Mercredi 27 mars 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 5.

Audition commune de cadrage épidémiologique et biologique de la borréliose de Lyme : Professeur Benoît Jaulhac, directeur du Centre national de référence des Borrelia, Mmes Alexandra Septfons et Julie Figoni, épidémiologistes à Santé publique France, Professeur Céline Cazorla, infectiologue, vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes du Haut Conseil de la santé publique, Mme Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste, cheffe du département « Santé animale » de l'Institut national de recherche agronomique, M. Pascal Boireau, directeur du laboratoire de santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail

M. Alain Milon, président. - Nous démarrons, conformément au programme de travail défini par le bureau de notre commission, un cycle de tables rondes consacrées à la maladie de Lyme. Il n'est pas fréquent que nous nous penchions sur une maladie en particulier et ce cas de figure doit rester exceptionnel. Il ne ressort, en effet, pas de notre rôle de déterminer ce que doit être le diagnostic ou la prise en charge de telle ou telle pathologie. Notre objectif est de comprendre comment se construit le processus de prise en charge, comment se forge le consensus et comment il se diffuse auprès des médecins au bénéfice des patients.

Le cas d'espèce est intéressant puisque, pour la maladie de Lyme, le processus n'a pas totalement abouti. La conférence de consensus de 2006 avait dessiné un premier cadre diagnostique et thérapeutique de cette maladie considérée, à l'époque, comme émergente en France. Depuis, la population des tiques vectrices des souches de la Borrelia a augmenté et l'incidence de la maladie progressé. Dans le même temps, la remise en question de la fiabilité des tests sérologiques et l'insuffisante sensibilisation des professionnels à la prise en charge de cette maladie complexe compliquent son diagnostic.

S'ouvre alors un parcours de soins semé d'obstacles pour des patients dont l'infection n'a pas été détectée ou ne l'a été que tardivement. Face à un risque d'errance diagnostique et thérapeutique, les pouvoirs publics ont décidé de se mobiliser. Le Gouvernement a lancé, fin 2016, un plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et la Haute Autorité de santé (HAS) a réuni un groupe de travail pluridisciplinaire avec l'objectif de réactualiser les lignes directrices du consensus de 2006. Publiée en juin 2018, la recommandation de bonne pratique de la HAS propose un cadre de prise en charge diagnostique et thérapeutique rénové. Elle n'a cependant pas emporté le consensus de la communauté médicale. Certaines questions, dont l'existence éventuelle d'une forme chronique de Lyme et la durée pertinente des traitements antibiotiques, continuent de cristalliser les tensions.

Dans ce contexte, le bureau de notre commission a souhaité approfondir le débat en conviant des spécialistes de ce problème de santé publique autour de quatre tables rondes. La première doit poser un cadrage épidémiologique et biologique de la maladie. La deuxième portera sur les outils d'aide au diagnostic. La troisième se penchera sur la stratégie thérapeutique et la quatrième nous permettra de faire le point sur les enseignements tirés de ces rencontres avec les représentants des autorités sanitaires, en présence d'un membre de l'équivalent britannique de la HAS. Au risque de décevoir, nous n'avons pas vocation à trancher : nous ne sommes pas les arbitres d'une controverse scientifique et médicale. Nous n'avons pas davantage de parti pris : la constitution des tables rondes est le produit d'une volonté d'équilibre, mais aussi de la disponibilité des uns et des autres. Nous souhaitons simplement comprendre, avec un objectif partagé : l'intérêt du patient et sa confiance dans le système de santé alors que cette dernière n'est plus forcément évidente.

Pour dresser un état des lieux épidémiologique et nous éclairer sur les caractéristiques biologiques de la transmission de cette pathologie, nous accueillons le professeur Benoît Jaulhac, directeur du centre national de référence (CNR) des Borrelia, la professeure Céline Cazorla, infectiologue et vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes du Haut Conseil de la santé publique, Mmes Alexandra Septfons et Julie Figoni, épidémiologistes à Santé publique France, Mme Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste et cheffe de département à l'Institut national de recherche agronomique (INRA) et M. Pascal Boireau, directeur de laboratoire à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

M. Benoît Jaulhac, professeur, directeur du Centre national de référence (CNR) des Borrelia. - Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter les aspects microbiologiques de la borréliose de Lyme. Le CNR des Borrelia, créé en 2002 et localisé à l'Institut Pasteur à Paris avant de s'établir à Strasbourg, exerce différentes missions, notamment la surveillance vectorielle. À ce titre, nous avons analysé plus de 23 000 tiques entre 2002 et 2011, puis, depuis 2012, plus de 17 000 nymphes, stade auquel l'animal transmet la pathologie à l'homme, en provenance de dix-sept départements français. Nos travaux ont montré une hétérogénéité géographique de la densité des tiques, avec un maximum dans la Meuse et un minimum dans les Landes, et une hétérogénéité saisonnière, avec un pic lors des mois de mai et de juin. Nous n'avons, en revanche, pas observé de tendance statistiquement significative à la hausse ou à la baisse sur les sites suivis sur la période. Une méta-analyse européenne réalisée dans vingt-trois pays, publiée il y a deux ans, montre également une stabilité du phénomène entre 2002 et 2013. Le taux d'infection des nymphes par une Borrelia varie entre 4 % et 20 % selon les régions françaises, avec une moyenne de 10 % environ sur le territoire national.

Le CNR surveille également l'infection par Anaplasma, un autre agent pathogène transmis par les tiques. Le taux d'infection des nymphes à cette bactérie s'établit à 1 % en moyenne en France, avec une variation entre 0 % et 2 % selon les régions. S'agissant des espèces de Borrelia, nous suivons particulièrement les régions Alsace et Bretagne, le Nord de la France étant davantage infesté que le Sud. Par ordre décroissant, les espèces détectées sur le territoire national sont les Borrelia afzelii, garinii, burgdorferi stricto sensu, lusitaniae et valaisiana. Les deux premières sont prédominantes dans les tiques surveillées ; elles sont responsables de 50 % à 70 % des cas de borréliose de Lyme en France. Dans les vingt-trois pays européens ayant fait l'objet de la méta-analyse précitée, cette proportion est en moyenne supérieure à 70 %, hormis dans les pays de la péninsule ibérique. Plusieurs Borrelia peuvent être simultanément observées dans une tique. Depuis quelques années, une espèce initialement isolée au Japon, la Borrelia miyamotoi, est observée dans environ 2 % des tiques en France comme en Europe, avec une variation entre 1,2 % et 3,7 %.

Le CNR a mis en place à un réseau de surveillance, par des cliniciens, des différentes espèces de Borrelia chez l'homme. Les prélèvements, analysés avec le consentement du patient, proviennent de biopsies réalisées dans le cadre du diagnostic ou du protocole de soins ou des liquides de ponctions articulaires. Sur les 2 200 prélèvements humains ainsi analysés, 221 étaient positifs. La majorité d'entre eux sont des prélèvements de la lésion, qui représente la porte d'entrée des bactéries ou des virus inoculés par la tique lors de sa piqûre. Cette étude nous permet de mieux connaître les micro-organismes injectés par la tique et capables de s'implanter chez l'homme. Il est apparu que 70 % des 221 échantillons positifs l'étaient à la Borrelia afzelii, 16 % à la Borrelia burgdorferi stricto sensu et 12 % à la Borrelia garinii. Aucun échantillon humain n'a, à ce jour, concerné une autre espèce. Les autres CNR européens - notre CNR travaille en collège au sein d'une société savante européenne - obtiennent des résultats identiques : les trois espèces précitées représentent la majorité des agents pathogènes isolés par culture ou par biologie moléculaire chez l'homme. Notez que la Borrelia valaisiana identifiée par les Suisses, présente dans 10 % à 15 % des tiques, n'a été détectée dans aucun prélèvement humain depuis plus de quinze ans en Europe.

Nous avons également étudié des cas de co-infection humaine par certains de ces agents pathogènes. Depuis 2012, un seul cas de co-infection par deux espèces de Borrelia a été observé, ainsi qu'un cas impliquant une Borrelia et le tick born encephalitis virus ou virus TBE et un cas de co-infection avec Borrelia et Anaplasma. Nos collègues européens obtiennent des résultats similaires et, aux États-Unis, où le virus TBE n'existe pas, des cas de co-infection par la Borrelia valaisiana ont été rapportés.

Mme Julie Figoni, épidémiologiste à Santé publique France. - Santé publique France est notamment en charge de la surveillance de l'état de santé des populations. À ce titre, notre agence pilote la surveillance de la borréliose de Lyme en lien avec le réseau Sentinelle, placé sous la tutelle de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et le CNR. Nous participons également au développement de la prévention, via notamment l'élaboration d'outils à destination de différents publics. Par ailleurs, l'agence est impliquée, depuis 2016, dans la réalisation des objectifs définis par le plan national de lutte contre la borréliose de Lyme et les maladies transmises par les tiques.

Mme Alexandra Septfons, épidémiologiste à Santé publique France. - La borréliose de Lyme représente la principale infection transmise par les tiques, en France comme en Europe. Sa principale manifestation clinique, l'érythème migrant, est cutanée. Plus rarement, l'agent pathogène à l'origine de l'infection peut provoquer des formes disséminées plus sévères, incluant des manifestations neurologiques, articulaires et, dans une moindre mesure, cardiaques et ophtalmiques.

Le système de surveillance épidémiologique que nous pilotons depuis 2009 repose sur des médecins généralistes volontaires de France métropolitaine, qui déclarent le nombre de patients vus en consultation pour une borréliose de Lyme. Le nombre total de personnes ayant consulté en médecine générale pour cette pathologie est ensuite estimé par extrapolation. Des définitions standardisées et reconnue internationalement sont utilisées dans le cadre de la surveillance. Le système permet des estimations fiables : depuis 2009, le nombre de cas a varié de 25 000 à 55 000 selon les années ; il s'est établi à 45 000 en 2017. En épidémiologie, nous calculons un taux d'incidence, c'est-à-dire le nombre de cas rapportés à la population, permettant d'effectuer des comparaisons géographiques et temporelles. Ainsi, nous observons, depuis 2009, une fluctuation des incidences annuelles, dont une augmentation en 2016 qui ne s'est pas reproduite en 2017, sans tendance à la hausse sur la période.

