Mercredi 13 mai 2020

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La téléconférence est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (en téléconférence)

M. Alain Milon, président. - Nous entendons ce matin M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Cette audition a lieu en visioconférence et fait l'objet d'une retransmission en direct sur différents médias.

Pour le suivi de la gestion de la crise sanitaire que nous traversons, nous avons jusqu'à présent entendu des ministres, des responsables d'administration ou d'agence, ce qui est normal puisqu'ils sont aux responsabilités. Nous avons aussi reçu des scientifiques. Nous recevons ce matin le directeur général du plus grand centre hospitalo-universitaire de France, avec 39 hôpitaux au sein d'une région particulièrement touchée par l'épidémie de Covid-19.

Monsieur le directeur général, vous êtes intervenu à plusieurs reprises dans la crise pour faire part des besoins criants de l'AP-HP dans certains domaines et souligner le risque de submersion des services de réanimation devant l'afflux de patients.

Nous ne sommes, bien sûr, pas sortis de l'épidémie, même si le nombre de décès semble ralentir depuis quelques jours. Avant-hier et hier cependant, de nouveaux foyers de contamination sont apparus. Nous souhaiterions que vous fassiez un premier bilan au regard de la période que nous venons de traverser. Je vous poserai personnellement deux questions.

Le manque d'équipements de protection individuels apparaît comme l'un des échecs de notre pays. En tant que directeur général de l'AP-HP, aviez-vous conscience que la doctrine prévoyait que la responsabilité d'équiper leurs personnels incombait aux hôpitaux en leur qualité d'employeurs, comme il semble que ce soit le cas depuis 2013 ? Cette doctrine a-t-elle clairement été exposée comme étant valable en cas de crise sanitaire ?

Ma seconde question porte sur la comparaison entre la France et l'Allemagne en termes d'offre hospitalière. J'imagine que vous êtes en contact régulier avec vos collègues de l'hôpital de la Charité de Berlin. Quels sont les principaux éléments qui ont permis à l'offre hospitalière allemande d'être, apparemment, mieux à même de répondre à la crise ?

M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). - Dès le début de la crise, l'AP-HP a fait en sorte que les nombreux hôpitaux qu'elle regroupe communiquent entre eux, mènent la même politique, partagent les recommandations et fassent remonter les informations. Nous tenons quotidiennement des réunions de crise, le matin avec les responsables médicaux et directoriaux des groupes hospitaliers, auxquels s'ajoutent, le soir, des experts et des médecins.

À la date d'aujourd'hui, l'AP-HP a pris en charge 14 074 patients atteints du Covid-19, dont 2 971 sont passés par nos unités de réanimation. C'est à la fin de la première semaine d'avril que le nombre de patients en réanimation a été le plus élevé.

Le nombre de nos patients a diminué environ de moitié en un mois, ce qui représente une décroissance lente : 469 personnes sont actuellement en réanimation dans nos établissements. Nous assurons, en outre, le suivi à domicile de 60 000 personnes environ, ayant subi un test PCR ou présentant les symptômes du Covid, qui bénéficient d'une télésurveillance partagée entre l'hôpital et la médecine de ville. Elles peuvent, de chez elles, consulter leur médecin traitant, répondre à un questionnaire quotidien, être jointes par téléphone, éventuellement bénéficier d'une téléconsultation. La moitié des médecins généralistes d'Île-de-France ont inscrit au moins un patient sur cette plateforme.

En Île-de-France, nos hôpitaux ont pris en charge 40 % des patients atteints du Covid. L'ensemble des établissements publics et privés ont été mobilisés en temps utiles, sous l'autorité de l'agence régionale de santé (ARS), le pilotage visant, dans une approche globale, à armer parallèlement les hôpitaux publics et privés, à but lucratif ou non, en termes de nombre de lits, d'effectifs et d'équipements médicaux. Ce dispositif a permis de surmonter les difficultés.

Le 31 mars et le 1er avril, avant même le pic de l'épidémie, le nombre de lits disponibles voisinait celui des malades, mais nous n'avons pas été dépassés. Lors de la première semaine d'avril, nous avons ouvert des lits supplémentaires. La répartition a été très claire entre les différents établissements, en période de croissance comme de décroissance de l'épidémie, pour la prise en charge des patients atteints du Covid et de ceux souffrant d'autres pathologies. Nous n'avons pas laissé les urgences vitales sans réponse, mais chaque établissement a dû s'adapter afin que les patients et les personnels soient en sécurité.

Les ressources en personnels sont le facteur clé de notre dispositif. Au début de la crise, des postes étaient vacants, pour les raisons structurelles que j'avais exposées devant le Sénat ; nous étions d'ailleurs dans un contexte de grève. Trois points doivent être soulignés.

Premièrement, l'ensemble des personnels se sont mobilisés sans réserve ni limite. De nombreux permanents syndicaux ont ainsi remis leur blouse. Deuxièmement, il a fallu réduire les repos et les congés, élargir les horaires de travail et recourir de façon considérable aux heures supplémentaires. Troisièmement, nous avons fait appel à des renforts, soit 8 000 équivalents temps plein (ETP), notamment des étudiants en médecine, des étudiants infirmiers ou kinésithérapeutes, des retraités, des personnels provenant d'autres établissements et régions.

