Mercredi 22 mai 2019

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 14h50.

Économie, finance et fiscalité - Wifi pour tous : communication de Mme Colette Mélot

M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, avant d'entendre la fondation Schuman, je vous propose d'écouter Colette Mélot présenter un premier bilan de l'initiative « Wifi pour tous ».

Comme nous l'avaient montré les travaux de Pascal Allizard et de Daniel Raoul sur le dernier paquet télécoms, la Commission européenne avait fait le constat d'une Europe connectée à deux vitesses, au détriment des zones rurales. Elle a fait de l'accès de tous les foyers européens, ruraux ou urbains, à une connexion offrant une vitesse de téléchargement d'au moins 100 Mégabits par seconde un objectif à atteindre d'ici à 2025.

En parallèle, et à l'initiative de son président, Jean-Claude Juncker, elle a proposé d'aider les municipalités européennes à offrir du Wifi gratuit dans les lieux publics. C'est l'initiative « Wifi pour tous ».

En mars 2018, nous avions nous-mêmes accueilli favorablement cette initiative qui vise à renforcer le lien entre l'Europe et l'échelon local de manière concrète. Une note de présentation de l'initiative avait été publiée et mise en ligne sur le site internet du Sénat. Pour sa part, le Gouvernement, via le Commissariat général à l'égalité des territoires, s'est lui aussi impliqué.

Quel bilan en tirer ? C'est ce que Colette Mélot va nous présenter.

Mme Colette Mélot. - Monsieur le Président, mes chers collègues, l'initiative « Wifi pour tous » - Wifi4EU en anglais - a été lancée il y a un an. Il me paraissait donc opportun, à la veille des élections européennes, de faire un point avec vous sur cette mesure à destination directe des communes.

Pour mémoire, voici ce que propose ce dispositif : il s'agit d'apporter une aide financière aux communes qui souhaitent installer une connexion Wifi gratuite dans les principaux lieux de la vie publique locale. C'est-à-dire les places et les parcs, mais aussi les bibliothèques, les hôpitaux, les stades et les principaux bâtiments publics.

Les conditions sont les suivantes :

- il ne doit pas y avoir une offre similaire pour la zone visée, qu'elle soit d'origine publique ou privée ;

- l'aide permet de financer du matériel et des équipements et, en échange, la collectivité s'engage à entretenir ledit matériel et à proposer le service pendant trois ans ;

- chaque commune peut recevoir jusqu'à 15 000 € et cette somme couvre jusqu'à 100 % des coûts éligibles ;

- les candidatures sont acceptées selon le principe du « premier arrivé, premier servi », assorti d'une répartition géographique équilibrée entre les pays. Chaque commune s'inscrit directement en ligne sur un site internet dédié, en réponse à des appels à candidature.

Depuis l'adoption du règlement, deux appels à candidatures ont eu lieu : le premier à la fin de 2018 et les résultats du second ont été annoncés la semaine dernière. Un troisième est prévu avant la fin 2019 et un quatrième aura lieu en 2020.

Un premier appel a donc eu lieu en mai 2018 pour l'attribution de 1 000 coupons. Une faille technique ayant permis à des communes de candidater avant l'heure d'ouverture de l'appel, la Commission européenne a décidé d'annuler la procédure. En conséquence, à l'automne 2018, elle a proposé d'attribuer 2 800 coupons pour un montant total de 42 millions d'euros. Sur les 21 500 communes enregistrées au préalable, environ 13 200 ont répondu à l'appel à candidature, dont 3 500 dans les 5 premières secondes ! Au total, on constate que 21 % seulement des demandes ont été satisfaites.

Dans notre pays, toutes les catégories de territoire ont été représentées, notamment tous les types de communes, les grandes comme les petites. Toutefois, le pourcentage a été moins bon que dans le reste de l'Europe. Si 2 116 communes étaient inscrites, seules 224 ont obtenu un coupon, soit à peine plus de 10 %. Ce faible nombre a amené le Gouvernement, par la voix de Jacqueline Gourault, à demander à la Commission européenne une modification des critères de répartition géographique. L'Allemagne était sur la même ligne.

La répartition géographique reposait en effet sur les règles suivantes : 15 coupons au minimum par pays et un maximum de 8 % du total, soit 224. En réponse à la demande de révision de ces règles, la Commission a décidé de relever le plafond à 15 % pour les appels suivants, soit 510 communes maximum par pays.

C'est dans ces conditions que s'est déroulé le second appel dont les résultats ont été publiés le 15 mai. 51 millions d'euros d'aides ont été attribués à 3 400 communes. Plus de 10 000 candidatures ont été enregistrées, on constate donc un taux de satisfaction de 34 %, soit nettement plus qu'au premier appel. C'est également le cas dans notre pays où plus de 410 coupons ont été attribués pour 1098 candidatures. Au final, 40 % de satisfaction en France, contre 10 % au premier appel, mais deux fois moins de candidatures !

Quel bilan en tirer à ce stade ?

Tout d'abord, le constat d'une action efficace de la Commission européenne. Au-delà du problème technique de départ, en un an, elle a attribué 93 millions d'euros d'aides à destination de 6 200 communes en Europe. Et les premières installations ont été faites, notamment dans l'Hérault.

Et cela répond à une demande ! Il y a un intérêt important des communes européennes pour la mesure, comme en attestent le nombre de candidatures et le fait que tout le monde a joué le jeu du « premier arrivé, premier servi ». Sur le second appel, 98 % des coupons ont été attribués en seulement 60 secondes !

Ce faisant, la Commission européenne réussit son pari, que nous avions soutenu, de créer un contact direct entre l'échelon européen et l'échelon local. Cette mesure très concrète permet aux maires d'offrir un nouveau service et de proposer du réseau gratuit pour tous.

C'est sans doute ce qui a incité les législateurs européens à porter le budget global du programme de 120 à 150 millions d'euros pour 2019-2020. Ce faisant, l'Union espère aider 9 000 communes, soit 10 % du nombre total de communes en Europe. Après le second appel, la Commission estime que dans certains pays, plus de 50 % des communes ont déjà pu bénéficier de l'aide. C'est le cas en Bulgarie, en Croatie, en Grèce, en Irlande, en Lituanie, au Portugal et en Slovénie.

Cependant, il y a des limites. D'abord, 10 %, ce n'est pas beaucoup. En France, les résultats pourraient être meilleurs. Il est encore trop tôt pour une analyse complète du second appel, mais pourquoi n'avons-nous pas atteint le nombre plafond de 510 coupons par pays, à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie ?

En outre, notre pays pâtit de deux caractéristiques qui le handicapent. Un tiers des communes d'Europe sont en France : 36 000 sur 90 000. L'augmentation du plafond du nombre de coupons à 15 % par pays ne suffira pas à couvrir nos besoins. Ensuite, pour proposer du Wifi à très haut débit, il faut que la commune bénéficie d'un réseau fixe à très haut débit de qualité. Or, nous savons très bien qu'une bonne partie de notre territoire ne profite pas encore d'une telle connexion, en particulier dans les zones rurales.

Rappelons-le, « Wifi pour tous » n'est pas là pour pallier cette carence. C'est une aide complémentaire, mais elle n'est pas censée se substituer à l'aménagement numérique du territoire. Et je rappelle que les fonds de cohésion peuvent aussi être utilisés pour le développement du numérique.

Quelles sont les perspectives ?

Au-delà des deux prochains appels qui attribueront encore près de 60 millions d'euros d'aide, l'initiative devrait être prolongée. La Commission européenne l'a en effet inscrite dans son règlement concernant le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe pour la période 2021-2027.

Bien entendu, cette enveloppe sera soumise aux arbitrages budgétaires dans les négociations à venir sur le cadre financier pluriannuel. Mais, somme toute, ce programme ne coûte pas très cher au regard du budget européen. Un effort de quelques centaines de millions d'euros pourrait être fait pour des aides limitées dans le temps. Par exemple, pour deux ans supplémentaires.

