Mardi 15 février 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à démocratiser le sport en France (nouvelle lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons ce matin, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), qui s'est tenue le 31 janvier dernier, il nous appartient d'entendre le nouveau rapport établi par notre collègue Michel Savin et de procéder à l'élaboration d'un nouveau texte de commission ou à l'adoption d'une motion de procédure. Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur, pour nous présenter l'option qu'il nous propose de défendre sur ce texte.

M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons ce matin en nouvelle lecture la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

Nous ne pouvons que regretter de n'avoir pas pu trouver de compromis avec les députés, car nous avions, je crois, une volonté commune d'aboutir. Les échecs en CMP ne sont pas toujours l'occasion de valoriser le travail du bicamérisme. Nous ne sommes heureusement pas dans ce cas, puisque, au-delà des différences, nombreuses, et des désaccords, en nombre limité, qui nous séparaient, les députés ont fait le choix de conserver de nombreux apports du Sénat lors de leur examen du texte en nouvelle lecture, le 9 février dernier.

Parmi les apports du Sénat les plus significatifs, une vingtaine au moins a été conservée. On peut citer en particulier :

- la sécurisation de l'ouverture de l'activité physique adaptée (APA) à de nouveaux publics, dans le cadre du parcours de soins coordonné (article 1er bis) ;

- l'ouverture du renouvellement et de l'adaptation de la prescription d'APA aux masseurs-kinésithérapeutes (article 1er ter B) ;

- la reconnaissance des maisons sport-santé dans la loi et la définition d'un socle de missions communes (article 1er ter C) ;

- la clarification des règles de délivrance des certificats médicaux pour l'obtention d'une licence sportive et la participation à des compétitions sportives (article 4 bis B) ;

- la prise en compte du coût de l'aménagement d'un accès indépendant, lors de la rénovation des équipements sportifs d'une école ou d'un établissement scolaire, par rapport au coût total des travaux (article 2) ;

- la pratique quotidienne d'une activité physique au primaire (article 3 quater A) ;

- l'inscription dans les programmes du primaire de l'aisance aquatique (article 3 quater) ;

- l'inclusion dans les contrats de ville d'actions stratégiques dans le domaine du sport (article 4 bis C) ;

- l'obligation pour les fédérations de se prononcer sur le principe et le montant des indemnités allouées au président (article 5 bis AA) ;

- la prise en compte de tous les membres, et pas seulement des associations sportives, pour déterminer le collège des clubs qui devra compter pour au moins la moitié des votes en vue de désigner le président et les membres de l'organe collégial d'administration (article 6) ;

- l'attribution au comité d'éthique créé par chaque fédération d'un rôle important pour prévenir et traiter les conflits d'intérêts (article 8) ;

- la réaffirmation du rôle de la fédération délégataire dans le fonctionnement du sport professionnel, avec une présence de la fédération dans l'instance dirigeante de la société commerciale chargée de commercialiser les droits audiovisuels (article 10 bis A) ;

- l'intégration des photos dans les fichiers des interdits de stade pour effectuer un contrôle plus efficace ;

- l'instauration d'une amende forfaitaire en cas d'utilisation d'engins pyrotechniques dans les stades et l'expérimentation d'un usage de ces engins sous le contrôle des organisateurs et des autorités publiques (article 11 bis A).

On le voit, le texte adopté par les députés porte la marque du Sénat et l'on peut légitimement regretter que l'accord n'ait pas été possible.

Ce regret est toutefois à nuancer au regard de la réintroduction ou de la suppression de certaines dispositions par les députés, qui illustrent de réelles différences d'approche. C'est par exemple le cas du rétablissement de plusieurs références à l'interdiction des discriminations fondées sur l'identité de genre. Je ne peux que rappeler les interrogations que suscite cette notion, qui crée un débat sur l'équité des compétitions sportives, notamment féminines.

Par ailleurs, nous avons un désaccord total en ce qui concerne la neutralité dans le sport et le respect du principe de laïcité. Il est apparu clairement, au cours de nos échanges, que la ministre chargée de sports et les députés de La République en Marche n'étaient pas opposés au port de tenues religieuses par les sportives, y compris dans le cadre de compétitions officielles.

Je rappelle que le président de la commission et moi-même avons essayé de trouver un compromis en ne visant que les compétitions officielles et en instituant une démarche de dialogue directement inspirée de la loi de 2004 sur l'école. Nous avons reçu un refus très clair, fondé sur les mêmes arguments que ceux qui étaient utilisés par les opposants à cette loi : refus d'exclure, refus de stigmatiser une religion, déni de la réalité concernant les stratégies d'entrisme des mouvements islamistes, minimisation des incidents, etc. Nous prenons acte que le Gouvernement et l'Assemblée nationale refusent que la loi française prévoie de façon explicite que le port de signes ou de tenues par lesquels les personnes manifestent ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions sportives organisées par les fédérations sportives est interdit.

L'approche communautariste du sport qui caractérise le Gouvernement n'est pas la nôtre. Elle constitue, par ailleurs, une véritable source d'inquiétude. Le refus de la majorité gouvernementale de défendre la laïcité dans le sport ouvre, en réalité, une brèche, qui pourrait remettre en cause la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux à l'école.

Cette question de la laïcité a occupé beaucoup de place dans nos débats, mais ce n'est pas la seule source de divergence avec les députés.

Parmi les autres points en discussion, je citerai également l'application de la parité intégrale dans les instances dirigeantes nationales des fédérations sportives dès 2024. Aujourd'hui, plusieurs fédérations sportives ne sont pas en mesure d'appliquer les règles en vigueur en matière de parité. Pourra-t-il en être autrement dans moins de deux ans, si des règles plus exigeantes sont votées ? Adopter une loi qui ne pourra pas être appliquée revient à l'affaiblir et à la transformer en instrument de communication. Néanmoins, dans un souci de conciliation avec les députés, lors de la CMP, nous avons acté la mise en oeuvre de la parité intégrale dans les instances dirigeantes des fédérations, en prenant en compte l'engagement du mouvement sportif d'accompagner et de former les dirigeants pour aller vers cette parité.

Concernant la durée des mandats, je prends acte de l'évolution de la position de l'Assemblée nationale, qui a adopté une disposition dérogatoire, permettant aux présidents de fédération exerçant leur troisième mandat de candidater à un quatrième mandat, mais je regrette la disposition qui limite le nombre de mandats des présidents des instances régionales des fédérations sportives.

Les députés ont préféré envoyer un signal autoritaire, lequel risque de poser de gros problèmes à de nombreux comités régionaux, compte tenu des difficultés en matière de recrutement et de renouvellement des dirigeants. À nos yeux, le mouvement sportif devrait être libre de choisir son organisation, et une telle interdiction porte atteinte à la liberté associative.

Je rappelle que la mission sénatoriale de 2020 sur les fédérations sportives, présidée par Jean-Jacques Lozach, avait estimé, à l'unanimité, qu'il n'était pas souhaitable de légiférer sur ce point et qu'il fallait que le mouvement sportif prenne lui-même l'initiative de dispositions statutaires.

Compte tenu de ces désaccords persistants, d'une part, et des apports du Sénat qui ont été conservés par les députés, d'autre part, il n'apparaît pas utile de rétablir, en nouvelle lecture, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture. Nous sommes arrivés au terme de ce que nous pouvions attendre de la navette sur ce texte. C'est la raison pour laquelle je vous propose d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je remercie le rapporteur pour la précision de son travail, sa patience et sa ténacité.

Le sport doit être détaché de toute considération religieuse, de tout prosélytisme, de tout ce qui peut diviser et différencier les joueuses et les joueurs les uns des autres. La religion n'a rien à faire sur un terrain de sport.

L'amendement de notre collègue Stéphane Piednoir s'appuyait sur la règle 50 de la Charte olympique, qui prévoit la neutralité politique, religieuse, raciale et syndicale dans le sport. On ne peut pas transiger avec la laïcité, surtout en France. Notre pays ne devrait pas, sur ce plan, être moins-disant que le mouvement olympique.

Il est également urgent de sécuriser pleinement les acteurs du mouvement sportif, qui nous le demandent. Les élus locaux sont souvent désemparés face aux dérives et ne disposent pas de règles juridiques claires et opérantes. Le législateur doit prendre ses responsabilités. C'est ce que Stéphane Piednoir nous incitait à faire. Or, pour des raisons dogmatiques et politiques absolument inacceptables, nos collègues députés ont refusé de franchir ce pas.

Je note un grand écart entre le discours des Mureaux, dans lequel, en octobre 2020, Emmanuel Macron dénonçait la radicalisation et semblait vouloir s'attaquer au séparatisme islamiste, et les actes. La République en Marche s'appuie sur le contrat d'engagement républicain pour se défendre de tout laxisme, mais nous savons bien qu'il ne s'agit que d'un crocodile empaillé. La ministre Roxana Maracineanu nous indique que le Gouvernement agit, mais, là encore, ce discours se traduit peu en actes. Je répète que les fédérations et les clubs sont dans une insécurité juridique et ne peuvent pas agir.

À l'Assemblée nationale, nous avons vu les députés tiraillés sur cette question. Ce matin encore, l'écrivaine Zineb El Rhazoui, qui soutient le président Macron, a déclaré que ne pas regarder les choses en face était une erreur - elle parle en connaissance de cause.

On ne peut donc que déplorer que l'amendement de notre collègue Stéphane Piednoir n'ait pu être inscrit dans cette proposition de loi, dont je répète qu'il s'agit un peu d'une voiture-balai : derrière les grandes formules, comme « la démocratisation du sport », c'est un éléphant qui accouche d'une souris.

