Mercredi 19 décembre 2018

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 h 20.

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nos travaux de ce matin s'ordonneront en deux temps : après avoir entendu une communication de Michel Vaspart sur une proposition de résolution européenne relative à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 1316-2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous recevrons plusieurs invités pour une table ronde sur la compétitivité des ports français.

Proposition de résolution européenne n° 172 présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1316-2013 en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, COM (2018) 568 final - Communication de M. Michel Vaspart

M. Hervé Maurey, président. - Nous avons été saisis d'une proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes, portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant l'annexe du règlement régissant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe.

Cette proposition de règlement, publiée pendant l'été, a été présentée comme une préparation des conséquences, pour les ports européens, d'un retrait du Royaume-Uni de l'Union sans accord, autrement appelé « hard Brexit ». Il s'agit en réalité d'un texte mal conçu sur le plan technique pour traiter la question des corridors maritimes et qui traduit surtout l'influence des pays du Benelux.

La proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes demande le retrait de ce texte. Le Gouvernement est également sur cette ligne.

En l'absence de modification de notre part, cette proposition de résolution européenne sera considérée comme adoptée le 30 décembre prochain et deviendra résolution du Sénat.

Je remercie Michel Vaspart d'avoir bien voulu travailler sur cette question dans des délais très courts ; il est vrai que sa maîtrise du sujet a dû lui simplifier la tâche.

M. Michel Vaspart. - La commission des affaires européennes a adopté, le 29 novembre dernier, un rapport d'information sur l'adaptation des corridors maritimes de transport dans l'Union européenne, ainsi qu'une proposition de résolution européenne portant sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n° 1316-2013 du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le MIE, en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet devant notre commission, lors de l'audition de la ministre Élisabeth Borne le 21 novembre dernier et lors de la présentation de mon rapport pour avis sur les crédits des affaires maritimes et portuaires.

Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, nous prie de l'excuser de ne pouvoir être parmi nous ; il est aujourd'hui en réunion avec des ambassadeurs.

Je commencerai par présenter le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de résolution européenne, puis j'en détaillerai le dispositif et vous ferai part des dernières informations que j'ai obtenues auprès du cabinet de la ministre.

Les questions des transports et de l'interconnexion des réseaux nationaux s'inscrivent dans un double cadre juridique adopté le 11 décembre 2013.

D'une part, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, dit règlement RTE-T, distingue deux réseaux : le réseau central, qui constitue la colonne vertébrale du réseau de transport multimodal européen et concentre les infrastructures et liaisons les plus stratégiques, et le réseau global, visant à garantir l'accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l'Union européenne, y compris les régions périphériques, insulaires et ultrapériphériques.

Le règlement RTE-T mentionne également un outil technique et financier complémentaire : les corridors, destinés à permettre la coordination des projets de transport et à faciliter l'interopérabilité, l'intégration modale et la coopération internationale. Parmi les neuf corridors existants, deux nous intéressent particulièrement ce matin : le corridor Mer du Nord - Méditerranée et le corridor Atlantique.

En outre, le RTE-T et les corridors sont complétés dans leur dimension maritime par les autoroutes de la mer, des tracés maritimes à courte distance reliant des ports, des infrastructures et les équipements maritimes associés.

D'autre part, le volet financier des réseaux transeuropéens de transport est régi par un autre règlement du Parlement européen et du Conseil, établissant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe. L'annexe de ce règlement énumère les corridors du réseau central conformément aux tracés du RTE-T et fixe une série de tronçons dits présélectionnés, formés autour de projets identifiés comme prioritaires pour l'interconnexion des réseaux de transport européens et pouvant bénéficier du soutien financier de l'Union européenne.

Pour la période 2014-2020, l'enveloppe du MIE est fixée à 33 milliards d'euros, dont 26 milliards de dotation pour les transports ; le reste concerne les secteurs des télécommunications et de l'énergie. Pour la période 2021-2027, les discussions sont actuellement en cours autour du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.

Le MIE est ainsi mobilisé pour financer des projets essentiels au développement des transports européens. Il doit susciter un important effet de levier, chaque million investi par l'Union européenne devant être complété par 5 millions d'investissements des États membres et 20 millions provenant du secteur privé.

Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié son intention de se retirer de l'Union européenne. En l'absence d'accord de retrait ratifié, le droit primaire et dérivé de l'Union européenne cessera, le 30 mars prochain, de s'appliquer dans ce pays désormais tiers.

Or, à l'heure actuelle, le Royaume-Uni constitue un point de passage essentiel pour l'Irlande, du fait de la situation géographique périphérique de ce pays. Les marchandises irlandaises traversent la mer d'Irlande jusqu'à Liverpool, puis suivent le long bridge, le réseau ferroviaire et routier anglais, jusqu'à Douvres, avant de rejoindre le continent européen via Calais ou Dunkerque. En outre, l'Irlande s'appuie largement sur les transports maritimes pour ses échanges commerciaux avec l'Europe continentale.

Dans la mesure où le Brexit rendra cet itinéraire caduc, une révision du tracé du corridor maritime Mer du Nord - Méditerranée s'impose.

Dans ce contexte, la Commission européenne a publié le 1er août dernier, à la stupéfaction générale, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à modifier le règlement MIE pour identifier un nouveau tronçon entre les ports irlandais du réseau central - Dublin et Cork - et les ports du Benelux du réseau central
- Zeebrugge, Anvers et Rotterdam -, ignorant les ports français de ce réseau - Calais et Dunkerque -, de même que ceux de Nantes-Saint-Nazaire, Le Havre et Rouen, situés sur le corridor Atlantique. Point de salut pour les ports français !

Outre que cette proposition démontre la puissance des ports hollandais et belges et des gouvernements de ces pays, qui se sont fortement mobilisés, elle témoigne d'une vision très partielle, voire partiale, des conséquences du Brexit dans le domaine des transports.

En effet, il aurait fallu intégrer ces évolutions dans le cadre plus global d'une révision du RTE-T et de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le MIE pour la période 2021-2027, actuellement discutée au Parlement européen.

En outre, l'utilisation des fonds du MIE restants pour la période 2014-2020 serait possible sans la modification proposée par la Commission européenne. À cet égard, la ministre des transports m'a indiqué qu'un appel à projets sera ouvert jusqu'à la fin du mois de mars pour les ports du réseau global, afin d'attribuer 65 millions d'euros pour l'adaptation des infrastructures portuaires en lien avec le Brexit. L'État doit rassurer l'Union européenne sur sa volonté et sa capacité à apporter le complément de ce financement.

Dans cette affaire, les bonnes questions n'ont pas encore été posées. Point n'est besoin d'être expert en géographie pour constater la proximité entre les ports irlandais du réseau central et les ports français du réseau global - Brest, Roscoff, Saint-Malo, Lorient, Caen et Dieppe. Ceux-ci devraient être les destinations privilégiées des navires irlandais pour leurs échanges avec l'Europe continentale.

Avec cela, la Commission européenne présente sa proposition comme une évidence, et la consultation des parties intéressées a duré à peine deux semaines, du 28 juin au 12 juillet...

La France, à travers son gouvernement, n'est pas suffisamment présente à Bruxelles. Ce n'est pas nouveau, mais nous en voyons aujourd'hui une conséquence concrète.

J'en viens maintenant au dispositif de la proposition de résolution européenne.

Après avoir reconnu la nécessité d'anticiper les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, ce texte regrette le manque de consultation des parties prenantes, notamment des États directement concernés, avant l'élaboration de la proposition de règlement par la Commission européenne.

Il insiste sur l'absence d'urgence justifiant le dépôt de la proposition de règlement sans étude d'impact comme sur l'absence d'isolement de la République d'Irlande en Europe même en cas de Brexit, les opérateurs demeurant libres de choisir leur itinéraire pour les liaisons commerciales maritimes.

Il constate l'impréparation de la Commission européenne en ce qui concerne la révision des corridors et des critères permettant de décider qu'une infrastructure relève tantôt du réseau central, tantôt du global.

Enfin, la proposition de résolution européenne demande le retrait pur et simple de la proposition de règlement.

Le Gouvernement m'a assuré partager cette position, mais, à défaut d'un retrait, il soutiendra la mention des ports de Calais et Dunkerque dans la liaison entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union européenne, à défaut de pouvoir juridiquement soutenir l'inclusion des ports français du réseau global.

Je salue au passage le travail de la rapporteure de la commission des transports du Parlement européen, Karima Delli, qui s'est mobilisée fortement sur le sujet. Je l'ai rencontrée à Brest à l'occasion des Assises de la mer, auxquelles, je tiens à le souligner, aucun sénateur n'a été invité, pas même ceux du Finistère. Invité par Armateurs de France, je me suis refusé à débattre avec les parlementaires présents - uniquement des députés de la majorité -, parce que le Sénat n'avait pas été invité.

M. Pierre Médevielle. - Vous avez bien fait.

M. Michel Vaspart. - J'ai demandé aux organisateurs - le cluster et Ouest France, notamment - que cette situation ne se reproduise pas l'année prochaine.

En conclusion, plusieurs orientations générales ont été arrêtées lors du conseil des ministres européens des transports du 3 décembre.

D'abord, les ports maritimes du réseau global devraient explicitement être éligibles à un financement par le MIE, ce qui n'était pas le cas auparavant. Ce financement devrait concerner notamment la numérisation des procédures de sûreté, de contrôle des navires et, plus généralement, de contrôle des marchandises aux frontières, conformément aux besoins des ports liés au Brexit. Les 65 millions d'euros dont j'ai parlé il y a quelques instants permettront de financer ces projets.

Je rappelle au passage qu'il y a un gros trafic de voyageurs et de marchandises au sein du réseau global, par exemple entre les ports bretons et les ports bas-normands.

Second point, les études seront cofinançables à hauteur de 50 % par l'Union européenne et les travaux d'infrastructures à hauteur de 30 %, sauf pour les infrastructures liées à la sûreté, à la sécurité et aux contrôles, qui devraient bénéficier d'un cofinancement à hauteur de 50 %. S'agissant des ports normands, en plus de Cherbourg et Caen-Ouistreham, le port de Dieppe pourra bénéficier de ces avancées. S'agissant des ports bretons, en plus de Brest, Roscoff et Saint-Malo, le port de Lorient y sera éligible.

Enfin, la Commission européenne s'est engagée à proposer un texte global de révision du règlement RTE-T, qui définit les corridors du réseau central, à la fin de 2021, et non plus en 2023. Ce texte permettra notamment de réexaminer le découpage entre réseau central et réseau global d'infrastructures.

La présidence autrichienne de l'Union européenne n'a témoigné aucune volonté de réinscrire le texte de la Commission européenne à l'ordre du jour des groupes de travail. La piste de son abandon pur et simple, qui prendrait sans doute la forme d'un retrait de la proposition de règlement par la Commission européenne, se confirme donc. Si l'examen du texte devait malgré tout être relancé, ce qui est très peu probable, le Gouvernement défendrait la réintégration des ports français du réseau central - Dunkerque, Calais et sans doute Le Havre, même si ce dernier est situé sur le corridor Atlantique - dans le corridor Mer du Nord - Méditerranée.

En tout état de cause, cet examen aurait lieu sous présidence roumaine et à la condition qu'un « Brexit dur » soit confirmé. Sur ce dernier point, le vote qui s'est tenu voilà quelques jours au Parlement britannique montre que l'accord négocié par le gouvernement de Theresa May pourrait in fine être entériné, mais rien n'est sûr aujourd'hui...

Dans ce contexte, mes chers collègues, je vous propose d'apporter le soutien de notre commission à la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes.

M. Hervé Maurey, président. - La proposition de résolution européenne serait tacitement acceptée si nous ne nous en saisissions pas, mais il me paraît important que nous prenions officiellement position sur ce sujet qui relève de notre champ de compétences.

M. Benoît Huré. - Les ports sont un enjeu de taille pour notre pays, et la démarche de notre commission donnera plus de poids à la proposition de résolution européenne.

Il y a quelques semaines, devant la commission des affaires européennes, Mme la ministre des affaires européennes a avoué que les administrations françaises étaient trop peu présentes à Bruxelles, là où les choses se décident. Quand on se réveille, on surtranspose imbécilement les normes, pour montrer qu'on joue un rôle...

Les autorités néerlandaises, reçues par la commission des affaires européennes l'hiver dernier, nous avaient exposé les inquiétudes des responsables du port de Rotterdam liées au Brexit. Eux travaillent depuis longtemps sur ces questions. D'où vient que nous n'ayons pas su nous en saisir et que nous ayons été, une fois de plus, absents des débats au niveau européen ?

Dans un contexte d'euro-bashing, les pouvoirs publics ont une responsabilité collective : avant de critiquer l'Europe, critiquons-nous nous-mêmes. L'Europe est ce que nous voulons bien en faire !

M. Michel Vaspart. - Mon cher collègue, je partage tout à fait votre avis.

Lors des Assises de la mer, la députée européenne Isabelle Thomas comme la rapporteure du texte à l'Assemble nationale l'ont dit très clairement : la France n'est pas suffisamment présente à Bruxelles. Les Allemands, eux, y sont excessivement présents, ce qui accroît leur influence. Si l'on brille par son absence, d'autres prennent votre place...

Alors qu'il y a des enjeux d'intérêt national, non seulement en matière maritime et portuaire, mais dans tous les domaines d'activité, il est inacceptable que le Gouvernement français ne prévoie pas les moyens nécessaires pour faire les pressions suffisantes sur les fonctionnaires de Bruxelles.

M. Benoît Huré. - Il s'agit d'enjeux d'intérêt national, mais aussi européen. Nous sommes donc doublement fautifs.

M. Pierre Médevielle. - Je ne puis, hélas, que confirmer le diagnostic de nos collègues : pour des missions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou de la commission des affaires européennes, j'ai rencontré plusieurs commissaires, qui se sont plaints devant moi de l'absence des Français, parlementaires et fonctionnaires, à Bruxelles. Cette situation est assez désolante.

Les prochaines élections européennes seront le scrutin de tous les dangers. Dans le contexte consécutif à la crise des Gilets jaunes, on ne sait pas quelle sera l'attitude des Français, mais, au vu des sondages actuels, j'ai peur qu'on envoie encore à Bruxelles des antieuropéens. Il faut une prise de conscience de nos formations politiques : envoyons à Bruxelles non plus des bêtes de réforme, mais des Européens convaincus, et nous intéresserons à nouveau les Français au débat européen !

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je me félicite que notre commission se saisisse de la question des ports, importante pour l'aménagement du territoire national.

Il est bon de remettre les pendules à l'heure avec cette proposition de résolution européenne, mais il faut aussi préparer le coup d'après, c'est-à-dire la réintégration de nos ports dans le dispositif, s'agissant notamment du financement.

Dans le domaine portuaire, deux grandes enceintes se font souvent concurrence : le comité interministériel à la mer (CIMer), et les Assises de l'économie de la mer. L'année dernière, toutes les annonces ont été réservées aux secondes, parce qu'elles avaient lieu au Havre, dont le Premier ministre est un ancien maire... Cette année, c'est le contraire qui s'est produit : les Assises de l'économie de la mer ont été un peu vidées de leur substance, et le Premier ministre n'y est pas même venu, alors que le CIMer a pris plus de quatre-vingt résolutions.

Il conviendrait que notre commission, et plus largement le Sénat, soient mieux associés à la préparation du CIMer, où les grandes décisions se prennent. Nous pourrions ainsi être les acteurs d'une codécision. Peut-être faut-il en parler au secrétaire général de la mer.

Bien évidemment, nous soutenons la proposition de résolution européenne.

M. Michel Vaspart. - En effet, nous devons saisir le secrétaire général de la mer. Nous avons tenté d'obtenir au moins le programme du CIMer, mais aucune information ne nous a été communiquée. Le secrétaire général de la mer a très bien reçu le groupe d'études Mer et littoral, mais nous devons obtenir, concrètement, plus d'écoute et des échanges.

M. Hervé Maurey, président. - Nous pourrions envisager de l'auditionner, pour lui montrer l'engagement du Sénat sur ces questions.

Mes chers collègues, je constate que nous sommes unanimes à soutenir la proposition de résolution européenne.

Mme Françoise Cartron. - Monsieur le président, je remercie l'ensemble des membres de notre commission, notamment Michel Vaspart et Nelly Tocqueville, car, cette nuit, l'Assemblée nationale a confirmé la disposition prévoyant l'indemnisation des propriétaires du Signal. Ce résultat est le fruit de notre ténacité et de notre solidarité !

M. Hervé Maurey, président. - Voilà une très bonne nouvelle !

Table ronde sur la compétitivité des ports maritimes

M. Hervé Maurey, président. - Nous accueillons maintenant, pour une table ronde sur la compétitivité des ports maritimes, MM. Michel Neugnot, président de la commission Transports et mobilité de Régions de France, Hervé Martel, président de l'Union des ports de France, Jean-Marc Roué, président d'Armateurs de France, et Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial au ministère de la transition écologique et solidaire.

