Mercredi 3 juin 2020

- Présidence de M. Alain Milon,président -

La réunion est ouverte à 11 h 5.

Proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques - Examen des amendements de séance

M. Alain Milon, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques.

Article 1er

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement n°  1 prévoit que la rémunération des travailleuses et travailleurs des plateformes numériques ne peut être inférieure au SMIC. Je ne peux qu'y être favorable, mais je ne suis pas sûre que la commission me suivra...

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Article additionnel après l'article 3

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement n°  2 rectifié impose aux plateformes un devoir de vigilance. Si je ne peux qu'être favorable à tout ce qui renforce la responsabilité des plateformes, le champ de cet amendement semble très large et dépasse le cadre strict des plateformes. Sagesse.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié.

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. SAVOLDELLI

1

Fixation d'une rémunération minimum

Défavorable

Article additionnel après Article 3

M. JACQUIN

2 rect.

Instauration d'un devoir de vigilance des plateformes.

Défavorable

Proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de points d'accueil pour soins immédiats - Examen des amendements de séance

M. Alain Milon, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d'accueil pour soins immédiats (PASI).

Article 1er

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - L'amendement n°  4 rectifié remplace les termes « soins immédiats » par ceux de « soins non programmés ». Les médecins que nous avons auditionnés estiment que les premiers termes véhiculent une certaine approche consumériste. Toutefois, il faut aussi se placer du côté du patient et de ses attentes. Pour les représentants des usagers du système de santé, comme France Assos Santé, cette expression est claire et suggestive. C'est pourquoi je suis réservée sur cet amendement. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Daniel Chasseing. - Je retirerai l'amendement en séance. La notion de « soins immédiats » renvoie à l'urgence. Il vaudrait mieux employer celle de « soins non programmés ». Dans les cabinets médicaux ruraux, on reçoit des personnes qui n'ont pas programmé leur visite, mais cela ne signifie pas que les soins soient urgents. Les PASI ne sont pas un service d'urgence. Les patients sont adressés par un service d'accès aux soins, par le médecin régulateur du SAMU qui a éliminé l'urgence par son interrogatoire, les pharmacies ou les paramédicaux. L'exposé des motifs de la proposition de loi explique que l'on ne peut plus faire des soins d'urgence dans les cabinets médicaux à cause des problèmes de stérilisation. Mais voilà trente ans que l'on ne stérilise plus le matériel dans les cabinets médicaux pour faire des points de suture ; on dispose de kits à usage unique. De même, on peut réaliser un examen biologique en laboratoire dans les deux heures, même en l'absence de structure locale à proximité.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - L'amendement no  5 rectifié vise à développer les actions de prévention et d'information au sein des PASI. L'éducation à la santé est cruciale. Attention toutefois à ne pas créer de confusion sur le rôle des PASI : il ne leur appartient pas de se substituer au médecin traitant ; ils sont un outil parmi d'autres. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Martin Lévrier. - La prévention est fondamentale. Il ne faut pas hésiter à en faire là où on le peut. De plus, elle reste facultative. Je maintiendrai notre amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - L'amendement no  1 supprime le critère de proximité pour l'accès à un plateau technique d'imagerie ou de biologie. Le terme « à proximité » n'étant pas contraignant sur le plan juridique, je ne vois pas d'obstacle à le supprimer. Souvent les professionnels, notamment dans les territoires ruraux, se sont déjà entendus avec les laboratoires ou les radiologues pour créer un circuit au profit des patients qui rentre tout à fait dans la notion de « proximité ». Sagesse.

M. Daniel Chasseing. - Certaines communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne comprennent pas d'établissements de santé, notamment en milieu rural. Il ne faut pas mettre un terme à ces organisations. Beaucoup de médecins fonctionnent sur rendez-vous et ont du mal à réaliser des soins non programmés. Je proposais que l'on instaure dans les CPTS un tour de garde entre médecins, sur la base du volontariat, pour prendre en charge ces soins non programmés, même en l'absence d'établissement de santé. Je le répète, on peut facilement obtenir un rendez-vous très rapidement dans un laboratoire pour réaliser des examens biologiques, même s'il est distant de trente kilomètres.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Il ne s'agit pas de remettre en cause ce qui se fait déjà et fonctionne bien dans les territoires ruraux. Simplement, si l'on veut désengorger les urgences, il faut que les PASI puissent s'appuyer sur des plateaux techniques organisés.

