Jeudi 26 mai 2016

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -

Compte rendu du déplacement de la délégation en Corrèze le vendredi 20 mai 2016

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Écoutons tout d'abord M. Claude Nougein, qui nous fera le compte rendu de notre visite en Corrèze.

M. Claude Nougein. - Vendredi dernier, j'ai eu la joie d'accueillir en Corrèze plusieurs d'entre vous. Je remercie Élisabeth Lamure d'avoir bien voulu organiser ce déplacement. Nous accompagnaient aussi Nicole Bricq, Michel Canevet, Jean-Marc Gabouty et Eric Jeansannetas. L'autre sénateur de Corrèze, Daniel Chasseing, a aussi participé à cette journée.

La Corrèze est un département qui a pu être qualifié d'hyper-rural comptant environ 250 000 habitants, connu aussi pour avoir donné un président du conseil à la IVème République et deux présidents de la République à la Vème. Il occupe une position stratégique au centre de l'Europe, position qui s'est trouvée valorisée par un remarquable effort de désenclavement autoroutier. Le premier partenaire commercial de la Corrèze est justement l'Allemagne, aussi bien à l'import qu'à l'export. Grâce à l'aéroport de Brive, mis en service il y a six ans, le département bénéficie aussi d'une desserte aérienne qui nous a permis d'organiser le déplacement dans la journée.

Nous avons été accueillis au Conseil départemental par son président, M. Pascal Coste, et ses deux premiers vice-présidents. Nous y avons rencontré une quinzaine d'entrepreneurs, représentatifs de la diversité de l'activité économique du département : des industriels allant de la scierie à la cosmétique, des entreprises de services comme le transport, l'ingénierie informatique ou le tourisme, des négociants en produits agricoles, des entreprises agroalimentaires et quelques artisans. Les entreprises présentes étaient de tailles diverses, de la start-up jusqu'au grand groupe, comme Thalès ou l'équipementier automobile Borg Warner, qui emploie 700 salariés à Eyrein, petite commune de 500 habitants au-dessus de Tulle. Le préfet de Corrèze a également assisté à la table ronde, ainsi que les représentants de la CGPME et du Medef et les maires des quatre principales villes du département.

Les entrepreneurs corréziens rencontrent des difficultés similaires à celles que d'autres nous ont déjà signalées telles que le poids des normes : nous avons encore entendu que le compte pénibilité était ingérable dans la bouche d'un industriel qui n'était pas du BTP ! Un hôtelier a fait savoir que les normes en matière de handicap avaient conduit certains hôtels-restaurants à fermer la partie hébergement de leur activité notamment dans les petites communes rurales. Je ne m'attarderai pas sur les seuils sociaux, le régime social des indépendants (RSI), l'incertitude sur l'interprétation des normes par l'inspection du travail, le besoin de flexibilité en matière de droit du travail, y compris concernant l'emploi de saisonniers, de stagiaires ou de sous-traitants au sein de l'entreprise.

Nos interlocuteurs se sont d'abord plaints des insuffisances dans l'accompagnement des entreprises à l'export : trop d'interlocuteurs, peu d'efficacité... Le diagnostic est partagé : le personnel de Business France a une obligation de moyens, et non de résultats, tandis qu'en Espagne, en Allemagne ou en Italie par exemple, les homologues de Business France sont intéressés aux marchés qu'ils décrochent. Il faudrait pour cela que cet organisme compte en son sein de vrais commerciaux, éloignés de la culture du service public... Un entrepreneur qui avait recouru à l'assurance-crédit ne s'est pas senti suffisamment soutenu lors des difficultés traversées par la Grèce, ayant dû, de ce fait, se faire payer en cash par son acheteur en Grèce, faire transporter les fonds par le transporteur de sa marchandise et ayant rencontré des difficultés pour encaisser tout ce liquide, considéré avec suspicion par sa banque !

Deuxième point saillant : les difficultés de recrutement. Au moins trois personnes ont signalé cette difficulté particulière en milieu rural, qui conduit les entreprises à proposer deux postes à la fois, pour chacun des conjoints d'un couple, notamment pour recruter un cadre, un technicien ou un commercial. Plusieurs ont estimé que la réponse passait par un resserrement du lien entre l'Éducation nationale et l'entreprise. L'un des entrepreneurs a ainsi plaidé pour que la formation des enseignants comprenne des stages en entreprise - il rêvait ! Il s'agit de changer l'image de l'entreprise chez les jeunes Français, aussi bien dans l'industrie, pas toujours associée à l'innovation, que dans le secteur du commerce, souvent vu d'un oeil négatif. Un des participants a témoigné que, durant les deux premières années, l'enseignement qu'il a reçu en économie consistait en une lecture de Karl Marx. Il ne faut pas s'étonner ensuite que le travail soit vu comme une exploitation !

Mme Élisabeth Lamure. - Vous riez, mais il l'a dit !

M. Claude Nougein. - Participant à ce même objectif de faire découvrir l'entreprise d'un point de vue opérationnel, l'alternance a été encore une fois plébiscitée, certains imaginant qu'elle soit imposée dans tous les cursus. De nouveau, les chefs d'entreprise ont déploré que l'apprentissage soit vu comme un échec, alors qu'il s'agit d'un formidable ascenseur social. Certains ont rappelé la nécessité d'aligner l'offre de formation par les CFA sur les besoins des entreprises. Un entrepreneur a jugé que la durée de l'apprentissage devait être allongée, et qu'il convenait de fidéliser les apprentis dans la profession : selon l'artisan-chocolatier qui participait à la rencontre, seuls 5 % des apprentis restent dans la profession ! Or c'est un investissement important pour l'entreprise, en termes de temps passé.

Troisième point qui ressort de la table ronde : l'impression qu'ont les entreprises de ne pas vivre dans le même monde que l'administration. Ainsi, une cheffe d'entreprise -pour une fois, nous avions la chance d'en avoir plusieurs autour de la table, ce dont je me félicite - a témoigné avoir eu besoin de recruter deux personnes un jeudi après-midi et avoir eu la surprise de constater que Pôle Emploi était fermé le jeudi après-midi ! Une autre jeune dirigeante de PME, qui avait également besoin de recruter, a indiqué qu'elle avait envisagé de recourir à des contrats aidés, mais qu'elle avait rapidement laissé tomber devant l'usine à gaz que cela aurait impliqué ! Un industriel a aussi fait part de son incompréhension devant les délais de délivrance, par l'Afnor, d'un label, obtenu en 4 à 6 mois en France, contre 15 jours dans les pays voisins... Le directeur de l'usine Charal d'Egletons a imaginé que l'administration pourrait mieux accompagner les entreprises en difficulté : ainsi, à ses yeux, l'essentiel n'est pas d'accélérer la sauvegarde financière mais de l'anticiper.

Enfin, quatrième sujet sensible pour les entrepreneurs corréziens : les handicaps français en matière de compétitivité et d'attractivité. Ils ont été nombreux à dénoncer le fait que la France se tire une balle dans le pied en surtransposant les obligations européennes. La dirigeante de la scierie a ainsi expliqué que les normes françaises en matière de poussière représentent le double de celles qu'impose l'Union européenne. De même, le négociant agricole a évoqué les règlementations poids lourds : la France limite à 32 tonnes la charge maximale pour les camions à quatre essieux, indispensable pour aller dans les fermes, quand la plupart de nos voisins ont fixé un plafond à 36 tonnes, voire 38 ou 40. Cela prive la France d'économies en carburant - particulièrement utiles en ce moment - préservant l'environnement et réduisant les frais de transport. Ces distorsions de concurrence viennent s'ajouter aux autres distorsions sociales et fiscales qui affectent la compétitivité-coût de la France par rapport à ses voisins. Ainsi, les chefs d'entreprise voient monter en puissance des entreprises qui n'ont pas les mêmes contraintes et qui leur prennent des marchés qui seront difficiles à reconquérir. Même si plusieurs ont souligné que le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) améliorait la compétitivité française, ils ont jugé que cela ne compensait pas les surcharges accumulées pendant les 5 ou 6 ans précédents. Au-delà de leur inquiétude relative à la compétitivité-coût de la France, les représentants de groupes étrangers ont fait part de la dégradation de l'image de la France qui perd en attractivité avec ses grèves à répétition et l'archaïsme de son dialogue social - selon ses mots. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler !

Vous le voyez, la matinée fut riche. L'après-midi aussi, qui nous a permis de visiter deux belles entreprises. La première, Silab, est spécialisée en ingénierie des actifs naturels pour la cosmétique. Elle a été fondée il y a un peu plus de 30 ans par Jean Paufique, qui nous y a accueillis avec un charisme inaltéré malgré son âge avancé. Nous avons pu goûter sa fierté d'avoir monté une entreprise qui fait aujourd'hui 36 millions d'euros de chiffre d'affaires et emploie 250 salariés avec une moyenne d'âge de 35 ans, qui est restée indépendante, et qui fait de l'excellence et de la qualité ses maîtres mots, en s'appuyant sur un ciment de valeurs humaines. Nous avons également rencontré Xavier Gaillard, directeur général délégué à la stratégie, et Brigitte Closs, directrice générale déléguée à la recherche.

L'entreprise nous a frappés par sa puissance d'innovation : 6 à 8 nouveaux produits par an, près de 200 brevets en portefeuille, 87 chercheurs, soit plus du tiers du personnel, et enfin des investissements en recherche et développement à hauteur de 20 à 25 % du chiffre d'affaires. L'innovation ne se fait pas seulement en recherche et développement, car les équipes sont pluridisciplinaires : biologie, chimie, botanique, imagerie, statistique... Silab a même réussi à reconstituer de la peau en laboratoire et teste l'efficacité des matières premières naturelles sur cette peau-maison, appelée Silabskin. Ses principaux clients sont en effet des fabricants de cosmétiques.

L'entreprise nous a aussi impressionnés par son ambition : elle exporte aujourd'hui 60 % de sa production, entièrement faite sur place et conditionnée en jerricans sous forme liquide, vers les grands noms de la cosmétique et elle entend porter cette part d'exportations à 70 % d'ici 5 ans. Elle essaime aussi à travers un fonds d'investissement qu'elle a créé pour les start up de la région qui veulent bien accepter Silab dans leur gouvernance, mais à un niveau minoritaire. Elle programme encore 20 millions d'investissements, après avoir déjà construit 3 unités de production et une unité de production de biotechnologies, le tout largement en autofinancement, avec un accompagnement public, notamment des collectivités territoriales.

Les dirigeants de Silab ont regretté eux aussi que la France s'invente des contraintes supplémentaires par rapport à ses obligations internationales. Ainsi, le projet de loi sur la biodiversité en cours d'examen au Parlement vient s'ajouter à la Convention sur la biodiversité de 1993 et au protocole de Nagoya de 2014, décliné par un règlement européen l'année suivante. Ces textes internationaux sont destinés à faire partager la valeur tirée de l'utilisation des ressources génétiques naturelles, avec le pays dont ces ressources sont originaires. Dans le projet de loi biodiversité, il est proposé de valoriser nos ressources génétiques issues de l'outre-mer en taxant le chiffre d'affaires des utilisateurs français de ces ressources, du type de Silab, qui subissent ainsi une distorsion de concurrence. Silab a attiré notre attention sur l'importance de maintenir le texte du Senat pour l'article 18 limitant cette taxe à 1 % du chiffre d'affaires mondial, en faisant valoir l'effet contreproductif qui découlerait d'une taxation plus élevée, envisagée par l'Assemblée nationale jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires : Silab nous a indiqué qu'une telle disposition, censée bénéficier à l'outre-mer et lui permettre de récupérer de la valeur sur l'utilisation de sa biodiversité, inciterait en fait des entreprises comme elle à se fournir en dehors de l'outre-mer, dans des pays étrangers disposant des mêmes ressources génétiques... Le sort de cette disposition dépendait de la commission mixte paritaire, qui s'est réunie hier sur ce texte et a échoué. Le texte devrait revenir pour la troisième fois au Sénat, avant que l'Assemblée n'ait le dernier mot... Il nous faudra mettre à profit ce temps pour convaincre du bien-fondé des arguments de Silab !

Nous nous sommes ensuite rendus dans l'une des quatre pépinières d'entreprises du département : Novapôle. J'ai eu la joie d'accompagner la création de cette pépinière lorsque j'étais vice-président du Conseil général en charge de l'économie et des finances. Située à Saint-Viance, Novapôle est spécialisée en agro-alimentaire et en bio-industries ; sa gestion est assurée par la chambre de commerce et d'industrie de la Corrèze et par l'association limousine des industries alimentaires (ALIA). La pépinière accompagne les jeunes entreprises dans leur projet, dans la recherche de compétences, et dans la valorisation de leurs produits et services. Pour une durée de 3 à 5 ans, elle propose à ces jeunes pousses des locaux dotés d'un accès Internet à haut débit et adaptés à leurs besoins : bureaux, laboratoire, ateliers et même une salle blanche de 24 mètres carrés. C'est là que nous avons pu rencontrer Cyrille Cabaret, qui a fondé en 2011 une start up dénommée Ecomeris : son entreprise développe des écomatériaux, des films et des solutions d'enrobages naturels. Au lieu de proposer sous forme liquide des principes actifs dissous dans l'eau, Ecomeris réalise des films constitués de ces actifs, en faisant, à l'inverse, évaporer l'eau. Ces films, qui se dissolvent aisément dans l'eau, trouvent des applications dans divers secteurs : alimentaire, cosmétique, pharmaceutique...

Ce jeune chef d'entreprise passionné a élaboré son projet dans le laboratoire de l'université de Limoges, avant de rejoindre un incubateur, puis la pépinière Novapôle, tout en bénéficiant de l'aide de la BPI, du dispositif Jeune entreprise innovante, du crédit impôt recherche... Il a reconnu avoir été bien accompagné dans cette phase d'amorçage. Mais il doit maintenant traverser la fameuse vallée de la mort, ce moment où son entreprise a besoin de fonds alors qu'elle ne génère encore que très peu de chiffre d'affaires et encore moins de résultat, et constate qu'il manque à ce stade des dispositifs pour financer sa croissance, qu'il s'agisse d'investissements en machines ou en immobilier. Il a ainsi mis le doigt sur une lacune de notre système d'accompagnement des entreprises : comment passer en France d'une entreprise de R&D à une entreprise commerciale ? Enfin, M. Cabaret a déploré que la France peine à accepter l'échec, qui fait pourtant partie de la vie des entreprises.

Mme Élisabeth Lamure. - Merci pour ce rapport très fidèle - et pour avoir organisé cette journée. À chaque déplacement, nous avons la bonne surprise de découvrir des entreprises innovantes ; c'est particulièrement vrai en Corrèze, ce département réputé hyper-rural, mais qui a été heureusement désenclavé. Il reste pourtant des difficultés liées à l'éloignement des grands centres, notamment en termes de recrutement.

M. Michel Canevet. - Merci à M. Nougein. Je n'imaginais pas trouver en Corrèze des entreprises comme Silab. C'est un plaisir de constater le volontarisme de tant d'entrepreneurs fiers de l'être. Il est vrai que la Corrèze compte parmi ses atouts un aéroport qui tient beaucoup à la volonté des collectivités territoriales, indispensable pour que les entreprises continuent de prospérer.

