les opérateurs de télécommunications.

Sur la 4G, concernant les outre-mer, les obligations de couverture sont sans précédent, avec un objectif social qui exige un niveau de service au rendez-vous, et des offres plus inclusives. Pour la première fois, le Gouvernement intègre des objectifs d'inclusion par les tarifs dans une procédure d'attribution de licences mobiles, pour lutter contre la vie chère dans les outre-mer.

À propos des zones privées, vous soulevez des inquiétudes légitimes, que je partage pour certains opérateurs, sur certaines zones. Dans les zones très denses, les opérateurs sont tous au rendez-vous car les clients sont présents et la commercialisation est plus importante que prévue. Dans les zones denses, qui étaient sans réseau de câble, la fusion entre SFR et Numericable a ralenti les déploiements. On constate un ralentissement, voire une inaction, par rapport aux conventions signées en 2013 sous la supervision de l'Etat. Ces conventions sont un outil juridique utile et solide, qui prévoit une procédure de constat de carence. À Lille hier j'ai encore pu constater les effets bien réels de ces conventions. La métropole européenne est couverte aux deux tiers, mais le tiers restant est celui qui aurait dû faire l'objet d'une couverture dans le cadre de l'accord entre SFR et Orange, mais qui n'est plus respecté suite à la fusion entre SFR et Numericable. J'ai clairement indiqué que l'Etat constaterait le manquement. La réunion du comité régional va avoir lieu très bientôt, ce qui signifie que le marché s'ouvre à l'initiative publique. Les collectivités territoriales pourront donc investir, lorsque la carence aura été constatée. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de ces conventions dans ce rapport de force, qui s'est durci ces douze derniers mois.

En matière de couverture mobile, le Gouvernement a effectivement repris le dossier face à l'urgence du problème et à l'évolution des usages. Les citoyens souhaitent avoir internet par le fixe mais également par le mobile. Aujourd'hui ne pas avoir accès à la téléphonie mobile est inacceptable. Nous avons donc introduit une composante mobile dans le plan THD, avec des financements et une obligation faite aux quatre opérateurs d'être présents. Un seul vient déployer l'équipement, mais les quatre opérateurs se sont engagés contractuellement pour venir commercialiser les réseaux dans les zones 2G, d'ici fin 2016, et dans les zones 3G, d'ici mi-2017.

Sur la question du recensement, se pose le problème de la différence entre les critères de calcul et le ressenti. Ces critères de calcul sont ceux des politiques publiques, qui ne sont pas les mêmes que ceux utilisés pour vérifier la couverture mobile par les opérateurs, qui sont fixés au niveau européen. Il faut effectivement faire des choix : lorsqu'on évoque la couverture d'une commune, c'est en effet au niveau du centre-bourg. C'est difficile à comprendre pour les habitants, qui souhaiteraient pouvoir communiquer de partout, et pas seulement hors de la place du village. Mais il faut être réaliste, ne pas faire de fausses promesses et tenir un langage de vérité : on imagine bien le coût d'une couverture totale du territoire. Commençons donc par ce qui est réaliste, c'est-à-dire de couvrir déjà un point dans les communes qui n'ont rien.

Aujourd'hui dans le recensement, nous constatons qu'il y a un écart important, plus important que ce que nous attendions, entre le constat réalisé par les préfectures de région, mandatées au mois de juillet, et ce que nous annonce les opérateurs. Nous avons fait appel à deux prestataires indépendants qui travaillent avec des binômes d'opérateurs, pour faire des contre-expertises sur le terrain et établir une liste définitive de commune, qui devrait être disponible d'ici la fin du mois d'octobre. Pour la 3G, la procédure est comparable, avec un déploiement prévu d'ici mi-2017.

S'agissant de la notification à la commission européenne, évoquée hier en séance par Monsieur Chaize, que je prie de bien vouloir m'excuser pour mon absence, car j'étais justement à Lille, pour constater qu'Orange avait décidé de déployer sur certaines communes que SFR devait initialement prendre en charge. Sur ce sujet, je pense qu'il ne faut céder ni à la panique, ni à la tentation d'instrumentalisation politique, pour un sujet qui est trop important pour nos concitoyens. Je pense que nous sommes tous d'accord pour affirmer que la conjonction des financements des collectivités territoriales, de l'Etat et de l'Union européenne est la clef afin de maximiser les ressources pour les déploiements. Il ne faut pas fragiliser cela par des initiatives politiques dissonantes. Que la Commission européenne nous pose des questions sur le plan très haut débit, cela est tout à fait normal, du fait de l'ampleur sans précédent des investissements publics. La France fera peut-être jurisprudence pour d'autres pays. Avec beaucoup de minutie, nous avons répondu à chacune des questions de la Commission européenne, qui s'interroge sur l'application du régime des aides d'État au nouveau cahier des charges. Mais je tiens à souligner que cela ne concerne que 3 % du plan. L'Union européenne examine ainsi la montée en débit, qui serait une préférence donnée de facto à l'opérateur historique. Concrètement c'est effectivement Orange qui est dans ces zones. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'Etat a privilégié un opérateur, ni qu'il a interdit aux autres opérateurs d'être présents. Les opérateurs ont plutôt tendance à déplorer une concurrence trop farouche entre eux, et d'ailleurs tous les opérateurs sont allés témoigner auprès de la Commission pour souligner à quel point la concurrence joue à plein sur le marché français, par rapport à d'autres pays. J'ai moi-même porté politiquement ce dossier, pour éviter qu'il soit pris en charge exclusivement par des experts. A ce stade, je pense que les doutes sont levés. Les commissaires européens sont convaincus du bien-fondé de la démarche française. Des échanges techniques restent nécessaires pour consolider les expertises, notamment auprès de la direction juridique, mais non plus auprès de la direction de la concurrence. Il y a trois mois, je vous aurai apporté une réponse bien plus prudente. Aujourd'hui, je crois que les nuages se sont dissipés.

J'en finirai sur l'idée selon laquelle les collectivités seraient livrées à elles-mêmes, et abandonnées aux choix qu'elles doivent faire. Nous avons effectivement choisi une méthode inhabituelle pour l'État français, centralisateur, bureaucratique, jacobin. Nous faisons confiance aux choix des collectivités territoriales. Ce choix, retenu par nos prédécesseurs, nous a semblé sain, et sa remise en cause en cours de route aurait été très déstabilisante pour les collectivités. Nous avons toutefois choisi de modifier la méthode, notamment par une nouvelle gouvernance. Après avoir mis en place la Mission très haut débit, nous avons créé une Agence du numérique, qui se place complètement au service des collectivités territoriales et qui assure une co-construction des dossiers. Ce qui nous est reproché n'est pas tant de laisser les collectivités livrées à elles-mêmes, que d'être très exigeant en termes de conformité au cahier des charges, notamment pour s'assurer que le projet est conforme au régime des aides d'Etat. Il y a effectivement beaucoup d'allers-retours, avant la fameuse réunion du comité de concertation qui doit décider de la subvention. Cette méthode me semble très novatrice, en préférant accompagner les collectivités, plutôt que dicter.

Effectivement, il y a les bons élèves, et les moins bons. Il ne faut pas laisser ces derniers de côté. J'ai souhaité en priorité accompagner les derniers départements qui n'ont pas présenté de dossiers. Le Président de la République s'est engagé à ce que la totalité des départements aient déposé des dossiers d'ici la fin de l'année, et qu'ils aient tous fait l'objet d'une décision d'investissement d'ici la fin de l'année prochaine. L'ensemble des collectivités territoriales seront donc concernées par le plan très haut débit d'ici fin 2016. Cette méthode de mobilisation collective doit être saluée, car elle n'est pas habituelle pour les services de l'Etat. Nous avons rationalisé l'action du Gouvernement, en regroupant le pilotage des infrastructures par la Mission très haut débit avec les écosystèmes d'innovation et les start-up de la Mission French Tech et la Délégation aux usages de l'internet, pour que la politique du numérique soit cohérente. Cela ne s'est pas accompagné d'une réduction des effectifs et des moyens, bien au contraire. Depuis plus d'un an, le nombre d'ETP consacrés exclusivement à la Mission très haut débit augmente. Nous avons notamment reçu des effectifs en provenance de la Caisse des dépôts, pour renforcer les équipes. L'Agence du numérique est donc en ordre de marche pour accomplir sa mission, qui est l'accompagnement des collectivités territoriales.

