Mercredi 27 novembre 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous devons examiner trois rapports pour avis pour le projet de loi de finances pour 2020. Nous commençons par celui sur les crédits « Recherche » de la mission « Recherche et Enseignement supérieur ».

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Nous examinons aujourd'hui un budget de continuité pour la recherche. Continuité, car les crédits poursuivent leur augmentation, de 2 % en crédits de paiement et de 3 % en autorisations d'engagement, pour atteindre près de 15,5 milliards d'euros. C'est évidemment bienvenu et il faut saluer cet effort.

Mais la continuité, en l'espèce, c'est aussi le manque d'ambition, car nous sommes dans l'attente de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche annoncée en février dernier par le Premier ministre.

L'enjeu est de taille car notre pays est à la traîne : notre effort de recherche - mesuré par la part de recherche et développement (R&D) dans le produit intérieur brut (PIB) - stagne depuis plus de trente ans, entre 2,2 et 2,25 % du PIB, loin de l'objectif que nous poursuivons depuis le début des années 2000, qui est de parvenir à 3 % du PIB. Or, des pays comparables au nôtre y sont parvenus, je pense, en particulier, à l'Allemagne. En valeur absolue, la situation est encore plus inquiétante : l'Allemagne dépense plus de deux fois plus que nous en R&D : 132 milliards de dollars contre 65 milliards de dollars en 2017 !

Il y a donc du chemin à parcourir. La recherche publique doit atteindre 1 % du PIB. Il faudra probablement lier la hausse des budgets publics à un assouplissement des règles régissant les organismes de recherche afin de renforcer leurs performances scientifiques et l'attractivité des carrières.

Mais le bât blesse surtout sur la recherche privée, en particulier en raison de la faiblesse de l'industrie dans notre structure économique. Mais, outre la politique industrielle, la politique de recherche et d'innovation peut inciter la recherche publique à travailler avec le secteur privé. L'un des enjeux de la loi de programmation sera de poursuivre le renforcement de ces liens et d'accroître la dynamique visant à passer du laboratoire au produit.

Même si le budget augmente, on aperçoit certaines incohérences. Le Gouvernement entend donner la priorité à l'innovation. Pourtant, le financement des aides à l'innovation octroyées par Bpifrance sur l'ensemble du territoire poursuit sa chute : il était de 250 millions d'euros en 2012 ; le Gouvernement propose un budget de 100 millions cette année, soit une baisse de 20 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Daniel Dubois avait alerté, dans son rapport sur le budget pour 2019, sur la nécessité de ne pas réduire davantage cette dotation, estimant qu'un point bas avait été atteint. Ces aides, qui s'inscrivent à un stade très amont, sont essentielles à l'émergence d'entreprises innovantes et peuvent être vues comme la base du continuum de financement que Bpifrance met en place depuis son existence. Autrement dit, c'est un maillon essentiel de la chaîne de financement des entreprises innovantes. Alors que notre pays essaie de bâtir un écosystème favorable, poursuivre la baisse de ces aides est un signal particulièrement négatif.

Cela a été dit lors de l'examen de la mission « Économie », les entreprises ont besoin de stabilité dans les dispositifs d'accompagnement. Les politiques en faveur de l'innovation doivent être stables et lisibles, sans quoi il s'agit de coups d'épée dans l'eau. Je vous proposerai un amendement pour limiter cette dynamique dangereuse.

Deuxième incohérence : le Gouvernement donne la priorité à la recherche collaborative, en renforçant le soutien aux Instituts Carnot. C'est bien, mais dans le même temps le financement des projets de recherche des pôles de compétitivité diminue et devient moins lisible. Les pôles sont aujourd'hui ballotés entre l'État et les régions sans que la transition ne soit organisée ni mûrement réfléchie. Cela se fait au détriment de leurs projets ! Il faut d'urgence clarifier la situation. Ce désengagement de l'État se traduit également à travers la suppression de la ligne budgétaire dédiée au programme Cap'Tronic, qui visait à la diffusion des technologies du numérique dans les TPE et PME de l'ensemble des secteurs industriels. L'État estime à nouveau que c'est aux régions de reprendre le flambeau.

Enfin, il semble que le Gouvernement ne respecte pas ses promesses. Il avait promis de sanctuariser le crédit d'impôt recherche. Il le rabote en se basant sur un rapport de la Cour des comptes qui date déjà d'il y a six ans ! Cette opération rapportera 230 millions d'euros. Mais aucune étude quant à l'impact de cette décision sur les entreprises n'a été réalisée !

Par ailleurs, je souhaite souligner, dans le prolongement des remarques de Daniel Dubois, le manque de lisibilité croissant de la politique de recherche et d'innovation. Aux crédits budgétaires s'ajoutent ceux des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII). Parfois, l'un prend le relais de l'autre, et inversement. Le dernier né de ces véhicules financiers, le FII, s'apparente, comme l'a déjà souligné notre collègue Alain Chatillon, à une débudgétisation. Ce sont ainsi 250 millions d'euros qui échappent chaque année à un contrôle systématique des parlementaires. Or, comme le PIA avant lui, il finance des dépenses qui relèvent pourtant clairement de la mission que nous examinons. Ces dispositifs sont mis en oeuvre par une multiplicité de structures : les ministères, le secrétariat général pour l'investissement, le Conseil de l'innovation, j'en passe ! Une rationalisation s'impose ! C'est un enjeu démocratique, celui de la transparence des fonds publics, mais aussi économique : comment rendre efficaces des dépenses dont personne ne parvient vraiment à effectuer le suivi ?

Je prendrai un exemple concret : le plan pour l'intelligence artificielle annoncé l'année dernière, et dont notre collègue Daniel Dubois avait analysé les prémices. Son financement est éparpillé dans différentes missions budgétaires, le PIA et le FII. Une annexe de suivi de ce plan devrait être fournie aux parlementaires dans le cadre de l'examen des lois de finances. C'est un enjeu absolument crucial pour la compétitivité de notre économie à long terme si nous ne voulons pas être dépassés, la moindre des choses est de tenir les parlementaires bien informés !

J'en termine par quelques points de vigilance sur le financement des organismes de recherche. Il est écrit dans le bleu budgétaire que les crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) augmenteront de 30 millions d'euros afin de parvenir à une hausse du taux de sélection de l'Agence et, ainsi, éviter de décourager les chercheurs à candidater à ses appels à projets. Mais nous votons un budget en baisse ! Et nous n'avons aucune garantie quant au montant qui sera effectivement versé car la hausse mise en avant par le Gouvernement dépend du taux de mise en réserve, lequel n'est pas encore arrêté ! Or, selon qu'il sera de 3 ou 4 %, on passera de près de 30 millions d'euros de hausse à près de 20 millions d'euros. La seconde hypothèse serait un signal particulièrement négatif.

Par ailleurs, les établissements de recherche doivent toujours faire face à un glissement vieillesse-technicité défavorable, estimé à 30 millions d'euros. Cela s'est traduit par la suppression de plus de 3500 ETPT entre 2012 et 2018. Le personnel de recherche ne doit pas être la variable d'ajustement !

Du reste, certains établissements de recherche connaissent toujours une situation délicate. C'est en particulier le cas de l'IFP-EN, qui voit sa subvention décroître à nouveau alors qu'une logique de stabilisation apparaissait jusqu'alors garantie. Le Gouvernement doit s'assurer de la stabilité de ses crédits afin que l'établissement puisse monter en compétence sur la transition énergétique et les énergies nouvelles.

Enfin, je m'interroge sur la capacité du Gouvernement à bien utiliser l'argent public. Après un audit de son fonds de roulement, le CNRS a identifié 90 millions d'euros comme étant libres d'engagement. À ce jour, il n'a pu en utiliser que 48. Autrement dit, 42 millions d'euros restent inemployés. Alors même que le CNRS souhaite les utiliser pour financer des dépenses de pré-maturation, des recherches interdisciplinaires et des doctorats, on le lui refuse.

Enfin, quelques mots pour finir sur une note positive : la fusion de l'Inra et de l'Irstea semble se passer dans de bonnes conditions. Une ligne budgétaire de 2,5 millions d'euros est d'ailleurs prévue pour financer l'alignement des régimes indemnitaires. Le nouvel établissement dénommé Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, sera le nouveau géant français de la recherche dans ces domaines, confrontés à des défis d'ampleur mondiale.

Malgré les incohérences et le manque de lisibilité de la politique du Gouvernement, force est de reconnaître qu'il fait un effort pour financer la recherche. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous soumets.

M. Daniel Dubois. - Mon expérience m'a appris que les entreprises doivent toujours anticiper, en particulier sur les nouvelles technologies. Le Gouvernement tient un discours séduisant sur l'innovation de rupture, mais les actes ne suivent pas. D'autres pays, comme la Chine, mobilisent des investissements colossaux. Je suis très inquiet pour l'avenir. Nous ne sommes pas au rendez-vous de l'économie de demain. C'est une erreur politique gravissime.

Au-delà de ces grandes orientations, je donnerai un exemple. Nous avons reçu le Président de la République pendant deux jours dans la Somme. Je l'ai accompagné à l'université Jules Verne, qui héberge le Hub de l'Énergie. Dans la continuité des travaux du professeur Tarascon, une équipe développe une batterie au sodium, qui n'utilise pas de terres rares. L'équipe a créé une jeune pousse prête à industrialiser le procédé, mais elle ne trouve pas les 20 millions d'euros nécessaires. Le Président de la République a été sensibilisé, espérons que cela permettra de faire avancer le dossier ! C'est donc au quotidien que l'État n'est pas au rendez-vous ! L'attrition des crédits finançant les aides à l'innovation de Bpifrance est inquiétante.

Mme Catherine Procaccia. - Je remercie le rapporteur qui a souligné des incohérences qui n'apparaissent pas au premier abord de ce budget. Il faut cependant saluer la hausse de ce budget, dans le contexte budgétaire que nous connaissons. Il y a d'indéniables progrès par rapport à la précédente mandature.

Sur l'ANR, il me semble que nous restons loin du taux de sélection de 25 %, ce qui décourage les chercheurs. Où en est-on exactement ?

Sur le spatial, j'espère que la ministre nous présentera ce qui aura été décidé à la réunion ministérielle de l'Agence spatiale européenne qui se déroule actuellement.

S'agissant du nucléaire, je me félicite du sauvetage du réacteur Jules Horowitz, mais je continue à penser que l'abandon d'Astrid est une erreur qui nous fera prendre vingt ans de retard...

Je regrette le manque de moyens de la recherche sur la chlordécone. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques avait publié un rapport sur le sujet il y a dix ans, l'Assemblée nationale vient de lui emboîter le pas. Des chercheurs me saisissent régulièrement pour signaler qu'ils ne parviennent pas à obtenir 15 à 20 000 euros pour mener à bien leurs projets ! Alors que cette molécule pollue les terres pendant plusieurs centaines d'années ! Il faut que les chercheurs puissent trouver comment détruire cette molécule, sans quoi nous n'avancerons pas.

M. Franck Montaugé. - Je souhaite attirer l'attention sur les moyens de recherche affectés au numérique. Nous ne sommes pas en avance... La commission d'enquête sur la souveraineté numérique a souligné cette déficience : nos efforts budgétaires sont insuffisants. Il faudrait financer beaucoup plus de thèses en la matière. C'est un enjeu qui concerne directement la compétitivité actuelle et future de notre économie, dont des pans entiers sont numérisés.

M. Daniel Gremillet. - On ne retrouvera une capacité industrielle dans notre pays que si nous soutenons nos entreprises. C'est la recherche qui alimente l'innovation et qui nous mettra, demain, en capacité de développer des industries qui nous permettront de retrouver une certaine indépendance.

Dans le secteur de l'énergie, notre fragilité sur les batteries est absolument stratégique. Le risque est de se retrouver dans une situation de dépendance qui s'apparenterait à ce que nous avons pu connaître par rapport à l'Opep. Des industriels sont prêts investir, notamment sur l'hydrogène. C'est un domaine stratégique ! On peut se satisfaire du niveau global du budget, mais on a du mal à percevoir les lignes directrices sur des sujets stratégiques détermineront la capacité de la France et de l'Europe à développer un outil de production industriel indispensable à l'économie de demain.