Nos équipes d'hygiène hospitalière ont défini des recommandations portant sur les gestes barrières, le lavage des mains, les masques. Lorsque la crise a pris de l'ampleur, nous disposions d'un stock de 2,5 millions de masques chirurgicaux et FFP2. Notre consommation quotidienne de masques, qui était de 10 000 à 15 000, est passée à 190 000 masques chirurgicaux et 45 000 FFP2. Tandis que notre stock diminuait, nos approvisionnements traditionnels, nationaux ou internationaux, se tarissaient et la demande mondiale explosait. Nous avons donc pris des mesures de prescription stricte de ces équipements, alors même que nous en élargissions l'usage. Il y a eu aussi des tensions sur les blouses et les visières. Pour les pallier, nous avons alerté sur nos besoins, activé nos mécanismes d'approvisionnement, utilisé l'argent des dons et mis en route des systèmes de production. Un dispositif tridimensionnel comprenant 63 imprimantes 3D en batterie, mis au point et validé par des experts, produit ainsi des matériels de protection individuels.

Je veux saluer la mobilisation remarquable de nos équipes et notre mode de fonctionnement, lequel a été proche de l'idéal. Ces professionnels ont changé de pratiques, d'usages, parfois de métier, et ont fait preuve d'une solidarité sans faille. Sans jamais se considérer comme des héros, ils ne voulaient pas que les applaudissements de 20 heures soient vains.

Tout aussi forte fut la mobilisation pour participer aux simulations épidémiologiques, transmettre les données, faire des recommandations et gagner la bataille de la prévention pour maîtriser l'épidémie. Nous avons mis en place avec différents partenaires - collectivités territoriales, ONG, médecins de ville, communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), maisons de santé -, avant l'annonce par le Président de la République de la date du déconfinement, le programme Covisan visant à casser les chaînes de contamination. Il concerne actuellement environ 1 500 personnes, qui ont donc fait l'objet d'une enquête de voisinage, d'une mesure d'isolement, d'une dotation en masques et solution hydroalcoolique.

Sur la comparaison avec l'Allemagne, je resterai prudent. Je ne pense pas qu'il y ait un lien entre le nombre de lits de réanimation en Île-de-France et la mortalité ou la surmortalité. Ce ne fut pas un facteur de perte de chance.

M. Martin Lévrier. - Durant la crise, on a frôlé le point de rupture sur le nombre de lits et les services de l'AP-HP tournent toujours à plein régime. Dans la perspective d'une éventuelle nouvelle vague, quelles mesures sont prises pour permettre aux personnels de se reposer ? Quelles sont les pistes pour désengorger les hôpitaux encore surchargés ? Pourquoi ne pas opérer des transferts vers les hôpitaux de province ? Quid du réarmement de l'Hôtel-Dieu qui pourrait, dit-on, accueillir plus de 100 patients en réanimation ?

Vous aviez lancé sur Franceinfo, fin mars, un appel solennel en quatre points pour demander : un respirateur en face de chaque malade ; des personnels supplémentaires via le recours au volontariat et aux réquisitions ; une reconnaissance sous forme de primes ; l'approvisionnement en médicaments, notamment pour l'anesthésie. Qu'en est-il de ces demandes ?

M. Martin Hirsch. - Les transferts de patients, début avril, ont été d'une utilité majeure et ont permis de faire jouer la solidarité nationale, mais il ne serait pas pertinent de réitérer ces opérations ; le suivi des patients n'y gagnerait pas. D'ailleurs, en cas de reprise de l'épidémie, les autres régions ne seraient pas moins exposées.

Nous encourageons les personnels à prendre des jours de repos et souhaitons obtenir une dérogation pour qu'ils puissent voyager à plus de 100 kilomètres de leur domicile. Pour les mois de juin, juillet, août et septembre, nous proposons des mesures d'assouplissement portant sur le rachat des comptes épargne-temps (CET), les congés, bonifiés ou non, etc.

Il est faux de dire que l'Hôtel-Dieu pourrait accueillir 100 lits de réanimation, car l'accès aux flux de gaz médicaux ou au courant alternatif n'y est pas possible. Pour ouvrir de tels lits, il faudrait casser le bâtiment, les chambres étant trop petites. Il faudrait par ailleurs faire venir des personnels d'autres hôpitaux. Nous avons préféré, par pragmatisme, ouvrir début avril, pour 89 patients, un bâtiment de soins critiques dont l'ouverture était prévue en octobre, et qui répond à toutes les conditions de sécurité.

J'ai en effet dit, fin mars, que nous avions besoin de respirateurs, de renforts de personnels, d'une première reconnaissance sous forme de primes et d'approvisionnements sécurisés. Nous avons obtenu satisfaction sur ces quatre points et n'avons pas connu de pénurie de médicaments.

Les acteurs hospitaliers ont permis de dépasser les problèmes structurels. Pour que ceux-ci ne reviennent après cette crise aiguë, il faut agir sur les causes.

Mme Laurence Cohen. - Vous le savez, monsieur le directeur général, je suis en désaccord avec votre politique, car vous avez toujours suivi les choix gouvernementaux de restriction des dépenses de santé, les plans draconiens de fermeture de lits et d'embauches insuffisantes. Vous venez de rendre hommage aux personnels hospitaliers ; j'espère que vous vous en souviendrez après la crise.

Vous décrivez un fonctionnement « idéal ». Celui-ci a pourtant eu pour conséquence l'énorme fatigue des personnels. Des leçons doivent être tirées concernant le nombre de lits, qui est un véritable problème.

Vous avez parlé des difficultés de recrutement. Que pensez-vous des deux mesures suivantes, qui pourraient être prises immédiatement afin de pallier les sous-effectifs : l'embauche d'agents hospitaliers pour soulager les aides-soignants et les infirmiers, et la mise en place du contrat de pré-embauche pour les étudiants, notamment les étudiants infirmiers en fin de formation, avec un aménagement pour la validation de leur diplôme ?