Parmi les patients diagnostiqués par les médecins généralistes, 95 % présentent un érythème migrant et 5 % des formes disséminées. Pour les patients appartenant à cette seconde catégorie qui ne consultent pas un médecin généraliste en première intention, nous avons mis en place une surveillance des cas hospitalisés basée sur les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Les données stables et exhaustives ainsi fournies permettent d'estimer les variations géographiques et temporelles des hospitalisations pour borréliose. Depuis 2005, 800 patients sont, en moyenne, hospitalisés chaque année, pour des manifestations neurologiques comme pour les consultations de médecine générale. L'incidence des hospitalisations pour borréliose varie chaque année, mais sans que ne puisse être observée une tendance statistiquement significative à la hausse ou à la baisse. Les groupes d'âge les plus fréquemment touchés sont les enfants âgés de 5 à 10 ans et les personnes de plus 60 ans. Par ailleurs, les cas sont souvent diagnostiqués entre les mois d'avril et d'octobre, correspondant à la période d'activité de la tique et de fréquentation plus importante des forêts. En termes de répartition géographique, les résultats montrent une forte hétérogénéité : certaines zones comme l'Alsace, la Lorraine, le Limousin et l'ancienne région Rhône-Alpes affichent les taux d'incidence élevés, tandis que les territoires bénéficiant d'un climat méditerranéen semblent moins touchés. En effet, la végétation, le climat et la faune influent sur la densité de tiques et sur leur taux d'infection. La borréliose de Lyme n'a jamais été documentée en Outre-mer, les conditions climatiques étant peu propices aux vecteurs de la maladie. Les variations géographiques ont été confirmées par l'enquête nationale Baromètre santé de 2016. Pilotée par Santé publique France, elle aborde les comportements, opinions et perceptions en matière de santé. En 2016, 4 % de la population française ont été piqués par une tique dans les douze derniers mois, cette proportion étant plus élevée dans les régions de haute ou de moyenne incidence. Ce résultat ne reflète toutefois que l'exposition aux piqûres de tiques, indépendamment du nombre de cas de borréliose. En effet, après une piqûre, le risque de borréliose est inférieur à 5 %, même en zone de forte endémie.

Selon cette enquête, seule la moitié des personnes procède à la recherche et au retrait de tiques après une exposition à risque, comme une promenade en forêt. Or, il s'agit d'un moyen de prévention essentiel. Il apparait donc nécessaire de renforcer l'information, comme le prévoit le plan national lancé en 2016. Dans les pays européens frontaliers, la surveillance de la borréliose repose sur le même type de méthodes basées sur des réseaux de médecins sentinelles. Les taux d'incidence en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse apparaissent proches de nos estimations pour les régions françaises limitrophes. Si notre système de surveillance ne capte pas les malades qui n'ont pas recours au système de soins ou qui se trouvent en errance diagnostique, il permet néanmoins de dresser chaque année un état épidémiologique de la borréliose et d'en suivre les tendances dans le temps et l'espace. Avec 45 000 cas recensés en 2017, la borréliose de Lyme demeure la maladie transmise par les tiques la plus fréquente en France, avec une répartition géographique hétérogène. Malgré l'augmentation du nombre de cas constatée en 2016, aucune augmentation significative et persistante de maladie ne peut être établie.

Mme Céline Cazorla, professeur, infectiologue, vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes du Haut Conseil de la santé publique. - En 2009, le Haut Conseil de la santé publique a travaillé sur la prévention de la borréliose de Lyme. Son avis, hélas, n'a pas eu une diffusion aussi importante qu'espéré. Avec l'émergence de la problématique au sein de la population, il nous a été demandé, en 2014, de travailler à une nouvelle étude en nous appuyant sur la littérature existante concernant la prévention, le diagnostic et la prise en charge des patients qui souffrent de symptômes après une piqûre de tique. En 2016, année où la HAS a établi un plan national pour la borréliose de Lyme, le Haut Conseil s'est penché sur les risques de transmission de la maladie par la voie materno-foetale ou via les produits sanguins, les dons d'organes et l'allaitement. Notre avis a dû être réactualisé l'année suivante, à la suite de la publication d'un article faisant état d'une transmission de la maladie par les produits sanguins chez la souris immunodéprimée. Une telle transmission n'a jamais été prouvée chez l'homme.

Comme médecin clinicienne au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, je reçois régulièrement des patients adressés pour une suspicion de borréliose de Lyme, car atteints d'un érythème migrant. Très souvent, ils n'ont pas connaissance d'avoir été piqués par une tique. De fait, une nymphe de quelques millimètres peut s'avérer très virulente et, une fois suffisamment nourrie, elle tombe. Il est également possible d'être malade sans développer d'érythème migrant, ce qui peut compliquer le diagnostic. Si les manifestations neurologiques peuvent aisément être identifiées par le patient, les symptomatologies articulaires paraissent moins évidemment consécutives de la maladie.

Mme Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste, cheffe du département « Santé animale » de l'Institut national de recherche agronomique (INRA). - L'INRA réalise des travaux de recherche sur les tiques, sur les maladies qu'elles transmettent et sur les agents pathogènes qui y sont associés. Nous avons publié, en 2018, un fascicule récapitulatif de nos publications. Nous travaillons plus particulièrement sur les tiques pour identifier les espèces présentes dans les différentes forêts et pour surveiller l'évolution de leur densité en fonction de la faune et du climat. Nous avons également un projet de science participative : les citoyens sont invités à récolter les tiques et à les signaler via une application ou les envoyer à un laboratoire dédié. Nous travaillons également sur les agents pathogènes transmis par les tiques : bactéries, virus et parasites, tous des véhicules potentiels de maladie pour l'homme ou les animaux. Selon nos études, 50 % des tiques sont, en France, infectées par un agent pathogène et la moitié le sont par plusieurs agents.

Le projet OH ! Ticks, que je coordonne, a pour objectif d'étudier les symptômes des patients piqués par une tique pour identifier les agents, connus ou non, véhiculés par l'animal. Nous avons, en effet, d'une part des tiques infectées par des agents pathogènes et, d'autre part, des personnes pensant être malades après une piqûre, dont certaines demeurent séronégatives pour la maladie de Lyme et se trouvent alors en errance thérapeutique. Le projet, lancé en 2017 pour quatre ans, est au stade pilote : dans un premier temps, une centaine de patients seulement sera analysée. Il implique des équipes de l'INRA, des hôpitaux de Saint-Étienne, Besançon, Garches et Saint-Antoine à Paris, et de l'Institut Pasteur. Nous espérons, d'ici 2021, obtenir des résultats qui mettront en évidence des agents pathogènes impliqués dans l'apparition des symptômes chez des malades piqués par des tiques. L'objectif est ensuite d'améliorer le diagnostic en proposant de nouveaux outils.

M. Pascal Boireau, directeur du laboratoire de santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). - Pourquoi le laboratoire de santé animale de l'Anses s'est-il impliqué sur les maladies transmises par les tiques ? La réponse est simple : les tiques représentent les premiers vecteurs en matière d'infectiologie animale. Elles constituent un intermédiaire privilégié des agents zoonotiques, c'est-à-dire des agents pathogènes que l'homme partage avec les vertébrés de la faune sauvage.

L'Anses assure des missions de veille, d'expertise et de recherche sur la santé humaine, la santé animale et l'environnement. Elle délivre également des autorisations de mise sur le marché pour les pesticides, les biocides et les médicaments vétérinaires. Enfin, elle coordonne neuf laboratoires, dont le laboratoire de santé animale et le laboratoire de la faune sauvage basé à Nancy. Une mission d'expertise sur les vecteurs existe depuis 2018. Un avis récemment rendu porte sur le rapport commis par le Congrès américain sur la maladie de Lyme. Il en ressort que la réponse aux maladies et agents pathogènes transmis par les tiques nécessite une approche globale en matière de recherche et développement. Comme en France, la surveillance des tiques aux États-Unis n'est cependant pas formalisée au niveau national.

Le laboratoire de santé animale de l'Anses constitue le premier laboratoire d'infectiologie créé en Europe pour lutter contre les maladies du troupeau. Les tiques ont été identifiées à la fin des années 1990 comme vecteur principal de maladies animales pluri-espèces, dans un contexte de réduction de la biodiversité qui influe considérablement sur la transmission d'agents pathogènes. L'expansion des cervidés en France contribue également au développement des tiques. Notre laboratoire développe, en partenariat avec l'INRA et l'école nationale vétérinaire d'Alfort, des outils de surveillance des agents pathogènes Nous travaillons également sur l'interface entre la tique et son hôte, afin de développer une approche vaccinale. Il convient, à cet effet, de comprendre l'interaction des agents pathogènes et des agents symbiotiques à l'intérieur de la tique. Notre laboratoire participe enfin au projet de science citoyenne précédemment évoqué. L'harmonisation de la collecte des tiques et leur détection représentent effectivement un enjeu important. Il y a également urgence à mettre en place un dispositif de surveillance national avec des cartes à risque et de renforcer le soutien financier à la recherche et au développement sur les maladies transmises par les tiques.

Mme Élisabeth Doineau. - Je vous remercie pour la qualité de vos exposés. Il est vrai que notre démarche peut interpeller, mais nous sommes souvent interrogés par des concitoyens, des médecins ou des associations sur la prise en charge de la borréliose de Lyme. Il ne nous revient évidemment de décider à la place des experts. Nous souhaitons comprendre les enjeux de cette maladie et connaitre les bactéries responsables des infections. Elles semblent, d'après vos travaux, différer d'une région à l'autre. Vous avez également évoqué les pays européens ; des comparaisons avec les États-Unis ont-elles aussi été réalisées ? En France, le nombre de cas a augmenté jusqu'en 2016, puis s'est stabilisé. Est-ce, selon vous, grâce aux actions de prévention menées, notamment à la campagne de sensibilisation lancée en 2017 ? Le Center for disease control and prevention (CDC), l'agence sanitaire américaine, a estimé à 300 000 le nombre de cas annuels aux États-Unis en recoupant les résultats des tests biologiques et les examens cliniques effectués par les médecins. Un tel recensement serait-il possible en France ? Existe-t-il, par ailleurs, un registre de suivi des cas confirmés de maladie de Lyme ? Est-il, à défaut, prévu de le créer dans le cadre du plan national de lutte contre la maladie lancé par la HAS ? L'INRA a développé une application de signalement des tiques. Est-il, sur son fondement, possible de prédire les zones présentant le plus grand risque d'infection selon les périodes de l'année ?

M. Benoît Jaulhac. - Les mêmes espèces de Borrelia se retrouvent sur l'ensemble du territoire français, mais l'importance de chacune varie selon les régions. Trois espèces - les Borrelia afzelii, garinii et burgdorferi stricto sensu - ont été identifiées dans la quasi-totalité des 221 prélèvements humains réalisés ces dix dernières années. La moins fréquemment observée, la Borrelia burgdorferi stricto sensu, est davantage impliquée dans la survenue d'arthrite. Les bactéries semblent donc posséder un tropisme pour certaines pathologies. Aux États-Unis, la principale espèce est la Borrelia burgdorferi stricto sensu. Dans une unique région du territoire américain, la Borrelia mayonii a été détectée. Les CNR européens n'en ont, à ce jour, trouvé aucune trace.

Mme Alexandra Septfons. - Grâce au réseau Sentinelle, nous disposons de données fiables permettant de comparer les incidences d'une année à l'autre. Hormis le pic observé en 2016, lié peut-être à une modification de l'écologie des tiques ou au climat, l'incidence de la maladie de Lyme est demeurée stable en France entre 2001 et 2017. Dès lors, il semble difficile de considérer que les mesures de prévention ont eu un impact véritable. La nouvelle enquête Baromètre santé de 2019 comprend néanmoins des questions sur les pratiques de prévention et sur l'information relative à la maladie de Lyme. Il sera intéressant de comparer ses résultats à ceux de 2009 pour constater ou non une amélioration de la sensibilisation du public sur les risques induits par les piqûres de tiques.