On peut aussi envisager de la voir évoluer. Elle pourrait être destinée en priorité à des communes qui en ont le plus besoin, soit en raison de leurs moyens limités, soit en raison de leur situation géographique. C'était déjà une demande de la France pour l'actuel dispositif. Or, actuellement, les critères empêchent les plus petits projets d'être éligibles. Dans mon département, sur 507 communes, il y a eu 28 candidatures lors du premier appel à projets et un seul élu : la ville de Chelles, une des plus grandes de la Seine-et-Marne. D'ici à 2021, on peut espérer que la quasi-totalité du territoire aura été couvert en très haut-débit et qu'on sera en mesure de proposer du Wifi presque partout.

Une autre piste pourrait constituer à ne pas prendre en charge 100 % des coûts pour augmenter le nombre de bénéficiaires. Dans ce cas de figure, un cofinancement pourrait être mis en place.

Enfin, la Commission européenne réfléchit aussi à soutenir des technologies autres que le Wifi, à l'avenir. Elle pense en particulier à la 5G et aux micro-antennes pour relayer l'internet fixe. Ces technologies vont devenir essentielles pour l'émergence des villes intelligentes, des véhicules autonomes ou à conduite assistée et, enfin, de l'agriculture numérisée. Il y a là un travail prospectif à mener, encore.

J'ajouterai enfin que la volonté européenne de proposer du Wifi gratuit est partagée par le Gouvernement. Il a clairement donné l'ordre aux préfets de recourir à la dotation de soutien à l'investissement local, la DSIL, pour renforcer la présence du Wifi gratuit dans des espaces où sont délivrés des services au public.

Pour mémoire, cette dotation dispose d'une enveloppe budgétaire de 570 millions d'euros en 2019. Certes, tout ne sera pas consacré au Wifi. Mais la couverture mobile des territoires s'inscrit dans le plan « France très haut débit » et dans le « Grand plan d'investissement ».

Les maires qui n'auraient pas vu leur projet retenu par l'Union européenne peuvent s'adresser au préfet de leur département et lui présenter ce projet. Il y aura des crédits disponibles pour les y aider.

Je vous remercie.

M. Jean Bizet, président. - Ce sujet est au coeur des problématiques de la ruralité. Chaque département est plus ou moins avancé en la matière, mais je retiens la dernière information donnée par Colette Mélot : en plus de l'aide européenne, avec la DSIL, on a des moyens financiers pour pouvoir faire face.

Mme Anne-Catherine Loisier. - J'aimerais mieux comprendre comment s'articule l'aide avec les dispositifs existants, afin de mieux relayer l'information auprès des maires. Pouvez-vous rappeler le nombre d'aides et à qui s'adresse précisément cette aide ?

Mme Colette Mélot. - Le maire est évidemment souverain pour choisir les lieux. Il faut que ce soit un espace public : un parc, une place, une bibliothèque, un centre social, etc...

224 communes ont obtenu un coupon pour 2 224 demandes lors du premier appel. 410, lors du second appel, mais il pourrait y en avoir plus grâce à un système de repêchage. Il aurait pu y en avoir jusqu'à 510, mais on ne sait pas encore pourquoi nous n'avons pu atteindre ce chiffre plafond. Je rappelle également que le coupon peut atteindre 15 000 € et il couvre 100 % du montant de l'installation.

Mme Nicole Duranton. - J'aurai juste deux questions pratiques. Avec les maires de mon département, nous parlons souvent des problèmes de couverture numérique. Mais je ne suis pas sûre qu'ils soient informés de l'existence de cette aide. Comment peuvent-ils s'informer ? Quels sont les critères de sélection ?

Mme Colette Mélot. - J'ai auditionné un représentant du Commissariat général à l'égalité des territoires, qui m'a fourni les cartes des résultats du premier appel. Le Commissariat prépare une brochure qui sera adressée aux élus locaux et aux parlementaires, car nous pouvons être des relais efficaces d'information. Et je rappelle qu'il y a un an, notre commission avait préparé et diffusé une note d'information.

La procédure est des plus simples : il y a un site internet sur lequel on s'inscrit. Puis, on est informé d'un appel à candidatures auquel il faut répondre. Toutefois, pour offrir un Wifi de qualité, il faut disposer d'une connexion à très haut débit, sinon la candidature ne sera pas retenue.

M. Jean Bizet, président. - Avec le rapport de Colette Mélot, nous avons l'occasion de mettre en valeur cette aide et d'informer dans nos départements. J'en retiens deux traits : un lien direct entre la commune et la Commission européenne avec un seul clic. C'est original et très simple. En outre, le concept du « premier arrivé, premier servi » a un effet d'émulation qui n'est pas négligeable. Nous avons là un contre-exemple à opposer à ceux qui trouvent que Bruxelles, c'est loin et c'est compliqué.

Le prochain appel d'offres étant à la fin de l'année, nous avons tout le temps de communiquer.

Mme Colette Mélot. - La volonté de la Commission européenne de simplifier au maximum la procédure est réelle. Mais je redis qu'il faut bien s'inscrire sur le site internet avant les appels d'offre.

M. Benoît Huré. - Je salue aussi une très belle opération et je voudrais dire que, généralement, ce ne sont pas les procédures européennes qui sont compliquées, c'est l'administration française qui les rend compliquées !

Je cite souvent un exemple que j'ai vécu d'un programme transfrontalier associant les Ardennes à la Wallonie, dans un premier temps, et devenu un projet Flandres-Wallonie. Sur ce même projet, entre la France et la Belgique, ont été élaborés nombre de documents rébarbatifs qu'il a fallu lire et remplir. Dans le même temps, entre la Belgique et les Pays-Bas, peu de papiers à remplir, peu de documents explicatifs et aujourd'hui, des crédits consommés, alors que ce n'est pas le cas chez nous !

Ce ne sont pas les autorités européennes qui compliquent les choses, mais une pratique bien française, certainement responsable en partie de la montée d'un populisme anti-européen. Et nous sommes coresponsables d'avoir laissé se développer l'idée qu'à chaque fois qu'on sollicite une aide européenne, c'est compliqué, ce qui est faux.

M. Jean Bizet, président. - Je partage hélas ce constat. Je vous propose de préparer un communiqué pour nous permettre d'informer aux mieux les maires sur les possibilités qui sont les leurs pour proposer du Wifi gratuit.

Institutions européennes - Étude confiée à la Fondation Robert Schuman sur les attentes des citoyens européens envers l'Union européenne : présentation par M. Jean-Dominique Giuliani, président, et Mme Pascale Joannin, directrice générale

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le Président, Madame la Directrice générale, Mes chers Collègues, nous voici à quelques jours des élections européennes. La campagne se termine et s'est trouvée une fois encore brouillée par des considérations étrangères aux enjeux européens, qu'il s'agisse de considérations de politique intérieure, de révélations sur le passé des candidats ou encore d'événements inattendus comme l'incendie de Notre-Dame de Paris.

Afin d'éclairer l'analyse de ce prochain scrutin, notre commission a souhaité faire réaliser une étude sur les attentes des citoyens envers l'Union européenne. Au terme de la consultation que nous avons lancée, c'est la Fondation Robert Schuman qui a été retenue pour réaliser cette étude, avec l'accord du Conseil de Questure. La Fondation disposait pour cela d'un délai très court de quatre semaines. Grâce à son réseau de correspondants en Europe, elle a toutefois réussi à relever ce défi.

Je vous propose donc d'entendre aujourd'hui Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman, et Pascale Joannin, qui en est la directrice générale, nous indiquer comment ils ont procédé pour réaliser cette étude et nous en présenter les conclusions.

Je leur laisse la parole.

M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de nous avoir fait confiance pour essayer de répondre à votre commande pour mieux cerner les attentes des citoyens européens. Il s'agit dans votre idée des citoyens de l'ensemble des pays de l'Union. En quatre semaines, le défi était difficile à relever. Nous l'avons fait d'abord à partir de l'étude exhaustive des enquêtes d'opinions réalisées au niveau européen et national ; ensuite nous avons interrogé nos correspondants en leur envoyant un questionnaire, puis par téléphone. Enfin nous avons consolidé les consultations officielles de la Commission européenne, consultations citoyennes et autres études sur les attentes des citoyens à l'égard de l'Union.