Vous affirmez doctement que l'Hôtel-Dieu ne peut pas accueillir de lits de réanimation. J'ai visité à plusieurs reprises cet établissement, et nous avons auditionné des urgentistes et des syndicalistes qui contredisent vos propos. Ne pourriez-vous organiser une visite pour notre commission des affaires sociales ?

L'intersyndicale de l'hôpital Henri-Mondor vous a alerté par courrier sur le fait que des patients atteints du coronavirus seraient décédés à cause de la formation insuffisante des personnels venus en renfort et de la tension sur les effectifs. Il y a des menaces de sanctions.

Mme Catherine Deroche. - Quel sera l'impact financier pour l'AP-HP de la gestion de l'épidémie ? À quelle hauteur des crédits seront-ils mobilisés dans le cadre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ou de la garantie de financement ?

Selon quel calendrier et quelles modalités anticipez-vous la reprise d'activité pour les soins déprogrammés ? Dans cette perspective, comment se fait la coordination avec les établissements privés de santé et l'ARS ? Dans mon département, les cliniques privées reprogramment les actes de chirurgie, mais de nombreuses interventions se feront sans anesthésie générale, notamment du fait de la tension sur les curares.

Quelle organisation avait été mise en place, hors épidémie, pour constituer des stocks de masques FFP2 ? On a constaté que, depuis 2013, le stock d'État avait disparu. Faudra-t-il à l'avenir maintenir des stocks au seul niveau des hôpitaux, ou tout regrouper sous l'autorité de Santé publique France ?

M. Alain Milon, président. - Ou d'un nouvel Éprus !

Mme Brigitte Micouleau. - En tant que directeur général de l'AP-HP depuis 2013, vous connaissez les besoins en matériels médicaux, notamment en masques pour les personnels soignants. Ne pouviez-vous pas infléchir à temps la doctrine lancée par Marisol Touraine qui, lorsqu'elle était ministre de la santé, a fait adopter une distinction entre les stocks stratégiques et les stocks tactiques, dont la gestion a été confiée aux établissements de santé ? Les hôpitaux et les établissements médicaux régionaux, déjà financièrement exsangues, ont alors été contraints d'acheter ces équipements.

Au début de la crise sanitaire, le 1er mars, vous avez dit sur Europe 1 : « La chloroquine marche très bien dans une éprouvette, mais n'a jamais marché chez un être vivant. » Vous visiez implicitement les préconisations du professeur Raoult. Protégez-vous l'essai thérapeutique mené par l'AP-HP sur le tocilizumab, que vous avez qualifié dans un communiqué du 27 avril de « particulièrement prometteur » ? Comment expliquez-vous que le comité scientifique indépendant qui surveillait cet essai thérapeutique ait démissionné en bloc ? Où en sont les recherches actuellement ?

Sur le manque de moyens de l'hôpital public, je reprends les propos d'André Grimaldi, professeur à la Pitié-Salpêtrière : « On s'est trouvés totalement démunis face à l'épidémie de coronavirus en raison d'un choix politique, qui a été de traiter la médecine et la santé comme une marchandise comme une autre, avec un souci de rentabilité immédiate. » Que répondez-vous à cette affirmation, laquelle rejoint la réflexion des enseignants qui manifestent depuis plus d'un an pour demander des moyens ?

À la veille du déconfinement, dimanche dernier, la bonne nouvelle tombait : « seulement » 70 décès du Covid étaient enregistrés dans la journée. L'embellie fut de courte durée puisqu'il y eut lundi 264 victimes de cette maladie et 348 hier. La région d'Île-de-France est désormais la plus touchée. Quelle est la stratégie de l'AP-HP pour les semaines à venir ?

M. Xavier Iacovelli. - L'AP-HP a récemment lancé une étude de grande envergure, dénommée Corimuno-19, dont l'objectif est de déterminer l'efficacité des stratégies thérapeutiques chez les patients atteints du Covid. Ce vaste projet permet la réalisation simultanée d'essais contrôlés sur la base d'un protocole unique chez les patients adultes hospitalisés. Avez-vous des résultats à nous communiquer ?

Un vif désaccord portant sur la communication, avant l'évaluation par les pairs, relative aux essais sur le tocilizumab a provoqué la démission en bloc du comité de surveillance. Celui-ci dénonçait aussi un certain nombre de dysfonctionnements, notamment des changements de critères. Quelles sont les modalités de fonctionnement et les différentes phases de ce programme ? Avez-vous des chiffres précis permettant de confirmer les bons résultats du tocilizumab sur les patients hospitalisés ?

M. Dominique Théophile. - Le programme Covisan lancé par l'AP-HP, qui vise à casser les chaînes de transmission du virus et à éviter une seconde vague de contamination en Île-de-France, est-il exportable dans d'autres régions, notamment les outre-mer ? Comment l'AP-HP peut-elle accompagner les établissements qui souhaitent s'en inspirer ?

M. Martin Hirsch. - Les sénateurs et les députés sont les bienvenus dans tous nos hôpitaux, y compris à l'Hôtel-Dieu. S'agissant de cet établissement, je note que vos sources, madame Cohen, sont des urgentistes et non des réanimateurs. La décision de ne plus y pratiquer la réanimation a été prise avant ma nomination à l'AP-HP, pour un motif de non-respect des normes de sécurité. Mieux vaudrait rendre hommage aux équipes de l'Hôtel-Dieu, premier centre parisien pour les tests PCR, pour ce qu'elles font !

