Mardi 23 juin 2020

- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition de M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes, qui regroupe trois sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques - ASF, Cofiroute et Escota - ainsi que Arcour, depuis 2005. M. Coppey a en outre été président de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) entre 2012 et 2016.

Monsieur le président, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute le vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pierre Coppey prête serment.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Merci de vous être rendu disponible pour cette audition de commission d'enquête, qui n'est pas là pour faire le procès des sociétés d'autoroutes mais pour essayer d'y voir clair sur l'historique des concessions, pour dresser un état des lieux de la gestion des autoroutes et des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), et pour envisager l'avenir des concessions, afin que l'État et les futurs Gouvernements soient prêts, quelle que soit la direction qu'ils souhaiteront prendre.

D'abord des questions historiques sur la période 2002-2006. Pourriez-vous nous dire ce qui figurait dans le pacte d'actionnaires entre le groupe Vinci et l'État, à la suite de l'ouverture du capital d'ASF en 2002 ?

Les plans d'affaires élaborés lors de la privatisation en 2006, qui ont permis de déterminer les cash-flows futurs et les dividendes, ont-ils été respectés ? Leurs prévisions se sont-elles réalisées ou des écarts ont-ils été constatés et dans quelles proportions ?

S'agissant de la rentabilité des concessions, j'ai compris que les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) utilisaient surtout sur le taux de rentabilité interne (TRI), qui évolue en fonction du coût des capitaux et des primes de risque. Dans quelle proportion le TRI a-t-il évolué depuis 2006 ? La prime de risque a-t-elle évolué, étant donné que de nombreux investisseurs s'intéressent maintenant aux infrastructures et sont prêts à avoir une prime moins importante ?

La pratique du foisonnement tarifaire, qui consiste à augmenter les tarifs de manière différenciée en fonction des tronçons et des trafics qu'ils supportent, a-t-elle existé et est-elle encore pratiquée ?

M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes. - Je suis salarié du groupe Vinci, où j'ai occupé différentes fonctions, depuis 1992. Vinci est le premier groupe européen, et parmi les premiers groupes mondiaux de gestion de concessions et de construction. Vinci est né du rapprochement d'un grand nombre de groupes de construction et de sociétés qui ont développé leur activité autour de différents modes contractuels, dont celui des concessions qui consiste à concevoir, construire, financer et exploiter des grands projets d'infrastructures. Les plus connues sont les concessions autoroutières, mais je pourrais également citer les parkings, les aéroports, le stade de France, ou la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux.

Vinci Autoroutes, que je dirige depuis 2009, regroupe cinq sociétés gérant sept contrats dont la fin s'échelonne entre 2032 et 2086 : la société Cofiroute, privée depuis sa création, ASF, privatisée en 2006 après que son capital a été ouvert en 2002, Escota, filiale d'ASF, Arcour, concession de l'autoroute A 19 gagnée en 2005 et Arcos, qui exploite le contournement de Strasbourg, obtenue en 2017. Nous gérons également deux tunnels adossés à nos concessions : celui de l'A 86, adossé à Cofiroute, et celui du Puymorens, adossé à ASF.

Vinci Autoroutes, c'est 4443 kilomètres d'autoroutes, 415 diffuseurs, 6 000 ouvrages d'art, 100 millions de mètres carrés de chaussées, 266 aires de repos, 187 aires de service, 34 parkings de covoiturage et 320 gares de péage. En 2019, la société a réalisé un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 5 500 millions d'euros et un résultat net de 1,7 milliard d'euros. Elle supporte une dette de 18 milliards d'euros et a versé plus de 1,8 milliard d'euros d'impôts l'an passé.

Les concessions sont un outil d'investissement : 12,5 milliards d'euros ont été investis dans nos concessions depuis la privatisation pour construire des sections nouvelles, élargir les sections existantes, améliorer leur performance environnementale. Ces investissements étaient prévus dans nos contrats ou ont été ajoutés par des contrats de plan comme le paquet vert autoroutier, le plan de relance autoroutier et le plan d'investissement autoroutier, qui représentait 430 millions d'euros pour Vinci.

Depuis la privatisation, nous avons travaillé à l'amélioration de la qualité de service, avec l'amélioration des offres des installations commerciales et le développement du télépéage, et du niveau de satisfaction des usagers, qui est mesuré chaque année par un institut de sondage indépendant.

Nous sommes fiers de notre modèle social, qui nous a permis de faire face à la révolution de l'automatisation du péage sans licenciements, d'atteindre un niveau de performance remarquable en termes de sécurité de nos salariés - en divisant par cinq l'accidentalité sur le réseau - , et de développer l'actionnariat des salariés - 100 % des salariés sont actionnaires du groupe Vinci et bénéficient d'accords d'intéressement et de participation.

Nous sommes fiers de notre politique environnementale : nous avons investi dans la protection de la ressource en eau, dans la préservation de la biodiversité, et nous avons sensibilisé nos collaborateurs à ces sujets. Nous appliquons les normes environnementales, qui se sont multipliées, et notre impact sur l'environnement n'a cessé de s'améliorer. Pour citer un exemple, nous avons déployé sur le contournement de Strasbourg 1 300 hectares de mesures de compensation, pour une emprise de 280 hectares. Nous avons proposé à l'État le concept d'autoroutes bas carbone, qui doit contribuer à sa politique environnementale.

Dans l'exposé des motifs de cette commission d'enquête, figure une demande de transparence et de contrôle. Notre activité est probablement l'une des plus contrôlées de l'économie : elle l'est par le concédant, à travers la Direction générale des infrastructures de transport et de la mer (DGITM), par le Conseil d'État et sa section des travaux publics, par l'Autorité de régulation des transports (ART), par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), par la Commission européenne. Elle est également l'une des plus transparentes : elle est soumise à des réunions régulières de suivi et à l'obligation de publier de nombreux rapports. Les marchés de travaux et de fournitures nécessaires à l'exécution de la concession sont attribués avec des seuils de mise en concurrence les plus bas de France, après avis d'une commission indépendante et sous le contrôle de l'ART. Aucun manquement à une obligation contractuelle n'a été constaté depuis 2006.

Le pacte d'actionnaires, qui avait été négocié alors qu'ASF était encore une société publique et que Vinci détenait une vingtaine de pourcents de son capital, avait une ambition industrielle claire : constituer un leader français de portée mondiale, à travers le développement à l'international de Vinci et d'ASF, ce qui s'est concrétisé par un certain nombre de réponses à des appels d'offres, et collaborer sur des sujets d'exploitation comme les parkings pour les poids lourds ou les moyens de paiement dématérialisés.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pourrez-vous nous transmettre ce pacte d'actionnaires ?

M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes. - Oui, je dois pouvoir le trouver sans difficulté. Il s'agissait d'un pacte à portée industrielle, avec une ambition de développer les métiers de la concession autoroutière.

Le plan d'affaires de 2005 a-t-il été respecté ? Bien sûr que non. Un plan d'affaires c'est un ensemble d'engagements pris par un concessionnaire de réaliser des investissements et de respecter des obligations d'exploitation et de qualité de service. Ces obligations ont été largement tenues, comme en attestent les rapports d'exécution du contrat. Il est constitué d'un ensemble d'hypothèses de trafic - pour les véhicules légers et les poids lourds - et d'inflation, et d'une loi tarifaire.

Le trafic s'est effondré après la privatisation. La période qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en 2007 a été difficile, avec une baisse du trafic poids lourds de 20 % et une augmentation des taux d'intérêt à 7 %. Nous avions alors une crainte de liquidité, et nous avions réalisé une émission obligataire dont le taux était supérieur à 7 %. La perte connue sur le trafic des poids lourds en 2007 n'a été récupérée qu'en 2017-2018 - le niveau de trafic, tel que prévu par le plan d'affaires, aurait dû être supérieur de 1,5 % par an pendant dix ans à ce qu'il a été. Nous sommes donc très en retard sur les hypothèses de trafic. En revanche, l'inflation a été nettement inférieure à ce qui était anticipé, de même que les taux d'intérêt qui ont baissé.

Dans une concession, il y a des engagements fixes faciles à mesurer et des hypothèses qui varient et qui, l'un dans l'autre, finissent par atterrir sur un équilibre que l'on peut constater à la fin de la concession. Les hypothèses ont été définies en 2005-2006, et il existe des écarts à la hausse et à la baisse, mais au global nous nous situons plutôt en-dessous qu'au-dessus des hypothèses du plan d'affaires.

La pratique du foisonnement, qui a suscité beaucoup de passion et d'incompréhension, est commune à tous les opérateurs de transport. Il est possible d'appliquer de manière uniforme les hausses tarifaires sans aucune déformation de la grille - ce que l'on fait depuis 2008...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cette pratique a donc été interrompue depuis 2008 ?

M. Pierre Coppey. - Oui, elle a été progressivement interrompue à partir de 2008, à la suite d'un rapport de la Cour des comptes et à la demande de l'État.

Le foisonnement permet de tarifer plus fortement Paris-Bordeaux que Chartres Nord-Chartres Sud ou Le Mans Nord-Le Mans Sud, tronçons sur lesquels il y a des usagers qui font des trajets domicile-travail, auxquels il est plus intéressant d'offrir un tarif plus avantageux qu'à un poids lourd qui va de la Pologne au Portugal.

Le foisonnement a été interdit pour des raisons que j'avoue ne pas comprendre, car il y a une logique d'aménagement du territoire et de justice à favoriser les trajets courts plutôt que les trajets longs. C'était par ailleurs un élément de valorisation prévu par le plan d'affaires.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'avais compris que cette pratique avait été arrêtée à partir de 2011 et non de 2008. Depuis, vous appliquez un taux d'augmentation uniforme sur l'ensemble des tarifs autoroutiers, ce qui par conséquent est très facile à contrôler pour les services de l'État ?

M. Pierre Coppey. - Pour être plus exact, le foisonnement a été arrêté progressivement entre 2008 et 2010 : en 2008 par ASF, APRR, Sanef, Area et SAPN et en 2010 par Cofiroute.

Lorsque les tarifs sont très bas et augmentent de 1,2 % comme c'était le cas l'année dernière, il y a des arrondis à calculer. Mais je vous confirme que vérifier une grille tarifaire comme le font la DGITM, la DGCCRF et l'ART doit pouvoir se faire en une après-midi avec un tableur Excel.

S'agissant de la rentabilité de sociétés d'autoroutes et du TRI : lorsque l'on investit dans une concession, on s'arme d'un ensemble d'hypothèses et de convictions avec souvent la foi du charbonnier. On fait tourner un modèle avec, d'un côté, les recettes attendues et, de l'autre, les engagements d'investissement, d'exploitation et de maintenance. Le TRI était, sur le papier, de 7-8 % en 2006, chiffre qui correspondait à des hypothèses partagées. Comment ce TRI évolue-t-il ? Je n'en sais rien. Je vous donne rendez-vous en 2032 pour disposer du TRI d'Escota.

Pendant cette période, nous avons énormément investi, en contrepartie d'une augmentation des tarifs ou d'un allongement de la durée des concessions. Il y a eu des hauts et des bas, et nous sommes encore payés des promesses de rentabilité à venir. Je ne suis pas en mesure de vous dire comment a évolué le TRI : les hypothèses ont beaucoup bougé par rapport à 2006, et elles bougeront encore d'ici la fin des concessions. L'un dans l'autre, tout ceci devrait aboutir à un équilibre comparable, à défaut d'être semblable, à l'équilibre initial. Le TRI « à date » est un non-sens : il y a un TRI théorique à la signature du contrat et un TRI constaté à la sortie.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - On peut quand même calculer un TRI « à date » à partir de la rétrospective sur les années passées et des hypothèses dont on dispose sur la durée restante de la concession, qui seront sans doute davantage précises que celles de départ, mais qui s'avèreront sûrement aussi fausses.