M. Fabien Gay. - Je partage le constat : nous sommes en retard sur un certain nombre de domaines : la 5G, l'intelligence artificielle... Nous devons réagir. Nous connaissons une véritable guerre économique. Avec la croissance exponentielle des objets connectés, celui qui détiendra les données détiendra le monde ! Il nous faut développer dès maintenant un outil industriel.

Je m'interroge sur le projet d'amendement évoqué par le rapporteur : comment s'articule-t-il avec le fonds pour l'innovation et l'industrie ? Il nous faut disposer d'une vue d'ensemble.

M. Marc Daunis. - Je ne suis pas certain que la précédente mandature ait été en retrait par rapport aux orientations du Gouvernement actuel sur la recherche. Je constate d'ailleurs que les avis du Sénat dénoncent les mêmes travers depuis longtemps, quel que soit le Gouvernement. Au-delà des déclarations politiciennes, nous devons travailler ensemble pour ériger l'enseignement supérieur et la recherche au rang de priorités stratégiques. C'est ce que nous attentons tous ! Dans un contexte budgétaire contraint, il faut faire des choix et préparer l'avenir.

M. Martial Bourquin. - Nous faisons face à un mur d'investissements. Regardons ce qui se passe dans le monde : le projet Chine 2025, la politique protectionniste des États-Unis, les progrès de la Corée, du Japon et de l'Allemagne, notamment sur l'intelligence artificielle. Si nous ne mettons pas les moyens pour rivaliser, nous serons exclus du concert des grandes nations.

Je prendrai l'exemple de la transition écologique : ce budget n'est pas la hauteur ! Il ne s'agit pas de comparer un budget par rapport à un autre, mais de comparer ce qui se passe en France et ce qui se passe dans le monde. Nous sommes en train de passer du tout diesel au tout électrique... Mais nous devons laisser les choix technologiques ouverts. La filière hydrogène est une priorité. Nicolas Hulot avait prévu d'y consacrer 300 millions d'euros par an. La somme a été réduite à 100 millions. Nous baissons la garde, alors que les industriels sont prêts, comme Faurecia par exemple. Il faut que le Gouvernement soit au rendez-vous, aux côtés des entreprises et des universités !

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Le taux de succès des appels à projets de l'ANR était de 10,6 % en 2014. Aujourd'hui, il est de 16,2 %, mais nous restons loin des 25 %.

Le plan pour l'intelligence artificielle est effectivement d'une ampleur limitée. S'agissant des doctorats, selon mes informations, 50 conventions Cifre sont dédiées à l'intelligence artificielle. C'est trop peu.

Mme Sophie Primas, présidente. - On se trompe d'un zéro !

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Notre dépendance aux batteries électriques est effectivement un problème préoccupant. Nous attendons la mise en oeuvre concrète du plan du Gouvernement. C'est la même chose en ce qui concerne les panneaux solaires. Le CNRS travaille à des panneaux avec un rendement bien supérieur, qui nous permettraient de redevenir concurrentiels. Il faudra cependant accompagner le projet vers l'industrialisation. Il faut soutenir toute la chaîne, de la recherche en amont à l'industrialisation en aval.

Je rejoins Martial Bourquin : il faut travailler sur toutes les solutions technologiques et ne se fermer aucune porte. Cela suppose une politique de soutien ambitieuse.

Le fonds pour l'innovation vise à mobiliser 250 millions d'euros par an pour l'innovation. Mon amendement est beaucoup plus modeste : il confie 20 millions d'euros à Bpifrance pour des aides complémentaires à celles financées par le fonds pour l'innovation. En raison des règles budgétaires, je suis contraint de les gager ailleurs.

Comme l'a relevé Marc Daunis, l'enjeu est bien la constance et la stabilité dans les politiques publiques. Nous sommes en retard par rapport à la cible des 3 % de R&D dans le PIB. Malgré cela, nous parvenons à maintenir une recherche de pointe. Nos chercheurs n'ont pas suffisamment de moyens, leurs rémunérations sont insuffisantes. Être chercheur en France, c'est presque un sacerdoce !

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 38

État B

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - La ligne budgétaire finançant les aides à l'innovation octroyées par Bpifrance est régulièrement rabotée. Elle était proposée à 120 millions d'euros l'année dernière. Elle descend cette année à 100 millions d'euros. Un rapport d'inspection alertait sur la nécessité de ne pas descendre en dessous de 140 millions d'euros par an. Je rappelle l'effet de levier important de ces aides : entre 2,7 et 4,5. 42 % des fonds sont versés en dehors des métropoles. Les députés avaient voté un amendement similaire, seul le gage était différent - il visait les universités. Cet amendement a cependant été annulé suite à une seconde délibération demandée par le Gouvernement. Il nous faut envoyer un signal.

Mme Élisabeth Lamure. - Je suis favorable à ce qu'on maintienne ces crédits. Il n'y a pas que les start-ups qui innovent ! De nombreuses entreprises, industrielles notamment, innovent également et ont tout autant besoin de cet accompagnement. Quelle est la proportion des aides directes, d'une part, et des avances remboursables et prêts, d'autre part ?

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Environ 15 % de ces aides prennent la forme d'une subvention, plus de 30 %, celle d'une avance remboursable et plus de la moitié celle d'un prêt.

M. Pierre Cuypers. - Tout le budget a-t-il été consommé l'année dernière ?

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Tout à fait, bien avant la fin de l'année.

Mme Anne Chain-Larché. - Les aides octroyées aux entreprises ne comprennent parfois pas suffisamment de contreparties. Des millions d'euros peuvent être engloutis par des repreneurs d'entreprises qui n'obtiennent aucun résultat. Nous avons un cas de ce type sur notre territoire. C'est extrêmement choquant ! Il nous faut imposer des contreparties.

L'amendement AFFECO.8 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », ainsi qu'à l'adoption des articles rattachés, sous réserve de l'adoption de l'amendement AFFECO.8.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, avant d'aborder la discussion sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2020, je vous propose d'aborder un autre point.

Nous avons adopté, en juillet dernier, un rapport d'information présenté par notre rapporteur Fabien Gay sur l'affaire des faux steaks hachés distribués aux associations caritatives dans le cadre du FEAD.

Il est important d'assurer un suivi des recommandations que nous avons adoptées et, au besoin, de leur donner une traduction législative quand l'opportunité se présente. Cela fait aussi partie de notre travail de contrôle et je sais que vous y êtes collectivement attachés.

A cet égard, M. Gay souhaiterait vous présenter rapidement un amendement qui tire les conclusions de ce dernier et qui pourrait être examiné dans le cadre du projet de loi de finances sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». M.Gay, si vous pouvez nous présenter l'amendement rapidement.

M. Fabien Gay. - Merci Madame la Présidente. C'était la 18e recommandation de notre rapport qui disait que ce n'était pas aux associations de payer les conséquences de la crise dont elles ont été les victimes. Elles supportent des frais de stockage et des frais de rachat de steaks de substitution que nous avons estimés à plus d'un million d'euros en juillet dernier. La facture s'alourdit de jour en jour. Nous avons pris deux engagements : nous avons écrit un courrier avec vous, Madame la présidente, ainsi qu'avec les deux rapporteurs spéciaux de la mission, Monsieur Bazin et Monsieur Bocquet, au ministre Darmanin pour lui demander de débloquer la situation. Nous attendons son retour. Nous proposons en parallèle de déposer un amendement fléchant un million d'euros au sein de la mission pour que les associations soient très vite remboursées. J'ai revu les quatre associations et aujourd'hui ça pèse dans leurs finances. Elles sont très attentives à ce que de l'argent puisse très rapidement être débloqué. Je pense qu'elles seront très sensibles si nous pouvions signer très largement cet amendement. C'était la 18e recommandation de notre rapport, et c'est pourquoi nous ouvrons largement l'appel à co-signature. Je vous remercie Madame la présidente.

Mme Sophie Primas. - Merci beaucoup. Donc vous l'avez compris, appel à co-signature sur l'amendement qui était la 18e recommandation du rapport adopté à l'unanimité de notre commission.

Nous allons donc passer sur la mission  « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Je laisse la parole à nos rapporteurs pour avis : Laurent Duplomb, Françoise Férat et Jean-Claude Tissot.

M. Laurent Duplomb. - Merci Madame la présidente,

Je voudrais commencer mon propos par un point d'actualité. Vous savez qu'aujourd'hui beaucoup de tracteurs convergent vers Paris et que beaucoup de tracteurs seront en manifestation partout en France. Cela montre une fois de plus de plus le désarroi d'une profession qui ne sait plus à quel saint se vouer et, malheureusement, le budget de l'agriculture de cette année ne va pas apporter de réponses satisfaisantes à leurs demandes.

Je voudrais proposer, Madame la présidente, de rejeter ce budget de l'agriculture. Je présenterai la partie qui me correspond en trois points.

Le premier point est une satisfaction. Beaucoup de sénateurs ont lutté, ont signé des tribunes ou ont interpellé le Gouvernement ces dernières semaines pour contester la proposition de diminuer de 45 millions les recettes affectées aux chambres d'agriculture qui aurait lourdement pénalisé les chambres départementales. Le Gouvernement a reculé sur ce prélèvement qui n'était pas une économie pour l'État mais une très légère diminution des impôts des contribuables qui sont propriétaires de terrains agricoles. Cela représentait moins de 1 euro à l'hectare. Quand on sait que les agriculteurs propriétaires sont propriétaires de 50% au maximum des terrains qu'ils exploitent, cela représente 50 centimes d'économies par hectare exploité. Cet effet d'annonce dissimulait très maladroitement la réelle volonté du Gouvernement : diminuer le budget affecté aux chambres pour les forcer à évoluer sur le sujet de leur régionalisation. Je pense qu'après le mouvement des gilets jaunes et compte tenu du désarroi du monde agricole et du monde rural, ce n'était pas un bon signal. Les chambres départementales sont des outils de proximité. En faire des chambres régionales dans certaines régions qui sont des regroupements de 12 départements était une erreur. Le Gouvernement a également reculé sur sa proposition de supprimer les taxes INAO ce qu'il convient de saluer également. Il faut rappeler que les taxes INAO aident le développement des appellations. Je voulais commencer mon propos par cette double satisfaction.

Mon deuxième point consiste à dénoncer une fausse information sur ce budget. Si vous lisez comptablement ou mathématiquement le budget, vous verrez qu'il augmente de 172 millions d'euros mais si on entre un peu plus dans le détail, on se rend compte que l'augmentation n'est due qu'au réengagement pluriannuel des mesures agro-environnementales, comme cela avait déjà été le cas dans le passé, notamment dans le budget pour 2016. Les MAEC - les mesures agro-environnementales - augmentent, en autorisations d'engagement, de 168 millions d'euros. Ce n'est donc pas un budget en augmentation qui prend en compte le désarroi des agriculteurs : c'est simplement un budget reconduit d'une année sur l'autre, c'est-à-dire un budget qui conserve son rythme de croisière alors que je pense, au sens propre comme au sens figuré, que l'agriculture est loin de vivre une période de douce croisière.

Trois augmentations budgétaires sont à signaler mais elles sont subies : 6 millions d'euros concernant la prévention des dégâts causés par les prédateurs - ça ne favorise pas l'agriculture ; 10 millions d'euros de plus sur le Brexit qui entraînera un besoin de réaliser davantage de contrôles aux frontières sur les denrées alimentaires ; enfin, et c'est finalement la seule décision que le ministère aura prise cette année, 25 millions d'euros pour des dépenses informatiques et pour anticiper le recensement agricole. En clair, compte tenu de ces éléments, dire que le budget augmente pour faire face aux difficultés des agriculteurs est une fausse information.