M. Daniel Chasseing. - Soit, mais les PASI ne sont pas des services d'urgence.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Il faut de la souplesse. Tout dépendra des organisations territoriales.

M. Daniel Chasseing. - Si un établissement de santé est présent, c'est parfait, mais il n'y en a pas partout.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 1.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - N'inscrivons pas dans la loi les horaires des PASI. Il appartiendra aux territoires de les définir. Retrait, sinon avis défavorable à l'amendement n°  2.

M. Daniel Chasseing. - Mon amendement ne comporte pas d'horaires, mais prévoit que les PASI devront être ouverts cinq ou six jours sur sept. Il n'est pas inutile de le préciser.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. CHASSEING

4 rect.

Remplacement du terme « soins immédiats » par celui de « soins non programmés »

Défavorable

M. IACOVELLI

5 rect.

Développement d'actions de prévention et d'information au sein des PASI

Défavorable

M. CHASSEING

1

Suppression du critère de proximité pour l'accès à un plateau technique d'imagerie ou de biologie

Sagesse

M. CHASSEING

2

Organisation de l'accueil pour soins immédiats au sein d'une maison de santé

Défavorable

Désignation d'un membre du Bureau de la commission

La commission désigne M. Martin Lévrier membre du bureau et vice-président de la commission, en remplacement de M. Michel Amiel.

Désignation de rapporteurs

La commission nomme Mme Frédérique Puissat rapporteur sur la proposition de loi no 481 (2019-2020) permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19.

La commission nomme M. Jean-Marie Vanlerenberghe rapporteur sur le projet de loi organique n° 3018 (2019-2020) et sur le projet de loi n° 3019 (2019-2020) relatifs à la dette sociale et à l'autonomie.

Communications diverses

Mme Laurence Cohen. - Nous avions examiné la semaine dernière, dans le cadre du texte sur l'état d'urgence sanitaire, deux amendements similaires du groupe socialiste et républicain ainsi que du groupe CRCE visant à prolonger, à titre temporaire, pendant la pandémie, le délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG) : l'amendement déposé par le groupe de Mme Rossignol prolongeait les délais de deux semaines - comme le nôtre -, mais ajoutait une période supplémentaire de trois mois après la fin de l'état d'urgence pour permettre aux services de santé de s'organiser. Notre commission avait émis un avis favorable à cet amendement et j'avais alors indiqué que nous nous y rallierions lors de l'examen dans l'hémicycle. En séance, certains sénateurs du groupe Les Républicains ayant souligné qu'ils préféraient la rédaction de notre amendement, je l'ai maintenu. L'amendement socialiste n'a pas été adopté à quelque voix près. Le rapporteur a alors rappelé que la commission avait émis un avis défavorable sur notre amendement. C'est vrai dans les faits, mais discutable dans l'esprit, car la commission était favorable à un allongement des délais. Comme l'amendement le plus ambitieux n'avait pas été adopté, il aurait été normal de soutenir le nôtre. Finalement, aucun des deux n'a été adopté. C'est regrettable, car cela n'est pas dans l'intérêt des femmes. Je tenais à formuler cette remarque.

La réunion est close à 11 h 25.

Jeudi 4 juin 2020

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La téléconférence est ouverte à 11 h10.

Audition de M. Benoît Vallet, en vue de sa nomination aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) (en téléconférence)

M. Alain Milon, président. - Nous entendons ce matin M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Gouvernement aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, sa nomination doit être précédée de son audition par les commissions compétentes du Parlement.

Cette audition a lieu en visioconférence et est ouverte à la presse.

L'Anses, créée en 2010 à la suite du Grenelle de l'environnement, est chargée d'évaluer les risques sanitaires dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Elle a vocation à éclairer le débat public sur des questions de sécurité sanitaire où le besoin d'objectivation scientifique se fait fortement sentir. Régulièrement, l'actualité nous fournit des exemples de ce besoin.

Avec votre accord, monsieur Vallet, cette audition permettra d'aborder trois points : les perspectives que vous souhaitez tracer pour l'agence, votre conception de ses relations avec la tutelle - ministères de la santé, de l'agriculture et du travail - et le partage des responsabilités entre les ministères et les agences sanitaires ; dans le contexte de la crise sanitaire, votre expérience de directeur général de la santé entre 2013 et 2018 ; et votre participation au groupe de travail animé par M. Jean Castex sur le déconfinement.