M. Hervé Maurey, président. - L'objectif de dépôt des dossiers est une chose, encore faut-il après pouvoir obtenir les financements. Les délais sont très longs; il n'est pas rare de devoir attendre deux ou trois ans. Tout ce qui est déployé aujourd'hui l'est aux frais des collectivités et à crédit, dans la mesure où quasiment aucun financement n'a été attribué par l'État.

Ce qui manque aux collectivités dans certains cas, c'est une expertise. Une collectivité est souvent dans le questionnement : faut-il faire du tout fibre ? Du tout montée en débit ? Faut-il un mix technologique ? Lequel dans ce cas ? Il avait été annoncé à une époque que l'État mettrait en place une structure de conseil, cela n'a pas été fait. Le conseil est apporté au moment où le dossier se présente. On pourrait estimer qu'il s'agit de moyens dilatoires pour faire durer l'examen des dossiers... Ce n'est plus au moment du financement des dossiers qu'il faut se pencher sur leur pertinence technologique. Il serait souhaitable d'avoir ce conseil en amont.

Sur la téléphonie mobile, il serait certes appréciable d'avoir internet sur son téléphone, mais certaines personnes souhaiteraient simplement pouvoir passer des appels. Beaucoup de gens n'ont même pas la 2G.

Je suis d'accord avec vous : il faut tenir un langage de vérité. Que le gouvernement cesse ses effets d'annonce en disant par exemple que tout le monde aura le téléphone en 2016. Vous dites fort justement que ce ne sera pas le cas et qu'au mieux chaque village aura un point de réception. Ne leurrons pas les gens, cela ne fera que renforcer le mécontentement.

Comment les préfets ont-ils fait leur recensement ? Dans mon département, j'ai vu la liste établie par le préfet par le plus grand des hasards. L'union des maires et le département n'ont pas été consultés. Sur quelle base ont-ils travaillé ?

M. Patrick Chaize. - Concernant l'avis de la Commission européenne, vous indiquez être rassurée. Néanmoins, je m'interroge : à quelle échéance aurons-nous une réponse ? Je pose cette question de manière concrète et précise, avec un esprit d'ouverture. Je suis en effet convaincu que, sur ce sujet, nous ne devons pas avoir de positions partisanes. Il en va de l'avenir de notre pays et de nos concitoyens.

Je fais partie du comité de concertation du plan France très haut débit. Je peux témoigner du sérieux du travail effectué par ce comité et par ses équipes, notamment de l'Agence du numérique. Je ne peux que vous féliciter de cette initiative. Cependant, le dernier comité d'engagement date du mois de mai. Depuis, aucun nouvel engagement n'a été pris et aucun courrier du Premier ministre n'a été signé. Mon département, l'Ain, précurseur sur ce dossier, attend depuis le mois de mai de pouvoir poursuivre ses investissements qui sont en pause du fait de ce manque de lisibilité. C'est la situation de nombreuses collectivités. Il est urgent de passer du recensement des 88 dossiers évoqués aux phases de réalisation et de création de lignes FttH.

Il existe des engagements contractuels des opérateurs dans le domaine de la téléphonie mobile ; il est dommage de ne pas en avoir prévu pour le très haut débit. Il aurait fallu imposer aux opérateurs de venir sur les réseaux d'initiative publique parce qu'il y a là aussi une prise d'otages.

Concernant la téléphonie mobile, vous avez abordé la notion de centre-bourg. Que signifie-t-elle à l'heure des communes nouvelles ?

M. Pierre Camani. - Je vous remercie Madame la ministre pour votre exposé. Dans le Lot-et-Garonne, j'ai pu constater depuis 2013 que nous avons pu avancer grâce à la nouvelle configuration. Le cadre est aujourd'hui clair, avec le mix technologique et des financements conséquents, trois milliards d'euros. Le gouvernement a fait le choix de faire confiance aux territoires. Il nous manquait un cadre référentiel pour avoir un déploiement très haut débit cohérent et efficient : nous l'avons désormais, avec un organisme dédié. Cela contribuera à l'égalité des territoires. Ce cadre nous permet d'avancer.

Je fais partie des départements qui ont déposé un dossier. Nous attendons. Le contentieux avec l'Union européenne a ralenti le déroulement du plan. Le Lot-et-Garonne est un département de 300 000 habitants. Grâce à ce nouveau cadre, j'ai pu déployer un projet de FttH à 70 % des foyers à échéance 10 ans, avec un investissement total de 120 millions d'euros. Combien de temps pensez-vous que ce contentieux européen va durer ? Nous sommes prêts sur le terrain à lancer les marchés.

Sur la téléphonie mobile, les préfets doivent effectuer un recensement. Il n'a pas été fait partout. Il serait souhaitable que le délai soit prolongé d'un ou deux mois afin que les collectivités puissent se mobiliser avec les services de l'État pour mieux identifier les territoires concernés.

La loi Macron prévoit, lorsqu'une collectivité investit sur la réalisation d'un bilan par exemple, que les opérateurs ont l'obligation de s'installer. C'est une évolution majeure.

M. Gérard Cornu. - Madame la ministre, vous évoquez une rupture entre 2011 et aujourd'hui ; la rupture est surtout avec le peuple français. La population se sent totalement abandonnée, notamment dans les territoires ruraux. La fracture numérique est là. Il y a un décalage entre les besoins des consommateurs et votre projet. Les gens souhaitent pouvoir téléphoner avec leur portable sans être sans cesse interrompus et accéder à un débit internet normal. Pour l'instant, nous n'avons pas répondu à ces besoins. Il y a un décalage entre les discours et les actes, et une incapacité des politiques à régler les problèmes de la vie de tous les jours. Cette fracture numérique accentue la fracture sociale et la fracture entre les territoires.

Au-delà des sujets que vous avez évoqués, il faut en revenir aux besoins primordiaux des habitants de tous les territoires. Tous les Français doivent avoir le minimum vital pour téléphoner et accéder à internet.

Mme Évelyne Didier. - Madame la ministre, je vous remercie pour la précision de votre discours. Le diagnostic est clair mais les solutions ne sont pas simples.

Il est important de dire aux opérateurs qu'ils doivent honorer leurs contrats. Les entreprises aiment à rappeler qu'elles signent des contrats et prônent leur respect. En l'occurrence, un des opérateurs n'a pas joué le jeu, ce que nous nous devons de dénoncer.

Qui tire les bénéfices des réseaux et vend des forfaits ? Ce sont les opérateurs. Il est normal qu'ils investissent, et non l'État en lieu et place des entreprises.

Nous avons évoqué le contentieux européen. Je m'inquiète lourdement pour la France et ses entreprises. Nous avions des opérateurs historiques importants, dans les transports, les télécommunications par exemple. Ces opérateurs apportaient des avantages à notre pays. On nous oblige aujourd'hui à tout brader. Dans un autre domaine, on empêche EDF de racheter des concessions hydrauliques. Nous sommes en train de perdre des avantages pour la France. L'objectif européen n'est pas de protéger le consommateur mais de tuer le service public français. Je voudrais savoir si le gouvernement s'érige contre cette position européenne qui s'affirme au détriment de notre pays.