Mme Julie Figoni. - Les outils de la surveillance sont nombreux, parmi lesquels des registres de suivi de la borréliose et des cartes d'incidence de la maladie de Lyme. Ces dernières sont élaborées par territoire ; le réseau Sentinelle publie des données régionales : elles sont à prendre avec précaution car elles manquent de précision, néanmoins elles fournissent une bonne indication sur les tendances dans le temps, qui sont stables. Les études de surveillance menées en Alsace ou en Bourgogne-Franche-Comté confirment les ordres de grandeur. Elles sont consultables sur le site de Santé publique France.

Mme Muriel Vayssier-Taussat. - Un bilan des signalements de tiques est opéré tous les trois mois. Les signalements sont plus nombreux au printemps et à l'automne, on le sait depuis longtemps, mais les bilans nous ont aussi appris, par exemple, que le risque de piqûre n'est pas limité à la forêt, car 30 % des personnes qui effectuent un signalement ont été piquées dans leur jardin.

Les tiques peuvent être envoyées en laboratoire pour analyse par les particuliers. Celles qui sont employées pour la détection des agents pathogènes sont récoltées en forêt : elles ne sont pas attachés aux animaux ni aux hommes mais sont dites « à l'affût » dans la nature, et elles révèlent une moindre prévalence d'agents pathogènes que celles envoyées pour analyse par les personnes privées. On essaie de comprendre pourquoi. Une hypothèse est que plus la tique est infectée, plus elle est agressive. Il y a d'autres hypothèses, que nous étudions actuellement.

Nous sommes en relation avec des laboratoires aux Pays-Bas, pays qui dispose comme le nôtre d'une application (elles sont rares en Europe). Nous cherchons à améliorer mutuellement nos systèmes. Nous avons également été contactés par la Norvège, la Russie, qui souhaitent mettre en place de tels outils.

M. Pascal Boireau. - Le groupe vecteur l'a souligné lorsqu'il a analysé le document américain sur le plan Lyme : le recensement, la cartographie sont lacunaires -en France aussi. Un projet européen a soutenu la recherche sur la diffusion en Europe des virus transmis par les tiques. Quelques mots des résultats : l'analyse a été menée non sur une carte mais sur une ligne qui vient de Suède, traverse la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, jusqu'en France... Elle traverse plusieurs écosystèmes et zones climatiques - on peut ensuite extrapoler. L'étude a permis d'analyser un nouveau virus, présent sur 0,5 % des tiques de cette ligne. Elle a été menée en partenariat par un laboratoire et l'INRA, l'École vétérinaire, l'Institut Pasteur ; elle a montré qu'il y a un passage vers les souris avec un tropisme au niveau cérébral. La vectorisation des virus n'est pas impossible : elle nécessite une investigation approfondie.

Mme Élisabeth Doineau. - Nous avons tout à apprendre des pays qui ont été touchés avant nous par la borréliose. Il importe de développer nos échanges notamment avec les pays du nord de l'Europe, où les systèmes de prévention fonctionnent très bien. En Suède, il existe ainsi un document disponible sur les vaccinations.

Mme Corinne Imbert. - La moitié des tiques sont multi-infectées, avez-vous dit, et trois espèces principalement induisent une pathologie humaine. Plus précisément, quel est le pourcentage de présence de la souche porteuse de la maladie de Lyme dans la population globale des tiques ? Quelle est la probabilité de co-infections ? La borréliose de Lyme est-elle la plus fréquemment transmise à l'homme ?

Écarte-t-on aujourd'hui la transmission par d'autres vecteurs, puces ou taons, transfusion sanguine, transmission de la mère au foetus, transmission par voie sexuelle ? Enfin, quelle est la spécificité du travail du CNR par rapport à celui conduit par l'INRA ?

M. Yves Daudigny. - Le réchauffement climatique, les hivers plus cléments, expliquent-ils l'augmentation des populations de tiques porteuses de Lyme ? De nouvelles espèces de tiques porteuses, de nouvelles souches de la borréliose peuvent-elles être introduites par des oiseaux migrateurs ?

La Borrelia miyamotoi a été découverte au Japon. Au Canada, où une étude a été menée, une chercheuse indique que cette bactérie se développe de façon exponentielle. Elle se transmet de la mère au petit chez les animaux : y a-t-il un risque pour l'homme ?

Est-il scientifiquement prouvé que le risque est proportionnel à la durée du contact entre la tique et la peau ? Si la tique est retirée avant vingt-quatre heures, le risque de transmission est-il nul ?

Mme Brigitte Micouleau. - Beaucoup de critiques ont été émises au sujet des tests : Elisa serait inefficace, dit-on, le résultat de ce test pourrait être négatif même en présence de symptômes d'infection. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les piqûres de tique sont le vecteur numéro un d'autres maladies infectieuses. J'ai retiré ce week-end des tiques sur le museau de mes chiens... Les tiques qui provoquent la piroplasmose sont-elles les mêmes que celles qui provoquent la maladie de Lyme ?

Mme Julie Figoni. - Les études menées dans les pays scandinaves révèlent un nombre croissant de cas de borréliose de Lyme. Sur le continent américain, on constate la même évolution au nord. Notons que la densité des tiques est plutôt stable, chez nous, dans les sites surveillés par le CNR. Dans le bassin méditerranéen, plus chaud et sec, on recense beaucoup moins de cas que dans le reste de la France.

Mme Muriel Vayssier-Taussat. - Il n'est pas certain que le pourcentage de tiques infectées ait grand sens. Dans la forêt de Sénart, on a récolté des tiques tous les mois pendant cinq ans et analysé les agents pathogènes véhiculés. Le résultat change d'un mois sur l'autre, d'une année sur l'autre, et l'on observe dans la forêt de Clermont-Ferrand la même variation, liée également aux animaux présents, au type de végétation, aux phénomènes climatiques...

On ne dispose pas de données sur la probabilité de transmission par les tiques de plusieurs agents pathogènes. Le projet OH ! Ticks nous fournira ce genre d'informations. Quant à la transmission par d'autres vecteurs, en Europe on ne connaît que l'ixodes ricinus qui transmette certaines espèces de Borrelia. Des études seraient nécessaires pour répondre à la question - car détecter un microbe dans un vecteur ne suffit pas pour conclure que celui-ci le transmettra, il faut que l'arthropode soit capable de le transmettre.

Le réchauffement climatique n'explique pas tout. Il y a en revanche de plus en plus de surfaces de forêt en Europe, et de plus en plus de cervidés, le garde-manger des tiques !

Il a été montré que le risque de transmission augmente avec la durée d'attachement de la tique, mais le risque n'est jamais nul, quelle que soit la durée.

M. Pascal Boireau. - Le laboratoire a surveillé pendant trente ans la piroplasmose équine, proche de la piroplasmose du chien. Avant le milieu des années quatre-vingt, on ne la trouvait pas au nord de la Loire, mais depuis, le bassin normand est atteint. C'est une maladie équine majeure, transmise par les mêmes tiques qui peuvent transmettre d'autres agents pathogènes zoonotiques qui passent des vertébrés à l'homme.

Le réchauffement climatique intervient de façon complexe ; il a un impact sur les végétaux, donc sur la forêt, qui devient de plus en plus propice à la multiplication des cervidés. L'empereur du Japon au début du siècle dernier avait offert à la France des cerfs qui ont été placés dans un parc dans l'est du pays. Ils étaient porteurs d'un parasite que l'on retrouve aujourd'hui à l'ouest. Les cervidés se déplacent... Leur population a rien moins que décuplé depuis les années soixante-dix ! Cette densité est favorable à la propagation des tiques et à l'amplification locale.

M. Benoît Jaulhac. - La nature du sol, également, influe sur la désagrégation des feuilles d'arbre, l'humidité, donc la population des tiques. Le phénomène climatique est effectivement complexe, les facteurs nombreux - il n'y a pas seulement la température ou la présence des animaux.

La Borrelia miyamotoi qui se développe au Canada est responsable d'un autre type manifestation clinique que la borréliose de Lyme : l'agent de fièvre récurrente a été décrit par exemple en Russie ; on a observé ponctuellement des cas d'attaques neurologiques sévères sur des patients immuno-déprimés. Le CNR surveille cela chez les patients qui développent une fièvre après une piqûre de tique. L'intérêt de notre travail est aussi de corréler ce qui se passe dans la tique et ce qui se passe chez le patient, en fonction de la zone géographique de piqûre. Sur 575 patients qui ont eu une fièvre après piqûre de tique, aucune ne provenait de la Borrelia miyamotoi mais il convient de rester vigilant.

Mme Céline Cazorla. - Le Haut Conseil de la santé publique s'est penché à deux reprises sur la question, à propos des produits sanguins. S'agissant de la transmission mère-enfant, dès lors qu'elle a été observée chez les animaux, elle pourrait se produire chez les humains. Avant 1990, il n'y avait pas véritablement d'étude, la Borrelia a du reste été découverte seulement dans les années soixante-dix. Des cas étaient observés, depuis la fin du XIXe siècle, mais on ne parvenait pas à dire qu'il s'agissait d'une même maladie... C'est qu'elle est complexe du point de vue des symptômes. On a détecté la présence de Borrelia dans un foetus présentant une malformation cardiaque, la mère étant infectée par une Borrelia. On a alors pensé à la possibilité de transmission materno-foetale, avec des répercussions pouvant aller jusqu'à l'avortement. On a retrouvé parfois des traces de la bactérie dans des tissus - mais il faudrait d'autres signes, infection en particulier ; et entre différents agents bactériens présents, comment dire lequel est responsable des problèmes survenus ?

Des études séro-épidémiologiques ont ensuite été menées aux États-Unis, dans des régions de forte infestation par la Borrelia, or on n'a pas mis en évidence un lien entre la présence de celle-ci et les problèmes de santé foetale, qui ne sont pas plus nombreux qu'ailleurs. Bien entendu, le principe de précaution s'impose et une femme enceinte doit être traitée convenablement si elle développe la maladie de Lyme. Le seul cas avéré de transmission est celui d'une femme qui n'a pas été traitée pour la maladie, contractée en fin de grossesse. S'agissant du lait maternel, aucun résultat n'a été dégagé. Quant aux produits sanguins, la plus lointaine étude, sujette à caution, concernait un don de sang de personne à personne, spontané, en Afrique, qui avait entraîné des fièvres récurrentes. Tous les établissements de transfusion se penchent régulièrement sur la question -ils sont très précautionneux, depuis 1985... Dans l'entretien préalable, on demande toujours aux donneurs s'ils ont été piqués par une tique dans le mois précédent. Un diagnostic de Borrelia, un érythème migrant, sont des contre-indications au don de sang. On n'a pas relevé de cas de transmission par transfusion.