Vous serez probablement amené à évoquer de nouveau ces derniers sujets devant d'autres instances, mais il me semble qu'ils ne sont pas disjoints lorsque l'on évoque la sécurité sanitaire, notamment si l'on considère le concept « one health ». Ce concept invite à une approche plus transversale qui s'appuie sur le constat que 60 % environ des maladies humaines infectieuses connues ont une origine animale et qu'au moins 70 % des maladies émergentes ou réémergentes graves sont depuis un siècle presque toujours des maladies zoonotiques ou à vecteurs.

M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Gouvernement aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Anses. - Je suis très heureux d'intervenir devant votre commission à l'occasion de la proposition de ma candidature aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Anses. Je connais bien l'Anses, pour avoir exercé la présidence de la réunion de tutelle entre les cinq directions générales en 2017. Cette présidence tourne entre chacune des autorités de tutelle : la direction générale de l'alimentation (DGAL), la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de l'environnement, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la direction générale du travail (DGT) et la direction générale de la santé (DGS). C'est parce que j'ai souvenir de travaux extrêmement intéressants entre 2013 et 2018, lorsque j'étais directeur général de la santé, que j'ai répondu favorablement à cette proposition.

Je suis médecin, et je pense qu'un tel profil convient bien à la présidence du conseil d'administration de l'Anses, compte tenu des cinq thématiques de sécurité sanitaire de cette agence : santé et environnement, santé et travail, santé et alimentation, santé et bien-être et alimentation des animaux, santé et protection des végétaux. La santé est au coeur du dispositif, dans tous ces domaines, et contribue au concept de « one health » que vous avez rappelé. J'ai présidé entre 2011 et 2013 la commission médicale d'établissement de Lille puis ai exercé des responsabilités auprès de Mmes Touraine et Buzyn entre 2013 et 2018. Désormais, je suis conseiller-maître à la Cour des comptes. J'ai été mis à disposition de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec un travail conjoint avec l'agence régionale de santé (ARS), puis auprès de Jean Castex pour la stratégie nationale de déconfinement.

L'Anses est une structure intéressante en raison de ses cinq ministères de tutelle, et son conseil d'administration est ouvert à la société civile. Elle comprend cinq collèges : les organisations syndicales (8 membres), les organisations économiques et entreprises (6 membres), les associations de protection de l'environnement, de la santé, de défense des malades (7 membres), les élus (2 membres), l'État (8 représentants) et le personnel de l'agence. Ces collèges ont des positions parfois opposées. Il revient donc au conseil d'administration de faire vivre l'agence en faisant dialoguer ces collèges, ce qui m'apparaît très intéressant.

Le conseil d'administration est aidé par des comités d'orientation thématiques, où sont présentes des organisations de la société civile. Ces comités sont présidés et animés par un membre du conseil d'administration choisi pour sa compétence spécifique, qui rédige les comptes rendus. Le président du conseil d'administration travaille avec ces conseils et participe aux travaux.

Deux autres points majeurs donnent toute sa crédibilité à l'agence, comme l'a reconnu un rapport de la Cour des comptes de février 2019, portant sur la période allant de 2012 à 2017. Le conseil scientifique, garant de l'expertise et de l'indépendance scientifique de l'agence, est exclusivement composé de scientifiques, dont des scientifiques étrangers, gage de qualité et de richesse des échanges. Le comité de déontologie garantit l'indépendance de l'expertise et prévient les conflits d'intérêt. Il s'appuie sur des moyens de contrôle interne, et notamment un déontologue.

L'Anses publie de nombreux avis : 4 000 décisions d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de produits réglementés ; 130 saisines traitées en 2018, 230 avis d'expertise publics dans de nombreux domaines - nutrition, qualité de l'air ou de l'eau...