M. Claude Kern. - Je tiens à féliciter notre rapporteur pour son excellent travail. S'il a essayé de défendre nos positions en CMP, j'en suis sorti amer, car le jeu collectif qui aurait permis de donner au sport un nouveau souffle a manqué. Alors que nous avons apporté un certain nombre d'améliorations à ce texte, qui était plutôt modeste, plus d'une trentaine de mesures n'ont même pas eu la chance d'être discutées lors de la CMP. À quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques, nous notons que le sport reste malheureusement le parent pauvre des politiques publiques.

Face à la fin de non-recevoir que nous opposent l'Assemblée nationale et le Gouvernement, notre groupe votera la question préalable proposée par le rapporteur.

M. Jean-Jacques Lozach. - La situation n'est pas banale. Nous sommes partis d'un texte visant à démocratiser le sport, à l'objectif consensuel - lever le maximum d'obstacles pour développer le nombre de pratiquants -, pour arriver à une polémique partisane sur un sujet très précis : le port de signes religieux lors des événements sportifs et des compétitions.

D'ailleurs, on voit bien, dans l'exposé des motifs de la question préalable, que toutes les autres dimensions du sport passent à la trappe. Où est le sport éducatif, inclusif, solidaire, générateur d'émotions, créateur d'emplois ? On réduit le sport à son éventuelle instrumentalisation à des fins communautaristes. Il me semble que le sport, c'est beaucoup d'autres choses.

L'objet de la proposition de loi n'était pas de refaire le débat que nous avons eu sur ce qui allait devenir la loi confortant le respect des principes de la République, loi qui a été promulguée, qui est en cours d'application et pour laquelle il sera procédé à une évaluation le moment venu.

Bien sûr, nous regrettons que l'Assemblée nationale et le Gouvernement aient repris les choses en main à la suite de la CMP, ce qui brouille complètement l'apport du Sénat. Si un certain nombre de nos amendements ont été conservés, des passages ont été complètement réécrits, conformément à l'état d'esprit qui a prévalu lors de la CMP.

Nous pensons que l'article sur l'interdiction des signes religieux n'a rien à faire dans cette proposition de loi. D'ailleurs, nous avons toutes et tous été destinataires des propositions du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui représente le mouvement sportif, et, à aucun moment, celui-ci ne nous a alertés sur le sujet - ce qui, du reste, ne signifie pas qu'il n'y a pas ici ou là des dérives séparatistes ou communautaristes. Je conviens qu'elles existent, mais nous disposons aujourd'hui d'un arsenal juridique pour y faire face.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Non ! Nous n'avons rien du tout !

M. Jean-Jacques Lozach. - Je pense, par exemple, à la loi d'août 2021 ou tout simplement au contenu de la délégation de l'État au mouvement sportif.

Nous ne voterons bien évidemment pas cette question préalable.

Mme Céline Brulin. - Merci à notre rapporteur pour son travail continu et apprécié sur les questions sportives.

Je regrette moi aussi que nous en arrivions là, compte tenu du consensus initial sur le fait que ce texte manquait cruellement d'ambition en matière sportive, loin de la grande loi sur le sport qui nous avait été annoncée, et alors que nous avons, ensemble, mené quelques batailles, comme sur les conseillers techniques sportifs (CTS) ou sur l'existence même d'un ministère des sports, qui n'a plus de ministère que le nom, et défendu un certain nombre d'avancées. Les questions relatives à la laïcité que nous soulevons là sont des questions de fond, qui ne peuvent, à notre sens, être traitées à la faveur d'amendements destinés à nourrir la polémique - la proximité des élections n'y est sans doute pas pour rien.

Je pense, par exemple, à la situation des femmes afghanes, premières victimes du régime que chacun connaît.

M. Claude Kern. - Ce n'est pas le sujet !

Mme Céline Brulin. - Bien sûr que si ! S'il était voté, l'amendement leur interdirait concrètement de participer à des compétitions sportives. En tout cas, c'est le signe que l'on enverrait.

Vous connaissez notre position sur les questions de laïcité. Or, en l'occurrence, il s'agit véritablement d'une polémique absolument inutile, qui ne va rien régler.

De même, je reconnais qu'aller vers la parité dans les instances sportives pose de réelles difficultés, mais je rappelle qu'il en a été ainsi dans tous les domaines institutionnels.

Que chacun exprime ses convictions à la faveur de cette proposition de loi me paraît tout à fait légitime. En revanche, nous ne pouvons pas nous retrouver dans un texte qui soit prétexte à polémique, quand le sport mérite un travail consensuel.

Mme Laure Darcos. - Je serai bien évidemment solidaire de mon groupe et du choix de l'interdiction du voile, mais, pour la raison que vient d'évoquer Céline Brulin, je reste tiraillée.

La délégation aux droits des femmes a organisé des réunions sur la situation des femmes afghanes. Nous sommes nombreux à soutenir une pétition pour la participation d'une équipe féminine afghane aux jeux Olympiques de 2024. On ne pourra demander à ces femmes de retirer leur foulard ! Le texte que nous allons voter contreviendrait à leur liberté. Il est des symboles importants.

M. Olivier Paccaud. - Nous faisons loi française, non la loi afghane !

M. Michel Savin, rapporteur. - Lors de la CMP, en accord avec le président, nous avons, dans un souci de conciliation, proposé un amendement tendant à réduire fortement le périmètre du dispositif voté par le Sénat : il s'agissait de limiter l'interdiction aux seules compétitions organisées par les fédérations françaises sur le territoire français. Les compétitions internationales n'étaient pas concernées, chaque pays étant libre de s'organiser comme il le souhaite. Je veux lever tout malentendu, et dire aux membres du Gouvernement ou de la majorité En Marche qui affirment le contraire qu'il est faux que nous remettions en cause les JO.

Monsieur Lozach, cet amendement oeuvrerait à développer la pratique sportive, car nous ne voulons pas qu'une partie des femmes de notre pays ne puissent accéder à des compétitions parce qu'elles auraient l'obligation de porter des tenues religieuses. Ce n'est pas notre conception de la laïcité. Notre volonté est bien de démocratiser le sport, que celui-ci puisse conserver sa neutralité et sa laïcité, que chacun, quelles que soient sa religion, son origine, sa sensibilité politique, puisse participer aux activités physiques et aux compétitions sportives. Si nous ne faisons rien se créeront des clubs communautaires excluant une partie des femmes.

La loi doit être claire et répondre aux préoccupations des fédérations. Si les fédérations ne mettent pas officiellement ce point à l'ordre du jour de leurs débats, c'est parce que ces sujets sont très compliqués.

Aujourd'hui, une fédération française est attaquée devant le Conseil d'État par le collectif des Hijabeuses pour avoir refusé le port de signes religieux lors de compétitions. D'autres fédérations connaissent des problèmes importants. Renvoyer aux fédérations la responsabilité de gérer de tels problèmes, comme essaie de le faire le Gouvernement, n'est pas très courageux. C'est à nous, législateurs, de définir dans la loi ce qui est possible et ce qui est interdit.

Cela dit, je veux rappeler, monsieur le président, que le travail du Sénat n'a pas été vain. Je veux évoquer quelques grandes mesures que nous avons votées et qui vont peser.

Premièrement, nous avons reconnu dans la loi les maisons sport-santé, ce qui permet d'assurer leur pérennité et leur financement.

Deuxièmement, nous avons voté le principe d'une activité physique quotidienne en primaire, dans l'esprit de l'expérimentation lancée par le Gouvernement dans certaines écoles. Cela a été conservé par l'Assemblée nationale.

Troisièmement, nous avons inscrit, dans les programmes du primaire, l'aisance aquatique. C'est un sujet important, pour des raisons de sécurité. Trop d'enfants de moins de six ans se noient encore chaque année, malgré les grands discours sur le « savoir nager ».

Quatrièmement, enfin, sur un sujet qui faisait aussi beaucoup débat, le Sénat a réaffirmé la présence de la fédération française dans le fonctionnement et les instances dirigeantes de la société commerciale. Au départ, la fédération en était totalement absente. Afin d'apaiser nos craintes, nous avons, avec le président, organisé plusieurs réunions aussi bien avec la fédération qu'avec la ligue. Outre la présence de la fédération, nous sommes parvenus à inscrire dans la loi le principe d'un retour financier en direction du monde amateur.

Autre point important : ce texte ne comportait aucune disposition sur la sécurité. Des amendements ont été déposés, notamment par Claude Kern, sur le problème des fichiers. L'intégration des photos dans les fichiers des interdits de stade permettra de pallier le fait qu'il n'y a aujourd'hui aucune mesure de contrôle. L'usage d'engins pyrotechniques dans les stades posait également de vrais problèmes de sécurité.

Toutes ces avancées importantes ont été portées par le Sénat. Notre travail n'aura donc pas été vain. Bien sûr, nous aurions espéré pouvoir avoir une discussion saine avec les députés sur d'autres sujets qui nous tenaient à coeur, mais la question des signes et vêtements religieux était une ligne rouge que nous ne pouvions franchir. On voit bien que le texte voté voilà quelques mois sur les principes de la République ne va pas au bout des choses. Lorsque l'Assemblée nationale n'a pas suivi notre amendement, les Hijabeuses ont déclaré qu'elles avaient gagné contre le Sénat... On ne peut que déplorer l'image que ces groupes communautaires renvoient.

Ce n'est probablement qu'une question de temps : le sujet reviendra sur la table, car ce phénomène prend de plus en plus d'ampleur. Quoi qu'il en soit, nous souhaitions, dès à présent, envoyer un signe fort en direction du monde sportif.

M. Jacques-Bernard Magner. -J'ai bien compris que la question préalable portait essentiellement sur la dimension vestimentaire des sportifs.

Une fois de plus, le voile s'invite dans le débat. Une fois de plus, la majorité sénatoriale hystérise cette question.