La question portuaire est au coeur des compétences de notre commission, et un certain nombre de nos collègues s'y intéressent de près, en particulier Charles Revet, qui fut président du groupe de travail sur le suivi de la réforme portuaire de 2011 et qui nous prie d'excuser son absence ce matin. Je pense aussi à Michel Vaspart, rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits des affaires maritimes et portuaires et président du groupe d'études Mer et littoral.

Les sujets à aborder ce matin sont d'autant plus nombreux que l'actualité est forte autour des ports, avec la perspective du Brexit, et le projet de loi d'orientation des mobilités, que le Sénat devrait examiner en mars, et sur lequel notre commission a désigné Didier Mandelli rapporteur.

En matière portuaire, nous disposons d'atouts importants : un vaste espace maritime avec quatre façades, des dizaines de ports de commerce et douze grands ports maritimes concentrant 80 % du tonnage total, 15 milliards d'euros de richesse annuelle et près de 180 000 emplois. Néanmoins, ces atouts ne sont sans doute pas pleinement valorisés, notamment par rapport à l'Allemagne et aux Pays-Bas.

Les ports français ont été recentrés sur les activités régaliennes, et les activités économiques transférées au secteur privé ; nous devons donc être excellents en ce qui concerne les infrastructures offertes à nos entreprises.

La Cour des comptes, dans un rapport de 2017, a souligné que le bilan de la réforme portuaire n'était pas aussi positif qu'espéré. En particulier, la compétitivité des ports ne répond pas encore aux attentes qui ont inspiré la réforme, l'érosion de la part de marché de nos grands ports maritimes se poursuit, la politique domaniale manque de dynamisme et les dessertes ferroviaires et fluviales ne sont pas encore à la hauteur.

Alors qu'un certain nombre de régions demandent un élargissement de leurs compétences en la matière, il importe que les différents acteurs arrivent à construire ensemble une dynamique plus forte.

La Cour des comptes recommande de revoir la stratégie portuaire, et le Premier ministre a récemment chargé la ministre des transports d'y travailler.

Dans ce contexte, nous aimerions savoir quelle stratégie nos invités envisagent pour l'avenir des ports français et avec quels moyens elle pourrait être conduite.

Messieurs, après vos interventions liminaires, vous serez interrogés par nos collègues membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ou du groupe d'études Mer et littoral, que son président, Michel Vaspart, a opportunément suggéré d'associer à cette table ronde.

M. Michel Neugnot, président de la commission « transports et mobilité » de Régions de France. - Comme la région Hauts-de-France n'appartient pas à Régions de France, seules les régions Bretagne et Normandie sont concernées, et elles sont surtout attentives aux conséquences du Brexit, qui risque de modifier totalement l'économie de chaque port. En l'absence d'accord, les contrôles douaniers, vétérinaires et phytosanitaires seraient rétablis, ainsi que des droits de douane, sans parler de la TVA. Nous craignons qu'en accroissant les temps d'attente, cela ne conduise à un détournement des flux, qu'il s'agisse du fret, du transport de produits vivants ou de personnes. Ces deux régions ont insisté sur le fait que l'État et les opérateurs doivent progresser dans leur estimation des installations supplémentaires à mettre en place et du nombre de fonctionnaires supplémentaires à affecter. L'allongement des files d'attente et des chaînes de traitement des poids lourds provoquera un déport sur d'autres moyens de transport. Chaque région a délibéré sur ces questions et en a aussi discuté avec les acteurs portuaires et le Gouvernement. Le mois de mars va venir vite ! Et les régions veulent reprendre la main, car les ports sont un atout pour leur compétence économique.

M. Hervé Martel, président de l'Union des ports de France. - Il est bon que les parlementaires s'intéressent à ce sujet, car on a souvent l'impression que la France n'aime pas ses ports. Pourtant, ceux-ci représentent 200 000 emplois et 15 milliards d'euros d'activité, soit 1 % du PIB. Ils constituent un enjeu fondamental pour nos industries et notre secteur de l'énergie, notamment pour la transition énergétique et l'éolien en mer. Leur rôle est capital pour notre commerce extérieur, puisqu'ils voient passer la grande majorité de ce que nous exportons : produits agricoles du Grand Ouest, produits chimiques des vallées du Rhône et de la Seine, vins et spiritueux du Bordelais, du Rhône et de Bourgogne, pièces détachées et produits manufacturés des Hauts-de-France transitent par nos ports.

D'ailleurs, ils ne vont pas si mal. Depuis deux ou trois ans, ils connaissent un regain de compétitivité et regagnent des parts de marché, de Marseille au Havre. Au Havre, que je connais bien, le nombre de conteneurs pleins a crû de 5 % par an depuis quelques années. C'est que nous avons des atouts réels.

Mais aussi des handicaps. Celui que l'actualité met en avant est le Brexit : personne ne sait ce qui se passera dans trois mois, et il n'est pas impossible que le Royaume-Uni devienne subitement un pays tiers. La remise en place de tous les contrôles aurait un impact très important, notamment entre Dunkerque et Brest, pour les ports d'État comme pour ceux dépendant de collectivités territoriales.

L'actualité, c'est aussi le récent CIMer, qui s'est tenu en novembre, et au cours duquel le Premier ministre a fait des annonces fortes sur le modèle économique de nos ports. En tant qu'entreprises, ils seront désormais fiscalisés, conformément à une directive européenne validée par le Conseil d'État, et leurs relations financières avec l'État seront transformées. Jusqu'à présent, ils exerçaient pour le compte de celui-ci des missions régaliennes de police, de dragage ou de protection de l'environnement, qui dans d'autres pays sont prises en charge partiellement ou totalement par les pouvoir publics. Cela ne pouvait plus durer, vu la concurrence internationale et dès lors que leur fiscalité doit s'alourdir, entre l'impôt sur les sociétés et la taxe foncière, de plusieurs dizaines de millions d'euros. Le Gouvernement semble avoir entendu l'inquiétude des ports français sur leur entrée en fiscalité. Reste à inscrire les annonces dans des textes.

En matière de décentralisation, le Gouvernement a tendu la main aux collectivités territoriales, notamment sur la façade Atlantique, et des discussions sont en cours.

Sur la gouvernance, le Gouvernement procède, à juste titre, par axes, avec trois systèmes. Pour l'intégration de l'axe Seine, il fusionnera les ports de Paris, Rouen et Le Havre ; un conseil de coordination doit intégrer les ports des Hauts-de-France ; et un GIE doit être créé pour l'axe Rhône-Méditerranée. L'examen de la loi d'orientation des mobilités (LOM) est repoussé, tant mieux !

M. Hervé Maurey, président. - Est-ce si satisfaisant ?

M. Hervé Martel. - Elle aura un impact sur la gestion domaniale des ports. Or l'investissement dans les infrastructures est lié au modèle économique. Les ports doivent remonter dans la chaîne de valeur et mieux tirer parti de leurs implantations.

Enfin, le développement de solutions multimodales est indispensable. Or, malgré les efforts de l'État, des ports et de la SNCF, le fret ferroviaire ne décolle pas en France. C'est un vrai handicap stratégique. Et les nouvelles technologies doivent être mieux exploitées : il y a là tout un champ de développement stratégique, fondamental pour la compétitivité.

M. Jean-Marc Roué, président d'Armateurs de France. - Merci de nous recevoir en un moment important, avant le Brexit. Une chose est sûre, il y aura un après Brexit - mais lequel ? Un port, au fond, est un organisateur d'interface entre deux ports. Le lien entre ces deux ports est le bateau, qui appartient à un armateur. Armateurs de France regroupe presque toutes les 50 sociétés qui organisent du transport maritime en France, des grands navires transcontinentaux, porte-conteneurs, vraquiers ou transporteurs de matières énergétiques aux navires de service de toutes tailles. Tous les métiers y sont représentés, même si 50 % du tonnage mondial est constitué de charbon et de minerai de fer - et 60 % si l'on ajoute les céréales.

Pour un armateur, le choix du port est important. Sauf sur les lignes régulières, il n'a pas toujours le choix : c'est le chargeur qui décide du port de chargement et de celui de destination. Bien sûr, les ports ont intérêt à capter les flux. Pour les produits énergétiques, par exemple, c'est l'outil de réception qui donne de l'intérêt au port. Les lignes régulières planifient longtemps à l'avance leur route. C'est le cas des porte-conteneurs, qui marquent plusieurs arrêts, et des rouliers, qui transportent des véhicules de l'usine de fabrication au point de vente. Quant aux lignes de ferries, elles sont à mon sens assimilables à des ponts, mais coupés en morceaux. En tous cas, les armateurs sont de plusieurs types. Le plus gros est CMA CGM qui, avec plus de 550 navires, est le troisième ou le quatrième acteur mondial. Bourbon vient ensuite, qui s'est spécialisé dans le service aux forages pétroliers et gaziers offshore. Puis Louis Dreyfus Armateurs, qui fait du vrac sec.

En tous cas, le commerce ne se décrète pas, il s'organise. Le maillon que représente le port dans cette chaîne a intérêt à être le plus compétitif possible, car ses coûts sont pris en compte dans le choix fait par l'armateur. Les équipements dont il dispose le sont aussi. Et tous les navires ne peuvent pas utiliser tous les ports. La façade maritime de la France est une chance inouïe : nous sommes le seul pays d'Europe à donner sur trois mers
- sans parler de notre quatrième façade, outre-mer. Pourtant, nous ne sommes pas le pays traitant les plus gros volumes.

Nos ports sont très diversifiés. Aussi, l'idée d'instaurer un régulateur par façade est bonne : les armateurs ont parfois l'impression que nos ports se font concurrence entre eux, alors que nous n'avons pas besoin d'un service équivalent en tout point de chaque façade. Les annonces du Premier ministre sont donc bienvenues : il faut organiser le commerce. Et le suréquipement des ports ne peut que peser sur les coûts. Bref, la concentration est nécessaire.

À propos du Brexit, vous avez dit que nous risquions de connaître un changement. Pour ma part, le 23 juin 2016, j'ai compris non pas qu'il y avait un risque, mais une certitude - sauf volte-face des Britanniques et nouveau referendum. D'ailleurs, M. Barnier m'a dit de ne pas s'attendre à ce qu'il n'y ait pas de Brexit. La question est de savoir si le Brexit sera organisé, ou non. S'il ne l'est pas, cela posera un énorme problème, car notre façade sur la Manche est le premier organisateur du commerce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Par exemple, ma compagnie Brittany Ferries, qui transportait 600 000 camions entre Ouistreham et Portsmouth en 1986, en convoyait 4,8 millions l'an dernier ! Cette multiplication par huit a pour cause la fluidité du système.

M. Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial au ministère de la transition écologique et solidaire. - Quel rôle la France veut-elle faire jouer à ses ports ? Sont-ils de simples établissements publics ? Les annonces du Premier ministre au CIMer ont confirmé que le Gouvernement les considérait comme des actifs stratégiques, dont la mission est de développer des solutions logistiques pour les exportateurs français. Nos ports représentent 15 milliards d'euros et 130 000 emplois directs. L'enjeu est de conforter leur position dans les grands flux maritimes internationaux tout en les inscrivant dans la chaîne logistique de nos exportations.

En 2017, nos ports ont regagné des parts de marché sur leurs concurrents internationaux. Nous devons rendre plus robuste encore leur modèle économique. C'est le sens des annonces du Premier ministre. Pour cela, il faut repenser les relations financières entre l'État, les collectivités territoriales, et les ports, qu'il s'agisse de fiscalité ou du financement des missions régaliennes exercées par ceux-ci, dont la compensation est désormais inscrite dans le PLF, ce qui leur permettra de dégager des moyens pour investir.

L'amélioration de la gouvernance des ports passe par la création d'axes logistiques. En juillet 2016, quatre missions associant députés et sénateurs, qui portaient à la fois sur l'organisation par façades et par axes, ont lancé ce mouvement. On passe du port aménageur prévu par la loi de 2008 au port entrepreneur, qui pourra investir et remonter dans la chaîne de valeur, d'autant que la LOM lui donnera la capacité à tirer parti de la valeur de son domaine pour rétablir un équilibre entre les droits de ports et les redevances domaniales.

Dans le cas d'un Brexit sans accord, il faudra rétablir les contrôles douaniers, vétérinaires et de sécurité. Les 75 millions de tonnes échangées entre le Royaume-Uni et la France transitent, pour 65 %, par Calais et pour 23 % par Dunkerque, le reste passant par la Bretagne. La France se prépare à l'éventualité d'une absence d'accord, et s'efforcera alors d'éviter que le trafic se détourne des ports, en prévoyant des voies de circulation séparées pour le trafic intracommunautaire et pour les pays tiers, des zones de stationnement le long des autoroutes pour les camions en cas de ralentissement occasionné par le renforcement des contrôles, et des hangars pour effectuer ces contrôles. Nous avons obtenu, pour financer ces aménagements, 65 millions d'euros sur les 100 millions d'euros prévus par l'appel à projet européen sur les liaisons transfrontalières. Cette somme couvrira les travaux à Brest, Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg et Dieppe.

Le Gouvernement demandera aussi une habilitation à légiférer par ordonnance pour réduire les délais de permis de construire, de délivrance d'autorisation par les architectes des bâtiments de France ou d'édiction des instructions environnementales, car il faudra aller vite. Notre stratégie, en tous cas, est de conforter nos ports. La transition énergétique, à cet égard, est fondamentale, comme la digitalisation et la fluidification de la chaîne logistique.

M. Hervé Maurey, président. - M. Vaspart préside le groupe d'études « Mer et littoral » au Sénat.

M. Michel Vaspart. - Vous dégagez 65 millions d'euros pour l'équipement des ports, mais il n'en reste pas moins que la France doit financer entre 30 % et 50 % de ce qui sera investi par l'Europe. Or, le PLF pour 2019 ne comporte aucune ligne à cet effet. Pourtant, le 30 mars, la situation changera, et il faudra aller vite pour financer les adaptations, modifier les infrastructures, procéder aux recrutements nécessaires. Tout ce que nous savons est que M. Darmanin a annoncé 350 douaniers supplémentaires.

Je comprends que l'assujettissement à la taxe foncière et à l'impôt sur les sociétés soit problématique pour les ports. Il y a toutefois une différence de taille : la taxe foncière sera une charge fixe, dont il s'agira de minimiser l'impact, alors que l'impôt sur les sociétés est proportionnel au bénéfice, et laisse la possibilité de jouer sur l'amortissement.

S'il est vrai qu'en 2017 nous avons constaté une amélioration sensible du trafic de conteneurs, nous n'en avons pas moins pris du retard, en termes de compétitivité, sur d'autres ports comme Rotterdam ou Anvers. Il faut donc une stratégie de reconquête, ce qui passe aussi par une évolution de la gouvernance des ports, qui doit associer les entreprises et les opérateurs. Au Havre, j'avais été frappé de voir la distance qui régnait entre la direction du port et les opérateurs, alors que, face à la concurrence internationale, tous devraient être rassemblés par un but commun : gagner des parts de marché en améliorant la compétitivité. D'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes est très critique sur la position de l'espace multimodal du Havre, sur laquelle les opérateurs s'étaient montrés très réservés.

Il faut davantage d'interopérabilité avec le ferroviaire, car le fluvial ne suffit pas, et souffre aussi de problèmes d'entretien : un rapport sur l'état des écluses montrait que, si celles-ci devaient être mises à l'arrêt, cela désorganiserait le trafic pendant des mois. Certains noeuds ferroviaires ne sont toujours pas réglés non plus, notamment à Lyon.

Bref, nous avons le deuxième territoire maritime au monde, mais nous ne sommes pas pour autant la deuxième puissance maritime, et c'est dommage ! Il faut nous retrousser les manches, État comme collectivités territoriales, car il y a de fortes valeurs ajoutées à aller chercher et, pour l'instant, nous ne nous en donnons pas les moyens.

M. Hervé Maurey, président. - M. Mandelli est le rapporteur de la commission sur le projet d'orientation des mobilités.

M. Didier Mandelli. - La loi sur l'économie bleue avait réglé quelques questions, notamment celle de la gouvernance. Plusieurs dispositions du projet de loi d'orientation des mobilités concernent les ports. C'est en particulier le cas de l'article 35, de l'article 37 et de l'article 41.

L'intention du législateur européen - et Philippe Juvin, député européen, a adressé une lettre au Président du Sénat à ce sujet - était d'exclure les grands ports maritimes du champ d'application de la directive « Concessions 2014/23 ». En outre, le cas traité dans la décision du Conseil d'État du 14 février 2017 semble relever de l'évidence : le besoin exprimé par le grand port maritime de Bordeaux allait bien au-delà du cadre traditionnel des conventions de terminal. L'article 35 est-il bien nécessaire ? La clarification qu'il opère se fait-elle au profit des ports français ou à leur détriment ? Ceux-ci seront-ils plus attractifs et compétitifs avec cette clarification juridique ? Comment procèdent les autres grands ports européens ? Ont-ils recours à des conventions de terminal ou au cadre plus rigide des concessions de service ?

Sur l'article 37, que pensez-vous de la transposition d'un règlement européen et d'une directive européenne concernant la sûreté des navires et des installations portuaires ? Quel est votre avis sur le travail de nuit des jeunes gens de mer ?