Nous avons ensuite travaillé cette abondance de sources au sein de la Fondation. Ce que nous vous remettons est donc une interprétation par nos experts de ce que nous avons constaté auprès de ces différentes sources. J'insiste sur ce point : il ne s'agit pas d'un relevé des enquêtes d'opinion, il y aurait plus compétent que nous. Dans un grand journal du soir, vous avez certainement vu une enquête IPSOS réalisée sur les attentes des Français. Nous avons essayé d'élargir le périmètre et les résultats sont en conséquence un peu différents.

Nous avons, dans cette étude que je vous résumerai, constaté trois grandes tendances apparemment contradictoires.

Tout d'abord, nous avons constaté dans les sondages et les études que le projet européen enregistre en ce moment un niveau record de soutien lorsque les citoyens sont interrogés sur ses fondements, sa pertinence et le bénéfice qu'en ont tiré les États membres. Jamais, depuis 1982, les eurobaromètres n'ont été aussi positifs sur le bénéfice de l'appartenance et la confiance dans l'Union européenne.

Pour autant, des inquiétudes très marquées apparaissent, qui portent autant sur le fonctionnement de l'Union européenne, son avenir que son environnement géopolitique.

Enfin, il y a une forte demande chez les Européens de politiques européennes plus efficaces sur des thématiques sur lesquelles je reviendrai.

Tout d'abord, un niveau record de soutien au projet européen. Selon l'Eurobaromètre, publié par le Parlement européen le 25 avril, 61 % des Européens estiment que l'appartenance de leur pays à l'Union européenne est « une bonne chose », contre 10 % qui estiment qu'elle est une « mauvaise chose » et 27 % de personnes qui ne s'expriment pas. 68 % pensent que leur pays a bénéficié de l'appartenance à l'Union, contre 23 % qui estiment qu'il n'en a pas bénéficié.

Question subsidiaire : en cas de référendum dans votre pays, voteriez-vous pour rester ou sortir de l'Union ? 68 % des personnes interrogées voteraient pour rester dans l'Union européenne et seulement 14 % pour la quitter. Le pourcentage en France est de 60 %. Deux États, l'Italie et la République Tchèque voteraient en majorité pour sortir.

Cette confiance dans l'Union européenne se retrouve dans la confiance dans l'euro qui atteint des niveaux historiques : 75 % des personnes interrogées membres de la zone euro se prononcent en faveur de l'union économique et monétaire, 67 % en Grèce, et 62 % déclarent soutenir l'euro, avec une opposition qui reste stable à 32 %. C'est un véritable plébiscite, dont on voit les effets partout, y compris sur les programmes des partis nationalistes nationaux qui ont abandonné la revendication de sortir de l'euro.

Cet attachement à l'Union européenne ne se traduit cependant pas par un intérêt pour les élections européennes. C'est quelque chose de surprenant. 35 % des répondants déclaraient qu'ils iront « très certainement » voter. Nous pensons qu'ils seront plus nombreux malgré la tendance de participation déclinante depuis 1979. Elle n'a été que trois fois supérieure à 50 % sur 8 scrutins.

Cette confiance dans l'Union peut être analysée à partir de plusieurs éléments. Certainement le Brexit, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, a eu un effet répulsif, y compris dans les États dirigés par des gouvernements eurosceptiques. En Pologne, en Hongrie, en Italie même, les citoyens manifestent encore leur confiance.

Parmi les motivations des citoyens, on retrouve un élément que nous pensions nous mêmes passé au second plan : la paix et la stabilité en Europe. Dans certains États et dans certaines études, l'inquiétude pointe que la paix entre les États membres de l'Union, les bonnes relations, la confiance puissent être menacées dans l'avenir.

En effet, c'est le deuxième élément, les citoyens expriment aussi des inquiétudes extrêmement fortes pour l'avenir de l'Union européenne. On constate ce même phénomène dans toutes les grandes démocraties de type occidental basées sur la représentation politique. Cela va de pair avec un rejet des partis et de la gouvernance traditionnels qui peut même aboutir à un début de remise en cause de la démocratie représentative elle-même. C'est en partie ce qu'on voit dans le mouvement des Gilets Jaunes. Pour autant, cette inquiétude ne s'étend pas jusqu'aux institutions européennes qui semblent à peu près épargnées par cette remise en cause. On peut invoquer à cela plusieurs explications. Ces dernières sont plus lointaines, elles sont moins directement en phase avec la gouvernance publique quotidienne. Les études réalisées sont globales et, sans être orientées, incitent toutefois plutôt à une indifférence positive. Les institutions communes enregistrent donc des scores d'approbation supérieurs à ceux des institutions nationales et cela dure depuis longtemps.

Parmi les inquiétudes très marquées, il y a la montée du populisme et du nationalisme. 61 % des répondants pensent que les partis protestataires ne sont pas la réponse aux défis à affronter et que leur popularité elle-même constitue un sujet de préoccupation. 53 % des citoyens s'accordent même pour affirmer que la montée des partis populistes en Europe est une menace pour le fonctionnement de l'Union européenne. On observe notamment que, dans les pays où les mouvements nationalistes ont enregistré le plus de progrès et dont les gouvernants contestent l'action des institutions européennes et leurs politiques, le taux de soutien à l'Union se situe au-dessus de la moyenne européenne (Hongrie, 61 % ; Pologne, 68 %). C'est donc une contradiction de plus qu'il faut décrypter.

Ces inquiétudes concernent aussi le contexte géopolitique général - sécurité, immigration - ou encore de manière très importante la situation économique et son avenir. Ce dernier point constitue globalement une préoccupation très importante, très prégnante qui arrive en tête des préoccupations des citoyens, devant l'immigration qui est en fort recul à la 4ème position des préoccupations des électeurs selon la dernière enquête IPSOS. Cela s'explique par la relative diminution de la pression migratoire. L'émergence la plus importante est aussi celle d'une demande de lutter contre le réchauffement climatique. La sécurité reste aussi une préoccupation prégnante. La demande d'efficacité des politiques publiques est toujours importante, indépendamment des sujets.

Les Européens expriment des souhaits globaux de politiques européennes plus efficaces dans des domaines qui relèvent, pour la plupart, de compétences nationales et dont les évolutions sont parmi les plus difficiles.

Une politique d'immigration européenne concertée demeure la principale demande des citoyens, mais elle apparaît néanmoins en recul.

La sécurité dans son acception globale est une forte préoccupation des citoyens, qui expriment des jugements globaux très favorables à des politiques communes en matière de défense ou de lutte contre le terrorisme.

La situation économique et la croissance restent parmi les interrogations exprimées à l'échelon européen mais sont désormais assorties d'un souhait d'harmonisation sociale bien général.

Enfin, est à noter l'émergence d'une forte demande d'action européenne dans le domaine de la protection de l'environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est la percée la plus spectaculaire dans l'opinion publique, qui ne s'est pas encore traduite dans les urnes mais apparaît déjà dans les études et les thématiques politiques.

On peut noter la confiance des citoyens européens dans l'Union européenne pour satisfaire un besoin de protection, en particulier en Allemagne et dans les pays du Nord de l'Europe.

Sur tous ces sujets, les études les plus approfondies montrent en même temps que les citoyens souhaitent que les États membres gardent leurs compétences en la matière. Ces contradictions constituent de ce fait, à l'évidence, pour les gouvernements et les acteurs politiques, des problématiques extrêmement difficiles à appréhender.

Les auteurs de l'étude ont été particulièrement marqués par les contradictions apparues au sein des sociétés politiques européennes, qui traduisent un grand trouble, fortement problématique.

Pour eux, les citoyens qui appellent en apparence de leurs voeux des politiques de protection renforcées, expriment dans le même temps leur confiance et leur inquiétude envers la dimension européenne des politiques publiques. Beaucoup, en particulier à l'ouest de l'Europe, souhaitent que les compétences sur ces sujets majeurs, comme la sécurité ou la politique étrangère, restent nationales.

Le besoin de protection exprimé par les citoyens cache selon moi un besoin de projection dans un contexte global incertain.

Voilà, Monsieur le Président, c'était donc un rapide survol de l'étude que nous vous avons remise et nous sommes à votre disposition pour en évoquer plus avant les détails.