Lorsque j'étais maire, il m'avait été demandé, à l'occasion de travaux sur la chaussée, de mettre des fourreaux et des points d'attente à l'entrée des lotissements et des parcelles afin de réduire les coûts et accélérer les projets. Cependant, les opérateurs nous disent maintenant que les fourreaux ne sont plus utilisables. Comment faire en sorte de sécuriser ces investissements et de s'assurer qu'ils ne sont pas réalisés en vain ?

Les citoyens aiment la vérité. Dans ma commune, nous avons la 4G. Pour autant, elle n'est pas disponible aux points les plus bas, les antennes étant placées sur les points hauts. Il faut expliquer tout cela aux gens, en toute transparence, et éviter la démagogie.

M. Alain Fouché. - Les collectivités interviennent depuis longtemps. Dans mon département, il y a dix ans, nous avons mis en place un système : pour les secteurs ne pouvant être reliés par le haut débit, le département finance l'accès par satellite. C'est un vrai problème : nous avons à la fois le Futuroscope, les plus hautes technologies, les plus grandes écoles et de nombreuses entreprises et il reste malgré cela des problèmes dans la ruralité.

Vous avez évoqué la téléphonie mobile. C'est un dossier difficile, notamment en ce qui concerne le principe d'itinérance. Quels moyens avez-vous pour faire pression sur les opérateurs ? Pour l'installation d'un pylône dans le département, nous n'intervenons que lorsque les trois opérateurs se mettent d'accord. Jusqu'où pouvez-vous aller pour obliger ce regroupement ?

Dans le TGV, la téléphonie fonctionne encore très mal. Pouvez-vous agir sur ce sujet ou est-ce du seul ressort de la SNCF ?

M. Michel Vaspart. - J'irai dans le même sens que le président Maurey concernant les fonds publics. Ces fonds sont publics, qu'ils proviennent des intercommunalités, des départements, des régions ou de l'État. Compte tenu de l'importance de ce dossier, qui va nous occuper encore des années, il ne s'agit pas d'une question de politique politicienne. Je suis inquiet de voir un certain nombre de fonds publics dilapidés. Lorsqu'il y a des aides financières, d'où qu'elles viennent, elles cautionnent les investissements réalisés et les choix opérés par les collectivités territoriales.

Je souhaiterais vous rappeler ce qui s'est produit dans mon département des Côtes-d'Armor. Il a été question de déployer le WiMAX partout. Le plan économique, validé par le département et par l'opérateur, puisqu'une délégation de service public a été attribuée pour vingt ans, prévoyait 5 000 raccordements et un résultat de 1,9 million d'euros fin 2014. Nous sommes aujourd'hui à moins 9 millions d'euros avec 140 abonnés dans le département... À partir du moment où les fonds publics sont de plus en plus rares, on ne peut plus utiliser un euro à mauvais escient. Je ne suis pas jacobin. Mais sur certains sujets très techniques comme celui-là, nous sommes perdus et cela conduit à de mauvais choix. Il nous aurait fallu plus de présence de l'État. Je ne suis pas convaincu qu'il faille laisser le choix des technologies à la libre appréciation des collectivités.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Les schémas départementaux d'aménagement numérique ont permis de décider d'une stratégie du très haut débit adaptée à chaque territoire, en choisissant entre la fibre ou une montée en débit. Reste le problème des financements : comment pouvons-nous investir sans avoir la garantie du versement des subventions ?

Je souhaite aborder également le problème de la téléphonie mobile. Aujourd'hui, la plupart des jeunes ménages ne possèdent plus de ligne fixe, ils n'utilisent que leurs portables. La carte des zones de couverture établie par la préfecture ne reflète pas la réalité et n'est donc pas acceptable en l'état : à la lire, on pourrait penser qu'il n'y a pas de problème. Elle recense 10 communes, alors que près de 270 communes de la Sarthe rencontrent des soucis de réseau mobile ! Il faut absolument pouvoir s'asseoir à une table avec les opérateurs, et leur expliquer concrètement les problèmes rencontrés par la population. Je note également que si nous avons pu évaluer à 400 millions d'euros le coût d'installation du FttH sur le territoire sarthois, personne n'est capable de chiffrer le déploiement d'un réseau 2G ou 3G sur l'ensemble du département...

Notre collègue Michel Vaspart a partagé son expérience du WiMax. Nous aussi, dans la Sarthe, avons essayé. Chez nous aussi, c'est un échec... Je me demande pourquoi on ne peut pas diffuser la 4G à partir des pylônes WiMax, qui sont reliés à la fibre et dans lesquels les collectivités territoriales ont investi. Cela résoudrait à la fois les problèmes de téléphonie mobile et d'internet pour les milieux ruraux. Antoine Darodes nous a indiqué que le problème était complexe, que les pylônes WiMax relevaient du domaine public et n'étaient donc pas mobilisables pour l'installation d'émetteurs d'opérateurs privés. Franchement, tout cela me dépasse !...

M. Rémy Pointereau. - À vous entendre, madame la ministre on dirait que tout va bien. Ce sont des propos qui me choquent ! Notre collègue Evelyne Didier l'a dit : il faut arrêter de nous raconter des histoires. Ce sont toujours les mêmes discours recyclés, les mêmes effets d'annonce, comme le 13 mars dernier lorsque le Premier ministre s'est réjoui de la disparition imminente des zones blanches.

La vérité, c'est qu'il faut des crédits de paiement : sans ça, comment financer les opérations ?

Comme mes collègues, mon département a constaté que WiMax ne fonctionnait pas, pas plus que le réseau satellitaire. La possibilité de disposer d'un accès à internet et au réseau de téléphonie mobile est la première question posée aujourd'hui par les acheteurs potentiels en zone rurale. C'est pour cela que nous avons besoin d'un débit raisonnable, qui permette de charger une page internet.

En 2013, le Cher et l'Indre-et-Loire se sont associés pour travailler sur un appel d'offre numérique commun. L'absence de financements bloque aujourd'hui les projets. Au final, si les collectivités territoriales rurales ne mettent pas la main à la poche, rien ne se passe. J'ai donc du mal à entendre que l'Etat prend en charge l'intégralité du déploiement des réseaux... Dans les agglomérations urbaines, ces coûts sont supportés par les opérateurs. Que fait-on vraiment pour la ruralité ? Disons la vérité ! Et agissons !

M. Hervé Maurey, président. - Je vais donner la parole à madame la ministre pour répondre à cette première série de questions, car elle est ensuite attendue à l'Assemblée nationale. S'il reste du temps, nous prendrons les questions de nos collègues qui ont également demandé la parole.

M. Michel Raison. - Nous pouvons vous fournir un mot d'excuse pour l'Assemblée, Madame la ministre... (Sourires)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - J'ai bien entendu vos doléances, et je souhaite tout d'abord vous rassurer. Les constats que vous avez faits, je les ai faits aussi. L'impatience qui vous anime, je la ressens aussi. Mais nous devons rester réalistes : l'Etat ne peut pas tout faire. Nous avons commencé par doter le plan très haut débit de trois milliards d'euros, cela a été voté lors du projet de loi de finances pour 2015. La moitié de cette somme a déjà été affectée à des projets locaux en cours de développement.

M. Alain Fouché. - Dommage que nous n'ayons pas vu la couleur de cet argent...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Le montage des dossiers demande un peu de temps. Il faut ensuite laisser aux collectivités le temps d'organiser leur regroupement - je rappelle d'ailleurs que l'Etat a mis en place une prime incitative au regroupement de 10 %, car un marché plus large nous semble le meilleur moyen d'attirer les opérateurs et de leur imposer des standards techniques acceptables.