Nous avons ouvert un bâtiment au sein de l'hôpital Henri-Mondor et accéléré le calendrier sans transiger sur les conditions de sécurité. J'ai répondu aux quinze allégations contenues dans le courrier dont vous avez parlé, madame la sénatrice, en expliquant que le reproche de mauvaise prise en charge des patients n'était pas étayé. Je n'ai pas dit que tout était parfait. Il n'était pas facile pour des étudiants en médecine ou des élèves infirmiers d'apporter leur concours dans de telles conditions, mais ils l'ont fait remarquablement, encadrés et accueillis par des professionnels plus expérimentés. Cette expérience marquera durablement leur esprit et j'espère qu'elle aura pour effet positif le renforcement de la notion d'équipe.

Vous m'interrogez, madame Cohen, sur les mesures qui peuvent être prises en faveur des personnels, après m'avoir accusé, comme Charlie Hebdo, d'être le fossoyeur de l'hôpital public et de ne pas respecter ceux qui y travaillent. Il y a trois ans, j'ai évoqué publiquement le problème de la rémunération des paramédicaux en France en général, et en Île-de-France en particulier, à une époque où vos rapports n'en faisaient pas mention. Je l'ai redit devant vous. J'ai partagé les études de l'OCDE allant en ce sens, et plaidé pour une révision des modalités de rémunération. Il faut peut-être revoir les éléments du statut de l'après-guerre, et s'adapter aux aspirations des professionnels aujourd'hui. Je n'ai pas changé de discours avec la crise du Covid. Mon propos est simplement davantage audible. Le moment est venu de prendre des mesures adaptées à la situation de chaque profession.

Vous souhaitez favoriser la promotion professionnelle - j'adhère pleinement à cette idée. Actuellement, une aide-soignante qui exerce son métier depuis quinze ans doit s'arrêter pendant trois ans pour suivre une formation d'infirmière, qui coûte 200 000 euros - beaucoup plus qu'un MBA dans une école de commerce ! Mais on pourrait faire autrement : elle pourrait, pendant son activité professionnelle, faire des gestes d'une plus grande technicité et valider son exercice professionnel pour sa formation... Réduire le coût sans diminuer la qualité est possible, afin de former davantage de personnes. Nous sommes partants pour nous engager dans cette voie. Nos personnels sont demandeurs et nous pouvons le faire dès maintenant. J'ai sollicité des mécénats pour financer la formation professionnelle. Cet enjeu n'est ni catégoriel ni idéologique : il est vital et surtout réalisable.

M. Alain Milon, président. - Je le confirme, vous aviez mené, avec Didier Tabuteau, une réflexion sur un nouveau mode de financement de la santé auquel je souscris totalement.

M. Martin Hirsch. - Il faut aborder la question des masques sous un angle large. Deux sujets complémentaires doivent être traités : les masques pour les professionnels et ceux pour le grand public. Je ne pense pas - mais je veux être prudent - que les hôpitaux doivent être responsables des stocks pour le grand public ; en revanche, ceux qui sont destinés à leurs professionnels doivent relever de leur responsabilité, afin de ne pas dépendre de circuits complexes.

En matière de recherche, vous m'interrogez sur la position que j'ai prise à la fin du mois de mars sur l'hydroxychloroquine et sur la communication de l'AP-HP du 23 avril relative à l'un de nos essais cliniques. La recherche a été très active dans notre pays : l'AP-HP a pris en charge 14 000 patients, dont 7 000 ont été inclus dans des essais cliniques, et ce dans des délais records. La mobilisation des acteurs concernés a été remarquable : des étudiants sont devenus des techniciens d'études cliniques, des comités de pilotage ont priorisé les recherches pour éviter qu'elles ne se cannibalisent. Le soin a été fait en parallèle des exigences de la recherche clinique : nous n'avons pas agi seulement pour gérer la situation immédiate, nous nous sommes également préoccupés de la deuxième vague ou de la troisième... Ne tapons pas sur la France quand elle fonctionne bien ! Nos hôpitaux sont un atout de notre pays. J'y insiste, à un moment où nous n'aurions pu faire que du soin, nous avons fait notre devoir en faisant en même temps de la recherche.

Nous avons participé à des essais, comme Discovery, et promu les nôtres, avec d'autres hôpitaux - je pense à Corimuno-19. Je fais totalement confiance aux acteurs de la direction de la recherche clinique, dont l'excellence est reconnue bien au-delà de nos frontières. Si nous étions mauvais, les autres pays, comme la Chine, nous solliciteraient-ils pour faire de la formation à la recherche clinique ? Pensez-vous vraiment que, au moment du Covid, nous avons jeté par-dessus bord les bonnes pratiques dont nous sommes les plus grands fervents ?

Alors que s'est-il passé ? Face à des résultats prometteurs, les scientifiques ont été confrontés à un dilemme : attendre ou communiquer leurs résultats au vu du contexte très particulier de cette crise. Ce sont les scientifiques qui ont tranché en faveur d'une communication, que nous avons accompagnée institutionnellement. Ont-ils prétendu que ces résultats étaient déjà publiés, que l'étude avait été revue par des pairs, ou donné des chiffres ? La réponse est non. Ont-ils estimé que les résultats étaient suffisamment prometteurs pour être partagés ? La réponse est oui.