M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie. De cette étude, j'ai retenu quatre points saillants : une approbation satisfaisante des citoyens à l'égard de l'Union européenne, le recul des inquiétudes quant à la politique d'immigration depuis le pic de 1,8 million de migrants atteint en 2015 et une crispation quant à la mise en place d'une véritable politique étrangère commune. Ce dernier sujet illustre le fait que l'Union européenne n'a pas atteint la dimension qu'elle devrait avoir. Enfin, le quatrième point que je relèverais est votre conclusion : oui à une politique de protection mais plus encore de projection. À cet égard, nous ne manquerons pas de l'évoquer dans un prochain rapport du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni mandaté par le président du Sénat pour réfléchir à la refondation de l'Europe.

M. Olivier Henno. - Merci pour la qualité de cette étude qui est réconfortante sur l'idée européenne. On entend qu'elle est en crise mais on se rend compte que les peuples y sont attachés. Vous avez utilisé à plusieurs reprises le mot de contradiction. Les adversaires de l'Europe du passé ne sont plus des adversaires frontaux de l'Europe mais des adverses biaisés.

Ils ne critiquent plus l'idée européenne en tant que telle mais ses fondements : l'économie sociale de marché, la démocratie représentative, la laïcité...

Les peuples n'ont-ils pas validé l'Europe en tant que puissance tout en mettant de côté l'Europe communautaire au profit de l'Europe intergouvernementale ?

M. Michel Raison. - Merci pour votre présentation. Ne pensez-vous que nous sommes allés un peu trop vite dans l'adhésion d'un certain nombre de pays de l'Union européenne ? J'aurais une deuxième question plus égoïste car elle concerne ma ville de Luxeuil-les-Bains. Robert Schuman y a tenu une réunion secrète en 1950, sous couvert de fêter le 14e centenaire de Saint Colomban qui y avait créé un monastère. Robert Schuman y a réuni quelques pays fondateurs et avait indiqué dans son discours, dont on a les archives, que le premier vrai européen pour réunir les peuples était Saint Colomban. En votre qualité de représentants de la Fondation Robert Schuman, vous êtes les bienvenus à Luxeuil.

M. Jean-Dominique Giuliani. - Monsieur le Sénateur, très volontiers. On soupçonne Robert Schuman d'avoir mené tellement de réunions secrètes que je suis très preneur. En réalité, c'était un homme de la frontière et les fondements de l'Union européenne ont été posés par des hommes des frontières, souvent catholiques pratiquants, comme Alcide de Gasperi et Konrad Adenauer, conduits par la seconde guerre mondiale à s'écarter de la vision administrative de Jean Monnet. Sur les 9 versions du discours de Robert Schuman du 9 mai 1950, la première diffère profondément de la dernière ; notamment, la phrase « L'Europe sera fédérale » a été remplacée par « l'Europe ne se fera pas en un jour ni dans une construction d'ensemble mais par des coopérations concrètes créant des solidarités de fait ». C'est comme cela que l'Europe continue à fonctionner. Nous avons dépassé le débat « fédéral versus communautaire ». Il y a des sujets sur lesquels l'Europe est fédérale comme l'euro, qui est plébiscité alors qu'il s'agit de la politique fédérale par excellence. Il y d'autres sujets sur lesquels nous sommes dans l'intergouvernemental. Schengen a commencé comme cela, d'abord à 2 puis 5 puis 24 puis, en 1990, les accords de Schengen ont été introduits dans le droit communautaire.

C'est une double leçon pour l'avenir. Tout d'abord il n'est pas évident que les citoyens, malgré leurs préventions, ne soient pas prêts à un grand saut fédéral sur un certain nombre de sujets. Dans tous les scénarios que nous étudions, il apparaît qu'il y aurait une solidarité européenne réelle en cas de grosse alerte de sécurité ou de défense. D'ailleurs quand, en 2015, la France invoque l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, aucun État membre ne manque à l'appel pour nous venir en aide. De même au Mali, plus d'une vingtaine de pays de l'Union sont représentés même s'ils n'interviennent pas de la façon dont nous le souhaiterions. Cette contradiction résulte de la validation de choix européens qui n'ont pas été faits dans le dos des citoyens mais par les parlements. On a compté, depuis les débuts de la construction européenne, 54 référendums et plus de 200 votes parlementaires pour adopter des traités, ratifier des accords. Rien n'a été imposé par décret-loi. Quand la démocratie représentative avance, généralement l'opinion la suit.

Il faudrait donc peut-être avoir le courage de vrais avancées européennes en sortant peut-être du cadre contraint de Bruxelles. Si les États membres se mettaient d'accord, ils auraient certainement un soutien populaire.

Mme Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman. - Sur la question sur l'élargissement, nous sommes peut-être allés trop vite mais il était difficile de refuser l'adhésion à ces pays qui respectaient les critères et les valeurs de l'Europe. C'était un signal politique fort de réunification du continent. En ce qui concerne les contradictions, les adversaires de l'Union sont multiples. Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, il n'y a pas un groupe homogène qui partage les mêmes opinions. Il y a des tentatives faites notamment par le ministre de l'intérieur italien qui voudrait fédérer les anti-européens mais ces derniers ne se supportent pas entre eux. Il y a donc plusieurs adversaires de l'Union. Ceux issus des pays fondateurs ont abandonné toutes les références à la sortie de l'euro car ils ont constaté que les citoyens étaient contre. Dans les pays d'Europe centrale et orientale, l'attachement à l'Europe est très fort et il n'y aura pas de coalition forte demain.

M. Benoît Huré. - Je voudrais vous remercier pour cet apport. Ce mouvement de fond d'attachement à l'Union est rassurant mais devrait être plus médiatisé. L'Europe s'est construite par projets, par à-coups et Robert Schuman envisageait le temps long. Vous avez dit que nos concitoyens seraient prêts à faire un bon fédéraliste sur telle ou telle politique. Vous avez mentionné notamment la défense. Le constat est que la France est en réalité bien seule au Sahel, tant en ce qui concerne les combattants que les moyens financiers. J'aimerais que vous nous précisiez votre analyse. Certes il y a un sentiment d'insécurité qui peut pousser au fédéralisme. Je parviens à envisager, dans l'Europe telle qu'elle est construite, des possibilités de grande coopération mais pas d'armée commune qui nécessiterait un chef qui doit détenir son pouvoir du suffrage universel. Vous avez mentionné les conditions dans lesquels sont arrivés les pays qui étaient sous la tutelle communiste. Il fallait les accueillir mais on aurait pu mettre plus de règles. Un ancien ambassadeur que nous avons auditionné dans un autre cadre expliquait qu'en matière de diplomatie, il ne faut jamais signer des traités sur la base d'espérance. Je pense que si on avait mieux précisé la notion d'État de droit, certaines difficultés n'auraient pas lieu d'être.