Chers collègues, depuis que quelqu'un issu de vos rangs a, en 1989, sorti l'affaire du foulard au collège, le débat sur le voile occulte la plupart des autres débats. On le sort en cas de besoin, pour bloquer la discussion ou ne pas aller au fond des choses... J'ai pu le constater, depuis que je suis sénateur - sur les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), sur l'université et, maintenant, sur le sport. C'est de la folie que de travailler ainsi.

Je suis très déçu que le travail qui a été mené dans cette commission se conclue par une question préalable sur un sujet qui n'a rien à voir avec le fond du débat. Ce texte parle du sport, non du voile ! Chers collègues, ne pensez-vous pas que ce débat soit de nature à susciter de la frustration ? Le sujet du voile devrait être tranché ailleurs.

M. Michel Savin, rapporteur. - Certes, mais où ?

M. Pierre Ouzoulias. - Les fédérations sportives en France sont-elles encore chargées d'une mission de service public déléguée par l'État ? Cette question est au coeur du débat. Le Gouvernement n'y a malheureusement pas répondu, et son texte montre le contraire.

Si l'on considère que les fédérations sont chargées d'une mission de service public, alors toutes les obligations du service public s'imposent à elles. Le Conseil d'État a ainsi, tranché, dans sa décision du 22 novembre 2021, que la neutralité s'imposait à toutes les fédérations. Il n'est pas besoin d'y revenir.

Si les fédérations sont chargées d'une mission de service public, elles doivent aussi être l'instrument de l'émancipation des femmes. Cela passe par la parité. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois considérer que l'on ne peut pas imposer la parité aux fédérations parce qu'elles sont autonomes, et leur imposer la neutralité religieuse parce qu'elles ne le seraient plus. Il faut une cohérence absolue.

Vous connaissez ma position sur le voile : je considère qu'il s'agit d'un outil vestimentaire de domination masculine - cela est vrai pour les trois religions d'Abraham.

En revanche, je ne vous suis pas du tout sur l'olympisme. De facto, la règle 50 de la Charte olympique, qui oblige à une neutralité religieuse, n'est plus appliquée en France. Je trouve que c'est un recul tout à fait insupportable de l'olympisme français et de son caractère universel, que nous aurions dû réaffirmer.

Plus avant, je m'interroge sur l'opportunité d'organiser la Coupe du monde dans des pays où l'on sait très bien que ni les droits de l'homme ni les droits de la femme ne sont respectés, comme au Qatar. J'appelle vraiment, sur ce sujet, à une plus grande cohérence.

M. Michel Savin, rapporteur. - En séance, notre position sur la parité était différente de celle des députés, tout simplement parce que nous avons tenu compte de la situation des fédérations. Certaines fédérations ne sont d'ores et déjà pas en capacité de respecter la règle qui prévaut en matière de parité aujourd'hui, à savoir 40 % minimum d'hommes et de femmes au niveau des instances dirigeantes.

Mais, malgré toutes nos interrogations, malgré toutes nos inquiétudes, j'ai proposé, lors de la CMP, dans un souci de consensus, d'accepter la parité pour les fédérations dès 2024, le comité olympique s'étant engagé à les accompagner dans le recrutement et la formation des dirigeants et à y consacrer les moyens nécessaires. Cela montre que nous sommes capables d'évoluer, mais je doute fort que les fédérations puissent tenir cet objectif dans deux ans.

Le seul point de divergence qui demeure aujourd'hui avec les députés porte sur le nombre de mandats. Le texte initial prévoyait trois mandats au maximum. Nous avions, sur ma proposition, supprimé cet article, pour laisser aux fédérations la liberté de gérer la durée des mandats comme elles le souhaitent. En nouvelle lecture, les députés ont évolué, permettant au président en place de briguer un quatrième mandat. Ce compromis nous convient bien.

En revanche, je reste réservé sur la proposition des députés relative aux instances régionales. Les fédérations nous disent qu'elles ont aujourd'hui beaucoup de difficultés à recruter des dirigeants, notamment en raison de la crise. Il est compliqué d'interdire à des personnes disponibles et qui ont envie de s'investir d'exercer un mandat supplémentaire quand on ne trouve pas d'autres candidats. Sur ce point, nous avons suivi le rapport de Jean-Jacques Lozach, qui avait conclu qu'il fallait laisser les fédérations gérer cette question. Si certains comités régionaux pourront s'accommoder de la règle des trois mandats, d'autres sont gérés par moins de dix personnes.

Le fonctionnement que les députés veulent imposer autoritairement n'est pas en phase avec les réalités, mais nos collègues n'ont pas voulu bouger sur ce point.

EXAMEN D'UNE MOTION ET DES AMENDEMENTS

M. Michel Savin, rapporteur. - Compte tenu des points de divergence existant encore aujourd'hui entre le Sénat et l'Assemblée nationale, je vous propose de ne pas poursuivre l'examen de cette proposition de loi et de voter la motion COM-3.

La motion COM-3 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.

L'ensemble des amendements deviennent sans objet.

M. Laurent Lafon, président. - La commission soumettra demain au Sénat la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi. En conséquence, celle-ci n'est pas adoptée, et les amendements déposés par nos collègues écologistes deviennent sans objet.

La discussion portera en séance sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

La réunion est close à 10 h 10.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire (nouvelle lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons cet après-midi, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) organisée avec nos collègues députés le 1er février dernier, il nous appartient d'entendre le nouveau rapport établi par notre collègue Olivier Paccaud sur le sujet et de procéder à l'élaboration d'un nouveau texte de commission ou à l'adoption d'une motion de procédure.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Je souhaite avant tout exprimer un regret : l'échec de la commission mixte paritaire sur ce texte, malgré notre volonté commune de faire reculer le harcèlement scolaire. Nous avions fortement contribué à l'enrichissement de ce texte en première lecture. Je pense à l'insertion du cyberharcèlement ; au renforcement de la formation de l'ensemble des acteurs ; à la prise en compte du harcèlement scolaire par le réseau des établissements français à l'étranger - amendement de Samantha Cazebonne ; à l'assouplissement de la carte scolaire et des conditions de recours à l'instruction en famille - amendements de Bruno Retailleau, Max Brisson et Pierre-Antoine Levi ; à une meilleure prise en compte du harcèlement lors des visites médicales scolaires - amendement de Céline Brulin ; à la possibilité de recruter les assistants d'éducation en contrat à durée indéterminée (CDI) au bout de six ans - amendement de Toine Bourrat ; ou encore à l'obligation pour les réseaux sociaux de mieux sensibiliser leurs utilisateurs contre le cyberharcèlement - Céline Boulay-Espéronnier s'était battue pour faire adopter un amendement en ce sens.

Sur le titre II, le Sénat a souhaité s'assurer d'une réponse pénale cohérente face au harcèlement scolaire. Nous avons privilégié l'instauration d'une circonstance aggravante au délit de harcèlement existant plutôt que la création d'un délit spécifique. Ce dernier pose de nombreuses questions quant à son applicabilité et les risques de rupture d'égalité qu'il fait peser, mais j'y reviendrai.

Deux « points durs » expliquent l'échec de la CMP.

Le premier concerne la définition du harcèlement scolaire dans le code de l'éducation. Les députés souhaitent y inclure les adultes. Pour moi et pour la plupart d'entre nous, il s'agit d'un mauvais signal envoyé aux personnels de l'éducation nationale qui contribue à la déconstruction de l'autorité du professeur. D'ailleurs, je regrette vivement le revirement de position du Gouvernement et du ministre sur ce point en moins de deux ans. Dans le contexte actuel de défiance envers l'institution scolaire, les personnels de l'éducation nationale sont en droit d'attendre un soutien plus marqué de la part de leur ministère et de leur ministre.

Le second point concerne la création d'un délit spécifique de harcèlement scolaire. Cette disposition introduit une incohérence entre les peines applicables pour des faits similaires. Je citerai un exemple : le texte punit de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende lorsque les faits de harcèlement scolaire ont conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider. En « droit commun », l'incitation au suicide tout comme l'homicide involontaire sont actuellement punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. En outre, ce nouveau délit conduit à augmenter le quantum de peine dans de très nombreuses situations. Au final, ce délit semble peu opérant. Quelles significations ont des peines aussi élevées qui ne seront sans doute pas appliquées dans les faits ?

La solution proposée par nos collègues sénateurs de la commission des lois, visant à créer une circonstance aggravante au délit de harcèlement, permettait de répondre au double objectif souhaité par le rapporteur de l'Assemblée nationale : d'une part, un délit identifié, pour des raisons pédagogiques auprès des jeunes, et, d'autre part, un meilleur suivi statistique par le ministère de la justice. Malheureusement, nos collègues députés n'étaient prêts à aucun compromis, que ce soit sur la définition du harcèlement scolaire ou sur la création d'un délit spécifique.

Le texte a été examiné en nouvelle lecture jeudi dernier à l'Assemblée nationale. Que reste-t-il de nos apports dans cette nouvelle version du texte ? Trop peu de choses.

Bien évidemment, l'Assemblée nationale a rétabli sa définition du harcèlement scolaire, ainsi que la création d'un délit pénal spécifique. Elle acte ses positions divergentes sur ces deux points essentiels pour le Sénat.

L'Assemblée nationale a également rejeté de très nombreuses dispositions que nous avions introduites. Tel est notamment le cas du cyberharcèlement, qui disparaît de la formation et des actions de prévention et de lutte à prendre par les établissements. Sa mention ne devient plus obligatoire dans les règlements intérieurs des écoles et établissements. Il me semble pourtant essentiel que le cyberharcèlement soit mentionné explicitement, conjointement avec le harcèlement scolaire.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a refusé toute possibilité d'assouplissement de dérogation à la carte scolaire ou au recours à l'instruction en famille pour l'élève harcelé.

Elle a supprimé des personnes bénéficiant d'une formation initiale et continue à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire les titulaires des contrats d'engagement associatif. Une telle mention aurait pourtant encouragé à la création d'un module dédié à cette thématique dans la préparation au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA).