Je mentionnerai un point de vigilance. Le conseil d'administration veille à la bonne exécution budgétaire, pour un budget d'environ 150 millions d'euros pour 1 400 collaborateurs. La subvention pour charge de service public atteint 98 millions d'euros, ce qui correspond aux dépenses de personnel à 2 millions d'euros près. Cette subvention est en baisse en 2019, et elle le sera probablement en 2020 également, avec une diminution de 5 millions d'euros des crédits du ministère de l'agriculture. Et pourtant, les missions de l'Anses ont été élargies, avec la toxicovigilance et le pilotage des centres antipoison, la phytopharmacovigilance depuis 2015, la délivrance d'AMM, la lutte antivectorielle depuis 2018 - notamment pour les moustiques - l'expertise préalable pour la modification du tableau des maladies professionnelles. À la suite de la directive européenne sur le tabac, l'Anses gère les déclarations de la composition des produits de tabagisme ou de vapotage. En 2020, elle reçoit un transfert de compétences de la part de la DGS pour l'analyse et les procédés de traitement de l'eau et la thanatopraxie, et un autre de la DGCCRF sur l'autorisation d'expérimentation de certains additifs pour l'alimentation animale. Tout cela, elle le réalise à moyens constants. Il sera important de veiller au maintien de cette capacité de vigilance.

Certes, il y a une ouverture : la compétence des dossiers d'autorisation de mise sur le marché génère des emplois financés par l'Union européenne, et apporte des ressources supplémentaires.

L'Anses est très engagée à l'international pour traiter certains sujets comme celui du glyphosate. Elle souhaite prendre la coordination d'une évaluation des risques des substances chimiques au niveau de la Commission européenne ; 25 pays sont engagés, ainsi que l'Agence européenne pour l'environnement, l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l'agence européenne des produits chimiques, pour réduire l'usage de substances chimiques, notamment dans l'agriculture.

L'Anses fêtera ses dix ans le 1er juillet prochain. Elle a démontré son utilité, sa capacité à gérer des crises, comme durant celle du Covid-19 : elle a notamment analysé la possibilité d'utiliser certains produits périmés ou de réutiliser des produits. Elle suscite la confiance de par son expertise et la présence de la société civile dans son conseil d'administration.

Lors de la présentation de sa stratégie en 2019, elle a adopté un slogan : « Connaître, évaluer, protéger ». Je souhaite honorer ce slogan et j'aurai à coeur, comme possible président du conseil d'administration, de le faire respecter.

Les questions que vous me poserez me permettront de répondre davantage sur les perspectives de l'agence et les relations avec les tutelles et autres agences.

Mme Catherine Deroche. - En accord avec notre président, j'évoquerai peu l'Anses, même si elle a un rôle très important. Conseillère régionale des Pays de la Loire chargée de la santé, je travaille en lien étroit avec l'État sur le programme régional santé-environnement (PRSE). La présidente de la région, Mme Christelle Morançais, a mis en place une ambition régionale sur l'alimentation et la santé ; c'est pourquoi les travaux de l'Anses nous sont très utiles.

Mes questions porteront surtout sur votre ancien mandat de directeur général de la santé. Avant votre passage à la DGS, il est mentionné dans la presse que celle-ci s'appuyait sur une doctrine de 2013 du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sur la protection de la santé des travailleurs, pour transférer la responsabilité de la constitution des masques FFP2 aux employeurs - hôpitaux et entreprises. Mais l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de 2011 ou cette doctrine de 2013 ne préconisait pas la fin du stock d'État de masques FFP2. Qu'est-ce qui a poussé à ne pas maintenir un stock national d'appoint de masques FFP2 ? Les ARS ont-elles mené des évaluations ou une demande d'évaluations régulières des stocks disponibles dans les hôpitaux ?

En 2016, vous aviez saisi un comité d'experts de Santé publique France pour le dimensionnement de stocks stratégiques d'antiviraux, mais celui-ci a aussi étendu son analyse au dimensionnement des stocks d'État. Pourquoi le stock d'État s'est-il transformé en stock d'appoint, tampon, avec un nombre de masques de moins en moins important ?

M. Alain Milon, président. - C'est un oral d'entraînement avant votre passage devant la commission d'enquête...

M. Benoît Vallet. - Cette question importante a trouvé son illustration dans la crise du Covid-19, montrant les besoins de masques, à l'échelle nationale, pour le grand public.

Les stocks de masques stratégiques, chirurgicaux, concernaient la population générale, selon les doctrines établies dès les années 2000 pour préparer une éventuelle pandémie.