M. Jean-Dominique Giuliani. - Monsieur le Sénateur, vous avez raison. Nous Français, nous avons un consensus national autour de notre diplomatie et de nos forces armées que l'on ne retrouve nulle part en Europe, sauf peut-être au Royaume-Uni, et encore, l'armée britannique est en grande difficulté budgétaire. Nos partenaires européens ont tiré d'autres leçons de leur histoire récente, à commencer par les Allemands. Et c'est une bonne chose que les citoyens allemands soient devenus pacifiques, et encore plus pacifiques que nous. On ne peut pas leur reprocher d'avoir mis dans leur constitution, qu'ils respectent, qu'ils ont l'interdiction de faire des opérations extérieures. Il va falloir faire preuve d'imagination. Ceci suscite chez moi l'idée que l'évolution du projet européen se fera désormais en intégrant par l'exemple, plutôt que systématiquement par la même méthode : un accord intergouvernemental, une proposition de la commission, des législations... Je pense que l'évolution de la politique de défense européenne avec la coopération structurée permanente qui comprend aujourd'hui 25 États, s'est ainsi construite à partir d'avancées modestes de la France et de l'Allemagne. À l'origine, à Évreux, notre ministre de la défense et son homologue allemand avaient décidé de partager nos moyens de transport aérien militaire, ce qui a créé un choc chez nos partenaires. On a ensuite continué à avancer avec un projet d'avion de combat commun, de char commun, ce qui a créé un mouvement susceptible d'emporter d'autres partenaires. Cette méthode nous interpelle, nous qui avons un système politique de longue tradition. On doit comprendre que l'Europe, ce n'est pas la France en grand, que nous devons tenir compte de nos partenaires et que nous devons montrer l'exemple. Quand je discute avec nos militaires, ils en sont parfaitement conscients. Ils savent que l'on ne fait plus d'OPEX tout seul. Bien sûr nous avons la capacité de le faire mais pas de durer. Nous devons aussi tenir compte des contraintes des autres si l'on veut les entraîner. La position de la France en matière de sécurité, de défense et de diplomatie est en train d'irradier la pensée européenne. Mais cela se fait lentement. Le principe d'autonomie stratégique désormais accepté au niveau européen vient de France. C'est un concept français. Nous défendons même l'indépendance stratégique. C'est vraiment une nouveauté considérable. Ce sont les circonstances qui ont poussé nos partenaires à évoluer mais cela peut être difficile pour eux. Dès que l'on parle défense en Allemagne, c'est le Bundestag qui décide et les citoyens ne sont pas enclins à dépenser de l'argent pour l'outil militaire comme ils le sont chez nous. Deuxièmement, avant de céder la parole à Mme Joannin, je souhaiterais revenir sur vos propos. Quand vous dites qu'on a été imprudent avec les pays de l'élargissement en leur imposant seulement quelques règles, je rappelle qu'il s'agit quand même de 100 000 pages de Journal Officiel. Cela a été peut-être trop technocratique, trop économique, trop brutal mais il y avait aussi les textes des traités, et en particulier la charte des droits fondamentaux et la Cour de justice qui garantissent une situation moins dramatique que ce que l'on peut percevoir. On a ainsi vu la Cour de justice faire reculer la Pologne sur sa réforme de la justice suite à une décision en référé sur saisine de la Commission. Il faut bien comprendre aussi que ces pays retrouvent une capacité de gouvernance qui leur a été enlevée pendant des années et qu'il faut à cet égard un peu de compréhension.

Mme Pascale Joannin. - Pour revenir rapidement sur la question des pays d'Europe centrale et orientale, il y a une prise de conscience récente de l'Union européenne qu'en effet, au-delà des critères qui ont été mis en avant il y a une vingtaine d'années et de leur adhésion il y a 15 ans, il importe de remettre en avant le principe du respect des valeurs fondamentales, et en particulier de l'État de droit. La mise à l'index de certains pays pour non-respect du traité via l'article 7 du traité sur l'Union européenne est une chose récente : d'abord la Pologne, par la Commission, puis la Hongrie, par le Parlement européen, ce qui n'était pas chose facile. La Roumanie risque d'être inquiétée dans les prochaines semaines. On ne peut pas entrer dans l'Union européenne en disant qu'on a des droits. Ces droits sont assortis de devoirs. Le Parlement européen démocratiquement élu évoque pour la première fois l'idée de conditionner le versement des fonds structurels européens que reçoivent ces pays au respect des obligations qu'ils ont contractées en entrant dans l'Union européenne, en particulier concernant le respect des libertés, des valeurs fondamentales et de l'État de droit. Certains parlementaires évoquent la nécessité de régler cette question dans le cadre des négociations budgétaires 2021-2027 qui vont démarrer après le renouvellement des institutions. Il n'y a pas d'Europe à la carte. Il faut un respect plein et entier des traités. Les peuples de ces pays d'Europe centrale et orientale rappellent eux-mêmes à leurs gouvernements leurs engagements, comme on a pu le voir en Pologne lors des fortes manifestations ou comme on le voit en Roumanie en ce qui concerne la lutte contre la corruption.

M. Jean Bizet, président. - Merci Monsieur le Président, merci Madame la Directrice générale, les résultats de cette étude nous seront très précieux dans les mois qui viennent lors de la rédaction du rapport sur la refondation de l'Union. Vous avez employé tout à l'heure les mots fédéral, intergouvernemental. C'était il y a 10 ans un débat clivant. Il n'y a désormais plus de réponse binaire en la matière. Le pragmatisme l'emporte. Jean Arthuis, en tant que Président de la Commission des finances du Sénat à l'époque, avait été très clair en demandant une certaine dose de fédéralisme budgétaire. Et il a raison. Si l'on veut avoir une Union économique et monétaire qui tienne la route, il en faut une certaine dose. Enfin, à l'occasion du Brexit, il faudra projeter l'Europe sur une nouvelle architecture. L'Europe à plusieurs vitesses, en changeant éventuellement de terminologie, il faudra bien y parvenir ! En ce qui concerne nos amis britanniques qui ne sont qu'à quelques miles de nos côtes, il faudra les cantonner dans un deuxième cercle, le premier étant les pays fondateurs et les pays membres de l'euro. Il faudra également trouver une réponse et une place pour les six pays des Balkans qui frappent à la porte de l'Union européenne. Ils sont loin de réunir les acquis communautaires nécessaires mais ils sont sous zones d'influence russe, chinoise ou turque. Il ne faut pas les désespérer car ils peuvent concourir à la puissance de l'Europe. Merci encore pour votre travail !

Institutions européennes - Réunion du « Triangle de Weimar » à Berlin des 12 et 13 mai : communication de M. Jean Bizet

M. Jean Bizet, président. - Simon Sutour, Philippe Bonnecarrère et moi-même avons participé il y a dix jours à Berlin à une rencontre des commissions des affaires européennes en format Weimar : depuis octobre dernier, et grâce au Sénat polonais, le Sénat français est en effet associé à ces réunions qui permettent de dialoguer entre parlementaires allemands, polonais et français. Nous y avons assisté au côté de plusieurs de nos collègues députés : mon homologue Sabine Thillaye, accompagnée de Jean-Louis Bourlanges et de Michel Herbillon.

Cette réunion intervenait trois jours après le sommet européen de Sibiu. Il était donc prévu de consacrer cette première session de discussion à l'avenir de l'Union européenne : le compte rendu que je vous propose fera écho aux résultats de l'étude que vient de nous présenter la Fondation Schuman sur les attentes des citoyens envers l'Union européenne. Deux autres sessions étaient programmées : l'une sur le cadre financier pluriannel, et l'autre sur l'avenir de la politique européenne de sécurité et de défense.

La première session avait donc pour objet de traiter de l'agenda stratégique de l'Union européenne après le sommet de Sibiu. C'est Wolfgang Shäuble, président du Bundestag, qui nous a fait l'honneur de l'ouvrir et de l'animer. De son intervention liminaire, je retiendrais trois points saillants : il a insisté sur l'impossibilité de raisonner en franco-allemand depuis la chute du Mur, cette approche étant à ses yeux trop réductrice dans une Europe qui n'est plus seulement occidentale ; il a ensuite souligné qu'il était important que l'Union européenne ne parle pas du Brexit durant des années ; enfin, il a fait valoir que, dans une Europe à 27, tous les pays ont les mêmes droits, les petits comme les grands, mais les plus grands ont plus de responsabilités.

Nos collègues polonais ont d'emblée fait part de leur sentiment historique d'insécurité. Pour eux, la question de la sécurité est donc fondamentale, comme elle l'est en Roumanie ou dans les Pays Baltes. Leur indépendance est encore récente et ne leur paraît pas garantie : aussi jugent-ils importante la coopération au sein de l'OTAN, et décisive la politique énergétique qui influe sur la sécurité. La Pologne, qui fêtait, quasiment le jour de notre rencontre à Berlin, le quinzième anniversaire de son entrée dans l'Union européenne, dit se sentir encore coincée dans une logique d'adhésion, avec des normes fixées à l'Ouest. Si la réconciliation franco-allemande était la pierre angulaire de l'Union européenne, tous les États membres revendiquent aujourd'hui le droit de parler valeurs et de formuler des souhaits à l'adresse des autres.