Enfin, l'Assemblée nationale n'a pas entendu notre alerte quant à la création d'une nouvelle mission pour le réseau des oeuvres universitaires - Pierre Ouzoulias y est particulièrement attentif. Faute de financement pérenne, cette nouvelle mission risque de se transformer très rapidement en nouvelle charge financière.

Compte tenu de ces désaccords persistants, il n'apparaît pas utile de rétablir en nouvelle lecture les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture. Nous sommes arrivés au terme de ce que nous pouvions attendre de la navette sur ce texte. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi.

Mme Annick Billon. - Je souhaite à nouveau féliciter le rapporteur. Je regrette néanmoins que cette CMP ne soit pas conclusive, alors que nous aurions pu trouver un accord transpartisan sur ces questions de société et de réglementation de bon sens. Nous nous heurtons à une posture très difficilement compréhensible dans nos territoires au sein desquels ce texte est très attendu. J'ai moi-même reçu vendredi dernier des parents concernés par le harcèlement scolaire. Nous sommes déçus que les idées portées par le Sénat n'aient pas été retenues, en dépit des nombreuses auditions et des précisions apportées. Cette définition du harcèlement est trop large. Or quand on veut ratisser large, on ratisse mal...

On ne peut parler du harcèlement sans évoquer le cyberharcèlement, l'une des composantes majeures d'aggravation du harcèlement. Sur la carte scolaire, la proposition des sénateurs était frappée au coin du bon sens : en cas de harcèlement, il faut pouvoir proposer des solutions, peut-être innovantes par rapport à un carcan existant, mais qui sont pragmatiques.

Le groupe Union Centriste se félicite donc des propositions du Sénat, qui mériteront d'être portées ultérieurement de manière différente. Le travail préalable qui avait été mené par la mission d'information sénatoriale ne peut être rayé ainsi. Le rapporteur a tenu bon malgré l'échec de la CMP, et nous suivrons sa position.

Mme Sabine Van Heghe. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de son travail. Nous n'étions pas d'accord avec la totalité de la version sénatoriale de la proposition de loi, mais il aurait été possible de conjuguer les apports positifs des députés et ceux des sénateurs. La majorité de l'Assemblée nationale, dans une attitude dogmatique, n'a pas souhaité avancer vers des solutions pragmatiques de compromis. En outre, le Gouvernement a fait peu de cas des 35 propositions figurant dans le rapport de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Cette absence de prise en compte nous fait perdre un temps précieux, alors qu'il y a urgence !

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable, notamment parce qu'il y est opposé par principe. En outre, sur ce sujet qui concerne le bien-être de nos enfants, nous aurions préféré pouvoir débattre et voter en faveur du texte de l'Assemblée nationale. Malgré sa frilosité et son aspect abusivement répressif, cet outil constituait néanmoins un moyen de mobilisation pour l'ensemble de la société. Il s'agissait donc d'une avancée pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

M. Thomas Dossus. - Mes propos s'inscrivent dans le droit fil de ma collègue Sabine Van Heghe. Il est regrettable qu'un consensus n'ait pas été dégagé. En réalité, le Gouvernement, dans une posture dogmatique particulière, fait plus d'affichage que d'action concrète. Nous estimons, pour notre part, que le nouveau délit est peu adapté à la situation. Toutefois, nous ne voterons pas la motion, car nous aurions voulu rouvrir le débat au Sénat. Les associations de victimes de harcèlement ne comprennent pas forcément la position de rejet du Sénat, et il aurait été utile de pouvoir lever des malentendus.

M. Bernard Fialaire. - J'ai un grand respect pour le monde enseignant, qu'il ne faut pas stigmatiser. Personnellement, je ne trouve pas du tout choquant que l'élargissement du périmètre inclue les adultes. J'ai fait partie du conseil d'administration d'un collège où le principal avait été condamné pour exhibitionnisme sans que cela figure sur son casier judiciaire. Il est revenu et a réitéré ses agissements. Une partie de la population ne comprendrait pas qu'un harceleur puisse bénéficier de l'absence de telles mentions.

Pour ce qui est de la question préalable, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a toujours confiance en notre capacité à débattre et à faire évoluer les mentalités.

Mme Céline Brulin. - Nous avions eu l'occasion de faire part de notre scepticisme concernant ce texte. Mais le Sénat avait pris en considération un certain nombre d'apports de la mission d'information pour que ce texte soit opérant - j'en remercie le rapporteur. Personne ne doute que le combat contre le harcèlement et le cyberharcèlement soit une priorité majeure. Néanmoins, cela suppose de se donner des moyens concrets. Les mesures prises ne seront pas opérantes, comme l'a exposé le rapporteur. J'entends que, dans cette période particulière, l'état d'esprit politicien gagne certains, notamment du côté du Gouvernement, mais sur un tel sujet, nous aurions pu trouver les moyens d'avancer. Ce n'est pas le cas.

Nous voterons la motion, car nous sommes choqués que le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée nationale se comportent de la sorte sur une question qui devrait faire consensus.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je partage amplement tout ce qui vient d'être dit, et me félicite du quasi-consensus autour de la proposition du rapporteur. Il est des moments où la politique politicienne n'a pas sa place. Au sein de la commission, nous avons décidé que l'intérêt de l'enfant, en particulier sa mise en danger, devait être au centre des débats. C'est tout le sens de l'excellent travail des rapporteurs, tant au fond que pour avis. Le Sénat, fidèle à sa mission, avait fait évoluer le texte en prenant en compte non seulement les enfants, mais aussi les enseignants, en leur donnant des outils. Je regrette l'absence d'accord, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Je souligne que la mission d'information avait suggéré 35 propositions très intéressantes. Il est regrettable que le texte initial en ait pris si peu acte. Nous suivrons la position du rapporteur, tout en prenant date sur un sujet ô combien important à l'ère des réseaux sociaux et des dangers qu'ils représentent.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. - J'ai oublié de citer les travaux de la mission d'information, qui m'ont été très précieux. Je tiens à saluer sa rapporteure, Colette Mélot, sa présidente, Sabine Van Heghe, et tous ceux d'entre vous qui en ont fait partie.

Monsieur Fialaire, l'élargissement de la notion de harcèlement scolaire est un point clé. Comme l'avait très bien dit M. Jean-Michel Blanquer en 2019, quand un adulte commet des actes délictueux envers un jeune, il s'agit non pas de harcèlement scolaire, mais de harcèlement. Cet acte est condamnable, et la loi permet déjà aujourd'hui de le réprimer très sévèrement. Toutefois, vouloir mettre sur le même plan un adulte et un élève reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore...

Nombre d'entre vous ont été enseignants. Ils ont pu être confrontés à une attitude hostile de certains parents qui refusent l'autorité professorale. Tel qu'il est rédigé, le texte donne prise à une plainte pour harcèlement scolaire contre un enseignant qui aura mis à plusieurs reprises de mauvaises notes à un élève. Or, parce que le travail de l'élève est médiocre, ces mauvaises notes sont justifiées. Même si le juge du fond a un pouvoir d'appréciation souverain, il est dangereux d'ouvrir la voie en ce sens. Aujourd'hui, ce refus de toute forme d'autorité, y compris lorsqu'il s'agit d'une simple réprimande de l'élève, est de plus en plus fréquent, notamment au sein d'écoles primaires. Il me semble très injuste d'avoir stigmatisé ainsi les enseignants.

Enfin, il ne s'agissait pas de lever des malentendus avec nos collègues de l'Assemblée nationale ; nous nous trouvions face à un refus d'écoute pur et simple. Face à une porte barricadée, que peut-on faire avec un bélier de papier ?

M. Laurent Lafon, président. - Le fait de ne pas parvenir à un accord fait partie de la vie parlementaire, mais la recherche d'un accord est importante. Or cette CMP n'a donné lieu à aucun dialogue, avec, pour conséquence, l'affaiblissement du travail parlementaire. Cela est d'autant plus regrettable qu'une volonté assez partagée semblait se dégager de part et d'autre. Malheureusement, le rapporteur de l'Assemblée nationale n'était pas sur la même ligne.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. - « Les absents ont toujours tort », dit-on. Dans le cadre de la négociation entre le rapporteur Erwan Balanant et moi-même qui s'est déroulée de façon très cordiale, l'absence du ministère, sollicité, s'est révélée très problématique.

M. Max Brisson. - J'ai eu un sentiment de malaise lors de la CMP. Même lorsque ces réunions ne sont pas conclusives, on constate d'habitude de l'écoute et de l'entente. En l'espèce, on a vraiment eu l'impression que le texte était à prendre ou à laisser !

Sur le fond, on entre dans un nouveau champ que les professeurs vont expérimenter. Les textes actuels punissent déjà sévèrement tout acte inapproprié et malveillant d'un fonctionnaire. Des fonctionnaires d'État seront exposés au détournement du délit de harcèlement scolaire par des parents, en tant qu'usagers du service public de l'éducation, à des fins très éloignées de son objectif. Je me demande si d'autres fonctionnaires, par exemple ceux du Trésor public, pourront être poursuivis pour harcèlement par des usagers...

EXAMEN D'UNE MOTION

La motion COM-1 est adoptée. La commission décide donc de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. En conséquence, elle n'a pas adopté de texte. Dès lors, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Communication

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je vous informe qu'aucun amendement n'a été déposé sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. La discussion du texte en séance publique devrait avoir lieu vers 18 heures ou 19 heures.

La réunion est close à 14 h 25.

Mercredi 16 février 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Audition de Mme Béatrice Gille, présidente du Conseil d'évaluation de l'école

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'École (CEE), accompagnée par M. Éric Charbonnier, membre du conseil, économiste, expert en éducation auprès de l'OCDE, et Mme Élodie Aubertot, précédemment principale du collège François Lorant à Moncontour dans les Côtes d'Armor, établissement évalué au cours de l'année scolaire 2020-2021.