Tous les travaux sont effectués sur les animaux, en particulier les souris, car les tiques aiment aussi les rongeurs. La souris est un hôte favorisant, peut-être, pour la Borrelia. Il faut préciser que les souris sont « trafiquées » pour les expériences, immuno-déprimées, car on veut être certain de la réponse lorsqu'on leur inocule la bactérie... De même les produits sanguins chez l'animal ne sont pas étudiés avec les mêmes moyens de conservation et de protection que l'on utilise pour le sang humain, parfois conservé longtemps avant d'être donné. Il faut donc toujours considérer avec un bémol les résultats des études chez l'animal. La dernière fois que l'on nous a demandé de réactualiser nos recherches, c'est au vu d'une étude sur la Borrelia miyamotoi chez la souris, car on avait utilisé les produits sanguins selon les standards appliqués aux humains, ou presque. Mais l'étude ne concerne que la souris : la transmission à l'homme par transfusion n'a jamais été montrée, sans doute en raison du tri rigoureux opéré avant le don du sang.

M. Benoît Jaulhac. - Une précision : les établissements sanguins contactent le CNR pour analyser le reliquat qu'ils conservent systématiquement pour pouvoir comprendre ce qui se passe après transfusion. Or nous n'avons jamais mis en évidence la présence de Borrelia ni de fièvres récurrentes dans ces stocks.

Mme Victoire Jasmin. - Des travaux ont été menés par l'INRA et les chambres d'agriculture sur les tiques sénégalaises, dans le passé, sur les cheptels de bovins. Les tests à l'époque n'étaient pas suffisamment pertinents pour le diagnostic biologique. Les prélèvements étaient envoyés au centre de référence. Selon les médecins, certains recherchaient, d'autres non, la borréliose. En raison de la diversité d'agents menant aux mêmes symptômes, le diagnostic ne s'orientait pas forcément vers la borréliose de Lyme. Aujourd'hui, les tests sont sans doute plus pertinents. Avez-vous fait des recherches sur ce point ?

M. Daniel Chasseing. - J'ai compris pourquoi, dans le Limousin, il y a beaucoup de tiques, car c'est une région très boisée qui abrite beaucoup de cervidés...

Si l'on voit des rougeurs, un érythème migrant, ou une tique, on prescrit un traitement. Mais dans la phase secondaire, un infectiologue et un rhumatologue auront des avis différents sur le choix de traiter ou non. Quelle est la fiabilité des tests diagnostics, Elisa ou autre ? Dans le doute, car il n'y a pas forcément d'érythème, ne faut-il pas traiter largement, les femmes enceintes notamment, par des antibiotiques.

Mme Michelle Gréaume. - Quelles sont les conséquences d'une maladie de Lyme non traitée, car on entend parler de paralysie, de démence ? Pourquoi le collège national des généralistes enseignants a-t-il recommandé aux médecins de ne pas tenir compte des instructions officielles dans le traitement de la maladie de Lyme ?

M. Michel Amiel. - Existe-t-il d'autres facteurs de gravité des formes disséminées de la maladie, à côté de l'immuno-déficience, en fonction du type de borréliose et des autres facteurs épidémiologiques ?

Dans mon cabinet, situé dans le Midi méditerranéen, j'ai vu des rickettsioses, des fièvres boutonneuses méditerranéennes, mais jamais je n'ai vu un cas de Borrelia... ou alors je suis passé à côté !

Mme Laurence Cohen. - Les départements ne sont pas toujours armés pour répondre aux interrogations sur la maladie de Lyme. Dans vos recherches très pointues, vous avez sans doute analysé la fiabilité des tests : les associations nous interrogent sur ces questions... Quelles mesures de prévention adopter ? Faut-il ne jamais se promener en forêt, ne jamais descendre dans son jardin ?

M. Benoît Jaulhac. - Les tiques sénégalaises sont une autre espèce d'ornithodore. Elles ne transmettent pas la Borrelia - mais les fièvres récurrentes, oui. Des personnes sont revenues du Sénégal avec une forte fièvre. Il convient de sensibiliser les médecins : toutes les tiques ne sont pas identiques, toutes les Borrelia non plus et il n'y a pas lieu de se focaliser sur l'une d'elles en particulier.

Pour les tiques sénégalaises, ce n'est pas un test sérologique qu'il convient de faire mais de la biologie moléculaire, faites circuler l'information !

Dans les régions méditerranéennes, il y a plus de fièvres boutonneuses que de Lyme. Les CHU, dans ces zones, voient des borrélioses lorsque des personnes reviennent de vacances dans l'ouest ou le nord de la France. Mais j'ai tout de même rapporté de Corse une tique porteuse de Borrelia ! La grande majorité des manifestations cliniques de la Borrelia, 85 %, sont des érythèmes migrants, des infections locales : la réponse immunitaire n'est pas la bonne, il ne faut pas se fonder sur la sérologie. Les recommandations françaises et européennes, pour la neuroborréliose, incluent la ponction lombaire, invasive mais qui fournit beaucoup d'informations. Si le patient la refuse, il est possible de lui prescrire un traitement large, de précaution. Mais il est important de pouvoir poser un diagnostic avec certitude, si ensuite le patient ne répond pas au traitement.

Mme Alexandra Septfons. - Je confirme à M. Amiel que la région méditerranéenne se caractérise par une faible incidence de la maladie.

Mme Julie Figoni. - La prévention primaire est individuelle, port de vêtements longs, à manches longues, clairs, pour mieux distinguer les tiques ; pantalons rentrés dans les chaussettes ou guêtres ; casquette pour les jeunes enfants, qui sont à la hauteur des grandes herbes où se tiennent les tiques - lesquelles ne tombent pas des arbres !

Il y a aussi les répulsifs, cutanés ou pulvérisés sur les vêtements (on y travaille à l'Anses). Et l'inspection corporelle est de mise au retour de la promenade ! Les tiques aiment les plis, les endroits humides, le cuir chevelu, le dos... Il faut répéter l'inspection, car les tiques les plus petites deviennent plus visibles lorsqu'elles se sont gorgées de sang.

Quant à la prévention secondaire, il faut retirer au plus vite la tique, au moyen d'un tire-tique, en tournant jusqu'à la détacher de la peau, d'une pince fine, d'une pince à épiler. Il est ennuyeux de laisser une partie sur la peau, mais il n'a pas été démontré que laisser la tête piqueuse comportait un risque, car les glandes salivaires sont dans le corps. Il faut bien sûr désinfecter...

Pour l'information de la population, Santé publique France a développé des outils, affiches qui peuvent être apposées en bordure de forêt, dépliants pour les adultes et pour les enfants. Le site de « Repères pour votre pratique » fournit beaucoup d'informations sur la prise en charge par les médecins. Santé publique France a développé des spots audio qui ont été diffusés en 2016, et les dépliants sont distribués chaque année avant le printemps, et fournis à la demande.

Les centres nationaux de référence sont mandatés par Santé publique France pour une durée de cinq ans, avec des missions en santé humaine. Il s'agit de surveiller des souches pathogènes et de Borrelia retrouvées chez l'homme, d'alerter en cas de détection d'un phénomène inhabituel ou grave (sur l'homme également), de rechercher et d'évaluer les tests diagnostics, enfin de participer à la surveillance vectorielle de sites très spécifiques.

Mme Céline Cazorla. - Au stade d'érythème migrant, en cas de doute, il est recommandé de prescrire des antibiotiques et dans la très grande majorité des cas, il n'y a pas de suites. La sérologie n'a pas de raison d'être à ce stade. Parfois cependant, des personnes n'ont pas fait d'érythème ou celui-ci a spontanément régressé se plaignent plus tard de problèmes neurologiques. Une maladie de Lyme non traitée peut entraîner des paralysies, rares, et au stade très avancé, de la démence - après un certain nombre d'années. Alors, les neurologues recherchent une maladie de Lyme, systématiquement, cela fait partie du bilan de démence. À l'hôpital, on se fie au CNR, qui dit quels tests sérologiques sont fiables.

En cas de douleurs multiples articulaires ou musculaires, un test sérologique positif (qui signale non une maladie active, mais la présence d'anticorps) aboutit à un soupçon de Lyme. Dans la Loire, beaucoup de patients ont une sérologie positive, en raison d'une forte endémie de Borrelia, et s'ils se plaignent de douleurs, on ne sait pas si elles relèvent d'une maladie réellement à rattacher à la Borrelia. Dans le doute, la combinaison des douleurs et de la sérologie positive commande un traitement antibiotique. Le HCSP le rappelle dans son rapport 2014. Le traitement doit être réévalué après un mois. Toutefois on peut faire remarquer que plus on prescrit d'antibiotiques, moins ceux-ci seront efficaces, par exemple pour les infections urinaires, beaucoup plus fréquentes... Il faut administrer les antibiotiques uniquement en cas de cohérence entre la biologie et la clinique.

La babésiose - la piroplasmose chez l'homme - ne provoque une maladie que chez les sujets qui ont des problèmes immunitaires, par exemple ceux qui n'ont plus de rate. Cela est donc rare.

La fréquence de la Borrelia dans notre pays, le degré d'infestation des tiques, ne justifient pas de donner un antibiotique après une piqûre de tique. Cela n'est pas conseillé, sauf pour les femmes enceintes -et encore, tout dépend du type d'antibiotiques- et pour les enfants s'ils sont piqués par plusieurs tiques.

Mme Muriel Vayssier-Taussat. - La tique qui transmet chez le chien la piroplasmose n'est pas la même qui transmet la maladie de Lyme.

En Guadeloupe et en Martinique, nous avons fait il y a deux ans avec le Cirad et l'Anses une étude sur la tique sénégalaise, fléau en santé animale, surtout pour les ruminants. Les résultats viennent d'être publiés, je vous enverrai les articles publiés il y a quelques mois.

M. Pascal Boireau. - Une évaluation a été conduite sur les produits répulsifs, dans le cadre de la réglementation biocides : l'efficacité de deux d'entre eux a été reconnue, ils ont reçu une AMM ; d'autres sont encore en phase de test mais n'ont pas encore obtenu l'AMM. Les insecticides favoris contre les puces sont sans effet sur les tiques. Celles-ci ont une digestion extracorporelle, elles doivent demeurer au même endroit plusieurs jours pour digérer les nutriments : c'est pourquoi il y a tout intérêt à les éliminer avec des systèmes développés.

M. Alain Milon, président. - Merci de vos propos très précis et instructifs. Nous pourrons enfin répondre à tous ceux qui se plaignent que rien n'est fait contre la maladie de Lyme : manifestement, beaucoup de personnes font beaucoup, et bien !

Audition commune sur les outils d'aide au diagnostic et le dépistage de la borréliose de Lyme : Professeur Christian Rabaud, infectiologue au centre hospitalier universitaire de Nancy, Professeur Yves Malthièry, ancien chef de service de biochimie et ancien directeur d'unité Inserm au centre hospitalier universitaire d'Angers, Docteur Hugues Gascan, immunologiste, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique, M. Alain Trautmann, immunologiste, président du fonds de recherche « BioTique » de la fédération française contre les maladies vectorielles à tiques

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la maladie de Lyme avec une table ronde sur les outils d'aide au diagnostic de cette pathologie dont nous avons bien compris qu'elle était complexe dans sa transmission. Son dépistage, biologique ou clinique, est capital pour orienter correctement les patients vers une prise en charge adaptée et réactive.

