Mardi 15 mars 2022

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale - Volet « attractivité commerciale en zones rurales » - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Madame la présidente, Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver dans ce format conjoint, qui nous a déjà réunis plusieurs fois. Le dernier rapport commun à nos deux commissions portait sur l'alimentation durable et locale. Nous l'avions adopté en mai 2021 et les propositions qu'il contenait ont permis au Sénat d'enrichir le volet « agriculture » de la loi « Climat et résilience ». C'est dire tout l'intérêt de ces missions de contrôle communes, qui nous permettent d'être plus forts ensemble et de faire avancer nos idées.

Nous examinons aujourd'hui les conclusions du travail mené par Bruno Belin et Serge Babary, qui vise à proposer des solutions pour maintenir et développer le commerce de proximité dans les zones rurales, en particulier dans les communes de moins de 2 500 habitants.

Nos rapporteurs ont réalisé un travail d'envergure, en s'appuyant sur une quarantaine d'auditions, et leurs propositions sont nombreuses et ambitieuses. Celles-ci pourront constituer une « boîte à outils » adaptée pour nos territoires ruraux et nourrir les réflexions futures de nos commissions ainsi que celles du Gouvernement, notamment en lien avec la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité - je pense en particulier aux zones de revitalisation rurale (ZRR).

Serge Babary est rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, et il est très précieux de pouvoir s'appuyer sur son expertise établie sur ce sujet.

Bruno Belin est rapporteur au nom de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale, que notre commission a mise en place à l'automne dernier et qui rendra ses conclusions sur les différents thèmes en plusieurs étapes. Nous examinerons ainsi le 29 mars prochain les conclusions de notre collègue rapporteure Patricia Demas sur le volet « inclusion numérique » et du rapporteur Bruno Rojouan sur le volet « accès territorial aux soins » - ce sujet capital a été évoqué par certains des candidats à l'élection présidentielle -, puis, en mai, seront examinées les conclusions sur d'autres volets, qui sont suivis par les rapporteures Martine Filleul et Christine Herzog.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je salue les deux rapporteurs qui ont travaillé sur ce dossier : Bruno Belin, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Serge Babary, au nom de la commission des affaires économiques. Ce dernier a déjà beaucoup oeuvré en faveur du commerce, notamment en sa qualité de président de la délégation sénatoriale aux entreprises.

L'aménagement du territoire est un élément essentiel des politiques publiques, oublié depuis de très nombreuses années. Il consiste à assurer l'irrigation de notre pays partout, dans les villes et dans les campagnes, afin de renforcer leur attractivité et de faire en sorte que la population s'y installe en cohérence avec un véritable choix de vie, et non du fait d'une obligation liée par exemple à la désertification.

Serge Babary avait rédigé un premier rapport sur les nouvelles formes du commerce, qui se retrouvera en tout ou partie dans les travaux que nous examinons. Nous faisons oeuvre utile sur cette partie commerciale, qui doit effectivement être complétée par l'aménagement sanitaire, sportif, la question des associations, du logement, des mobilités, etc. Ce rapport montre une nouvelle fois la complémentarité de nos travaux et l'intérêt du Sénat pour l'aménagement durable du territoire.

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Avant de vous présenter les conclusions du travail que nous avons mené depuis le mois de décembre, je souhaiterais adresser plusieurs remerciements. D'abord, je souhaite remercier mon collègue Serge Babary pour son implication, pour son écoute et pour avoir partagé avec moi son expérience en la matière. Je remercie également les présidents de nos deux commissions, qui ont fait en sorte que ce travail conjoint puisse se mettre en place. Je remercie vivement Didier Mandelli, qui nous a soutenus depuis le début dans cette démarche, et tous mes collègues rapporteurs de la mission d'information, qui travaillent avec le même objectif de relance de la dynamique d'aménagement du territoire dans notre pays, qui, comme l'a dit Madame la présidente à l'instant, a été un peu oublié au cours des dernières années.

J'en viens au coeur de notre sujet : comment maintenir et développer le commerce de proximité dans nos zones rurales ? Nous avons pris comme objet de travail les communes de moins de 2 500 habitants, seuil que nous avons défini en référence aux unités utilisées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les constats sont bien établis depuis des années, et nous connaissons tous cette problématique du fait de nos engagements et de nos expériences. Les rapports administratifs et les diagnostics s'accumulent, mais les solutions manquent aujourd'hui pour préserver les commerces qui demeurent dans nos zones rurales et hyper-rurales et en développer de nouveaux.