Créé par la loi pour une école de la confiance en juillet 2019, je vous rappelle que le conseil d'évaluation de l'École est en effet chargé d'évaluer en toute indépendance l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire.

Lors de l'examen du texte au Sénat, notre commission avait tenu à renforcer l'indépendance de cette nouvelle instance. Nous avons réduit le nombre de membres nommés par le ministre de l'éducation nationale ou qui représentent des services du ministère.

Par ailleurs, nous avons porté à 6 ans la durée du mandat du président et des personnalités qualifiées pour qu'elle dépasse les alternances politiques.

À de nombreuses reprises, notre commission a insisté sur la nécessité de mettre en oeuvre une évaluation des établissements scolaires. Je pense en particulier aux travaux de Jean-Claude Carle, de Françoise Laborde et de Max Brisson. La mise en place d'une telle évaluation constitue une avancée importante pour le système éducatif français.

Pouvez-vous nous présenter le cadre général d'évaluation des établissements du second degré, élaboré par le conseil d'évaluation de l'école en juillet dernier ?

Comment cette nouvelle démarche d'évaluation a-t-elle été accueillie par les établissements et les équipes éducatives ? Pouvez-vous dresser un premier bilan, notamment sur le nombre d'établissements évalués ?

Enfin, le conseil d'évaluation de l'école est chargé de donner son avis sur les méthodes, les outils et les résultats des évaluations du système éducatif.

Quelles ont été vos actions dans ce domaine, que ce soit pour les évaluations nationales et internationales, mais aussi - et surtout - dans le cadre du contrôle continu au baccalauréat ? La robustesse et l'équité dans l'évaluation des acquis des élèves en terminale sont deux des enjeux du nouveau baccalauréat.

Madame Gille, je vous donne la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, que pourront compléter, au moment où ils le jugeront utile, Mme Aubertot et M. Charbonnier.

Mme Béatrice Gille, présidente du Conseil d'évaluation de l'école. - Je souhaite rappeler qu'il y a eu, avant la création du CEE, 4 conseils similaires. Néanmoins, le CEE est le premier qui inclut la mission de définir un cadre d'évaluation et d'évaluer les établissements scolaires. En effet, jusqu'à présent, il n'existait pas en France d'évaluation systématique et institutionnelle des établissements scolaires. Notre pays était en retard.

Pourquoi n'y avait-il pas d'évaluation ? Je vois deux raisons : d'une part, sans doute que l'autonomie des établissements n'était pas considérée comme importante. D'autre part, nous avons toujours accordé plus d'importance à l'effet « maître dans sa classe », plutôt qu'à l'effet « établissement ». Or, c'est justement à ce dernier effet que s'intéresse cette nouvelle politique d'évaluation.

Nous avons pu bénéficier des expériences et bilans internationaux - en raison du retard de la France dans ce domaine -, mais aussi de quelques expériences nationales qui n'ont en général pas connu de suite.

En ce qui concerne le périmètre de l'évaluation, cela concerne l'ensemble des établissements scolaires des premier et second degrés, publics et privés sous contrat.

Avant d'élaborer la méthode d'évaluation, nous en avons arrêté sa finalité. Il s'agit d'un accompagnement des établissements scolaires pour une amélioration du service public dans l'établissement et de la qualité des apprentissages des élèves, de leurs parcours, de leurs réussites, ainsi que de la vie de l'établissement. Nous nous intéressons bien évidemment aux élèves, mais aussi à l'ensemble de la communauté éducative : cette évaluation vise à améliorer les conditions de vie collective et le bien-être des personnels. Le but est de parvenir à une dynamique des apprentissages collectifs et de formation. L'évaluation conduit à l'élaboration du projet d'établissement et d'école, et doit aboutir à des demandes de formation et d'accompagnement de la part de l'établissement.

La loi précise que cette évaluation prend une double forme : une auto-évaluation de l'établissement, suivie d'une évaluation externe des choix, décisions et actions pris par l'établissement. Il s'agit d'évaluer ses compétences propres, sa « zone d'autonomie ». L'évaluation permet de procéder à un examen systémique de l'ensemble de l'établissement.

L'évaluation est participative, impliquant tous les acteurs : équipes de direction, enseignants, ensemble des personnels qu'il s'agisse de personnels de l'éducation nationale ou des collectivités territoriales, les élèves, leurs parents, les partenaires,..... La démarche est intégrative : l'évaluation externe fait l'objet d'une restitution et d'une diffusion dans l'établissement. Le CEE demande d'ailleurs formellement que l'auto-évaluation et l'évaluation externe préfigurent le futur projet d'établissement ou d'école.

Nous avons proposé un séquençage de l'évaluation calqué sur celui des projets d'établissements ou d'école. Pour ceux-ci, la loi prévoit un séquençage tous les trois à cinq ans. Nous proposons que tous les cinq ans, chaque établissement s'évalue et soit évalué.

Il s'agit pour les établissements de se pencher sur l'ensemble de la chaîne d'évaluation : réfléchir aux besoins des élèves, à partir du référentiel des politiques publiques, mais aussi des besoins propres de leurs élèves. Des objectifs sont définis, suivis d'un plan d'action, puis les résultats et effets de ces décisions sont évalués. Le système éducatif français a l'habitude de prévoir des actions, des objectifs. En revanche, il se penche rarement sur les besoins, ainsi que sur les résultats et effets des actions prises. Notre but est de convaincre les établissements à travailler sur chacune de ces étapes - de la définition des besoins à l'examen des effets résultant des décisions prises.

L'évaluation porte sur l'établissement dans sa globalité. Pour cela nous avons élaboré un « guide des questions évaluatives », qui définit quatre domaines : les apprentissages et parcours des élèves ; la vie et le bien-être de l'école ; les acteurs, le fonctionnement et la stratégie ; l'établissement dans son environnement institutionnel et partenarial.

En outre, les établissements scolaires sont invités à se pencher sur des questions transversales à ces quatre domaines, par exemple, les valeurs portées par l'établissement, le rôle donné aux élèves et aux parents, l'équité scolaire, ou encore la gestion des crises.

On demande aux établissements d'analyser leur mission de service public, mais aussi le contexte externe dans lequel ils se situent : économique, social et territorial ; ainsi qu'interne en se penchant notamment sur toutes les décisions que leurs autorités de rattachement ont prises et qui s'imposent à eux. Les services académiques des rectorats leur fournissent un état de l'établissement, établi à partir d'indicateurs. L'évaluation est conduite dans le cadre des ressources humaines et des moyens octroyés à chaque établissement. Il est essentiel qu'elle engage l'ensemble des acteurs - ce qui n'a pas été facile à mettre en place dans le contexte actuel de pandémie.

L'autoévaluation doit mobiliser l'ensemble des acteurs, analyser le contexte, les besoins des élèves de l'établissement, interroger les décisions prises et les effets de ces décisions. Elle propose une feuille de route du futur projet d'établissement, intégrant les axes de développement, les objectifs, plans d'action et les besoins de formation. Une fois cette auto-évaluation terminée, l'équipe d'évaluateurs externes arrive, pour prendre acte de l'auto-évaluation et essayer d'amener l'établissement plus loin, lui apporter une plus-value par rapport à l'analyse qu'il a réalisée.

Cette deuxième évaluation - qui se déroule sur une période de deux à trois jours dans l'établissement - est réalisée par une équipe externe composée de personnes de l'encadrement de l'éducation nationale (inspecteurs, chefs d'établissement), de cadres pédagogiques, ainsi que de personnels des collectivités territoriales. Une fois l'examen réalisé, l'équipe restitue l'évaluation devant toutes les personnes de l'établissement qui y ont participé, et finalise son rapport d'évaluation externe après cet échange. Elle élabore notamment des recommandations pour le projet d'établissement. Ce sont ainsi les mêmes données, avec les mêmes participants et les mêmes finalités entre les deux évaluations qui conduisent à l'élaboration du projet d'établissement.

Nous sommes peu habitués à cette démarche évaluative. Aussi, nous avons mis en place de nombreuses formations pour nos évaluateurs, et rédigé une charte de déontologie : les évaluateurs s'engagent à une vision impartiale, plurielle, un professionnalisme développé par la formation, un respect des personnes et une transparence de leurs travaux.

La période actuelle est complexe pour les établissements scolaires français. Pour information, le cadre d'évaluation pour les établissements du second degré a été arrêté en juillet 2020. Le cadre relatif aux écoles du premier degré a, quant à lui, été arrêté en janvier 2022.

Le dispositif d'évaluation a été déployé au cours de l'année scolaire 2020-2021. Du fait de la crise sanitaire et de la réforme du lycée, le CEE a recommandé aux recteurs de privilégier les collèges. Au total, 950 évaluations ont été conclues sur la période 2020-2021. En 2021-2022, 22,2 % des établissements du second degré doivent être évalués. Cette année, les établissements privés sous contrat ont été pour la première fois inclus dans l'évaluation.

Avant d'arrêter le cadre d'évaluation des écoles du premier degré, le Conseil a effectué une expérimentation durant le premier trimestre de l'année 2021-2022. Pendant ces trois mois, un regroupement d'écoles a été évalué dans chaque département. Ces opérations ont permis au CEE de déterminer le cadre d'évaluation des établissements du premier degré.

Les évolutions attendues sont diverses. En réalité, le CEE souhaite surtout améliorer le parcours éducatif, la réussite et le bien-être des élèves. Le dispositif analyse également le pilotage interne et la gouvernance des établissements. Le CEE en attend un accroissement du pouvoir d'agir des acteurs des établissements, notamment des enseignants et la mise en place de solutions innovantes. Pour le CEE, il est impératif qu'une dynamique coopérative soit installée dans les différents établissements scolaires. En outre, il est primordial de renforcer la capacité des acteurs à évaluer les répercussions des mesures qu'ils ont prises.