L'avis de Santé publique France, rendu en mai 2019 - alors que je l'avais sollicitée en 2016 - revenait sur l'idée qu'il y avait besoin, pour potentiellement 30 % de la population atteinte - ce qui est assez bien calibré pour la crise actuelle - de 20 millions de boîtes de 50 masques, soit 1 milliard de masques.

Lorsque j'étais DGS, le stock a été maintenu - avec un peu de retard - à 714 millions de masques, se répartissant en 616 millions de masques sans date de péremption et 100 millions de masques avec une date de péremption. Entre 2005 et 2006, lors de la mise en place du stock, les industriels ont estimé qu'il était compliqué d'avoir des masques sans date de péremption. Auparavant, cette logique concernait uniquement les masques FFP2. Nous avons donc commandé 100 millions de masques - dont 2 millions ont été sortis pour la grippe et d'autres événements sanitaires. La qualité des 616 millions de masques n'était cependant pas certaine. Depuis les années 2000 jusqu'à la doctrine établie en mai 2019, nous avons donc toujours conservé la ligne d'horizon d'un stock de 1 milliard de masques chirurgicaux pour le grand public.

Les masques récupérés de cette période, utilisables par le grand public, mais déclassés, ont été évalués de nouveau par la direction générale de l'armement et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) : celles-ci ont vérifié que leur coefficient de filtration était correct, voire intégral, et qu'ils n'avaient pas été contaminés pendant leur stockage.

Les masques FFP2 obéissent à une logique différente : selon les doctrines de Santé publique France et le SGDSN, ils sont périmables et non utilisables au bout de cinq ans de stockage. Il semblait déraisonnable de ne pas utiliser ces masques et de les détruire au fur et à mesure. La doctrine a donc évolué, et il a été décidé de stocker ces masques de travail - et non considérés comme des dispositifs médicaux, paradoxalement - au plus proche des travailleurs. Les stocks ont été constitués par ministère et par entreprise. Les ARS étaient chargées de vérifier les stocks. La constitution de ces stocks et leur vérification effective mériterait une étude approfondie. C'est parce que ces masques FFP2 avaient donc une destination différente et une date de péremption que le SGDSN a refondé sa doctrine. L'horizon des stocks est donc toujours bien resté de 1 milliard de masques.

La pandémie de Covid-19 a montré que l'usage du masque est approprié pour protéger les personnes d'une contamination virale et les autres d'une personne porteuse. Comme nous l'avons vu dans la commission Castex, la définition des cas contacts exclut la situation où deux personnes distantes de moins d'un mètre portent un masque. Dans les pays avec une culture du masque, comme en Asie, le niveau de transmission a été divisé par deux en période de pandémie de Covid.

M. Yves Daudigny. - Comme ancien DGS, comment évaluez-vous le positionnement de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) et de Santé publique France par rapport au ministère de la santé pour la définition et la mise en oeuvre de la constitution de stocks nationaux stratégiques de produits de santé ? Certes, le ministère décide en dernier ressort le niveau des stocks d'État. Mais au cours des dix dernières années, n'y a-t-il pas eu une insuffisante prise en compte des alertes de l'Eprus puis de Santé publique France sur le niveau suffisant de ces stocks pour répondre à une catastrophe sanitaire ?

Après la grippe H1N1, la question d'un stock de masques perd de son importance stratégique, notamment en raison des critiques sur le niveau excessif des stocks nationaux de produits de santé. En 2016, la dilution de l'Eprus dans Santé publique France n'a-t-elle pas abouti à une moindre prise en compte de ces stocks de masques ?

La DGS a abandonné la cible de 1 milliard de masques chirurgicaux, avec un stock d'appoint de 100 millions de masques. Cela se fondait en partie sur l'idée que l'appareil productif national et les circuits internationaux d'approvisionnement traditionnels, notamment avec la Chine, seraient suffisants pour fournir la France en cas de besoin. Cela n'a pas fonctionné. Les circuits internationaux d'approvisionnement étaient perturbés, et la production nationale était largement sous-dimensionnée. N'aurait-il pas fallu s'assurer plus tôt de la réactivité de notre appareil de production national de production de masques FFP2 pour garantir une production continue ? L'État n'aurait-il pas dû pérenniser les protocoles conclus en 2005 et 2006 avec les producteurs nationaux, et des commandes importantes de masques FFP2 ?