Mme Annick Billon. - Je regrette de ne pas avoir pu être présente. Les entreprises peuvent se développer si les collectivités territoriales ont une vraie politique d'investissement avec les aéroports, la route, mais aussi la fibre. La proposition de loi sur l'apprentissage de Michel Forissier reposait sur l'idée que c'était à la formation de s'adapter aux entreprises, et non l'inverse. On pourrait appliquer ce principe à l'administration : c'est à elle de s'adapter au développement des entreprises car c'est par ce développement que passera la baisse du chômage, l'une des priorités de nos concitoyens.

M. Gilbert Bouchet. - Je regrette aussi de ne pas avoir pu venir. De par mon ancienne profession, je suis préoccupé par la situation des hôtels et des restaurants. Bientôt, on n'en trouvera plus dans les centres villes, alors qu'ils apportent de l'emploi. Ils sont victimes de l'empilement des normes.

M. Claude Nougein. - Les élus locaux pensent souvent à s'opposer à la fermeture d'une gendarmerie, d'une poste. Mais il n'y a pas que la fonction publique pour faire vivre une commune. Quand une épicerie ou un hôtel restaurant ferme dans une petite commune, cela a le même effet.

Les services vétérinaires ont fait fermer toutes les boucheries des petites communes de Corrèze car elles n'étaient pas aux normes - ils n'ont pas été en Bulgarie ou en Grèce, je suppose... Les hôteliers ne peuvent pas faire les travaux nécessaires, qui coûteraient trop cher. Comme l'administration est surreprésentée, les contrôles sont quatre fois plus fréquents qu'à Paris.

M. Michel Canevet. - J'ai demandé à l'hôtelier qui nous faisait part de ces fermetures si elles n'étaient imputables qu'aux normes ou si la concurrence d'autres formes d'hébergement jouait aussi un rôle. Je pense à AirBNB. Je suis maire d'une commune modeste de 6 000 habitants, j'ai été effaré de découvrir qu'on y trouvait 50 possibilités d'hébergement par AirBNB ! C'est un défi pour les hôteliers qui ne sont pas encore passés à la réservation par internet

M. Gilbert Bouchet. - Cela coûte cher !

M. Michel Canevet. - Mais c'est indispensable !

M. Claude Nougein. - AirBNB, c'est de l'évasion fiscale. Dans la pratique, ses utilisateurs ne paient pas de taxe de séjour, d'impôt sur le revenu ou de TVA...

M. Gilbert Bouchet. - Je suis content d'avoir mis ce sujet au coeur du débat.

M. Daniel Chasseing. - Nous sommes allés à Brive, au carrefour des autoroutes ; en Corrèze, on peut trouver aussi de l'hyper-ruralité... Les hôtels ne sont pas seulement confrontés au problème des réservations par internet, mais aussi à la saisonnalité : les chambres ne sont occupées que trop peu de temps pendant l'année pour que les travaux de conditionnement de ses chambres aux nouvelles normes soient rentables.

Étude comparative de l'Institut für Wirtschaftsforschung (IFO) sur les pouvoirs et la représentativité des représentants des salariés dans l'entreprise en France et en Allemagne

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le Conseil de Questure a attribué à l'Institut für Wirtschaftsforschung (IFO) de Munich le marché d'un an à compter du 17 décembre 2015 et renouvelable une fois, pour faire réaliser des études comparant les effets sur les entreprises des législations applicables en France et en Allemagne. C'est dans ce cadre qu'en janvier dernier, le Bureau de la délégation a décidé de passer commande d'une étude sur les pouvoirs et la représentativité des représentants des salariés dans l'entreprise en France et en Allemagne. Il s'agissait d'éclairer ainsi les débats sur le projet de loi relatif à la réforme du droit du travail qui s'annonçait. En voici les grands traits.

Quelles sont les règles de représentation des salariés en France et en Allemagne ? En France, il existe diverses instances représentatives du personnel au sein d'une même entreprise, tandis qu'en Allemagne, seuls les comités d'entreprise et les représentants au conseil de surveillance, pour les grandes entreprises, représentent les salariés. En Allemagne, les comités d'entreprise ont des pouvoirs conséquents puisqu'ils disposent de droits de codétermination sur des questions spécifiques, tandis qu'en France, leur rôle est essentiellement consultatif. En France, le chef d'entreprise préside le comité d'entreprise alors qu'en Allemagne, il n'en fait pas partie.

En tout cas, les deux pays confient aux organisations patronales et syndicales -représentatives, dans le cas français - la charge de la négociation collective sur les salaires et les conditions de travail : le taux de syndicalisation est, dans nos deux pays, inférieur à la moyenne européenne, même s'il est un peu supérieur en Allemagne, où 18 % des salariés sont syndiqués, contre 8 % en France ; surtout, la représentation syndicale est plus fragmentée en France. Dans notre pays, un accord collectif n'est valable que s'il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections. En Allemagne, c'est l'accord majoritaire qui s'impose dans l'entreprise.

Mais une différence majeure tient au principe constitutionnel de libre détermination des salaires en Allemagne, ce qui écarte toute intervention gouvernementale dans les négociations salariales. En France, le gouvernement est beaucoup plus présent : il étend couramment le champ d'application des accords de branche, de manière à ce qu'ils s'appliquent également aux entreprises qui n'ont pas participé aux négociations. Cette pratique est beaucoup plus rare en Allemagne, si bien que la couverture des négociations collectives s'élève en France à 98 %, contre seulement 57 % en Allemagne, et même 23 % seulement dans les petites entreprises allemandes de moins de 50 salariés. Et les accords de branche sont généralement négociés en Allemagne au niveau régional plutôt que national : seuls le salaire minimal de 8,50 euros de l'heure, le congé annuel minimum de 4 semaines, les conditions de travail des intérimaires et des employés à temps partiel et la durée de travail maximale de 10 heures par jour sont régis par la loi fédérale. En outre, la durée de validité des accords collectifs n'y est pas fixée par la loi mais par les partenaires sociaux eux-mêmes.

Par ailleurs, autre différence majeure, il n'existe en France aucune obligation de paix sociale visant à prévenir les grèves, même lorsqu'un accord a été signé. En Allemagne, à l'inverse, lors de la signature d'un accord collectif, celui-ci est juridiquement contraignant pendant toute sa durée et les grèves ne sont ainsi pratiquement pas autorisées. D'ailleurs, un graphique de l'étude montre que la France est le pays de l'Union européenne où le plus grand nombre de jours de travail est perdu chaque année, à cause des grèves: en France, la grève a occupé annuellement 140 journées pour 1 000 employés, entre 2005 et 2013, contre 18 en Allemagne. Et cette situation va en s'accentuant. Dans le contexte actuel, où un syndicat minoritaire bloque l'activité économique de notre pays, nous gagnerions à regarder vers l'Allemagne...

La deuxième partie du rapport porte sur l'évaluation des implications économiques de ces différences institutionnelles entre la France et l'Allemagne. L'étude cite des recherches empiriques qui ont montré que l'extension automatique des accords collectifs au Portugal avait un impact négatif sur l'emploi et sur les performances des entreprises. En effet, à travers l'extension des accords collectifs, les entreprises dominantes imposent des salaires et des conditions de travail aux autres, réduisant ainsi la concurrence et l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs, ce qui nuit à la compétitivité et à l'emploi. En raison du fort pouvoir de négociation qu'y ont les organisations syndicales, ces entreprises acceptent des salaires supérieurs au niveau d'équilibre du marché, au prix d'un taux de chômage plus élevé : ceci contribue à la dualité du marché de l'emploi, entre des insiders en CDI et des outsiders en CDD, souvent plus jeunes et moins bien payés. L'IFO évoque le cas du Danemark qui échappe à cette dualité : le Danemark combine la flexibilité du recrutement et du licenciement à une assurance chômage plutôt généreuse, mais strictement limitée dans le temps. Ce modèle de flexisécurité s'associe à un taux de chômage relativement faible.