M. Pierre Coppey. - Je peux constater l'évolution des hypothèses, en déduire si je suis en avance ou en retard sur le plan de marche, et c'est tout.

M. Jérôme Bascher. - C'était la question du rapporteur !

M. Pierre Coppey. - Alors je vous ai répondu que nous sommes en retard sur le plan de marche.

M. Éric Bocquet. - La concession est à mi-parcours et il y a donc désormais de moins en moins d'inconnues. Un universitaire a fait un état des lieux des concessions d'autoroutes. Le constat est le même pour les trois groupes : sur les années 2006 à 2017, le chiffre d'affaires est en hausse de 45,3 %, les charges de personnel ont baissé de 12,5 % à 8 % du chiffres d'affaires, la marge a augmenté de 64 % à 72,4 % et les charges de la dette ont baissé en raison de la baisse des taux d'intérêt. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

Le rapport de d'Autorité de la concurrence de 2014 parle d'un rapport de force très largement déséquilibré entre les concessionnaires autoroutiers et l'État : quelle est votre analyse sur ce point ?

Lors d'une audition, un interlocuteur évoquait la réaction d'un représentant des entreprises de travaux publics, qui faisait état des grandes difficultés de ces entreprises à accéder aux marchés de travaux des sociétés concessionnaires d'autoroutes. La recommandation n° 10 du rapport de l'Autorité de la concurrence préconisait d'instituer au sein des groupes Vinci et Eiffage des procédures tendant à prévenir les échanges d'information entre les filiales autoroutières et les filiales de travaux routiers. Cette recommandation a-t-elle été mise en oeuvre ?

Vous avez évoqué l'actionnariat du groupe Vinci. Les salariés sont, je crois, actionnaires à hauteur de 9 %. Confirmez-vous que, parmi les actionnaires, figure également une holding qatarie, et que la direction Grands Projets de Vinci a son siège à Doha ?

M. Pierre Coppey. - L'ordre de grandeur des chiffres évoqués ne me choque pas. L'augmentation du chiffre d'affaires me paraît cohérente avec la montée en charge des concessions et le développement du trafic. La baisse des charges était prévue par le plan d'affaires de 2005 et se retrouve dans l'évolution de la marge.

Il n'y a pas de corrélation entre la hausse du chiffre d'affaires et la baisse des charges. L'évolution de la rentabilité de la société correspond à une courbe en J : on commence par lever du capital et de la dette pour faire des investissements puis, une fois la concession mise en service, on commence à gagner de l'argent pour rembourser les investissements et rémunérer le capital.

La particularité d'une concession est de devoir rembourser son capital sur la durée du contrat, ce qui nous différencie des sociétés commerciales et qui est la principale cause d'incompréhension. Lorsque l'on parle des profits des sociétés concessionnaires, on oublie que la concession est un véhicule d'investissement dont l'objet est de construire un ouvrage et dont le contrat permet, à l'issue de la concession, d'avoir remboursé les dettes des obligataires et du capital et de rendre l'ouvrage à l'État. À la fin de la concession, le concessionnaire ne possède plus rien. Si les dividendes versés par les sociétés concessionnaires sont aussi élevés, c'est parce qu'il faut rembourser le capital sur la durée du contrat.

La méconnaissance de ce schéma explique grandement l'incompréhension et les polémiques qui nous entourent. C'est ce que n'avait pas compris l'Autorité de la concurrence lorsqu'elle comparait les marges des sociétés concessionnaires avec celles des sociétés industrielles.

Un des points les plus contestables du rapport de l'Autorité de la concurrence concerne le rapport de force entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui était jugé déséquilibré. Le rapport de force est effectivement extrêmement déséquilibré, mais au bénéfice de l'État : nous avons en face de nous la DGITM, les services de « Bercy », le Conseil d'État, qui examine chacun des actes contractuels et qui est à la fois juge du contrat et conseil du Gouvernement, et l'ensemble des contrôles parlementaires et des corps de contrôle de l'État.

Il y a 8 000 PME dans les travaux publics en France, mais toutes ne sont pas capables de travailler sur les grands travaux autoroutiers - seule une douzaine d'entreprises le peuvent, car il s'agit de travaux très techniques qui relèvent de qualifications et de savoir-faire qui ne sont pas à la portée de l'ensemble des entreprises.

À la suite d'une campagne menée par les PME sur le sujet, nous nous sommes engagés à leur attribuer une part des travaux du plan de relance autoroutier. Cet engagement est suivi par une commission qui se réunit deux fois par an.

Concernant l'accès des entreprises liées aux sociétés concessionnaires par un même actionnariat aux marchés des travaux, l'article 6 du cahier des charges oblige les sociétés à soumettre ces marchés à une commission indépendante dans laquelle siègent des représentants désignés après accord de l'ART et la DGCCRF. La transparence et l'accès des PME à la commande des sociétés concessionnaires est tout à fait garanti.

La recommandation n° 10 du rapport de l'Autorité de la concurrence visait à établir des procédures au sein des sociétés concessionnaires pour éviter la circulation d'informations privilégiées. Cela m'a conduit à demander à un de mes prédécesseurs qui était devenu président d'une entreprise de construction routière de quitter le conseil d'administration d'ASF. Nous avons donc appliqué cette recommandation, même si je ne suis pas sûr qu'elle soit importante compte tenu de l'ensemble des garde-fous qui existent s'agissant de l'attribution des marchés.

Je vous confirme que figure au sein de l'actionnariat du groupe un actionnaire d'origine qatarie et que Vinci Construction Grands Projets a une joint-venture avec le groupe Qatari Diar. En revanche, son siège est à Rueil-Malmaison.

M. Jérôme Bascher. - Êtes-vous, au 31 décembre 2019, en avance ou en retard sur le plan d'affaires en recettes ou en dépenses ? Le TRI peut être un peu en-dessous de ce qui était prévu par le plan d'affaires si des dépenses ont été effectuées plus tôt ou si les recettes sont moindres que prévu.

Qui va évaluer les biens de retour et où en êtes-vous de vos discussions avec l'État sur ce sujet ?

Deux décisions ont ou pourraient fortement impacter le plan d'affaires : le passage à 110 kilomètres par heure sur les autoroutes et la décision de fermeture administrative prise dans le cadre du confinement. Ces décisions ont ou auraient-elles un impact sur vos contrats ?

Le nombre de passage aux péages est-il toujours un indicateur avancé de l'économie ?

M. Pierre Coppey. - Nous étions fin 2019 significativement en retard sur les recettes par rapport au plan d'affaires. Mais nous avons été bons gestionnaires et nous avons réduit nos différentes charges.

La question des biens de retour, des biens de reprise et des biens propres peut occuper les juristes jusqu'à la fin des temps. Les chaussées et les ouvrages sont des biens de retour. Je pense personnellement qu'il n'y a pas beaucoup de biens de reprise. Un concessionnaire et un concédant désireux de se mettre d'accord peuvent régler le sujet assez rapidement. La question de l'état des ouvrages est bien encadrée par les indicateurs de suivi existants. Une concession, c'est un acte de partenariat et un contrat de confiance, ce qui permet de régler ces questions facilement. J'ai vu que le président de la section des travaux publics du Conseil d'État partageait ce sentiment.

En application du contrat, nous avons transmis fin 2006 un inventaire des ouvrages et il existe une clause de rendez-vous sept ans avant la fin du contrat, ce qui permettra de se préparer.

Votre question sur l'impact du confinement me donne l'occasion de dire à quel point je suis fier de notre gestion du service public délégué : nous avons assuré la continuité, la qualité et l'efficacité du service public pendant les pires jours du confinement et nos collaborateurs ont assuré la continuité du fonctionnement de l'économie et des approvisionnements. Ce travail était dû. Ce qui ne l'était pas, ce sont les missions d'assistance que nous avons assurées auprès des poids lourds, avec des distributions gratuites de repas chauds et des échanges via Radio Vinci Autoroutes et les réseaux sociaux.

L'impact du confinement sur l'économie de la concession est le même que celui sur l'économie française : nous avons connu un effondrement des trafics pendant la phase la plus forte du confinement, avec - 80 % de trafic des véhicules légers, voire - 90-95 % au plus fort du confinement, et - 40 % de trafic poids lourds, ce qui a induit une forte baisse du chiffre d'affaires.

Nos 73 chantiers en cours se sont arrêtés au rythme des annonces du président de la République. Nous avons réalisé un important travail de relance et, à la fin du mois de mai, 100 % de nos chantiers étaient repartis, en appliquant les protocoles sanitaires et après avoir négocié, chantier par chantier, les conditions de reprise. Cela induit des surcoûts sur la construction de nos projets. J'ai reçu la circulaire du Premier ministre du 8 juin enjoignant les maîtres d'ouvrages publics à avoir un comportement responsable vis-à-vis des entreprises. J'avais anticipé en demandant aux entreprises de redémarrer rapidement les travaux. J'attends des discussions avec l'État qu'elles se déroulent dans le même état d'esprit pour ce qui est de la prise en compte de la modification des conditions d'exercice des travaux publics.

Je crois en effet que, malgré les décalages et les évolutions liées au prix des carburants, les passages au péage sont toujours un indicateur avancé de la croissance économique. Depuis quelques jours, nous constatons une amélioration du trafic. La semaine dernière, nous avons annoncé que le trafic s'établissait à - 25 % contre - 70 % auparavant, et l'amélioration se poursuit.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quelles sont vos prévisions pour l'année 2020 ? À la fin de l'année, aurez-vous perdu plus de deux mois de chiffre d'affaires ? Votre résultat sera-t-il quand même positif ou l'exercice sera-t-il « noir » ? Dans combien de temps estimez-vous que le trafic reviendra au niveau de 2019 ? J'imagine que vous avez recalé vos prévisions du fait de ces pertes : quelles en seront les conséquences sur la rentabilité de la concession?

M. Pierre Coppey. - Je vous confirme que 2020 est une année noire. Après la crise de 2008, nous avons mis dix ans pour retrouver le trafic poids lourds de l'époque. Le confinement aura un impact significatif sur nos plans d'affaires. Pour être concessionnaire, il faut avoir confiance dans l'avenir et nous pensons, sans qu'il soit possible de faire des hypothèses sanitaires, que le trafic autoroutier reviendra rapidement pour les véhicules légers et les poids lourds, compte tenu des efforts de relance de l'économie. Sauf à enfreindre les règles de communication financière, je ne peux pas vous donner les estimations pour l'année 2020, qui de toute façon varient tous les jours.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Les prévisions sont forcément fausses mais j'imagine qu'elles existent. Sans enfreindre les règles de la communication financière, pourriez-vous être plus précis ? Vous avez indiqué que le trafic repartait assez vite s'agissant des véhicules légers...

M. Pierre Coppey. - Je ne vous ai pas dit que le trafic repartait vite mais qu'il baissait moins.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il ne baisse plus.

M. Pierre Coppey. - Le trafic est toujours négatif par rapport à ce qu'il était à pareille époque en 2019. Je ne vous dirai rien de plus, j'en suis navré, car je me mettrais en contradiction avec les règles de communication financière.