Le Data Safety Monitoring Board - le comité de surveillance et de suivi des données - a démissionné, car ses membres n'étaient pas d'accord avec la décision prise. Nous avons constitué un nouveau comité, élargi à des étrangers, pour éviter les querelles franco-françaises, et décidé que les scientifiques ne feraient pas de nouvelle communication avant l'étape de la publication par les voies scientifiques traditionnelles.

Sur l'hydroxychloroquine, nous avons proposé de lancer des études scientifiques rigoureuses. Je me suis interrogé sur la différence entre les résultats in vitro et l'absence d'éléments scientifiques prouvés in vivo, mais je n'ai mis aucun obstacle à la réalisation d'études sur ce sujet.

J'en viens à Covisan. Le Gouvernement a décidé de mettre en place des équipes mobiles avec l'assurance maladie. Le savoir-faire que nous avons développé est à la disposition de tous ceux qui le jugeraient utile. Nos professionnels apportent un soutien aux patients et aux cas contacts, avec la mise à disposition de services, tout en ayant une vision médicale de proximité et en menant un travail de conviction.

La stratégie de l'AP-HP dans les prochains mois est la suivante : ne rien désarmer, reconstituer ses forces, plaider pour l'adoption rapide de mesures permettant de fonctionner de manière stable, se mobiliser pour ne pas être passifs face à une éventuelle deuxième vague en contribuant à la prévention et en cassant les chaînes de contamination. Nous veillons aussi, en parallèle, à ce qu'il n'y ait pas de retard dans la prise en charge des autres pathologies graves.

Mme Corinne Imbert. - Des critiques se sont élevées contre une gestion trop hospitalo-centrée de la crise, mais vous avez rappelé que plus de 60 000 patients avaient été pris en charge à domicile, ce qui est très satisfaisant.

Nous avons auditionné le responsable de l'étude Discovery, qui a évoqué la faiblesse de la recherche clinique en ville. Menez-vous des projets de recherche sur ces nombreux patients que vous avez pris en charge à domicile ?

Vous avez évoqué la gestion des masques et des équipements de protection individuelle, mais je suis un peu restée sur ma faim... Comment avez-vous travaillé avec Santé publique France sur cette question ?

M. Yves Daudigny. - Pouvez-vous apporter des précisions sur la mobilisation de vos établissements en matière de contact tracing au travers de l'application Covisan ? Quelles seraient, selon vous, les conditions d'un recours à l'application StopCovid, à laquelle mon groupe politique est opposé ?

En matière d'essais cliniques, vos équipes collaborent-elles avec la médecine de ville afin de suivre soit les patients ne nécessitant pas une hospitalisation, soit ceux qui sortent de l'hôpital ? N'est-il pas nécessaire d'inclure dans la recherche clinique des patients asymptomatiques ou ne présentant pas une forme grave de la maladie ? Comment associer la médecine de ville aux essais cliniques ?

Avez-vous évalué le nombre de personnels de l'AP-HP atteints par le Covid-19 ? Ont-ils pu être testés ? Comment s'est organisée, d'une part, la montée en charge de ces tests au sein de l'AP-HP et, d'autre part, la collaboration avec les laboratoires de ville ou les autres laboratoires autorisés à titre exceptionnel à faire ces tests ?

Mme Victoire Jasmin. - Monsieur le directeur général, vous avez félicité les personnels. J'ai été frappée par les témoignages de soignants qui étaient en pleurs ou en très grande souffrance. Des mesures ont-elles été prises pour assurer un suivi psychologique à moyen et long termes de ces professionnels ?

De nombreux soignants ont souffert de problèmes de voisinage, notamment en région parisienne ; certains ont même dû déménager. Avez-vous pris en compte ces situations pour améliorer la qualité de vie de ces personnes au travail ?

Mme Monique Lubin. - Les soignants impliqués dans la lutte contre le Covid ont, disent-ils, retrouvé le goût de leur métier parce que, pendant cette période, ils ont cessé de travailler en fonction de logiques administrative et managériale : des départements hospitaliers ont été réorganisés, des solutions ont été rapidement trouvées pour assurer les soins et mettre en place des modes d'organisation efficients là où, d'habitude, les choses traînent parfois tragiquement en longueur et où des bâtons leur sont mis dans les roues.

Malheureusement, une fois passé le pic de la crise, ils déplorent un retour à « l'anormale normalité » : retour de la logique administrative, avec des tableaux Excel d'activité à remplir, combiné à un stress intolérable et des conditions de travail ubuesques qui avaient récemment conduit des dizaines de chefs de service à démissionner. Que pensez-vous de cette situation ?

M. Martin Hirsch. - Je peux confirmer à Mme Imbert et M. Daudigny que la recherche clinique va au-delà des patients graves hospitalisés. Le projet MG Covid, par exemple, est conduit avec les médecins généralistes et aucun autre pays ne mène un projet de l'ampleur de Covidom, qui a permis d'inscrire 60 000 patients à domicile sur une seule application.

Cette période a permis de faire tomber des murs et d'estomper des frontières, notamment entre la médecine de ville et l'hôpital. Il n'y a pas eu d'hospitalo-centrisme, bien au contraire ! Les malades graves ont été pris en charge à l'hôpital, mais les hôpitaux ont travaillé avec les autres acteurs.

Santé publique France est responsable de la centralisation des approvisionnements. Nous lui avons donc fait remonter nos besoins, tout en comprenant bien que les besoins de tous devaient être satisfaits et que nous n'étions pas les seuls en France.