L'étude fait valoir qu'en Allemagne, la flexibilité des accords collectifs et l'autonomie des institutions chargées de la négociation permettent l'ajustement des contrats en fonction des particularités régionales ou individuelles. Ainsi, les salaires sont souvent inférieurs en Allemagne de l'Est, ce qui compense en partie la faible productivité de cette région. Combinée aux réformes Hartz, sur lesquelles reviendra sans doute Annick Billon, cette décentralisation de la fixation des salaires, intervenue en Allemagne dans les années 1990, a contribué à réduire la rigidité des salaires, favoriser la compétitivité et encourager l'emploi. Les coûts salariaux unitaires nominaux en France et en Allemagne ont évolué en conséquence de manière très différente : entre 1995 et 2014, les coûts salariaux unitaires nominaux n'augmentaient que de 15 % en Allemagne, quand leur croissance en France atteignait 33 % sur la même période. La décentralisation de la négociation collective est donc un point important dans la lutte que nous devons mener contre le chômage, dès lors que les normes sociales minimales à respecter sont fixées par la loi. C'est précisément le coeur du projet de loi travail et de son fameux article 2, sur lequel certaines voix dans la majorité gouvernementale semblaient hier prêtes à lâcher...

La troisième partie de l'étude IFO porte sur d'importantes propositions de réforme qui avaient été avancées dans le rapport Combrexelle. Parmi ces propositions, celles qui consistent à élargir le champ de la négociation collective et à permettre également la négociation au niveau de l'entreprise sont évaluées positivement par l'IFO, en cohérence avec les éléments déjà évoqués : ainsi, il semble raisonnable de permettre aux partenaires sociaux de négocier au niveau de l'entreprise le seuil de déclenchement de la rémunération des heures supplémentaires. L'IFO fait d'ailleurs observer que cela ne conduirait pas nécessairement à une diminution des salaires sur le long terme : en ajustant les heures de travail avec plus de souplesse, les entreprises augmenteraient leur chiffre d'affaires et pourraient de ce fait verser des salaires plus importants ; cette augmentation pourrait alors profiter à l'ensemble des heures de travail et non aux seules heures supplémentaires. Dans les entreprises confrontées à des difficultés majeures, il pourrait être avantageux pour tous d'opter provisoirement pour la réduction des salaires ou une durée de travail allongée, afin de sauver des emplois. L'article 11 du projet de loi travail apporte un début de réponse, avec les accords offensifs de préservation ou de développement de l'emploi. Plus généralement, l'IFO soutient la nécessité de laisser les partenaires de la négociation décider des questions susceptibles de faire l'objet d'un accord majoritaire.

De même, le remplacement d'accords d'entreprise à durée indéterminée par des contrats à durée limitée bien définis est encouragé parce qu'il réduirait l'incertitude, à la fois pour les entreprises et pour les salariés. Les avantages économiques résultant des accords d'entreprise pourraient être renforcés en faisant de ces accords des contrats juridiquement contraignants pendant la période convenue ensemble, de sorte qu'aucune grève sur les questions traitées ne puisse avoir lieu avant la fin de ladite période. Le nombre de jours de grève, on l'a vu, est exceptionnellement élevé en France et une partie de l'explication réside dans le fait que, même si un accord est conclu, il n'existe aucune garantie qu'aucune grève ne sera organisée pendant la durée du contrat. Selon l'IFO, les employeurs seraient prêts à verser des salaires plus élevés, en échange de garanties plus solides selon lesquelles aucune grève n'aura lieu au cours de la période du contrat.

En revanche, la proposition faite par M. Combrexelle de maintenir l'extension des accords de branche par le ministère du Travail apparaît contreproductive aux économistes de l'IFO, qui estiment que cela éliminerait une partie des gains résultant des autres propositions. Ce modèle d'extension systématique est accusé de permettre aux entreprises qui contrôlent les accords de branche de maintenir une sorte de cartel, visant à limiter la concurrence d'autres entreprises. Il est vrai que le projet de loi travail maintient en l'état actuel les possibilités d'extension des accords de branche, mais il donne aussi priorité aux accords d'entreprise sur les accords de branche, ce qui devrait de facto limiter l'extension des accords de branche et donc compenser ses effets négatifs.

Je retiens de cette étude ainsi résumée une piste particulièrement prometteuse, dont il faudrait vérifier la constitutionnalité : l'idée qu'un accord collectif à durée déterminée puisse prévoir la paix sociale tout au long de sa période de validité, sur les sujets couverts par cet accord. Cette étude me semble en tout cas fournir des éléments d'analyse pertinents pour l'examen prochain au Sénat du projet de loi travail.

Entreprises et réforme du droit du travail - Examen du rapport d'information de Mme Annick Billon

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je laisse la parole à Mme Billon, que notre délégation a chargée d'un rapport d'information sur les entreprises et la réforme du droit du travail.

Mme Nicole Bricq. - Tout cela, c'est le travail de la commission compétente. La commission des affaires économiques n'a pas cru bon de se saisir pour avis, contrairement à celle de l'Assemblée nationale ; ce n'est pas à nous d'y suppléer. Les rapporteurs font leur travail à la commission des affaires sociales, procèdent à des auditions. J'en fais pour ma part au nom de mon groupe. Ne refaisons pas plusieurs fois la même chose.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Il ne s'agit pas de cela, mais d'apporter un éclairage complémentaire, en faisant connaître le regard des entreprises sur ce sujet...

Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas un problème politique : les trois rapporteurs sont tous du groupe majoritaire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Pour ce qui est de la méthodologie, les trois rapporteurs de la commission saisie du texte ont eu l'amabilité de m'accueillir à leurs auditions. Nous avons donc évité de faire deux fois le même travail. Par ailleurs, la Délégation a rencontré plusieurs centaines d'entreprises ; visiter des entreprises ne suffit pas, il nous revient d'éclairer nos collègues en présentant les choses sous un angle nouveau...

Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas nouveau ! J'ai déjà entendu tout cela, lorsque je ne l'ai pas lu dans le journal...

Mme Annick Billon, rapporteure. - Un angle différent, si vous préférez. M. Gabouty, à qui j'exposais notre rapport, m'a dit qu'en effet, il apportait un éclairage différent. J'ai entendu en audition des personnes qu'il n'avait pas reçues. Il ne s'agit pas ici de refaire le travail des trois rapporteurs. Il s'agit de s'inspirer de ce qu'on voit sur le terrain pour apporter des réponses concrètes ; rassurez-vous, nous ne proposerons pas un nombre infini d'amendements. Si c'était juste pour faire du tourisme, il n'était pas nécessaire de créer une délégation aux entreprises !

Mme Nicole Bricq. - Je n'appelle pas cela du tourisme !

Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela y ressemble si ses déplacements ne débouchent sur rien !

M. Alain Joyandet. - Serons-nous destinataires de l'étude de l'IFO ?

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Bien sûr.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Depuis la création de notre délégation, nous avons rencontré plus de 200 entrepreneurs qui n'ont eu de cesse de nous alerter sur des sujets récurrents. Il est de notre devoir de relayer les attentes légitimes des entreprises alors que le Sénat va examiner la semaine prochaine un projet de loi réformant le droit du travail pour, selon son titre, « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s ».

Ce projet de loi est examiné alors que beaucoup de nos voisins européens ont déjà réformé leur marché du travail, avec un certain succès. J'ai d'ailleurs auditionné les conseillers économiques ou sociaux des ambassades d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie, afin d'en savoir plus sur le contenu et les effets de ces réformes.