L'un des objectifs du Conseil consiste à construire des projets d'établissement centrés sur le fonctionnement des écoles, sur les besoins des élèves.

Il est aussi important que l'évaluation permette aux personnes travaillant dans les établissements scolaires d'exprimer leurs besoins de formation. L'évaluation externe doit permettre d'atteindre un équilibre entre la tutelle et les actions propres des établissements. Pour conclure, l'évaluation pourrait donner la possibilité aux collectivités territoriales d'exercer une politique partagée par les établissements.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie madame la présidente pour ce propos liminaire. J'invite maintenant Mme Aubertot à nous présenter son témoignage en tant qu'évaluatrice et précédemment principale d'un collège évalué.

Mme Élodie Aubertot, principale. - En 2021, j'exerçais en qualité de chef d'établissement dans un collège situé dans les Côtes-d'Armor, qui a fait l'objet d'une évaluation.

Dans le même temps, j'ai participé à l'évaluation d'un collège localisé dans le Finistère. Lors de cette procédure, je travaillais dans un trinôme d'évaluateurs.

Cette double casquette m'a permis de m'investir pleinement dans le dispositif d'évaluation porté par le CEE. Je peux témoigner que les évaluateurs sont généralement considérés comme des personnes au regard bienveillant, et pas comme des personnes hors-sol qui ne connaissent pas le fonctionnement du système éducatif et celui des établissements scolaires.

De manière générale, les équipes éducatives travaillent seules. Les enseignants et les chefs d'établissement s'interrogent rarement collectivement sur la réussite des élèves. Dans le même temps, certaines catégories de personnel ne sont pas habituées à exprimer leur opinion. En outre, cette évaluation est également l'occasion d'interroger les parents d'élèves sur la manière dont ils voient l'établissement et leurs projets pour celui-ci.

Dans le collège où j'étais chef d'établissement, nous avons observé que l'égalité entre les filles et les garçons n'était pas perçue par les élèves, malgré les actions que nous menions. Cela a été une surprise pour nous. Une feuille de route a donc été rédigée afin que les familles et les élèves puissent comprendre nos actions et leurs finalités.

Au sein de l'établissement où j'ai officié en tant qu'évaluatrice, il a été constaté que seuls 25 % des élèves intégraient une classe de seconde générale. L'équipe locale n'avait pas identifié cette réalité. Les acteurs locaux ont ainsi entamé une réflexion centrée sur les ambitions scolaires des élèves. En parallèle, un projet visant à créer des liaisons entre le collège et les lycées professionnels a été instauré, pour travailler sur la réussite des élèves en lycée professionnel.

M. Laurent Lafon, président. - Je donne maintenant la parole à M. Charbonnier. Pouvez-vous nous apporter des éléments de comparaison entre la France et les pays étrangers ? La présidente du Conseil avait notamment expliqué dans son propos liminaire que la France souffre d'un retard conséquent dans le domaine de l'évaluation des écoles. Est-ce que ce constat est réel ?

M. Éric Charbonnier, membre du Conseil d'évaluation de l'école. - Je vous confirme que ce retard est réel. La France est l'un des derniers pays européens à avoir mis en place un Conseil d'évaluation de l'école. Dans certains pays, ce type de conseil existe depuis plus de trois décennies.

La démarche d'évaluation peut permettre au système éducatif français d'évoluer. Pour rappel, les élèves sont constamment évalués par les enseignants. Néanmoins, les équipes s'appuient rarement sur ces contrôles au moment de définir leur stratégie d'établissement. Les questionnaires adressés aux élèves peuvent pourtant mettre en exergue des éléments jusqu'alors inconnus de l'équipe éducative et donner lieu à une discussion globale.

Par ailleurs, le dispositif d'évaluation peut donner la possibilité de développer une culture d'établissement, ou de créer un dialogue entre les différents acteurs. Les comparaisons internationales montrent que les élèves français ont un très faible sentiment d'appartenance à un établissement à la différence d'autres pays.

L'une des autres faiblesses du système français est la faible coopération entre les enseignants et leur chef d'établissement. Il est à noter que cette collaboration est moins importante que dans d'autres pays. Grâce au nouveau dialogue engendré par la démarche évaluative, il sera possible de renforcer cette dimension collégiale.

Dans les pays dotés d'un organe similaire au CEE, un dialogue inclusif existe au sein des établissements scolaires. L'auto-évaluation accorde une importance considérable à cette notion de dynamique commune. Pour rappel, ce procédé implique les enseignants, le directeur d'établissement, le personnel, les élèves et les parents. La démarche inclusive peut modifier les relations au sein des établissements scolaires. Selon les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), les élèves français sont ceux à qui on demande le moins leurs ressentis et avis sur leur vie scolaire.

Pour ma part, je considère que le dispositif d'évaluation est à déployer sur le long terme. Par exemple, la Nouvelle-Zélande possède une culture d'établissement depuis 30 ans. Les équipes locales suivent régulièrement les plans d'amélioration. Dans le même temps, les établissements sont en mesure de maîtriser leur progression et de déterminer les dates de leur auto-évaluation. Ainsi, les évaluations externes se concentrent sur les établissements qui en ont le plus besoin. En France, une réflexion sur le long terme reste à mener. Les ajustements pourront ensuite être réalisés de façon progressive.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ces précisions. Avant de poursuivre, je tiens à rappeler que deux représentants du Sénat sont présents au sein du CEE. Il s'agit de Mme Monier et de moi-même.

M. Jacques Grosperrin. - Je suis ravi de la tenue de cette audition. Le Conseil d'évaluation de l'École avait été instauré par l'article 40 de la loi du 26 juillet 2019. Au départ, la création du Conseil avait donné lieu à des confusions, car sa mission semblait être similaire à celle du centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) et de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). Les propos précédemment tenus par M. Charbonnier ont montré qu'il existe une différence réelle entre ces institutions.

Je pense que l'effet « chef d'établissement » reste un sujet tabou en France. Nous savons que celui-ci joue un rôle important dans la dynamique d'une équipe. J'ai bien compris que l'auto-évaluation et l'évaluation externe permettront aux enseignants d'évaluer les pratiques tout en étant acteurs. Par ailleurs, les présentations préalables ont souligné que l'outil de pilotage contribue à la progression des élèves.

Ma première question est liée au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Cet organisme évalue les établissements de l'enseignement supérieur en leur attribuant des notes allant de « A » à « C ». Est-ce que le CEE utilisera aussi un système de notation ?

Ma deuxième question porte sur les perturbations organisationnelles engendrées par la pandémie de la covid-19. Je souhaite savoir si la crise sanitaire a donné lieu à une évolution du métier d'inspecteur. Je me demande également si les nouvelles fonctions attribuées aux directeurs d'école modifieront leurs relations avec les inspecteurs de l'éducation nationale (IEN).

Je m'interroge aussi sur le suivi des évaluations. Est-ce que le dispositif d'évaluation créé par le Conseil permet de catégoriser les établissements scolaires ? On sait que les catégories, à l'image de celle de l'éducation prioritaire, peuvent entraîner une attribution binaire de moyens.

Auparavant, des contrats tripartites d'objectifs étaient signés par les académies, les établissements et les collectivités locales. Des difficultés ont par la suite été remontées aux autorités de contrôle, car certaines académies avaient choisi de simplifier leur contrat. Il est alors devenu difficile de mettre en place des phases de dialogue entre les différents acteurs. Quelles mesures prévoyez-vous pour réinstaurer ce dialogue ?

Enfin, les responsables d'établissement estiment que le nombre d'évaluations est aujourd'hui trop élevé et que les temps de dialogue sont insuffisants. Selon moi, il serait intéressant de réunir la totalité des acteurs concernés par la démarche d'évaluation.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous propose, madame la présidente, de répondre à cette première série de questions.

Mme Béatrice Gille. - Je reviens sur l'effet « chef d'établissement ». Pour le Conseil, il était impératif de distinguer l'évaluation d'une structure de l'évaluation axée sur les personnes. Pour rappel, les évaluations centrées sur les personnes dépendent d'un protocole réglementaire spécifique et sont très développées en France. En revanche, l'évaluation des unités d'enseignement a été laissée de côté.

Le CEE se concentre sur les établissements. Dans ce sens, le dispositif d'évaluation ne s'attarde pas sur les élèves et les professeurs de façon individuelle. L'évaluation consiste à montrer les effets engendrés par les décisions des différents acteurs de l'équipe éducative. De nombreuses décisions ou d'effets ne dépendent pas du chef d'établissement.

Le HCERES ne note plus les établissements. Le Conseil n'attribue pas de notes aux établissements évalués. Il veut aider les unités d'enseignement à progresser dans leur fonctionnement interne et leur efficience. Les établissements sont ainsi transformés en instance participative. Je précise que le cadre de l'évaluation a été défini à la suite d'une concertation avec les collectivités, les parents, les syndicats, le ministère de l'éducation nationale et les recteurs. Le bilan de la première campagne sera publié sur le site internet du Conseil d'évaluation de l'École en mars 2022. Notre objectif est de faire adhérer les établissements et les équipes à la démarche.

La démarche évaluative a été positivement accueillie par les établissements. Aucune opposition n'a été relevée lors de la campagne 2020-2021. Maintenant, il est important que le dispositif soit maîtrisé et approprié par les académies et la totalité des établissements scolaires. L'évaluation doit devenir « l'affaire de l'établissement ».

En ce qui concerne les inspecteurs, il est à noter que l'évaluation est déjà comprise dans leurs missions. La démarche engagée par le Conseil modifiera principalement les compétences évaluatives des équipes d'encadrement. Les évaluateurs ne sont pas uniquement des inspecteurs et ne se contentent pas de représenter une institution. En outre, les équipes d'évaluateurs sont, en partie, composées d'enseignants. Ces derniers peuvent ainsi participer à la démarche en qualité de personnes évaluées et d'évaluateurs. Chacun doit se sentir partie prenante.