Le troisième point constitue une réelle déception et c'est pour ça que je vous demanderai de rejeter le budget de l'agriculture. Dans ce budget, rien n'est fait pour préparer l'avenir de l'agriculture. Le budget de la mission devrait permettre, par les financements apportés, de tracer une stratégie, de dessiner un plan, d'accompagner l'innovation, le développement numérique, de  traiter des problèmes tel que la couverture des agriculteurs face aux aléas climatiques, ou de lutter contre la formation de déserts vétérinaires en milieu rural. Dans ce budget, rien ne permet d'ouvrir ces débats essentiels. Nous avons voulu, avec les deux autres rapporteurs, élargir nos auditions sur ces éléments plus prospectifs : nous avons reçu les professionnels des solutions de biocontrôle et les syndicats du machinisme agricole. Nous nous rendons compte que l'agriculture a fait d'énormes progrès ces dernières années - les équipements d'épandage des produits phytopharmaceutiques en sont l'exemple typique avec la mise en place des buses anti-dérive ; avec la mise en place de l'intelligence embarquée avec la géolocalisation, nous avons la coupure des rampes automatiques qui permet de ne pas avoir une double dose au même endroit, ce qui diminue mécaniquement la quantité de phytosanitaires de 10 à 30 %... Aujourd'hui, s'ouvre une nouvelle ère avec l'intelligence artificielle embarquée : nous pourrons, avec un même outil, reconnaître une mauvaise herbe devant le tracteur puis en temps réel, transformer la bouillie nécessaire avec le produit phytosanitaire nécessaire, au microgramme près, pour traiter uniquement la plante par la rampe du pulvérisateur. Cela permettrait de diminuer entre 70 et 90 % des volumes de phytosanitaires. Si ce n'est pas le ministère de l'agriculture qui se charge de développer ces outils, de les vulgariser et de permettre leur accès aux agriculteurs, comment peut-on traiter les problèmes de notre agriculture avec une ambition partagée, celle de diminuer les volumes de produits phytosanitaires utilisés ?

Faute de ces outils, on ajoute des contraintes à l'exploitant. À chaque fois qu'on fait cela, on ouvre les portes un peu plus grandes aux importations. N'oublions jamais que nous consommons un peu plus d'un jour par semaine des produits agricoles importés et que sans doute un quart de ces produits importés ne correspondent pas à nos normes. On se devrait d'avoir ces éléments en tête. Et, pourtant, le budget de l'agriculture n'y répond pas.

J'ai proposé un amendement sur le suramortissement en première partie de ce projet de loi de finances qui a d'ailleurs été adopté par le Sénat. Cet amendement de suramortissement permettra de guider les investissements qui seront faits par des filières agricoles qui gagnent de l'argent - actuellement celle du porc parce que les cours ont augmenté - de façon à les inciter à se poser les bonnes questions pour préparer l'avenir. Ce dispositif de suramortissement, travaillé avec les filières, permettra d'inciter à réduire les risques d'exposition aux risques climatiques, de diminuer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et d'améliorer la prise en compte du bien-être animal. Dans l'hémicycle, le Gouvernement a répondu que cela ne servait à rien parce que les agriculteurs avaient déjà l'épargne de précaution. Mais l'épargne de précaution n'a rien à voir. On ne peut pas dire aux agriculteurs il faut que vous épargniez pour préparer les aléas climatiques et les évolutions sanitaires et de l'autre côté leur dire on ne vous aide pas sur le suramortissement et sur les investissements pour l'avenir. Ce sont deux choses complémentaires et pas contradictoires. Ces éléments-là alimentent la légitime déception induite par ce budget.

Pour terminer, malgré un avis défavorable sur l'adoption de ce budget, nous pouvons déposer des amendements en notre nom afin de recueillir l'avis du ministre sur ces sujets en séance publique. Je vous proposerai, à cet égard, deux amendements d'appel. Le premier porte sur l'évolution des produits phytosanitaires. Aujourd'hui, il y a une ligne dans le budget du programme 206 qui permet de financer un accompagnement de la diminution des produits phytosanitaires qui est de 330 000 euros. Je vous propose dans cet amendement de la faire symboliquement passer de 330 000 à 1 330 000 euros.

Le deuxième amendement d'appel concerne les contrôles aux frontières sur les denrées alimentaires. On ne peut pas continuer à mettre autant de contrôleurs pour contrôler les exploitations en France, par exemple pour contrôler la surface cultivée d'une parcelle qui est toujours la même. Je propose qu'on puisse mettre ces contrôleurs aux frontières pour contrôler les produits importés qui ne correspondent pas à nos normes. C'est pour cela que je vous propose de passer cette ligne en ajoutant 3,4 millions d'euros qui correspondent à 100 ETP supplémentaires.

Petite anecdote sur les amendements que nous vous avions proposés l'année dernière. Ils ont tous été rejetés par le Gouvernement en séance publique mais finalement en partie mis en place pendant l'année.

Pour terminer, je vous propose donc de rejeter le budget de cette mission mais de voter favorablement sur le budget du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR). Actuellement, on a une vraie question à se poser sur le CASDAR. Traditionnellement, on donne un avis de sagesse ou on rejette le budget du CASDAR faute de lisibilité sur ce qu'il finance. Le budget du CASDAR c'est 136 millions d'euros sur les cotisations des agriculteurs. Ces 136 millions servent, pour une part, environ 40 millions, aux chambres de l'agriculture, mais également aux instituts techniques, aux différentes associations qui ont la capacité de faire des investissements et de l'innovation. Nous n'avons pas besoin de tirer sur le CASDAR. Si Bercy veut récupérer les 45 millions qu'ils n'ont pas pu avoir par la réduction de la taxe sur les chambres d'agriculture, le risque est que l'année prochaine, ils se focalisent sur le CASDAR. Si nous donnons un avis de sagesse ou si nous rejetons le budget du CASDAR, nous donnerions la possibilité au ministère de reprendre notre décision en soulignant que si nous le rejetons, nous ne sommes pas convaincus de l'utilité du budget du CASDAR. Nous devons au contraire démontrer notre attachement à ce système qui est le seul à fonctionner comme cela dans le monde, avec des cotisations des agriculteurs qui permettent de financer l'innovation. Cela demande aussi - c'est pour cela que nous avions concentré nos auditions sur le CASDAR - que nous ayons pendant l'année des propositions pour rendre le CASDAR plus lisible, plus transparent et pour qu'il permette de mieux répondre aux attentes et aux enjeux stratégiques de l'agriculture.  

Je vous demande donc de rejeter le budget de la mission agricole mais de voter favorablement sur le CASDAR.

Mme Françoise Férat. - Merci Madame la présidente et merci Laurent.

Au-delà de cette vision globale du budget, je souhaitais à mon tour vous faire part de quelques annonces qui ne manquent pas de nous inquiéter sur deux sujets : la compétitivité de notre agriculture et l'excellence de notre politique sanitaire qu'il convient de préserver.

Nos travaux ne cessent de rappeler que nos agriculteurs évoluent dans un marché mondial et qu'à force de parler de montée en gamme, on en oublie l'impératif de compétitivité. Je dois dire que l'année dernière nous avions réussi à remettre ce débat au coeur de l'actualité en sauvant le dispositif d'exonération dégressive de cotisations patronales pour les employeurs de travailleurs saisonniers (le TO-DE). Or il est toujours programmé que ce dispositif disparaisse en 2021. Il ne faut pas s'y résigner et nous avons déposé, avec Laurent et Jean-Claude, en notre nom, un amendement appelant à sa pérennisation. Il a été adopté au Sénat, avec l'avis défavorable du Gouvernement. En revanche, le Ministre nous l'a affirmé en commission : il est pour que ce dispositif se poursuive cette année, l'année prochaine, l'année suivante, ... Pourquoi ne pas l'acter dès aujourd'hui ?

Concernant la politique sanitaire, nos auditions permettent chaque année de dresser un état des lieux des risques auxquels nos agriculteurs sont exposés.

Le risque de peste porcine africaine demeure extrêmement présent. La clôture semble avoir contenu, jusqu'à présent, le risque, mais il convient de demeurer vigilant. Le budget prévoit à ce titre le maintien d'une ligne de 3 millions d'euros par an - cela me semble léger - pour des mesures de surveillance particulière. C'est essentiel pour notre filière porcine.

Il convient de noter également une recrudescence des cas de tuberculose bovine, même si la France reste bien sûr indemne, ainsi que l'apparition de quelques cas en 2019 de maladie d'Aujeszky et de brucellose. Ces cas sont maîtrisés grâce à l'excellence de notre système sanitaire de détection et de traitement, qu'il convient à chaque fois de saluer.

Concernant les végétaux, la surveillance va être renforcée à la suite de l'entrée en vigueur de deux nouveaux règlements européens en décembre 2019. Ils impliqueront une surveillance obligatoire d'environ 180 organismes de quarantaine, c'est-à-dire une multiplication par près de 6 du nombre d'organismes nuisibles à surveiller. Cela se traduira, mécaniquement, par une hausse des contrôles nécessaires, estimés à environ 10 000 contrôles supplémentaires, pour les FREDON, d'où la hausse du budget qui leur est accordée cette année d'environ 6 millions d'euros.

Concernant la sécurité sanitaire des produits que nous importons, nos préoccupations sont toujours aussi vives. Nous ne le répéterons jamais assez : les Français consomment de plus en plus de produits alimentaires importés, qui n'ont sans doute pas les mêmes garanties en matière de sécurité sanitaire que l'alimentation produite en France. Aujourd'hui, les contrôles sur les normes de production de ces denrées sont majoritairement réalisés dans le pays qui exporte. Il importe donc de renforcer les contrôles inopinés en France pour accroître notre sécurité alimentaire et surtout garantir une concurrence loyale avec nos agriculteurs.

C'est pourquoi nous avions soutenu, dès l'année dernière, que le recrutement de 40 ETP pour faire face au Brexit était insuffisant. Le Gouvernement nous avait répondu que nous fantasmions. Il en a finalement recruté non pas 40 mais 185 dès cette année, et il projette d'en recruter 175 de plus en 2020... Nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir eu raison trop tôt. C'est pour acter ces recrutements anticipés et continuer de les réaliser cette année qu'au total, par rapport au budget de l'année dernière, le budget 2020 prévoit une hausse de 320 ETP des effectifs du programme 206 pour le Brexit. Mais je vais tempérer votre enthousiasme : ces emplois ont été financés par une réduction du plafond d'emplois du programme 146, celui qui est dédié à l'enseignement supérieur agricole. Je m'en suis inquiétée auprès de notre administration qui m'a répondu qu'il n'y avait pas à s'en faire.

Mais ces dépenses en faveur de notre sécurité sanitaire ne vont pas assez loin. Je rappelle que les Français - les chiffres sont importants - dépensent 0,3 euro par habitant et par an pour les inspections sanitaires sur les produits destinés à la consommation : c'est 1,5 euro par habitant aux Pays-Bas, 1,7 euro en Belgique et 2,4 au Danemark. Avec le Brexit et les accords de libre-échange, la France va devenir de plus en plus exposée aux importations de pays tiers : il est donc nécessaire de nous doter des moyens de contrôles à l'importation suffisants au nom de la sécurité sanitaire de nos consommateurs et afin d'assurer enfin une concurrence loyale avec nos producteurs. Pour ne pas alourdir les finances publiques, il est possible de redéployer de la masse salariale du ministère vers ces fonctions pour alléger les formalités administratives imposées à nos agriculteurs tout en renforçant les contrôles sur les denrées importées.

Le Brexit inquiète également nos pêcheurs, qui peuvent se voir interdire l'accès aux eaux britanniques. Le budget prévoit une aide d'urgence en cas de fermeture de ces eaux pour indemniser les navires restant à quai faute d'une activité économique suffisante : ce sont environ 50 millions d'euros qui ont été budgétés, tant par le FEAMP que par les crédits nationaux.

Je ne peux enfin pas conclure mon intervention, comme l'a évoqué mon collègue Laurent Duplomb, sans parler de la situation de nos vétérinaires. Dès l'année dernière, nous alertions sur le risque de voir apparaître dans nos campagnes des déserts vétérinaires, comme sont apparus des déserts médicaux. La tendance se poursuit cette année, faute d'une action résolue du ministère sur le sujet.

Je vous rappellerai ici trois tendances inquiétantes.

Premièrement, le nombre annuel de recrutements de vétérinaires stagne depuis 2016.

Deuxièmement, l'urbanisation des jeunes vétérinaires s'accroît encore un peu, avec des spécialisations de plus en plus tournées vers les animaux de compagnie. Par conséquent, le nombre de vétérinaires en élevage dans les zones rurales diminue.

Troisièmement, se développe un recours accru à des vétérinaires formés à l'étranger : 43 % des primo-inscrits à l'ordre national chaque année ont été formés à l'étranger, la moitié en Belgique sans doute par expatriation et l'autre moitié dans des pays comme la Roumanie ou l'Espagne.