En matière de contact tracing, je ne me prononcerai pas sur StopCovid. Si le Gouvernement me demande de tester cette application, je le ferai, mais je n'ai pas été saisi jusqu'à présent. Faut-il des applications anonymes ou, au contraire, un système qui permette la localisation des personnes ? Nous avons choisi de réamorcer la seconde démarche. Je parle de « réamorcer », car c'est ce que nous faisons déjà lorsqu'il y a des cas de méningites et c'est aussi ce qui a été fait en janvier et en février pour juguler les clusters. Les chaînes de contamination peuvent concerner des malades qui ont des médecins traitants, mais aussi d'autres qui n'en ont pas et au-devant desquels il faut aller. Certains se présenteront dans des pharmacies avec une symptomatologie qui attirera l'attention, d'autres appelleront le 15, d'autres encore se présenteront dans des services d'urgence... Dès lors qu'un patient est potentiellement contaminant, il faut pouvoir déclencher un dispositif rapide qui puisse désormais être en lien avec un système national. L'objectif est « d'éviter les trous », de couvrir tous les patients.

Plusieurs questions, notamment celles de M. Daudigny et Mme Jasmin, ont porté sur la souffrance des personnels et la protection que nous leur offrons. Nous avons d'emblée rendu public chaque semaine le nombre de personnels contaminés. Nous avons à déplorer la perte de quatre professionnels, dont l'un est un cas particulier puisqu'il était en télétravail. Mais nous avons choisi de considérer que la contamination de tout personnel hospitalier était liée à l'exercice de l'activité professionnelle. Le nombre de personnels identifiés comme contaminés est de 4 500 ; des mesures permettant de les tester, de les soigner et de les isoler ont été prises. Depuis une dizaine de jours, nous proposons aussi des tests aux membres de l'équipe dans laquelle ils travaillaient, ainsi qu'à leurs cas contacts. Nous faisons à l'intérieur de nos murs le contact tracing que nous préconisons à l'extérieur.

La sérologie qui sera progressivement pratiquée mettra certainement en évidence que le nombre de personnes ayant été en contact avec le virus, et l'ayant peut-être attrapé sans développer de symptômes, sera plus élevé que le nombre que je viens de vous donner.

S'agissant des personnels, je peux vous dire que toute personne qui travaillait en réanimation pendant le mois d'avril a forcément été en souffrance, car nous n'étions pas habitués à une telle situation. Nous avons essayé d'accompagner au mieux nos personnels. Dès le début, nous avons mis en place des lignes d'écoute 24 heures sur 24 avec des psychologues et des psychiatres, et diffusé largement ces numéros. Des équipes de psychologues, auxquelles je rends hommage, se sont rendues dans les services pour proposer leur aide. Nous avons mis en place une plateforme web Hoptisoins, pour que les personnels aient facilement accès aux taxis, hébergements, aides et partenariats que nous avons conclus... Cela n'enlève pas la souffrance, mais peut en atténuer les effets. Nous avons également fait en sorte d'améliorer les repas et les avons rendus gratuits. La mobilisation a été extraordinaire et nous avons reçu l'aide de donateurs et de volontaires, dans un élan de générosité qui allait bien au-delà des applaudissements de 20 heures et auquel nous avons tous été très sensibles.

Madame Lubin, vous m'avez m'interrogé sur le retour à « l'anormalité ». Effectivement, certains acteurs avaient l'impression qu'il fallait toujours demander des autorisations ou des moyens, et ils se sont retrouvés dans une situation différente. Le pire serait que chaque catégorie de l'hôpital raisonne comme si elle était seule. La première leçon de cette crise, c'est que l'hôpital est une communauté, avec des médecins, des infirmières, des professions paramédicales, des personnels administratifs et techniques. Si vous pensez qu'avant la crise certains personnels subissaient des normes tandis que d'autres trouvaient un plaisir malin et pervers à les faire appliquer, vous vous trompez !

Le système hospitalier français, soumis à des contraintes particulières comparé à d'autres pays, est cloisonné, et ses différentes catégories de personnels peuvent être montées les unes contre les autres - médecins contre administratifs, mais aussi professeurs des universités (PU) contre praticiens hospitaliers (PH), titulaires contre contractuels, etc. Mais si vous croyez que certains, parce qu'ils portent une cravate ou ont une casquette administrative, veulent revenir à ce mode de fonctionnement, vous vous trompez ! Il n'y a pas des vainqueurs et des vaincus, des gentils et des pervers. Il faut repenser l'hôpital, pour lui donner davantage de leviers d'action, car plus le pouvoir est faible, et plus les luttes pour l'acquérir sont fortes. Donnons davantage de souplesse aux organisations hospitalières publiques. Il faut garder l'esprit public, mais sans le tatillonnisme.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je souscris à vos propos sur les personnels soignants, qui ont dû consentir de lourds efforts. Leur engagement à soigner les malades a été démontré et quatre d'entre eux sont décédés. L'épidémie n'est pas terminée, mais il est important d'apporter une reconnaissance à tous ceux, soignants comme administratifs, qui ont participé à l'effort collectif de lutte contre le Covid-19. Le Premier ministre a annoncé le 17 avril une prime pouvant aller de 1 000 à 1 500 euros, mais les décrets ne sont toujours pas signés. Le retard pris dans le versement de cette prime n'est-il pas un mauvais signal envoyé à ces personnels à qui l'on a demandé une disponibilité immédiate et imposé de travailler sans dispositif de protection pendant les premières semaines ?

Lors d'une interview, vous avez demandé le lancement immédiat des négociations pour une revalorisation salariale. Ont-elles débuté ? Êtes-vous personnellement favorable à une revalorisation des salaires des personnels ?