Il y a actuellement de nombreux mouvements de grève dans les ports, liés aux annonces du Premier ministre. Quel est l'état actuel du climat social dans les ports ? Les dispositions de l'article 41 ne font que tirer les conséquences de choix passés, en particulier la réforme du régime d'emploi des dockers par la loi du 8 décembre 2015, dont notre collègue M. Vaspart était rapporteur. Que pensez-vous de la dissolution de la caisse et des bureaux centraux de la main-d'oeuvre ?

Certains sujets ont été régulièrement évoqués dans l'actualité mais ne font pas l'objet de dispositions dédiées dans la LOM. Qu'en est-il de la fusion annoncée des ports de l'axe Seine que sont Le Havre, Rouen et Paris ? Ces ports sont regroupés depuis 2012 au sein du groupe d'intérêt économique Haropa, mais le Premier ministre a annoncé son intention de pousser plus loin leur intégration et de demander au Parlement une habilitation à légiférer par ordonnance.

Plus largement, comment mieux associer le transport fluvial aux infrastructures des ports maritimes ? Il y a un enjeu fort sur l'hinterland français. Vous pouvez nous faire part de propositions d'ajouts et de compléments pour la LOM.

M. Hervé Martel. - Vous avez parfaitement raison de distinguer entre la taxe foncière et l'impôt sur les sociétés. D'abord, ce ne sont pas les mêmes bénéficiaires : l'un va dans les caisses de l'État, l'autre dans celles des collectivités territoriales. Autre différence : dans la plupart des cas, la taxe foncière peut être refacturée aux entreprises privées qui occupent le domaine - ce qui peut avoir un impact direct sur leur compétitivité, voire leur viabilité. L'impôt sur les sociétés dépend en effet du résultat, et donc de la stratégie d'investissement. D'ailleurs, la principale disposition envisagée pour faciliter l'adaptation est d'autoriser l'adoption d'un nouveau bilan d'ouverture qui permet de réévaluer certains actifs et donc d'augmenter les amortissements, ce qui réduit la base de calcul de l'impôt sur les sociétés.

En matière de ferroviaire, l'infrastructure est une chose, mais elle ne résume pas à elle seule nos difficultés. Il y aussi le problème de l'accès au réseau et de l'attribution des sillons pour les activités de fret ferroviaire, pour lesquelles le besoin s'exprime plus tardivement que pour les transports de passagers - les marchandises ne votent pas ! Et, tant que le train est plus cher que le camion, c'est le camion qui sera utilisé. Cela renvoie à la question des aides publiques et de la tarification du réseau ferroviaire en France. Si nous ne sommes pas compétitifs, il faut investir de l'argent public pour prendre en compte les externalités : les trains polluent moins.

Oui, la compétitivité d'une place portuaire dépend de la bonne entente entre l'ensemble des acteurs privés et publics. Il y faut une alchimie, dans ce partenariat à la fois horizontal et vertical. L'autorité portuaire publique fournit des infrastructures. Le navire a besoin de quais bien construits, il a besoin d'un pilote et d'un remorqueur, de manutentionnaires... C'est le partenariat horizontal entre autorités portuaires et acteurs privés. Évidemment, chacun de ces acteurs cherche à capter un maximum de la valeur créée par le passage portuaire. Il y a aussi un partenariat de nature verticale : une autorité portuaire, dépense de l'argent public, est chargée de défendre l'intérêt général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers. Une application très concrète de ces réflexions se trouve à l'article 35, avec la question du pouvoir de régulation de l'autorité portuaire sur les activités qui se tiennent sur le port : trop de régulation, c'est moins de compétitivité ; pas assez de régulation, c'est un défaut de portage des politiques publiques et un manque d'efficience.

La Cour des comptes comme l'Inspection des finances ont clairement dit que la loi était allée trop loin. Les ports n'étaient plus impliqués dans les opérations. Il fallait revenir vers plus de régulation, au bénéfice de l'intérêt général, tout en veillant à ne pas casser la compétitivité. C'est un peu la quadrature du cercle ! Nos règles de gestion du domaine public ne sont pas très souples. Il y a deux cas possibles : une simple occupation temporaire du domaine, avec un bail semblable au secteur privé, et un occupant qui fait ce qu'il veut ; ou un régime de concession, qui répond à la nécessité de réguler une activité qui s'exerce dans un espace contraint.

Avant que la directive « Concessions » ne soit transposée en droit français, le code des transports prévoyait des conventions d'exploitation de terminal. Depuis 2008, elles s'intitulent : conventions de terminal. Ces conventions traitent de l'occupation du domaine mais aussi du contrôle sur la façon de faire. La France a transposé la directive dans la seule dimension concession de service public, alors que le droit européen estimait que la concession pouvait viser le service public, mais aussi les travaux. C'est ce que nous avions voulu faire avec les conventions d'exploitation de terminal, à savoir de la régulation modérée.

L'article 35 fait consensus entre l'Union des ports de France et l'Union des industries de la manutention et il a été rédigé - avec difficulté - par le ministère des transports. Il en est résulté que la convention de terminal pourra être une simple occupation du domaine ou une concession de services. Si la première solution est retenue, il sera possible d'inclure des réductions de redevance domaniale en fonction du trafic et d'envisager la répartition des biens en fin de convention, comme cela se passe pour les concessions. Si la voie de la concession de services est retenue, les contraintes pourront être allégées, notamment en ce qui concerne le contrôle des tarifs et la transparence des données financières des entreprises.

Il existe une sorte de continuité entre les conventions d'occupation renforcées et les concessions allégées. Chaque cas précis pourra donc trouver la meilleure solution possible.

M. Jean-Marc Roué. - Nous sommes assez inquiets de constater que la Commission européenne va allouer 65 millions au bénéfice des ports, mais le règlement d'utilisation des fonds prévoit un financement français, avec une répartition 40-60. Or, pour l'instant, la partie française n'a pas prévu de budget pour accompagner les 65 millions européens.

Je suis également inquiet concernant le raccourcissement des délais : nous ne disposons pas en France d'un système rapide pour accorder des autorisations afin d'aménager tout ou partie du territoire. Or, les ports sont situés sur des espaces sensibles.

Certes, le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance, mais des citoyens n'accepteront certainement pas de ne pas pouvoir faire des recours. Or, un seul recours bloquera l'investissement et donc le projet.

Le projet de loi de finances 2019 ne comporte aucun volet Brexit : certes, 350 douaniers seront recrutés, mais le président du port de Dunkerque a annoncé récemment que les Hauts-de-France bénéficieraient de 300 douaniers de plus. Qu'est-il prévu pour les deux autres régions concernées ? Le compte n'y sera pas s'il ne reste que 50 douaniers.

Mes adhérents doivent pouvoir continuer à faire le même métier et traiter les mêmes volumes aux mêmes endroits. Or, l'État seul organise les passages douaniers. Ces réflexions s'appliquent également aux contrôles sanitaires et vétérinaires.

Notre adhérent CMA CGM veut pouvoir travailler sur les Antilles, comme il l'a fait à La Réunion. Pour asseoir ses investissements, il a besoin d'une concession de terminal sur une durée de 15 ans. Sinon, il y renoncera.

M. Nicolas Trift. - L'article 35 sur les conventions de terminal est essentiel. S'il n'est pas adopté, toutes les conventions de terminal risquent d'être requalifiées en concession de services : dans ce cas, la compétitivité portuaire française serait dégradée. Cet article permettra de poursuivre les concessions de services qui pourraient prévoir des clauses d'objectif de trafic mais aussi des AOT simples, par exemple sur des bords à quai. L'exemple des terminaux d'Arcelor-Mittal est parlant.

Cet article permet de déverrouiller certaines contraintes liées au CG3P, en permettant aux investisseurs en fin de titre de continuer à investir et aux autorités portuaires de racheter les biens ou de les céder à l'occupant suivant. L'actif portuaire serait ainsi maintenu au plus haut niveau.

Cet article permet également de moduler des redevances à la baisse, ce qui est antinomique avec les règles du CG3P, mais cela permettrait d'augmenter le trafic portuaire et donc les droits de port.

M. Didier Mandelli. - Vous n'avez pas répondu sur l'article 41.

M. Nicolas Trift. - L'article 41 prévoit le transfert de la compétence pension au régime général. Cet article a été examiné avec les organisations syndicales et il est rendu nécessaire par la forte diminution du nombre d'ouvriers dockers intermittents qui résulte de la réforme de 1992. Pour garantir le paiement de leurs indemnités de compensation, cette dissolution et ce transfert sont indispensables.

Mme Nelly Tocqueville. - Comme élue de Seine-Maritime, je suis particulièrement intéressée par la future fusion des trois ports dans le cadre de la réorganisation de l'axe Seine. La nomination d'un régulateur par façade a été évoquée pour une meilleure efficacité. Les ports de l'axe Seine n'ont effectivement pas réussi à conquérir les parts de marché que l'on pouvait espérer.

Comme l'a dit M. Vaspart, il importe de bien distinguer entre puissance économique et atouts géographiques.

Les acteurs locaux peinent à être convaincus de la réelle efficacité du dispositif proposé. Le statut et les conditions de travail du personnel devront être clarifiés. On nous assure que la fusion sera au service des acteurs, mais ces derniers n'en sont pas convaincus.

Élue de la métropole Rouen Normandie, seul aménageur foncier avec le Grand port maritime de Rouen (GPMR), je m'interroge sur les flux financiers importants entre les deux acteurs. Un interlocuteur local devra être désigné et, comme l'a dit M. Martel, la réussite est liée à la bonne entente entre les acteurs. Cette nouvelle organisation ne risque-t-elle pas de gripper la coopération actuelle ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - La douane va recruter 700 agents dans les trois prochaines années, dont 350 dès 2019.

Le CIMer a été cette année très productif puisqu'il a annoncé 82 mesures. Il est dommage que le Sénat n'ait pas été consulté. Diverses mesures démontrent la volonté de bâtir une économie maritime et portuaire à la hauteur des défis du XXIème siècle. Il est question de passer du port aménageur au port entrepreneur.

Je n'ai en revanche rien vu concernant les défis environnementaux et numériques. Les armateurs seront-ils accompagnés pour proposer de nouveaux modes de propulsion ? Je rappelle que la réduction des émissions en souffre devra être effective en 2020.

Comment réduire le temps consacré aux procédures post-Brexit ? Faut-il viser la domanialité ou le maître d'ouvrage ? Ce dernier pourra-t-il s'exonérer de certaines procédures ?

M. Michel Canevet. - L'article 70 de la loi Pacte permet aux grands ports maritimes de réévaluer leurs immobilisations incorporelles. Est-ce satisfaisant ? Faudrait-il étendre ce dispositif aux ports régionaux ?

À l'instar de la privatisation des autoroutes qui a eu lieu en 2006 et de celle des aéroports de Toulouse, de Nice et de Lyon depuis 2015, ne faudrait-il pas faire évoluer le statut des grands ports vers des sociétés capitalistiques plutôt que de conserver celui d'établissement public ?

Enfin, disposera-t-on de suffisamment de contrôleurs pour assurer un bon acheminement des produits circulants entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après le Brexit ?

M. Guillaume Chevrollier. - Compte tenu du décrochage des ports français, la révision de la stratégie nationale portuaire s'impose.

Quelle est la place de l'intelligence artificielle dans les ports ?

Suite à la COP24, comment les ports français vont-ils prendre en compte le changement climatique ?

Mme Angèle Préville. - Le fret ne décolle pas, avez-vous dit. Les infrastructures d'intermodalité ne sont-elles pas obsolètes ? Ne serait-il pas préférable de faire davantage appel au fret ferroviaire ? Comment accroître les investissements ?

Quelle est la part du transit dans le trafic avec le Royaume-Uni ? Le Brexit ne risque-t-il pas de modifier ce transit ? Les autres ports européens ne rencontrent-ils pas les mêmes difficultés que nous ?

Mme Martine Filleul. - La population et les acteurs économiques des Hauts-de-France s'inquiètent du Brexit et estiment que l'État ne l'a pas suffisamment anticipé. La fluidité du trafic à Dunkerque attire les poids-lourds. Si nous ne sommes pas prêts lors du Brexit, le trafic se reportera vers Rotterdam.

Depuis des décennies, les ports français souffrent d'un manque de compétitivité, notamment parce qu'ils n'arrivent pas à définir une stratégie commune. Nous devons être à la hauteur de la crise actuelle : qu'allez-vous faire pour avancer en ce domaine ? Enfin, je m'étonne que nous n'ayons pas parlé des ports de pêche : il faudra être au rendez-vous des échéances de 2020 et de 2022 pour la répartition des eaux territoriales.

M. Michel Neugnot. - Le Brexit pourrait modifier la répartition des eaux territoriales, ce qui aurait des conséquences certaines sur les ports de pêche.

Le fret a besoin d'une chaîne continue de mobilité. Les nouvelles technologies ont modifié en profondeur l'économie : nous devrons maîtriser les flux du fret terrestre.

Je siège au conseil d'administration de SNCF-Réseau : le coût de sillon pour le fret est bien inférieur à celui pour les voyageurs. En matière d'autoroute ferroviaire, le Calais-Le Boulou et le Calais-Turin vont encore se développer. Mais, en France, nous avons l'habitude de travailler en silo. Nous devons mieux prendre en compte la transversalité et les régions devraient pouvoir nous y aider.

M. Nicolas Trift. L'intégration au sein d'un même établissement public des trois ports sur l'axe Seine ne remet nullement en cause leur caractère public. La concertation réunira toutes les parties prenantes, y compris les collectivités territoriales. Un préfigurateur sera prochainement nommé pour piloter les questions pratiques dont le volume est considérable. Selon le Premier ministre, l'établissement devrait être complètement opérationnel le 1er janvier 2021.

Les plateformes multimodales sont essentielles au développement du fret. Il faudra régler la question de la fiscalité, notamment foncière, pour favoriser leur développement. L'aide à la pince de 2017, c'est-à-dire l'aide au transport combiné, est reconduite : c'est une bonne nouvelle et cela permettra de conforter les reports modaux.

Sur un trafic total de 76 millions de tonnes en 2017 avec la Grande-Bretagne, 3,3 millions de tonnes proviennent de l'Irlande, ce qui représente 120 000 poids lourds sur un total de 2,8 millions. On peut imaginer que les camions partant d'Irlande soient plombés et ne soient ainsi pas soumis aux contrôles douaniers. Ce serait essentiel pour préserver la fluidité du trafic.

Contrairement à ce qui a été dit, l'État se prépare au Brexit, avec l'ordonnance qui réduira les délais. Depuis plusieurs mois, le Premier ministre a nommé M. Vincent Pourquery de Boisserin, délégué interministériel, pour coordonner l'action des ministères des finances, de l'agriculture et des transports.

M. Hervé Martel. - Pour ce qui concerne l'axe Seine et ses trois ports, il s'agit d'intégration et non pas de fusion. Les trois ports vont continuer à exister, mais ils seront intégrés dans un même établissement public. Seules la stratégie et la gouvernance fusionneront.

Toute la difficulté de cette réforme tient à l'articulation entre le global et le local. Les grands acteurs des filières industrielles et logistiques estiment qu'il faut travailler sur l'échelle de l'axe Seine pour agir sur les phénomènes économiques. Mais il faut fédérer les acteurs au niveau local pour produire les services attendus. Depuis sept ans, nous essayons de relever ce défi puisque nous avons constitué le GIE afin de garder l'identité de chacun des ports tout en travaillant ensemble.

Enfin, nous entendons les attentes des salariés et de leurs syndicats.

Le recours à des sociétés anonymes est une fausse bonne idée. Les ports doivent fonctionner comme des entreprises, mais rien n'empêche un établissement public de le faire. Les grands ports maritimes ne comptent que très peu de fonctionnaires. Au-delà des capitaineries, ce sont des salariés de droit privé qui sont recrutés. Nous disposons d'un comité d'audit et d'un comité des risques. Nous sommes certifiés dans les domaines de l'environnement, de la qualité, de la sécurité, de la sûreté. Bref, nous fonctionnons comme une société privée. En revanche, nous disposons de prérogatives purement régaliennes : nous sommes ainsi propriétaires du domaine public de l'État. Comme pour les aéroports, il faut traiter de la question de la régulation. Les sociétés aéroportuaires ont un contrat de concession et un contrat de régulation économique.

Enfin, la transformation des grands ports en sociétés anonymes, antichambre d'une privatisation, reviendrait à agiter un chiffon rouge devant les représentants du personnel.

J'aurais beaucoup à vous dire sur le smart et le green port. Depuis la COP21, nous avons une démarche qui porte sur le report modal, sur le service aux navires
- ravitaillement en GNL, électricité à quai - sur la transition énergétique, sur l'économie circulaire et sur l'entreprise éco-responsable.

Avec l'agglomération du Havre, nous sommes candidats dans le cadre du PIA3 comme territoire d'innovation de grande ambition (TIGA). Le port et la ville souhaitent être smart.

Le port a créé un groupement d'intérêt scientifique avec les douanes, l'université du Havre et d'autres acteurs : nous travaillons avec les acteurs privés pour traduire ce que peuvent être les nouvelles technologies dans nos métiers. Ce groupement a conduit à la création d'un hall technologique où l'on teste en grandeur réelle les solutions à mettre en place.