On ne peut pas s'engager à aider nos éleveurs tout en les privant, en pratique, de la relation privilégiée qu'ils ont avec leurs vétérinaires ruraux. Des solutions existent, je le rappelle : je pense aux stages tutorés obligatoires en école nationale vétérinaire.

Et je rejoins donc Laurent dans sa démonstration en ajoutant qu'en plus du manque d'ambition de ce budget gestionnaire bien loin du budget visionnaire dont nous avons besoin, des facteurs d'inquiétudes nous appellent à vous inviter à ne pas adopter les crédits de la mission.

Je laisse la parole à Jean-Claude.

M. Jean-Claude Tissot. - Merci Madame la présidente, merci Françoise.

Je ne peux que confirmer les propos que nous venons d'entendre : ce budget ne permettra pas de répondre aux nombreuses attentes de nos agriculteurs.

Il témoigne d'ailleurs d'une vision court-termiste à laquelle nous ne pouvons pas souscrire.

Cela est visible dans trois domaines : la gestion des risques climatiques, la politique forestière et le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.

Mon premier point concerne la gestion des risques climatiques.

En 2018 a été constituée une réserve pour aléas dotée de 300 millions d'euros. Elle a été réduite  en 2019 à 200 millions d'euros. Cette année, le Gouvernement l'ampute une nouvelle fois à hauteur de 25 millions d'euros pour la ramener à 175 millions d'euros.

Le ministre a annoncé lors de son audition devant notre commission qu'il ne voulait plus de cette réserve à terme. Même avec le renforcement de la solution assurantielle, c'est une erreur car, comme l'a démontré le rapport de Nicole Bonnefoy adopté à l'unanimité de la mission d'information sur les risques climatiques, les agriculteurs vont être très exposés à des sécheresses plus nombreuses et plus violentes - on l'a vu cette année, tout comme à des tempêtes de grêle et de pluies plus violentes et fréquentes. Et ces effets sont déjà perceptibles ! Les sécheresses des deux dernières années le démontrent.

Le ministre ne fait, au fond, que rétablir la vérité sur cette réserve budgétaire contre les risques qui n'est en fait qu'une assurance de l'État contre ses propres dysfonctionnements. Depuis sa création, la réserve a servi à financer à 70 % des apurements communautaires à l'Union européenne. On est très loin, nous le voyons bien, d'une vision stratégique destinée à permettre une meilleure prévention et une meilleure indemnisation des agriculteurs face aux risques climatiques auxquels ils sont exposés.

Mon second point concerne la politique forestière.

Souvenez-vous, l'an dernier nous avons dit : « la forêt va dans le mur ». Et nous y sommes, avec une cascade de réactions en chaîne qui se résume en trois phases.

En premier, la sécheresse a affaibli les défenses naturelles des arbres ; les insectes ravageurs ont ainsi pris le dessus et provoqué des dégâts considérables, avec, en particulier, des forêts du grand Est et des essences comme l'épicéa qui sont dévastées. Je précise que la crise sanitaire est, en réalité, assez générale : elle menace toutes les essences et ne se limite pas aux attaques de scolytes qui sont des petits scarabées. Deuxième phase : une fois morts ou scolytés, les arbres doivent être prélevés et mis sur le marché, ce qui implique des dépenses supplémentaires pour les forestiers. Leurs recettes vont cependant diminuer car l'augmentation des volumes fait baisser les prix, d'autant que le bois scolyté prend une teinte bleue ce que les acheteurs considèrent comme un facteur de dépréciation. Troisième phase : personne ne sait quelles essences replanter et les dégâts de gibier menacent la replantation.

Bref : les crédits de la forêt restent à un niveau ridiculement bas - 8 % du budget de l'agriculture - et en plus ils baissent de 2,5 %. Plus encore, ces crédits concernent essentiellement la forêt publique et je proposerai de ne pas pénaliser l'organisme qui dynamise la gestion de la forêt privée au moment où on en a le plus besoin en lui allouant 1,5 million de plus par un amendement d'appel déposé pour faire réagir le ministre. Bien entendu, c'est une goutte d'eau budgétaire : l'Allemagne, à titre de comparaison, prévoit 800 millions d'euros supplémentaires pour aider sa forêt face à la crise ; de notre côté nous proposons 16 millions d'euros sur trois ans. Mon dernier point concerne le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.

Le Sénat a adopté une proposition de loi visant à créer un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques en 2018. Dans une version remaniée ciblée sur les maladies professionnelles, lors de la loi Egalim, la création du fonds a été votée à l'unanimité. Le Gouvernement, après l'avoir longtemps repoussée, a acté, à l'article 46 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la création du fonds. Mais à la lecture de cette proposition gouvernementale, la solution proposée n'est pas satisfaisante.

Le dispositif prévoit une simple extension du régime de prise en charge des maladies professionnelles pour les agriculteurs salariés et non-salariés, ainsi qu'une prise en charge « forfaitaire » qui n'assurera pas une réparation intégrale des préjudices subis.

Peut-être serait-il opportun de rappeler au Gouvernement la rédaction initiale du Sénat sur ce sujet : un périmètre délimité aux maladies professionnelles et une réparation non forfaitaire des préjudices. 

Surtout, pourquoi l'État devrait-il être le seul à ne pas participer au financement du fonds d'indemnisation ? C'est sous sa responsabilité que sont délivrées les autorisations de mise sur le marché des produits, les AMM, il est donc normal qu'il assume cette responsabilité en participant à l'indemnisation des victimes agricoles de ces produits. De plus, à faire reposer le financement uniquement sur les fabricants de produits phytopharmaceutiques, immanquablement la hausse va être reportée sur les agriculteurs ce qui augmentera considérablement encore les charges. Sur ces trois points, je constate trois désaccords profonds avec les positions que nous pouvons défendre régulièrement dans l'hémicycle ou en commission.

C'est pourquoi, avec les mêmes arguments qu'ont pu développer Françoise Férat et Laurent Duplomb, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la MAAFAR mais d'émettre un avis favorable sur les crédits du CASDAR. Je vous remercie.

M. Daniel Gremillet. - Je voudrais remercier nos trois rapporteurs pour leur travail. Le secteur de l'agriculture est face à des défis et à des exigences franco-françaises. Elles ne sont ni internationales ni européennes : elles sont bien françaises. À la lecture de ce budget, on a le sentiment que nous ne sommes pas à la hauteur des ambitions et des enjeux qui sont devant nous. En matière agricole, par rapport au contrôle des denrées importées, je partage complètement la proposition qui est proposée. Il faut que nous soyons cohérents : nous avons voté l'article 44 lors de la loi Egalim - il ne s'agit pas que le Sénat soit en contradiction sa position ! Il faut que les Français aient dans leur assiette des produits répondant à ce qu'on exige des agriculteurs français. Il faut donc s'assurer que ce qui vient de l'extérieur soit de la même nature. Encore faut-il avoir les moyens de mettre en oeuvre ce qui a été voté. Je me réjouis de cette proposition parce qu'on est vraiment en cohérence entre ce qu'on peut décider lorsqu'on légifère et ce qu'on met en oeuvre dans le budget, immédiatement, dès lors que le texte est en application.

Deuxième exemple sur les vétérinaires. Je partage complètement ce qui a été dit. Mais je vais encore plus loin. Le risque de désert vétérinaire fait peser un risque énorme à la population humaine et n'est pas uniquement un risque sur les productions animales, mais bien un risque sanitaire ! Je rappelle que certains épisodes touchent bien sûr les animaux mais certaines maladies sont transmissibles à l'homme. Le dossier de la profession vétérinaire est donc un dossier qui intéresse l'ensemble des Français, où qu'ils soient. C'est un dossier majeur car les vétérinaires sont les gardiens du temple sur le territoire. C'est un vrai enjeu et là encore, si on est dans une situation favorable en France en termes de qualité de vie, ils en sont en grande partie responsables.

Je terminerai sur le dossier forêt. J'ai été très déçu de l'audition du ministre la semaine dernière. L'enjeu est majeur et la réponse tape complètement à côté. Je serai tenté de dire, là encore, qu'il n'y a aucun cap fixé par le ministère. La forêt serait susceptible d'apporter beaucoup de réponses aux enjeux de notre époque. On est très en retard en France sur le séchage du bois ce qui fait qu'on met sur le marché des produits qui ne sont pas conformes à la règlementation européenne. Résultat des courses : ce sont des produits qui viennent d'Allemagne qui sont dans nos bâtis.

Je partage complètement les propositions de nos rapporteurs, surtout celle de sceller dans le marbre le CASDAR parce que le CASDAR c'est 100 % des crédits financés par les agriculteurs et il est absolument essentiel que ces moyens permettent d'adapter l'agriculture aux défis.

Mme Anne-Catherine Loisier. -Je salue le travail conjoint et cohérent de nos trois collègues.

Ce qui ressort est qu'il y a visiblement un manque de vision et de projection dans l'avenir sur les questions agricoles et forestières. J'ai le sentiment qu'il y a une totale absence de prise en considération des dangers, en tout cas des menaces sur les aspects sanitaires, que ce soient les vétérinaires ou que ce soient les problèmes que rencontre la forêt avec la vulnérabilité qui est liée au changement climatique et donc les attaques parasitaires de plus en plus importantes et sur toutes les essences. L'Allemagne a pris la mesure du danger en investissant 800 millions pour rapidement évacuer les bois malades des parcelles. Ce que nous ne faisons pas aujourd'hui. Malheureusement on peut penser que c'est chronique et qu'il y aura un désastre au printemps prochain parce que les parasites repartiront de plus belle.

Je voulais juste revenir sur les aspects forestiers en soulignant la problématique sur le plafonnement des taxes affectées qui a déjà été évoquée par notre collègue Martial Bourquin il y a quelques jours. La forêt, malgré ses besoins d'investissements majeurs, est touchée par ce fléau puisqu'on plafonne la taxe de défrichement. Il y a seulement 2 millions qui viennent à la forêt et les 4 autres repartent dans le budget de l'État. Le fonds stratégique n'est pas réévalué. Je pense qu'il faut qu'on interroge le ministre là-dessus. Quand il a été créé, on était à 25 millions d'euros, aujourd'hui on en est à 18 millions. Donc au lieu de l'augmenter pour permettre le reboisement de la France, on le diminue. Concernant le CNPF, il est important qu'il y ait des acteurs - la forêt privée couvre une grande partie de notre territoire, les 2/3 de nos forêts - et aujourd'hui il y a 450 acteurs qui peuvent faire ce travail de conseil et de préconisation sur le terrain. Ce n'est vraiment pas le moment de diminuer les effectifs.

Notre collègue posera la question au ministre cet après-midi sur le plan scolyte et les 16 millions d'euros promis. Comment sont-ils mis en oeuvre sur le terrain ? Je voulais aussi vous alerter sur le problème que rencontrent de plus en plus de communes face à un déséquilibre de leur budget de fonctionnement puisqu'elles ne peuvent pas compter sur les recettes habituelles en matière de forêt et elles risquent d'avoir de grandes difficultés pour établir leur budget 2020. Donc peut-être conviendrait-il d'interroger le ministre sur ce sujet. Cela ramène la question sur sa capacité à mettre en oeuvre rapidement ce programme d'actions et de débloquer rapidement ces 16 millions d'euros sur l'ensemble des territoires forestiers.

M. Joël Labbé. -Mes chers collègues, je ne vais pas non plus voter les crédits de la mission agriculture. Une partie de vos arguments, je les entends : il y a effectivement un manque d'ambition dans ce budget mais il y a un manque d'ambition criant vers la transition agro-écologique, pour moi c'est évident et fondamental. Par rapport à la montée en gamme qui est quand même absolument souhaitable, on en oublie la question de la compétitivité. Effectivement, dans le cadre de l'alimentation mondialisée, à trop courir après une compétitivité par rapport au sud-est asiatique et au Brésil, on n'y arrivera pas. Mais on arrive quand même à gagner des marchés : on va vendre des cochons en Chine. On ne peut pas dire que ce n'est pas bien pour l'agriculture quelque part mais d'un autre côté on continue à importer des cochons d'Espagne. La filière porc ne se porte pas si mal, mais est-ce seulement durable ? J'ai renoncé à essayer de convaincre la majorité ici mais je n'ai pas renoncé à m'exprimer et à essayer de convaincre sur des avancées possibles vers la relocalisation de la production de l'alimentation qui est une nécessité future absolue. Je vais poser deux amendements particuliers concernant l'aide pour la restauration collective publique. Si on l'a votée, c'est qu'on avait des raisons de la voter et d'imposer le local et le bio. Par contre, il y a des difficultés, notamment pour certaines communes pauvres. Il s'agit de cibler ces communes pauvres pour les soutenir avec 15 millions d'euros, ce n'est pas rien mais ce n'est pas non plus la mer à boire. Le second est le soutien supplémentaire aux projets alimentaires territoriaux pour développer les filières de proximité parce qu'il y a une nécessité de mettre en place les filières de proximité.