M. Hervé Maurey, président. - Je me permets de vous interrompre pour appeler votre attention sur un obstacle de taille : créer un syndicat de syndicat pose à l'heure actuelle un problème juridique qui bloque les opérations de regroupement.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Effectivement, nous avons été informés de ce souci, qui devrait être réglé par le projet de loi relatif au numérique. Ce n'est d'ailleurs pas le seul problème : nous recensons actuellement, avec l'aide des autres ministères, l'ensemble des obstacles réglementaires à lever. Par exemple, il est nécessaire d'avoir l'accord du syndic pour installer la fibre dans les immeubles. Cela signifie une convocation de l'assemblée générale, une délibération : c'est lourd et compliqué. En Espagne, le choix a été fait de ne pas demander l'avis du syndic, ce qui accélère grandement le déploiement. Je suis prête à prévoir une disposition similaire dans le cadre du futur projet de loi : j'espère que vous me suivrez !

Outre le montage des dossiers, la carence en ouvriers qualifiés, tant pour la fabrication que pour le déploiement de la fibre, à laquelle la France fait face actuellement, allonge d'autant plus les opérations. La demande est sans précédent dans ce domaine, et nous sommes en train de développer, à travers l'agence du numérique et avec le concours des collectivités territoriales, l'offre de formation, afin de créer une filière industrielle. Là encore, ça avance, mais ce sont de gros chantiers qui demandent du temps.

En ce qui concerne le plan France Très Haut Débit, 50 des 88 départements ayant déposé un dossier de financement ont déjà engagé des travaux. Tout ça est très concret, même si la population ne s'en rend pas compte car elle n'a pas encore physiquement le très haut débit. La machine est en route, elle monte en puissance : ne nourrissons pas l'impatience.

Je souhaite lever l'ambiguïté qui s'est fait jour dans vos propos sur le monde rural : le choix de l'Etat est précisément de concentrer la totalité des investissements publics sur les zones rurales, précisément car l'argent est précieux et qu'il faut en faire le meilleur usage possible. Je tiens à souligner que nous sommes le seul pays européen à faire ce choix. Le seul. La France est un pays de territoires ; c'est notre différence, cultivons-la ! La télémédecine, l'e-éducation, la dématérialisation des services publics : tout cela ne peut qu'aller de pair avec un déploiement du numérique sur tout le territoire. Je suis consciente que la perception, au niveau local, peut être différente, mais notre priorité est bien de concentrer les investissements là où ils sont nécessaires.

M. Jean-François Longeot. - Il faut l'expliquer à la population, car sur le terrain, tout ça est compliqué.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. -  J'ai par ailleurs amplifié la pression sur le dossier auprès de la Commission européenne : j'espère que d'ici la fin de l'année, nous aurons une réponse. Je ne suis pas inquiète, nous avons pris toutes les précautions pour nous assurer de la solidité juridique des dossiers. Nous avons fait le choix d'une notification unique pour tous les dossiers, ce qui a pris du temps, mais cela devrait simplifier la suite des procédures.

M. de Nicolaÿ, d'un point de vue technologique, il n'est pas possible d'utiliser les pylônes WiMax pour diffuser la 4G car cela entraînerait des brouillages. D'où l'importance de faire les bons choix dès le départ.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Ne pourrait-on, dans ce cas, remplacer les pylônes WiMax par d'autres, compatibles avec le haut débit ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Malheureusement non, car pour des raisons techniques, ils ne sont pas situés dans le même type d'endroit.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - En France, tout est toujours impossible...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. -  Le WiMax a été un échec retentissant. L'objectif principal du plan France Très Haut Débit est justement d'identifier des solutions pérennes et adaptées à chaque territoire. L'agence du numérique a aussi un important rôle d'expertise, d'accompagnement, et de conseil à mener auprès des collectivités territoriales.

J'ai également entendu votre impatience concernant le comité d'engagement. Je ne vais pas vous apprendre la lourdeur du contrôle budgétaire qui entoure le versement de sommes de cette ampleur.

M. Patrick Chaize. - C'est beaucoup trop long ! J'attends depuis le mois de mai un courrier signé du premier ministre... cela fait déjà cinq mois !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. -  Je suis consciente que ça ne va pas aussi vite que nous le souhaitons tous ici.

M. Pierre Camani a évoqué le déploiement du réseau 2G. Soyons pragmatiques : un pylône coûte 100 000 euros, l'Etat prend en charge au minimum un tiers de cet investissement, et oblige les opérateurs à s'y installer. S'ils ne le font pas, ils s'exposent à une sanction de l'ARCEP - cela a été voté dans la loi Macron. Pourquoi ne peut-on pas faire pareil pour le THD ? Malheureusement, on est au maximum des contraintes imposables aux opérateurs. Aller au-delà de ce qui existe déjà serait inconstitutionnel. La seule solution que nous ayons trouvée est donc d'encourager des accords de conventionnement et la mutualisation des réseaux entre les opérateurs, le cas échéant en constant une carence des opérateurs pour permettre aux collectivités de déployer.

Vous m'avez également interpelée sur le recensement. A priori, toutes les informations nous ont été remontées par les préfectures de région. Si certaines communes sont en retard, ce n'est pas grave : la date fixée n'est pas un ultimatum.

M. Hervé Maurey, président. - Mais comment le recensement a-t-il été effectué ? Sans polémique aucune, tout cela est très mystérieux.

M. Patrick Chaize. - Il n'y a eu aucune communication ! Même en tant que maire, je n'ai pas été averti.

M. Pierre Camani. - Je confirme !

M. Hervé Maurey, président. - Il aurait pourtant été possible de consulter les unions des maires, les EPCI, les départements...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. - Je prends note et je transmettrai. Je suis surprise car ma demande aux préfets stipulait que le recensement devait faire l'objet d'une bonne information auprès des communes, et que les données devaient remonter directement du terrain.

Je terminerai en réaffirmant une vérité à laquelle je tiens beaucoup - j'ai d'ailleurs fait particulièrement attention à ce que ni le Président de la République, ni le Premier ministre, n'en fassent une promesse : nous ne pourrons pas couvrir l'ensemble du territoire français en 2G. Cela peut être frustrant, mais il faut le dire, car sinon le risque déceptif est immense. Nous mettrons fin aux zones blanches et à l'absence de 3G, oui, mais selon le critère de couverture du centre-bourg. Nous ne pouvons pas promettre plus.

Je suis désolée de ne pouvoir rester plus longtemps. Si vous le souhaitez, je reviendrai.

M. Hervé Maurey, président. - Merci, madame la ministre, pour vos réponses.

Organisme extra-parlementaire - Désignation

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous devons désigner un membre suppléant pour siéger au sein de l'Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers. Cette nomination doit permettre de remplacer un membre du groupe Les Républicains. Nous avons reçu la candidature de M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Y a-t-il des oppositions ?

Monsieur Louis-Jean de Nicolaÿ est désigné membre suppléant de l'Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers.

La réunion est levée à 16 h 25.

Jeudi 22 octobre 2015

- Présidence de M. Jean-Jacques Filleul, vice-président -

Loi de finances pour 2016 - Audition de Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité

La réunion est ouverte à 11 h 30.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - Le Sénat, représentant des territoires, accorde une importance particulière à l'aménagement du territoire et se tient à l'écoute des élus et de nos concitoyens. Nos territoires sont divers : urbains, périurbains, ruraux, littoraux, montagneux. Certains sont bien desservis, d'autres enclavés ; certains sont en croissance, d'autres en déclin. Cette diversité est une force et un facteur d'attractivité touristique.

Cependant, les habitants des territoires ruraux se heurtent, dans leur vie quotidienne, à de multiples difficultés : disparition des services publics, problèmes d'accès aux soins, fracture numérique, désindustrialisation suscitent un sentiment d'abandon sur lequel nous nous sommes exprimés à de nombreuses occasions.

C'est à ces préoccupations qu'a répondu la réunion des deux comités interministériels aux ruralités qui se sont tenus aux mois de mars et septembre ; c'est le sens de la politique que vous menez en faveur de l'égalité des territoires. Je vous cède la parole pour nous exposer vos crédits pour 2016 et les grandes lignes de votre politique.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. - C'est avec plaisir que je vous présente les grandes orientations relevant de mes attributions en matière d'égalité des territoires et de ruralité. L'intense activité de mon ministère ces derniers mois trouve sa traduction budgétaire dans le projet de loi de finances.