Nous accueillons pour la seconde table ronde de cette matinée : le professeur Christian Rabaud, infectiologue au centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nancy et président du groupe de travail de la Haute autorité de santé sur la borréliose de Lyme ; la professeure Catherine Chirouze, infectiologue au CHU de Besançon ; le professeur Yves Malthiéry, ancien chef de service de biochimie et ancien directeur d'unité Inserm au CHU d'Angers ; le docteur Hugues Gascan, immunologiste, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le professeur Alain Trautmann, immunologiste, président du fonds de recherche « BioTique » de la fédération française contre les maladies vectorielles à tiques.

Mesdames et messieurs, je vous laisse la parole pour un propos liminaire de 5 minutes. Puis mes collègues vous adresseront leurs questions, avec un impératif qui est de clore cette rencontre à 13 heures.

M. le professeur Christian Rabaud, infectiologue au CHU de Nancy et président du groupe de travail de la Haute Autorité de santé sur la borréliose de Lyme. - En amont de cette invitation, vous nous aviez adressé deux principales questions : l'une portant sur les tests et l'autre sur les manifestations cliniques de la maladie de Lyme. Comme infectiologue au CHU de Nancy, je me consacre davantage à la prise en charge clinique des patients qu'à la gestion des tests sérologiques que j'utilise au quotidien dans ma démarche de diagnostic. Si certaines manifestations ont été clairement associées à la maladie de Lyme, la présentation des patients n'est pas toujours aussi simple. L'accompagnement des patients exige de se fonder sur un ensemble de symptômes. J'ai par ailleurs présidé la mise en oeuvre du groupe de travail consacré à l'élaboration du protocole national de diagnostic et de soins (PNDS), qui représentait la troisième phase du plan de lutte contre la maladie de Lyme et a conduit ses travaux durant une année, d'abord sous la présidence de Jérôme Salomon, avant qu'il ne devienne directeur général de la santé et que je le remplace. Ce groupe a permis de mettre au jour de réelles divergences quant à l'approche de cette maladie.

D'un point de vue clinique, dans notre quotidien, les patients se rendent dans les centres de recours que sont les CHU avec un ensemble de symptômes et non un diagnostic de la maladie clairement établi. Ils s'interrogent sur l'éventualité de cette pathologie et non sur l'orientation thérapeutique. Notre prise en charge n'est pas seulement biologique mais également clinique. Elle peut alors conduire à réorienter les personnes vers une autre prise en charge spécifique ou, au contraire, à compléter le bilan avec des examens supplémentaires, dont la sérologie avec le test de dépistage Elisa, qui permet de vérifier si le patient a développé des anticorps contre la bactérie Borrelia ; ce premier test étant confirmé, en termes de spécificité, par un autre test, le Western Blot.

Notre pratique se limite à l'usage de ces deux tests, avant de proposer au patient, en cas de sérologie négative et de symptômes cliniques, une autre prise en charge multidisciplinaire destinée à déterminer la réelle cause de ses troubles. Des prises en charge multidisciplinaires ont ainsi été organisées à Nancy et Besançon. Elles associent divers spécialistes en fonction des signes présentés par le patient dans le cadre d'une prise en charge complète se déroulant sur une seule journée. C'est, à mon sens, un apport précieux pour les patients qui n'ont plus à connaître le temps d'errance et de solitude induit par la prise de rendez-vous espacée, dans le temps, entre divers spécialistes.

S'agissant de la place de la sérologie face à ces différentes situations cliniques, les spécialistes que nous sommes sont peu amenés à intervenir lors des phases primaires de la maladie ou les érythèmes migrants. Ceux-ci sont gérés par les médecins généralistes et sont généralement assez facilement reconnaissables : un simple examen clinique justifie alors un diagnostic et une prise en charge thérapeutique qui, selon nous, n'exigent nullement la réalisation de la sérologie qui peut s'avérer négative. Dans les phases ultérieures, avec quelques atténuations pour les phases précoces au niveau neurologique, si la sérologie ne permet pas toujours d'établir un diagnostic pour des patients présentant des manifestations cliniques d'une maladie de Lyme qui s'est installée de façon plus ancienne, elle permet, en revanche, de s'interroger sur le sujet. En effet, la sérologie permet de prouver le contact des personnes avec la bactérie Borrelia, sans pour autant que celles-ci développent la maladie de Lyme. Comme l'ont démontré des études de séroprévalence, des patients peuvent développer des anticorps, c'est-à-dire une réponse immunologique, sans présenter de signes cliniques. Il n'y a alors aucun sens de proposer un traitement. Dans le cadre d'un bilan standard, il est possible d'obtenir une sérologie de Lyme s'avérant positive. Il importe alors de prendre le temps nécessaire de dialoguer avec le patient et de répondre à ses questions, afin d'identifier d'autres troubles éventuels et de lui proposer des solutions adaptées.

M. le professeur Yves Malthiéry, ancien chef de service de biochimie et ancien directeur d'unité Inserm au CHU d'Angers. - J'ai exercé, durant de nombreuses années, au CHU d'Angers en biochimie et créé plusieurs unités Inserm en rapport avec la maladie de Lyme qui m'a intéressé, en tant que biologiste. La biologie interpelle de nombreux patients qui ne savent pas s'ils ont cette maladie. Celle qui est appliquée aujourd'hui s'avère quelque peu archaïque dans son application : certains tests, utilisés dans le diagnostic primaire, ont démontré leurs limites. À partir du dépistage, on s'interroge sur l'éventuelle poursuite de tests. Un examen biologique répondra seulement à la question qu'on lui pose. Un test Elisa permet apparemment de savoir si la personne présente des anticorps contre la bactérie Borrelia burgdorferi. Qualifier une maladie de Lyme uniquement à partir de la reconnaissance d'anticorps contre cette unique souche peut conduire à écarter des patients, dont la sérologie est négative, quand bien même ils présentent les signes cliniques de la borréliose. Le test Elisa est pratique, sensible et efficace, uniquement dans ce cadre. Une sérologie positive n'induit cependant pas la reconnaissance de la maladie de Lyme ; sa grande sensibilité pouvant toutefois engendrer des résultats positifs qu'il est toujours possible d'analyser avec un Immuno Blot. Par contre, les résultats « faux négatifs » de ce test Elisa n'empêchent nullement la présence de signes cliniques chez les patients qui peuvent également présenter des anticorps indétectables par le test utilisé. Là se trouve le vrai problème. La borréliose peut être contractée avec une autre souche que celle de Burgdorferi qui ne représente que 60 % des cas en Europe. Il faudrait ainsi inclure les autres souches pathogènes de détection dans les tests Elisa. Ainsi, avoir des anticorps ne signifie pas développer une pathologie. Les personnes, dont le résultat Elisa est négatif, tendent à être rejetées du cadre très rigide de la prise en charge de la maladie de Lyme.

Quelle démarche doit-on suivre ? Sur une infection précoce, les signes cliniques sont relativement simples, même si 30 à 40 % des cas sont indétectables. Sur les formes chroniques, les tests utilisés n'ont plus du tout la même pertinence, puisque l'organisme a évolué différemment. Pourquoi certains tests peuvent-ils s'avérer négatifs ? Une infection par une bactérie représente une agression qui provoque la réaction de l'organisme ; ces deux phénomènes expliquant l'existence de signes cliniques. La capacité réactionnelle de l'organisme à une infection renvoie à sa personnalité immunologique, à son terrain génétique -certaines personnes peuvent très bien se défendre contre des agressions bactériennes ou virales- ainsi qu'à des agressions environnementales multiples, comme l'interférence avec des co-infections provoquées simultanément par d'autres bactéries. C'est pourquoi 40 % des individus, qui ont contracté une borréliose, ne sont pas reconnus comme souffrants de la maladie de Lyme, sans pour autant que ne soit caractérisée leur pathologie. Il ne faut donc pas éconduire ces patients.

M. le docteur Hugues Gascan, immunologiste, directeur de recherche au CNRS. - Je suis immunologiste de formation et j'ai passé plusieurs années, après ma thèse, à Stanford, avant de diriger une unité Inserm à Angers pendant une quinzaine d'années, de même qu'une fédération de recherche, forte de 380 personnes, pendant dix ans. J'ai également animé la seule plateforme reconnue par l'État qui produisait des anticorps monoclonaux et m'a procuré une certaine compétence sur les tests Elisa. En outre, je me suis intéressé aux pathologies chroniques, qui longtemps ont été occultées par la médecine, et qui peuvent s'avérer inflammatoires, dégénératives, auto-immunes et tumorales. Pour des raisons familiales, je me suis intéressé à la maladie de Lyme. J'ai alors animé un projet de recherche qui a abouti, il y a dix-huit mois, au dépôt d'un brevet au CNRS avec une extension mondiale laquelle, à mon sens, donne de nombreuses clés sur la maladie, tant pour l'établissement de son diagnostic que de sa thérapie. Malheureusement, les controverses actuelles rendent difficiles la promotion de certains travaux. Enfin, j'assume les fonctions de secrétaire général de la fédération des maladies vectorielles à tiques qui rassemble 150 médecins impliqués dans le traitement de la forme complexe de la maladie de Lyme.

Cette pathologie n'est pas nouvelle. Des travaux remarquables, qui ont permis d'affiner sa compréhension, ont été conduits durant les années 80, comme l'illustre un reportage de la télévision française sur les entretiens de Bichat de 1987 où avait déjà été abordée cette pathologie. J'ai également participé aux travaux conduits par la Haute Autorité de santé (HAS) qui me semblent justifier de nombreuses interrogations.

Si l'agent pathogène de la maladie de Lyme est voisin de celui de la syphilis, elle n'est, en revanche, pas considérée comme progressive. Toute idée de chronologie doit ainsi être évacuée ; certains patients pouvant développer très vite des problèmes neurologiques d'une extrême gravité peu de temps après avoir été piqués, tandis que d'autres peuvent développer la maladie bien des années après. La tique peut être grosse comme une extrémité de doigt, ou avoir une taille de l'ordre du millimètre ; ce qui n'est pas sans donner lieu à de nombreuses incertitudes. Parallèlement aux travaux conduits par la HAS, un groupe relevant du département de la santé américain a réalisé un travail de synthèse destiné au Sénat des États-Unis, pour la préparation d'une loi de finances pour lutter contre les maladies vectorielles à tiques. Ce rapport reprend les grands points que nous avons évoqués aujourd'hui et ses conclusions s'avèrent voisines de celles de la HAS, tout comme des recommandations britanniques. Il est ainsi préconisé de mettre en avant le tableau clinique, et non la sérologie, comme preuve de la maladie.