M. Benoît Vallet. - Jusqu'à mon départ de la DGS le 8 janvier 2018, la doctrine du milliard de masques n'a jamais changé. J'ai conservé des échanges avec le directeur de l'Eprus, prouvant que les masques supplémentaires achetés visaient à maintenir le stock stratégique d'État à hauteur de 1 milliard de masques, à destination du grand public. C'est à ce sujet que les experts de Santé publique France ont rendu leur avis en mai 2019.

S'il y a eu en 2018 et 2019 un abandon de cette stratégie, je ne sais pas à quoi elle est due. Si elle a été transformée en stock tampon de 100 millions de masques, il faudra l'expliquer...

Le maintien d'un tel stock de 1 milliard est difficilement discutable au vu de la pandémie actuelle. Il fallait cependant s'assurer que ce stock était en bon état. J'avais demandé une expertise en avril 2017 pour vérifier l'état réel du stock de masques chirurgicaux, mais je ne l'ai jamais eue. Cette évaluation devait être très ciblée, à partir d'un échantillonnage soigneux, pour revoir les stocks si nécessaire pour les alimenter en parallèle par de nouveaux masques. Apparemment, cette stratégie n'a pas été appliquée, mais je n'ai pas d'explication sur l'abandon de l'horizon du milliard de masques.

L'intégration de l'Eprus dans Santé publique France n'est pas le sujet. L'Eprus était un tout petit établissement, avec 30 équivalents temps plein (ETP), très fragile par rapport à la doctrine de réduction d'emplois. Il aurait été difficile de l'épargner dans la politique de plafond d'emplois. L'intégrer dans un plus grand établissement permettait de le protéger et conserver ses compétences. Entre 2014 et 2016, date de création de l'agence, nous avons fait des efforts de réunion des stocks pour leur garantir une protection maximale. C'est pour cela qu'a été créée la plateforme de Vitry, contrôlée chaque année très sérieusement par l'ANSM. Cette plateforme conserve stocks de masques, vaccins et autres médicaments.

Autre intérêt du rapprochement entre l'Eprus et l'Institut de veille sanitaire (InVS), les métiers d'épidémiologie et d'intervention devaient se rapprocher pour construire un dispositif commun. Il y a une logique fonctionnelle, d'intervention, de renfort humain en cas de crise. Ainsi, les 30 ETP de l'Eprus peuvent augmenter à 50 ETP en gestion de crise par redéploiement des effectifs de Santé publique France.

Jusqu'à fin 2017, tous les trimestres, je recevais sous pli « confidentiel défense » et par la messagerie sécurisée de la DGS un état des stocks. Certains éléments « confidentiel défense » sont gérés par l'agence, notamment les modalités de réponse en cas d'attaque bactériologique, par exemple de variole. La DGS portait une attention importante à cela.

Mme Corinne Imbert. - Observez-vous un risque de redondance et chevauchement de périmètres entre l'Anses et Santé publique France, dont les compétences en matière d'hygiène et de sécurité sont étendues ? Les deux agences interviennent souvent dans la gestion des mêmes crises, comme l'affaire Lactalis. La coordination entre agences sanitaires vous semble-t-elle satisfaisante ?

Une clarification des compétences entre administrations centrales ne s'impose-t-elle pas pour le contrôle des aliments avant la mise sur le marché ? En France, c'est le ministère de l'agriculture qui est chargé du contrôle des denrées animales, la DGCCRF des denrées végétales, et la DGS des eaux. C'est un cas unique en Europe. Ne faut-il pas réunir le contrôle de la sécurité des aliments et des eaux au sein de l'Anses, par exemple ?

L'Anses est compétente en matière de santé au travail ; le Covid-19 pourrait-il, à votre avis, être reconnu comme une maladie professionnelle ?

L'avis de l'Anses a-t-il été sollicité durant la pandémie sur l'utilisation de médicaments vétérinaires pour un usage humain en cas de rupture d'approvisionnement de certains médicaments ?

M. Benoît Vallet. - L'affaire Lactalis est une excellente illustration de la qualité de la surveillance sanitaire territoriale. En effet, plusieurs cas de salmonelle ayant été identifiés chez des nourrissons sur l'ensemble du territoire, les médecins généralistes ont lancé un signalement et transmis les coprocultures aux laboratoires d'analyses ; puis le Centre national de référence sur les salmonelles (CNR) de l'Institut Pasteur a identifié une souche commune et informé Santé publique France, dont l'enquête épidémiologique est remontée jusqu'à l'usine Lactalis de Craon. Il a ainsi suffi de quelques cas pour mettre au jour une source de contamination potentiellement très importante. En l'espèce, la toxicité du produit était probablement très faible, ce qui explique le nombre limité de cas symptomatiques dans la population.