L'Allemagne a mené il y a déjà plus de 10 ans, entre 2003 et 2005, ses réformes dites « Hartz », dans l'objectif de faciliter le reclassement des chômeurs, d'inciter à la création d'entreprises, de réformer le service public de l'emploi, et de diminuer et simplifier le traitement social des chômeurs dont le délai d'indemnisation est passé de 26 à 12 mois pour les moins de 55 ans. Comme l'a dit notre présidente, le dialogue social est très différent chez nos voisins allemands, bien des sujets sont abordés par la voie de la négociation et non par la loi, comme le temps de travail. Le taux de chômage y est passé de 11,3 % en 2005 à 4,3 % aujourd'hui, soit une diminution de 7 points selon les chiffres d'Eurostat. Le travail intérimaire a presque triplé, notamment via les contrats à salaires modérés, les mini-jobs, exonérés entièrement ou presque de charges sociales salariales et ne donnant droit ni au chômage ni à l'assurance maladie. Les lois Hartz ont également créé deux nouveaux types de contrats : les midi-jobs dont le salaire est plafonné à 850 euros et soumis à des taux de cotisations sociales progressifs, et les ein-euro jobs ou emplois à un euro, où le bénéficiaire continue de percevoir son allocation en plus d'une compensation d'au moins un euro de l'heure pour un travail d'utilité publique. Le chômage structurel a nettement diminué, mais parallèlement le taux de pauvreté a augmenté de 12,5 à 14,7 %.

Le chef du gouvernement espagnol a fait adopter en février 2012 un décret-loi de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail qui, selon l'OCDE , a permis une nette amélioration de la flexibilité. Pour la Commission européenne, cette réforme a permis de diminuer les rigidités du marché du travail qui caractérisait l'Espagne, mais n'a pas su endiguer la précarisation des plus fragiles qui préexistait.

Cette réforme a été adoptée alors que l'Espagne venait de subir la destruction de 2,7 millions d'emplois en 4 ans. Le chômage y touchait 5,3 millions de personnes fin 2011, pour atteindre 26,3 % de sa population active courant 2012. Le taux de chômage chez les jeunes était de 53 % et 1,6 million de foyers se retrouvaient sans aucune source de revenu. Aussi le gouvernement élu en 2011, a-t-il mis en oeuvre une réforme du marché du travail annoncée pendant la campagne électorale. Elle a facilité le travail temporaire, a donné la priorité à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, a incité à l'embauche en CDI , a permis l'adaptation des entreprises en leur permettant d'ajuster les salaires et les horaires de travail, et a élargi le champ du licenciement objectif pour motifs économiques, organisationnels, techniques ou de production. Enfin, les conditions d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été réduites de façon très importante : le plafond est passé de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, sur 24 mois maximum au lieu de 42. Toutes ces mesures ont permis la diminution de 5,3 points du taux de chômage en 4 ans, et de 6,5 points chez les jeunes.

Les réformes italiennes ont été mises en oeuvre plus récemment, en 2014, alors que le taux de chômage était de 13 % et que le marché du travail se caractérisait, comme en France, par une forte dualité avec une part très prépondérante et croissante des embauches en CDD. Une série de 8 décrets, appelée le Jobs Act, a permis d'orienter le modèle italien vers la flexisécurité : incitation à l'embauche en CDI pouvant aller jusqu'à 8 000 euros par contrat et par an, diminution des possibilités de contentieux pour éviter l'insécurité juridique liée aux licenciements, et surtout création d'un nouveau contrat à protection croissante qui facilite, au cours des trois premières années, le licenciement, pour lequel est établi un barème d'indemnisation en fonction de l'ancienneté. L'Italie est ainsi passée d'une logique de réparation avec réintégration possible du salarié à une logique d'indemnisation du licenciement avec des barèmes et plafonds fixés par la loi. D'autres réformes devraient suivre, notamment pour traiter le cas des travailleurs indépendants. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des réformes italiennes, mais on observe pour la première année une baisse de 1,4 point du chômage, même si celui des jeunes se maintient à près de 40 %. Les premiers chiffres montrent une forte progression des embauches en CDI qui baissaient de 52 000 en 2014 et ont augmenté de 764 000 en 2015 et une chute des embauches en CDD avec 117 000 contrats en moins.

Ces trois exemples européens ont évidemment suscité des commentaires sur la portée de la réforme qui nous est aujourd'hui proposée en France. Et ils nous ont permis de tester certaines idées auprès du réseau des chefs d'entreprises que la délégation a rencontrés.

C'est la force de notre délégation de réagir sans être contrainte par les règles de procédures propres aux commissions permanentes. Aussi ai-je choisi de mettre l'accent sur quelques thématiques chères aux entreprises, en évitant une analyse article par article, qui relève de la compétence des commissions. Je vous présenterai des amendements potentiels que vous pourrez cosigner, sachant qu'il me paraît parfois plus cohérent de laisser d'abord nos collègues rapporteurs de la commission au fond travailler, pour ensuite prendre le temps de juger de l'opportunité d'autres amendements en séance publique.

Je remercie mes collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales, MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, qui ont eu la gentillesse de me convier à leurs auditions sur le projet de loi El Khomri. Je précise également deux éléments : nous avons innové en optant pour une méthode de travail participative. Avec Élisabeth Lamure, nous avons interrogé notre réseau d'entrepreneurs sur le droit du travail en général et sur le projet de loi El Khomri en particulier. Les chefs d'entreprise ont répondu à un questionnaire mis en ligne du 15 avril au 11 mai dernier. Par cette méthode participative, nous avons recueilli l'avis de 88 entreprises que je détaillerai dans quelques instants. À la question « le projet de loi répond-il à vos attentes ? », la réponse a été négative à 40 % - 29 % de « plutôt non » et 11 % de « pas du tout » - contre 35 % de satisfaits, les autres participants n'ayant pas répondu.

Compte tenu de notre angle d'attaque, plusieurs pans du droit du travail traités dans le projet de loi El Khomri ne seront pas évoqués car ils n'ont pas constitué une demande particulière de la part des chefs d'entreprise. D'autres sujets, comme l'apprentissage, ne feront l'objet que d'un rappel des travaux antérieurs et des recommandations de notre délégation. Michel Forissier, co-auteur de la proposition de loi sur l'apprentissage élaborée au sein de notre délégation, saura mieux que quiconque en tenir compte.

Quelques mots sur le projet de loi instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs-ve-s. Notez que la langue française a été maltraitée pour une féminisation hasardeuse, qui de façon très étonnante ne concerne jamais le mot employeur, comme si les femmes ne pouvaient être que des salariées et jamais des chefs d'entreprise. Ce texte a déjà connu de nombreuses transformations, avant même son examen en conseil des ministres. L'avant-projet de loi, dont tout le monde avait eu connaissance dès le mois de février, avait suscité un certain enthousiasme car il proposait enfin des réformes attendues depuis longtemps pour faire reculer le chômage. Devant les réactions de certains de ses interlocuteurs privilégiés, le Gouvernement a ensuite fait marche arrière sur des sujets pourtant importants - le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou la dispense d'accord pour mettre en place le forfait-jours dans les entreprises de moins de 50 salariés. La commission des affaires sociales de l'Assemblée a apporté de nombreuses modifications, certaines empreintes de bon sens. En appliquant la procédure de l'article 49.3 de la Constitution, le Gouvernement a réécrit le texte que nous allons bientôt examiner au Sénat.

Revenons rapidement sur les grandes lignes de la réforme proposée. Le texte annonce une refondation de la partie législative du code du travail, qui sera confiée à une commission d'experts et de praticiens des relations sociales. Ensuite, il propose de nouvelles règles pour relancer le dialogue social, en reprenant notamment des propositions du rapport de Jean-Denis Combrexelle, conseiller d'État et ancien Directeur général du travail. Il s'agit d'une sorte d'application d'un principe de subsidiarité consacrant la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, pour l'ensemble des dispositions relatives à la durée du travail, aux congés, ainsi qu'au compte épargne-temps. Cette possibilité de déroger aux règles fixées par la branche pourra ainsi rééquilibrer les situations décrites par l'IFO dans son étude des effets des extensions d'accords de branche.

La contrepartie de ce nouveau mode de production des normes sociales est, à l'article 10 du projet de loi, la généralisation des accords majoritaires, avec comme alternative la consultation des salariés à la demande de syndicats représentant 30 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles.