Deux comités interministériels aux ruralités se sont tenus cette année, le 13 mars à Laon et le 14 septembre à Vesoul, sous l'égide du président de la République et du Premier ministre. La plupart des contrats de plan État-Région (CPER) ont été signés au cours de l'année. Ils illustrent l'investissement de l'État, à moyen et long terme, aux côtés des collectivités locales, pour l'emploi, la croissance et l'innovation. Enfin, nous avons réuni le Conseil national de la montagne, le 24 septembre à Chamonix.

Les crédits du programme 112, dit « d'impulsion et de coordination de la politique d'aménagement du territoire », se répartissent ainsi : 60 % pour les CPER, 13 % pour la prime d'aménagement du territoire (PAT), 12 % pour la section générale du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), et 14 % pour les dépenses de fonctionnement, dont le soutien au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), à Business France et les fonctions support. Ces crédits s'élèvent à environ 192 millions d'euros, soit un montant stable en matière de capacités d'engagement et une baisse de 4 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.

Dans un contexte budgétaire contraint, la signature des CPER constitue un engagement important de l'État, levier essentiel de la croissance et de l'emploi. Une enveloppe de 12 milliards d'euros sera mobilisée d'ici 2020. En 2016, les crédits CPER représentent 60% du programme 112, soit un effort de 115 millions d'euros.

Le volet territorial accompagne les zones rurales par le soutien aux initiatives en matière d'accès aux services ou encore de projets numériques.

Les crédits de la prime d'aménagement du territoire (PAT) sont stabilisés à 25 millions d'euros. Dernier régime autorisé d'aide directe de l'État aux entreprises, elle est strictement encadrée par les directives européennes et son éligibilité limitée aux seules zones prioritaires dites zones d'aide à finalité régionale. Pour 2016, les crédits s'établissent à un niveau comparable à 2015, compte tenu des annulations intervenues en gestion pour financer la lutte contre le terrorisme. L'abaissement des seuils d'éligibilité que j'ai mis en oeuvre l'année dernière a favorisé l'accès des PME à cette aide. À ce stade, 25 dossiers ont été subventionnés pour près de 14 millions d'euros et 1 733 créations d'emplois prévues. Malgré une montée en puissance tardive, nous arriverons à épuiser ces crédits.

Le FNADT contribue, lui aussi, au développement solidaire et harmonieux des territoires. Il assure notamment le financement des pôles d'excellence ruraux, des maisons de santé pluridisciplinaires ou encore de l'expérimentation du projet de revitalisation des 54 centres-bourgs sélectionnés en 2014.

Enfin, le CGET, créé l'année dernière, apporte désormais son expertise à la politique que je mène en faveur de l'égalité des territoires.

Le programme budgétaire ne porte pas, à lui seul, les crédits de l'État en faveur de l'aménagement du territoire et des ruralités : les mesures contribuant à cette politique qui s'inscrivent dans les documents de politique transversale s'élèvent à 5,5 milliards d'euros, sans compter les aides fiscales. C'est notamment le cas de dispositions adoptées lors des deux comités interministériels aux ruralités, sur le logement, le numérique, la santé, l'éducation ou encore l'agriculture : le premier comité interministériel aux ruralités en a adopté 46, pour plus de 1 milliard d'euros ; le second les a évaluées et a proposé 21 mesures supplémentaires représentant 580 millions d'euros. Certaines de ces dispositions sont déjà opérationnelles.

La philosophie de ces deux comités interministériels s'articule autour de trois principes : garantir l'accès aux services, améliorer les capacités de développement des territoires ruraux - enjeu primordial en termes d'attractivité et de dynamisme économique - et assurer la mise en réseau des territoires pour dépasser les logiques de concurrence et favoriser la coopération entre les différents échelons.

Quelques actions majeures, en guise d'illustration. Pour garantir à tous l'accès aux services, nous souhaitons créer mille maisons de services au public. Un objectif qui sera atteint fin 2016 grâce à la sécurisation du financement de ces structures, notamment par la mise à contribution des opérateurs et le partenariat engagé avec La Poste. Entre 2015 et 2017, l'État finance ces maisons à hauteur de 21,5 millions d'euros, soit 25 % du total, via le FNADT. Un montant équivalent est apporté par les opérateurs - La Poste, la SNCF, ERDF, Pôle emploi, l'assurance maladie, la MSA - à travers un fonds spécifique. La part des collectivités s'élève à 43 millions d'euros, c'est-à-dire les 50% restants, soit par un financement direct, soit via le fonds de péréquation postal.

Dans la même logique, le gouvernement s'est engagé à atteindre le nombre de mille maisons pluridisciplinaires de santé d'ici 2017 : 708 sont en service, contre 170 en 2012, et une centaine sont en construction.

Sur le numérique et la téléphonie mobile, premières préoccupations de nos concitoyens et des élus locaux en matière d'infrastructures, le Gouvernement articule son action autour de quatre priorités. La première est le raccordement au très haut débit des territoires ruraux, avec 87 départements engagés dans le plan France Très haut débit (THD). La deuxième vise à améliorer le réseau mobile par la résorption des zones blanches en 2G d'ici fin 2016 et par la couverture des 3 600 centres-bourgs non couverts en 3G d'ici la mi-2017. Afin que les opérateurs remplissent leurs obligations, la loi a renforcé le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). La troisième est l'ouverture d'un guichet unique pour accompagner les projets en dehors des centres-villes. Enfin, la couverture mobile à l'intérieur des logements sera améliorée grâce aux solutions nouvelles apportées par les opérateurs.

L'article 41 du projet de loi de finances élargit à 30 000 communes le bénéfice du prêt à taux zéro pour l'achat de logements anciens à réhabiliter, expérimenté en 2015 dans 6 000 communes rurales. Sa généralisation à toute la zone C en améliorera la visibilité, la lisibilité, la simplicité et surtout l'efficacité. Il s'agit d'encourager l'accession à la propriété, la réhabilitation des centres anciens et de lutter contre l'étalement urbain. La durée d'occupation obligatoire du logement en tant que résidence principale sera réduite de 25 à 6 ans, afin de rendre encore plus attractif un dispositif qui devrait créer environ 15 000 emplois dans le bâtiment, notamment pour les TPE et les artisans.

Plus globalement, le Gouvernement souhaite donner aux centres-bourgs, qui jouent un rôle indispensable dans le maillage de nos territoires, les moyens de leur dynamisme. Nous avons lancé, en 2014, une première expérimentation consistant à octroyer à 54 communes de moins de 10 000 habitants des crédits d'ingénierie spécifiques du FNADT et de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Afin d'amplifier cette politique, nous avons annoncé, lors du dernier comité interministériel, une enveloppe de 300 millions d'euros dédiée à la revitalisation des centres-bourgs et des villes de moins de 50 000 habitants. Elle constitue une partie du fonds de soutien à l'investissement local, doté de 1 milliard d'euros, dont la moitié bénéficiera aux ruralités. En outre, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) est réévaluée de 200 millions d'euros.

J'ai appuyé le développement de l'ingénierie publique en réponse à une demande exprimée par les élus locaux lors des Assises de la ruralité et de mes nombreux déplacements. Nous élaborons une directive nationale d'orientation qui fait suite au dispositif Aider (Appui interministériel au développement et à l'expertise en espace rural) : destiné aux collectivités en fort déficit d'ingénierie, il est constitué d'agents des corps d'inspection de l'État mis à disposition des préfets pour des missions pouvant aller jusqu'à deux ans.

Enfin, le dispositif expérimental des contrats de réciprocité traduit notre objectif de valorisation des liens et des complémentarités entre territoires. Il s'agit de faire émerger des intérêts partagés entre le rural et l'urbain, que l'on oppose trop souvent.

La réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) répond à la nécessité de rendre plus simple et plus juste ce classement qui ne correspond plus à la réalité de nos campagnes et peut être contesté juridiquement, l'arrêté de 2013 n'ayant pas été actualisé. Trois principes guident cette réforme : l'efficacité, la simplification et la justice. Le classement sera établi à l'échelle intercommunale selon un double critère de densité de population et de revenu par habitant. Les avantages liés à celui-ci seront également simplifiés et rapprochés du dispositif de la politique de la ville.

La montagne, enfin, fait l'objet de la feuille de route annoncée par le Premier ministre lors du Conseil national du 25 septembre, qui reprend les propositions formulées dans le rapport des députées Annie Genevard et Bernadette Laclais et s'articule autour de trois axes : l'amélioration de la qualité de vie dans ces territoires, leur développement à l'aune de la transition énergétique et la modernisation de l'organisation et de la gouvernance.

Tous les territoires méritent l'attention de la puissance publique : zones rurales, mais aussi périurbaines. J'ai confié à Frédéric Bonnet, grand prix de l'urbanisme 2014, la mission de repenser le développement de ces zones pour répondre concrètement aux enjeux.

Notre politique en faveur de l'aménagement des territoires est, par essence, partenariale, transversale et interministérielle. Mon ministère assure la mise en cohérence de l'ensemble de ces actions, dont certaines s'inscrivent hors du cadre du programme 112.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - Merci de ces précisions. Il y a beaucoup de mesures, malgré un budget contraint. Où en est-on de la création de mille maisons de services au public, annoncée lors du comité interministériel, et notamment du partenariat avec La Poste ? Quel bilan tirez-vous de la modification de la PAT en 2014 ?

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Je vous remercie pour les éléments que vous nous avez transmis sur le programme 112. Force est de constater que les crédits dédiés aux territoires ne cessent de baisser. Dans ces conditions, comment les annonces faites en comité interministériel, notamment à Vesoul, se traduiront-elles dans le budget ?

On prévoit 1 milliard d'euros pour le Fonds de soutien aux initiatives locales (FSIL) en autorisations d'engagement, mais seulement 150 millions d'euros en crédits de paiement. Comment expliquez-vous ce décalage ?

La refonte des critères des ZRR, mises en place il y a 25 ans, était nécessaire. Nous souhaitons que le Parlement y soit associé. Certains sortiront d'un dispositif qui apportait une aide précieuse aux artisans, d'autres y entreront, ce qui nécessitera un accompagnement.

Les crédits sont constants, dites-vous. Ce n'est pas mon avis, quand 17 % des autorisations d'engagement et 10 % des crédits de paiement sont en baisse. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les modifications réglementaires destinées à conforter le dispositif en faveur des entreprises.

La revitalisation des centres-bourgs est une excellente initiative. De plus en plus, on fait ses courses dans les grandes surfaces des périphéries, vidant les centres-bourgs de leurs commerces. L'opération lancée en 2015 n'a retenu que 54 communes sur les 300 éligibles. Est-ce par manque de crédits ? Il faut redonner un élan à ces zones. Le financement de l'ingénierie doit s'accompagner d'une relance des centres-bourgs, et nous souhaitons être associés aux choix. Prenons modèle sur les pôles d'excellence rurale, mis en place par des comités de désignation composés pour moitié d'élus.

Le programme 112 prévoit 2 millions d'euros pour les maisons de santé pluridisciplinaires. Y aura-t-il des moyens supplémentaires ?

Je ne reviens pas sur la couverture numérique, nous avons auditionné Mme Lemaire hier.

Enfin, les aides au programme de traitement des déchets en Corse ont été très importantes, pour des résultats limités. Ces crédits sont mal utilisés, en raison, semble-t-il, de problèmes d'infrastructures. Prévoyez-vous une mobilisation des crédits demandés pour 2016 ? Peut-être conviendrait-il de mettre sur pied une mission sur le sujet.

M. Claude Bérit-Débat. - J'adresse mes félicitations à Mme la ministre, qui montre que le Gouvernement prend le problème de la ruralité à bras le corps. Ce n'est pas avec des propos déclinistes que nous nous en sortirons, mais en considérant le monde rural comme une chance, et en cessant de l'opposer à l'urbain. Il y a une solidarité entre ces deux mondes, entre lesquels que les intercommunalités font l'interface.

Je me félicite des mesures prises concernant la DSR et la DTER. Deux interrogations cependant sur la politique en direction des centres-bourgs : comment étudiez-vous les dossiers, en fonction de quelles priorités ? Certes, 54 communes c'est peu, mais c'est le propre de l'expérimentation. Avez-vous des objectifs chiffrés en matière de prêts à taux zéro ? C'est une mesure efficace pour permettre à des primo-accédants d'acquérir des biens à rénover, et participer ainsi à la revitalisation des centres-bourgs. Voilà des mesures qui vont dans le sens du développement durable : mieux vaut aménager l'existant que construire en périphérie, avec les conséquences que cela implique en matière de transport et d'émissions. Je salue la politique déterminée qui est menée en faveur du logement et des territoires ruraux.

M. Jean-François Longeot. - J'attire votre attention sur la disparition progressive d'un service de proximité dont le rôle est primordial dans les territoires ruraux : les stations-service traditionnelles, dont le nombre est passé de 35 000 en 1985 à 6 000. Il faut parfois parcourir plus de 30 kilomètres pour en trouver une ! Ces stations-service servent aussi de dépôt de pain, de supérette, contribuant à renforcer le lien social. Leur disparition entraîne celle des zones de commerce de proximité, victimes des hypermarchés.

M. Michel Raison. - Quand on fait le plein dans un hypermarché, on fait le vide ailleurs !

M. Jean-François Longeot. - À la concurrence des grandes surfaces, qui représentent aujourd'hui 61 % des ventes de carburant, s'ajoutent des prix de l'essence en baisse, une fiscalité en hausse, des mesures environnementales toujours plus coûteuses et des marges d'exploitation toujours plus faibles. Nombre de ces stations ne trouvent pas de repreneur. Les aides mises en place en 1984 ont pris fin en 2014. Le comité interministériel a annoncé une aide de 12,5 millions d'euros au titre de 2015 pour traiter ce dossier, or cette disposition ne figure pas dans le projet de loi de finances. Qu'en est-il ?

M. Jean-Claude Leroy. - Merci pour cet exposé clair qui, en montrant que les annonces ont été suivies d'effet, répond aux demandes des Assises de la ruralité et dément certaines critiques récentes.

En tant que pôle d'équilibre entre l'agglomération et les territoires ruraux, le bourg-centre doit être pris en compte dans la politique de rééquilibrage et de redynamisation des territoires. Certes, l'ingénierie est importante, mais il convient également de refondre la dotation globale de fonctionnement, en tenant compte des importantes charges de centralité des communes. Nous allons dans la bonne direction.

La refonte des critères de classement en ZRR apporte, après un débat passionné, une clarification bienvenue. Le dispositif a été harmonisé et rendu cohérent. Les associations d'élus devront pouvoir contribuer à la redéfinition des critères d'éligibilité. Renvoyer à un décret en Conseil d'État n'était sans doute pas la démarche la plus pertinente, mais je veux dire ma satisfaction devant ce budget.

M. Michel Raison. - J'ai eu la satisfaction de voir la ministre nous rendre visite à Vesoul - comme dans la chanson de Jacques Brel - accompagnée, vision exceptionnelle, par le Président de la République et par onze de ses collègues. Malheureusement, ma satisfaction s'arrête là : gouvernement après gouvernement, le peuple souffre avant tout d'un excès de communication et d'un déficit d'actes. Je cherche ce milliard tant annoncé : est-il dissous dans la DETR ou le FNADT, ou au contraire ciblé ? Je ne m'explique pas la baisse de la dotation. Le milliard vient-il s'y ajouter ? Non, puisque les crédits à l'aménagement du territoire baissent année après année. Il faut dire la vérité aux Français, aussi désagréable soit-elle.