L'enquête épidémiologique a associé Santé publique France, la DGAL, qui a évalué la qualité du lait produit dans l'usine, et la DGCCRF qui, via ses services vétérinaires, a effectué les prélèvements bactériologiques. L'Anses n'y a pas été directement associée, mais ses laboratoires ont contribué à repérer, dans les échantillons prélevés dans l'usine, la présence de la salmonelle.

Ce cas illustre bien la collaboration entre les différentes directions ministérielles. La tutelle partagée par cinq directions pour l'Anses est, à cet égard, fonctionnelle. La collaboration régulière entre les différents organismes chargés de la veille sanitaire se matérialise également dans la réunion de sécurité sanitaire qui se tient chaque mercredi à la DGS pour coordonner la réponse sur les alertes sanitaires hebdomadaires, et le comité d'animation du système d'agences, qui réunit les agences sanitaires et directions d'administrations qui en ont la tutelle.

Il est vrai que le chevauchement ou overlap entre la DGAL et la DGCCRF mériterait d'être évalué ; c'est à l'agenda depuis longtemps. Un rôle d'arbitre renforcé pourrait également être confié à la DGS, pour, par exemple, décider seule de l'arrêt d'une usine entière. La DGS aurait, dans ce cadre, des pouvoirs quasi régaliens. Pour revenir à l'affaire Lactalis, la DGS avait les compétences nécessaires pour arrêter la ligne de production, mais il a fallu attendre la décision de la DGCCRF pour fermer l'usine.

Le Covid-19 pourrait être reconnu comme une maladie professionnelle : le Gouvernement semble l'envisager.

L'utilisation des médicaments vétérinaires pour une population humaine, notamment les curares, devenus difficiles à trouver pendant la crise sanitaire, relève de l'Agence du médicament.

M. René-Paul Savary. - Sénateur de la Marne où se trouve Vitry-le-François, siège de l'Eprus, j'ai écouté avec attention vos propos sur les stocks. Jusqu'en mars dernier, des masques périmés y ont été brûlés ; c'étaient pourtant des FFP2 que l'on aurait pu distribuer à la population générale.

Cet établissement de Vitry-le-François était presque inconnu des services préfectoraux, et la collaboration entre le Préfet, l'ARS et Santé publique France a beaucoup laissé à désirer. Les nombreuses déprogrammations d'admissions hors coronavirus en hôpitaux ou cliniques durant la crise sanitaire ont entraîné des besoins importants. Comment allez-vous améliorer la coordination entre agences, entre les agences et le ministère et avec les ARS ? Ne faut-il pas modifier la chaîne des responsabilités dans la perspective d'une prochaine pandémie ? Si le virus semble saisonnier, il pourrait revenir l'an prochain.

M. Benoît Vallet. - La collaboration entre Santé publique France, l'ARS et la préfecture est normalement très étroite, notamment dans le cadre des cellules inter-régionales d'épidémiologie placées auprès des ARS et chargées du repérage et du dépistage territoriaux. Voilà le cadre classique. Quant à la façon dont les stocks de masques ont été gérés par la préfecture de la Marne, Santé publique France serait mieux placée pour y répondre.

La coordination entre l'Anses et les autres agences sanitaires est régulière. Le ministère de la santé y est très attentif. Premier exemple, fonctionnel, le comité d'animation du système d'agences, qui se réunit six ou sept fois par an à la DGS. Concrètement, l'Anses, avec Santé publique France et les administrations concernées, y fait par exemple le point sur les sols pollués ; des travaux de recherche conjoints sont menés sur les conséquences sur la santé des populations - notamment la survenue de cancers supplémentaires sur des sites pollués convertis en sites d'habitation. Deuxième exemple, pratique, le sujet des malformations congénitales, illustré par les cas de bébés nés sans bras : l'Anses et Santé publique France tentent alors de repérer des déterminants communs, en coopération éventuelle avec l'Agence du médicament en cas d'origine pharmacologique.