Mme Nicole Bricq. - ... et signataires ! Je connais le texte par coeur.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Le projet de loi veut en outre sécuriser les parcours professionnels et garantir l'accès aux droits. Le compte personnel d'activité (CPA), créé dans son principe par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, est ainsi défini à l'article 21. Il assure la continuité des droits des salariés appelés à changer régulièrement d'employeur comme de statut. Il regroupe le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) dont tous les chefs d'entreprise soulignent la complexité et le caractère inopérant, et enfin un troisième et nouveau compte dont on a du mal à apprécier le fonctionnement, le compte engagement citoyen (CEC). Un autre ensemble de mesures - articles 28 et suivants du titre V - nous intéressent plus particulièrement, car elles doivent favoriser l'emploi et améliorer l'accès au droit des TPE et PME.

L'accès au droit est évidemment essentiel, comme nous l'avons compris depuis le début de nos déplacements. On ne compte plus les chefs d'entreprise ayant critiqué l'insécurité juridique dont ils sont des victimes permanentes. Il existe plusieurs facteurs d'insécurité juridique : les décisions du juge, qui vient interpréter les lois que nous votons. Les entrepreneurs, pour ceux qui sont encore en mesure de suivre l'évolution des normes, se retrouvent pris au piège de l'interprétation que fait le juge de certaines dispositions législatives, différente de la leur, pourtant de bonne foi. Le pire est le revirement de jurisprudence, qui, appliqué rétroactivement, déstabilise toutes les entreprises concernées. Ainsi, en 2013, la chambre sociale de la Cour de Cassation a annulé la convention SYNTEC instaurant le forfait jour : celle-ci était donc réputée n'avoir jamais existé alors qu'elle concernait près de 544 000 cadres qui ont pu alors prétendre au paiement des heures supplémentaires, ce qui a pu déstabiliser financièrement les employeurs concernés ! Et l'article 5 du projet de loi doit prévoir tout un mécanisme de sécurisation des conventions de forfait pour éviter une telle insécurité juridique... Il est donc urgent de prévoir une disposition incitant le juge à envisager de moduler dans le temps les effets de ses décisions. Il peut déjà le faire mais ne se sert jamais - ou presque - de ce pouvoir, aucun article du code du travail ne l'y incitant. Il serait également utile que chaque accord collectif puisse mettre en place une procédure permettant d'assurer son interprétation par les partenaires sociaux.

Deuxième facteur d'insécurité juridique, le chef d'entreprise ne sait pas nécessairement comment interpréter et donc appliquer le code du travail, en amont d'un contentieux. La sécurité juridique passe donc par le développement du rescrit, qui offre à l'employeur un écrit détaillant la position de l'administration en réponse à une question précise.

Deux articles du projet de loi, contenus dans le chapitre relatif aux TPE et PME, font la promotion de cette pratique : d'une part, l'article 31, qui ratifie l'ordonnance du 10 décembre 2015 prise sur le fondement de l'article 9 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises. Il rend possible le rescrit pour les accords ou plans d'action relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que pour les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ; d'autre part, l'article 28, qui initialement proposait simplement le droit, pour les entreprises de moins de 300 salariés, à une information précise de la part de l'administration. Les amendements de la commission des affaires sociales de l'Assemblée ont étoffé cet article en ajoutant que, si la demande est suffisamment précise et complète, « le document formalisant la prise de position de l'administration peut être produit par l'entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi ». On n'est pas loin du Bourgeois gentilhomme, cet article faisant du rescrit sans le dire clairement. Il serait plus sécurisant d'apporter les modifications rédactionnelles pour asseoir la portée de cette disposition. Près de 10 % des chefs d'entreprise ont spontanément répondu que la réforme devrait davantage défendre un « principe de bonne foi » des entreprises vis-à-vis des administrations et une mission de conseil de l'administration plus que de répression. Un amendement pour simplifier l'usine à gaz du « service public territorial de l'accès au droit » prévu pour assurer la mise en oeuvre de ce nouveau droit serait également le bienvenu.

Le troisième facteur de sécurité juridique concerne l'inspection du travail. L'article 28 du projet de loi nous y conduit tout naturellement, puisque dans l'étude d'impact associée, le Gouvernement a souligné le rôle des services de renseignement des inspections du travail au sein des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Mais qu'en est-il de cette mission de conseil aujourd'hui ? Quelle est la réalité ? Il semble qu'il existe une réponse factuelle, à savoir le nombre de réponses offertes, que l'étude d'impact recense. Et il existe une réalité ressentie, puisque les chefs d'entreprise nous disent de façon récurrente que les inspecteurs du travail donnent l'impression de rechercher systématiquement la faute commise au sein de l'entreprise, plutôt que la façon d'aider, d'accompagner cette dernière.

Pourtant, l'article 3 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur l'inspection du travail précise bien cette mission, puisqu'en vertu de cette disposition, il lui incombe « de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d'observer les dispositions légales ». Afin d'amorcer un changement de philosophie et de se rapprocher de l'exemple britannique d'une administration au service des entreprises, il est essentiel de modifier l'article L.8112-1 du code du travail qui décrit les compétences des inspecteurs du travail, afin d'insérer cette mission d'information et de conseil.

La sécurité économique, que je développe en première partie de mon rapport, est une autre priorité des entreprises. J'y rappelle ce que les économistes entendus par la commission des affaires sociales ont répété, études et chiffres à l'appui : plus on veut protéger l'emploi existant, plus on exclut les actifs qui arrivent sur le marché du travail. Il existerait ainsi une corrélation entre chômage et dualité du marché du travail et niveau de protection de l'emploi. Ce phénomène est expliqué, selon les économistes auditionnés, par ce que l'on pourrait appeler « les coûts cachés de transaction sur le marché du travail », c'est à dire les coûts d'embauche et surtout de licenciement. Cela explique la dualité du marché du travail français, et le fait qu'une sur-taxation des CDD serait totalement inutile et même dangereuse car la seule variable d'ajustement serait alors l'emploi !

Pour résoudre le dilemme de la sécurité économique des entreprises, ne pouvons-nous pas nous inspirer utilement des réformes de nos voisins européens ? Nous avons testé plusieurs idées auprès des chefs d'entreprises, également libres de faire des propositions spontanées. Ce qui est revenu en plus grand nombre était la création d'un CDI prédéfinissant des motifs et des conditions de rupture (28 % des personnes interrogées). Ensuite, figure l'idée d'un CDI à droits progressifs (15 %) et, au même rang, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif (15 % également). En troisième place, la possibilité de négocier plus facilement des accords avec les délégués du personnel pour les TPE et les PME ne disposant pas de délégués syndicaux (14 %). Le prisme italien semble donc séduire nos entrepreneurs, et il ne serait pas inutile d'envisager de réintroduire le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse qui figurait dans la toute première version officieuse du projet de loi.

Après une première partie sur la sécurité juridique et économique des entreprises, mon rapport aborde la question des outils pouvant permettre aux entreprises de mieux s'adapter pour se développer. Car finalement, c'est l'objectif : le développement des entreprises, et la croissance qui reste le principal facteur d'emploi. Cela concerne aussi bien la prise en compte des difficultés de l'entreprise, que l'article 30 du projet de loi aborde certes, mais de façon peut-être inappropriée avec des critères de qualification du licenciement pour motif économique pas forcément adaptés aux multiples réalités de la vie des entreprises. Tenir compte des difficultés, c'est aussi ne pas obliger un employeur à réaliser tous les efforts de reclassement jusqu'à ce qu'il mette la clé sous la porte, mais c'est le contraindre à réaliser un effort raisonnable pour y parvenir. L'article L.1233-4 du code du travail pourrait ainsi être modifié.