Enfin, pour améliorer le report modal, il faudrait travailler sur la fiscalité foncière.

M. Jean-Marc Roué. - Le ministre des comptes publics annonce le recrutement de 700 douaniers, dont 350 pour 2019. Mais ce n'est pas la peine que ces douaniers soient recrutés après le 29 mars. Même réflexion pour ceux qui seront recrutés en 2020 : ce sera douze mois trop tard. En cas de Brexit sans accord, tous les ports devront être équipés le 30 mars, pas en 2020.

Aujourd'hui, sur la façade Manche, il n'y a de contrôleurs vétérinaires et sanitaires que dans les ports qui ont un trafic avec des pays tiers. Je pense que seul Le Havre est dans ce cas.

Le transit transmanche passe majoritairement par la France, lorsqu'on intègre Eurotunnel, qui fait exactement le même métier que les ports. Il conviendra de maintenir la fluidité du dispositif pour éviter un transfert de flux. La très grande majorité des volumes qui passent par la France vient de l'est de l'Europe ou de l'Allemagne. Géographiquement, nous ne sommes donc pas les mieux placés, sauf que le plus court passage entre le continent et le Royaume-Uni se trouve à Calais.

L'accélération des procédures voulue par le Gouvernement est une bonne chose, mais la fluidité après le Brexit devra être quasi équivalente à ce qu'elle est aujourd'hui. Chaque jour, entre Calais, Dunkerque et Douvres, Eurotunnel compris, 5 000 camions transitent dans les deux sens. Si le 30 mars, la visite de chaque camion prend une minute, le soir nous aurons déjà trois jours et demi de retard ! Nul besoin de penser à construire des parkings pour stocker les camions : c'est une vue de l'esprit. Le danger d'un report de trafic est donc bien réel. Les ports périphériques pourraient répondre à cet engorgement : nous avons les équipements, mais pas les hommes.

Les habitants des Hauts-de-France ont donc raison d'être inquiets, d'autant que la France n'a pas toutes les cartes en main.

En outre, les ports du nord de l'Europe ne seront pas nos alliés. Les États du nord de l'Europe n'ont pas intérêt à ce que la France dispose de toutes les autorisations pour mettre en place un dispositif de contrôle efficace. Quand nous présenterons notre plan à Bruxelles, nous pourrons compter sur les Hollandais, les Belges et les Allemands pour nous mettre des bâtons dans les roues. Nous avons déjà connu cela lors des fameux corridors.

Enfin, il est évident que la question de la pêche est préoccupante. Or, quand les pêcheurs sont mécontents, les bateaux marchands ne peuvent travailler...

M. Nicolas Trift. - La transition écologique doit s'accélérer. Un quart des mesures du CIMer de novembre concerne la préservation de l'environnement marin. Les ports y participent bien sûr en offrant des solutions d'avitaillement en carburant alternatif, comme l'électricité ou le GNL. Il est essentiel d'accompagner la conversion des flottes : Brittany Ferries est d'ailleurs à la pointe de cette évolution.

Le Gouvernement renforce la protection marine en Méditerranée : le port de Marseille est le premier à permettre l'avitaillement en électricité à quai pour les dessertes corses. Demain, les liaisons avec la Tunisie en bénéficieront également.

M. Jean-Marc Roué. - Concernant la transition énergétique, le report modal par le ferroviaire est important. Le modèle économique des autoroutes ferroviaires est assez fragile, notamment parce que la performance du transport routier est excellente puisqu'il offre du porte-à-porte.

Quatre bureaux de promotion se sont réunis pour obtenir un budget européen afin de mener à bien une étude sur la mise en place d'un éco-bonus sur la façade ouest de l'Europe. Nous la présenterons prochainement à l'Union européenne. Cela permettra peut-être d'améliorer le report modal sur le ferroviaire : l'éco-bonus serait accordé au chargeur qui décide du report modal.

M. Michel Neugnot. - Les eaux britanniques risquant d'être renationalisées, les pêcheurs français auront-ils le droit d'y aller ? En outre, si le Gouvernement britannique soutient ses pêcheurs, nous subiront un dumping commercial.

Enfin, la gestion des stocks sera difficile à mettre en oeuvre : comment partager les quotas ? Nous devrons rester vigilants, surtout en cas de Brexit sans accord.

M. Hervé Maurey, président. - Merci à tous pour ces échanges très intéressants.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 55.

- M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Programmation pluriannuelle de l'énergie - Audition de M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, nous accueillons M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, pour faire le point sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui doit décliner les objectifs de notre politique énergétique en décisions très opérationnelles, à mettre en oeuvre sur la période 2019-2028.

Comme pour la première PPE, la genèse de ce document a été difficile et n'est toujours pas achevée ; il est vrai que les sujets ne sont pas simples et que le contexte des dernières semaines n'a pas aidé... Une présentation avait d'abord été promise pour la fin octobre, puis repoussée à plusieurs reprises. Après l'annonce des grandes lignes par le Président de la République le 27 novembre dernier, nous ne disposons toujours que d'un simple dossier de presse.

Il est aussi question d'une prochaine loi, dont la discussion viendrait au printemps prochain et dont nous comprenons que l'objet principal serait d'acter le report à 2035 de l'objectif des 50 % de nucléaire dans la production d'électricité. Mais, là aussi, nous manquons de précisions, à la fois sur le calendrier et sur le contenu du texte : certains parlent d'une « petite loi », mais nous avons l'habitude de ces petites lois qui deviennent vite très grandes...

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser à la fois le calendrier de présentation, de consultation et d'adoption de la PPE, ainsi que le calendrier et le contenu de cette future loi ?

La révision de la PPE a été percutée de plein fouet par la crise des gilets jaunes, qui a confirmé, si l'on en doutait encore, l'importance du poste « énergie » dans le budget des ménages et des entreprises. À court terme, la crise a conduit à l'annulation des hausses de taxes, notamment celle de la taxe carbone. Mais à moyen et long termes, comment comptez-vous à la fois, comme vous le souhaitez, continuer à taxer davantage la pollution, mobiliser encore plus de ressources publiques pour soutenir les énergies renouvelables, tout en réduisant globalement le niveau des prélèvements sur les Français ?

Cette crise ne révèle-t-elle pas, au fond, le fait qu'on a voulu faire croire aux Français que la transition énergétique n'aurait pas de coût, par toute une série de techniques plus ou moins savantes ? Je pense au fait d'augmenter chaque année une petite ligne sur la facture d'électricité, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), jusqu'à ce qu'elle atteigne un montant tel qu'il faille imaginer un autre circuit de financement. Je pense aux certificats d'économie d'énergie (CEE), qui suivent la même évolution et dont nos concitoyens comprendront bientôt que ce sont eux qui les paient, à la pompe, dans leurs courses ou sur leurs factures. Je pense encore au fait d'avoir profité des prix bas du pétrole pour accélérer une trajectoire carbone déjà très dynamique, avec les conséquences que l'on sait.

En d'autres termes, ne paie-t-on pas aujourd'hui le fait d'avoir voulu faire la transition énergétique sans les Français ? L'annonce d'un grand débat national sur ces questions est sans doute une forme d'aveu. Mais, avant d'inventer de nouvelles concertations, pourquoi ne discute-t-on pas de la PPE au Parlement, avec un vote à la fin ? Je rappelle que la PPE engage des sommes considérables et que, sauf erreur, c'est le rôle premier du Parlement que de consentir à l'impôt et de contrôler le bon usage des deniers publics.

Monsieur le ministre, vous vous êtes dit favorable « à titre personnel » à une loi de programmation. Le Gouvernement va-t-il évoluer sur ce point ?

Concernant le nucléaire, je ne résiste pas à l'envie de rappeler que le Sénat avait vu juste en disant que la diversification du mix électrique ne pouvait se faire à marche forcée, pour le simple plaisir de respecter un totem électoral, la date de 2025. En parlant d'« une décroissance du parc dans des conditions réalistes, pilotées, économiquement et socialement viables », votre dossier de presse reprend presque mot pour mot nos arguments !

On connaît désormais le nombre des fermetures et le calendrier : quatorze réacteurs d'ici à 2035, dont quatre à six d'ici à 2028, y compris les deux de Fessenheim qui fermeront au printemps 2020. En revanche, la question de l'investissement dans le nouveau nucléaire est renvoyée à plus tard, après une analyse des différentes options prévue pour la mi-2021, ce qui interpelle à plus d'un titre. D'abord, on sait que plus on attend, plus on fragilise la filière, y compris à l'export, et plus on perd en capacité industrielle. Mais surtout, en laissant en suspens la décision de lancer « ou non » - je cite encore le dossier de presse - un nouveau programme électronucléaire, ne remet-on pas en cause le consensus de la loi de 2015, qui a certes prévu la réduction à 50 % du nucléaire, mais pas d'aller en deçà, ce qui supposera inévitablement la construction de nouveaux réacteurs ?

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie a été annoncé par le Président de la République dans un contexte particulier, qui a atténué l'écho de ses annonces. Il fixe des objectifs ambitieux de transition énergétique : une baisse de la consommation finale d'énergie de 14 % en 2028 par rapport à 2012, une baisse de 35 % de la consommation des produits pétroliers, ou encore un doublement des capacités installées de production d'électricité renouvelable.

Mais se doter d'objectifs ambitieux n'est pas un exercice difficile. Ce qui est plus compliqué, en revanche, c'est de les atteindre. Sophie Primas vient de rappeler que les objectifs en matière de réduction du parc nucléaire vont être revus à la baisse, dans le sens que le Sénat avait indiqué. Nous observons que la France ne tient pas ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre - celles-ci ont même augmenté l'année dernière au lieu de baisser ! - pas plus qu'elle ne tient ses objectifs de développement des énergies renouvelables.

La véritable question, c'est de savoir si les politiques mises en place pour accompagner la transition énergétique sont à la hauteur des ambitions affichées. Sur ce point, nous avons quelques inquiétudes...

Le premier volet de la PPE concerne la réduction de la consommation énergétique. Il s'agit là d'un point essentiel, étant donné que les ressources en énergies décarbonées ne pourront pas se substituer à toutes les énergies fossiles que nous consommons. Selon la formule consacrée, l'énergie la plus propre est celle que l'on ne consomme pas !

Les deux secteurs qui consomment le plus d'énergies fossiles sont le secteur résidentiel et les transports. C'est donc là que les efforts doivent porter en priorité.

Or, sur le résidentiel, les deux actions mentionnées dans la PPE - la rénovation des bâtiments et le développement de la chaleur renouvelable - ne sont aujourd'hui pas développées à un rythme suffisant.

S'agissant de la rénovation énergétique des logements, les dispositifs d'aide existants, qu'il s'agisse du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) - il a diminué l'année dernière -, des aides de l'Agence nationale de l'habitat ou des CEE - des rapports ont montré que leur fonctionnement est peu satisfaisant -, ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Une étude récente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a ainsi montré que, sur 5 millions d'euros de travaux réalisés dans les maisons individuelles en 2017, seulement 5 % ont permis de réaliser des économies d'énergie importantes, au travers du saut de deux classes énergétiques ou plus. On voit mal comment les mesures citées dans la PPE, comme la transformation du CITE en prime directe pour les ménages modestes ou l'élargissement de l'éco-prêt à taux zéro, pourraient durablement inverser cette tendance.

S'agissant du développement de la chaleur renouvelable, les moyens mis en oeuvre à travers le fonds chaleur, qui s'élèveront à 315 millions d'euros en 2019, paraissent bien faibles par rapport à l'ambition d'augmenter de 40 à 60 % la production de chaleur renouvelable d'ici à 2028, en particulier si on les met en regard avec les 5 milliards d'euros investis chaque année dans le soutien à la production d'électricité renouvelable.

Enfin, parmi les mesures transversales affichées dans les projets de PPE et de stratégie nationale bas carbone figure l'objectif de « mettre en oeuvre et poursuivre la trajectoire prévue concernant le prix du carbone [...] suivant des objectifs à construire au-delà de 2023 ». Les événements récents conduisent à s'interroger sur la réalité de cet objectif.

Je pourrais multiplier les interrogations, notamment sur les objectifs en matière de transports propres ou de développement du biogaz, dont la part dans la consommation de gaz, qui est aujourd'hui de 0,1 %, doit atteindre 10 % en 2030, ce qui paraît peu réaliste.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous aimerions savoir comment vous comptez agir et amplifier l'action du Gouvernement afin que, dans cinq ans, nous ne nous retrouvions pas à constater une nouvelle fois que les objectifs de la PPE n'ont pas été atteints.

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je vous remercie d'être venus nombreux pour cet échange sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, pour laquelle - j'en ai l'impression - le jugement a déjà été prononcé avant même que la parole ait été donnée à la défense !

Je commencerai par évoquer la méthode. La question n'est pas de savoir s'il faut un débat et un vote sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, mais de s'inscrire dans le cadre qui est le nôtre aujourd'hui. À titre personnel, je ne suis pas opposé à ce que ce cadre évolue, mais pour cela il faut réformer la Constitution, une question qui est à l'ordre du jour des mois à venir. Vous pourrez donc faire prospérer cette idée dans ce cadre ; je sais que des députés de différentes tendances veulent aussi aller en ce sens. Il ne faut pas laisser croire que le Gouvernement ne veut pas soumettre la PPE au Parlement : celle-ci doit faire l'objet d'un acte réglementaire dans le cadre de l'application de la loi relative à la transition énergétique adoptée durant l'été 2015. J'étais parlementaire à l'époque, et j'ai voté cette loi. Il est tout à fait envisageable que nous décidions un jour d'avoir, comme pour les lois de programmation militaire, une loi de programmation de l'énergie tous les cinq ans.

Madame la présidente, vous avez dit que les petites lois avaient tendance à grossir, mais le chemin inverse existe également ! Parfois de grandes lois s'appauvrissent au fil des débats... En l'occurrence, je veux préciser que cette loi, qui ne comprendra que quelques articles, sera présentée sans doute en Conseil des ministres en février prochain. Elle aura pour but de clarifier les choses : en effet, et mon prédécesseur l'avait déjà dit, nous considérons que, dans le cadre de ce qui s'apparente à une opération-vérité, il faut repousser l'échéance du rééquilibrage de la production électrique entre le nucléaire et les énergies renouvelables à 2035. Pour cela, il faut modifier la loi, sinon l'acte réglementaire relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie serait contraire à la loi de 2015. Ce sera aussi l'occasion de fixer un cadre législatif au Haut Conseil pour le climat.

La présentation de la PPE a été faite le 27 novembre dernier, alors que l'actualité était polarisée sur le mouvement des gilets jaunes, qui trouve son origine dans la question du prix des carburants. Entretemps, le prix des carburants a baissé, et le mouvement s'est poursuivi, preuve qu'il ne portait pas exclusivement sur ce sujet. D'ailleurs, les premières annonces concernant la taxe carbone, le rattrapage essence-diesel ou la taxe sur le gazole non routier n'ont pas suffi à apaiser ce mouvement, qui porte maintenant sur des mesures beaucoup plus larges relatives au pouvoir d'achat, et au niveau de revenu et d'imposition.

J'en reviens à la PPE, dont nous avons souhaité qu'elle soit précise et complète, alors que la précédente était floue sur les objectifs comme sur les moyens.

Nous souhaitons répondre à l'attente que vous avez exprimée, monsieur le président, qui est de ne pas nous en tenir à de grands objectifs, mais de les décliner en termes de modes de production et de cibles, en matière tant d'économies d'énergie que de développement des énergies renouvelables. Donner la priorité à ces deux piliers de la stratégie française pour l'énergie - les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables - permettra de réduire les gaz à effet de serre, de respecter la logique de notre politique climat, c'est-à-dire la stratégie nationale bas carbone, et de maîtriser les coûts de production de l'énergie.

Je ne sais pas qui a dit que la transition énergétique n'avait pas de coût - ce n'est pas moi, car ce serait complètement irresponsable -, mais la politique au fil de l'eau en a un aussi. On peut débattre pour savoir laquelle de ces deux solutions - politique volontariste de réduction de la consommation d'énergie et de développement des énergies renouvelables ou politique au fil de l'eau - est la plus coûteuse. Ne rien faire, c'est laisser faire. Or, l'immobilisme et le statu quo ont un coût, car cela nous expose beaucoup plus - la crise des gilets jaunes l'a montré - à la fluctuation à la hausse des prix des énergies fossiles, dont nous sommes extrêmement dépendants aujourd'hui : 100 % des énergies fossiles que nous consommons sont importées, ce qui représente 100 % de déficit commercial pour notre pays. La hausse des prix coûte très cher aux Français : nous n'en parlons plus aujourd'hui, car les prix baissent, mais ils augmenteront de nouveau un jour. Nous voulons protéger les Français contre ces augmentations en limitant la consommation. En 2008, le prix du pétrole est monté à 147 dollars le baril, avant de retomber assez rapidement, ce qui nous a permis de continuer comme avant, sans prendre de mesures volontaristes.