Il convient également d'approfondir la coopération entre les agences sanitaires et les directions de tutelle. Un équilibre est à trouver entre l'indépendance de l'expertise des agences, pour assurer l'information transparente du grand public, et la nécessaire coordination avec les administrations centrales pour trouver des solutions adaptées et rapidement mises en oeuvre. Ainsi, si le rôle d'un produit de santé dans une malformation, ou d'un sol pollué dans la prévalence de certains cancers, est mis au jour, les administrations concernées doivent être en mesure de répondre immédiatement. C'est une préoccupation permanente, qui doit se régler par le dialogue entre agences et directions d'administrations centrales. Directeur général de la santé, j'organisais des réunions bilatérales tous les mois avec les agences dont la DGS avait la tutelle exclusive, et trimestrielles pour les agences dont la tutelle était partagée.

Ce dialogue s'organise aussi au sein du conseil d'administration de l'Anses où sont représentés à la fois les associations de protection de l'environnement et de la santé des malades et les organismes économiques dont les intérêts ne sont pas les mêmes. Le dialogue avec la société civile renforce l'opérationnalité de l'agence.

M. Dominique Théophile. - L'Anses a également pour mission de contribuer à l'information, à la formation, à la diffusion d'une documentation scientifique et technique pour nourrir le débat public. Estimez-vous que, sous ce rapport, elle a été à la hauteur de la demande sociale au cours des derniers mois ? Comment renforcer sa place dans un débat public qui manque parfois cruellement de rationalité ? Quelles améliorations nécessaires identifiez-vous dans l'articulation entre agences et administrations sur l'information sanitaire ?

M. Benoît Vallet. - L'Anses a en effet un rôle important dans l'information du grand public. Elle a été impliquée dans la réutilisation de produits à durée de vie limitée ou unique, comme les masques. Elle est également aux premières loges sur la question de la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle, car l'inscription de maladies à ce tableau relève de ses compétences. Sur les produits phytosanitaires, les ondes électromagnétiques, les algues vertes, ses avis et expertises ont contribué au débat. C'est pourquoi l'aptitude à l'échange doit être une préoccupation constante pour un président du conseil d'administration de l'Agence.

Au sein de son conseil d'administration, les comités d'orientation thématique permettent d'organiser avec les représentants de la société civile des débats sur la santé animale, la santé végétale, l'alimentation, etc.

L'Anses a su apporter sa rigueur scientifique et son analyse expertale sur la question des logos nutritionnels, en comparant les différents logos proposés dans une évaluation conduite en population générale, menée dans soixante supermarchés sur une durée de dix semaines. C'est finalement le Nutriscore qui s'est révélé le plus apte à modifier les pratiques d'achat des Français.

Mme Victoire Jasmin. - Envisagez-vous de faire évoluer les missions des médecins sentinelles ?

Le déploiement d'antennes-relais pour la 5G suscite des craintes dans la population. Souhaitez-vous faire avancer la connaissance de leur impact sanitaire ?

M. Benoît Vallet. - Les médecins sentinelles travaillent surtout avec Santé publique France, car ils assurent la surveillance territoriale de certaines pathologies. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) peut solliciter leur expertise sur les pathologies digestives.

Les médecins généralistes ont été très sollicités, parfois au péril de leur vie au moment du démarrage de l'épidémie de Covid-19, ainsi que dans la phase du déconfinement, pour le repérage des cas et la surveillance de l'épidémie. Le dispositif qui se met en place en ce moment les charge d'identifier les cas contacts des patients positifs au coronavirus. Il serait souhaitable que la médecine générale, au-delà du réseau des médecins sentinelles, approfondisse cette orientation vers une responsabilité populationnelle, avec un mandat sanitaire équivalent à celui des vétérinaires. Ils pourraient également assurer une veille sur les produits de santé, en lien avec l'Anses ou l'Agence du médicament. Je n'ignore pas les réserves que cela peut susciter au sein de la profession.

L'Anses a déjà rendu des avis sur les ondes électromagnétiques. Elle n'a pas constaté de problème sanitaire, mais le sujet fait l'objet d'une vigilance particulière. Le directeur général actuel de l'Anses, Roger Genet, a mis en place un suivi spécifique.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie. Pour conclure, permettez-moi de vous souhaiter de connaître, d'évaluer et de protéger avec succès !

M. Benoît Vallet. - Je vous remercie.

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