Permettre à l'entreprise de s'adapter, c'est aussi ne pas freiner son développement en multipliant les barrières liées aux seuils sociaux. Nouvel exemple d'incitation à ne pas dépasser la limite de 49 salariés : l'article 29 bis qui élargissait, seulement pour les entreprises en-dessous de ce seuil, le champ des déductions fiscales pour inclure les provisions réalisées pour d'éventuels frais d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La version du texte issue de la « procédure du 49.3 » a fait chuter ce seuil à 10 salariés. Rappelons ce que la précédente étude de l'IFO nous avait appris, car, spontanément 7 % des chefs d'entreprises ont souhaité que la suppression ou la progressivité renforcée des seuils sociaux soit inscrite dans le projet de loi. Toutefois, compte tenu des changements de règles en matière de dialogue social, il paraît prudent d'attendre le texte de la commission des affaires sociales pour juger de l'opportunité de déposer de nouveaux amendements en ce sens.

Pour s'adapter, les TPE et PME doivent pouvoir bénéficier de la réforme du dialogue social proposée par le projet de loi. Il est très utile de prévoir les outils pour négocier, encore faut-il que ces outils correspondent à une réalité. Pourquoi augmenter de façon systématique les heures de délégation et créer ainsi un nouveau droit sur lequel on ne pourra pas revenir, alors que d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, la majorité des représentants du personnel consacre un temps inférieur à la décharge horaire autorisée pour son mandat ? L'article 16 du projet de loi ne paraît pas aller dans le bon sens et devrait à tout le moins limiter les augmentations d'heures de délégation aux seuls cas de négociation en cours.

L'absence de délégués syndicaux dans les TPE et les PME est un sujet important. Or, de nombreuses dispositions font référence au mandatement, aujourd'hui unanimement rejeté par nos interlocuteurs. Les entreprises interrogées évoquent, spontanément, comme grand absent de la réforme, le pouvoir des syndicats, excessif au regard de leur représentativité. Certains proposent de le contourner en amenant tous les salariés à se syndiquer ; d'autres imaginent limiter dans le temps le nombre de mandats d'élu syndical ou de délégué du personnel pour un salarié.

Le mandatement est précisé à l'article L.2232-21 du code du travail qui prévoit qu'un accord puisse être conclu par les délégués du personnel si ces élus ont été expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise. En l'absence de mandatement ainsi défini, alors seulement les représentants élus peuvent négocier et conclure des accords, mais ils doivent avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés et l'accord doit être approuvé par la commission paritaire de branche. N'y aurait-il pas lieu de simplifier une telle procédure, surtout qu'il n'existe pas de commission paritaire dans toutes les branches ? On pourrait soit faciliter l'organisation d'un referendum sur d'autres sujets que la participation, comme les chefs d'entreprise le demandent, soit rendre directement possible la négociation avec des élus non mandatés, ce que 15 % des entreprises interrogées ont jugé prioritaire.

Je note la très grande avancée que constitue l'article 29 du projet de loi, selon lequel un accord de branche peut comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés, sous forme d'accords types avec options multiples. L'employeur peut appliquer un tel accord au moyen d'un document unilatéral après information des salariés et de la commission paritaire régionale de branche. On pourrait dès aujourd'hui transformer cette possibilité en obligation, afin que les petites et moyennes entreprises ne soient jamais oubliées des négociations d'accords de branche, en vue de déclinaisons utiles en leur sein. Un tel mécanisme se rapprocherait davantage de la proposition n° 38 du rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la négociation collective, le travail et l'emploi. Il diminuerait les risques pour les petites entreprises décrits par l'IFO, dans un système où les accords de branche peuvent imposer des standards gênant la concurrence d'acteurs économiques émergents.

Voilà un résumé des tendances décrites dans le rapport que je vous propose d'adopter. Avec ces éléments de réflexion issus des besoins exprimés par les chefs d'entreprise, nous contribuerons utilement aux travaux du Sénat, en nous laissant la possibilité de réagir au moment de la séance pour faire de nouvelles propositions sur la base du texte de la commission des affaires sociales qui examinera ce projet de loi la semaine prochaine.

Mme Patricia Morhet-Richaud. - Très bien !

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci beaucoup pour ce travail fondé sur des rencontres, des auditions et sur le questionnaire auquel ont répondu presque une centaine d'entreprises. Elles ont souvent soulevé, comme les entreprises rencontrées sur le terrain, la question de la sécurité juridique.

Mme Nicole Bricq. - Il est extrêmement important que l'article 21 sur le CPA ne soit pas limité aux salariés. Il aide à gérer les transitions professionnelles, et est ouvert aux indépendants. Certains salariés deviennent indépendants et inversement. Il prend ainsi en compte le travail indépendant qui monte dans l'économie, notamment au travers du numérique. C'est une innovation très forte qui pourrait aboutir à un statut ni salarié, ni indépendant. Voyons le texte en dynamique ; c'est notamment important à l'article 2 qui pose tant de difficultés à gauche et à droite, et à l'article 21. Le reste est secondaire, et relève davantage de la technique. Le CPA ne concerne plus un statut mais la personne, le salarié ou l'indépendant. C'est porteur de dynamique si on l'utilise bien.

Attention à l'argumentation reprise de quelques membres du patronat, que j'ai pu entendre hier à la Commission des affaires sociales - il existe des différences notables entre eux - selon lesquels le pouvoir des syndicats est excessif, au regard de leur représentativité. La représentante de la CGT m'a dit hier que nous, élus, n'avions pas plus de représentativité que les syndicats. C'est un argument qui se peut retourner contre nous.

M. Michel Canevet. - La légitimité des sénateurs est de quasiment 100 % !

Mme Nicole Bricq. - Elle visait les parlementaires... La représentation syndicale est de 10 %. Mieux vaut avoir quelqu'un avec qui la direction de l'entreprise peut discuter plutôt que personne. Après, on peut ne pas être d'accord. Attention, la défiance monte envers les appareils verticaux.

M. Alain Joyandet. - Félicitations pour le travail réalisé, aussi bien pour le benchmarking que sur la situation française ou sur la loi que nous examinerons. Les sujets sont tellement complexes qu'un complément de réflexion n'est jamais inutile. Je préfèrerais qu'il n'y ait pas de vote, sommes-nous représentatifs pour adopter ce rapport ?

M. Michel Canevet. - Si on attendait d'être représentatifs pour voter en séance publique...

M. Alain Joyandet. - Je m'abstiendrai donc pour une raison de fond que je vais expliquer. Je suis d'accord pour faire évoluer les relations sociales et le dialogue social dans notre pays. Privilégier le contrat par rapport à la loi est toujours préférable. Les sociétés où le dialogue social est le plus avancé ont le moins de chômage. J'approuve l'analyse sur l'allègement des tracas administratifs des entreprises.

Mais à titre personnel, comme chef d'entreprise, je ne peux accepter que des collaborateurs depuis 30 ans, se levant la nuit et touchant des heures supplémentaires payées 25 % plus cher, voient désormais ces heures supplémentaires payées à 10 %, en vertu d'une loi. Imaginons que l'accord de branche soit remplacé par l'accord d'entreprise ; c'est un recul majeur de pouvoir d'achat pour nos collaborateurs. Je l'ai dit à mon groupe politique : je ne peux pas voter cette disposition. Si on veut évoluer progressivement, créons un statut à deux vitesses pour les salariés en place et les nouveaux entrants - comme à une certaine époque dans l'immobilier, avec la loi de 1948.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Cette difficulté résulte des 35 heures...

M. Alain Joyandet. - Ne donnons pas un message de régression sociale. Oui à un allègement des contraintes, à la simplification, à un transfert des charges. Il y a de nombreuses solutions pour redonner de la rentabilité : on prend 25 % de charges sur les salariés tous les mois, alors qu'auparavant, quand j'ai fondé mon entreprise, le prélèvement s'élevait à 6 ou 7 %. Cela revient à ne pas verser de salaire tous les quatre mois ! J'ai 3 500 salariés Peugeot dans ma ville. Une réduction des heures supplémentaires à 10 % pourrait représenter pour eux une perte de 2 000 euros par an. Je ne peux pas voter cela. Nous avions voté la TVA compétitivité ; M. Hollande l'a supprimée, puis regretté cette erreur, sans la réparer. Et ce ne serait pas à l'ordre du jour...