Outre l'errance de patients qui sont orientés vers la psychiatrie malgré des signes cliniques avérés, 50 % des malades sont des enfants. La maladie de Lyme peut également être à l'origine de suicides : 1 200 suicides, en relation avec cette pathologie, ont été annuellement recensés aux États-Unis. La fédération des maladies vectorielles à tiques conduit actuellement ce recensement pour la France.

Il y a deux grands types de tests Elisa. Les premiers, apparus, dans les années 1950, s'inscrivaient dans une perspective probabiliste induite par l'application en épidémiologie des statistiques bayésiennes. Ils permettent ainsi de définir une probabilité d'être malade. Encore faut-il que l'agent pathogène soit à la fois virulent et unique ! Ces Elisa ne sont cependant pas calibrés, faute d'un étalonnage. Depuis les années 80, il est possible de mesurer les molécules et ainsi de les quantifier à l'aune d'unités reconnues à l'échelle internationale. Les Elisa ne disposent pas de maîtres étalons et répondent à trois catégories : positif, négatif ou douteux. En outre, avec trente-deux marques différentes d'Elisa, il est impossible de comparer ces tests, faute de l'existence d'un standard purifié et ainsi de préciser le seuil au-delà duquel la séropositivité est avérée. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) se contente de fournir des recommandations d'ordre commercial. Mais, rien n'existe sur l'acuité et la sensibilité, pondérale et non statistique. Les résultats selon les marques des tests ne sont pas uniformes. Imaginez le tollé que provoquerait une telle situation sur le Sida ! Outre cette absence de standard, l'ensemble des pathogènes n'est couvert par aucun kit Elisa. Enfin, 30 % des personnes ne développent pas d'anticorps lorsque la bactérie pénètre leur organisme. Ainsi, seulement 50 % des cas de borréliose peuvent être détectés par le test Elisa. Les signes cliniques, au niveau de la HAS, prévalent, et non le résultat de la sérologie Elisa.

Sur la recherche, le plan Lyme a débuté en septembre 2016. Les deux derniers projets ont été lancés au printemps 2016. Depuis lors, aucun financement n'a été accordé, en France, à la recherche sur cette pathologie ; ce qui contraste avec l'effort financier consacré aux États-Unis, notamment autour de l'université Stanford, sur cette question.

M. le professeur Alain Trautmann, immunologiste, président du fonds de recherche « BioTique » de la fédération française contre les maladies vectorielles à tiques. - Les médecins ont des avis opposés sur cette pathologie. La population est inquiète et une controverse s'est installée, principalement pour deux motifs : biologique et humain. En effet, la bactérie Borrelia est complexe et son intrusion dans l'organisme entraîne une maladie difficile à traiter. En outre, à la division des médecins sur le traitement à apporter à cette maladie, s'ajoutent les fausses informations propagées par certains.

La complexité de Borrelia résulte de ses différentes formes : elle peut prendre une forme spirochète et atteindre une taille de plusieurs centaines de microns, ce qui en fait une bactérie d'une taille importante. Cette bactérie, comme toute bactérie, peut entrer en forme dormante afin de résister aux agressions, comme les traitements antibiotiques. Cette forme dormante n'est pas reconnue de la même manière par l'organisme que la forme spirochète et n'induit pas la production, par l'organisme, d'anticorps spécifiques. La bactérie Borrelia n'est pas éliminée au terme d'un traitement antibiotique d'un mois, comme il a été démontré chez la souris, le singe et le chien. En réalité, le traitement de certaines maladies bactériennes implique des traitements prolongés, à l'instar de celui de la tuberculose qui exige la prise de sept antibiotiques en cocktail durant une période allant de huit mois à deux ans. Faut-il pour autant donner des antibiotiques à tout va ? Certainement, pas ! Les antibiotiques sont toxiques et s'attaquent à notre microbiote intestinal, certains patients atteints de la tuberculose pouvant décéder à la suite de leur traitement. Cependant, lorsqu'une personne souffre d'une maladie infectieuse grave, leur prescription s'impose !

Par ailleurs, la bactérie Borrelia ne se trouve pas, de manière pérenne, dans le sang puisqu'elle s'ingère très vite dans les tissus conjonctifs et cartilagineux. Cette présence complique, de manière objective, les tests de dépistage. En outre, cette bactérie perturbe profondément le fonctionnement du système immunitaire de la souris et il y a tout lieu de croire que c'est le cas chez l'homme. Enfin, aucun des trois symptômes principaux -la grande fatigue, les douleurs articulaires et les difficultés cognitives- n'est spécifique, de manière séparée, à la maladie de Lyme ; leur association peut en revanche être suggestive d'une pathologie, quand bien même la séropositivité serait négative.

Dernier point, la co-infection est la règle dans 85 % des cas de la maladie de Lyme; la présence d'autres pathogènes perturbe la réponse immunitaire et constitue ainsi un facteur aggravant.

Après les facteurs biologiques, il me faut évoquer les causes humaines de cette complexité. Certaines personnes, comme le Prix Nobel Luc Montagnier, qui préconise le traitement électromagnétique de la maladie de Lyme reposant, selon lui, sur la mémoire de l'eau, ou des thuriféraires de compléments alimentaires, peuvent propager de fausses informations et prétendent guérir de manière alternative cette maladie. D'autres personnalités, comme le président honoraire de l'Académie de médecine, le Professeur Marc Gentilini, prétendent que la maladie de Lyme chronique est tout bonnement une « arnaque » et que la bactérie Borrelia demeure très sensible, comme toutes les bactéries spirochètes, aux antibiotiques, un traitement court s'avérant, selon lui, efficace. Un autre professeur de médecine va également jusqu'à considérer comme absolue l'efficacité du traitement antibiotique de la maladie de Lyme qui ne peut, selon lui, dégénérer en affection chronique. Il conviendrait ainsi, toujours selon ce professeur de médecine, d'identifier d'autres causes aux symptômes cliniques que présentent les patients. J'en veux à ces personnes, qui s'appuient sur l'autorité de l'Académie de médecine et dissuadent, non seulement les médecins du département de l'Ain d'appliquer les recommandations de la HAS, mais aussi les pouvoirs publics à soutenir la recherche sur cette pathologie qu'ils estiment maîtrisée. C'est à mon sens une faute professionnelle que d'occulter les évidents problèmes engendrés par la maladie de Lyme ! J'espère, en revanche, que vos travaux déboucheront sur des recommandations en faveur du financement d'une recherche absolument indispensable.

Mme la professeure Catherine Chirouze, infectiologue au CHU de Besançon. - J'interviens comme clinicienne, et non comme biologiste, au CHU de Besançon. J'adhère à la démarche du diagnostic et aux examens ultérieurs pour caractériser l'hypothèse de la maladie de Lyme. Certes, au-delà des positions divergentes sur la définition d'un diagnostic et la prise en charge des patients, la recherche sur la maladie de Lyme connaît des problèmes de financements. Depuis deux ans, nous tentons de monter une cohorte destinée à rassembler des données et à assurer le suivi longitudinal des personnes piquées. C'est là une approche sans statistique. Nous sommes des cliniciens. Qu'advient-il lors du suivi dans la durée des personnes infectées ? À l'aune des données cliniques descriptives et de celles contenues dans les prélèvements conservés dans les bio-banques de sang et de tissus cutanés, il sera possible de combler les lacunes des physiopathologies et de faire avancer la recherche. Notre travail multidisciplinaire devrait permettre d'identifier de nouveaux pathogènes, à la suite de la démarche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), et de recenser l'ensemble des tiques et des infections.

La recherche présente également une dimension entomologique, puisque les tiques présentent de nombreux agents infectieux dont la transmission à l'homme fait encore question. Toutes les tiques sont-elles des vecteurs obligés de transmission ? Que proposons-nous aux personnes qui souffrent de handicap et, faute d'avoir été diagnostiquées au terme d'un parcours médical multidisciplinaire de longue durée, tendent à ne plus être pris en charge ? L'harmonisation de la prise en charge sur l'ensemble du territoire est un impératif. Il faut ainsi accompagner ces patients et les traiter efficacement.

Mme Élisabeth Doineau. - La maladie de Lyme fait l'objet de nombreux courriers que nous recevons en tant que parlementaires. Nous avons ainsi organisé cette série de tables rondes pour mieux comprendre cette pathologie. Vous avez souligné vos différences en tant que praticiens. Quelle est la raison de cette absence de consensus sur le syndrome persistant polymorphe après une piqûre de tique ? Quelles sont les raisons contradictoires qui ont amené les uns et les autres à se forger un avis différent, sachant que la notion de syndrome valide l'existence d'une chronicité de la maladie de Lyme ? Qu'en est-il de l'intelligence collective et de la recherche d'un dénominateur commun sur cette question ? Ma deuxième question portera sur la pluridisciplinarité dans les cinq centres régionaux. Leur nombre est-il d'ailleurs suffisant et ces centres contribuent-t-ils à la recherche ? Troisième question : les médecins généralistes sont-ils suffisamment formés sur cette maladie et travaillent-ils en lien avec ces centres régionaux ? Je m'interroge enfin sur les capacités de prise en charge des patients, diagnostiqués comme souffrants de cette maladie, sur le territoire national.

M. le professeur Christian Rabaud. - La prise en charge dans les centres a été développée localement. Ainsi, dans la Région Grand Est, tant à Besançon qu'à Strasbourg, le patient peut accéder, en une seule journée, à une réunion de concertation pluridisciplinaire qui permet de répondre à ses interrogations. Un appel d'offres, qui se termine le 31 mars prochain, a été lancé par la direction générale de la santé (DGS). Il vise ainsi la création de cinq centres de référence destinés à être associés aux cinq centres de compétences existants. Ces nouvelles structures auront également vocation à intervenir dans le domaine de la recherche et bénéficieront des travaux conduits par les centres existants. La DGS prévoyait également de labéliser, via les agences régionales de santé, plus de centres de compétence en France.

La formation, durant les études médicales, prévoit un temps consacré aux maladies infectieuses, parmi lesquelles la maladie de Lyme présentée comme la conséquence d'une contamination via la bactérie Borrelia burgdorferi transmise par les tiques. Celle-ci réclame d'ailleurs une approche différente que celle des encéphalites qui sont également des pathologies transmises par les tiques. Enfin, sur la recommandation de la HAS sur le syndrome persistant après la maladie de Lyme, personne ne nie l'existence de symptômes obérant la vie quotidienne des patients qui sont en quête à la fois d'explication et d'aide. Les parcours pluridisciplinaires permettent de prendre en compte les doléances du patient et d'arrêter un diagnostic qui peut être celui de la maladie de Lyme ou d'une autre pathologie. Il faut ainsi veiller à demeurer neutre dans la prise en charge du patient, de manière à éviter toute systématisation de la délivrance du diagnostic de la maladie de Lyme. Certes, le traitement prolongé de cette pathologie peut induire des effets secondaires et tout diagnostic d'un cas de cette maladie requiert la mise en oeuvre préalable de l'ensemble des examens et des démarches étiologiques. Il faut donc partir de la symptomatologie du patient.