M. Éric Jeansannetas, président. - Qu'en est-il de la question de Jérôme Bascher sur les 110 kilomètres par heure ?

M. Pierre Coppey. - Il ne faut pas demander aux concessionnaires de s'exprimer sur des décisions qui appartiennent à la puissance publique. Nous exécutons les politiques publiques et nous n'avons pas forcément vocation à les commenter.

Le principal déterminant de l'utilisation de l'autoroute par les usagers, c'est le temps gagné. Comme l'a dit la Ministre de la transition écologique et solidaire hier, il faut se garder des visions parisiennes sur ces questions, se souvenir du débat sur les 80 kilomètres heure et penser aux navetteurs, qui prennent l'autoroute tous les matins pour aller travailler. Les trois quart des trajets domicile-travail se font en voiture, neuf trajets sur dix se font par la route. Quand on limite la vitesse, il y a certes un impact sur la sécurité routière et sur l'environnement, mais il est difficile à mesurer en raison des reports de trafic sur le réseau routier national. Il s'agit donc d'une décision compliquée et lourde de conséquences.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je reste sur ma faim s'agissant des prévisions pour l'année 2020, même si je comprends les contraintes de la communication financière.

Le protocole de 2015, lié au plan de relance autoroutier, prévoyait 3,2 milliards d'investissements supplémentaires en contrepartie d'un allongement de la durée des concessions ainsi que des évolutions tarifaires faisant suite à la décision unilatérale du Gouvernement de l'époque de geler les tarifs pour l'année 2015. Considérez-vous que les compensations obtenues couvrent la perte liée au gel des tarifs ? Qui a décidé ou imposé le taux d'actualisation de 8 %, alors que les services de l'État proposaient un taux de 6,8 % ? Les compétences de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Arafer) ont été étendues à cette époque aux autoroutes : est-ce une amélioration ? Comment jugez-vous vos relations avec l'ART ainsi que son travail ?

M. Pierre Coppey. - La compensation du gel tarifaire a été réalisée avec les mêmes hypothèses de calcul que celles sur lesquelles reposait l'augmentation avant le gel. Je considère donc que cela a été équitable.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - L'ART a évalué à 500 millions d'euros le coût pour les usagers du rattrapage du gel sur les années 2019-2023.

M. Pierre Coppey. - Il s'agit du plus désagréable des malentendus. Il y a eu une erreur de compréhension et de calcul de l'Arafer, ce que j'ai dit au président Roman à l'époque. La compensation se calcule avec un ensemble d'hypothèses ; si elle n'est pas appliquée et que l'on veut la rattraper, il faut prendre les mêmes hypothèses et non des hypothèses différentes comme l'a fait l'ART, en décalant d'un demi-point le taux d'actualisation - ce qui, sur 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur dix ans, aboutit au chiffre de 500 millions d'euros. Ce chiffre est absurde et je l'ai contesté auprès de l'Autorité, qui nous en donné acte depuis. Le gel a été compensé dans des conditions équitables et neutres pour l'usager.

Le TRI du plan de relance de 2015 a été négocié entre l'État, représenté par le ministère des finances et le ministère de l'équipement, et les sociétés concessionnaires, qui avaient désigné un négociateur, Bruno Angles. Il y avait plusieurs business model et nous avons trouvé à l'arrivée un point d'équilibre, qui est le fruit de cette négociation.

Depuis que la compétence autoroutière est au nombre des compétences de contrôle - et non pas de régulation - de l'ART, nous lui avons transmis un grand nombre d'informations. Je parle d'Autorité de contrôle et non de régulation car un contrat de concession est un actif dont on peut contrôler l'exécution et non réguler les paramètres, qui sont fixés par le contrat. La loi confie à l'ART une mission de contrôle de la dévolution des marchés, du fonctionnement des installations commerciales et de suivi de la rentabilité des sociétés concessionnaires.

Nous avons transmis une quantité considérable d'informations à l'ART, en particulier l'ensemble de nos marchés. Je suis un peu perplexe sur l'utilité de ce travail de contrôle, car le concessionnaire supporte le risque des travaux. Le prix auquel il les réalise, c'est son succès ou son échec, mais cela n'a aucun impact sur le péage et l'usager.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous ne pouvez pas dire cela : lorsque l'on prévoit des augmentations de tarif en contrepartie d'investissements, on prend en compte des estimations de coût des travaux. Si celles-ci se révèlent surestimées, cela conduit à faire payer davantage les usagers. On ne peut donc pas dire que cela n'a pas de conséquences.

M. Pierre Coppey. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Au stade de l'évaluation du projet, il y a un échange contradictoire entre l'État et les sociétés concessionnaires, qui est ensuite soumis à l'expertise de l'ART. Dans le cadre du PIA, il y avait une grande divergence d'appréciation, ce qui a conduit l'État à demander une contre-expertise à un bureau d'étude suisse, qui a abouti à une troisième évaluation.

Par la suite, le contrôle des marchés et des conditions d'exécution des estimations n'a pas d'impact sur les tarifs et sur l'équilibre que vérifie l'ART. Ce n'est donc pas un travail qui profite à l'usager, même si nous nous y soumettons en transmettant un nombre considérable de marchés. Cela représente un travail important pour l'ART, qui n'a rien trouvé à redire aux conditions de dévolution des marchés, ceux-ci étant par ailleurs déjà contrôlés par les commissions des marchés au sein desquelles siège la DGCCRF.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je ne suis pas sûr que la DGCCRF ait des moyens suffisants pour effectuer ce contrôle.

M. Pierre Coppey. - Ils sont présents à toutes les réunions des commissions.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce n'est pas pour cela que leurs moyens sont suffisants. L'ART a besoin de se constituer des bases de données. L'analyse des marchés réalisés permet par la suite de mieux estimer le coût des travaux à venir. Je pense donc que ce n'est pas inutile que l'ART puisse avoir accès à ces informations.

M. Pierre Coppey. - Les travaux publics sont une activité cyclique dont les prix varient. Je ne suis pas convaincu de l'intérêt qu'il y a à constituer des bibliothèques de prix. Selon que vous êtes proche d'une carrière ou que le prix du carburant et du bitume évolue, le prix de la tonne d'enrobé peut varier avec des écarts de 30 à 40 %.

Le rôle de l'ART est d'apporter de la clarté, de la transparence et de la compréhension sur une activité dont la complexité rend les choses difficiles à percevoir pour qui n'investit pas suffisamment de temps.

M. Éric Jeansannetas, président. - Je me fais le porte-parole de Christine Lavarde, qui souhaiterait connaitre le fonctionnement économique des aires d'autoroutes. Vinci Autoroutes est-il intéressé au chiffre d'affaires réalisé dans ces espaces ? Comment les exploitants des stations-services et des restaurants et les prestataires de services sont-ils choisis ?

M. Pierre Coppey. - Nous sommes chargés, en tant que concessionnaire, du fonctionnement des aires de service et devons assurer, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, la distribution du carburant, la restauration, l'accès aux sanitaires et un ensemble de services.

J'ai beaucoup investi depuis 2006 sur l'amélioration des services dans les aires, avec le souci de rompre avec le Restoroute historique, en y installant des marques de centre-ville et une offre moderne, diversifiée et qualitative de restauration. Nous avons réussi, au fil des renouvellements des contrats de sous-concessions, à améliorer cette offre. Le concessionnaire est grandement intéressé à cette activité, en raison des redevances qu'il perçoit sur les sous-concessionnaires, qui permettent notamment de couvrir les charges d'exploitation, de maintenance et de nettoyage des installations annexes aux installations commerciales. Les exploitants sont le plus souvent choisis par appel d'offres - c'est une activité très encadrée par l'État et contrôlée par l'ART, ce qui génère de la lourdeur administrative, alors qu'il s'agit d'une activité commerciale.

Nous avons obtenu de notre partenaire Total qu'il expérimente sur deux aires de service un processus innovant de distribution de carburant low cost à partir du 1er juillet, ce qui sera particulièrement apprécié par nos clients.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai compris de l'analyse des rapports financiers que les rémunérations des dirigeants des sociétés concessionnaires sont portées par les maisons-mères. Font-elles l'objet d'une refacturation aux sociétés ? Est-ce le cas d'autres prestations fournies par le siège ?

M. Pierre Coppey. - Je vous confirme qu'il existe, comme dans tous les groupes, un système de refacturation des coûts supportés par les différentes structures. Je suis salarié du groupe et ces charges sont refacturées. D'autres charges sont refacturées, qui relèvent par exemple de prestations de conseil, notamment en matière de financement.

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous vous remercions de votre participation à cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef et président de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous allons à présent entendre Monsieur Arnaud Quémard, président de l'Association française des sociétés d'autoroutes (AFSA) et directeur général du groupe Sanef. Le groupe Sanef est composé des sociétés concessionnaires d'autoroutes Sanef et Sapn. Son actionnaire de référence est le groupe espagnol Albertis. Cette audition est diffusée sur le site du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu.

Monsieur le président, après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute le vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Arnaud Quémard prête serment.

M. Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef et président de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA). - Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant cette commission d'enquête, alors que la concession autoroutière de Sanef se trouve actuellement à mi-parcours entre la privatisation de 2006 et la restitution des infrastructures à l'État prévue en 2031.

Mon parcours autoroutier est relativement récent. Je suis ingénieur de formation et j'ai d'abord exercé mon activité professionnelle dans le secteur informatique, principalement à l'international et toujours dans le secteur privé. Directeur général d'une société de péages sans barrière acquise par Sanef, j'ai rejoint cette société en 2015 en tant que directeur d'exploitation. Cette fonction m'a permis d'acquérir une vision très concrète de la gestion des autoroutes, ancrée dans les territoires. J'ai ensuite accédé au poste de directeur général de Sanef en février 2018 et j'ai pris la présidence de l'AFSA en décembre 2019.

Sanef a deux particularités dans le paysage autoroutier français. En premier lieu, elle n'est pas la filiale d'un grand groupe de travaux publics opérant en France. Par ailleurs, elle est une filiale à 100 % du groupe espagnol Albertis qui est l'un des leaders mondiaux des sociétés autoroutières, un pure player qui exploite des autoroutes en Espagne, au Brésil, au Chili, à Porto Rico et dans de nombreux autres pays.

L'AFSA, pour sa part, est l'association qui réunit l'ensemble des acteurs du secteur autoroutier français. Nous avons d'ailleurs accueilli un nouveau membre à l'occasion du conseil d'administration de la semaine dernière, à savoir le gestionnaire de la nouvelle RCEA reliée à l'autoroute A71.

L'AFSA exerce plusieurs missions. C'est d'abord elle qui assure l'interopérabilité du télépéage partout en France. C'est également avec l'AFSA que les syndicats représentatifs des 130 000 salariés du secteur négocient les accords de branche. Enfin, l'AFSA réalise une importante communication sectorielle sur la sécurité routière et sur la sécurité des ouvriers et des patrouilleurs autoroutiers, qui exercent des professions à risque.

Comme je l'ai rappelé, en ce qui concerne Sanef, nous sommes désormais plus proches de la fin de la concession en 2031 que de la privatisation de 2006. C'est donc surtout du présent et de l'avenir des concessions que je pense vous parler, n'ayant pas une connaissance directe et personnelle du passé.