Les agents de service ne sont pas concernés par la prime. Ils sont pourtant au contact des malades puisqu'ils nettoient les locaux, dont les chambres. Qu'est-il prévu pour cette catégorie ?

Dans mon département du Pas-de-Calais, il a été question que la prime ne soit que de 500 euros, alors que nous sommes en zone rouge. Le Gouvernement est depuis revenu sur cette annonce. La prime doit être de 1 500 euros pour tous, pour des raisons d'égalité.

Mme Michelle Gréaume. - J'espère que cette pandémie nous donnera l'occasion d'avoir une autre vision de notre système de santé se traduisant notamment par un arrêt de la fermeture des établissements et services, le recrutement de personnels, l'augmentation des salaires et un calcul à sa juste valeur de l'Ondam avec une évolution positive pour les années futures. Le manque de réanimateurs et de personnels qualifiés en réanimation a posé problème pour la régulation de la pandémie. La question de la reconnaissance du métier d'infirmier de réanimation se pose. Une lettre ouverte à l'intention du ministre de la santé et des solidarités a reçu plus de 4 850 signatures, dont celles de nombreux chefs de réanimation. Ces personnels peuvent passer des diplômes universitaires spécifiques, mais ceux-ci, très onéreux, doivent être financés par les agents eux-mêmes et préparés sur leur temps personnel. Estimez-vous que cette catégorie doive bénéficier d'un statut spécifique ?

En mars, vous avez affirmé à la radio que la chloroquine n'avait jamais marché sur un être vivant. Que pensez-vous de la commande de précaution de phosphate de chloroquine par le ministère des armées et du protocole Raoult utilisé par certains médecins ?

M. Alain Milon, président. - Je précise que le montant de la prime dans le Pas-de-Calais est bien maintenant de 1 500 euros.

M. Martin Hirsch. - Je n'ai pas de doute sur la tenue des engagements pris et le versement de la prime, même si la préparation du décret peut prendre un peu de temps.

En tant que responsable d'un ensemble hospitalier de 100 000 personnes, travaillant pour la quasi-totalité en Île-de-France, mais aussi dans d'autres régions, je distingue trois enjeux pour les personnels : des difficultés de recrutement, des problèmes de logement et de transport entre le domicile et le lieu de travail, des freins à la progression en termes de carrière et de rémunération. Faut-il, pour répondre à ces enjeux, prendre des mesures statutaires, classiques, comme vous le sous-entendiez, madame Gréaume ? Faut-il un statut spécifique pour les infirmiers de réanimation, et demain pour les infirmiers de réanimation pédiatrique, et après-demain pour telle autre sous-catégorie particulière de personnel ? Ou faut-il davantage de souplesse, une meilleure reconnaissance de la technicité, des évolutions de carrière pour ne pas stagner 15 ans avec la même rémunération, une prise en charge d'une formation par l'employeur ? Tous les acteurs hospitaliers sont prêts à avancer sur ces questions.

Vous avez été plusieurs à le souligner, et vous avez raison, l'épidémie du Covid peut guérir une crise des vocations, car on a redécouvert la noblesse et l'utilité de ces métiers du soin. Notre système de santé sera globalement solide si l'on peut répondre aux trois enjeux que je viens de souligner.

M. Alain Milon, président. - Merci de vos réponses, monsieur le directeur général. Nous avons été jusqu'à 81 à vous écouter, ce qui montre l'intérêt de mes collègues pour la vie de l'AP-HP. Le Sénat va certainement créer une commission d'enquête sur la gestion de la crise du Covid, ce qui nous donnera l'occasion de vous entendre de nouveau.

M. Martin Hirsch. - Je reste à votre disposition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication (en téléconférence)

M. Alain Milon, président. - Chaque année, les présidents des commissions permanentes procèdent à un bilan de l'application des lois relevant de leur compétence au 31 mars, 6 mois après la fin de la session précédente.

Ces informations font ensuite l'objet d'un rapport de synthèse présenté en conférence des Présidents, puis en séance publique. Cette année, le débat avec le Gouvernement est prévu le 22 juin.

Ce bilan est réalisé à partir du suivi permanent, par chaque commission, des textes réglementaires relevant de son domaine de compétences. Il est principalement statistique mais comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des textes d'application à l'intention du législateur ou sur les raisons des retards constatés.

Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2018-2019, entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019. Il intègre les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars 2020.

Cette borne de six mois correspond à l'objectif retenu par une circulaire du 29 février 2008 pour le délai d'édiction des mesures réglementaires nécessaires à l'application des lois.

Vous serez par ailleurs destinataires d'une note détaillée texte par texte, destinée au rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin.

Je me bornerai donc aujourd'hui à vous faire part des principaux constats.

Durant l'année parlementaire 2018-2019, le Parlement a adopté définitivement dix lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales, dont deux au cours de la session extraordinaire de juillet 2019. Ce nombre est en légère hausse par rapport aux années précédentes.

Cinq de ces lois étaient issues d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale, trois étaient issues d'un projet gouvernemental, et deux étaient issues d'une proposition de loi du Sénat.

Sur dix lois examinées au fond par notre commission, trois étaient d'application directe et sept appelaient un total de 194 mesures règlementaires d'application, dont 101 pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et 71 pour la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, ces deux textes représentant près de 89 % des mesures d'application attendues.

Au total, 124 mesures avaient été prises au 31 mars 2020, soit un taux de 64 %, strictement identique à celui de l'an dernier.