La crédibilité de cette nouvelle démarche dépendra du suivi des actions engagées à la suite des évaluations. Chaque établissement fait donc l'objet d'un accompagnement spécifique de la part du Conseil.

D'après les informations qui m'ont été transmises, le nombre de collectivités ayant signé un contrat tripartite est peu élevé. Le pilotage interne aux établissements - qui ressort de son autonomie, de son conseil d'administration, de son équipe pédagogique - est à distinguer des normes issues de pilotage externe. Pour précision, le terme de « pilotage externe » correspond aux dialogues gérés par les recteurs, les DASEN (directeurs académiques des services de l'éducation nationale) ou les IEN, aux contrats d'objectifs, aux conventions de fonctionnement ou aux contrats tripartites avec les collectivités locales. Le dispositif d'évaluation permet de dresser une séparation claire entre les éléments qui relèvent de la responsabilité des établissements et les points en lien avec le pilotage externe. Pour nous, les nouveaux projets d'établissements et d'école devront être accompagnés par les partenaires externes.

Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai intégré le Conseil d'évaluation de l'école le 25 janvier 2022. Je tiens à remercier les membres du Conseil pour l'accueil qu'ils m'ont réservé. Pour rappel, mon groupe politique était opposé à la création du CEE. Nous avions notamment des inquiétudes sur son indépendance. Ma position au sein du Conseil était donc difficile à gérer.

Du fait de la crise sanitaire, les évaluations ont surtout concerné les établissements qui se sont portés volontaires. Dans ce sens, aucune opposition majeure n'a été constatée durant la campagne 2020-2021. Est-ce que ce manque d'opposition restera effectif lorsque cette évaluation sera aléatoire et obligatoire pour tous les établissements ?

Je m'interroge également sur les suites qui seront données à ces évaluations par les établissements. Ils doivent s'appuyer sur celles-ci, sinon elles ne serviront à rien. Des besoins de formations peuvent être émis à la suite de l'évaluation. Il est donc primordial d'accorder des moyens aux établissements scolaires afin de leur permettre de répondre aux demandes diverses. Je pense que l'engouement pour l'évaluation sera moins conséquent dans le cas où les moyens accordés seraient insuffisants.

Comme les membres du Conseil, je considère qu'il est important de donner la possibilité aux professeurs d'exercer en qualité d'évaluateur.

Dans le cadre de l'évaluation, les directeurs d'écoles et les enseignants seront mobilisés pendant plusieurs mois. Or, la charge de travail de ces personnes est déjà conséquente. Le risque de surcharge d'activité est réel pour les équipes éducatives. Les organisations syndicales avaient préalablement émis des alertes quant à ce phénomène. Pour moi, il serait intéressant de mener une réflexion sur la gestion du temps du travail des directeurs et des enseignants.

Je souhaite souligner que le modèle de gouvernance des établissements du premier et du second degré n'est pas le même. Est-ce que cette différence a été prise en compte au moment de l'élaboration du cadre évaluatif ?

Enfin, le dispositif d'évaluation tient-il compte du temps périscolaire ? Je considère que ce sujet relève d'un intérêt certain.

Mme Annick Billon. - Lors de la première campagne d'évaluation, le Conseil a décidé de privilégier les établissements volontaires dès le mois de novembre 2020. Ne pensez-vous pas que les résultats obtenus au cours de cette compagne sont biaisés ?

Plusieurs évaluations se sont tenues après la mise en application de la réforme du baccalauréat. Est-ce que vous êtes en mesure de nous présenter une évaluation partielle de cette réforme?

Je souhaite savoir si les évaluations instaurées par le CEE ont permis de définir des pistes d'évolution pour la réforme du baccalauréat. Je travaille actuellement avec Max Brisson et Marie-Pierre Monier à un bilan des mesures éducatives prises durant le quinquennat du Président Macron : nous avons observé une accentuation de certaines inégalités du fait de la réforme du baccalauréat.

L'une de mes interrogations est en lien avec le temps consacré à la procédure d'évaluation. Aujourd'hui, les établissements scolaires sont confrontés à un manque de moyens humains - nos travaux le montrent. Par exemple, les équipes éprouvent des difficultés à gérer les orientations des élèves. Sur quel temps sera pris celui dédié à cette évaluation ?

Les projets d'établissement existaient déjà par le passé. Est-ce que les futurs projets permettront d'éviter un phénomène de multiplication des instances ? Enfin, quelles sont les plus-values apportées par le dispositif d'évaluation mis en place par le Conseil, par rapport aux évaluations qui existent déjà ?

Mme Céline Brulin. - Le président de la commission a ouvert la séance en rappelant notre souci d'indépendance du CEE. Toutefois, je constate que les établissements évalués et les évaluateurs sont choisis par les rectorats. Comment parvenez-vous à assurer son indépendance?

Il existe effectivement une différence entre les évaluations réalisées par les inspections. Néanmoins, des interactions existent entre les différentes fonctions éducatives, nécessitant de disposer d'une évaluation globale. Comment l'ensemble de ces évaluations s'articulent-elles ?

Je reviens sur le thème de l'égalité entre les garçons et les filles. Ces problèmes transparaissent dans l'école, mais celle-ci n'est pas la seule entité capable d'y apporter une solution. Comment intégrez-vous l'environnement social et sociétal dans les évaluations ?

Est-ce que les évaluations préfigurent des changements structurels majeurs comme le libre recrutement d'enseignants par les établissements - annoncé par le Président de la République à Marseille sous forme d'expérimentation - ou la réforme du système d'éducation prioritaire - en remplaçant un zonage défini par critères sociaux par des contrats signés entre l'établissement et le rectorat ?

M. Lucien Stanzione. - Il me semble avoir compris que le dispositif d'évaluation vise surtout à déterminer un projet d'établissement. Cependant, j'ai l'impression que la démarche ne tient pas compte des projets souhaités par les enseignants et les élèves.

Je me questionne également sur l'identité de l'évaluateur externe. Ce dernier, il me semble, est hiérarchiquement rattaché au rectorat. Pourtant, il peut être difficile de représenter l'institution employeur tout en étant évaluateur. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Qui est la personne chargée de l'accompagnement des enseignants, des directeurs et des élèves ? Pouvez-vous nous apporter des détails relatifs aux notions d'évaluations formatives et formatrices ?

Mme Béatrice Gille. - En ce qui concerne la charge de travail, je rappelle que le Conseil propose d'effectuer une évaluation tous les cinq ans. Nous assumons le fait qu'une fois tous les cinq ans, pour un service public aussi important que l'éducation nationale, l'équipe éducative passe un peu de temps, collectivement, à se pencher sur son fonctionnement. D'ailleurs, un syndicaliste m'a récemment expliqué qu'il n'était pas opposé à ce type de pratique.

Il est du ressort du recteur d'exprimer les critères ayant mené à la programmation d'une évaluation. Il est obligatoire d'agir avec transparence, et ce, en dialoguant avec la totalité des parties prenantes. Si la programmation des évaluations est pluriannuelle avec un calendrier prévisionnel établi en amont, le dispositif deviendra plus optimal pour le personnel éducatif et les agents territoriaux, et pourra être intégré et préparé dès la pré-rentrée.

Les évaluations alimentent les projets d'établissement. Ainsi, ces plans problématisent les points d'amélioration et apportent des pistes d'approfondissement.

Le CEE a longuement débattu sur le thème du temps périscolaire avec notamment l'Association des maires de France (AMF). Les membres du Conseil ont proposé d'intégrer le temps périscolaire du matin, du midi et du soir dans l'évaluation des établissements du premier degré, mais seulement après accord du maire, ou des maires en cas de regroupement d'écoles. Cette suggestion a été approuvée par l'AMF. Dans le cadre de l'expérimentation, tous les maires des écoles évaluées ont donné leur accord pour que soit intégré le temps périscolaire. Pour ma part, je considère que l'ajout du temps périscolaire dans le dispositif d'évaluation est une mesure positive. En effet, nous nous sommes rendu compte que, dans de nombreux territoires, il n'existe pas de temps commun de réflexion entre le projet d'école porté sur le temps scolaire et le temps périscolaire.

Même si la première campagne d'évaluation a été marquée par la participation des établissements volontaires, la loi spécifie qu'il est impératif de contrôler la totalité des établissements scolaires. Des ajustements ont été réalisés au cours de la première campagne du fait de la crise sanitaire. Pour autant, l'objectif du Conseil reste d'améliorer les services publics dans les établissements éducatifs. Dans ce sens, notre démarche ne prévoit pas de classement. Nous avons mis en place de nombreux garde-fous afin d'éviter que l'évaluation ne soit utilisée à d'autres fins. Nous sommes convaincus du bénéfice de l'évaluation pour chaque établissement.

Nous ne souhaitons pas que les évaluations soient axées sur les personnes. Ainsi, plusieurs formations destinées aux évaluateurs ont été organisées afin d'éviter que les contrôles soient similaires à des évaluations de personnes. À ce sujet, il est important que les équipes d'évaluateurs affichent un « caractère mixte » intégrant des professionnels dont le contrôle n'est pas le coeur de métier, pour que si l'un des évaluateurs dérive, par reflexe professionnel, vers de l'évaluation de personnes, l'équipe puisse s'en rendre compte et rectifier le tir.