M. Michel Raison. -À mon tour de féliciter avec sincérité les trois rapporteurs qui ont su démontrer qu'au-delà d'un budget stagnant - on y est habitués - il y a un manque de vision d'avenir au moment crucial où tout le monde se rend compte que la ferme France s'affaiblit. Tout doit se côtoyer en agriculture : il n'y aura jamais qu'un seul système, qu'une seule solution. Il y a d'abord toutes sortes de clientèles en France et dans le monde et si la ferme France se replie sur elle-même, ce n'est pas uniquement l'affaire des agriculteurs, c'est l'affaire de tous les Français puisque que la force de production alimentaire est stratégique pour un pays. Nous avons le droit de nous soucier de l'avenir de cette ferme parce qu'elle ne se construit pas d'année en année, elle se construit longtemps en avance ! Il est nécessaire d'agir dès maintenant pour que dans 20 ans on ne soit pas complètement déstabilisés. Laurent Duplomb a insisté sur la recherche : formation et recherche sont évidemment les mamelles de l'avenir. Permettez-moi une expression : si on veut que le bébé pousse bien, il faut que dès le début il tête du bon lait.  La recherche est extrêmement importante : il faut que le ministère nous entende et qu'il y ait une mise à plat des dossiers agricoles et non uniquement des discours qui caressent l'opinion.

M. Henri Cabanel. -Je remercie les trois rapporteurs. Pour avoir été rapporteur pendant quelques temps, je sais tout le travail qui a été effectué et je connais la frustration quand on fait des propositions qui ne sont pas suivies. Je commencerai par les satisfactions et les partagerai avec Laurent Duplomb sur les chambres de l'agriculture, le fait de conserver le budget des chambres départementales, parce que je pense que la proximité est très importante pour notre agriculture. Il faut accompagner nos agriculteurs au plus près. Et j'embrayerai sur le manque de vision sur la formation des agriculteurs qui me paraît indispensable pour accélérer l'évolution de notre agriculture. Aujourd'hui, les agriculteurs sont obligés d'avoir un « certiphyto », valable pour 5 ans. Je pense qu'il faut le faire évoluer vers une vraie formation qui puisse accompagner les agriculteurs vers un avenir plus serein car, effectivement, dans ce budget, il n'y a pas de vision, si ce n'est au niveau des MAEC. Je souligne l'effort qui est fait parce que quoi qu'on veuille, il faudra quand même que les agriculteurs aillent vers une agriculture plus durable, tant souhaitée par notre société.

Concernant l'innovation, j'étais hier dans mon département à Montpellier puisque s'inaugurait le salon du SITEVI, un salon international des techniques agricoles. Je l'avais dit dans l'hémicycle il y a quelques années : les efforts devraient être portés sur les appareils de traitement. Effectivement il y a de grandes innovations dans lesquelles il me semble que le ministère devrait faire beaucoup d'efforts pour lutter afin qu'il y moins d'intrants dans les parcelles. Le problème est le prix de ces appareils. Les agriculteurs ne pourront pas s'équiper s'il n'y a pas une aide conséquente. Cela permettrait de diminuer de moitié les traitements avec des produits phytosanitaires avec une meilleure efficacité.

Sur la pêche, un Brexit sans accord serait dramatique - on l'avait prédit il y a quelques années. Il va y avoir toute une filière économique de la côte atlantique qui va disparaître parce que ce n'est pas parce qu'on va mettre 50 millions d'euros de plus pour désarmer les bateaux qu'on va trouver des solutions pour tous ceux qu'on va laisser de côté. Je m'étonne qu'il n'y ait pas une vision sur l'avenir de cette pêche.

Enfin, sur les risques climatiques, je suis d'accord avec Jean-Claude Tissot, il est important de garder l'enveloppe et de ne pas la diminuer d'année en année : la solution assurantielle seule ne compensera pas tout. On ne luttera contre les aléas climatiques qu'avec une multitude d'outils dont les crédits du budget général sur la gestion des risques.

Pour finir, je me fais un peu de souci. Avec Daniel Gremillet et d'autres collègues, nous avons auditionné les SAFER.  Je pense que les agriculteurs sont en danger parce que tout un tas de sociétés acquièrent du foncier au détriment des agriculteurs et si nous n'y prenons pas garde, s'il n'y pas une loi sur le foncier, comme l'avait promis le président Macron, si on ne prévoit pas un véritable statut de l'agriculteur, demain, les agriculteurs deviendront les salariés de ces grandes entreprises. C'est un danger qui nous menace et auquel il faut être très attentif.

M. Alain Duran. - Je voudrais revenir sur une ligne budgétaire et m'indigner de l'augmentation de 6 millions que prévoit ce budget sur la ligne « prédateurs ». Ce choix traduit une incohérence entre le discours et les actes. L'incapacité de nos gouvernants à contenir ces situations insupportables qu'ils ont créées eux-mêmes en décidant de réintroduire des loups dans les Alpes, des ours dans les Pyrénées pose de grandes difficultés sur les territoires. Ce n'est pas avec des millions qu'on va régler le problème. Ils seraient plus utiles dans d'autres secteurs. Une incohérence entre les discours et les actes parce que là, avec des millions d'euros, on est en train de détruire une agriculture exemplaire, qu'on appelle tous de nos voeux. C'est une agriculture propre, sans pesticides, sans intrants, ce sont des circuits courts, une viande de qualité, qui respecte le bien-être animal. Et qui plus est avec ces millions d'euros, on fabrique encore plus de fragilités, on fabrique de l'angoisse, du mal-être pour une profession qui, honnêtement, n'en a pas besoin aujourd'hui. Je voulais simplement dire que ces choix sont insupportables ; on les traduit avec des millions d'euros et ce n'est pas acceptable. Nos territoires ruraux et nos territoires de montagne n'en peuvent plus. La colère monte et je ne crois pas que ce soit avec cette ligne abondée de 6 millions qu'on apportera une vraie réponse au vrai problème.

M. Franck Montaugé. -Merci à nos collègues rapporteurs pour leur travail. Deux petits points. Je ne vois pas dans ce budget, comme certains l'ont dit, d'anticipation à caractère budgétaire par rapport à la transition que va induire nécessairement la future politique agricole commune. On craint tous les questions budgétaires par rapport à ce budget-là. Je ne vois rien en termes de vision, d'anticipation dans ce budget par rapport aux difficultés considérables dans lesquelles l'agriculture française risque probablement de se trouver avec cette future politique agricole et en disant cela, j'espère me tromper. Je ne vois pas non plus de moyens suffisants en matière de formation et de recherche et en particulier sur le numérique dans le domaine agricole, ce qu'on peut appeler le « big data » agricole. Il y a un enjeu de souveraineté nationale par rapport à ce sujet considérable que l'on néglige complètement. On va se réveiller quand il sera trop tard et quand des données stratégiques pour l'agriculture et pour la France seront dans les mains d'acteurs qu'on ne pourra plus maitriser, si ce n'est pas déjà le cas. Il y a un gros sujet et on passe complètement à côté. Ce budget est un budget de reconduction et il n'est pas du tout à la hauteur des enjeux auxquels doit faire face l'agriculture pour exister au XXIe siècle au plan national, européen et mondial.

M. Pierre Cuypers. - Je voudrais revenir sur deux sujets. Je trouve que dans le budget de la forêt, il n'y a pas de mesure importante qui permettrait d'éradiquer un certain nombre de pandémies. Je pense à la chenille processionnaire qui aujourd'hui est en train d'envahir notre pays et nous n'avons pas de mesure qui soit prise avec des budgets conséquents. Or aujourd'hui on est en train de se faire grignoter. Dans mon département, on ne peut plus vivre à certaines périodes de l'année en raison du poil urticant. Il n'y a pas de moyen pour contenir ce phénomène ! Il faut que l'on arrive à traiter ce problème avec des budgets qui soient à la hauteur. Deuxièmement, je voulais poser une question à Laurent Duplomb qui souhaitait avoir 100 ETP supplémentaires pour le contrôle. Connaît-on le nombre de fonctionnaires attachés à l'agriculture ? Est-ce qu'on peut aussi avoir un éclairage sur l'évolution de la masse salariale des fonctionnaires qui sont attachés à l'agriculture par rapport à un nombre d'agriculteurs qui diminue de jour en jour ?

M. Franck Menonville. - Je voudrais vraiment remercier et féliciter les rapporteurs pour le travail qu'ils ont réalisé afin de nous éclairer sur ce budget. Je serai un peu plus équilibré sur ce budget. Grâce à notre mobilisation, on a quand même réussi à infléchir des éléments qui auraient accentué la situation de l'agriculture, comme sur la question des chambres d'agriculture pour lesquelles nous avons réussi à maintenir le budget et le maillage territorial. Ne pas imposer à marche forcée une régionalisation est une chose importante. L'an dernier, nous avons réussi à nous mobiliser pour que le TO-DE soit maintenu ; c'est une bonne chose qu'il le soit encore cette année. Il faut l'inscrire dans le temps, en tout cas le temps qui sera nécessaire pour garantir la compétitivité des exploitations concernées. Je pense qu'il faut également maintenir le CASDAR pour le mobiliser et en faire un outil stratégique dans le but d'accompagner toute la recherche et l'innovation. Ce sont les points assez positifs. Ma deuxième partie d'intervention sera plus négative et ira dans le sens de plusieurs interventions de mes collègues. Effectivement, c'est un budget purement budgétaire : on reproduit ce qui se fait depuis plusieurs années, des lignes budgétaires relativement linéaires, sans prendre en compte, que ce soit au niveau de l'agriculture ou de la forêt, les enjeux qui sont les nôtres en matière de formation, d'innovation, d'investissements sur l'avenir - on parlait d'intelligence artificielle. Avec le verbe nous pouvons faire beaucoup - transition écologique, transition agro-écologique, sortie des phytosanitaires, mais sur le terrain, c'est par l'innovation, par la recherche et par un investissement important que nous arriverons à répondre effectivement à ces enjeux. Le budget ne correspond pas et n'a pas de vraie vision d'avenir mais il ne fait que des arbitrages budgétaires.

M. Bernard Buis. -Je rejoins Franck Menonville sur la satisfaction du budget des chambres d'agriculture qui a été maintenu. Je crois que c'est important et tout le monde était mobilisé. Deux mots concernant l'innovation. Dans la Drôme, tous les deux ans, on a un salon qui s'appelle Tech&Bio où on voit beaucoup de matériel qui était au départ destiné à l'agriculture biologique - aujourd'hui beaucoup de conventionnels utilisent des robots désherbants ou autres ; ce qui permet d'avoir beaucoup moins de produits phytosanitaires. Effectivement, l'achat de ce matériel est assez onéreux mais la région Rhône-Alpes et le département de la Drôme financent les acquisitions ; ce qui fait que les agriculteurs peuvent avoir des subventions jusqu'à hauteur de 60 % pour acheter ce matériel qui devient très intéressant. Ce matériel est peu utilisé et il pourrait très bien se répandre. J'ai une inquiétude sur la loi foncière évoquée par mon collègue. On assiste de plus en plus à des acquisitions de fermes en montagnes par des associations qui défiscalisent puisqu'elles bénéficient de dons défiscalisés et la SAFER ne peut pas lutter dans la mesure où cela a pour effet de multiplier par quatre les prix du foncier. Aujourd'hui, on a donc des réserves naturelles qui sont inutilisées ainsi que des réserves d'animaux sauvages avec, derrière, un gros problème avec la prédation puisque sur ces montagnes-là, on a des loups à profusion et cela pose un problème pour l'agriculture environnante. Je pense que la loi foncière sera vraiment attendue.