Pour en dire malgré tout quelques mots, j'observe que les concessions autoroutières ont traversé plusieurs crises depuis 2006. Il y a d'abord eu la crise économique de 2008-2009, qui a provoqué une baisse significative durable trafic, puisque le trafic des véhicules légers n'est revenu à son niveau antérieur qu'en 2010 et celui des poids lourds qu'en 2019. Il y a eu dix ans plus tard la crise des gilets jaunes, dont l'impact a été significatif, notamment pour le groupe Vinci. Et puis, à présent, la crise sanitaire de la Covid-19. Toutes ces crises ont constitué et constituent un défi pour notre secteur et nous obligent à réfléchir aux meilleurs moyens de renforcer ces infrastructures critiques que constituent les autoroutes, qui font partie de la colonne vertébrale de l'économie de notre pays.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai bien conscience que vous avez rejoint récemment le secteur des autoroutes, mais il est intéressant de pouvoir bénéficier d'un regard neuf sur le sujet. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur les relations actuelles entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA). Considérez-vous que l'État est un interlocuteur efficace et professionnel ? En ce qui concerne vos relations avec les usagers, comment celles-ci sont-elles organisées ? Sont-elles satisfaisantes ? Quels axes d'amélioration pourraient être envisagés ?

Concernant l'avenir des concessions, pensez-vous qu'un éventuel renouvellement devrait être prévu pour une durée aussi longue ? Des contrats de concession plus courts sont-ils envisageables ? Voyez-vous des obstacles à ce que l'État assure lui-même la gestion des autoroutes en régie ? Faudrait-il alors maintenir les péages en l'état ?

Dernière question, pourquoi n'existe-t-il pas plus de péages sans barrières ? S'agit-il d'un bon système ? Est-il plus répandu à l'étranger et faudrait-il l'importer davantage en France ?

M. Arnaud Quémard. - L'État concédant dispose d'équipes très compétentes, composées d'ingénieurs d'excellent niveau, qui s'appuient en outre sur des experts comme ceux du Céréma, qui font partie des meilleurs d'Europe voire du monde.

Dans ses relations avec les concessionnaires, le concédant fait preuve d'une grande expertise technique et se montre très pointilleux, voire même tatillon. Les concessionnaires disposent de ce fait d'une latitude assez faible : il faut l'accord du concédant pour construire un nouvel ouvrage, dont la qualité fera l'objet d'une appréciation très stricte, laquelle impliquera, le cas échéant, de reprendre les travaux à plusieurs reprises, avant une mise en service conditionnée à une autorisation ministérielle.

Les autoroutes concédées font également l'objet d'audits techniques très réguliers qui s'appuient sur des indicateurs de performance précis. Le concédant va au-delà de la simple exécution contractuelle et fait preuve en la matière d'un niveau d'exigence très élevé, ce qui peut parfois entraîner des retards dans la mise en service de certains ouvrages. Celle-ci est en effet impossible tant que les ingénieurs de l'État ne les ont pas soigneusement examinés. Au total, et sans mauvais jeu de mot, je dirais que nos relations avec l'État concédant sont « sans concessions ».

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Les relations avec l'État concédant vous paraissent-elles équilibrées ou déséquilibrées en faveur des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ?

M. Arnaud Quémard. - Si déséquilibre des relations il y a, celui-ci est en faveur de l'État. Les concessionnaires sont souvent contraints d'aller plus loin sur le plan technique que la lettre du contrat. Ce déséquilibre a des conséquences financières pour nous quand il faut reprendre un ouvrage, attendre pour le mettre en service, etc.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'entends ce que vous dites sur le plan technique, mais qu'en est-il sur le plan financier, en termes de tarifs par exemple ?

M. Arnaud Quémard. - Le déséquilibre est là encore favorable à l'État, puisqu'il est déjà arrivé qu'il nous impose une augmentation tarifaire inférieure de 30 % à ce que prévoyaient les contrats de concession. Mais nous ne nous plaignons pas car nos relations de travail avec le concédant sont bonnes même s'il a un pouvoir important sur nous.

Vous m'avez demandé d'évoquer nos relations avec les usagers des autoroutes. Les questionnaires de satisfaction que nous leur avons soumis témoignent d'un jugement globalement positif de leur part. Chaque concessionnaire tente de mettre la relation client au centre de ses préoccupations. Sanef a ainsi créé une direction de l'expérience client il y a deux ans, ce qui constitue une réelle nouveauté. Une charte de la qualité de service en dix-neuf points, qui constituent autant d'engagements envers les clients des autoroutes, a ainsi été élaborée. L'un de ces points prévoit par exemple que les chantiers autoroutiers ne doivent pas générer plus de 5 minutes de retard tous les 100 kilomètres. Pour atteindre cet objectif, il est par souhaitable d'effectuer le maximum de travaux la nuit, mais il n'est pas toujours aisé de minimiser la gêne pour les clients.

Les concessionnaires souhaitent pouvoir développer un dialogue beaucoup plus direct avec leurs clients, multiplier les interactions via les réseaux sociaux et s'engager sur une qualité de service de haut niveau.

La logique n'est plus celle d'un usager anonyme qui utilise l'autoroute mais celle d'un client dont les besoins sont spécifiques, selon qu'il s'agit d'un chauffeur de poids lourds, d'une personne qui emprunte l'autoroute pour aller au travail ou bien encore d'une famille : le service autoroutier de demain devra donc s'adapter aux besoins de chacun. Il faudra par conséquent proposer des aires d'autoroutes avec plus ou moins de services et faire des efforts de diversification.

Sur la question de l'avenir des concessions autoroutières, il reste dix ans de concession pour Sanef et seize ans pour ASF. Les autoroutes françaises constituent le meilleur réseau d'Europe et peut-être du monde. Elles sont un outil qui contribue à l'attractivité et à la compétitivité de notre pays. Nos territoires, dont vous êtes les représentants, sont ravis d'être traversés par des autoroutes et je sais combien les élus locaux attachent de l'importance à l'installation d'échangeurs par exemple.

Or, si nous ne faisons rien, nous allons perdre en partie cet outil en raison des changements d'usages. La crise actuelle nous montre en effet combien il va être nécessaire de faire évoluer nos infrastructures, en particulier pour accueillir les véhicules électriques qui seront de plus en plus nombreux à effectuer des trajets interurbains. Les véhicules utilisant de l'hydrogène nécessiteront également des investissements considérables puisque le coût d'une borne de recharge est estimé à deux millions d'euros.

La crise sanitaire actuelle nous a également montré que nous devions améliorer l'accueil des chauffeurs routiers, ce qui génèrera là aussi des besoins d'investissements supplémentaires. Ce sera aussi le cas des aménagements destinés à réduire l'empreinte écologique des autoroutes pour répondre aux préoccupations environnementales qui sont les nôtres aujourd'hui. Une réflexion politique pourrait utilement être menée sur la question de la modulation des péages, de sorte que ceux-ci puissent prendre en compte le caractère plus ou moins vertueux des véhicules.

Quoi qu'il en soit, il me paraît très important de ne pas « congeler » les contrats de concession autoroutière jusqu'en 2031-2036. Nous devons continuer à innover sans cesse pour que le réseau autoroutier ne perdre pas son avantage compétitif.

Au terme des concessions actuelles, l'État aura plusieurs possibilités. C'est le système concessif qui a permis de développer les infrastructures actuelles et il me paraît fondamentalement bon. Après un accord sur le modèle économique, le modèle de trafic et le modèle de TRI, il permet à l'État de transférer le risque trafic et de faire assurer l'entretien de l'infrastructure par des professionnels dont c'est le métier.

La gestion des autoroutes antérieure à la privatisation de 2006 n'était pas parfaite. Les infrastructures récupérées par les gestionnaires privés n'avaient pas fait l'objet de diligences techniques détaillées. Plusieurs ouvrages de l'autoroute A4 présentaient des défauts structurels majeurs, ce qui a entraîné des travaux dont le coût a atteint plusieurs dizaines de millions d'euros. Sur l'autoroute A16, l'État avait laissé s'éteindre la garantie décennale alors que plusieurs ouvrages présentaient des problèmes importants. Il est donc clairement intéressant pour lui de laisser les concessionnaires faire face aux baisses de trafic et aux travaux sur les ouvrages autoroutiers.

Sur la question des péages, on pourrait imaginer que l'État décide, comme en Espagne, de les supprimer. Mais l'État espagnol ne sait pas aujourd'hui comment il va financer les infrastructures, rencontre des difficultés budgétaires et doit assumer le fait d'avoir supprimé les emplois des personnels qui percevaient les péages. Dans tous les cas, il convient de se rappeler que les péages constituent avant tout la contrepartie des investissements, l'entretien courant ne représentant que 25 % environ des coûts des concessionnaires.

Autre piste, celle consistant à prévoir la mise en concession conjointe d'autoroutes et d'autres types d'infrastructures, comme des voies nationales, des lignes ferroviaires, des canaux, etc. Il s'agit là d'une simple idée, la mise en concession d'objets plus composites étant susceptible de provoquer un changement de paradigme.

Je connais bien la question des péages sans barrière pour en avoir installé à San Diego en Californie en 2008. Ce sujet n'est pas technique mais juridique et économique, car il soulève le problème de la fraude à laquelle sont susceptibles de se livrer certains automobilistes étrangers, déstabilisant ainsi le modèle économique des concessions, surtout si les autoroutes étaient à l'origine conçue avec des barrières. Les États-Unis sont un immense pays dans lequel circulent peu d'étrangers. La fraude due aux automobilistes étrangers y est donc négligeable alors que la France est un pays traversant où la fraude des automobilistes étrangers est susceptible d'être un réel problème. Le taux de fraude aux péages traditionnels est de 0,11 % seulement. Mais il est potentiellement beaucoup plus élevé aux péages sans barrières. Au total, les péages sans barrières présentent de nombreuses qualités, notamment écologiques, mais posent des questions en termes de modèle économique, d'obligations contractuelles, d'interopérabilité, de capacité à retrouver un éventuel contrevenant, etc.

Sanef travaille actuellement à la mise en place d'un péage sans barrières sur l'autoroute A13 Paris-Caen, car cette autoroute présente des caractéristiques qui s'y prêtent : péage forfaitaire, pourcentage d'automobilistes étrangers réduits, taux de fraude a priori très limité, etc.

M. Éric Bocquet. - Sur la question du rapport de force entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), l'ancien président de la commission nationale des marchés des SCA a formulé le constat inverse et nous a dit qu'il s'était souvent senti en position de faiblesse vis-à-vis des trois principaux groupes de SCA...

Vous évoquez les risques que courent les SCA mais ceux-ci n'apparaissent pas vraiment à la lecture de leurs résultats économiques depuis la privatisation. Sur la période 2006-2017, leur chiffre d'affaires augmente tout comme les dividendes versés à leurs actionnaires. Même la crise économique de 2008-2009 n'a pas provoqué de diminution de leur chiffre d'affaires.

Je souhaite également vous interroger sur la question des effectifs de Sanef. J'ai lu que ses charges de personnels représentaient 12,15 % de son chiffre d'affaires en 2006 et 10,1 % seulement en 2017. Quels postes ont été supprimés ? Avez-vous un objectif en termes de réductions de postes ?

M. Arnaud Quémard. - Depuis 2016, l'Autorité de régulation des transports (ART) dispose d'une équipe de ,cinq personnes à temps plein dont la mission est de vérifier que les procédures de publicité et de mise en concurrence sont bien respectées lors de la passation des marchés des SCA. Le seuil à partir duquel ces procédures sont requises est très bas : 500 000 euros seulement pour nos marchés de travaux. De mémoire, la SNCF doit avoir recours à la publicité et à la mise en concurrence pour ses marchés de travaux seulement lorsque leur montant dépasse 5 millions d'euros.