Comme souvent en matière d'aménagement du territoire, nous sommes face à un paradoxe : d'un côté, le nombre global de commerces en France n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans, en termes de surfaces, de nombre de magasins et de salariés ; de l'autre, leur répartition territoriale s'est continuellement déséquilibrée, au détriment des zones rurales.

Ainsi, alors que seulement 25 % des communes de France ne disposaient d'aucun commerce en 1980, cette proportion atteint désormais 60 %. Autrement dit, près des deux tiers de nos communes n'ont plus aucun commerce aujourd'hui.

En outre, du fait de la disparition de nombreux commerces, les temps d'accès à ces services et lieux de vie n'ont fait que s'allonger pour nos concitoyens qui vivent en zone rurale, ces dernières années. Aujourd'hui, un habitant qui réside dans une commune de moins de 2 500 habitants doit parcourir, en moyenne - le mot à son importance -, environ 2,2 kilomètres pour atteindre une boulangerie, symbole du commerce rural. Un habitant d'une zone rurale peut mettre 10, 20, voire 30 minutes pour accéder à des commerces et services de base depuis son domicile, et même près d'une heure s'il veut accéder à des services de gamme dite « supérieure » - qui désignent des prestations spécifiques de santé ou encore des magasins très spécialisés.

Cette situation n'est pas satisfaisante, vous en conviendrez. À l'issue des auditions que nous avons menées, je souhaite vous faire part de trois convictions.

Premièrement, il n'y a que des avantages à préserver et à développer le commerce de proximité en zones rurales.

Dans une logique d'attractivité globale des communes rurales, le maintien et le développement des commerces de proximité permettent d'attirer de nouveaux habitants - la bascule démographique est en cours sur certains axes - et de nouvelles activités.

Dans une logique de maîtrise de notre empreinte carbone et de nos émissions de gaz à effet de serre, renforcer l'accessibilité et le maillage commercial permet d'éviter des trajets en voiture.

Enfin, dans une logique de préservation et de renforcement du pouvoir d'achat de nos concitoyens, éviter des trajets en voiture, même petits, permet de réduire en partie les dépenses de carburant. Quand on voit l'augmentation du prix de l'essence, à mettre en lien avec le fait que les habitants des zones rurales parcourent, en moyenne, 8 000 kilomètres en voiture chaque année, contre 1 000 kilomètres pour quelqu'un qui vit à Paris ou 3 000 kilomètres pour les habitants des autres grandes villes, on comprend vite que rapprocher le commerce des habitants est une mesure favorable au pouvoir d'achat, donc au bien-être économique.

Deuxième conviction : les fractures territoriales persistent, et nos territoires ruraux demeurent fragiles.

Si les inégalités de revenus entre les habitants des zones rurales sont moindres qu'ailleurs, la proportion de Français dits « pauvres » et « modestes », au sens de l'Insee, y est beaucoup plus importante. Cela permet aussi de relativiser le discours selon lequel la pauvreté se trouverait essentiellement, voire uniquement dans les grandes villes et leurs banlieues. Quand on analyse les chiffres de l'Insee, on constate que près d'un habitant sur deux des zones rurales très peu denses est en situation de fragilité.

Troisième conviction : si les initiatives portées ces dernières années sont positives pour rééquilibrer notre développement économique territorial - je pense au programme Action Coeur de Ville, qui s'adresse aux centralités de plus de 20 000 habitants, ou au programme Petites Villes de demain, qui concerne les villes de moins de 20 000 habitants -, nous pouvons et nous devons encore faire davantage. D'abord, parce que ces programmes s'intéressent non pas à l'hyper-ruralité, mais à des niveaux de centralité supérieurs. Ensuite, parce qu'il existe des solutions pragmatiques à mettre en oeuvre.

C'est tout l'objet de notre travail.

Avant de vous présenter les propositions que nous avons conçues avec Serge Babary afin, d'une part, de maintenir les commerces, et, d'autre part, de soutenir la création de nouveaux commerces en ruralité, je souhaite préciser deux points qui me paraissent très importants.

Premier point : le lien de notre sujet avec la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) et des autres zonages de soutien à l'attractivité et au développement économique des territoires ruraux.