M. le docteur Hugues Gascan. - Il y a un an, nous sommes parvenus, avec l'accord des sociétés savantes, à définir un syndrome persistant polymorphe, avant que certains en nient l'existence avec véhémence. Ce camp du déni s'est alors radicalisé. Cependant, la sévérité des symptômes simultanés et leur étalonnement posent problème à ces partisans du déni. La recherche est disparate. C'est un peu comme au football : vous avez des joueurs qui évoluent en Coupe d'Europe et d'autres qui jouent, le dimanche matin, en quatrième division. Il est préférable, face à une telle épidémie, que les animateurs de la recherche soient des professionnels confirmés. En France, nous disposons de centres de recherche de pointe, comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut Pasteur et le CNRS, et il convient de leur confier la recherche sur cette pathologie. Aujourd'hui, les malades chroniques qui seront recensés dans une cohorte pharaonique de plusieurs milliers de personnes, dans un programme soutenu à hauteur de cinq millions d'euros, vont endiguer toute autre possibilité de recherche ! Compte tenu du fait que ces malades sont clairement identifiés dans la littérature scientifique internationale, je suis férocement opposé à l'idée de cohorte pour le moment ! Une telle démarche n'est porteuse sur la connaissance à long terme de la maladie qu'une fois la maladie connue et les premiers traitements mis en oeuvre, comme l'illustre l'exemple du Sida. À l'inverse, prenons garde aux effets de ces cohortes, lorsque la connaissance de la maladie fait encore défaut. Je crois davantage aux appels d'offres thématisés qui peuvent être conjoints au ministère de la santé et à l'enseignement supérieur. L'axe n° 5 du plan arrêté par la ministre Marisol Touraine, à savoir la commission recherche, n'est toujours pas mis en oeuvre ! Faute de ce groupe de travail qui devait lancer des appels d'offres thématisés soutenus par les budgets que j'évoquais, on n'avancera pas !

Mme la professeure Catherine Chirouze. - Sur le syndrome persistant polymorphe après une éventuelle piqûre de tique (SPPT), qui a été un sujet de longue discussion lors de la définition du PNDS, des symptômes cliniques peu spécifiques peuvent s'avérer, s'ils sont simultanés, révélateurs de la maladie de Lyme. Dans la pratique clinique, ces troubles demeurent très fréquents et peuvent être associés à d'autres pathologies. Le risque est également d'enfermer les patients, qui présentent des troubles symptomatiques invalidants, dans un parcours de soins qui ne leur convient pas. Près de 15 % des patients présentant ces symptômes chroniques sont ainsi diagnostiqués comme souffrant d'une borréliose, dont celle de Burgdorferi est l'une des espèces possibles. Il est tout aussi important d'accompagner les personnes pour lesquelles il n'est pas possible de dresser un diagnostic. À titre personnel, je n'ai pas signé le PNDS, puisque je ne suis pas d'accord avec ce SPPT qui me semble enfermer les patients dans un parcours de soins inadapté à leur problématique.

Par ailleurs, l'axe stratégique du plan n° 5 désigne les cohortes comme un outil méthodologique permettant d'observer les phénomènes de manière objective et de proposer d'autres axes de recherche. Cette démarche de cohorte s'est avérée pertinente pour la recherche du traitement du virus d'immuno-déficience humaine (VIH). Notre recherche sur la borréliose de Lyme pâtit ainsi d'un manque de descriptions cliniques des états de nos patients et de ce qu'ils deviennent, faute d'une définition univoque d'un cadre nosologique.

Mme Michelle Gréaume. - Le conseil des généralistes enseignants a conseillé à tous les médecins de ne pas tenir compte des recommandations officielles dans le traitement de la maladie de Lyme. Pourriez-vous donner des explications sur cette décision, sachant que les conséquences de l'absence de traitement de cette maladie peuvent s'avérer, au niveau neurologique, très lourdes ?

M. le professeur Christian Rabaud. - Les recommandations que nous avons faites n'ont en effet pas été signées. À l'issue de cela, le DGS a demandé aux sociétés savantes, auxquelles s'associent les généralistes, de réécrire certains points. Ce travail est en cours. Certes, la situation est complexe. À ce jour, les recommandations de la HAS prévalent, mais pas forcément aux yeux des sociétés savantes.

M. le docteur Hugues Gascan. - La présidente de la HAS nous a confirmé que ses recommandations ne seront pas révisées.

Mme Corinne Imbert. - Nous avons bien compris l'importance de la clinique. Néanmoins, j'aurai quelques questions sur les tests. D'une part, dans la mesure où le test Elisa peut conduire à des « faux négatifs », ne faudrait-il pas systématiser le test Western Blot en cas de symptôme persistant ? Dans ce cas, l'assurance maladie ne devrait-elle pas prendre en charge le Western Blot, même en cas d'Elisa négatif, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ?

D'autre part, pour les patients dont la sérologie est négative, mais qui présentent des symptômes persistants, la recherche d'ADN de Borrelia par la réaction de polymérisation en chaîne (PCR) ne devrait-elle pas être proposée ? Quelle est ainsi la fiabilité de ces tests PCR ? Compte tenu de la mobilité de la Borrelia, dont certains estiment qu'elle peut se cacher en différents endroits de l'organisme, où effectuer le prélèvement -dans le sang ou dans le liquide céphalorachidien- afin de s'assurer de la fiabilité de la recherche par PCR ? Enfin, que pensez-vous des nouveaux tests qui suscitent un certain espoir, tels que le test urinaire « Nanotrap Lyme Antigen Test » dont la phase de développement a été accélérée par la Food and Drug Administration américaine, ou le test de recherche du bactériophage spécifique de la Borrelia ? De même, que pensez-vous des tests très décriés par la communauté scientifique et utilisés notamment en Allemagne, comme le test de la « goutte épaisse » ou le diagnostic bioénergétique pratiqué à Rostock en Allemagne ? Ne faudrait-il pas interdire au niveau européen ces tests qui demeurent très onéreux ? En outre, que pensez-vous des auto-tests disponibles dans nos officines ? Je note également que la somme de cinq millions d'euros n'est nullement mentionnée dans le plan défini en 2016. Or, quand un conseil départemental élabore un schéma pour l'autonomie ou la protection de l'enfance, la chambre régionale des comptes se fait un malin plaisir de reprocher à la collectivité concernée de ne pas avoir mobilisé les moyens financiers afférents ! Comme quoi, la chambre régionale impose à une collectivité, ce que l'État ne s'applique pas à lui-même !

M. Yves Daudigny. - Pourriez-vous rappeler l'évolution du nombre des tests Elisa et Western Blot en France au cours des cinq dernières années ? Quel est le coût respectif de ces tests ? Il semblerait par ailleurs que l'agence nationale de la recherche finance des essais de test cutané. Existe-t-il ainsi des projets de recherche de tests plus fiables et sensibles que l'actuelle sérologie ? Enfin, compte tenu du fait qu'un érythème migrant peut très bien ne pas donner lieu à une sérologie positive en dépit d'une infection, ne pensez-vous pas qu'il est prioritaire de sensibiliser les médecins généralistes aux indices cliniques de Lyme, même en cas de sérologie négative ? Êtes-vous, à cet égard, satisfaits des tableaux cliniques proposés par la HAS ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Les controverses que vous avez évoquées constituent-elles une spécificité française ? L'Allemagne est-elle plus en avance que nous dans la prise en charge des patients ? Pourquoi un tel déni de la Sécurité sociale, qui refuse de prendre en charge des soins ? Les agences régionales de santé comptent-elles mettre en oeuvre des actions de prévention s'appuyant sur des données sanitaires ? Enfin, existe-t-il une cartographie, département par département, des zones contaminées par la maladie ?

Mme Véronique Guillotin. - En raison des failles du test Elisa, ne faudrait-il pas rembourser l'usage, au premier chef, du test Western Blot ? Le dépistage d'autres souches de Borrelia est-il envisageable ? Comment sont traités les patients présentant des sérologies négatives et développant la maladie et, à l'inverse, ceux dont les sérologies sont positives mais qui ne développent, en définitive, pas la maladie ? Ceux-ci sont-ils suivis dans la durée dans un cadre méthodologique spécifique ? Quelle est également la définition exacte de la forme chronique de la maladie ; cette notion ne désigne-t-elle pas, au final, des formes tardives de la maladie de Lyme complexes et non diagnostiquées ? Au-delà de la prévention sur l'humain, la recherche fondamentale sur la maladie porte-t-elle, enfin, sur l'environnement ?

M. Daniel Chasseing. - Quel traitement prescrire durant les phases primaires de la maladie ? Doit-il être de longue ou de courte durée ? Sur les phases secondaire et tertiaire, la prise en charge pluridisciplinaire semble plus favorable aux patients. Enfin, en colonie de vacances, les enfants, dans la région Limousin où se trouvent énormément de tiques, peuvent être piqués par plusieurs tiques. Ne faudrait-il pas disposer d'une prescription d'antibiothérapie large destinée à la fois aux enfants et aux femmes enceintes, susceptible cependant d'entraîner des problèmes de réaction immunitaire retardée et obérer l'exactitude des tests ?

Mme Frédérique Puissat. - La loi peut-elle mettre un terme aux contre-vérités que vous évoquiez ? Quel rôle en ce sens pourraient avoir les parlementaires ?

Mme Victoire Jasmin. - Ne faudrait-il pas comparer la pertinence des différents tests de dépistage qui sont proposés aux patients, y compris dans le cadre des appels d'offres ?

M. Guillaume Arnell. - Les difficultés en matière d'aide au diagnostic ont été mises en exergue. Ne faudrait-il pas généraliser l'usage du test Western Blot ? Quelle est la durée d'incubation de cette maladie et à quel moment faut-il faire le test de dépistage ? J'ai rarement entendu autant de divergences parmi des spécialistes. Tout n'a manifestement pas été élucidé sur cette maladie ! Où se situe la vérité sur cette maladie pour le patient ?

M. le professeur Christian Rabaud. - Au-delà des divergences, la maladie de Lyme présente de nombreuses inconnues. Si personne autour de cette table ne nie l'existence de cette maladie, le périmètre de son identification peut cependant faire l'objet de divergences : est-elle imputable à un seul agent pathogène spécifique ? Tout le monde s'accorde sur le lien de cette pathologie avec la bactérie Borrelia burgdorferi et la possibilité de prescrire un traitement. Sur la sérologie et le diagnostic, je serai incapable de répondre à vos nombreuses questions. En tant que clinicien, les tests que nous utilisons aujourd'hui à l'hôpital sont estampillés et ainsi reproductibles, avec la réserve qu'ils visent à identifier ce type spécifique de Borrelia. Pour les autres tests que vous avez évoqués, je ne dispose pas d'une validation me permettant, dans ma pratique, de les utiliser en premier lieu. Le dépistage plus large que la bactérie Borrelia est un sujet plus large. Il faut opérer pas à pas, afin d'éviter une généralisation qui ne présenterait pas nécessairement de sens pour le patient. La découverte de la maladie peut être tardive et la chronicité de la pathologie ne m'apparaît pas aujourd'hui comme une réalité établie. En outre, les patients qui cumulent anticorps et signes cliniques, ne sont pas systématiquement diagnostiqués comme souffrant de la maladie de Lyme. Ces indices n'emportent donc pas la décision du médecin qui peut se retrouver confronté à d'autres décisions thérapeutiques. En effet, une fois en contact avec la maladie, les anticorps persistent, même si le patient peut développer d'autres pathologies intercurrentes qui n'ont strictement rien à voir avec la maladie de Lyme.