Regardez ce qui se passe chez nos voisins belges, un pays frère à bien des égards, qui a la même particularité que nous : un parc nucléaire important et vieillissant. Cinq de leurs sept réacteurs sont arrêtés pour des raisons de sécurité. La Belgique est obligée de faire le tour de ses voisins, y compris la France, pour demander secours et assistance en matière d'alimentation électrique. Je ne veux pas que notre pays se retrouve dans cette situation parce que nous laisserions les choses filer sans être volontaristes. Nous devons protéger les Français contre ce risque en diversifiant et en anticipant, y compris la fermeture d'un certain nombre de vieux réacteurs. Vous me répondrez que la Belgique ne fonctionne pas comme la France. Peut-être - même s'il se trouve que ce sont des opérateurs français qui gèrent les centrales belges -, mais le taux de disponibilité de nos réacteurs nucléaires est au maximum de 60 à 70 % en hiver.

Voilà la réalité ! Dire aux Français que cela ne coûte rien de continuer ainsi serait un mensonge. De même, on a menti depuis plusieurs décennies sur le coût réel de l'électricité : aujourd'hui, l'endettement d'EDF est là pour nous rappeler que, de fait, les prix appliqués ne couvrent pas les coûts d'investissement, reportés à plus tard. Le mode de calcul instauré de nombreuses années et appliqué par la Commission de régulation de l'énergie est fondé sur la couverture des coûts : cela conduit à une augmentation de 6 à 8 % l'année prochaine. On a vu l'émoi que ce type d'augmentation pouvait susciter... Ça, ce n'est pas le coût de la transition énergétique, c'est le coût de la situation actuelle. Mon rôle n'est pas facile : face aux propositions, je dois toujours demander combien elles coûteront et qui payera.

En matière d'économies d'énergie, l'objectif est une baisse de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030, alors que celui de la précédente PPE était de 30 %. C'est la traduction concrète de notre objectif de neutralité carbone en 2050 pour que nos émissions de CO2 en France correspondent à nos engagements internationaux sur le climat. Nous voulons nous donner les moyens concrets de respecter notre objectif, ce qui suscite naturellement des débats. L'objectif est de sortir des chaudières au fioul en dix ans. Cela ne signifie pas qu'elles sont interdites, mais qu'un plan volontariste est nécessaire pour prendre des mesures concrètes en matière de chauffage.

Dans le domaine du logement, je souhaite que nous ayons de nouveaux modes opérationnels afin de réduire fortement les consommations d'énergie. Pour cela, il faut changer d'échelle. Aujourd'hui, de nombreux modes d'intervention ne sont pas à la mesure des enjeux et ne produisent pas les résultats que nous souhaitons atteindre. C'est la raison pour laquelle j'ai ouvert une négociation avec les professionnels du bâtiment, du logement, de l'énergie, et avec les organismes bancaires et financiers afin de se mettre d'accord sur un mode opérationnel plus efficace permettant de financer les travaux. Ce ne sont pas des milliards d'euros de dépenses publiques qui permettront de régler le problème, mais des dispositifs permettant à ceux qui font les investissements de les amortir. Le cas échéant, des garanties publiques sur les emprunts de longue durée pourront permettre de financer ces travaux.

Dans le domaine des transports, et notamment de la voiture individuelle, la négociation du trilogue européen, entre la Commission, les ministres et le Parlement européen, vient d'aboutir : les émissions de CO2 des voitures neuves vendues en 2030 en Europe baisseront de 37,5 %. Nous avons mené la bataille, puisque nous avons fait partie des pays qui voulaient aller le plus loin. C'est un effort très important qui est demandé aux constructeurs automobiles.

Comme sur d'autres sujets, la question du rythme posera toujours débat. Ce n'est pas la peine d'aller faire la leçon à d'autres pays dans le monde, si nous ne faisons rien dans l'Union européenne et en France. Les associations environnementales trouvent que nous n'allons pas assez vite, tandis que les acteurs industriels ont tendance à penser l'inverse.

Sur la question des énergies renouvelables, nous avons également défini des objectifs concrets : 32 % d'énergies renouvelables dans la consommation globale d'énergie, en faisant respecter l'ensemble des objectifs sectoriels qui avaient été fixés par la loi de 2015, alors que certains plaidaient pour qu'on en reste à un objectif global. Cela aura un coût, puisqu'un soutien public sera apporté aux énergies renouvelables. Aujourd'hui, ce soutien est de 5,5 milliards d'euros, c'est le coût des engagements passés. Le prix de gros, sur le marché, a plutôt augmenté, pour se situer aux environs de 60 euros le mégawattheure, ce qui permet de réduire la subvention. Nous proposons d'augmenter le soutien public au maximum à 8 milliards d'euros dans les années qui viennent. Si vous regardez attentivement le budget pour 2019, vous verrez que nous dépensons en réalité déjà 7,3 milliards d'euros, puisqu'aux 5,5 milliards de soutien annuel, il faut ajouter la dette que l'on rembourse à EDF faute de lui avoir payé, par le passé, la totalité du coût des tarifs d'achat.

Nous investissons dans les énergies renouvelables les plus fiables et les plus compétitives : le solaire photovoltaïque, plutôt sur de grandes surfaces, l'éolien terrestre et offshore, dont les coûts de production baissent. Le prix du solaire photovoltaïque a été divisé par dix en dix ans ! Entre 50 et 60 euros le mégawattheure, nous sommes dans les prix de marché. Pour l'éolien offshore, nous avons renégocié les projets attribués et nous fixons sept cibles pour les projets à venir. Sur d'autres énergies renouvelables, notre obsession est toujours de faire baisser les coûts de production pour arriver à des prix qui soient au plus proche du marché. Sinon, c'est le contribuable qui paye la différence, par les impôts - et on sait ce que nos compatriotes pensent du niveau des impôts - ou par une hausse du prix de l'énergie.

Il faut dire la vérité aux Français, comme je l'ai dite aux gilets jaunes que j'ai rencontrés, et qui me demandaient pourquoi nous ne développions pas plus les agrocarburants : ceux-ci coûtent plus cher à produire que les carburants issus du pétrole raffiné ! Si l'on parvient à les vendre moins cher, c'est grâce au soutien public à la filière car ces carburants sont beaucoup moins taxés que le pétrole. Et soyons aussi conscients d'un système global de contraintes : vous avez-vous-même eu le débat sur l'huile de palme et sur les huiles importées...

Nous visons 10 % de gaz renouvelable en 2030, mais en demandant un effort sur les coûts de production. Il faudra bien avoir un débat sur la taille des méthaniseurs ou sur ce qu'on met dedans. Nous visons également 10 % d'hydrogène renouvelable en 2023 et 20 % à 40 % en 2028 s'il y a des progrès technologiques. Il y a deux cibles : l'hydrogène industriel et l'hydrogène pour les transports lourds. Le coût des voitures à hydrogène est totalement en dehors de la compétitivité économique. Il faut être sérieux et se concentrer sur ce qui est le plus efficace.

Nous visons 38 % de chaleur renouvelable d'ici la fin de la programmation pluriannuelle. C'est un effort important, mais sur un gisement dont on parle peu dans les débats médiatiques autour d'énergie, alors que c'est un levier très important pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter notre dépendance aux importations de pétrole et maîtriser la facture de chauffage de nos compatriotes. Il faut développer de façon volontariste les réseaux de chaleur, avec bien sûr une alimentation renouvelable, ce qui est possible en valorisant nos ressources françaises et notamment la biomasse. Le fonds chaleur passe à 315 millions d'euros dès 2019 et nous visons ensuite 350 millions d'euros.

Nous voulons atteindre 40 % d'électricité renouvelable. C'est un objectif extrêmement ambitieux, qui requiert la multiplication par cinq de la puissance installée en solaire photovoltaïque, pour atteindre 40 gigawatts, et par 2,5 de la puissance installée de l'éolien terrestre et en mer. Pour l'éolien en mer, nous avons renégocié les six premiers champs, pour une économie de près de 16 milliards d'euros sur les vingt ans des contrats d'achat - c'est du concret ! - et nous programmons sept nouveaux champs dans les dix ans de cette PPE, dont trois champs flottants, en Bretagne et en Méditerranée. Pour l'éolien offshore flottant, si les filières industrielles françaises réussissent à faire baisser les coûts, nous ferons plus que prévu, évidemment.

La fermeture des centrales à charbon, c'est aussi du concret pour réduire les émissions de CO2 mais ça ne se fait pas comme poster une lettre à la poste ! Nous fermons quatre centrales, à Cordemais en Loire-Atlantique, Saint-Avold en Moselle, Gardanne dans les Bouches-du-Rhône et au Havre en Seine-Maritime. La semaine dernière, en pleine COP 24, le principal syndicat de l'énergie en France a appelé à une manifestation devant mon ministère pour demander un moratoire sur la fermeture des centrales à charbon. Je peux parfaitement comprendre ce que ressentent les salariés de ces sites, mais c'est notre responsabilité politique que de conduire un certain nombre de changements.

Sur le nucléaire enfin, nous avons dit les choses de la façon la plus précise et transparente qui soit. À court terme, nous fermerons deux réacteurs à Fessenheim d'ici 2020. Cette fermeture a été longtemps promise mais jamais réalisée sous le précédent quinquennat. Elle le sera au cours de ce quinquennat. Fermer une centrale nucléaire et quatre centrales à charbon, c'est du jamais vu dans un quinquennat ! Il va sans dire que nous veillons ce faisant à respecter les conditions de sécurité d'approvisionnement d'électricité en France, en toute transparence et avec RTE, qui y veille attentivement.

À partir de 2022, vous l'avez rappelé madame la présidente, nous entamons une trajectoire comportant la fermeture de quatorze réacteurs d'ici 2035, pour atteindre l'objectif des 50 %, dont six réacteurs en dix ans sur la période de la PPE : les deux de Fessenheim, puis un chaque année entre 2025 et 2028. Nous avons tenu à annoncer quels sont les sites qui pourraient être concernés - Tricastin, Bugey, Gravelines Dampierre, Le Blayais, Cruas, Chinon et Saint-Laurent - et nous demandons à l'opérateur EDF de dire lesquels il priorise, tout ceci non pas pour agiter les peurs et les craintes mais pour qu'on puisse anticiper et se préparer, tant pour l'opérateur que pour les sites concernés. Nous avons poussé la précision jusqu'à dire que ce sont des réacteurs que nous fermons et non pas des sites, contrairement à ce qui se passe à Fessenheim. Cela laisse la possibilité d'accueillir d'autres réacteurs si un jour la France décide d'en commander.

L'acceptabilité des énergies renouvelables est certes loin d'être acquise : partout où il y a des projets d'éoliennes, il y a des contestations. On a cru qu'il suffirait de les envoyer en mer, mais on constate aussi des contestations sur les projets en mer. C'est la même chose pour le biogaz autour des méthaniseurs, ou pour le photovoltaïque dès qu'il est question de grandes surfaces, avec en particulier des conflits sur l'usage des sols. Même sur la chaleur renouvelable il y a de la contestation. M. Dantec le sait bien : à Nantes Métropole, c'est dans le quartier où il y avait eu le plus de votes pour le parti prônant le développement de la chaleur renouvelable qu'il y a eu le plus d'opposition lorsque la chaufferie a été installée.

Il en va de même pour le nucléaire : si on veut installer une centrale nucléaire nouvelle en France, on n'envisage pas de le faire ailleurs que là où il y en a déjà ! C'est ce qui s'est passé pour Flamanville et c'est ce qui se passerait à l'avenir.

Madame la présidente, vous dites que l'on fragilise la filière nucléaire mais la filière est déjà fragile, il faut dire les choses telles qu'elles sont. C'est un ministre de l'économie, aujourd'hui président de la République, qui a sauvé Areva de la faillite. Il a fallu renationaliser cette entreprise en grande partie, l'adosser à EDF, qui a pris à sa charge une partie de l'endettement et recapitaliser EDF, ce qui est une aide publique comme une autre. Par ailleurs, nous avons constitué Orano, centrée sur le cycle du combustible et nous avons veillé, dans nos réflexions, à assurer l'avenir d'Orano, qui est extrêmement fragile.

La mise en service de l'EPR de Flamanville n'est pas une décision politique. C'est l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN] qui demande à EDF de remplir un certain nombre de conditions qui ne le sont pas à l'heure actuelle. À vrai dire, cela nous faciliterait la tâche si Flamanville était déjà en service. Mais j'imagine que personne dans cette salle propose de ne plus suivre les avis de l'ASN... D'ailleurs, l'EPR de Finlande est soumis au même problème que celui de Flamanville. En revanche, celui de Taishan en Chine a été mis en service ces dernières semaines. Par ailleurs, EDF a passé un contrat avec la Grande-Bretagne pour la construction de deux EPR à Hinkley Point, qui nous donne une bonne indication sur le coût : il est question d'un coût d'environ 100 euros le mégawattheure, quand le prix de marché est aujourd'hui autour de 60 euros. C'est pourquoi nous avons demandé à EDF de nous assurer de la fiabilité technologique et de l'efficacité économique de l'EPR.

Ce sont ces deux critères que nous appliquons à tous les modes d'énergie pour décider de leur développement, hormis celles qui émettent du CO2. Pour ces dernières, on ne construira pas de nouvelles centrales thermiques, à part le projet de centrale à gaz à Landivisiau, qui était lancé et dont on pense qu'il est nécessaire pour la sécurité d'approvisionnement en Bretagne. Si on voulait faire de l'électricité à prix très modéré, pourtant, on la ferait avec du gaz, car c'est ce qu'il y a de moins de cher. Nous avons fait un autre choix mais sur toutes les autres filières, nous recherchons le coût maîtrisé. La filière nous dit qu'elle peut ramener le coût en sortie d'EPR à 70 euros ; nous lui demandons d'en faire la démonstration. Pour l'EPR, en 2021, les conditions seront réunies pour faire un choix ; c'est d'ailleurs ce que disait le rapport d'Escatha, qui préconisait de prendre les décisions entre 2021 et 2023. Or, entre 2021 et 2023, il n'aura échappé à personne qu'il y a un rendez-vous électoral majeur que sont les élections présidentielles et législatives. Nous réunissons les conditions pour que le débat soit éclairé et que la décision soit prise après les échéances électorales de 2022. Du reste, les PPE sont calées sur les rythmes démocratiques des PPE, même si nous avons pris un peu de retard.

M. Daniel Gremillet. - Notre présidente a évoqué tout à l'heure l'absence de décision sur le lancement d'un nouveau programme électronucléaire. Nous sommes tous d'accord pour s'assurer de la compétitivité du nouveau nucléaire afin de donner de la visibilité à la filière. Et surtout, il faut comparer ce qui est comparable !

Certains comparent le coût du nouveau nucléaire, qu'ils estiment à environ 100 euros du mégawattheure en se basant sur le prix garanti pour les deux EPR anglais, à celui des énergies renouvelables, tel qu'il ressort des derniers appels d'offres, qui tourne autour de 50 à 60 euros le mégawattheure ; selon eux, cet écart justifierait à la fois la fermeture du parc existant et son non renouvellement. En disant cela, on ment deux fois : on fait d'abord semblant d'oublier que le nucléaire existant est déjà amorti et que son coût n'excède pas 42 euros du mégawattheure, sauf à admettre que l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ne couvre pas les coûts d'EDF ; même avec les investissements du grand carénage, il reste donc extrêmement compétitif. Quant au nouveau nucléaire, nos exploitants sont confiants dans le fait de pouvoir optimiser l'EPR pour viser les 70 euros.

Mais surtout, le nucléaire ne rend pas le même service que les énergies renouvelables intermittentes, c'est un point essentiel ! Pour comparer honnêtement les choses, il faut comparer les coûts complets, avec le coût du stockage et du back-up, que l'on veut aussi décarboner, ainsi que les coûts de réseaux pour acheminer cette énergie décentralisée. En ajoutant ces postes, on est aujourd'hui plus proche de 150 à 200 euros que des 60 !

Monsieur le ministre, lorsque vous décidez de soutenir telle ou telle filière, intégrez-vous bien tous ces coûts ?

J'ajoute un point essentiel : aujourd'hui, environ 10 % de la valeur d'une installation d'énergie renouvelable est produite en France - prenons l'exemple du photovoltaïque. D'où la nécessité de faire un éco-bilan, de la production jusqu'au recyclage, entre ce que l'on produit chez nous et ce que l'on produit ailleurs.

Le Président de la République a évoqué la nécessité de revoir la régulation du nucléaire existant et de réfléchir à une évolution de la structure d'EDF, tout en disant que l'entreprise resterait un groupe intégré. Pouvez-vous nous en dire plus, à la fois en termes de calendrier et sur l'état de vos réflexions ? La révision de l'Arenh portera-t-elle à la fois sur le niveau du plafond et sur le prix payé à EDF, qui n'a pas été revu depuis 2012 ?