Il va de soi que nos propositions n'ont pas vocation à se rajouter au millefeuille existant sans s'articuler avec la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité, sur laquelle notre commission a déjà beaucoup travaillé - je pense en particulier à Rémy Pointereau - et continuera de travailler les prochains mois.

Les propositions que nous formulons, notamment sur le volet fiscal, ont vocation à s'intégrer dans la grande « boîte à outils » que nous devons refonder pour soutenir l'attractivité et le développement des territoires ruraux. Par exemple, certaines des mesures fiscales que nous proposons auront des effets plus puissants dans des territoires particulièrement fragiles, qui pourraient être classés en ZRR3 selon les critères que notre commission et la commission des finances ont proposés dans le rapport d'information d'octobre 2019 sur l'avenir des ZRR, quand d'autres mesures n'auront pas forcément la même pertinence pour des communes moins fragiles, susceptibles d'être classées en ZRR1 ou ZRR2.

Second point : certaines mesures puissantes pour revitaliser nos commerces dans les zones hyper-rurales sont déjà possibles à cadre législatif et réglementaire constant.

Aussi, notre rapport invite les maires, les acteurs économiques et, bien sûr, l'État et ses opérateurs à se saisir davantage des outils existants, dont certains ont été mis en place avec le plan de relance. Je pense, par exemple, à la définition de stratégies locales pour le commerce, en lien avec les préfets qui représentent l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Je pense à l'accueil de points relais dans les commerces, à l'utilisation du droit de préemption, au fonds de restructuration des locaux d'activité ou encore à la possibilité, parfois, d'intervenir en fonds propres pour maintenir ou créer un commerce. À cet égard, le dialogue entre les communes et les intercommunalités, lorsque celles-ci disposent de la compétence de revitalisation commerciale au regard de l'intérêt communautaire (communautés de communes et communautés d'agglomération), est incontournable et doit être encouragé.

Il est essentiel, en effet, de maîtriser l'inflation législative - c'est aussi notre responsabilité de législateur - et de rappeler les mesures qui existent déjà.

J'en viens au coeur de nos propositions.

Afin de renforcer la connaissance et l'information de l'ensemble des acteurs sur la réalité du maillage commercial dans nos territoires ruraux et hyper-ruraux, nous proposons de constituer un nouvel indicateur d'accessibilité aux commerces et d'identifier les zones caractérisées par une offre insuffisante en matière de commerces et de services, sur une liste définie par arrêté ministériel. De fait, les données actuelles sont parcellaires. Ces outils permettront également de faciliter la mise en oeuvre de la réforme des ZRR et de la suivre dans le temps.

À partir de ce zonage d'identification, nous proposons la mise en place d'un nouveau programme d'actions, à la maille communale, baptisé « 400 territoires de commerce », sur le modèle d'Action Coeur de Ville ou de Petites Villes de demain. Ce programme serait défini en lien étroit avec les élus locaux et piloté par l'ANCT et ses partenaires. Nous proposons de le doter de 600 millions d'euros sur cinq ans, avec à la fois des moyens en ingénierie et des moyens d'intervention directe. Ce montant est à comparer aux 5 milliards d'euros sur cinq ans pour Action Coeur de Ville et aux 3 milliards d'euros sur trois ans pour Petites Villes de demain.

En résumé, l'objectif est de soutenir environ 2 000 projets concrets, soit environ 5 projets par territoire retenu, pour un montant moyen approximatif de 300 000 euros par projet. À l'appui de ce programme, nous proposons de déployer 400 chefs de projet dédiés.

Voilà pour les deux premiers axes, Serge Babary vous présentera nos propositions 3 et 4. Je ne m'étends pas sur la proposition 5, car j'ai déjà parlé des zones de revitalisation rurale (ZRR). Nous souhaitons rappeler, dans ce rapport d'information, la nécessité de faire aboutir rapidement la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité.