Cesser d'opposer la ville à la campagne ? Je vous rejoins là-dessus, mais pourquoi avez-vous maintenu un comité interministériel aux ruralités pour les campagnes, et un comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté pour les villes ? Ma préférence irait à un commissariat général à l'équité territoriale, plutôt qu'à l'égalité - je ne suis pas un libéral, et les territoires, certains naturellement avantagés, d'autres naturellement handicapés, ne seront jamais égaux. L'aménagement du territoire consiste à les rééquilibrer au mieux. Il y a des montagnes riches, comme le massif du Doubs et le Jura dans ma région, et des montagnes pauvres, comme en Isère, qui bénéficiaient du Fonds d'intervention pour l'autodéveloppement en montagne (Fiam), aujourd'hui assimilé au FNADT. Les spécificités des crédits associés seront-elles maintenues ?

Seulement 2 millions d'euros ont été alloués aux maisons de santé pluridisciplinaires, qui plus est en application d'un engagement antérieur. J'ai soutenu l'amendement proposé par le rapporteur pour avis à la loi Santé - que j'avais déjà défendu jadis à l'Assemblée nationale -, mais il n'a pas été adopté. Le Parlement n'a pas saisi cette occasion pour agir en faveur de l'équilibre territorial. Nous n'avons même pas plafonné les aides pour les zones sur-dotées... Aussi modeste soit-il, nous devons tirer parti du levier que constituent les maisons de santé.

Je souhaite que les 12 millions d'euros accordés au titre de l'accompagnement aux sites de défense soient validés et facilement mobilisables pour compenser les baisses ou suppressions d'effectifs.

Mme Nelly Tocqueville. - En tant que représentante d'un département très rural et maire d'une commune rurale, j'apprécie l'engagement du gouvernement en faveur de l'égalité - ou de l'équilibre - des territoires. C'est de nature à nous redonner espoir et à nous permettre d'envisager des actions plus significatives.

Les territoires ruraux, dans leur diversité, sont une richesse pour notre pays. Ne les opposons pas aux zones urbaines, d'autant que les ruraux sont eux aussi des acteurs de l'économie des villes.

Peut-on en savoir plus sur les crédits de la mission « Politique des territoires », et sur les mesures qui relèvent des documents de politique transversale ?

Mme Évelyne Didier. - J'aurai l'occasion de dire en séance tout le mal que je pense de la baisse des crédits - comme chaque année. Difficile de porter une politique dans ce contexte. Nous soutenons depuis longtemps un rééquilibrage de la DGF : un habitant des villes reçoit à ce titre deux fois plus qu'un habitant des champs. L'égalité complète est impossible, mais il convient d'établir au moins des critères équitables.

Le milliard annoncé pour l'investissement ne viendra pas d'un seul tenant, mais il a le mérite d'exister. Comment sera-t-il distribué ? Les collectivités ne peuvent investir que quand elles disposent de capacités d'autofinancement ; or la baisse de la dotation diminue ces capacités, et partant les possibilités d'investissement. Je connais nombre de communes qui seraient ravies d'émarger à ce fonds d'investissement !

Même si les budgets concernés sont modestes, il y a une cohérence dans les politiques que vous décrivez : encouragement aux primo-accédants, réhabilitation des centres-bourg, aide à l'ingénierie, elle aussi bienvenue : pour l'avoir vécu dans une commune de 2 500 habitants, je sais combien il est complexe de monter des projets. Les contrats de réciprocité sont eux aussi une mesure intelligente, et nous attendons avec intérêt les conclusions de la mission sur le périurbain confiée à Frédéric Bonnet - qu'il serait utile d'auditionner au terme de ses travaux.

Quant aux critères de classement en ZRR, nous le savons tous : moins il y a d'argent, plus il y a de critères ! Rendre ces critères trop pointus risquerait d'écarter des projets innovants, dynamiques et utiles pour les territoires. Ne soyons pas trop rigides !

M. Jean-François Longeot. - Très bien !

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Je remercie l'ensemble des intervenants. Ces questions sont la preuve de l'implication de votre commission sur un sujet qui nous rassemble et qui, en tant qu'élue locale, ne m'est pas étranger. Merci pour votre ton, qui témoigne de votre volonté de travailler dans l'intérêt général, dans l'intérêt des territoires.

Pourquoi accélérer le déploiement des maisons de services au public ? Il est capital de maintenir dans les territoires une présence de ces services de proximité, au besoin en utilisant les nouvelles technologies pour éviter des déplacements longs et coûteux pour une simple formalité ou quelques minutes d'entretien. Mes déplacements dans votre magnifique département de la Haute-Saône, monsieur Raison, ont confirmé l'importance de ces opérateurs : le point visio-public permet par exemple de contacter facilement la caisse d'allocations familiales ou le conseiller Pôle Emploi.

D'ores et déjà, 365 maisons de services au public sont ouvertes, et une centaine ouvriront d'ici la fin de l'année. Notre objectif d'un millier fin 2016 sera atteint grâce à une mise à contribution des opérateurs, au premier chef La Poste. Les retours du terrain attestent de leur fréquentation et de la satisfaction des usagers. Nous allons renforcer le rôle d'animation et de coordination du préfet qui est en charge, avec les élus, de choisir les sites d'implantation. La Poste nous a signalé de nombreux bureaux qui pourraient être transformés en maisons de services au public, mais une concertation est indispensable entre les élus et les services de l'État pour inscrire ces implantations dans une stratégie territoriale.

Nous avons modifié le dispositif de la PAT en 2014 pour tenir compte des directives européennes, abaissant également le seuil d'éligibilité pour faciliter l'accès aux PME. Après une période d'adaptation, nous allons atteindre les objectifs et la totalité des crédits devrait être consommée cette année. 25 dossiers ont été retenus pour un montant total de 14 millions d'euros et 1 733 créations d'emplois ; 60 % de ce montant ira à des projets d'extension et 40 % à des créations.

Avec 25 millions d'euros, les crédits sont équivalents à ce qu'ils étaient en 2015, compte tenu des annulations de crédits en gestion pour financer la lutte contre le terrorisme.

La traduction budgétaire des annonces du comité interministériel est supérieure à 1,5 milliard d'euros, le total des mesures en faveur de l'aménagement du territoire s'élevant à 5,5 milliards d'euros en 2016. Les crédits du programme 112 s'élèvent à 192 millions d'euros. Les mesures issues du premier comité interministériel aux ruralités alimentent le document de politique transversale à hauteur de 370 millions d'euros pour le logement à travers le prêt à taux zéro, l'appel à manifestation d'intérêt pour les centres-bourgs et les interventions de l'Anah, 140 millions d'euros pour le très haut débit, 24,6 millions pour la santé, 20 millions pour l'agriculture, 15 millions pour les pôles d'excellence touristique et 14 millions d'euros pour les maisons de services au public. Les mesures du second comité interministériel alimentent des crédits pour 580 millions d'euros.

Le fonds d'investissement représente 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 150 millions de crédits de paiement, car la réalisation de ce type de projets prend du temps. Nous accordons donc 15 % la première année, 15 % la suivante et ainsi de suite. Les régions procèdent de la même manière.

J'ai répondu la semaine dernière à une question d'actualité sur la suppression des ZRR. Nous ne l'envisageons pas, bien au contraire. Les ZRR ont été créées par la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005, qui ciblait les territoires peu denses, avec un dispositif d'exonérations fiscales et sociales représentant 235 millions d'euros sur huit ans, pour faciliter l'investissement et le développement des entreprises dans les territoires ruraux. Les critères d'alors ne correspondent plus à la réalité. Certaines communes ont été classées en zones de revitalisation parce que leur population déclinait, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le critère du taux d'agriculteurs n'est pas pertinent, il n'est pas toujours un indice de fragilité : de même qu'il y a une montagne riche, il y a des agriculteurs qui vivent bien. Je rappelle également le risque juridique lié à l'arrêté de 201 » ; des contentieux sont en cours.