M. Laurent Duplomb. - Je vais essayer d'être rapide pour répondre à toutes les questions et on le fera à plusieurs voix s'il y a des choses à ajouter. Sur la question de Daniel Gremillet sur les exigences franco-françaises, n'oublions pas que la compétitivité entre la France et les autres pays est caractérisée par trois points essentiels. Le premier est la différence de coût de la main d'oeuvre : 1,5 fois plus cher en France qu'en Allemagne, 1,7 fois plus cher en France qu'en Espagne, plus de 2 fois plus cher en France qu'en Pologne sur certaines productions. Deuxième élément de manque de compétitivité et d'exigences franco-françaises, c'est qu'entre 2016 et aujourd'hui, il y a 6 à 7 % de charges supplémentaires en France pour le même produit. Le troisième élément est donné par l'OCDE qui classe la France comme le pays où les normes environnementales sont les plus importantes. Ce qui crée obligatoirement des distorsions de concurrence avec les voisins qui sont juste à côté. Ce qui explique que 25 % du porc consommé en France est espagnol ou allemand alors qu'il y a encore quelques années, le porc français était encore exporté en Allemagne.

Sur les menaces sanitaires, je voudrais élargir le propos d'Anne-Catherine Loisier. En Chine, aujourd'hui, ce sont des millions de porcs chinois qui sont abattus, pas abattus pour être consommés, mais pour être enterrés, pour être détruits et enfouis. Aujourd'hui, en Chine, ce sont des fosses de dizaines de millions de mètres cubes qui sont creusés tous les jours pour enfouir les cochons. C'est ça la réalité de la Chine. Aujourd'hui, un agriculteur chinois qui a un voisin ayant attrapé la peste porcine africaine vend en une journée la totalité de son élevage. Sinon, en 8 jours, il est décimé. Le porc en France était à 80 centimes le kilo, aujourd'hui, il est passé à 1 euro 80 et il est vendu en Chine jusqu'à 6 euros le kilo.

Les experts disent que même si on arrive à se relever de la peste porcine africaine, cela prend plus de 10 ans. Ça veut dire que les cours du porc risquent d'être élevés près de 10 ans. Si cette crise arrive en France, ce serait une crise extrêmement grave qui serait loin d'être traitée en quelques semaines. Tout cela devrait aussi nous poser des questions.

Une remarque sur la relocalisation. Il faut qu'on développe les circuits courts. Il n'y a aucun problème là-dessus. Mais, comme pour les produits phytosanitaires, il ne faut pas opposer les produits locaux et le reste. Mon département produit 410 millions de litres de lait. Et ce n'est pas un département de Bretagne, c'est un département du Massif central où on produit du lait à plus de 600 mètres d'altitude. Si on voulait faire boire les 410 millions de litres aux 230 000 habitants, il faudrait qu'ils en boivent matin, midi et soir et tout le reste des 20 et quelques heures. On a besoin de relocaliser pour apporter un sentiment d'appartenance au consommateur mais, d'un autre côté, on ne peut pas tuer tout ce qui a été monté par l'agroalimentaire, secteur dont certaines industries sont des coopératives créées par les agriculteurs regroupés pour pouvoir peser sur 3 facteurs : la consommation directe qui passe par les GMS ou les circuits courts, la consommation hors foyer qui correspond à 1/3 de la production et les exportations qui compte pour 25 % des revenus des agriculteurs. Si on s'attache absolument à relocaliser, on oublie la nécessité d'exporter un certain volume.

Michel Raison, je pense que l'agriculture est en panne uniquement parce qu'il y a un manque de vision. Quand Gambetta disait qu'il fallait faire chausser les sabots de la République aux paysans, cela a abouti à ce qu'il y ait beaucoup de paysans sur les monuments aux morts entre 1914 et 1918, tout simplement parce qu'ils défendaient leurs terres, leurs propriétés. Une loi foncière ne doit jamais oublier que les agriculteurs et les paysans se sont battus pour avoir un lopin de terre et qu'il n'y a pas encore si longtemps flottait au-dessus d'eux une épée de Damoclès le 31 mars de chaque année parce qu'étant métayers, leur propriétaire pouvait les renvoyer du jour au lendemain en mettant quelqu'un d'autre à leur place. Cette loi foncière doit rester, sur le statut du fermage, une protection pour l'agriculture.

Cher Henri Cabanel, un point sur la formation des agriculteurs. N'oublions jamais qu'on a cédé une tentation dans le passé qui a abouti à arrêter de faire des stages à l'extérieur, de faire des kilomètres pour aller se former ailleurs. C'était une erreur. Quand je vois qu'un jeune s'installe à l'âge de 16 ans après avoir fait un apprentissage chez ses parents, une formation uniquement chez ses parents, dans un lycée agricole à 15 ou 30 kilomètres de chez lui, j'ai l'impression de retourner 80 ans en arrière. Il faut se poser cette question essentielle du décloisonnement de la formation agricole.

Sur les appareils de traitement, il y a effectivement un boulevard de développement.

Alain Duran, sur le loup, ce sont les paradoxes d'une société qui ne s'assume plus. Et sur l'agriculture, c'est malheureusement un exemple parmi d'autres. Quand on interdit le glyphosate et qu'on importe des céréales canadiennes qui sont toutes défanées au glyphosate, c'est la même chose. On ne regarde pas les problèmes en face et on oppose sans arrêt les choses. On veut une agriculture qui soit digne de ce nom et respectueuse de l'environnement et on lui met des contraintes tellement importantes que derrière on conduit certains agriculteurs au suicide et on diminue leur capacité de production.

Franck Montaugé, sur la PAC, je ne suis pas complètement d'accord avec toi. Il y a 15 millions d'euros dans ce budget qui sont consacrés par l'Agence de services et de paiements à la réforme informatique du traitement d'une certaine évolution de la PAC, et en particulier à une évolution de la PAC en termes de contrôles qui ne se feront plus sur place mais qui pourraient se faire de manière informatique en temps réel. Cela pourrait avoir des avantages sur le délai de paiement des aides PAC mais cela peut avoir d'autres inconvénients avec des vérifications à un jour près, à heure près, sans souplesse particulière.

Pierre Cuypers, il y a 15 130 fonctionnaires qui travaillent dans l'agriculture pour 500 000 agriculteurs. Cela fait un fonctionnaire pour 30 agriculteurs, c'est énorme. Et si on ajoute l'enseignement, on monte à 31 000 ce qui fait un fonctionnaire pour 15 agriculteurs.

Franck Ménonville, sur le TO-DE et CASDAR, je suis tout à fait d'accord. Il faut qu'on incite le gouvernement à continuer le TO-DE après la date fatidique.

Bernard Buis, je voudrais souligner cette reconnaissance que la région Rhône-Alpes-Auvergne avec son président fait un travail exceptionnel pour financer du matériel pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires.

Mme Françoise Férat. - J'ajouterai simplement quelques éléments. Henri Cabanel, sur les pêcheurs, tout est fait comme si on ne croyait pas au Brexit. On a mis 50 millions pour voir. Il fallait mettre quelque chose parce qu'on ne sait jamais. Mais ce n'est pas à la hauteur des difficultés qui s'annoncent à l'avenir. Sur les vétérinaires, Daniel Gremillet a raison. Qui mieux que ce binôme éleveur-vétérinaire peut repérer et encadrer d'éventuelles difficultés que ce soit en termes d'épidémie ou de maladie ? Une remarque plus générale et personnelle : pour moi l'agriculture est une chaîne où tous les maillons sont indispensables et qu'on a envie de localiser et de protéger. Mais il n'y a pas de vision. On gère le quotidien du mieux qu'on peut, on colmate les points qui dérangent. C'est comme si on attendait une rentrée d'argent car on sait que l'embellie va arriver mais dans le domaine de l'agriculture, elle ne va pas arriver. Qui mieux que les parlementaires dans les territoires sont au courant de ce qui s'y passe vraiment ? C'est un ensemble qu'il nous faut continuer de porter et de crier fort. Je salue l'engagement et la motivation de Laurent Duplomb.

M. Jean-Claude Tissot. - Je vais être bref. Je suis rassuré : je pensais être trop d'accord avec Laurent Duplomb mais on garde certaines divergences sur certains sujets. Je voudrais remercier mes collègues pour ce travail collégial mais aussi mon collègue Henri Cabanel qui était le précédent rapporteur.

Pour informer Alain Duran, on a une audition du préfet avec le groupe pastoralisme qui va nous faire part du plan loup qu'il a mis en place. Sur la forêt, je suis complètement d'accord, il faut un grand plan sanitaire et un grand plan de prévention.

Si on compare simplement les budgets, puisqu'on se compare souvent à l'Allemagne, 800 millions d'euros en Allemagne vont être investis sur la forêt tandis que nous n'en débourserons que 16 millions, dont 6 seront dédiés aux transports. Sur la relocalisation, je suis de l'avis de Joël Labbé mais il faut faire attention à ce que la marche ne soit pas trop haute. Je ne crois pas au fait d'imposer des choses aux gens. On arrive à des objectifs qu'on peut définir ensemble certes, mais grâce à l'adhésion des gens. Je pense qu'on est dans la bonne dynamique. Aujourd'hui des gens qui étaient très loin d'une production raisonnée comprennent que c'est une vraie demande sociétale.

Quand Laurent Duplomb parle de la problématique du porc, il ne faut pas oublier que la filière se porte bien parce qu'on a une rigueur en termes de règles, en termes de normes. C'est aussi l'antagonisme : quand on a beaucoup de normes, on évite les maladies.

Pour le budget de la PAC, on a un groupe de travail là-dessus et on a un vrai point de vue à faire valoir.

Quand on parle d'une réforme foncière, cela ne veut pas dire qu'on va spolier les gens qui ont acheté des terrains. Je suis d'accord avec Laurent Duplomb, il faut être très attentif à la règle du fermage parce que dans nombre d'endroits c'est la seule manière d'exploiter.

Mme Sophie Primas. - Merci à tous d'avoir participé à ce débat très riche. Je vous rappelle qu'il y a une proposition d'avis défavorable sur l'ensemble des crédits de cette mission et une proposition d'avis favorable sur les crédits du CASDAR.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et un avis favorable sur les crédits du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural.

Mme Sophie Primas. - Afin d'interpeller le ministre en séance, les rapporteurs proposent à leur nom des amendements. Je leur laisse la parole pour qu'ils présentent rapidement ces amendements.

M. Laurent Duplomb. - Je propose de monter la ligne budgétaire dédiée à la promotion des alternatives aux produits phytopharmaceutiques de 300 000 euros à 1,3 million d'euros afin d'accompagner les agriculteurs après certaines interdictions de produits phytosanitaires. Je propose également d'augmenter de 3,4 millions d'euros la ligne correspondant aux contrôles des produits phytosanitaires importés de manière à ce qu'on se donne les moyens de mettre en place l'article 44 de la loi Egalim, c'est-à-dire de faire rentrer des produits qui répondent aux mêmes normes que celles qu'on impose à nos agriculteurs français.

Mme Françoise Férat. - Mon amendement concerne les stages tutorés. On a constaté que 80 élèves ont pu en bénéficier et que 95 % de ceux-là ont choisi d'exercer en production animale en zone rurale. Donc je vous propose de financer plus de places en augmentant cette ligne comme l'année dernière au total de 1,5 millions d'euros. Il manquerait 900 000 euros à ce stade pour atteindre ce niveau voté l'an passé au Sénat. Je vous propose d'adopter un amendement pour atteindre ce niveau.

M. Jean-Claude Tissot. - J'ai deux amendements : remettre le million d'euros pour le CNPF avec tous les arguments qu'on vient de développer sur la forêt et puis encourager l'État à participer au fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques à hauteur de 5 millions d'euros.

M. Laurent Duplomb. - Je vous remercie d'avoir passé pas mal de temps sur l'agriculture. Je pense qu'elle le méritait.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Je passe la parole à Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis des crédits du logement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Madame la Présidente, Mes chers collègues, je suis chargée de vous présenter les crédits relatifs au logement c'est-à-dire le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », le programme 109 « Aide à l'accès au logement » et le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Pour la troisième année consécutive, les crédits du logement diminuent de 7,93 %, pour atteindre 14,4 milliards d'euros. Cependant, les évolutions sont contrastées entre les différents programmes.

S'agissant du programme 177, les crédits de la politique d'hébergement d'urgence augmentent formellement cette année de 5,29 %, soit 1,9 milliard d'euros au total.