En attendant, nous proposons de porter à 70 % le taux de compensation de l'État aux collectivités territoriales, pour les mesures que celles-ci mettent en oeuvre à partir des deux nouveaux zonages créés en loi de finances pour 2020, respectivement pour la revitalisation des centres villes et pour la relativisation des commerces en zones rurales. Les exonérations que peuvent décider les collectivités s'agissant du zonage conçu pour la revitalisation des centres-villes ne sont pas compensées du tout par l'État, à la différence des exonérations que peuvent consentir les collectivités dans les zones de revitalisation des commerces en milieu rural qui, elles, sont compensées mais seulement à hauteur de 33 %. Il faut encourager les collectivités à utiliser ces dispositifs. Notre rapport invite également les commerçants à diversifier leurs sources de revenus en accueillant des points relais. Nous prévoyons également une taxation des livraisons de commerce qui serait inférieure ou nulle si le colis est retiré en point relais. L'objectif est de créer des flux pour favoriser une hausse du panier moyen de consommation.

Nos propositions visent aussi à alléger les contraintes et charges pesant sur le commerce de proximité et notamment le commerce non-sédentaire. Nous proposons de rénover les règlements de marché et d'améliorer la prise en compte des marchés dans les documents locaux d'aménagement commercial. Nous proposons également un allégement de la fiscalité portant sur les bénéfices industriels et commerciaux, ainsi que des clarifications législatives et réglementaires visant à soutenir les nombreuses initiatives locales, qui sont portées par les collectivités en lien avec le tissu associatif et les entreprises de l'économie sociale et solidaire. Il me paraît impératif de poursuivre et d'amplifier le soutien au développement de l'apprentissage pour les activités en tension - boulangers, bouchers -, afin de recréer des filières dynamiques. Voilà mes chers collègues, l'essentiel des propositions dont je souhaitais vous faire part.

M. Serge Babary, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je remercie le co-rapporteur Bruno Belin pour le travail approfondi que nous avons effectué ensemble, ainsi que les autres rapporteurs de la mission d'information qui travaillent sur des sujets divers - prévention des risques, accès aux services publics, accès aux soins, surveillance des ouvrages d'art... - et dont les rapports seront présentés prochainement. Plusieurs auditions nous ont d'ailleurs réunis tous les six.

Il me semble que nos échanges constructifs, fluides, ont permis d'aboutir à un constat largement partagé, à savoir que la ruralité dispose d'atouts importants pour réussir à maintenir et à développer le commerce, pour peu que l'État se donne les moyens de soutenir ces territoires et que des outils innovants et utiles leur soient proposés. Or c'est une évidence : si les villes moyennes font l'objet de l'attention des pouvoirs publics, les communes de moins de 2 500 habitants en zone rurale sont, dans l'ensemble, laissées pour compte, hormis bien sûr celles qui disposent de richesses particulières, comme une grande exposition au tourisme.

Vous le savez, la commission des affaires économiques a déjà longuement travaillé sur le commerce. L'angle que nos deux commissions ont choisi cette fois permet d'observer que certaines problématiques sont communes à tous les commerces, de toutes les villes, quelle que soit leur taille ; et que d'autres sont plus spécifiques au commerce de proximité en zones rurales. Nous mettrons l'accent sur ces dernières.

Comme vient de l'expliquer Bruno Belin, nous pensons utile, si ce n'est urgent, de définir certains « territoires de commerce » au sein desquels pourrait être déployée toute une palette de mesures pour enrayer la déprise commerciale. Il ne faut pas oublier, en effet, que la crise sanitaire a impacté un secteur commercial déjà fragilisé. Il l'est depuis plusieurs années, en raison à la fois des attentats de 2015 et de 2016, des violences commises en marge du mouvement des « gilets jaunes », des mouvements sociaux de fin 2019 contre la réforme des retraites, puis, bien entendu, du fait de la crise sanitaire et économique qui en a résulté. Je rappelle que les ventes du commerce de détail ont subi, sur l'année 2020 une baisse de 3 %, mais que cette diminution s'est élevée à 9,3 % pour le commerce non alimentaire en magasin - les boulangeries-pâtisseries, qui sont souvent le dernier commerce dans les communes rurales, ont enregistré une baisse de 5,4 %. Si l'année 2021 a connu un rebond important pour l'activité commerciale, la crise a creusé certaines fragilités structurelles auxquelles font face les commerçants, comme la faiblesse de la trésorerie, le poids des stocks, la faible capacité d'investissement ou le taux d'endettement.