C'est pourquoi j'ai annoncé une réforme du dispositif, sur la base de rapports d'inspection et du rapport de la mission d'information d'Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier. Ses principes ont été annoncés à l'occasion du comité interministériel de septembre dernier : le classement en ZRR sera établi sur une base intercommunale, afin d'éviter les effets de concurrence au sein des intercommunalités, et pour une durée alignée sur celle des mandats municipaux. Il dépendra de deux critères : la densité de population et le revenu par habitant. Nous ciblons ainsi environ 13 600 communes en difficulté, contre près de 4 600 actuellement. À critères constants, si plus de 2 000 communes sortent du dispositif, elles garderont le bénéfice des exonérations d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés, ou des exonération de charges sociales pour les organismes d'intérêt général - Ehpad ou structures d'aide à la personne -, sur la durée prévue initialement. Les inquiétudes des associations d'élus, consultées en amont, ont ainsi été levées. Nous finalisons les contours de la réforme, qui sera inscrite au projet de loi de finances rectificative pour 2015.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - La réforme a donc été concertée.

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Pas avec les parlementaires !

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Certains représentants des élus locaux sont aussi parlementaires... À toutes fins utiles, mon cabinet est à votre disposition.

S'agissant des centres-bourgs, l'expérimentation que nous avons lancée a pris la forme d'un appel à projets à l'attention d'un vivier de 300 communes : nous avions annoncé qu'une cinquantaine seraient retenues. Mais compte tenu de l'importance que j'accorde à cette politique, 300 millions d'euros ont été débloqués pour pérenniser le mécanisme. J'ai donné instruction aux préfets d'accompagner ces 300 communes candidates, qui bénéficieront de la DETR et des dispositifs pilotés par l'Anah. Vu l'appétence des élus locaux, le dispositif va être élargi. Une précision sur l'expérimentation : les 54 communes lauréates ont été choisies en toute transparence par un jury indépendant composé pour partie d'élus locaux, dont certains étaient à l'époque parlementaires, de tous bords.

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Il est regrettable que la commission de l'aménagement du territoire du Sénat n'y ait pas été associée.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - J'ai demandé au président du Sénat comme à celui de l'Assemblée nationale d'y désigner des représentants.

L'enveloppe de 300 millions d'euros permettra aux villes de moins de 50 000 habitants d'engager des politiques transversales de redynamisation. Les préfets de région, en partenariat avec les collectivités territoriales, détermineront la liste des bénéficiaires. Les premières subventions seront versées dès le début de l'année 2016.

Les 2 millions d'euros prévus sont destinés à financer la fin du plan national des 300 maisons de santé. Le financement est désormais assuré par la DETR, et dans certaines régions par le volet territorial des CPER, au moyen du FNADT et des fonds régionaux.

L'élargissement à toute la zone C du prêt à taux zéro en milieu rural corrige le manque de lisibilité du dispositif. Nous en avons fait le constat à l'occasion des Assises de la ruralité et du Tour de France de la construction : l'expérimentation menée sur 6 000 communes a suscité l'incompréhension des maires de celles, parfois voisines de quelques kilomètres, qui n'en bénéficiaient pas. Cette incompréhension était source d'inefficacité, car les banques peinaient à en expliquer la logique aux primo-acquéreurs potentiels. J'ai donc annoncé son extension, afin de relancer l'activité dans nos territoires, la création d'emplois non délocalisables et de stimuler l'entretien du bâti existant, souvent riche dans ces territoires. Nous n'avons pas fixé d'objectif chiffré. J'espère que les crédits affectés aux PTZ dans les zones rurales seront largement utilisés pour favoriser l'accession à la propriété et ainsi relancer l'activité d'un secteur durement frappé par la crise.

Monsieur Longeot, en tant qu'ancienne ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme, je partage votre inquiétude et votre ambition pour les stations-services de zone rurale. Lors du comité interministériel, nous y avons prêté une attention particulière : 12,5 millions d'euros seront intégrés dans le budget du Fisac pour 2016, car ces stations sont importantes pour le maillage territorial et l'attractivité et le développement des territoires.

Monsieur Leroy, la réforme de la DGF - sur laquelle reviendra plus longuement Marylise Lebranchu - repose sur les principes suivants : la dotation de base par habitant sera la même pour toutes les communes ; elle sera complétée par une dotation tenant compte des charges de ruralité des communes peu denses, et d'une dotation de centralité compensant les charges des communes centrales liées à l'utilisation par leurs voisines de leurs équipements.

Monsieur Raison, le premier comité interministériel a vu annoncer 46 mesures, pour un montant de 1 milliard d'euros ; celui de Vesoul a permis d'évaluer et de suivre leur mise en oeuvre et d'en annoncer 21 autres, sur la base des attentes formulées lors des Assises de la ruralité. Je ne partage pas votre critique des comités interministériels. Nous devons adapter nos politiques aux enjeux des territoires, qui n'ont pas tous les mêmes caractéristiques. Les comités interministériels de l'égalité et de la citoyenneté - le prochain se tiendra lundi prochain - suivent par exemple l'application de la loi SRU et les politiques de mixité sociale : on ne saurait leur reprocher d'ignorer les territoires ruraux, dont la plupart ne sont pas concernés par la loi SRU ! Aborder la réforme des ZRR dans le cadre de ces comités dédiés aux questions urbaines n'aurait pas eu de sens. Les préoccupations des territoires urbains et ruraux peuvent être proches, les réponses à leur apporter diffèrent. Au demeurant, une unique entité administrative - le CGET - coordonne le suivi de tous ces comités.

L'objectif des crédits associés aux contrats de redynamisation des sites de défense est bien de soutenir les projets créateurs d'emplois ; leur consommation, très satisfaisante, montre que le dispositif est efficace. Plus de 10 millions d'euros seront engagés en 2016 pour de nouveaux dossiers, et 15 millions d'euros seront payés pour les dossiers en cours.

M. Michel Raison. - Il faut simplifier les procédures, qui exigent trop de diagnostics territoriaux, d'études inutiles.

Mme Évelyne Didier. - Absolument.

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Madame Tocqueville, je partage votre vision des territoires. Vous avez raison de souligner les atouts et la capacité d'innovation des territoires ruraux. J'ai constaté lors des Assises la vigueur des initiatives des élus locaux, des chefs d'entreprise et des associations. Mais nous ne savons pas - c'est sans doute un défaut français - transposer les initiatives locales à une échelle plus large ; les maisons de services au public par exemple - j'en ai visité une remarquable dans l'Allier - répondent aux demandes des habitants mais demeurent trop rares. C'est dommage ! C'est pourquoi nous mettons en place des dispositifs souples, adaptables aux spécificités des territoires. Le travail de simplification des normes que nous menons répond également à cet objectif.

Monsieur le rapporteur, votre question sur la Corse s'adresse davantage à la ministre de l'écologie.

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Peut-on avoir la liste des membres du jury chargé de sélectionner les communes concernées par la redynamisation des centres-bourgs ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Le jury n'a été formé que pour sélectionner les 54 lauréats pour l'expérimentation, il ne se réunit donc plus. Pour ce qui est des 300 millions dédiés à la revitalisation des centres-bourgs, nous ne passons plus par des appels à projets : ce sont les préfets de région, en lien avec les collectivités, qui détermineront les projets retenus.

M. Jean-Jacques Filleul, président. - C'est une configuration classique. Merci de vos réponses, le débat va se poursuivre en séance publique.

La réunion est levée à 12 h 50.