Pour donner un avis sur ce programme, deux questions se posent : le budget est-il sincère ? Et le Gouvernement a-t-il raison de donner la priorité à la création de places plutôt qu'à leur qualité ?

Concernant tout d'abord la sincérité du budget, rappelons que la question se pose chaque année et qu'elle est, sans doute, inhérente à une politique d'urgence soumise à l'imprévision. La situation est la même que l'année dernière. Le budget 2020 correspond en valeur à l'exécution 2018 et nous avons appris que 178,2 millions d'euros étaient inscrits en loi de finances rectificative pour compléter le budget 2019. De nouveau donc, le projet de budget qui nous est proposé est inférieur à l'exécution de l'année précédente d'environ 80 millions d'euros.

Faut-il véritablement s'en offusquer ? Je ne le crois pas car le Gouvernement vient abonder les crédits en fonction des besoins. On en prend acte même s'il serait souhaitable que les dépenses supplémentaires soient mieux anticipées. Ensuite, il est entré dans une logique de rebasage progressif, année après année, en pérennisant les places créées précédemment. C'est de nouveau le cas cette année avec 6 000 places supplémentaires. Dans le contexte migratoire actuel, avec une nouvelle augmentation des demandes d'asile sur un an de 14,5 %, qui a tendance à saturer les dispositifs d'hébergement d'urgence, distinguer entre ce qui peut être prévu et l'urgence de l'année est raisonnable. Je sais que les associations voudraient que cela fonctionne dans le sens inverse mais le choix d'une dotation initiale au juste besoin est compréhensible.

Néanmoins, depuis l'étude de l'Insee et de l'INED en 2012, aucune étude statistique sérieuse n'a été réalisée sur les personnes sans-abri en France. C'est un véritable problème pour le pilotage de cette politique dont le coût va croissant. Je vous proposerai donc un amendement à ce sujet.

Seconde question : le Gouvernement a-t-il raison de privilégier la création de places par rapport à d'autres critères ?

Bien entendu, comme chacun d'entre nous, je voudrais ne pas avoir à faire ce choix. Dans l'idéal, il faudrait créer toutes les places nécessaires et, en même temps, assurer l'accompagnement social et les conditions d'accueil les plus favorables. Cet idéal est difficile à atteindre car le budget n'est pas extensible dans un contexte de forte pression sur l'hébergement d'urgence. Dès lors, le Gouvernement a fait le choix, M. Julien Denormandie nous l'a dit clairement lors de son audition, de la quantité par rapport à une certaine qualité. La politique du logement est d'abord dictée par un souci de rigueur budgétaire parallèlement aux objectifs de créations quantitatives de places et d'évolution des hébergements vers plus d'intermédiation sociale.

L'exemple qui illustre le mieux ce choix, ce sont les pensions de famille. 125,9 millions d'euros y sont consacrés en 2020, soit 12,6 millions de plus pour créer 2300 nouvelles places. Il y en avait 15 500 en 2016, il y en aura 22 500 en 2020, soit + 45 % ! Mais en parallèle, le forfait de prise en charge par jour et par personne, qui est versé à l'hôte de la pension de famille, n'a pas été augmenté depuis 2008. Il est toujours fixé à 16 euros. S'il avait été indexé sur l'inflation, ce sont 20 à 25 millions supplémentaires qu'il aurait fallu débloquer. Je vous proposerai donc un amendement pour rehausser le forfait journalier des pensions de famille.

Le choix de privilégier l'urgence d'un toit est légitime, même s'il faudra bien entendu, dès que possible remettre l'accent sur l'accompagnement social. Nous savons que le succès sera à ce prix.

Je vous rappelle aussi qu'il y a toujours un recours important aux nuitées hôtelières qui ne devraient être qu'un dernier recours. Cela se traduit encore trop souvent par de long séjour pour des familles.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose donc de donner un avis favorable à ce programme.

Je voudrais aborder ensuite les crédits du programme 109 « Aide à l'accès au logement ». C'est de très loin le plus gros poste du budget avec 12 milliards d'euros en 2020, en recul d'1,4 milliards d'euros. Cette évolution s'explique par deux réformes, déjà abordées l'année dernière, la réduction de loyer de solidarité (RLS) et les APL en temps réel, la fameuse « contemporanéisation ».

Concernant la RLS, deux points sont importants : le Gouvernement tient-il ses engagements à la suite de la clause de revoyure signée en avril dernier ? Et quel est son impact sur les bailleurs ?

On peut répondre positivement à la première question. Les différents points négociés sont au rendez-vous. On les retrouve notamment aux articles 8, 67, 73 et 74 du projet de loi de finances, soit :

- le rétablissement de la TVA réduite pour certains logements sociaux. Cette évolution était nécessaire pour atténuer le choc de la RLS mais nous aurions souhaité le retour à un taux de 5,5 % pour l'ensemble des logements sociaux et je me réjouis que le Sénat ait voté en début de semaine un amendement en ce sens en première partie du projet de loi de finances ;

- la suppression de l'indexation de la RLS et l'indexation limitée à 0,3 % des APL. J'attire votre attention sur le fait que les bénéficiaires des APL vont subir une baisse de leur pouvoir d'achat ;

- la prise en charge par Action logement de 300 millions d'euros, normalement dus au Fonds national des aides à la pierre (FNAP) par les bailleurs sociaux ;

- et la contribution des bailleurs sociaux à hauteur de 15 millions d'euros au Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL).

S'y ajoute la compensation de la loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), c'est-à-dire la prise en charge par l'État à hauteur de 166 millions d'euros des moindres cotisations des entreprises au Fonds national d'aide au logement (FNAL) en raison de la hausse des seuils.

Au total, l'impact de la RLS est bien ramené de 1,5 à 1,3 milliard d'euros sur les trois prochaines années, de 2020 à 2022.

Concernant l'impact sur les bailleurs, la réponse doit être plus mesurée. L'ensemble des mesures d'accompagnement a permis de limiter les effets à court terme. À moyen et long termes, qui sont les véritables horizons pour les bailleurs sociaux, les doutes sont toujours présents. Les prêts de haut de bilan, comme les prêts à très long terme (80 ans) devront bien être remboursés un jour. Or, d'ici 2022, on ne sait pas ce qu'il adviendra de la RLS ! Sera-t-elle pérennisée ? Je le crains. On ne sait pas non plus quel impact aura le Revenu universel d'activité (RUA). C'est une grande préoccupation. Les APL y seraient intégrées sous la forme d'un supplément logement, solution à laquelle nous sommes nombreux à nous opposer car nous souhaitons que l'aide reste attachée au logement et ne soit fusionnée avec une autre allocation. J'ajoute que la Caisse des dépôts et consignation dans son étude Perspectives a mis en lumière la progression rapide de l'endettement des bailleurs sociaux qui passerait de 160 milliards d'euros aujourd'hui à 300 milliards d'euros dans vingt ans.

Concernant la construction de logements sociaux, on observerait un recul potentiel de 10 % qui pourrait être pour partie compensé par la validation d'un grand nombre de dossiers en fin d'année. Nous serions donc en deçà des 110 000 constructions neuves prévues par la clause de revoyure. Cela n'a rien d'étonnant compte tenu du coup d'arrêt donné à l'ensemble du secteur et de la proximité des élections municipales qui entraînent tous les six ans une baisse des opérations de promotion immobilière. Sur la promotion privée, le recul serait de 14 % au troisième trimestre 2019 par rapport à 2018.

Je voudrais aussi vous alerter sur les conséquences de la suppression de la taxe d'habitation alors que les logements sociaux sont exemptés de taxe foncière. On peut se demander quel maire sera à l'avenir incité à construire des logements sociaux.

J'en viens à la seconde réforme, dite des APL en temps réel. Cette mesure, vous vous en souvenez, a été votée dans la loi de finances pour 2019. J'avais d'ailleurs alerté sur la difficulté de la mettre en oeuvre aussi rapidement. Puis, son application a été reportée au 1er janvier 2020. M. Julien Denormandie l'a longuement évoquée lors de son audition. Il en résultera une économie de l'ordre de 1,3 milliard d'euros en raison du changement de la base de référence et de l'amélioration de la situation économique. La réforme entraîne donc un gain budgétaire, la première année de son application, de l'ordre de 10 % du montant total des APL, ce qui n'est pas négligeable !

Globalement, il s'agit d'une bonne réforme. Verser les APL sur la base des revenus des douze derniers mois et les réviser tous les trois mois, plutôt que sur les revenus de l'année n - 2, paraît une mesure qui va dans le bon sens.

Pour autant, toutes les craintes ne sont pas levées car même si la réforme ne modifie pas les paramètres de calcul, les différents acteurs ne disposent pas de simulation. De plus, il y a un risque élevé d'incompréhension des bénéficiaires et d'exposer les caisses d'allocations familiales de répondre à un grand nombre de questions car c'est une réforme technique extrêmement complexe.

Il me faut ensuite évoquer la contribution exceptionnelle au budget du FNAL imposée à Action logement qui est prévue par l'article 75 du projet de loi de finances. Elle s'élèvera à 500 millions d'euros. Il s'agit d'une mesure purement budgétaire de ponction sur la trésorerie d'Action logement au-delà de la mise en oeuvre du Plan d'investissement volontaire signé le 25 avril dernier. La commission des finances a donné un avis défavorable sur l'article 75. Je vous propose de ne pas la suivre car il me semble illogique de donner un avis favorable aux crédits dans leur ensemble tout en modifiant substantiellement leur équilibre en supprimant 500 millions d'euros.

Enfin, je veux faire le point sur l'APL accession en métropole et outre-mer.

Notre collègue M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, a proposé un amendement de crédits (seconde partie) visant à la rétablir. Il est compensé par des crédits du programme 135. Il a été voté par la commission des finances la semaine dernière. Je vous propose de le soutenir car beaucoup d'entre nous regrettent la suppression de ce dispositif peu coûteux (50 millions d'euros) qui facilite l'accession sociale à la propriété des ménages modestes et intermédiaires.

Concernant l'APL accession outre-mer, le Gouvernement a tenu son engagement. Son rétablissement est prévu par l'article 72 du projet de loi de finances sous la forme d'une « aide à l'accession sociale et à la sortie de l'insalubrité » dans les départements et régions d'outre-mer, ainsi qu'à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, afin de soutenir les ménages les plus modestes dans leur projet d'accession et d'amélioration de logements indignes et insalubres. Il met ainsi en oeuvre les conclusions de la conférence logement en outre-mer qui s'est tenue en juillet dernier. Mais cette aide est attribuée dans l'attente de la mise en place du revenu universel d'activité (RUA). C'est un point de vigilance.

Au total, même si j'ai un certain nombre de sujets d'insatisfaction et d'inquiétude, à commencer par l'économie une nouvelle fois opérée sur le logement et non compensée, je souhaite donner acte au Gouvernement des engagements tenus vis-à-vis du logement social à travers la clause de revoyure. C'est pourquoi, je vous propose un avis favorable.

En dernier lieu, j'aborderai le programme 135 consacré aux aides à la pierre et aux moyens de l'Anah. 346,5 millions d'euros lui seront consacrés en 2020, en hausse de 23,22 %. J'ai sur ce programme une satisfaction et une inquiétude.

La satisfaction, c'est le maintien du PTZ en zone B2 et C jusque fin 2021, qui a été voté par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement. Nous y étions favorables et je souhaite que cette disposition soit votée conforme pour qu'elle soit adoptée définitivement après les débats du Sénat.

Mon inquiétude a trait au budget de l'Anah. Le versement via le programme 135 sera accru cette année de 60 millions d'euros pour accompagner la transformation du CITE en prime qui est un véritable défi. C'est la principale raison de l'augmentation des crédits que j'évoquais. Par ailleurs, le succès du plan chaudière, qui a fait l'objet d'une communication agressive, a été tellement important qu'il met sous tension les finances de l'Anah. La subvention étant proportionnelle au prix des travaux, l'Anah a constaté un effet d'aubaine, les prix ayant progressé de près de 30 %. L'Anah disposait d'une trésorerie confortable de 311 millions d'euros fin 2018. L'Anah aurait désormais besoin d'un financement complémentaire de l'ordre de 90 millions d'euros d'ici à 2022, si elle veut pouvoir continuer toutes ses missions, financer de nouvelles opérations comme la rénovation des bourgs ruraux et ne pas réduire ses aides sur ses propres programmes.