Enfin, je voudrais revenir sur deux sujets qui ont fait l'actualité des dernières heures. D'abord, la réintroduction des fenêtres dans le CITE, dont je rappelle que l'Assemblée n'a fait que la confirmer, puisque c'est le Sénat qui l'avait décidée en première lecture ; je suis heureux que le Gouvernement se rallie à notre position dix jours après s'y être opposé... En fait, le Gouvernement a du mal à accepter le travail du Sénat, pourtant si proche des préoccupations de nos concitoyens. Quel gâchis ! En revanche, vous en avez profité pour, dans le même temps, limiter le CITE aux chaudières à très haute performance, et non plus à haute performance, et les soumettre à un plafond de dépenses ; encore une fois, on prend d'une main ce que l'on donne de l'autre, ce n'est pas sérieux !

Et que dire de l'autre sujet, l'annonce puis la contre-annonce d'une annulation partielle des mesures décidées fin novembre ? Ma question sera simple : comment le Gouvernement a-t-il pu imaginer un instant, dans le contexte actuel, pouvoir revenir sur ces mesures ?

M. Jean-François Longeot. - En effet, la situation de ces trois derniers jours nous a laissés perplexes. Pourrez-vous nous préciser la décision finale retenue pour accompagner la transition écologique ? Qu'en sera-t-il de l'affectation aux politiques énergétiques territoriales d'une part des recettes de la fiscalité carbone de 2019 ? Le chef de l'État a annoncé fin novembre une grande concertation, sur le terrain, sur la transition écologique et sociale. Cette concertation aura pour mission de construire un nouveau modèle économique, un nouveau modèle social, un nouveau modèle territorial dont nous avons vraiment besoin, mais également de clarifier la manière dont doit être financée cette transition. Je veux ici rappeler le rôle important des communes, et notamment des communes rurales, qui agissent au quotidien avec des solutions innovantes pour mettre en oeuvre la transition écologique. Les syndicats départementaux d'énergie constituent aussi un outil de premier ordre pour mettre en oeuvre des actions concrètes d'économies d'énergie, de développement d'énergies renouvelables et d'accompagnement des nouvelles mobilités électriques. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment sera conduite cette concertation et nous confirmer que le bloc communal, à travers les syndicats intercommunaux, sera bien partie prenante de celle-ci ?

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Pouvez-vous aussi nous expliquer pourquoi, il y a un an, il était absurde d'appliquer le CITE aux fenêtres et qu'à présent, cela devient souhaitable ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - Monsieur Gremillet, on peut toujours essayer de tirer les calculs dans le sens qu'on pense le plus favorable à ses idées. Je souhaite qu'on sorte de la guerre de religion autour du nucléaire. Pour ma part, je n'ai pas la religion du nucléaire, mais je n'ai pas non plus celle des énergies renouvelables. Il faut tout simplement examiner la fiabilité technologique.

Le réseau, de toute façon, est en transformation, puisqu'il avait été conçu comme un réseau très descendant, partant de quelques grands centres de production et allant vers la consommation finale. Au fil de son existence, il a d'ailleurs changé. Ce n'est que petit à petit que les gros centres de production se sont imposés, d'abord avec du thermique, puis avec le nucléaire, et on a adapté le réseau.

De même, les interconnexions européennes requièrent des investissements. Je suis favorable au développement de la construction européenne et, très concrètement, les interconnexions nous permettent de profiter de nos productions mutuelles. Nous avons un projet important avec l'Espagne et le Portugal, et un autre, complémentaire, avec l'Allemagne - avec laquelle la Belgique n'a pas d'interconnexion, ce qui la contraint, pour bénéficier de la production allemande d'électricité, à transiter par les Pays-Bas ! Nous avons également un projet - dont j'ignore encore s'il se fera, en raison de son coût - avec l'Irlande, qui ne veut plus autant dépendre de la Grande-Bretagne dans le cadre du Brexit.

De même, à l'échelle nationale, nous continuons de déployer le compteur communicant Linky. Le but de ces investissements est non seulement d'améliorer la production pour satisfaire la demande, mais aussi de piloter la consommation. Tous les intérêts convergent : on parle toujours de la variabilité de la production, notamment pour les énergies renouvelables, mais jamais de celle de la consommation. Il s'agit pourtant d'un problème majeur pour tout réseau électrique. L'augmentation du nombre de voitures électriques, par exemple, peut à la fois poser problème et constituer une opportunité, les batteries pouvant servir de tampon. Mais tout cela ne peut se faire qu'à la condition de pouvoir piloter le réseau. Les gros consommateurs acceptent déjà, avec plus ou moins de réticence, de laisser piloter leur consommation pour écrêter la pointe. Demain, nous aurons la possibilité de le faire aussi pour les plus petits consommateurs, grâce au compteur Linky.

Il faut donc consentir des investissements importants qui nous permettront, dans un deuxième temps, de faire des économies globales sur le fonctionnement du réseau.

Nous parlons bien du prix de gros, non du prix à l'instant t, qui peut parfois être négatif. Il peut en effet arriver que des producteurs soient prêts à payer pour écouler leur électricité lorsque la production dépasse les besoins. Quand EDF dit qu'il est nécessaire de renégocier les tarifs, c'est à la hausse, pas à la baisse. C'est la raison pour laquelle je m'étonnais de vous entendre dire, monsieur Gremillet, que le nucléaire existant est déjà amorti : lorsqu'on arrête une centrale comme celle de Fessenheim, EDF demande une indemnité, considérant qu'elle aurait pu encore produire. Le nucléaire n'est donc pas amorti. De plus, si l'Arenh n'est pas suffisamment élevé - il est aujourd'hui à 42 euros, et EDF souhaiterait le porter entre 46 et 50 euros -, c'est qu'il ne couvre pas les coûts de production du nucléaire existant.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, je ne suis pas de ceux qui disent que tout est à 50 euros. Sur l'éolien offshore, par exemple, on est plutôt aux alentours de 120 ou 130 euros pour les projets déjà attribués qu'on a renégociés. Sur le projet de Dunkerque, on pense pouvoir arriver à un prix compris entre 50 et 55 euros, donc autour du prix de marché, mais ce sont les producteurs qui nous le diront. Il en va de même du solaire photovoltaïque : nous devons attendre les appels d'offres, avec de plus grandes surfaces, de plus grandes puissances installées et des coûts fixes en baisse.

Plus de 70 % des investissements réalisés dans la filière éolienne française vont à l'économie française. Je parle de la machine.

M. Daniel Gremillet. - Je parlais du photovoltaïque, monsieur le ministre.

M. François de Rugy, ministre d'État. - Sur le photovoltaïque, monsieur Gremillet, on n'est pas à 10 %, à moins que vous ne parliez que du panneau et non de son installation et de tout le travail réalisé en France.

M. Daniel Gremillet. - Je parlais de la création de richesse.

M. François de Rugy, ministre d'État. - Mais la création de richesse se fait aussi sur l'installation du panneau. Souvenez-vous du moratoire de 2010 sur le solaire qui a entraîné la disparition de 13 000 emplois en France.

Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord pour que l'Europe développe des filières spécifiques sur les batteries ou sur les agrocarburants, par exemple. Mais il faudra aussi se poser la question de la protection de notre marché par rapport à d'autres pays qui ne s'imposent pas les mêmes règles : les voitures électriques vendues en Chine doivent avoir une batterie made in China ! En l'espèce, il s'agit d'un choix politique européen qui va au-delà du choix de politique énergétique.

Le CITE est-il efficace ? En 2017, 1 million de ménages français a bénéficié du CITE pour réaliser des travaux, à hauteur de 2 000 euros en moyenne. Ces travaux auraient-ils été réalisés de toute façon ? C'est un autre sujet... Les travaux concernés permettent-ils de réaliser de vraies économies d'énergie ? C'est de cette question qu'a surgi le débat sur les fenêtres qu'a évoqué le président Maurey.

J'ai pris mes fonctions voilà trois mois et demi, j'ai tout de suite réalisé qu'il y avait un problème sur cette question. J'ai rencontré les professionnels, l'Ademe et d'autres... Certains m'ont dit que subventionner les fenêtres était inefficace. Or un rapport de l'Ademe et du centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB, montre que le remplacement d'une fenêtre à simple vitrage en double vitrage, sous certaines conditions, est efficace. Nous essayons de corriger cette erreur.

De même, sur les chaudières à gaz, nous visons à rendre les aides plus efficaces. Le sujet n'est pas épuisé. Comme je l'ai déjà souligné, nous devons vraiment changer d'échelle.

En ce qui concerne la fiscalité écologique, on nous a reproché pendant des semaines, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, de prendre des mesures d'accompagnement, alors que le plus simple était de ne pas augmenter la taxe carbone.

Nous avons finalement décidé de suspendre - j'ignore pour combien de temps - la trajectoire de la taxe carbone. Il ne s'agit pas d'un retour en arrière, comme certains gilets jaunes le souhaitent. La France est tout de même le troisième pays européen, derrière la Suède et la Finlande, en termes de montant de la taxe carbone.

Nous suspendons la hausse, mais nous n'avons pas pour autant suspendu les aides. Je me bats pour maintenir les mesures d'accompagnement. Il ne s'agit pas tant d'accompagner la hausse de cette taxe, mais de permettre aux Français de se libérer du pétrole et de se protéger des futures hausses du prix du pétrole. Les gens ont compris que les fluctuations du marché étaient bien plus violentes que celles des taxes : l'essence est redescendue en dessous d'1,40 euro, alors que la taxe n'a pas baissé...

Je vous renvoie la balle sur la fiscalité carbone 2019 pour les collectivités locales : pas de hausse de fiscalité carbone, pas de dotation supplémentaire. Pour le coup, nous avons écouté le Sénat !

Comme j'ai pu le constater en Vendée, je pense que les syndicats d'électrification peuvent tout à fait devenir des acteurs de la transition énergétique, notamment pour le déploiement des bornes. Certains d'entre eux font même de la production. C'est une bonne façon de se repositionner par rapport à leur rôle historique.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Il s'agit d'une bonne nouvelle, monsieur le ministre, dans la mesure où j'ai cru comprendre que telle n'était pas la position de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

M. Roland Courteau. - Dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la précarité énergétique, la rénovation thermique des logements tarde à atteindre ses objectifs, tant le reste à charge est particulièrement important pour nos concitoyens - et ce d'autant plus que le CITE est en baisse. Pouvez-vous être plus précis, monsieur le ministre, sur les solutions à apporter ?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, permettez-moi de donner quelques chiffres : il faut huit ans pour faire aboutir un projet éolien en France, parfois même dix, contre trois ou quatre ans en Allemagne. Il ne s'agit donc pas que d'un problème financier, mais aussi d'un problème d'administration départementale. Là encore, quelles solutions proposez-vous ?

Je note enfin un manque d'ambition pour l'éolien flottant, qui jouit pourtant d'une réelle acceptabilité, notamment en Méditerranée. Or nous sommes dans la demi-mesure, ce qui est en contradiction non seulement avec l'objectif d'une électricité à 40 % renouvelable d'ici à 2030, mais aussi avec la dynamique et les investissements engagés par l'État, par les régions comme l'Occitanie et par les filières concernées.

La France est en avance sur le flottant, mais si nous avançons à coup de demi-mesure, cette industrie ira se développer en Europe du Nord. Nous avons besoin d'une trajectoire ambitieuse, avec des volumes conséquents. Or, le volume annoncé est insuffisant pour faire baisser les tarifs. Cette technologie peut permettre d'atteindre un prix compétitif, à condition de bénéficier de volumes suffisants dans le cadre d'une progressivité des appels d'offres de 3 à 5 gigawatts. Cette filière est prête à répondre, dès 2019, aux premiers appels d'offres. Pourquoi attendre, monsieur le ministre ? Les sénateurs de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées orientales vous ont demandé rendez- vous voilà trois semaines, nous attendons toujours votre réponse...

M. Guillaume Chevrollier. - L'une des réponses du Gouvernement au mouvement social consiste en l'organisation d'un grand débat, notamment sur la transition énergétique.

Qu'attendez-vous d'un tel débat, sachant que la Commission nationale du débat public (CNDP) a déjà organisé, en juin dernier, un débat sur la politique énergétique de notre pays, auquel 8 000 personnes ont participé à travers 86 réunions publiques, sur tout le territoire ?

Nous avons reçu un document de synthèse sur les résultats de cette consultation qui souligne l'exigence de stabilité et de cohérence des politiques publiques pour la transition énergétique, une forte attente de territorialisation et une exigence de justice sociale. Quelle sera la valeur ajoutée d'un nouveau débat, le Gouvernement n'ayant déjà pas tenu compte de ces premières contributions ?

Par ailleurs, je m'interroge sur le manque d'engagement du Gouvernement dans la lutte contre la précarité énergétique, notamment en matière d'investissement dans les bâtiments, et plus précisément sur la chaleur renouvelable thermique.

Enfin, comme vous l'avez souligné, énergie et climat sont liés. Alors que la COP 24 vient de prendre fin, comment expliquer le peu d'espace laissé à la filière nucléaire dans cette grande conférence internationale ? Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) salue pourtant cette énergie décarbonée, sûre, pilotable et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La COP 24 a eu lieu en Pologne, pays producteur historique de charbon qui se tourne aujourd'hui vers le nucléaire. Il me semble que la France et le gouvernement français devraient s'engager pour défendre davantage notre filière nucléaire et promouvoir la recherche pour le nucléaire de demain.

Mme Patricia Morhet-Richaud. - Dans la perspective du doublement de l'énergie renouvelable, je voudrais attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les communes rurales dans la mise en oeuvre de leurs projets, qu'ils soient éoliens, photovoltaïques ou hydrauliques.

Alors que les services de l'État, dans les territoires, se montrent généralement à l'écoute et soucieux d'accompagner au mieux les collectivités locales dans leurs projets de production d'énergie, ce n'est bien souvent pas le cas des directions régionales. L'administration devient alors tatillonne, inquisitrice, et s'oppose souvent aux décisions prises dans les départements. Monsieur le ministre, il serait bon que les services instructeurs soient plus à l'écoute et davantage tournés vers l'accompagnement plutôt que vers une forme de sanction très mal vécue par les élus et les acteurs locaux. À défaut, ne faudrait-il pas envisager une délocalisation de la décision finale ?

Je me permets enfin de vous poser deux questions de la part de Daniel Laurent, qui a dû s'absenter. Il souhaite tout d'abord évoquer un projet éolien en mer, au large de l'île d'Oléron, soutenu par l'ensemble des élus du territoire, qui vise à l'installation de quatre-vingts éoliennes pouvant alimenter 650 000 foyers, soit l'équivalent du département. Des consultations ont eu lieu afin de déterminer un périmètre précis réunissant les conditions de faisabilité et d'acceptabilité dans la perspective d'un nouvel appel d'offres. Lors de l'annonce, par le Premier ministre, du lancement de l'étude environnementale et du débat public, le projet oléronais n'était pas nommé dans les appels d'offres. Pouvez-vous nous apporter des explications ?

Vous avez enfin évoqué l'éolien terrestre. Quel est votre avis sur cette question qui connaît de nombreux contentieux ?

Mme Nelly Tocqueville. - En milieu urbain, le transport est responsable de près de la moitié des émissions polluantes. Si le développement du transport électrique est la solution retenue par la plupart des grandes villes, l'hydrogène pose moins de problèmes de matériaux et de recyclage que les batteries. De nombreux pays et industriels l'ont déjà identifié comme le carburant du futur, l'hydrogène n'émettant à la combustion ni CO2 ni particules.

Dans la perspective d'une neutralité carbone en 2050, nécessaire pour répondre au défi climatique, je souhaite vous interroger sur les financements que nécessite le plan de déploiement hydrogène présenté le 1er juin dernier.

Le CEA a ciblé plusieurs objectifs. J'en citerai deux : le premier concerne le verdissement de la production industrielle de l'hydrogène qui implique un accompagnement financier ; le second se situe autour de démonstrateurs de type véhicules de logistique urbaine dont le déploiement suppose un levier et un financement associés.

Le soutien de l'État et de ses opérateurs, dont l'Ademe, est donc stratégique. Le déploiement du plan hydrogène confié à cette dernière comporte une enveloppe de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un premier pas, mais qui ne peut permettre de conduire une action structurante, comme l'a souligné le CEA.

Vous avez précisé, monsieur le ministre, que l'hydrogène avait un coût. Il me semble que la recherche mériterait de s'appuyer sur de véritables leviers financiers. Il en va à la fois de l'avenir et du présent de cette filière, l'Allemagne ayant déjà mis en circulation deux trains à hydrogène.

Mme Denise Saint-Pé. - Je souhaite relayer la vive préoccupation de nombreux élus de nos territoires, en charge de l'organisation de la distribution d'énergie, en ce qui concerne la situation des populations qui rencontreront, au cours de la présente trêve hivernale, des difficultés de paiement de leurs factures d'électricité.

De fait, à la suite de la généralisation du dispositif du chèque énergie en 2018, les bénéficiaires de cette nouvelle forme d'aide sont tenus de se signaler au moyen du renvoi d'une attestation auprès de leur fournisseur d'électricité ou de gaz naturel pour pouvoir bénéficier des dispositifs protecteurs complémentaires s'ils n'ont pas réglé une facture auprès d'eux au moyen d'un chèque énergie.