Seules 56 % des mesures d'application ont été prises dans les six mois de la promulgation, c'est-à-dire dans le délai fixé par la circulaire gouvernementale de 2008, un résultat plutôt décevant par rapport à l'an dernier où il était de 80 %. 87 % des mesures ont été prises dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi.

Comme chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale est vite et bien appliquée, le taux de mise en application au 31 mars dernier est de 94 %. Cette bonne performance contribue très largement au résultat global.

Pour ce qui concerne la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, autre « grand texte » de la session, sa mise en application, est tout à fait décevante puisqu'elle n'est que de 30 % même si ce texte a été adopté en juillet 2019, donc assez tard dans l'année parlementaire.

Pour ce texte qui comportait, comme la commission l'avait regretté, un grand nombre d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, aucune des ordonnances prévues (11) n'a encore été publiée.

Demeurent ainsi dans l'attente les dispositions relatives à :

- la procédure de certification des professionnels de santé (article 5) ;

- l'adaptation du statut des praticiens hospitaliers (article 13) ;

- les modalités d'organisation et de gouvernance des hôpitaux de proximité (article 35) dont la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a précisé sans attendre les conditions de financement ;

- la réforme du régime des autorisations sanitaires (article 36) ;

- les compétences des commissions médicales d'établissement et de groupement et les conditions dans lesquelles les établissements parties à un groupement hospitalier de territoire (GHT) peuvent décider de fusionner certaines de leurs instances (article 37) ;

- l'identification et l'authentification des usagers du système de santé pour accompagner le développement des usages numériques en santé (article 49) ;

- les conditions de certification des logiciels en vue de la généralisation par étapes de la prescription électronique d'une part, et l'évaluation de ces logiciels d'autre part (article 55) ; or, ce dispositif de « e-prescription » aurait été utile pour accompagner le développement important de la téléconsultation dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et sécuriser la transmission et la délivrance des prescriptions médicales ;

- l'organisation et fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), par des mutualisations de leurs actions, en allégeant des procédures et formalités pour prendre en compte des caractéristiques de certains territoires (article 64). En effet, l'article 64 de la loi a donné trois habilitations au Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, dans les conditions de l'article 38 de la Constitution, afin d'adapter l'organisation et le fonctionnement des agences de santé ainsi que leurs procédures (I), dans un délai de douze mois, de favoriser l'exercice coordonné au sein des communautés professionnelles territoriales de santé, des équipes de soins primaires, des centres de santé et des maisons de santé (II), dans un délai de dix-huit mois, et de mettre en cohérence avec la loi santé, à droit constant, les textes en vigueur (XIII), dans un délai de vingt-quatre mois ;

- le développement de l'exercice coordonné au sein des communautés professionnelles territoriales de santé, des équipes de soins primaires, des centres et maisons de santé, notamment pour faciliter leur création ou permettre le versement d'intéressements collectifs ou individuels (article 64) ;

- en tant que de besoin, diverses mises en cohérence (article 65).

Le délai d'habilitation prend fin soit un an après la publication de la loi soit le 24 juillet 2020 (certification des médecins, statut des praticiens hospitaliers, GHT, prescription électronique, ARS), soit 18 mois après (hôpitaux de proximité, autorisations sanitaires, usages numériques, évaluation des logiciels de prescription électronique, exercice coordonné), soit deux ans après (certification des professions autres que les médecins, mises en cohérence).

Aucun des textes prévus pour le premier trimestre 2020 n'a été publié au 31 mars 2020, la crise du Covid-19 ayant certainement une responsabilité dont l'ampleur reste à établir.

L'application des dispositions inscrites « en dur » dans le texte n'est pas plus satisfaisante. De nombreuses mesures d'accès aux soins touchant à la coordination des parcours ainsi qu'à la répartition des compétences entre professions de santé demeurent inappliquées faute de traduction réglementaire. C'est également le cas pour les dispositions concernant les établissements de santé, qu'il s'agisse des hôpitaux de proximité ou de l'acte II des GHT.

Ce faible taux d'application du texte m'a conduit à demander, lors de l'audition hier après-midi du secrétaire général du Gouvernement, qu'un nouvel échéancier de publication des ordonnances et des mesures d'application soit communiqué au Parlement.

Pour ce qui concerne les autres textes, je voudrais souligner que les textes d'origine parlementaire souffrent en général de retards d'application plus prononcés. C'est ainsi le cas de la loi sur la résiliation sans frais de complémentaire santé, pourtant adoptée en procédure accélérée. Le texte sur les proche-aidants n'est pas davantage appliqué.

Sur le front des demandes de rapports au Parlement, la situation est tout à fait comparable aux années précédentes. Les dix lois promulguées contenaient 21 demandes de rapport, dont un seul a été remis. Ce chiffre me paraît conforter la position de principe de notre commission sur les demandes de rapport. Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine si elle a la volonté, le temps et les ressources pour le réaliser elle-même.

Voici, mes chers collègues, les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel.

Reste à examiner comment ces réformes sont effectivement mises en oeuvre sur le terrain. C'est tout le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.

Je vous remercie.

Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs (en téléconférence)

La commission demande à être saisie pour avis, sous réserve de sa transmission, du projet de loi AN n° 2907 (15e) portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, et désigne M. René-Paul Savary en qualité de rapporteur pour avis.

La commission nomme Mme Cathy Apourceau-Poly en qualité de rapporteur sur la proposition de loi n° 717 (2018-2019) relative au statut des travailleurs des plateformes numériques.

La téléconférence est close à 12 h 25.