J'aurais souhaité pouvoir présenter un amendement en première partie du projet de loi de finances pour soit déplafonner les versements au titre des quotas carbone en faveur de l'Anah, le plafond datant de 2018 à hauteur de 420 millions d'euros au lieu de 550 millions d'euros antérieurement, soit accroître la part de la taxe sur les locaux vacants affectée à l'Anah. Mais de tels amendements sont irrecevables au Sénat. Il restait donc la possibilité de présenter un amendement en seconde partie accroissant la subvention à l'Anah mais il ne serait pas compatible avec l'amendement présenté par notre collègue M. Philippe Dallier pour le rétablissement de l'APL accession et qui consiste à transférer 50 millions d'euros du programme 135 vers le programme 109.

Il nous faudra donc rester vigilant au sujet du budget de l'Anah, le Gouvernement étant certainement amené à proposer de lui-même les ajustements nécessaires s'il veut que ni la rénovation énergétique, ni celle des copropriétés dégradées ou des coeurs de ville ne pâtisse de cette situation.

Je vous propose donc de donner un avis favorable aux crédits du programme 135.

En conclusion, pour résumer, je propose donc que la commission donne un avis favorable aux programmes 177, 109, 135 et aux articles rattachés : 73, 74 et 75.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci Madame la rapporteur de ce rapport précis et concis. Je passe maintenant la parole à nos collègues à commencer par Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je souhaite tout d'abord rappeler que le changement des règles a fragilisé les CHRS et l'accompagnement social pour trouver des solutions de long terme. J'émets des réserves sur la contemporanéisation des APL en raison des économies budgétaires non compensées qu'elle entraîne et des effets pervers potentiels sur les jeunes qui entrent dans le monde du travail dans des conditions précaires ou à temps partiel. Le RUA quant à lui suscite une très grande inquiétude car il ne s'agit pas que de simplifier les minima sociaux. Comment les APL vont être versées alors que le droit au logement est inconditionnel ? Nous nous opposons à la fusion des APL avec les minima sociaux. Pourra-t-on d'ailleurs toujours percevoir les APL si l'on n'est pas éligible aux minima sociaux ? Je me félicite du maintien du PTZ qui me paraît un dispositif plus important que l'APL accession, dès lors j'aurai plutôt privilégié un abondement des crédits de l'Anah. La massification des aides est absolument indispensable. On pourrait réfléchir à une PPL sur les crédits carbone. Enfin, concernant la RLS, nous continuons le combat et maintenons notre désaccord car de nouvelles menaces se profilent à l'horizon.

Mme Valérie Létard. - L'Anah a connu par le passé des années difficiles et on a assisté à des effets « yoyo » car au dernier trimestre elle ne disposait plus des crédits nécessaires au versement des aides promises, les ressources des quotas carbone étant insuffisantes et aléatoires. J'avais d'ailleurs, en son temps, proposé un amendement pour créer un fonds de réserve pour conserver le produit des quotas carbone qui n'était pas utilisé. La part de l'Anah a été diminuée car, en 2018, elle n'avait pas pu utiliser l'ensemble des financements disponibles en raison de conditions trop restrictives. Cette année l'Anah atteint tous ses objectifs et on voudrait lui confier d'autres missions. Il faudrait pouvoir les financer ! Rappelons que la vente des quotas carbone s'élève à 840 millions d'euros en 2019, soit le double de ce qui est affecté à l'Anah. C'est bien là que se trouvent les moyens d'engager de manière décisive la rénovation énergétique des logements. Rappelons aussi que le CITE représentait 1,7 milliard il y a deux ans et qu'il ne représentera que 800 millions d'euros en 2020. Des amendements de correction du budget de l'Anah auraient vraiment été les bienvenus car sinon l'Anah va devoir revoir ses aides à la baisse pour maintenir son équilibre budgétaire. On est pas au rendez-vous de l'accélération promise. L'Anah aura un problème financier en fin d'année prochaine. Il faut que nous restions vigilants.

Concernant l'accueil et l'hébergement d'urgence, je m'inquiète du mélange des publics et de leur cohabitation car les besoins d'accompagnement ne sont pas les mêmes pour, par exemple, des demandeurs d'asile.

Enfin, à propos du RUA, il y a trop d'interrogations et beaucoup d'inquiétudes.

Mme Annie Guillemot. - J'aimerais revenir sur quatre points. Sur le logement, si on partage le diagnostic, on ne partage pas l'avis favorable donné sur les crédits et on ne le comprend pas au regard du rapport. Je voudrais ensuite rappeler que la baisse des APL ne passe toujours pas. Ce sont les personnes qui habitent en HLM qui en pâtissent directement avec la perte de moyens des bailleurs pour entretenir les immeubles. Je m'interroge sur l'impact pour les jeunes et les chômeurs de la réforme de versement des APL et de leur calcul en temps réel. Je note une diminution de 47 % des PTZ dans le neuf dans les seules communes B2 et C.

Je voudrais également faire part de notre préoccupation à propos de la remise en cause du modèle français du logement social avec des travaux qui envisagent l'entrée d'investisseurs privés. Je rappelle que le logement rapporte plus à l'État qu'il ne lui coûte. Les bailleurs sociaux n'ont pu faire face à la crise que grâce aux taux d'emprunt très faibles mais que va-t-il se passer quand la bulle immobilière va éclater ? Je m'inquiète ensuite du respect des objectifs de mixité dans le logement social. J'observe qu'en 2018, de nouveau, plus de la moitié des attributaires de logements dans le parc social ont un niveau de revenu en dessous du seuil de pauvreté.

Je ne peux que corroborer les inquiétudes sur les conséquences de la réforme de la taxe d'habitation et relever une nouvelle fois l'impact qu'elle aura sur le calcul des dotations de solidarité rurale ou urbaine aux communes pauvres en plus du problème de la désincitation à construire des logements sociaux.

Enfin, si je comprends la logique de rebasage budgétaire, on est obligé de constater qu'il y a de plus en plus de personnes sans-abri dans nos métropoles, y compris de personnes qui ont des emplois. Le Gouvernement devrait se souvenir de cette parole de l'abbé Pierre « Gouverner, c'est d'abord loger son peuple ».

M. Daniel Gremillet. - Ce rapport confirme les inquiétudes que nous formulions sur les moyens de la rénovation énergétique des logements lors de la discussion de la loi énergie climat. Nous disions que le vrai rendez-vous serait la loi de finances. Nous y sommes et les crédits ne sont pas à la hauteur. La réduction des crédits au détriment des 9e et 10e déciles ne profite pas en fait aux ménages les plus modestes.

M. Marc Daunis. - Je rejoins les observations déjà formulées sur la qualité de ce rapport et sur le RUA et le PTZ. Je voudrais savoir s'il existe une étude d'impact de la réforme du CITE sur les classes moyennes et supérieures, ce qui me paraît une erreur majeure compte tenu du défi que représente la rénovation énergétique des logements. Il y a un fossé entre les enjeux et les moyens alors qu'il faudrait changer de braquet. Nous venons d'examiner trois secteurs essentiels de notre économie ce matin : la recherche, l'agriculture et le logement et nous ne disposons pas d'une lisibilité des éléments stratégiques structurants. Je trouve cela inquiétant. Je crois qu'il est bien que nous ayons une vision d'ensemble tout en opérant des réorientations pragmatiques comme le propose le rapport.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Quelques compléments pour répondre aux différentes interventions : on ne dispose pas d'une étude d'impact sur l'effet de la suppression du CITE sur les classes moyennes et supérieures. Les CHRS ont subi une pression pour baisser leurs coûts mais il s'avère que l'on ne prend pas assez en compte la localisation et les charges relatives au foncier. Les objectifs d'accompagnement et de sortie des CHRS vers le logement ne sont pas atteints faute de places à proposer, malgré les efforts du Gouvernement. Il faudrait pouvoir aller plus vite. La réforme du versement des APL va réduire le pouvoir d'achat d'un grand nombre de personnes ce qui peut inquiéter pour les plus fragiles. Le RUA doit absolument préserver le tiers payant et tenir compte des différences de coût du logement. Sur l'Anah, j'ai voulu faire preuve de pragmatisme tout en tirant la sonnette d'alarme. Il y aura besoin de crédits supplémentaires.

Enfin, l'avis favorable que je propose sur les crédits est cohérent avec la signature de la clause de revoyure qui est respectée et qui a été acceptée par toute la famille HLM. Bien évidemment nous ne sommes pas satisfaits et le problème est renvoyé au-delà de 2022 et il nous faut rester vigilant.

Je vous présente ensuite les deux amendements relatifs au programme 177 que je vous propose d'adopter.

Le premier a pour but d'obtenir une hausse de un euro, sachant que trois euros seraient nécessaires au regard de l'inflation. Rappelons que les deux amendements présentés à l'Assemblée nationale par le rapporteur spécial, M. Pierre Jolivet, ont été rejetés. Il s'agit donc d'une proposition de compromis, volontairement limitée en montant, pour lancer une démarche de rattrapage et espérer qu'elle soit retenue par l'Assemblée nationale, sachant qu'une demande plus importante serait inévitablement rejetée par le Gouvernement.

Le second amendement vise à obtenir des données et une vision d'ensemble sur le sans-abrisme en France. Ces données sont indispensables puisque aucune étude complète n'est disponible sur ce phénomène depuis 2012. Or le nombre de personnes sans-abri augmente. C'est un véritable enjeu de pilotage de politique publique et de contrôle parlementaire. Ce rapport n'a en outre aucun caractère dilatoire. Compte tenu de l'ampleur du travail statistique, il n'est pas possible d'avoir les résultats avant l'été 2021. Il ne dessaisit pas non plus le Parlement de sa mission de contrôle puisqu'une telle publication nécessite des compétences et des données qui ne sont pas à sa disposition.

Mme Valérie Létard. - Nous approuvons les amendements présentés mais nous nous abstiendrons sur les crédits en raison notamment de l'insuffisance des crédits de l'Anah et des inquiétudes que l'on peut avoir sur la mise en oeuvre de la réforme du mode de versement des APL. Je souhaiterais aussi que la commission s'intéresse attentivement aux relations entre l'État et Action logement. Il y a un sujet d'application de la loi. Certains textes réglementaires ne sortent pas.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous voterons contre. La question du logement n'est pas traitée à la hauteur qui devrait être la sienne, même si nous approuvons le rapport qui a été présenté.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose tout d'abord de voter sur les deux amendements.

La commission adopte les deux amendements.

Je vous propose ensuite de voter sur les crédits des programmes 177, 109, 135 et 147 et les articles rattachés 73, 74 et 75.

La commission décide de donner un avis favorable.

Désignation d'un rapporteur

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons encore deux points de notre ordre du jour à examiner :

Il nous revient tout d'abord de procéder à la nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises, déposée par notre collègue Daniel Gremillet. Cette PPL est le fruit du groupe de travail Egalim et vise à modifier à la marge la loi que nous avons votée l'an dernier.

Étant donné que les dispositions concernées par ce texte porte sur le titre Ier de la loi, dont notre collègue Michel Raison avait été rapporteur, je vous propose de le nommer rapporteur sur cette proposition de loi.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il est en ainsi décidé.

Groupe de travail sur l'assurance récolte - Désignation des membres

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous devons procéder maintenant à la désignation des membres du groupe de travail sur l'assurance récolte. Ce groupe de travail, qui sera présidé par notre collègue Laurent Duplomb, aura pour objectif de travailler sur la question de l'assurance récolte et du fonds des calamités agricoles.

J'ai reçu les candidatures suivantes : Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Pierre Cuypers, Daniel Gremillet et Daniel Laurent pour le groupe Les Républicains ; MM. Franck Montaugé et Jean-Claude Tissot pour le groupe Socialiste et républicain ; Mme Anne-Catherine Loisier et M. Pierre Louault pour le groupe Union centriste ; Mme Agnès Constant pour le groupe La République en marche ; Mme Cécile Cukierman pour le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste ; M. Henri Cabanel pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; M. Franck Menonville pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Je vous propose donc de nommer nos douze collègues membres de ce groupe de travail. Bien entendu, ses travaux seront ouverts aux autres sénateurs intéressés par le sujet.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 20.