Nos collègues députés ont rappelé que l'Union européenne était fondée sur un socle de valeurs, comme l'avait démontré d'ailleurs l'émoi partagé lors de l'incendie de Notre-Dame de Paris. Mme Thillaye a particulièrement insisté sur la valeur de solidarité et estimé que la question centrale pour l'avenir de l'Europe était de savoir quel sens et quelle portée les 27 voulaient donner à la solidarité, que ce soit en matière budgétaire ou en matière de défense. Jean-Louis Bourlanges a toutefois observé, au niveau européen et même mondial, une tension accrue entre les valeurs issues des Lumières, qui conduisent à une certaine audace scientifique qui peut bousculer l'éthique, et les valeurs chrétiennes qui tiennent à protéger la famille et s'inquiètent des manipulations génétiques. Puis il a souligné que cette tension ne divisait pas l'Europe en deux mais traversait chaque société européenne, ce qui devait conduire à beaucoup dialoguer, dans le respect mutuel, pour trouver des compromis acceptables. Il a ensuite appelé à distinguer entre ces débats d'ordre philosophique et la défense des valeurs fondamentales de la démocratie, qui ne consistent pas seulement en l'élection par la majorité du peuple, mais aussi en un encadrement libéral du débat politique, ce qui implique la liberté d'information, l'indépendance judiciaire, la liberté universitaire, le contrôle de constitutionnalité des majorités parlementaires et le respect fondamental de la personne humaine. Il a jugé que, si nos chefs d'Etat étaient de plus en plus divisés, nous, les parlementaires, partagions une même culture politique car nous représentons les citoyens et fonctionnons à la majorité qualifiée, à savoir la majorité des membres et pas seulement celle des votants.

Pour ma part, j'ai insisté sur le fait que l'Union européenne ne pourrait pas avancer tant que les décisions continueraient de se prendre à l'unanimité dans différents domaines essentiels pour son avenir. J'ai déploré le manque de réactivité de l'Union européenne ainsi que son manque de moyens, ce qui doit conduire à dégager de nouvelles ressources propres pour son budget.

M. Schaüble a lui aussi plaidé pour abolir le principe de l'unanimité, qui laisse à un seul pays la possibilité de bloquer tous les autres. Il a ensuite relevé que seuls les Polonais avaient évoqué les pays du Sud et insisté sur la responsabilité que nous autres grands pays européens avions, non seulement à l'intérieur de l'Union européenne, mais aussi à l'égard du Sud.

Nous espérions des échanges plus concrets pour les sessions suivantes, sur le cadre financier pluriannuel et la défense mais je dois avouer que nous avons été un peu déçus.

Sur le cadre financier pluriannuel, les Allemands ont apporté un soutien de principe à la politique de cohésion, en insistant sur le besoin pour les régions d'être soutenues, ce qui permet d'apporter la preuve de la valeur ajoutée de l'Europe. Seul le député AfD s'est distingué en proposant de supprimer les fonds de cohésion ! En réponse au plaidoyer que Simon Sutour et moi-même avons fait pour préserver la politique agricole commune (PAC), M. Kirchbaum, président de la commission des affaires européennes du Bundestag, a estimé que, si l'on devait bâtir l'Europe aujourd'hui, on ne commencerait pas par la PAC, qui était le principal défi après guerre mais ne l'est plus aujourd'hui, selon lui... Mon homologue du Sénat polonais, qui est du même parti que le président Duda, n'a pas apporté le soutien que nous pouvions espérer concernant la PAC : il a fait état du problème moral que lui posait la PAC et le protectionnisme en matière agricole, souhaitant même donner, je le cite, «une opportunité à l'agriculture africaine».

Sur la politique de défense, Philippe Bonnecarrère a courageusement posé les questions sensibles : comment développer une industrie européenne avec des séries importantes, autorisant des prix compétitifs, quand des pays comme la Pologne achètent du matériel américain ou quand d'autres, comme l'Allemagne, refusent les exportations d'armements vers des pays ne partageant pas nos valeurs ? Comment coopérer avec l'OTAN quand les Etats-Unis, fidèles à l' «America first», n'ont pas de politique étrangère mais bien d'abord une politique intérieure ? Les Polonais ont répondu qu'ils misaient sur l'OTAN tout simplement parce que les Etats-Unis avaient aujourd'hui la force militaire et que l'Union européenne n'en disposait pas en l'état actuel et que Donald Trump, même s'il nous insulte, reste plus proche de nous que la Chine. Ils ont jugé qu'aujourd'hui, la coopération structurée permanente (CSP) lancée en novembre 2017 pour développer ensemble nos capacités militaires s'apparentait plus, je cite, «à une bouée de sauvetage qu'à un porte-avions»!

Les Allemands ont apporté plus de soutien aux projets industriels communs en matière d'armement, ainsi qu'à la perspective d'une force européenne. Ils ont appelé à faire vivre la CSP, en créant à Bruxelles les conditions de son succès puisqu'il n'existe pas aujourd'hui de Conseil des ministres de la défense ni de politique européenne d'achats d'armements. A ce sujet, ils ont concédé la nécessité de revoir leurs restrictions internes pour élever la politique d'achat d'armements au niveau européen.

On peut regretter que certains sujets qui fâchent aient été soigneusement évités, comme par exemple la nécessité de construire une véritable union des marchés de capitaux pour donner à l'euro toute sa puissance. Cela n'est guère surprenant dès lors que notre hôte, M. Kirchbaum, mon homologue au Bundestag, a appelé à ne pas se concentrer sur nos divergences mais plutôt sur nos convergences afin d'avancer ensemble.

Finalement, nous avons très peu parlé de Sibiu ; il faut dire que les résultats de ce sommet sont maigres. Chacun en est resté à des considérations très générales ; tous ont déploré que la déclaration de Sibiu ne se réfère pas explicitement au principe de subsidiarité et ne mette pas plus en avant la nécessité que l'Union européenne apporte une plus-value concrète dans la vie quotidienne des Européens, ce qui apparaît de fait comme le meilleur rempart contre le populisme. Cette réunion à Berlin me semble toutefois avoir été utile en ce qu'elle a permis aux parlementaires de nos trois pays de mieux se comprendre, sans aucune exclusion des 24 autres bien sûr.

MM. Sutour et Bonnecarrère ne pouvaient être présents aujourd'hui et se sont excusés mais je sais qu'ils partagent mon inquiétude devant l'évolution de ces réunions au format Weimar et la baisse d'influence de la France. L'engouement provoqué par les trois beaux discours du Président de la République à la Sorbonne, à Strasbourg et à Aix-la-Chapelle n'a pas été suivi d'effets et c'est une grande déception. La France est l'un des rares pays à pouvoir écrire quelque chose de prospectif mais il faudra ensuite le porter plus loin. De leur côté, nos partenaires ne semblent pas dans la réflexion pour le moment.

Questions diverses

M. Jean Bizet, président. - Je voudrais enfin, pour la bonne poursuite de nos travaux, vous proposer quelques nominations :

- MM. Bonnecarrère et Leconte pourraient se pencher sur la question de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, question épineuse et lancinante puisque cette adhésion est prévue par le traité de Lisbonne de 2007 mais la Cour de Justice de l'Union européenne s'y est déclarée opposée en 2014 ;

- Mme Harribey et M. Pellevat sur l'accord d'association Union européenne-Suisse qu'il serait bon d'évoquer prochainement en commission, puisque l'Union européenne a conditionné la prolongation de l'équivalence boursière entre la Suisse et l'Union européenne au-delà de juin 2019 à un avis positif du Conseil fédéral suisse sur l'accord-cadre d'association.

Avez-vous une objection à la nomination de ces rapporteurs ?

Je ne vois pas d'opposition.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 16h40.

Jeudi 23 mai 2019

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 5.

Institutions européennes - Audition de Mme Marija Pejcinovic-Buric, vice-Première ministre de la République de Croatie, ministre des affaires étrangères et européennes

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui Mme Pejcinovic-Buric, vice-Première ministre de la République de Croatie, ministre des affaires étrangères et européennes. Nos deux pays entretiennent des relations anciennes, particulièrement en matière culturelle et scientifique. Ainsi, l'Institut français de Zagreb, créé en 1921, a été l'un des tout premiers du réseau culturel français en Europe.

Ces relations sont toujours plus vivantes ; elles se développent sur le plan économique, mais aussi politique : l'an dernier, nos deux pays ont signé le nouveau plan d'action 2018-2021 du partenariat stratégique France-Croatie lancé en 2010.

La Croatie est membre de l'OTAN depuis 2009 ; elle participe à la coopération structurée permanente, visage actuel de l'Europe de la défense, qui vient en complément de l'OTAN, et rassure les pays qui nous ont récemment rejoints. Nous sommes encore loin de ce que le Président de la République appelle l'« armée européenne ».