L'ART vérifie entre 400 et 500 marchés par an. Un seul d'entre eux a fait l'objet d'un référé. Il s'agit d'un marché de la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) qui n'est aujourd'hui pas définitivement jugé et pour lequel je précise que la société attributaire du marché n'appartenait pas au groupe Vinci. Cela démontre bien que les marchés passés par les SCA le sont dans le respect des règles en vigueur. Sanef, qui n'est liée à aucune entreprise de travaux publics, attribue ses marchés en respectant ces règles, dont la rigueur est très proche de celle des marchés publics.

Sur la question de l'appréciation du risque, la croissance régulière des chiffres d'affaires des SCA va connaître une interruption en 2020 puisque Sanef devrait voir son chiffre d'affaires diminuer de 400 millions d'euros, le secteur dans son ensemble s'attendant à perdre environ 2 milliards d'euros.

Il est tout à fait exact de dire que le chiffre d'affaires des SCA - l'année 2020 mise à part - croît d'année en année. Mais les projections initiales sur lesquelles était basée la privatisation prévoyaient elles aussi un chiffre d'affaires en croissance, car c'est précisément le modèle économique des SCA

La vraie question est donc de savoir si le chiffre d'affaires effectif est inférieur ou supérieur aux prévisions. Pour Sanef, nous avons refait le calcul hier : nous avons constaté qu'à la fin de l'année 2019, il manquait 1 milliard d'euros par rapport à la séquence de chiffres d'affaires qui était prévue pour l'entreprise en 2006. Si on rajoute l'année 2020, le retard par rapport aux prévisions atteindra 1,8 milliard d'euros. C'est donc comme s'il nous manquait une année de chiffre d'affaires. Je vous confirme donc que les chiffres d'affaires réalisés sont inférieurs à ce qui avait été anticipé.

Oui, l'activité des SCA est risquée. Avec la crise de la Covid-19, le risque trafic a été mis en lumière. Mais nous allons également subir le risque travaux, puisque ceux-ci vont être sensiblement plus chers avec les nouvelles mesures de sécurité et de distanciation sociale sur les chantiers. Cette situation nouvelle pourrait conduire à une augmentation de notre budget d'investissement de plusieurs centaines de millions d'euros.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Les investissements que vous évoquez correspondent-ils à des projets prévus dans le plan de relance autoroutier (PRA) et dans le plan d'investissement autoroutier (PIA) ? N'ont-ils pas tous été achevés ?

M. Arnaud Quémard. - Certains des travaux prévus par ces plans sont en effet toujours en cours de réalisation. Je pense par exemple au contournement nord-est de Metz, à la connexion avec le contournement de Strasbourg, à des projets en Normandie... Les entreprises de travaux publics vont nécessairement nous réclamer une compensation pour leurs surcoûts, c'est un risque que nous devrons supporter.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Comment chiffrez-vous ces surcoûts ? Quel taux d'actualisation leur appliquez-vous ?

M. Arnaud Quémard. - J'évoquais ici uniquement les surcoûts générés par la crise sanitaire de la Covid-19, notamment en raison de l'application des gestes barrières sur les chantiers. Cela entraînera un renchérissement des coûts de certains projets qui étaient prévus au PRA et au PIA.

Cette situation spécifique est à distinguer du décalage dans le temps des investissements envisagés à l'article 7 de notre contrat. Celui-ci prévoit que lorsque ce retard est de notre fait, les montants d'investissements retardés sont actualisés au taux d'actualisation du contrat et sont restitués au concédant sous forme de travaux supplémentaires.

J'en viens à la question des effectifs de Sanef, dont les deux tiers sont des personnels d'exécution, ouvriers et employés, présents au coeur des territoires. Depuis 2006, 2500 postes ont été supprimés. Ces réductions ont beaucoup concerné les postes aux péages, puisque nous avons augmenté de moitié le nombre de télépéages. Nous n'avons procédé à aucun plan de départ volontaire. Nous avons tenu compte de la pyramide des âges et avons reconverti environ 1000 salariés, dont 800 travaillaient auparavant dans les cabines de péages. Ils ont été formés pour évoluer vers d'autres postes, par exemple en passant leur permis poids lourds. Ces salariés, qui travaillent désormais dans les domaines de l'entretien, de la maintenance ou bien encore de l'assistance à distance ne voudraient pour rien au monde retourner en cabine. Leur employabilité a été améliorée car ils exercent désormais des métiers d'avenir. Je tiens à souligner que tout ce processus de reconversion a été accompagné par un dialogue social efficace et d'excellente qualité.

M. Jérôme Bascher. - Je souhaite vous poser trois questions. La première concerne la pratique dite du « foisonnement ». Qu'en pensez-vous ? Est-elle souhaitable ou pas ? Existe-t-elle ailleurs ?

Le groupe Albertis auquel Sanef appartient exploite des concessions autoroutières partout dans le monde. Comment jugez-vous les concessions autoroutières françaises par rapport aux autres ?

Je souhaiterais enfin connaître votre avis sur la saturation des autoroutes à l'entrée des grandes agglomérations. Cette saturation génère-t-elle un risque trafic pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes ? Je pense à l'exemple de l'autoroute A1 au nord de Paris, qui est gérée par la direction interrégionale des routes (DIR), c'est-à-dire par l'État. Cette autoroute pose de vraies difficultés car elle est presque toujours congestionnée en raison de l'existence d'une voie réservée. Du coup, on se demande l'intérêt d'utiliser l'autoroute plutôt qu'une route nationale. Serait-il possible d'investir sur ces portions d'autoroutes afin de lutter contre ce phénomène de saturation ?

M. Arnaud Quémard. - Le foisonnement est une pratique ancienne, bien antérieure à la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) et qui a disparu entre 2008 et 2011. Elle consistait à prévoir des tarifs moins chers sur les courtes distances et plus chers sur les longues distances.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce n'est pas notre définition du foisonnement. Nous avons compris que le foisonnement consistait à faire payer plus cher par l'automobiliste les trajets où le trafic est le plus dense et à le faire payer moins cher là où le trafic est moins important. Pouvez-vous nous confirmer que cette pratique a bien cessé depuis 2011 ? En tout état de cause, nous procéderons à des tests pour nous en assurer.

M. Arnaud Quémard. - Je vous confirme que la pratique du foisonnement a bien cessé depuis 2011. Notre contrat prévoit que nous avons l'obligation de réduire les variations tarifaires.

M. Jérôme Bascher. - L'écart-type se réduit mécaniquement avec les augmentations !

M. Arnaud Quémard. - Les grilles tarifaires issues de l'histoire et de l'époque où se pratiquait le foisonnement présentaient de multiples distorsions tarifaires. Nous avons cessé d'en introduire de nouvelles à partir de 2008 et le concédant nous a imposé de les réduire progressivement chaque année. Cette évolution se fait au fur et à mesure, mais un péage ne peut plus en tout état de cause dépasser de 50 % en plus ou en moins de la référence tarifaire. Il peut encore arriver que les distorsions augmentent temporairement d'une année sur l'autre car les tarifs des péages sont arrondis au dixième de centime près. Au total, il est exact que les grilles tarifaires présentent toujours des distorsions héritées du passé mais celles-ci se réduisent au fil du temps.

Sur le parangonnage avec les concessions autoroutières à l'étranger, je peux par exemple vous dire que les contrats de concession en Espagne et en Amérique du Sud ne prévoient pas d'indicateurs de performance. C'est une différence notable. Au Chili, l'État garantit un chiffre d'affaires aux concessionnaires. Si celui-ci n'est pas réalisé, la durée de la concession est allongée à due concurrence. Si le trafic est plus dynamique que prévu, elle est raccourcie. Le TRI y est beaucoup plus élevé par exemple 15 % au Mexique, mais cela s'explique par le risque pays et par des conditions de financement différentes. Je peux en tout état de cause vous dire que c'est en France que le suivi technique des concessions est le plus précis et le plus exigeant.

En ce qui concerne la saturation des autoroutes à l'approche des grandes villes et plus particulièrement Paris, je connais très bien la question puisque Sanef gère cinq des sept accès à la capitale par autoroute. Nous avons proposé à l'État en 2019 de reprendre la gestion de l'autoroute A1 dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024. Cette autoroute subit un manque d'investissements chroniques et nous avions proposé d'y investir 150 millions d'euros en pratiquant un adossement sur les concessions dont nous disposons déjà. Nous proposions d'y aménager une voie réservée pour le covoiturage et pour les bus express, à l'image des aménagements qui existent déjà sur l'A14 reliant le quartier de La Défense au département des Yvelines. Pour résoudre le problème de congestion du trafic à l'approche des grandes villes il faut aussi aménager des aires de service, des parkings multimodaux. Il convient également de prévoir des aménagements en faveur des véhicules propres.

Adosser la portion Roissy - Porte de La Chapelle à la concession Sanef aurait permis de financer les investissements nécessaires. C'est là une méthode classique et bien connue. L'autoroute A16 n'aurait pas existé sans les revenus de l'autoroute A1. L'autoroute entre Arras et Lille a été construite grâce à un adossement à une concession existante.

Les investissements dans les transports en Île-de-France ne doivent pas se résumer au Grand Paris Express. Ils doivent concerner également les routes et les autoroutes. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), qui sont des investisseurs de long terme, formulent des propositions en ce sens.

M. Jérôme Bascher. - Je comprends que les nouveaux investissements concernent désormais davantage les « utilities » que le « hardware ».

M. Arnaud Quémard. - Vous avez raison, les usages se diversifient et notre métier évolue.

M. Olivier Jacquin. - Vous êtes le premier à nous dire que l'État concédant se trouve en position de force face aux sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA)...

Notre réseau autoroutier est de qualité et il est en bon état. Néanmoins, je trouve qu'il est peu innovant dans certains domaines. Le télépéage se développe mais il y a peu d'innovations pour lutter contre la congestion avec des voies réservées, des bus express... Il est vrai que les SCA n'ont pas intérêt à voir diminuer le trafic. Des évolutions tarifaires pourraient être imaginées pour lutter contre la saturation.

Pour l'avenir, on pourrait peut-être imaginer un modèle dans lequel le risque trafic serait récupéré par l'État, lequel percevrait par conséquent les péages, les SCA étant uniquement chargées de l'exploitation.

M. Arnaud Quémard. - En matière d'innovations, nous avons des discussions longues et tatillonnes avec l'État. Nous lui proposons sans cesse des solutions innovantes pour augmenter le nombre de passagers par véhicules et prendre en compte les nouvelles mobilités, mais notre concédant ne nous prête pas toujours une oreille attentive.

Nous n'avons pas intérêt à ce que nos réseaux soient saturés. Au contraire, notre intérêt est que le trafic soit le plus fluide possible pour augmenter nos recettes.

Les grilles tarifaires sont très contraintes et laissent très peu de place à la créativité, ce que regrettent les SCA. Il existe malgré tout quelques modulations selon les tranches horaires sur certaines autoroutes.

Sur l'avenir des autoroutes, le modèle historique est celui des concessions mais on pourrait également imaginer un autre modèle ressemblant davantage à des partenariats publics-privés dans lequel l'État concédant paierait un loyer. Tout est question de gestion du risque, il faut déterminer qui le porte.

M. Éric Jeansannetas, président. - La sénatrice Christine Lavarde souhaiterait des précisions sur les relations entre les SCA et les sous-concessionnaires présents le long des autoroutes.