L'analyse de la réforme du baccalauréat correspond en réalité à une évaluation des politiques publiques. Pour rappel, les établissements scolaires sont des structures qui mettent en oeuvre un ensemble de politiques publiques. Aujourd'hui, l'un de nos objectifs consiste à améliorer la structure et coordonner l'évaluation des politiques publiques. Nous avons créé trois comités thématiques d'évaluation. Ces comités indépendants ont pour mission de dresser un état des lieux des évaluations réalisées et indicateurs existants et de proposer une évaluation rigoureuse des politiques publiques. Le premier comité est consacré à l'équité scolaire - c'est l'une des difficultés de la France, lorsqu'on la compare aux autres pays. Les deux autres instances portent respectivement sur la formation des enseignants et le mode de contrôle des acquis des élèves.

L'indépendance du Conseil d'évaluation de l'école est effectivement un sujet d'importance majeure. Une charte de déontologie destinée aux évaluateurs et aux membres du CEE a donc été rédigée. Les formations s'appuient sur cette charte. Dans le même temps, il est demandé aux équipes d'évaluateurs de faire preuve d'empathie à l'égard des établissements, tout en restant suffisamment à distance afin de pouvoir proposer des recommandations. Les personnes impliquées dans les évaluations auront besoin de temps pour assimiler ce principe. Toutefois, je peux vous affirmer que le Conseil porte une attention particulière au thème de l'indépendance.

Aujourd'hui, les établissements scolaires sont déjà évalués par la DEPP, l'Inspection générale, les Assemblées, France stratégie et la Cour des comptes. Un travail visant à rassembler les opérateurs est actuellement réalisé par le CEE. Les comités thématiques ont été créés afin de favoriser la collaboration entre le CEE, la DEPP et les organismes de recherche. J'attire votre attention sur la richesse des données produites par la DEPP.

Le contexte social et environnemental dans lequel les élèves évoluent est également une donnée prioritaire. En France, les acteurs éducatifs ne procèdent généralement pas à une distinction entre les facteurs internes et externes. Le Conseil souhaite donc analyser les besoins réels - et non théoriques - des élèves avant de les inscrire dans les processus décisionnels des établissements.

Aucune politique n'est définie par le CEE. Notre but est d'évaluer les politiques instaurées par le Gouvernement. D'ailleurs, la Cour des comptes a suggéré que des personnes représentant le ministère soient présentes au sein du CEE : la définition d'une méthode d'évaluation qui n'inclurait pas les remarques des services risquerait d'être moins efficace par manque d'appropriation par la suite. Aujourd'hui 4 des 14 membres du CEE représentent les services du ministère.

Comme expliqué plus tôt, le dispositif d'évaluation mène à l'élaboration d'un projet d'établissement et à la rédaction d'une feuille de route.

Le Conseil estime que la participation effective des élèves aux évaluations est primordiale. Pour cette raison, il est maintenant impératif de définir une méthode permettant d'optimiser les questionnaires adressés aux élèves. Je tiens à le préciser : il ne s'agit pas d'enquêtes de satisfaction, mais de les amener à réfléchir à leurs besoins et au projet de leur établissement. Du temps sera nécessaire pour établir ces questionnaires, car les élèves ne sont pas fréquemment sondés par l'Éducation nationale. À l'occasion des auto-évaluations, en interrogeant leurs élèves, les équipes pédagogiques ont découvert un certain nombre de problématiques ou thématiques.

Les membres du CEE espèrent que l'évaluation contribuera au développement professionnel des enseignants. Cependant, des ajustements restent à réaliser, car les enseignants ne sont pas habitués à travailler avec des données qui sont à leur disposition - ou qui doivent l'être si ce n'est pas encore le cas aujourd'hui.

Mme Élodie Aubertot. - Je suis en mesure d'apporter un éclairage concernant le contexte social. À l'échelle locale, les chefs d'établissement ont conscience du fait qu'ils exercent au sein d'un établissement public local d'enseignement (EPLE). En réalité, les équipes éducatives souhaitent que l'identité de leur établissement soit mise en exergue.

Même si l'école ne peut pas résoudre l'intégralité des problèmes sociaux, cette entité tente constamment d'apporter des solutions. Les écoles font davantage preuve d'efficacité lorsqu'elles sont intégrées à leur tissu environnemental et lorsqu'elles collaborent avec les structures institutionnelles. L'auto-évaluation permet ensuite de définir une stratégie de façon collégiale.

Lors des évaluations que j'ai menées en 2021, j'ai constaté que les élèves étaient généralement fiers d'y participer. Selon moi, la réussite scolaire - ou professionnelle pour un adulte - est conditionnée par un sentiment d'appartenance. L'évaluation donne la possibilité de renforcer ce sentiment d'appartenance à un établissement scolaire. En outre, comme me l'a indiqué un inspecteur au cours d'une évaluation extérieure, après une heure d'échanges avec les élèves, on connait toute la vie d'un établissement scolaire.

M. Éric Charbonnier. - Il est vrai que la première campagne de 2020-2021 a majoritairement concerné les établissements volontaires. Toutefois, je précise qu'un large échantillon de la cartographie française a été représenté. Des établissements scolaires situés en zones urbaines, en zones rurales et en zones d'éducation prioritaire ou hors éducation prioritaire ont notamment été évalués.

Le bilan dressé par le CEE pourra être utilisé par l'ensemble des établissements, y compris ceux qui n'ont pas encore été évalués, car il va faire apparaître des problématiques communes. Notre objectif est de partager les bonnes pratiques, tout en évitant de s'appuyer sur une logique de classement. Certains pays, comme le Portugal, arrivent très bien à le faire.

M. Jacques-Bernard Magner. - J'estime qu'une évaluation se base sur une grille d'objectifs. Ce procédé permettrait au CEE de savoir si les établissements contrôlés ont été en capacité d'atteindre leurs objectifs. L'évaluation se différencie d'une enquête.

Les établissements n'ont pas attendu ces évaluations pour réaliser une enquête préalable de leur environnement socio-économique, afin d'élaborer leurs projets d'établissement. Je rappelle que ceux-ci existent depuis les années 1980.

Le périmètre couvert par le dispositif d'évaluation comprend les établissements privés sous contrat. Comment sont pris en compte leurs caractères propres dans l'évaluation ? Je pense par exemple aux rythmes scolaires.

Même si le Conseil n'établit pas de classement, je pense qu'il est tout de même important d'aborder ce point avec les évaluateurs, afin d'éviter toute dérive. Tout parent d'élèves, et c'est normal, est demandeur de classements des établissements.

M. Pierre Ouzoulias. - Pour moi, un inspecteur est en mesure de se faire une opinion d'un établissement contrôlé, et ce, malgré l'absence de chiffres.

En France, la culture d'établissement n'existe pas. La culture de notre pays s'appuie sur les notions d'instruction nationale. Les enfants s'inscrivent donc dans un mouvement national et sont pris en charge par un service public qui dépasse les spécificités de chaque établissement. C'est à conserver. Nous devons éviter d'importer le modèle anglo-saxon dans les établissements français ou campus universitaires. Il faut conserver la notion forte de « Nation apprenante » définie par Condorcet en 1793.

Le nombre d'évaluations est relativement élevé. Je le constate pour le supérieur par exemple où les équipes éducatives ont l'impression de passer plusieurs mois à analyser le système universitaire. Pour moi, il est nécessaire que le Conseil agisse pour éviter que le dispositif ne perde en signification pour les acteurs concernés. Ce phénomène pourrait être problématique.

La méthode d'analyse de l'environnement socio-économique des établissements scolaires est défaillante, car elle se base sur des propos déclaratifs. Les personnes habitant dans des zones peu favorisées ne participent généralement pas à ce type d'enquête alors que des moyens sont attribués en fonction de ces réponses. J'ai donc proposé au ministre de l'éducation nationale de remplacer le système déclaratif par une analyse des données statistiques relevées par l'INSEE. Le ministre était d'accord avec cette proposition. Cependant, aucun ajustement n'a pour l'instant été réalisé.

Pour finir, je rappelle qu'il incombe au Sénat d'évaluer les politiques publiques. Toutefois, les informations transmises par les ministères ne sont pas adaptées aux questions posées par les sénateurs. Est-il possible que le Sénat vous demande la réalisation d'enquêtes sur des thématiques qu'il juge essentielles ?

Mme Béatrice Gille. - Les expériences menées à l'international montrent que les auto-évaluations contribuent à l'amélioration des systèmes éducatifs. En parallèle, les évaluations externes permettent, quant à elles, aux établissements scolaires de progresser.

Nous nous sommes entretenus avec les réseaux d'établissements privés sous contrat. Chaque gestionnaire de réseau a accepté d'intégrer l'intégralité de l'établissement, y compris le caractère propre, permettant d'avoir une évaluation systémique. Néanmoins, les recommandations émises par les évaluateurs extérieurs portent uniquement sur le périmètre couvert par le contrat d'association.

Par ailleurs, pour éviter les conflits d'intérêt, les petits réseaux ont accepté que les équipes d'évaluateurs soient composées de personnes issues d'un réseau différent. En effet, certains réseaux ne disposent que de trois ou quatre établissements privés sous contrat.

Le CEE évalue d'abord le référentiel national - par exemple il évalue l'objectif de 100 % des élèves en fin de troisième devant avoir acquis 100 % du socle commun de connaissances. Mais ce référentiel s'adapte aux spécificités des collèges, des lycées et des écoles. De manière globale, nous essayons de trouver un point d'équilibre entre les mesures nationales et les situations locales.

Aujourd'hui, la plupart des académies attribuent des moyens aux territoires en tenant compte de l'indice de position sociale (IPS). Cet indicateur est plus riche que l'indicateur de la catégorie socio-professionnelle de l'INSEE. En effet, l'IPS prend en considération le capital culturel, qui joue un rôle majeur dans la réussite d'un élève. Je pense qu'il serait intéressant pour le CEE de mener une étude sur les indicateurs à utiliser et leurs effets.

M. Laurent Lafon, président. - Je remercie les représentants du Conseil d'évaluation de l'école pour les réponses qu'ils nous ont apportées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 13.