Quel est le bon moment pour faire le test ? Sur une forme cutanée, il n'y a aucun intérêt à faire le test. En revanche, sur une personne qui présente les symptômes analogues à ceux de la maladie de Lyme qui n'est par conséquent plus en phase primaire, mais en cours d'évolution et par conséquent à distance de la piqure qui a transmis la maladie, la sérologie Elisa n'est généralement pas prise en défaut. Pour autant, elle ne suffit pas, à elle seule, à établir le diagnostic. Je ne partage pas le taux de faux diagnostics qui a été annoncé par mon collègue. En outre, les formations destinées aux médecins généralistes sont très suivies, même si leur contenu peut différer en fonction des organismes qui les proposent. En Allemagne, les recommandations de la société d'infectiologie ne diffèrent guère des recommandations françaises. Si les praticiens peuvent décider d'utiliser d'autres tests à titre individuel, la vision globale reste la même. La non-prise en charge des soins par la Sécurité sociale ne me paraît pas, dans mon quotidien, un sujet. Dans la région Grand-Est, l'ARS organise des formations. Nous disposons de cartographie de l'épidémie, tant en France qu'au niveau européen. La prise en compte de l'environnement et la lutte anti-vectorielle, à l'instar de celle qui a été suivie pour éradiquer le paludisme, sont les parents pauvres de la recherche. Enfin, l'antibiothérapie pour les enfants, piqués à plusieurs reprises par des tiques dont on sait qu'elles sont porteuses de la maladie, ne paraît pas justifiée, compte tenu de son rapport risques-bénéfices. Il incombe aux médecins et des personnes entourant les enfants de rechercher tout signe attestant de la présence d'érythème migrant et, le cas échéant, d'offrir une prise en charge adaptée.

M. le professeur Yves Malthiéry. - La médecine évolue en matière de recherche de causes et de traitements. Il y a bien sûr un délai pour les tests, puisque le premier test Elisa ne teste pas l'intrusion de la bactérie de l'organisme, mais la réaction de celui-ci. Il faut ainsi attendre une quinzaine de jours après l'infection primaire pour constater l'apparition d'anticorps. Toute sérologie prématurée risque ainsi d'être fallacieusement interprétée comme négative. En revanche, il est assez difficile d'avoir en mémoire la date de l'infection primaire. C'est la raison pour laquelle il convient de doser deux types d'anticorps présentant une cinétique différente dans la production d'anticorps suite à une infection, afin de déterminer le début de l'infection. Une fois encore, il est certain qu'un tel examen ne doit pas être prématuré.

Au vu du coût social et économique représenté par les cas non diagnostiqués, prescrire un Immuno Blot ou un Western Blot bien construit, voire des types de réaction en chaîne par polymérase (PCR) d'amplification bactérienne, permettant de tester les anticorps sériques sur plusieurs souches bactériennes de Borrelia à la suite d'une infection, s'avère modique. Je ne comprends pas pourquoi un tel test n'est pas pris en charge en cas d'Elisa négatif ! La PCR, sophistiquée en 2005, est devenue routinière. Ce test ne permet de répondre qu'à la question posée. La maladie de Lyme ne peut être diagnostiquée sur un seul test ! Or, on ne fonde pas un diagnostic sur un seul test biologique ! On teste avant tout la réaction de l'organisme et ses particularités qui vont réagir de manière chronique et il est quelque peu illusoire de vouloir identifier l'agent pathogène à l'origine de cette pathologie devenue chronique. On commence seulement à obtenir des études de prédisposition génétique qui permettent de comprendre le comportement parfois abusif de certains systèmes immunitaires qui va donner lieu à certaines pathologies et connaître des problèmes d'auto-immunités, c'est-à-dire sécréter des anticorps qui vont se retourner contre l'organisme. C'est pourquoi, les marges pathologiques de certaines maladies chroniques, comme la maladie de Lyme, et certains processus auto-immunes peuvent s'avérer flous et ne sont pas, pour l'heure, assez étudiés.

M. le docteur Hugues Gascan. - Le test Western Blot devrait être proposé en première ligne. Sa sensibilité peut d'ailleurs être optimisée, grâce à la chimioluminescence qui n'est malheureusement pas présente dans les tests commerciaux actuels. Un test ainsi traité peut s'avérer extrêmement sensible et particulièrement révélateur.

Les tests sur les urines, qui sont apparus en 2017 aux États-Unis, suscitent l'assentiment, même en l'absence de recul nécessaire. Les tests de transformation lymphocytaires ont fait, quant à eux, l'objet de longs débats au sein de la HAS et n'ont pas été reconnus fiables, à l'instar des auto-tests, sans parler du test bioénergétique en provenance de Russie et des cures proposées dans certaines cliniques allemandes. Évitons la pensée magique ! Le dépistage de la babesia, qui est un co-infectant fréquent, n'est plus pris en charge par la Sécurité sociale depuis près d'un an. Or, des formes chroniques émergent de cette bactérie, comme j'ai pu en discuter, il y a deux jours encore, avec mes correspondants de l'école vétérinaire de Nantes.

M. le professeur Yves Malthiéry. - La babesia chez l'animal est à l'origine de la piroplasmose.

M. le docteur Hugues Gascan. - La composition génétique des individus doit être prise en compte : certaines personnes peuvent se débarrasser d'infections sans antibiotique et ne pas être malades, tandis que d'autres vont sombrer dans la maladie qui peut devenir chronique. Suivant la loterie de la génétique, vous êtes ainsi dans un cas ou dans l'autre, ce qui explique la présence dans certaines familles de patients chroniques et, chez d'autres, de l'absence, parmi des personnes piquées à plusieurs reprises, d'apparition de la maladie. Enfin, l'écologie a bénéficié d'un financement conséquent par le passé. 30 % des nouveaux infectés le sont dans les jardins et les enfants sont ainsi les premiers concernés.

M. le professeur Yves Matthiery. - Les forestiers et les randonneurs sont au premier chef concernés par cette pathologie que l'Inra étudie également.

M. le professeur Alain Trautmann. - Je défends la rigueur de la méthode scientifique. Une revue doit prendre en compte la totalité des résultats disponibles. Je ne détiens pas la vérité sur la maladie de Lyme qui demeure complexe. Sur les antibiotiques, au moment où l'on est infecté, le traitement recommandé d'une ou deux semaines est approprié. Son efficacité est totale lorsqu'on agit immédiatement. En revanche, les formes tardives de la maladie posent problème et concernent des personnes qui ont hébergé la bactérie depuis longtemps. Peu importe qu'elle soit considérée comme chronique ou épisodique, cette infection est la source de souffrances chez les patients.

Aux États-Unis, des travaux de recherche ont démontré que la doxycycline est efficace contre la forme spirochète de la bactérie Borrelia, mais pas du tout contre sa forme dormante. A l'instar du traitement contre la tuberculose, les deux formes de la maladie impliquent la prescription d'un cocktail d'antibiotiques. Je ne comprends d'ailleurs pas les motifs d'un tel blocage de la recherche en France sur ce sujet ! Ainsi, seul un projet, annoncé en 2016 et porté par Nathalie Boulanger à l'Université de Strasbourg, qui vise à identifier la présence de la bactérie dans la peau de personnes en présentant les symptômes chroniques, a été lancé et ses conclusions se font, pour l'heure, attendre. Il faut rechercher la bactérie directement, soit par PCR, c'est-à-dire via son ADN, ou par microscopie, et ne pas se contenter de la sérologie. Il faut trouver d'autres endroits pour prélever la bactérie que le sang.

M. Luc Montagnier a décidé de se situer en dehors de la science, en parlant de la mémoire de l'eau ; son prix Nobel n'est nullement le gage de sa pratique actuelle qui ne peut prétendre contribuer à la science. Point n'est besoin d'un texte de loi pour contrecarrer de tels écrits qui se sont soustraits du domaine scientifique !

Mme la Professeure Catherine Chirouze. - Les outils actuels pour établir le diagnostic de la maladie de Lyme me semblent, au contraire de ce qui vient d'être dit, performants, à la condition de les appliquer à bon escient et dans les délais impartis. Si la cinétique d'apparition des anticorps implique la possibilité de sérologie négative, les signes cliniques peuvent nous aider à établir un diagnostic. Par ailleurs, d'autres outils combinés, comme la sérologie et la PCR dont les résultats doivent être analysés avec précaution, permettent d'identifier les autres formes cliniques de Borrelia. Tout dépend également de l'endroit du corps où ces outils sont appliqués : selon qu'il s'agit du liquide céphalo-rachidien, du liquide articulaire ou encore de la peau, les performances de ces tests peuvent différer et s'avérer même en-deçà de ceux de la sérologie. A ce panel, il convient d'ajouter la synthèse intrathécale d'anticorps. L'ensemble de ces outils permet ainsi d'obtenir des réponses selon les phases de la maladie. On sait que plus on avance dans le temps de la maladie, plus on est performant dans son identification. Quand bien même la sérologie peut demeurer négative, la continuité de signes durant plusieurs années conduit à élargir le simple spectre de la borréliose de Lyme pour expliquer l'origine de ces symptômes.

Certains tests peuvent ne pas être réitérés. L'analogie avec le VIH est, encore une fois, pertinente. Les personnes qui souffrent de Lyme ne sont pas asymptomatiques ; elles sont déjà malades et l'on ne fait pas de dépistage, à l'inverse du dépistage du VIH chez les personnes asymptomatiques à risques, lequel, en cas de sérologie négative au bout de trois mois, n'a pas à être réitéré. A l'inverse, pour la maladie de Lyme, la conviction clinique l'emporte et la sérologie est répétée. En cas de résultat négatif, au docteur d'envisager d'autres hypothèses. Enfin, en cas de sérologie positive, les patients sont pris en charge dans un cadre protocolaire.

S'agissant de la prévention primaire, l'aménagement des jardins ou des espaces publics, qui se situent parfois en bordure des forêts où les cervidés participent à l'accroissement de la population des tiques, fait l'objet de recommandations, comme la pose de barrières, l'entretien des herbes basses, ou encore le dégagement des sols, afin d'éviter les gisements des tiques très sensibles à la dessiccation. Aux États-Unis, l'usage des pesticides est également recommandé. Néanmoins, je ne suis nullement compétente pour répondre sur la problématique écologique afférente à un tel usage.

M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup pour vos interventions qui nous ont permis de nous éclairer sur cette maladie de Lyme.

La réunion est close à 13 heures.