La Croatie est entrée dans l'Union européenne il y a plus de cinq ans, au terme de huit années de négociations d'adhésion au cours desquelles elle a toujours été soutenue par la France. Un long chemin a été parcouru. Le processus de transition n'est pas achevé ; la Croatie n'est pas encore partie à l'espace Schengen ni à la zone euro.

Votre pays connaît par ailleurs une croissance économique régulière, même s'il reste exposé à certains risques structurels persistants : un chômage et une dette élevés, que nous connaissons aussi en France, une démographie déclinante, une productivité faible et une économie informelle encore importante.

Surtout, votre pays joue un rôle précieux de stabilisation de cette partie de l'Europe. Il est activement engagé dans la coopération régionale. Avec le groupe de Viegrad, il participe à l'Initiative des trois mers qui rassemble douze pays européens de la Baltique à la mer Noire et à l'Adriatique autour de projets communs d'infrastructures, en particulier dans le domaine de la coopération énergétique, pour favoriser la pluralité des sources d'énergie et diminuer la dépendance énergétique.

En outre, votre pays soutient les pays des Balkans occidentaux dans leurs efforts pour adhérer à l'Union européenne. J'ai pu accueillir la semaine dernière une délégation de parlementaires albanais. J'ai rencontré trois femmes remarquables : Mme Hajdari, présidente de la commission de l'intégration européenne de l'Assemblée, Mme Kumbaro, ancienne ministre de la culture, et Mme Mesi, ancien vice-Premier ministre. Elles ont souligné les progrès accomplis par l'Albanie, notamment en matière de réforme de la justice, même si la corruption persiste dans ce pays.

Dès que les élections européennes seront passées, l'Union européenne devra se prononcer sur l'éventuelle décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Il s'agit d'une question d'importance stratégique, surtout quand on connaît les ambitions géopolitiques de la Chine, de la Turquie et de la Russie, voire de l'Arabie saoudite, dans la zone des Balkans.

À ce propos, j'ai eu l'occasion, lors de mon déplacement en Serbie l'an dernier, de me familiariser avec les méthodes employées par la Chine dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ». La réalité n'est pas aussi belle que le concept ! Les taux offerts sont très élevés et les modèles assez grossiers : en cas de difficultés à rembourser, les Chinois se rendent propriétaires d'infrastructures stratégiques. Le risque de dépendance est trop élevé. Je me réjouis que l'Union européenne ait enfin ouvert les yeux et ait mis en place, dans un délai très court, un règlement sur les investissements directs étrangers.

Je ne doute pas que ces questions géopolitiques se situent en haut de votre agenda, alors que votre pays se prépare à prendre, pour la première fois, la présidence du Conseil de l'Union, au premier semestre 2020.

La Croatie est déjà certainement impliquée dans l'élaboration du programme de cette présidence, avec la Roumanie, qui détient encore la présidence jusqu'à la fin du mois prochain, et la Finlande, qui en sera chargée de juillet à décembre. Le semestre où la présidence vous reviendra pleinement sera décisif : ce sera peut-être le moment de conclure les négociations sur le cadre financier pluriannuel, à moins qu'elles n'aient déjà abouti, ce qui semble improbable. Ce sera aussi le moment d'accompagner le lancement des nouvelles initiatives que prendra la Commission tout juste installée.

Je profite de cette opportunité pour insister sur l'importance à accorder au volet parlementaire durant votre présidence. Les parlements nationaux représentent une charnière précieuse entre les citoyens et les institutions européennes. Aussi, il convient de leur donner suffisamment de place pour qu'ils soient partie prenante des politiques européennes. Permettez-moi à ce titre d'attirer votre vigilance sur le déroulement des conférences interparlementaires qui seront organisées sous votre présidence, afin qu'elles se déroulent dans la confiance mutuelle et dans le respect des différentes nationalités et sensibilités politiques. Nous avons été déçus à cet égard par la dernière, qu'a organisée début avril la présidence roumaine à Bucarest et à laquelle deux de nos collègues ont participé.

Je vous cède maintenant la parole pour entendre votre vision du rôle et de la place de la Croatie dans l'Union européenne et connaître les priorités que votre pays entend poursuivre durant sa présidence de l'Union européenne.

Mme Marija Pejcinovic-Buric, vice-Première ministre de la République de Croatie. - C'est un grand honneur d'être parmi vous aujourd'hui. La Croatie, plus jeune membre de l'Union européenne, aura un grand rôle à jouer dans quelques mois. Merci d'avoir évoqué plusieurs éléments importants pour la Croatie, notamment notre appartenance à l'OTAN, dont nous célébrons le dixième anniversaire. Elle offre une stabilité très importante à un pays qui a récemment connu la guerre. Il faut imaginer la défense européenne, non pas en concurrence, mais en complémentarité avec l'OTAN.

Nos deux pays entretiennent des relations bilatérales de très haute qualité depuis toujours. Merci d'avoir mentionné l'Institut français de Zagreb, dont nous sommes très fiers. Nous avions adopté, en 2010, un cadre stratégique pour notre coopération ; nous en sommes au troisième plan d'action. Cet après-midi, j'en dresserai un bilan avec M. Le Drian ; nous examinerons aussi comment faire progresser encore ces relations.

Nos rapports commerciaux sont, eux aussi, en hausse, notamment grâce à l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. Il y a encore à faire. Vous avez mentionné les rapports avec la Chine et les « nouvelles routes de la soie », mais nous sommes aussi ouverts aux investissements français !

Notre dialogue politique est lui aussi très développé. Notre Premier ministre et le Président Macron se sont rencontrés l'an dernier ; un projet de visite de ce dernier en Croatie est à l'étude, si possible avant le début de la présidence croate de l'Union.

Nous nous préparons à cette première présidence ; nous la voyons comme une occasion de développer notre intégration, qui n'est pas encore achevée. Deux volets étaient très importants au cours des négociations d'adhésion : l'espace Schengen et la zone euro. Nous nous sommes engagés à les rejoindre, mais il nous faut remplir tous les critères.

Concernant l'espace Schengen, nous sommes presque à la fin de ce grand exercice. La Croatie a la plus longue frontière externe continentale de l'Union européenne ; la frontière avec la Bosnie-Herzégovine fait à elle seule plus de 1 000 kilomètres. Si on ajoute celle avec la Serbie, cela représente une frontière plus longue que celle entre la Finlande et la Russie. La garde de notre frontière est assurée par 6 500 policiers ; l'agence Frontex est déjà présente à Zadar pour sa surveillance aérienne. Les flux migratoires provenant de l'est de la Méditerranée passent par la Croatie. Notre frontière avec la Bosnie-Herzégovine est la plus fragile. Il est dans l'intérêt de tous que nous adhérions le plus vite possible à l'espace Schengen.

Quant à l'euro, nous avons commencé notre travail. Nous enverrons dans les prochains jours une lettre à la Banque centrale européenne pour signaler notre volonté d'adhérer au second mécanisme de taux de change européen (MCE II), où il faut rester quelques années avant d'adopter l'euro. Nous ne nous imposons pas de délais, mais notre ambition serait de rejoindre la zone euro dans quatre ans, même si déjà plus de 70 % de nos échanges se font avec la zone euro. Nous voulons donc remplir au plus vite tous les critères. C'est déjà le cas pour le taux d'inflation, mais nous devons encore baisser notre dette publique ; nous nous y appliquons chaque année.

Le cadre financier pluriannuel sera à coup sûr l'un des grands thèmes de notre présidence de l'Union. Il faudra voir comment l'appréhendera le nouveau Parlement européen, mais il nous reviendra très probablement d'achever les négociations. Le Brexit sera sans doute encore un sujet important pendant notre présidence.

Nous souhaitons également accomplir quelques pas en avant dans le domaine de la politique européenne de sécurité, très importante pour les citoyens. Il faut également travailler sur la politique d'asile. Nous voulons aussi agir pour la croissance et la numérisation de l'économie.