Or, très peu d'attestations ont été renvoyées aux fournisseurs d'énergie, les privant ainsi de la faculté d'identifier ceux de leurs clients qui pourraient bénéficier de ces mesures, dont l'absence de réduction de puissance en électricité pendant la période de la trêve hivernale.

En outre, la totalité des chèques énergie adressés à un peu plus de 3,6 millions de bénéficiaires n'a pas encore été utilisée.

Par ailleurs, le déploiement des compteurs communicants dont vous avez parlé voilà quelques instants a conduit à la refonte de certaines procédures, dont celle afférente aux interventions pour impayés qui permet désormais à Enedis d'opérer, à la demande du fournisseur, les réductions de puissance à distance sans déplacement préalable.

Dans ce contexte particulier, une amélioration du dispositif du chèque énergie, annoncée à l'automne 2018, est très attendue par les élus locaux. Il ne faudrait pas que le déploiement des nouveaux compteurs et la substitution du chèque énergie aux tarifs sociaux ne se fasse au détriment de nos concitoyens les plus fragiles, au moment où nos territoires sont traversés par un climat de colère sociale sans précédent.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je voudrais tout d'abord souligner la qualité du débat public qui a eu lieu en juin dernier.

Si cette PPE est sans doute perfectible, elle m'apparaît - et c'est un sénateur de l'opposition qui parle - globalement équilibrée. Elle apporte des réponses aux objectifs liés aux enjeux climatiques, à la sûreté des approvisionnements et au prix de l'énergie.

Comment va se traduire cette PPE ? Allez-vous décrire les moyens financiers mobilisés pour les vingt orientations retenues ? Va-t-on définir des objectifs quantifiables que nous pourrons évaluer ? Allez-vous mettre en place une programmation pluriannuelle des investissements ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - Monsieur Courteau, nous sommes conscients que la situation actuelle en matière de rénovation énergétique n'est pas satisfaisante et que nos dispositifs ne sont pas efficaces. Ce n'est pas pour autant qu'il faut les abandonner brutalement. Il faut bâtir quelque chose qui tende à une rénovation globale, qu'il s'agisse des logements individuels ou des immeubles en copropriété, et disposer des outils nécessaires, notamment financiers, pour y arriver. Encore une fois, il est nécessaire de mettre en place un amortissement sur un temps suffisamment long pour permettre aux ménages de récupérer leur mise sur la base des économies réalisées.

En ce qui concerne l'éolien flottant et votre demande de rendez-vous, monsieur Courteau, il me semble qu'un mail vous a été envoyé pour vous proposer de nous rencontrer dès lundi prochain. J'entends souvent dire que nous manquons d'ambition sur l'éolien flottant. Mais comment faut-il procéder ? Investir massivement d'entrée de jeu en s'appuyant sur l'effet de masse...

M. Roland Courteau. - C'est ce que nous proposons.

M. François de Rugy, ministre d'État. - ... ou chercher quelque chose de plus progressif, qui permette aux industriels de baisser les coûts au fur et à mesure des progrès réalisés ? Nous avons choisi cette seconde voie.

Je préférerais que l'on soit capable de séparer ce qui relève du développement d'une filière industrielle de ce qui relève des coûts de production. Je ne suis pas le ministre de l'industrie, mais j'ai parfois l'impression de l'être sur ce type de dossiers. Si l'on intègre les coûts de développement aux coûts de l'énergie, il faut accepter de payer son électricité plus chère. Or, c'est justement ce que les gens ne veulent pas !

Certains membres du Gouvernement ne souhaitaient pas aller plus loin sur l'éolien flottant tant que les prix n'ont pas baissé. Nous avons trouvé ce compromis qui nous permet d'avancer.

Monsieur Chevrollier, il est certain que le débat public sur la PPE n'a pas eu la visibilité qu'il méritait. Pour autant, et contrairement à ce que vous dites, ses conclusions ont été suivies. Les participants au débat ont validé la stratégie de rééquilibrage et de diversification. Il ne s'agit pas de sortir du nucléaire ni de s'enfoncer dans le tout nucléaire. Les conclusions du débat ont souligné l'importance du coût de l'électricité et de la mise en place d'une transition écologique et solidaire.

On ne peut, d'un côté, vouloir développer des technologies qui coûtent très cher et, de l'autre, disposer d'une énergie bon marché. À un moment donné, il faut trouver le bon équilibre. Nous avons évoqué le nucléaire, l'éolien et le solaire, mais il en va de même du biogaz : le coût de production du biogaz est aujourd'hui quatre fois supérieur à celui du gaz fossile importé. Dès lors, soit on interdit d'importer du gaz, soit on met en place une taxe carbone qui compense cette différence, aux alentours - je ne dois pas être loin de la vérité - de 200 euros la tonne - nous sommes aujourd'hui à 45 euros la tonne... Si l'on veut un gaz renouvelable compétitif sans augmenter les prix, le seul moyen est donc de baisser les coûts de production. Nous avons fixé des objectifs très ambitieux pour cette filière. Nous devrons faire un premier point d'ici à cinq ans pour savoir si nous nous inscrivons bien dans une trajectoire de baisse des coûts de production.

Se loger, se déplacer, se chauffer sont des enjeux qui seront au coeur du grand débat à venir. Si certaines personnes sont opposées à la transition écologique que nous mettons en place, ce sera le moment de le dire. Il ne s'agit pas de refaire le débat sur la PPE, mais de trouver des solutions au plus près du terrain sur ces trois grands enjeux.

Madame Morhet-Richaud, nous voulons que les collectivités locales jouent un rôle plus important. Mais les décisions nationales permettent de mettre en place une stratégie commune et d'éviter que chacun fasse sa politique énergétique dans son coin. Elles permettent aussi l'existence de tarifs d'achat garantis.

Si certaines collectivités veulent développer des projets autofinancés, je n'y vois aucun inconvénient. Si l'administration peut être parfois tatillonne sur certains sujets environnementaux - j'en suis bien conscient -, je veux bien travailler à lever ces difficultés avec les élus locaux et les filières concernées. Mais sachez qu'il y aura des mécontents. Sébastien Lecornu avait mené un travail sur l'éolien terrestre. Une des premières choses que j'ai faite en arrivant a été de signer un décret de simplification des procédures sur l'éolien : sur les réseaux sociaux ou dans les journaux, on m'a immédiatement cloué au pilori. On m'a accusé de vouloir construire des éoliennes dans le dos des gens en empêchant les recours... À chaque fois, on fait des heureux d'un côté et des mécontents de l'autre. J'assume mes décisions : si je peux permettre de lever des interdictions trop tatillonnes, je le ferai, mais sachez bien qu'il y aura des conséquences.

J'en reparlerai avec M. Laurent, mais le projet éolien offshore de l'île d'Oléron se situe en plein coeur d'un parc naturel. Il n'a pas semblé qu'il s'agissait de l'endroit idéal pour installer des éoliennes, qui plus est pour un coût assez élevé. Sachez que je suis tout à fait favorable au développement de l'éolien offshore, mais encore faut-il que les projets soient acceptables en termes environnementaux et en termes de coût.

Pour l'hydrogène, nous avons fixé les priorités, aussi bien pour l'hydrogène industriel que pour celui utilisé dans les transports lourds. L'hydrogène industriel est de l'hydrogène sale, émetteur de CO2 puisqu'il provient du craquage du méthane. L'objectif fixé à la filière hydrogène est de développer l'hydrogène par électrolyse de l'eau, qui pour l'instant coûte deux fois plus cher. Pour pénaliser les émissions de CO2, il n'y a pas trente-six solutions : on le fait soit par la taxe carbone, soit en instaurant des quotas carbone ou des droits d'émission, soit en fixant des normes, ce qui est une autre façon d'augmenter le coût. Concernant le train à hydrogène, le démonstrateur en Allemagne que vous évoquez est produit par un constructeur français. Nous travaillons à un appel d'offres commun à plusieurs régions pour commander de tels trains, qui pourraient être une alternative à l'électrification des lignes.

Le taux de recours au chèque énergie est de 85 %, ce qui est très élevé pour une prestation sociale. Nous allons encore augmenter le nombre de bénéficiaires et nous travaillons sur les effets pervers dont vous avez parlé : un décret que j'ai signé doit encore être cosigné par un autre ministre.

Nous nous efforçons d'équilibrer investissements privés et subventions publiques, sachant que, souvent, il est difficile de prévoir le niveau nécessaire puisqu'il est lié au prix de marché de l'électricité. Plus ce prix baisse, plus cela coûte à l'État, qui comble la différence.

Soutenir la diversification du mix électrique ne veut pas dire qu'on ne défend pas la filière nucléaire. On entend même souvent que cette PPE poursuit le nucléaire au lieu d'en amorcer la sortie. C'est le propre, sans doute, des politiques équilibrées : certains trouvent qu'on n'en fait pas assez pour le nucléaire, d'autres trouvent qu'on en fait trop.

Je suis allé à la COP 24 de Katowice. Un stand très important y vantait les mérites du charbon, ce qui se comprend au coeur de la Silésie... Ne croyez pas, cela dit, que la Pologne ne fait pas d'efforts pour réduire sa consommation de charbon. Elle a présenté un plan pour développer le nucléaire. Mais, comme en Inde, comme dans d'autres pays du monde qui ont du charbon, la Pologne continue à l'exploiter. Ils ne vont pas jusqu'à parler, comme le président Trump, de charbon propre, qui n'existe pas. En tous les cas, ces pays devront décider si, pour sortir du charbon, ils voudront faire du nucléaire ou plus d'énergie renouvelable.

M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaite évoquer les tarifs réglementés de vente, qui permettent aujourd'hui au Gouvernement d'agir sur les prix de l'électricité et du gaz ; le Premier ministre a d'ailleurs annoncé une baisse de 2 % à partir du 1er janvier. On peut s'en réjouir mais, dans la loi Pacte, vous prévoyez de supprimer les tarifs réglementés. Puisque le Premier a fait la démonstration de l'utilité de ces tarifs qui lui ont permis de répondre à une demande, comptez-vous vraiment le faire ?

Quand vous parlez d'agrocarburants, vous parlez de leur prix. J'aurais aimé vous entendre dire aussi qu'ils entrent en concurrence directe avec l'alimentation.

M. Joël Bigot. - Vous fixez des objectif ambitieux, qui impliquent une politique volontariste, dont on mesurera à ses résultats si elle a été poursuivie jusqu'au bout.

Le service public de la performance énergétique de l'habitat, qui s'occupe notamment de l'isolation des bâtiments, a vu ses crédits réduits de moitié cette année. Cela me laisse perplexe quant à la volonté du Gouvernement de continuer la politique de rénovation énergétique des bâtiments. Nous verrons lors des conclusions du débat national, au Conseil national de la transition écologique, ce qu'il restera des mesures que vous avez détaillées.

Comment comptez-vous concilier les attentes sociétales et la transition écologique ? Les mesures doivent être acceptées. Pour cela, l'appui des territoires sera indispensable. Ce sont les collectivités locales qui accompagnent la rénovation des bâtiments et des écoles et les projets d'énergie renouvelable. Certaines intègrent dans le montage financier des fonds participatifs. Ce sont elles qui organisent les mobilités de demain, voire les éco-mobilités. Il y a donc tout intérêt à renforcer la place des territoires. Envisagez-vous une décentralisation des politiques énergétiques ? Par exemple, il serait bon de reverser une part de la fiscalité carbone aux collectivités locales vertueuses.

M. Franck Montaugé. - Les difficultés pour aboutir à cette PPE montrent que les objectifs doivent toujours être mis en rapport avec des plans d'action qui permettent de les atteindre. Vos objectifs sont très ambitieux. Comment comptez-vous mesurer le respect par chaque acteur des stratégies retenues ? Ces objectifs interpellent particulièrement une très grande entreprise du secteur de l'énergie, EDF. Avec la loi Pacte, l'État va encore monter au capital d'EDF. Avec quelles visées ? Cette transition comporte par ailleurs un volet social très important, pour EDF et pour d'autres acteurs, en lien notamment avec le démantèlement de sites existants : comment appréhendez-vous la reconversion du personnel amené à changer de domaine de production énergétique ?

La stratégie nationale bas carbone est ambitieuse. Où en êtes-vous de vos réflexions sur l'évolution des normes comptables des entreprises françaises et européenne ? Il faut intégrer la problématique du carbone au modèle de décision des entreprises.

M. Guillaume Gontard. - Vous avez beaucoup parlé du débat public. Ses conclusions ont fait ressortir un sentiment d'injustice car les efforts étaient inégalement répartis. La France ne respecte pas la trajectoire qu'elle s'est fixée dans les accords de Paris, et les objectifs de la précédente PPE n'ont pas été atteints. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté en 2018, et j'ai peur que cela ne continue dans les prochaines années. La part des énergies renouvelables a même baissé entre 2016 et 2017 ! Les objectifs en matière d'économie et de sobriété de cette PPE sont insuffisants. Pouvez-vous nous assurer que les objectifs de cette PPE répondent réellement aux engagements des accords de Paris et notamment aux orientations du GIEC ? Avons-nous abandonné l'objectif de 1,5 degré ?

Vous avez parlé de toutes les énergies renouvelables, sauf de l'hydroélectricité, alors que c'est la première énergie renouvelable en France, représentant 10 % de la production. Contrairement à ce qu'on dit, il y a une évolution possible même si cette filière a été mise à mal par la suppression d'emplois et la revente à la découpe des entreprises et qu'il existe une forte inquiétude sur la mise en concurrence des barrages.

M. Fabien Gay. - La question est de savoir comment on produit l'énergie, avec quelle indépendance énergétique, à quel coût et à quel prix pour l'usager. Cinq millions de ménages sont en précarité énergétique, soit 10 à 11 millions de personnes. Comment lutter efficacement contre cela ? Hier, les négociateurs de l'Union européenne ont réussi à se mettre d'accord pour repousser jusqu'à 2025 la fin des tarifs réglementés. Tant mieux !

Il faut vous positionner sur Engie : si l'on veut une électricité et une énergie disponibles pour le plus grand nombre, il faut des entreprises publiques. Le désengagement de l'État dans Engie n'est pas une bonne chose. Depuis sept ans, on a eu 333 % de hausse de taux de distribution pour les actionnaires, soit 27 milliards d'euros - et dans le même temps, une augmentation de 70 % des prix pour les consommateurs. Allez-vous, pour financer la transition énergétique, taxer le kérosène, notamment sur les vols intérieurs, et taxer Total, qui a versé 43 milliards d'euros aux actionnaires en sept ans ? Sur la Montagne d'Or, je vous ai interpellé. Que signifie une mine éco-responsable ?

Hier, dans le budget, le Gouvernement a déposé un amendement non pas pour répondre à la crise sociale, augmenter les salaires, le SMIC ou encore rétablir l'ISF, mais pour instaurer un tarif réduit de l'électricité pour les aérodromes. Alors que vous vous apprêtez à vendre Aéroports de Paris, vous faites encore un cadeau au capital. C'est un véritable scandale !

M. Michel Vaspart. - Le président de la République est venu à Saint Brieuc au mois de juin et il a annoncé à la filière offshore posé le lancement de nouveaux projets. Une filière a besoin de marchés intérieurs avant d'aller à l'export. Avec cette PPE, vous allez lancer entre 1,2 et 1,7 gigawatts de plus. Or, cela ne suffit pas à la filière, qui a beaucoup investi à Brest et à Saint-Nazaire. Et je ne parle pas de l'éolien offshore flottant, qui est la seule solution en Méditerranée. Êtes-vous prêt à relancer d'autres projets ?

Le barrage de la Rance est unique au monde : il produit l'électricité renouvelable et vend son kilowattheure au prix de marché. Il y a une sur-sédimentation car il n'y a pas eu de prise en compte des problèmes écologiques. On avait envisagé de faire en sorte que les kilowattheures soient au prix de l'énergie renouvelable. Ségolène Royal s'était montrée plutôt favorable, Nicolas Hulot ne s'en est pas occupé du tout : j'aimerais bien que vous regardiez le sujet.

M. Henri Cabanel. - Je voudrais revenir sur la question de l'éolien flottant évoquée par mon collègue Roland Courteau. Pouvez-vous faire en sorte que des entreprises françaises soient ambitieuses pour les énergies innovantes ? L'Occitanie l'est, et sa présidente Carole Delga a souhaité qu'en 2050 ce soit un territoire à énergie positive. Une entreprise, Quadran, a investi 10 millions d'euros sur l'éolien flottant ; s'il n'y a pas d'ambition, elle partira ailleurs.

J'étais récemment avec le directeur de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l'Hérault pour aider des communes rurales à mettre en place leur projet photovoltaïque sur des friches industrielles. Il m'a dit que sa volonté n'était pas de donner des autorisations sur le photovoltaïque au sol. Y a-t-il une nouvelle doctrine ?

- Co-présidence de M. Michel Vaspart, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

M. Ronan Dantec. - J'ai sursauté tout à l'heure quand le ministre a parlé dotations supplémentaires pour les collectivités territoriales, car il me semble qu'il n'y a jamais eu de dotations du tout sur le climat et la transition énergétique !