M. Arnaud Quémard. - Nous procédons aux choix de nos sous-concessionnaires à l'issue d'appels d'offres publics. Les règles applicables à ces appels d'offres sont proches de celles qui régissent les marchés publics. L'approbation du concédant est nécessaire et l'Autorité de régulation des transports (ART) effectue un contrôle de la procédure suivie. Les relations avec le sous-concessionnaire sont ensuite prévues par un cahier des charges. Le sous-concessionnaire investit dans ses installations commerciales. Il bénéficie en général d'une part de rémunération fixe et d'une part variable en fonction de son chiffre d'affaires.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avant de terminer cette audition, je souhaiterais revenir sur vos chiffres pour 2020. Quel impact pour Sanef ? Une baisse du chiffre d'affaires de 30 % est-elle plausible ? Combien de temps faudra-t-il pour retrouver le trafic antérieur à la crise ? Faudra-t-il plus de temps pour les poids lourds ?

M. Arnaud Quémard. - Sur les cinq premiers mois de l'année 2020, soit jusqu'à fin mai, le trafic a reculé de 36,5 % par rapport aux cinq premiers mois de l'année 2019. Notre chiffre d'affaires 2020 devrait reculer de 24 % par rapport à celui de 2019.

Chaque crise est différente mais pour celle-ci nous constatons une reprise lente du trafic. La météo était correcte le week-end dernier mais nous avons constaté un trafic des véhicules légers en retrait de 16 % par rapport aux chiffres de l'an dernier. Le télétravail a l'air de s'installer durablement et nous constatons pour le moment que nous n'avons retrouvé que 60 % des trajets domicile-travail. Les étrangers ne vont pas venir massivement en France cet été pour les vacances. Les Français seront plus nombreux à rester en France mais les inconnues sont nombreuses... Nous pensons que le trafic sera encore en retrait de 5 % en 2021 par rapport à 2019. Le creux de trafic va rester important et les écarts se creuser par rapport aux projections initiales.

En 2008, la crise économique avait surtout provoqué une baisse du trafic des poids lourds. La crise économique attendue à partir de l'automne devrait de nouveau impacter fortement ce trafic puisque l'élasticité est quasiment de 1 entre la croissance économique et la progression du trafic poids lourds.

M. Éric Jeansannetas, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 17 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 24 juin 2020

Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire et directrice du cabinet de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, en 2014-2015

- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui avec Madame Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la Ministre, les transports, qui font partie de votre portefeuille ministériel, et singulièrement les infrastructures autoroutières, qui nous intéressent dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête, sont au coeur de vos activités professionnelles, en qualité de conseiller de plusieurs ministres puis de ministre en charge de ce secteur, sans oublier la direction des concessions d'Eiffage, l'un des principaux opérateurs en la matière.

Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute le vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Borne prête serment.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Le sujet des relations entre les sociétés concessionnaires d'autoroutes et l'État n'est pas nouveau et le Sénat s'y intéresse depuis longtemps. Nous avons eu l'occasion d'échanger l'année dernière dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative à la nationalisation des autoroutes. Les concessions autoroutières, autorisées par la loi du 18 avril 1955, ont contribué à développer un réseau de routes à haut niveau de service et de sécurité pour l'usager. La France dispose d'un réseau de plus de 9000 kilomètres de voies concédées. Lors de l'émergence de ce modèle, nous avions un retard en termes d'équipements, la voiture était le moyen de transport privilégié et les considérations environnementales n'étaient alors pas centrales. Les sociétés autoroutières étaient pour l'essentiel publiques et leurs bénéfices permettaient de développer les investissements dans les transports. Par ailleurs, la durée des concessions était initialement d'une trentaine d'années, puis nous avons recouru à l'adossement pour créer des liaisons interurbaines moins rentables. Bien que bénéfique pour l'aménagement du territoire, l'adossement a eu pour effet de doubler la durée des concessions par rapport à celle prévue dans les années 1960. Historiquement, les sections à péage étaient loin des agglomérations et servaient aux trajets occasionnels des particuliers et aux transports de marchandises sur longues distances. Du fait de l'extension des agglomérations et des changements de mode de vies, beaucoup de Français utilisent désormais l'autoroute pour leurs déplacements quotidiens, ce qui pose la question de l'acceptabilité du modèle du péage pour ce type de trajet. Dans le même temps, le modèle d'une infrastructure financée entièrement par l'usager a un avantage, car l'acceptabilité de l'impôt est elle aussi discutée.

La décision de la privatisation en 2005 a, par construction, privé l'État des dividendes qui étaient jusque-là affectés aux investissements dans les infrastructures de transport. On peut s'étonner que cette évolution n'ait pas été précédée d'une révision des contrats. Contrairement à ce que l'on observe généralement dans les actifs régulés, ces contrats ne font en effet pas l'objet d'un recalage périodique de la rentabilité entre le concédant et les sociétés concessionnaires. Ils ont été conclus entre les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute (SEMCA) et l'État, mais régissent aujourd'hui des relations avec des groupes privés cotés dont la logique est différente. Cela explique les questions récurrentes sur le déséquilibre entre concédant et concessionnaire. Ce modèle a toutefois évolué vers une plus grande transparence sous l'effet des travaux de l'Autorité de la concurrence.

Nous sommes aujourd'hui à dix ans de la fin des premiers contrats de concessions historiques et il est légitime de penser à l'après. Si nous voulons conserver un modèle concessif, il faudra introduire des clauses de revoyure, comme pour les autres actifs régulés, afin de s'assurer de l'absence de surrentabilité. Il faut également un régulateur fort. Je plaide, en tant que ministre de la transition écologique et solidaire, pour que les sociétés concessionnaires accompagnent le développement des mobilités propres sur leur réseau, par l'implantation de bornes de recharge et en incitant les usagers au covoiturage ou aux véhicules propres.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'aurai deux séries de questions. Tout d'abord, votre parcours nous intéresse à un triple titre : chez un concessionnaire, puisque vous avez travaillé pour le groupe Eiffage, comme directrice de cabinet de Mme Royal et enfin comme ministre de tutelle. Vous aviez par ailleurs commencé votre carrière professionnelle à l'Équipement. Pensez-vous que ce type de parcours pour un fonctionnaire soit une bonne chose ? Cela devrait-il évoluer ?

Ma deuxième question porte sur le gel des tarifs autoroutiers pour 2015. Comment cette décision a-t-elle été prise, sachant que les contrats prévoient des augmentations chaque année ? Le Premier ministre ou la ministre en charge à l'époque ont-ils pris cette décision ? Quelle en était la motivation ?

Quel a été votre rôle dans la négociation du protocole de 2015 et du plan de relance autoroutier ? De quelle façon Mme Royal  a-t-elle été informée des discussions avec les SCAA? Considérez-vous que ce protocole était une bonne affaire pour l'usager et pour l'État ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Pouvez-vous reformuler votre première question ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Que vous inspire le fait de travailler dans un groupe dont les filiales avaient des contrats avec l'État, puis de vous trouver ensuite en position de tutelle ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Il y a des règles en matière de conflit d'intérêts. J'ai travaillé chez Eiffage de 2007 à 2008, puis je suis intervenue en tant que directrice de cabinet de Mme Royal de 2014 à 2015 et j'ai pris des fonctions de ministre en 2017. On ne peut pas passer sans délai d'un poste à l'autre et cela me semble raisonnable. Cependant, il est important que les personnes exerçant des postes à responsabilité aient une vision de comment cela se passe ailleurs. J'apprécierais que les fonctionnaires de mon ministère, qui ont vocation à échanger avec des entreprises ou des collectivités, n'aient pas seulement un parcours au sein de l'administration d'État. Occuper des postes diversifiés permet de créer de la fluidité et de mieux comprendre ses interlocuteurs, tout en tenant compte des règles qui doivent s'appliquer.

Le gel des tarifs est une décision prise par Ségolène Royal. La question des tarifs revient régulièrement, et l'on préfèrerait souvent pouvoir s'affranchir des contrats à ce sujet. C'est ce que la ministre de l'époque avait décidé de faire. Mais les contrats s'appliquent dans un État de droit. Si l'application des contrats était aléatoire dans notre pays, peu d'entreprises viendraient s'installer en France. Le gel des tarifs a eu un effet boomerang pour l'usager qui l'a payé par des augmentations ultérieures ; l'usager n'est finalement pas gagnant. C'est le paradoxe des allongements successifs de contrats de concession : face à des contrats dont les clauses ont été conçues dans les années 1970, et prolongées d'avenant en avenant, céder à l'impulsion de ne pas appliquer les clauses d'augmentation de tarifs n'est pas dans l'intérêt des usagers.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ségolène Royal a donc pris seule la décision de geler les tarifs, sans l'accord du Premier ministre ou discussion interministérielle ? Lorsqu'il y a un contrat, on l'applique. Qui a pris cette décision au sein du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Il faut se remettre dans le contexte de l'époque, dans le cadre de tensions avec les concessionnaires liées à une succession de décisions dans les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires. Ces tensions ont été cristallisées par l'avis de l'Autorité de la concurrence évoquant une surrentabilité des concessions. Par ailleurs, au début du quinquennat précédent, la décision d'augmenter la redevance domaniale sans compensation avait conduit les sociétés concessionnaires d'autoroutes à soulever le risque d'un contentieux. Le Président de la République de l'époque avait ensuite commencé la négociation d'un plan de relance autoroutier, négociations allongées par les notifications à la Commission européenne. Les relations entre l'État et les concessionnaires étaient particulièrement tendues, et un groupe de travail parlementaire avait été constitué pour déterminer si cette rente existait.

Des discussions avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont donc été engagées pour solder ces différents éléments ; la redevance domaniale débouchant potentiellement sur un contentieux avec les sociétés concessionnaires, la volonté du Président de la République de boucler le plan de relance dont les discussions avaient été engagées largement antérieurement, et cet avis de l'Autorité de la concurrence expliquant qu'il y aurait une surrentabilité des contrats. Dans ce contexte, la ministre de l'époque a pris la décision de geler les tarifs. . Céder à l'impulsion n'est pas dans l'intérêt des usagers. Votre question porte en creux sur l'organisation d'un gouvernement : celui-ci fonctionne soit par des réunions interministérielles dont le ministre porte alors la parole, soit parce qu'un ministre considère qu'il est de sa responsabilité de prendre une décision, le reste du Gouvernement en prend acte. C'est ce qu'il s'était passé à l'époque. 

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Sur votre rôle dans les négociations du plan de relance autoroutier (PRA), comment se sont passées ces négociations ? Comment la ministre était-elle informée ? Était-ce une bonne affaire pour l'État et les usagers?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Nous étions dans une situation très tendue avec les sociétés concessionnaires du fait des éléments que j'ai évoqués. François Hollande voulait faire aboutir les négociations. Il est apparu utile de trouver un chemin afin de solder les litiges en cours et de prendre appui sur l'opinion de l'Autorité de la concurrence, sur les travaux du groupe de parlementaires et sur les recommandations et les engagements pris auprès de la Commission européenne lors de la notification du plan de relance autoroutier. Ce protocole a été discuté avec le directeur de cabinet du ministre de l'économie de l'époque, moi-même, en tant que directrice de cabinet de la ministre, et Bruno Angles, que vous avez déjà auditionné et qui avait été désigné par les sociétés concessionnaires. Dans la foulée de cet accord dans le cadre de la loi dite « Macron », une autorité de contrôle des concessions autoroutières a été mise en place, disposant d'un pouvoir d'avis public sur les projets de contrats et d'avenants et sur la rentabilité du secteur autoroutier en général. Cette autorité, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue l'Autorité de régulation des transports (ART), possède également un pouvoir de contrôle des marchés passés par les autoroutes.