M. Martial Bourquin. - Je partage ce que dit M. Joyandet ; nous sommes dans des bassins industriels. Souvent, des salariés ont bâti une maison ou acheté une voiture grâce à leurs heures supplémentaires. Passer de 25 à 10 % serait dramatique. Revoyons les choses en profondeur. Ce serait une régression sociale. Faisons aussi très attention aux études comparatives...

Mme Annick Billon, rapporteure. - ... nous avons été prudents.

M. Martial Bourquin. - L'Espagne et l'Italie partent de très loin, avec un chômage élevé. Ne confondons pas les aspects conjoncturels et structurels des crises. Le redressement de ces pays peut n'être que conjoncturel. En Italie, chaque contrat issu du job act reçoit 8 000 euros de subventions. Avec un tel contrat en France, on signerait un paquet de CDI ! La Commission européenne nous demande d'aller dans ce sens : la dévaluation ne se fait plus par la monnaie, elle devrait se faire par le travail. Se satisfait-on de cette situation ? La Commission européenne doit-elle avoir le dernier mot ? Ne renonçons pas à une dynamique de croissance.

En tant qu'élus, nous voyons les entreprises. J'en ai 400 dans ma ville, de toutes tailles, avec lesquelles j'entretiens de bonnes relations. L'entreprise est un ensemble : le chef d'entreprise, l'ensemble des syndicats, les salariés... Dans mon département, Faurecia est absorbé par Plastic Omnium, un autre industriel. J'ai rencontré les dirigeants et l'ensemble des syndicats pour élaborer un bon accord, afin que l'essentiel des productions reste chez nous. Parlons à tous les membres de l'entreprise. Si l'entreprise n'a pas de dimension sociale, on passe à côté d'une réalité simple : un employeur fait attention à son encadrement, ses salariés, et le code du travail est là pour réguler ces relations, pour protéger les salariés.

Nous débattions sur l'accord d'entreprise ou de branche. J'ai négocié des accords de branche bénéficiant aux petites entreprises. Les négociations à l'UIMM rassemblaient patronat et syndicats de toutes les entreprises. Il n'y a pas de bonne entreprise contre la mauvaise branche, c'est un ensemble. Il doit y avoir une dialectique entre les deux pour que cela fonctionne. La branche négocie des accords qui profitent à tous les salariés.

Je ne participerai pas au vote. C'est délicat de voter un tel rapport avant la loi. Néanmoins je vous remercie pour ce rapport solide, avec lequel je ne partage pas beaucoup de présupposés, mais qui ouvre la discussion.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous ne votons pas sur un texte de loi mais sur un rapport donnant des orientations.

M. Claude Nougein. - Je ne comprends pas le texte du Gouvernement sur le plafonnement des indemnités prud'homales : le Conseil constitutionnel a censuré la distinction faite entre les indemnités selon la taille des entreprises. À la demande de la CFDT, ce point a été abandonné, mais le Gouvernement reprend cette distinction en réservant aux entreprises de moins de dix salariés la possibilité de déduire les provisions pour licenciemnts. Si le Conseil constitutionnel est cohérent, il retoquera à nouveau ce dispositif. Pourquoi vouloir s'opposer à lui ? Mme Annick Billon a bien vu le problème qu'il y a à créer des seuils entre entreprises.

Peu de salariés font actuellement des heures supplémentaires, notamment en pourcentage. Selon les conventions collectives, certaines sont payées 25 % de plus mais d'autres aussi 10 %, notamment dans l'hôtellerie restauration, avec des milliers de salariés concernés.

Il est difficile d'accepter que des salariés payés à 25 % repassent à 10 %. Nous pourrions aboutir à un compromis : instaurer les 10 % ferait accéder de nombreux salariés aux heures supplémentaires ; c'est mieux que de ne pas en faire du tout. Et ceux étant à 25 % ne pourraient pas voir leur rémunération baisser.

Entre 2002 et 2005, sous Jean-Pierre Raffarin, existaient différents SMIC à 32 heures, 35 heures, 39 heures... Quatre à cinq ans ont permis de converger vers un seul SMIC. C'est une piste de réflexion. Avec l'inflation, on aboutira à ce qu'elles soient payées 10 % pour tout le monde, sans que personne ne perde son salaire à court terme. Je suis aussi chef d'entreprise. Récompensons les gens qui travaillent !

Mme Annick Billon. - Merci pour vos interventions. Concernant le CPA, c'est vrai que c'est un moyen de fluidifier le passage entre les statuts de salarié ou d'indépendant. Nous avons cité des exemples étrangers, pas pour les transposer de manière bête et méchante au modèle français, mais pour s'en inspirer.

La présidente a rappelé qu'il ne s'agissait pas de voter pour ou contre la loi El Khomri, mais pour un rapport d'information qui ne va pas aussi loin qu'iront les rapporteurs du projet de loi. Le voter ne vous engage pas sur l'intégralité du texte.

Les heures supplémentaires sont un faux problème. À partir du moment où on privilégie le dialogue social et l'accord d'entreprise, on aura cette discussion. L'entreprise sera maîtresse de son destin et de sa réglementation. Le dialogue social sera amélioré par la possibilité de signer des accords d'entreprise. Je suis en tout cas surprise de voir que le paiement d'heures supplémentaires suffit à payer des maisons...

Le carnet de commandes des entreprises est ce qu'il y a de plus important. À la table-ronde de la commission des affaires sociales, le Medef, l'UPA et la CGPME n'étaient pas d'accord sur certains critères du licenciement économique : expertise de la Banque de France selon Jean-Marc Gabouty, chiffre d'affaires pour d'autres... En revanche, la périodicité d'un trimestre ne semblait pas forcément pertinente car l'activité peut être saisonnière. S'il faut limiter l'interprétation du juge en la matière, la définition des critères est compliquée, et je n'ai pas relevé de tendance lourde dans la majorité sénatoriale.

Le Code du travail est là pour protéger les salariés et les entreprises. Mme Bricq a regretté que le fonctionnement proposé dans les entreprises ne soit pas très démocratique. Mais l'entreprise n'est pas un modèle démocratique ; le Code du travail est là pour encadrer cette structure.

Les entreprises sont plus ou moins performantes et différentes dans une même branche. Nous proposons dans le rapport que tout accord de branche comporte des stipulations spécifiques pour les PME de moins de cinquante salariés. M. Bourquin pourrait donc être en accord avec ce rapport.

Enfin, je suis moi aussi favorable à l'élargissement de la déduction des provisions pour licenciement à toutes les entreprises. Mais il est difficile de déposer des amendements sur l'article 29 bis en ce sens en raison de l'article 40 de la Constitution.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci pour ce tour d'horizon. Je soumets ce rapport à votre approbation formelle.

À l'issue du débat, la délégation adopte le rapport à l'unanimité.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Mme Billon vous transmettra par courriel de potentiels amendements pour l'examen en commission.

Questions diverses

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le projet de loi Sapin II, qui concerne aussi les entreprises, sera examiné début juillet au Sénat. La commission des lois en est saisie au fond, celles des affaires économiques et des finances pour avis. Nous réfléchissons à l'opportunité de nous pencher sur le texte, peut-être simplement par le biais de quelques auditions.

Nous nous déplacerons dans les Hautes-Alpes chez Mme Patricia Morhet-Richaud, soit le 1er juillet, soit le 30 juin. La Journée Tremplin Entreprises, organisée par l'Essec, se tiendra lundi 20 juin, et sera clôturée le soir par une remise des prix.

La réunion est levée à 10 h 20.