Enfin, nous estimons qu'il faut en faire plus dans le domaine de l'action extérieure de l'Union européenne. La Croatie est dans une région encore instable, comprenant plusieurs États qui, quoiqu'entourés de pays membres de l'Union, ne doivent pas être exclus du projet européen. Il faut être très prudent et encourager ces pays à continuer sur la voie des transformations. Les outils que nous avons utilisés pour notre adhésion sont les mêmes dont ils ont besoin pour leur transition. Si l'on ne fait rien, on laissera le champ libre à d'autres acteurs puissants. L'élargissement n'est pas un thème populaire en ce moment, mais il faut persévérer dans cette direction. Il ne faut pas perdre l'espoir !

Nous organiserons un sommet avec les pays des Balkans occidentaux durant notre présidence. Cela revêt aussi une importance symbolique. Vingt ans auparavant, en 2000, le Président Chirac a participé en Croatie au premier sommet européen en dehors de l'Union européenne ; c'est à cette occasion que la Croatie a entamé son chemin vers l'intégration européenne. Un nouveau sommet de Zagreb verra la Croatie, devenue membre de l'Union, offrir des moyens d'avancer aux pays qui sont encore en dehors. Il faut une approche politique de haut niveau pour leur montrer qu'ils ne sont pas oubliés, même s'il reste beaucoup à faire.

M. Jean Bizet, président. - La Russie et la Turquie exercent-elles des pressions dans cette région ?

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - La Russie exerce une influence très forte dans la République serbe de Bosnie, l'une des entités constitutives de la Bosnie-Herzégovine. Il semble impossible d'y former un gouvernement fédéral, car le futur chef de gouvernement, nécessairement un Serbe, refuse d'accepter le plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN. Au sein de l'alliance, nous avons beaucoup travaillé pour offrir ce plan, mais aux yeux des responsables serbes de Bosnie influencés par la Russie, l'OTAN reste l'ennemi, alors que d'autres veulent y adhérer.

La Turquie est elle aussi très présente en Bosnie-Herzégovine. L'année dernière, lors des élections en Turquie, le président Erdogan a tenu un grand meeting électoral à Sarajevo. C'était assez effrayant. Il contribue aussi à la construction de mosquées.

M. Jean Bizet, président. - Nous avons récemment fait savoir à M. Kaymakci, vice-ministre des affaires étrangères de Turquie que nous avons accueilli, à quel point le prosélytisme du président Erdogan dans le voisinage était intolérable. Notre dialogue a été courtois, mais extrêmement ferme. Nous ne sommes pas aveugles : de tels comportements ne sont pas dignes d'un pays qui veut entrer dans l'Union.

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - La Bosnie-Herzégovine est le pays le plus fragile de la région. On ne voit pas les choses avancer dans le bon sens, même s'il ne faut jamais dire que la voie européenne est fermée. La jeunesse veut aller vers l'Europe. Alors, ne cessons pas d'aider ce pays et de proclamer qu'il fait partie de l'Europe.

M. Jean Bizet, président. - Avec ses règles !

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - Évidemment, il y a beaucoup à faire encore. Pour la Croatie, l'intégration était la bonne voie, c'était la seule voie. Cela semblait assez facile : nous sommes un petit pays, sans trop de problèmes, et déjà assez ouvert. Au sein du ministère des affaires étrangères, dès 2000, quand j'ai commencé à y travailler, 70 % des fonctionnaires étaient titulaires de masters d'un pays de l'Union européenne. Nous étions une jeune équipe et nous y avons mis toute notre énergie : nous pensions rejoindre l'Union en 2007. Cela a pris six ans de plus !

M. Jean Bizet, président. - Nous avons été très déçus par les résultats du récent sommet de Sibiu. Le concept d'Europe à plusieurs vitesses vous paraît-il pertinent, surtout vis-à-vis des pays candidats ? On ne peut ni les intégrer tout de suite ni les laisser attendre dix ou quinze ans.

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - Ce serait très difficile à gérer dans ces pays. La voie est longue et très ardue ; si on leur parle ainsi, ils se demanderont à quoi bon tant d'efforts. Les autres puissances ne peuvent offrir rien d'équivalent à ce qu'offre l'Union européenne, mais les populistes font miroiter des réponses faciles à des situations difficiles. Le fonctionnement de l'UE est basé sur la conditionnalité : si vous faites ceci, vous recevrez cela. D'autres acteurs offrent beaucoup sans demander d'emblée, ouvertement, ce qu'ils veulent vraiment en retour. Il ne faut pas mentir, mais il ne me paraît pas judicieux d'offrir une adhésion au rabais.

M. Jean Bizet, président. - Il faudra trouver une solution, mais c'est très difficile.

M. Claude Kern. - Les pays candidats des Balkans ne remplissent pas aujourd'hui toutes les conditions de l'adhésion, notamment le chapitre 35 de l'acquis communautaire.

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - Le chapitre 31 est lui aussi important.

M. Claude Kern. - Absolument. Ces pays, ainsi que la Moldavie, se demandent pourquoi certains ont pu entrer dans l'Union sans remplir toutes ces conditions et, parfois, ne les remplissent toujours pas. On pense notamment à la Hongrie.

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - La Hongrie affirme justement que tous ces pays doivent pouvoir adhérer immédiatement ! C'est très dangereux.

M. Claude Kern. - Certains pays candidats attendent depuis beaucoup d'années et se posent des questions. Ils peuvent se sentir lésés. À quelle approche pédagogique pensez-vous pour les faire patienter sans succomber aux sirènes du populisme ?

M. Franck Menonville. - Dans quel climat se déroule la campagne pour les élections européennes dans votre pays ? Quelle participation prévoir ? Quels débats dominent ?

M. Pierre Cuypers. - Quelles sont les attentes de la Croatie concernant la politique agricole commune ?

Mme Marija Pejcinovic-Buric. - Il faut faire montre de pédagogie avec les pays candidats. J'ai travaillé trois ans en Serbie à un projet important pour leur adhésion. Je connais de l'intérieur les problèmes qui se posent. Au cours des dernières années avant notre adhésion, nous étions soumis à une pression similaire ; le processus avait déjà été formalisé après les difficultés rencontrées pour l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie. Chaque État membre devait donc donner son accord à chaque étape. En somme, la manière de négocier est devenue beaucoup plus lourde à partir du processus d'adhésion de la Croatie.

Nos voisins des Balkans, en particulier la Serbie, estiment que, en fin de compte, l'adhésion est une question politique, et non une question technique. Rien n'est technique qui ne puisse devenir politique ! Les négociations sont très politiques au départ et à la fin ; entre les deux, c'est un chemin très long et très lourd. La Serbie estime que son importance politique pourrait justifier d'assouplir quelque peu les exigences techniques, mais c'est problématique. En fait, les principales négociations se déroulent souvent à l'intérieur du pays candidat. Il faut donc être pédagogique : c'est pour eux-mêmes qu'ils accomplissent ces transformations. La perspective d'adhésion a un pouvoir de transformation énorme et accélérée.

Quant au climat dans lequel se déroulent les élections européennes en Croatie, je dirais que cela se passe mieux la deuxième fois que la première. En 2014, seul un quart des électeurs s'était déplacé. Nous espérons que les gens se rendront mieux compte, cette fois, de l'importance du scrutin, mais ils ne sont pas toujours convaincus. La Croatie aura onze ou douze députés européens, en fonction du Brexit. Huit ou neuf d'entre eux devraient appartenir aux deux partis de centre gauche et de centre droit ; un parti populiste de gauche devrait avoir un élu ; quant aux derniers, la bataille sera dure.

Concernant l'agriculture, M. Guy Legras, ancien chef d'un directorat général de la Commission, nous a beaucoup aidés. Notre position dans la négociation budgétaire à venir sera que l'agriculture, comme politique traditionnelle, doit conserver un poids important dans le cadre financier pluriannuel. Il est trop tôt pour diminuer son volume budgétaire. En même temps, une bonne balance entre les politiques traditionnelles et les nouveaux défis est importante. Nous sommes prêts à contribuer plus au budget si l'agriculture demeure, comme d'ailleurs la politique de cohésion, une des politiques importantes.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour ce dialogue très franc ! Votre présidence sera sans doute encore marquée par le Brexit, mais il nous tarde d'écrire une nouvelle page de la construction européenne. Bravo pour votre maniement de notre langue et la belle image que vous donnez de votre pays !

La réunion est close à 9 h 5.