Ce protocole est le fruit d'un processus de rééquilibrage des relations entre l'État et les concessionnaires, qui a été compliqué par la décision du gel des tarifs intervenue au milieu de sa discussion. Le bilan du protocole est sans conteste positif, car il a permis d'éviter des litiges qui auraient été forcément défavorables l'État. Mais il n'a pas pu empêcher le report du gel des tarifs en 2015 par des hausses de tarifs jusqu'en 2023. Lorsqu'on s'exonère de l'application d'un contrat, il faut également en tirer les conséquences. Autre effet positif du protocole, au cours de la négociation du plan d'investissement autoroutier en 2018, nous avons pu nous appuyer sur l'avis obligatoirement sollicité de l'Arafer, ce qui a permis de revoir à la baisse les conditions financières du plan. 

Le protocole contenait des avancées importantes, notamment l'insertion d'une clause de plafonnement de la rentabilité permettant de réduire la durée des concessions en cas de surprofits, l'absence de compensation de la taxe finançant l'Arafer, le versement d'une contribution des sociétés concessionnaires d'autoroutes, la mise en place de mesures commerciales ciblées pour favoriser le covoiturage et l'utilisation des cars dits « Macron », enfin la possibilité pour l'État d'assister au conseil d'administration des sociétés.

L'objectif de ce protocole, qui était de solder les litiges en cours et de permettre un premier rééquilibrage des contrats, a été atteint. 

Quant à savoir si Ségolène Royal a été informée, la ministre suivait de près ses dossiers. Je vous confirme qu'elle en était informée et qu'elle a même pris en main la finalisation de la négociation avec les sociétés concessionnaires.

M. Éric Jeansannetas, président. - Vous avez évoqué un déséquilibre dans la relation contractuelle entre le concédant et les concessionnaires. Pouvez-vous préciser ? Les concessionnaires ont le sentiment que ce déséquilibre est en faveur du concédant.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Imaginez ce qu'est la gestion d'actifs aussi importants, en volume et dans le quotidien des Français, sur la base de contrats conçus dans les années 60 et 70. Cette pratique de d'adossement et de prolongement par avenants, qui permettait de mener des travaux sans ouvrir de crédits budgétaires, conduit à exécuter aujourd'hui des contrats qui ont été conclus à cette époque. En tant que présidente-directrice générale de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), j'ai pu négocier des délégations de service public au travers de contrats permettant à l'autorité organisatrice d'obtenir des clauses de rendez-vous. Les contrats tels qu'on les passe aujourd'hui donnent beaucoup plus de leviers au concédant, et permettent par exemple de réexaminer tous les cinq ans la rentabilité des contrats et au besoin d'assurer qu'elle n'excède pas celle prévue initialement.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il y a eu des améliorations sensibles, tenant compte des expériences passées, dans le suivi et dans l'établissement des nouveaux contrats depuis 2015. Sur le protocole de 2015, êtes-vous d'accord avec le chiffrage effectué par l'ART sur le fait que les usagers auront payé au travers des suraugmentations de 2019 à 2023, pour compenser le gel des tarifs de 2015, 500 millions d'euros de plus que ce qu'ils auraient payé si les augmentations étaient restées celles initialement prévues ? Par ailleurs, avez-vous souvenir de la façon dont s'est déroulée la négociation des taux d'actualisation ? L'État proposait à l'époque un taux d'actualisation de 6,8 %, alors qu'un taux de 8 % plus favorable aux sociétés concessionnaires figure dans le contrat. Vous nous dites que le protocole a été favorable à l'usager. Pourquoi a-t-il donc été maintenu secret ? Il n'a été rendu public que deux ou trois ans plus tard, à la suite de procédures contentieuses. Enfin, après avoir tiré les leçons du passé, comment peut-on préparer l'avenir ? Si les concessions se terminaient dans trois ans, quelles seraient vos préconisations pour la gestion et l'exploitation de ce réseau autoroutier et pour préparer ce renouvellement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - On peut supposer que le calcul de l'ART est le bon. Le bénéfice des hausses effectuées après le gel est rapporté à la situation initiale en tenant compte d'un taux d'actualisation. Les usagers payent donc finalement plus. J'ai eu ce débat en tant que ministre des transports, alors que certains élus demandent aujourd'hui un gel des tarifs, voire la gratuité. Ce n'est possible que si les sociétés concessionnaires décident de renoncer à leurs droits, ce qui est rare, y compris vis-à-vis de leurs actionnaires. Mais le droit des contrats implique que lorsqu'on prend quelque chose, on en cède une autre. Les décisions unilatérales, si elles peuvent être valorisantes politiquement, sont contreproductives dans la durée.

Les débats autour du taux d'actualisation peuvent être infinis. Si le concédant souhaite un taux le plus bas possible, les sociétés concessionnaires d'autoroutes indiquent qu'il leur faut couvrir les risques auxquels elles sont exposées. Les conditions financières doivent être prises en compte. Le point d'atterrissage était sans doute à mi-chemin entre ce que préconisait l'administration et ce que recherchait le concessionnaire. Ce taux a pour ailleurs été validé par la Commission européenne au titre du respect des règles des concessions et des règles encadrant les aides d'État qui limitent les avantages accordés à une entreprise. Dans le programme d'investissement autoroutier, nous avons fait baisser le taux envisagé sous le précédent quinquennat en nous appuyant sur les avis de l'ART. Cela montre tout l'intérêt d'une autorité de régulation puissante. Les taux d'actualisation ne sont pas une science exacte. Par ailleurs, je souligne que la validation du taux par la Commission ne m'offrait pas une marge de négociation très large pour baisser le taux en jouant sur la crainte d'un rejet de la Commission européenne.

Je ne peux pas vous répondre sur le secret du protocole. Ce n'est pas moi qui ai empêché sa publication, car cela peut créer de la crispation. Le ministère de l'économie était réticent à le publier du fait de son caractère de protocole transactionnel. Il a d'ailleurs été transposé dans les contrats de concessions qui sont, eux, parfaitement publics. Je comprends la crispation que ces motivations juridiques ont pu provoquer.

Sur la préparation de l'avenir, tout dépend si l'on juge utile le modèle concessif, ou si les services de l'État reprendront en direct la gestion des autoroutes. Le recours à ces sociétés a permis d'avoir un niveau de service échappant aux régulations budgétaires, et un réseau financé par l'usager mieux entretenu que le réseau non concédé. Ce modèle me semble présenter un intérêt. Les contrats futurs seront très différents. Lors de la conclusion initiale des contrats, les concessionnaires ont pris un risque trafic. Le réseau est aujourd'hui mature, et le contrat devrait davantage ressembler à un contrat de partenariat ; je ne vois pas l'intérêt de rémunérer un risque trafic aujourd'hui limité. Cependant, le risque trafic s'est matérialisé pendant la crise de 2008 où le trafic poids lourds a chuté dans des proportions considérables et se concrétise violemment aujourd'hui. Le risque trafic n'est donc pas un concept. Un contrat de partenariat avec des engagements appliquant davantage le principe du pollueur-payeur me paraît une piste à creuser, en tenant compte de l'acceptabilité auprès des usagers. Aujourd'hui des centaines de milliers de citoyens empruntent des trajets à péages pour se rendre au travail. Il faut prendre en compte ce paramètre.

M. Éric Bocquet. - J'ai été contacté par votre cabinet qui voulait savoir quels types de questions je comptais vous soumettre. Dans la mesure où vous êtes entendue par une commission d'enquête, j'ai été surpris par cette démarche que j'ai trouvée déplacée.

Avec le recul de quatorze années, considérez-vous que la privatisation a été une bonne affaire pour l'État et les citoyens, du point de vue financier, de la qualité du réseau, de la transparence et du service à l'usager ? La gestion par des acteurs privés n'est pas un modèle absolu. En Grande-Bretagne, les autoroutes sont gérées par une entité publique financée par l'impôt. La concession est un choix politique.

Concernant votre curriculum vitæ qui est foisonnant, j'ai été interpellé par votre année passée comme directrice des concessions du groupe Eiffage entre 2007 et 2008. Quelles étaient vos fonctions et vos missions ? Pourquoi en être partie si rapidement ? Sans vous faire de procès d'intentions, mais si d'aventure Eiffage était candidat à la concession d'Aéroports de Paris (ADP), quelle pourrait-être votre position ? N'y a-t-il pas là un risque de conflit d'intérêts ?

Les recommandations de l'Autorité de la concurrence, formulées dans son avis de 2014, ont-elles toutes été mises en oeuvre ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. -  Je suis désolée que vous ayez été choqué, mais nous évoquons des sujets anciens. La question de mon cabinet avait pour but de vous apporter des réponses précises. En tant que ministre de la transition écologique, mon agenda est bien rempli. Je ne peux vous répondre à brûle pourpoint sur des sujets d'il y a dix ou quinze ans.

Je ne suis pas la mieux à même pour juger de la privatisation. Ce n'est pas mon ministère qui a porté la privatisation des sociétés autoroutières. Le ministère des finances pourrait vous indiquer si les recettes qui ont été retirées étaient à la hauteur de la valeur des actifs. Je ne dispose ni des analyses de l'époque, ni des calculs que l'on pourrait faire aujourd'hui.

Au-delà d'une bonne affaire, dans le principe cela n'a pas été une bonne idée. Le code de la voirie routière dispose que l'utilisation du réseau routier est en principe gratuite, avec des exceptions sur des sections à péage. Le péage sert à développer et entretenir les infrastructures mais aussi à assurer une rentabilité à la concession. Les usagers seraient plus convaincus de l'intérêt du péage si, comme c'était le cas à l'époque, il finançait des investissements, par exemple dans le transport ferroviaire. Ne pas changer les contrats avant de changer les actionnaires des sociétés concessionnaires a été une erreur. Nous aurions dû revisiter ces contrats avant la privatisation, pour mieux les verrouiller. Nous aurions sans doute eu moins de recettes, mais cela aurait limité les débats ultérieurs sur les surprofits des sociétés concessionnaires.

S'agissant de la qualité du réseau et du service rendu aux usagers, cela n'est pas critiquable. Notre réseau est bien entretenu et de bonne qualité. Je souhaiterais que nous ayons des aires de services de cette qualité sur le réseau non concédé.

Sur mon passage chez Eiffage, on peut considérer qu'il y a deux mondes, celui de l'administration d'État et celui de l'entreprise. Ce n'est pas ma vision. Des délais de passage de l'un à l'autre sont prévus par les textes et il faut les appliquer. Pour la mise en concession de la route Centre Europe Atlantique, je me suis tournée vers la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui a indiqué que compte-tenu du délai passé, cela ne constituait pas un conflit d'intérêts. Des fonctions ne marquent pas à vie. Après plus de dix ans, on peut retrouver son indépendance de pensée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pourquoi en êtes-vous partie si rapidement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je suis partie du fait d'un désaccord stratégique avec le président de l'époque qui s'est alors séparé de son directeur général dont il a repris la fonction.

M. Alain Fouché. - Étant dans la majorité présidentielle au Sénat en 2005, nous n'étions pas informés de toutes les conséquences de la privatisation. C'est une erreur majeure de M. de Villepin pour obtenir des rentrées d'argent. Je connais bien la ministre. Doit-on avoir des gens qui dirigent la France et qui n'ont aucun lien avec le privé, aucune notion du territoire ou de l'entreprise ? Dans le département de la Vienne où Mme Borne était préfète, son expérience du public et ses contacts nous ont aidés à réaliser un Center Parc. Il faut des gens qui connaissent le territoire. Quant à Mme Royal, elle décidait souvent seule : c'est dans son caractère. Enfin, pour l'avenir, avons-nous une idée des coûts globaux que représente  l'allongement des contrats?