Si la PPE ne met pas les territoires au coeur, on n'y arrivera pas. Pour cela, il faut une forme d'incitation financière. Et si l'État cherche un peu d'argent en ce moment, l'indexation de la taxe Chirac sur les avions rapporterait très rapidement 200 ou 300 millions d'euros sans changer aucun mécanisme, puisque les compagnies ont l'habitude.

Pour l'éolien offshore, qui est une filière prometteuse, il est clair que les 5 gigawatts annoncés ne suffiront pas au développement de la filière. Êtes-vous prêt à revoir ce point ? Quelle sera la capacité des parlementaires dans les prochaines semaines à amender la PPE ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les deux piliers de votre stratégie sont les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables. En ma qualité de présidente du groupe d'études sur la forêt au Sénat, je voudrais attirer votre attention sur ce qui pourrait être le troisième pilier : la captation du CO2 et le développement des puits de carbone. La forêt joue un rôle incontournable, puisqu'elle capte plus de 130 millions de tonnes de CO2 par an, soit près de 30 % des émissions nationales. Pour qu'elle puisse jouer ce rôle vertueux, il faut que ce soit une forêt en croissance. Or, dans le cadre du plan national forêt, on la coupe et on ne la renouvelle pas. Seriez-vous favorable à ce qu'on développe une stratégie nationale pour accompagner le développement de ces puits de carbone ? La forêt contribue à atteindre de multiples objectifs en matière énergétique et de climat.

Un certain nombre d'entreprises de transformation du bois auraient la possibilité de développer également de la production d'électricité. Je ne suis pas favorable à ce qu'on coupe du bois pour le brûler mais, quand on est dans une stratégie de transformation et qu'on récupère des déchets connexes, il y aurait intérêt à valoriser ces déchets non seulement dans des séchoirs mais également dans la production d'électricité. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Cuypers. - Vous avez évoqué l'objectif de 32 % d'énergies renouvelables, toutes énergies renouvelables comprises. À l'occasion de la discussion sur la loi de finances, j'ai déposé des amendements sur les biocarburants ; tout à l'heure, vous avez semblé rejeter d'un revers de main ces biocarburants, considérant qu'ils étaient trop chers, même s'il n'y avait pas de taxes. Vous savez pourtant que toute énergie nouvelle en développement a toujours eu un accompagnement, que ce soit le nucléaire, le photovoltaïque ou l'éolien. J'ai donc du mal à comprendre que vous soyez opposé à tous les amendements que nous avons présentés ou votés pour certains, sachant que les biocarburants permettent de supprimer 80 % des émissions de particules fines et ultrafines et de réduire de 70 % les émissions de gaz à effet de serre. D'un côté, vous souhaitez le développement des énergies renouvelables, et de l'autre vous rejetez celles qui sont favorables au développement économique et à l'emploi... comme s'il valait mieux acheter moins cher ailleurs ce que l'on peut produire en France.

Pouvez-vous confirmer le montant de 350 millions d'euros en 2023 pour l'injection dans le réseau du biométhane, et de 900 millions d'euros en 2028 ? À combien se montera le soutien public à la cogénération pour le biogaz non injecté ?

M. Yves Bouloux. - Parmi les vingt orientations exposées dans le chapitre « industrie » de la PPE, pourriez-vous nous préciser l'objectif de recherche et développement pour réduire les émissions résiduelles des procédés bas carbone de généralisation de l'éco-conception des produits ? Quels moyens ? Quelles incitations financières ou fiscales ?

Daniel Laurent m'a demandé de poser sa question sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique. La voici : au printemps dernier, un plan de rénovation énergétique des bâtiments a été annoncé, avec pour objectif de rénover chaque année 500 000 logements, dont la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes. Cet objectif sera difficile à atteindre, car il faudrait rénover 14 millions de logements d'avant 1975 et 6,8 millions construits entre 1975 et 2000 - on considère que les rénovations des logements construits après 2000 ne sont pas nécessaires. Pour rénover ces 20,8 millions de logements avant 2050, il faudrait en rénover en moyenne 650 000 par an, contre seulement 16 000 environ actuellement. Le fossé à combler est donc très important. Dans ces conditions, on voit tout l'intérêt qu'il y aurait à lever un certain nombre d'obstacles, afin notamment d'encourager les grands syndicats départementaux d'énergie, en partenariat avec les régions, à s'impliquer massivement dans la rénovation énergétique des bâtiments. Or, la rédaction actuelle de l'article L. 232-2 du code de l'énergie vise uniquement les EPCI à fiscalité propre.

M. François de Rugy, ministre d'État. - S'agissant des tarifs réglementés, ceux de l'électricité sont maintenus ; ils ne sont pas remis en cause au niveau européen.

Pour autant, l'existence de tarifs réglementés ne signifie pas que les tarifs n'augmentent pas ou n'augmentent pas plus que l'inflation. Quand on parle de tarifs réglementés, beaucoup de nos concitoyens comprennent qu'il s'agit de tarifs fixés par l'autorité politique dans sa grande sagesse, un peu comme les tarifs de l'eau décidés par la collectivité territoriale qui assure l'alimentation en eau potable ou ceux des transports établis par l'autorité organisatrice compétente. En l'espèce, c'est la CRE qui fixe la formule de calcul et le prix de l'électricité, que le ministre approuve in fine. Si l'on décide autre chose - et l'une de mes prédécesseurs a essayé de le faire -, les recours sont immédiats et ledit ministre est assuré de perdre, avec un rattrapage de la hausse non appliquée. Je suis, pour ma part, convaincu qu'il convient de s'interroger sur le maintien d'un dispositif aberrant qui place le ministre compétent entre le marteau et l'enclume et qui revient à faire une fausse promesse aux Français, celle que les tarifs n'augmenteront jamais. Leur évolution, selon la formule appliquée par la CRE, dépend des coûts de production qui, hélas, ont tendance à croître. C'est d'ailleurs tout l'objet de la formule : s'assurer que les tarifs reflètent l'évolution des coûts, à la hausse comme à la baisse. Si on ne le fait, à un moment donné, ça se paie. Nous avons un devoir de transparence vis-à-vis de nos concitoyens et d'action en faveur d'une diminution des coûts de production de l'électricité. Car c'est la seule façon pour faire en sorte que les prix payés par les consommateurs n'augmentent pas trop.

Quant aux tarifs réglementés du gaz, c'est encore pire puisque le tarif évolue chaque mois, en fonction de l'évolution des marchés sur lesquels la France se fournit pour 99 % de sa consommation. Les offres de marché sont par ailleurs inférieures aux tarifs réglementés. Ceci nous a conduit à proposer la suppression des tarifs réglementés car ne faisons pas la fausse promesse d'un tarif qui serait à l'abri de l'évolution des marchés, même s'il existe des systèmes compliqués de couverture des risques sur les marchés mondiaux pour stabiliser les prix sur plusieurs mois - c'est d'ailleurs ce que nous avons demandé à Engie.

Pour ce qui concerne le service public de la performance énergétique évoqué par Joël Bigot, la difficulté réside dans le souhait exprimé par les régions, à l'occasion de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de disposer de la compétence. Or, dès lors qu'il s'agit de l'exercer, on s'aperçoit que ça a un coûté et qu'il faut trouver des financements. J'ai rencontré l'Assemblée des régions de France, nous y travaillons avec l'Ademe, notamment au travers des CEE. Je suis, pour ma part, favorable à la mobilisation des collectivités territoriales, qui déjà prennent de nombreuses initiatives.

Monsieur Montaugé a évoqué la mesure et le suivi des objectifs. Je crains à cet égard la dictature de l'immédiateté, alors que les sujets ressortent davantage de trajectoires à moyen et long terme. Les parlementaires pourraient jouer un rôle en matière de suivi avec plus de recul que les habituelles polémiques médiatiques.

S'agissant de la restructuration d'EDF, plutôt que de décider seuls, nous avons demandé à l'entreprise de nous transmettre des propositions. À titre personnel, plusieurs options paraissent envisageables : le statu quo, malgré le taux d'endettement élevé et le questionnement sur le fait de placer le nucléaire dans une société cotée ; la création, massivement rejetée par les syndicats et sans doute par le management, de sociétés spécialisées, des sociétés soeurs en quelque sorte avec une holding de tête ; et une sorte de solution intermédiaire, avec une société mère et une société fille. Mais il n'y a pas de solution miracle : aucune, en particulier, n'effacerait l'endettement de l'entreprise ni ne coûterait rien, d'autant que la Commission européenne veillera évidemment à ce que nous ne lui versions pas d'aides d'État déguisées. En tous les cas, rien n'est décidé à ce stade.

Monsieur Gontard, sur l'enjeu climatique, qui sous-tend la PPE, il existe en France un consensus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais dès qu'il est question des solutions à apporter, les avis divergent et c'est plutôt la levée de bouclier contre toute mesure proposée. On nous a expliqué ces dernières semaines que la taxe carbone n'était pas la bonne solution, une de mes prédécesseurs a même fait toute une campagne médiatique pour dire qu'il s'agissait d'écologie punitive, l'expression s'est désormais bien imposée mais je rappelle quelques chiffres, car derrière les symboles - même si ça compte - il y a la réalité : la hausse de la taxe carbone, en 2019, c'était trois centimes d'euros sur le litre d'essence, presque sept centimes sur le diesel en 2019 si l'on ajoutait le rattrapage et un prix stable pour le gaz contre une baisse de 2 % sans cette hausse, pour une recette de deux milliards d'euros que nous peinerons à remplacer... Je ne serai pas de ceux qui prôneraient de le récupérer sur l'impôt sur le revenu ou sur un autre impôt. J'entends ceux qui évoquent le rétablissement de l'ISF, soit 3,5 milliards, mais ces 3,5 milliards ne serviront pas dix fois !

M. Roland Courteau. - Qu'il serve au moins une fois !

M. François de Rugy, ministre d'État. - Quelle autre solution ? Les quotas carbone suscitent l'opposition de ceux qui sont contre les mécanismes de marché ; les CEE, tout le monde y adhère sur le principe car on pense que c'est indolore mais c'est en réalité une forme de taxation pour les vendeurs d'énergie, notamment fossiles ; dernière solution, la norme, par exemple en matière de véhicules, mais cette norme engendre aussi des surcoûts, au moins dans un premier temps, et peut paraître socialement injuste, d'où les appels à aller moins vite sur ces sujets. Le Gouvernement, aux responsabilités, tranchera et assumera ses choix, mais toute idée opérationnelle demeure la bienvenue. Je dis bien opérationnelle car quand j'entends une ancienne ministre - devenue depuis directrice d'une organisation non gouvernementale - parler de « taxe carbone juste », qu'elle nous donne le mode opératoire !

Je suis bien entendu favorable au développement de l'hydroélectricité en améliorant la productivité des barrages et leur capacité à servir de tampon pour répondre à la pointe. Mais cela n'a pas de lien avec la remise en concurrence des concessions, qui relève d'un choix politique. D'aucuns souhaiteraient prolonger les concessions existantes, ce que la Commission européenne nous interdit. Nous allons donc sortir cette question du statu quo mais je ne laisserai pas dire qu'il s'agit d'une privatisation des barrages, car c'est faux : on ne vend pas le barrage, on met en concurrence son exploitation, avec des investissements et une redevance. Nous travaillerons avec les élus locaux, dont beaucoup sont demandeurs et regrettent qu'on ne fasse plus rien sur les barrages, pour rédiger les cahiers des charges des concessions d'exploitation.

Vous avez également évoqué, monsieur Gontard, le rôle du Parlement. Je prendrai l'exemple de l'EPR : ce sujet fera-t-il l'objet d'une loi en 2022 ? Je vous rappelle que le programme électronucléaire français a été lancé sans la moindre loi ni le moindre débat au Parlement. Nous avons désormais une loi de transition énergétique, une PPE et l'on prévoit que si de nouveaux EPR devaient être commandés, cela se fera dans un cadre transparent, avec toutes les données à disposition et avant une échéance électorale dans laquelle chacun pourra se positionner.

Monsieur Gay, le désengagement de l'État du capital d'Engie représente un choix politique que j'assume : ce n'est pas en conservant des participations minoritaires dans l'entreprise que l'État dispose des meilleurs outils de politique énergétique. Vous souhaitez que nous taxions le kérosène : alors, soyez certains que si nous taxons uniquement en France, les compagnies aériennes iront se fournir hors de nos frontières, comme le font déjà les camions étrangers, qui représentent 35 % du trafic mais ne participent qu'à hauteur de 8 % aux recettes sur les carburants, grâce à Mme Royal qui a supprimé la taxe poids lourds et préféré imposer les carburants plutôt que l'usage des routes.

Le dossier de la Montagne d'Or sera traité dans les prochaines semaines. J'ai, à cet effet, rencontré les associations, les élus locaux et le préfet de Guyane. S'agissant de l'éolien posé ou offshore, si les industriels démontrent qu'ils sont en mesure de réduire le coût de production - il s'affiche actuellement entre 120 et 130 euros par mégawattheure, soit le double du prix de marché - nous fixerons un objectif supérieur. De la même façon, si, dans cinq ans, une solution moins coûteuse était trouvée pour le stockage de l'énergie, la PPE pourrait être révisée car l'utilisation des énergies renouvelables en serait facilitée d'autant.

Je défends, pour ma part, l'éolien flottant dans la perspective de faire émerger une filière française en permettant à nos entreprises, dont trois comptent parmi les cinq entreprises mondiales à la pointe sur le sujet, de déployer ce savoir-faire en France. Les coûts de production, pour autant, doivent demeurer raisonnables. J'entends bien vos inquiétudes : plusieurs projets existent, en Bretagne, en Occitanie et en Provence et chaque région voudrait que son projet se concrétise. J'en profite pour inviter la région Occitanie à développer l'éolien terrestre...

La doctrine, qui n'interdit la production que sur les terres agricoles et les espaces naturels, ne me semble nullement défavorable au développement du photovoltaïque au sol. Les blocages venant localement de l'administration doivent être remontés au ministère, même s'il apparait que l'application de règles multiples constitue un frein évident. Imaginez que nous ayons dû respecter autant de normes lors de la construction des centrales thermiques et nucléaires ! En revanche, je réfute les propos tenus sur l'absence d'intérêt, pour les collectivités territoriales, qu'il y aurait à développer les énergies renouvelables. D'aucuns estiment d'ailleurs que les élus locaux seraient achetés par les promoteurs. Les retombées fiscales existent localement - même s'il y a toujours un débat sur le partage de ces recettes entre niveaux de collectivités - et cela me semble normal, notamment au bénéfice des territoires ruraux qui, par nature, sont davantage susceptibles d'accueillir les installations de production. Vous m'avez interrogé sur l'affectation d'une part de la taxe carbone aux collectivités, mais les surplus de recettes seront nuls en 2019, voire au-delà.

Madame Loisier a évoqué la captation du dioxyde de carbone par la forêt. S'il n'est pas prévu de produire à grande échelle de l'électricité en brûlant du bois, compte tenu du coût élevé de l'opération et de son faible rendement - et l'on voit les difficultés que l'on connaît à Gardanne -, en revanche, le bois est intéressant pour la production de chaleur.

Monsieur Cuypers, veillez à ne pas déformer mes propos sur les biocarburants. Nous allons augmenter leur part dans la consommation de carburants. Pourtant, d'aucuns critiquent leur bilan carbone, compte tenu de l'importation d'huiles diverses et de la déforestation que leur production entraine. Vous avez eu à en débattre ici au Sénat et cette nuit encore, l'Assemblée nationale a adopté un amendement sur l'huile de palme qui ne va pas faciliter les choses pour l'usine de la Mède. Avec le ministre de l'agriculture, j'ai même pris une mesure favorisant la filière betterave pour la production de l'éthanol. Mais, s'il faut sauver l'usine Total de La Mède, il convient d'accepter que 50 % de la production soit issue de l'huile de palme.

Soyons, par ailleurs, réalistes et honnêtes vis-à-vis de nos concitoyens : si s'appliquaient aux biocarburants les mêmes règles en matière de taxation qu'aux carburants d'origine fossile, ils seraient bien plus coûteux. Le raisonnement est identique s'agissant du biogaz, dont les industriels doivent s'efforcer de réduire le coût de production pour le rapprocher du prix de marché, même si l'on n'arrivera pas au prix du gaz importé. Je suis favorable au développement de nos ressources afin de limiter les importations, mais les coûts doivent en demeurer acceptables, sauf à peser sur l'État au travers d'une subvention publique ou sur les Français via les tarifs d'achat. Et encore une fois, sur les biocarburants, nous maintenons le taux d'incorporation.

Concernant enfin la recherche et le développement dans l'industrie, l'émergence de filières industrielles doit pouvoir bénéficier d'un soutien public raisonnable, notamment pour compenser un différentiel de coût entre le coût de production et le prix de marché. Par ailleurs, des programmes de recherche, dont je souhaite qu'ils aboutissent, sont financés par le programme d'investissements d'avenir (PIA). Bruno Le Maire a négocié un accord franco-allemand sur les batteries. Les industriels de la filière automobile vont désormais discuter pour développer une filière européenne, offrant des retombées à l'économie française et européenne.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour la précision de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.