M. Éric Jeansannetas, président. - Madame la ministre n'est pas remise en cause dans sa probité et son honnêteté et nous connaissons ses états de services.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - J'ai beaucoup appris en tant que préfète de Poitou-Charentes. Le patrimoine des concessions autoroutières sera une richesse quand l'État en reprendra la propriété. Ce patrimoine de 150 milliards d'euros est considérable. L'enjeu est celui des moyens que l'on consacre au pilotage des concessions. En Angleterre, il y aurait beaucoup plus de fonctionnaires et d'experts extérieurs. Le recours à un régulateur vient compléter utilement les ressources consacrées à suivre l'économie des contrats. Si le président de l'ART a demandé plus de compétences en des termes blessants pour les fonctionnaires de mon ministère, je tiens à dire que nous avons des agents de grande qualité. Ils pourraient être plus nombreux et disposer de plus de moyens.

M. Olivier Jacquin. - Votre réponse sur l'épisode de 2015 me laisse sur ma faim. J'attendais des précisions sur les enjeux des négociations, des rapports de force et des arbitrages finaux. En tant que commission d'enquête, nous avons droit à des détails sur le déroulement de cette discussion.

Dans une dimension prospective, je suis effaré de la culture administrative française et de l'incapacité de l'administration française à opérer des contrôles efficaces et efficients. Nous sommes face à un imbroglio de responsabilités. Au cours d'une négociation, la discussion passe d'un ministère à l'autre. Une responsable juridique de Bercy a indiqué que la puissance publique n'avait pas les capacités juridiques nécessaires au contrôle. Les archives de même ne sont pas gérées de manière consolidée. En face, les concessionnaires sont beaucoup mieux armés. La seule solution est d'externaliser ce contrôle à des autorités indépendantes. Je m'interroge sur la pérennisation des contrats sans faire au préalable évoluer cette culture du contrôle. Par exemple, l'état des lieux des concessions qui devait avoir été effectué ne l'a pas été.

Lors des discussions sur la loi d'orientation des mobilités, le député Djebbari avait repris l'idée d'un dispositif anticipant la fin des contrats en s'endettant pour financer les infrastructures de transports. Que pensez-vous aujourd'hui de l'avenir de ce dispositif ? Comment faire pour que le droit des contrats soit respecté mais que l'intérêt général soit mieux pris en compte ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Il est heureux que nous arrivions au terme de ces contrats. Face à des contrats aussi anciens, aussi nombreux et appuyés par des conseils que soient les agents du concédant, soit on considère qu'on peut ne pas les respecter, soit on finit par les appliquer. Ce constat est frustrant mais la réalité est là. Certes, on ne ferait plus les mêmes contrats aujourd'hui. Je pense qu'il faut arriver au terme de ces contrats, les solder et passer à autre chose pour ne pas traîner le péché originel de contrats trop anciens et passés initialement avec des sociétés publiques.

Je suis incapable de vous répondre sur la rentabilité, que ce soit celle de la concession sur toute la durée de concession, depuis la privatisation ou de la rentabilité des fonds propres investis par les sociétés privatisées. J'espère que l'ART pourra le faire. L'Autorité de la concurrence que vous avez auditionnée a depuis reconnu que sa lecture à partir des excédents d'exploitation n'était sans doute pas la bonne méthode ; la rentabilité ne s'apprécie pas sur un an. Une fois dit cela, il faut rechercher différents indicateurs de rentabilité, et nous gagnerions à nous outiller davantage, même si les fonctionnaires font du mieux qu'ils peuvent, mènent des contrôles sur pièces et sur place ainsi que des audits.

M. Olivier Jacquin. - Je voudrais des précisions sur la négociation de 2015. Sur les moyens de contrôle, je vous ai interrogée sur le nombre d'agents que vous alliez recruter pour remplir votre rôle d'État stratège dans la loi sur le nouveau pacte ferroviaire. Je n'avais pas eu de réponse. Je n'accuse pas les fonctionnaires, je parle de la culture administrative française. Votre réponse me conforte dans l'idée que nous n'y sommes pas. Si on ne connaît pas la rentabilité, on ne peut pas concéder un objet dont on ne sait pas ce qu'il vaut.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Les contrats reposent sur des hypothèses de trafic, d'inflation et de taux d'intérêt. Lors des négociations, les fonctionnaires ont ces paramètres en tête et négocient avec des outils. Ces contrats, modifiés par avenants pour y ajouter des questions par sections par adossement, sont des monstres. Refaire l'historique de ces contrats est extrêmement compliqué et cette méthode n'est plus la bonne.

Concernant votre question sur la SNCF, je ne vois pas le rapport. SNCF Réseau est un monopole et les régions mettront en concurrence sous le contrôle de l'ART.

M. Éric Jeansannetas, président. - Concernant le contrat de 2015, que répondez-vous ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je ne sais pas ce que vous attendez de ma réponse. Je vous ai indiqué les termes du débat sur le contentieux pendant, du fait de l'augmentation unilatérale de la redevance domaniale, du plan prévoyant des travaux et validé par la Commission européenne et du gel des tarifs. Le protocole a acté que le plan de relance allait être mis en oeuvre dans les meilleures conditions possibles pour le concédant. Cela n'a pas été facile d'atteindre ces objectifs et d'obtenir le maximum en profitant de la pression de l'opinion, ce qui est le principe du versement volontaire accepté par les concessionnaires.

M. Éric Jeansannetas, président. - Depuis le début de nos travaux, nous avons le sentiment d'un rééquilibrage depuis 2015 sur la capacité de l'État à contrôler et évaluer le contrat. Il y a un avant et un après 2015 dans les relations contractuelles.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - C'est une bonne chose d'avoir introduit des clauses qui réduisent la durée du contrat si la rentabilité est plus importante que celle prévue. La création d'une autorité de régulation donne un appui pour mener des négociations. Mais il ne faut pas se tromper : son rôle n'est pas de juger de la pertinence d'un échangeur supplémentaire sur la base d'une doctrine plus sévère que celle élaborée par le Conseil d'État. Je défends les régulateurs ; dans le domaine de l'énergie par exemple, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est un régulateur puissant et très précieux pour faire évoluer les tarifs et aider sur des appels d'offres, mais il est bien dans son rôle. Un régulateur doit s'assurer du bon équilibre des contrats.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je suis sénateur de l'Essonne. Depuis vingt ans, en tant qu'élu local, nous trainons le sujet du péage de Dourdan. Ce n'est pas un péage, c'est une tirelire qui rackette les usagers. Ce péage est le plus inique de la région parisienne et le plus proche de la capitale. Je dois dire que depuis vingt ans, vous êtes de loin celle qui a la vision la plus claire parmi tous les ministres que j'ai entendus, notamment grâce à votre expérience de préfet.

Vous avez cité les quatre principaux enjeux : l'acceptabilité du péage, l'absence de recalage périodique des concessions, la nécessité d'une régulation forte et la privatisation sans relecture des contrats qui a été une erreur majeure. On fustige l'administration, mais le sujet des privatisations est politique et non administratif. Ce n'est pas la faute de l'administration, mais du politique si les contrats n'ont pas été revus avant la privatisation.

Quelle serait l'architecture de cette régulation forte que vous appelez de vos voeux ? Proposeriez-vous une solution pour atténuer le racket du péage de Dourdan ? Je comprends qu'on doive respecter les contrats. Toutefois, alors que notre pays traverse une crise grave et tient à bout de bras des entreprises, on peut faire comprendre aux concessionnaires qu'en France on ne peut se servir du contribuable comme d'une vache à lait, ce qu'il est matin et soir à Dourdan.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - La régulation dépendra de la forme qu'on donnera aux contrats. Le modèle du contrat de partenariat, qui rémunère un service rendu sur la base d'indicateurs de qualité exigeants, me paraît intéressant. Cela ne veut pas forcément dire que les péages, qui peuvent être collectés pour le compte de l'État, seront supprimés. Compte tenu de la maturité du réseau, je ne vois pas l'intérêt de faire peser un risque trafic dans les prochains contrats. L'État étant son propre assureur, il a intérêt à assurer le risque trafic lui-même. Il existe d'autres solutions et d'autres modèles de contrats. En Allemagne, les contrats et les batteries de critères de qualité sont nettement plus riches que le niveau de contrôle qui est prévu dans nos contrats aujourd'hui. 

Les barrières de péage ont été placées à une époque où les modes de vie et de déplacement n'étaient pas les mêmes. Le sujet que vous évoquez existe aux abords de métropoles. Un certain nombre de barrières de péage sont placées de telle sorte que l'usager est contraint d'emprunter des sections à péage pour se rendre au travail. Il faut garder cette réflexion en tête pour l'avenir. J'avais demandé aux concessionnaires une réduction de 30 % pour ceux qui faisaient plus de dix allers-retours par mois. On pourrait imaginer des modèles dans lequel le trafic local ne payerait pas. Tous les pays européens sont confrontés à ce problème. La Commission européenne a fait des ouvertures en ce sens.

M. Éric Jeansannetas, président. - Le passage aux 110 km/h n'est-il pas un risque trafic ou un risque de renoncement au paiement ? Quel est votre regard sur cette proposition de la convention citoyenne ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Ne réduisons pas les propositions de la convention à ces quelques mesures. Après neuf mois de travail, ces 150 citoyens ont voulu porter une vision globale pour réduire d'au moins 40 % les gaz à effet de serre d'ici 2030. Ils ont mis cette proposition en avant car les études montrent que la réduction de la vitesse conduit à une réduction des gaz à effet de serre. Cette mesure a été votée à 60 %, ce qui peut paraître beaucoup mais est en deçà du taux habituel de 90 % ; cela montre qu'ils sont conscients qu'il y a un problème d'acceptabilité. Leur responsabilité est de faire des propositions fortes.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est en train de refaire le bilan, d'un point de vue environnemental. Il y a déjà beaucoup d'utilisateurs qui se déportent sur le réseau routier gratuit.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous nous avez apporté des éléments de réflexion. Je voudrais insister sur la question des trajets professionnels contraints. Le péage de Dourdan est sans doute un des plus contestables de France à cet égard. Le concédant devrait discuter avec Cofiroute sur ce qui serait possible pour ne pas forcer les usagers à se reporter sur la RN 20 qui est très empruntée par les poids lourds.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je suis déçue par le nombre d'abonnés pour ce tarif réduit, actuellement limité à 100 000. C'est le seul cas où les sociétés concessionnaires ont fait un geste sans contrepartie, et elles peuvent peut-être aller plus loin.

M. Alain Fouché. - Je suis opposé aux 110 km/h car il n'y a aucune étude réelle et sérieuse sur les conséquences sur la pollution. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable a publié récemment une étude qui dresse un bilan socio-économique très négatif, de l'ordre de - 550 millions d'euros, et le report sur le réseau secondaire engendrera une hausse des frais d'entretien du réseau national, de la pollution et des accidents. Par ailleurs, les autoroutes sont les axes où l'on dénombre le moins d'accidents et notre priorité doit rester la sécurité routière.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Le Gouvernement est bien conscient de la sensibilité du sujet et garde en mémoire les 80 km/h.

M. Éric Jeansannetas, président. - Merci d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions.

La réunion est close à 18 h 00.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.