Il est intéressant toutefois d'observer que certaines communes rurales - pas toutes - pourraient bénéficier d'un regain d'attractivité grâce au phénomène de « rurbanisation ». S'il est encore trop tôt pour véritablement conclure à une renaissance de ces territoires, on peut légitimement s'attendre à ce que le phénomène de « rurbanisation », qui voit des citadins réinvestir les zones rurales soit en y habitant de façon permanente - grâce notamment au développement du télétravail -, soit en y élisant domicile le week-end, gagne de l'ampleur dans les années à venir. Cela pourrait représenter une opportunité intéressante de revitalisation des petites communes rurales, sous réserve qu'elles ne soient pas trop éloignées des pôles urbains et qu'elles présentent les services et équipements attendus par ces néoruraux - internet haut débit, proximité d'axes de transport, notamment ferroviaires, loisirs, etc.

Toutefois, pour tirer profit de cette opportunité, et plus largement pour maintenir les commerces du quotidien dans les petites communes des zones rurales, il faudrait prendre certaines mesures pragmatiques, afin de créer un cadre attractif. À cet égard, nous formulons des propositions variées et utiles, me semble-t-il, notamment pour pérenniser les commerces existants.

L'un des sujets récurrents est, bien entendu, la transmission des entreprises pour conserver ce qui existe. Au-delà des raisons purement structurelles - absence de clientèle, baisse de la démographie, etc. -, un manque de formation des repreneurs et des moyens financiers trop limités sont souvent relevés. Or, sans transmission, donc sans dynamisme commercial, il est impossible pour les communes rurales d'attirer de nouveaux habitants. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place des incitations financières resserrées pour favoriser la reprise dans les zones rurales caractérisées par une offre insuffisante de commerces. Nous suggérons huit mesures, comme un fonds dédié à la transmission pour compléter l'apport d'un jeune aspirant commerçant, ou la possibilité pour les dirigeants de bénéficier de l'abattement portant sur la fiscalité des plus-values de cession, y compris lorsque la cession n'est pas liée à un départ à la retraite et s'effectue au bénéfice d'un salarié de l'entreprise.

Il nous paraît également essentiel de renforcer le rôle et les marges de manoeuvre des élus locaux en matière de redynamisation commerciale. L'impact d'une grande surface, alimentaire ou non, sur le commerce de centre-ville des petites communes aux alentours est, par exemple, encore trop peu étudié, alors qu'il peut être important dans le cas des communes rurales. De même, les friches commerciales restent insuffisamment voire non répertoriées, alors que certaines d'entre elles pourraient utilement accueillir des projets commerciaux envisagés en périphérie des communes. Sur un autre aspect, nous considérons que les foncières de redynamisation commerciale, si elles sont à saluer, restent encore malheureusement trop peu tournées vers la ruralité.

Afin de renforcer ce pilotage, nous envisageons neuf mesures, dont le renforcement des études d'impact présentées en commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), la mise en place d'un inventaire des friches, le retour du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac), ou le ciblage de l'action de certains établissements fonciers sur les communes de moins de 2 500 habitants.

Par ailleurs, ainsi que nous en entendons tous parler sur le terrain, l'avenir du commerce est résolument tourné vers « l'omnicanalité », qui permet de mêler les avantages du commerce physique et du commerce en ligne ; c'est encore plus fondamental pour les commerces de zones rurales, dont la zone de chalandise est étroite et les flux de clientèle plutôt faibles. Nous avions étudié en détail ce sujet, qui a donné lieu, l'an dernier, à un rapport de la commission sur les nouvelles formes du commerce. Bien entendu, la crise a accentué ce phénomène et a rendu d'autant plus urgente la levée des obstacles qui freinent encore la transition numérique. Le fait de servir de point relais sera une source de croissance importante pour ces commerces, d'autant qu'une part importante des consommateurs - trois sur dix - fréquentent ensuite le magasin pour y faire d'autres achats.

Dans cette optique, nous proposons trois mesures clés, comme un suramortissement pour les dépenses d'investissement dans les équipements numériques ou un crédit d'impôt pour les dépenses de formation. À l'instar des autres propositions, elles n'ont pas forcément vocation à être mises en oeuvre simultanément, mais ces pistes constituent une boîte à outils dans laquelle le législateur ou le Gouvernement pourra piocher. Il y a urgence !

Enfin, il ne saurait être discuté de commerce physique sans aborder le sujet de l'équité entre les différentes formes de commerce. En matière fiscale et réglementaire, ces dernières ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Le commerce physique s'acquitte, par exemple, d'une importante fiscalité au titre du foncier qu'il utilise, défi que n'a pas à relever le commerce en ligne. Les débats se cristallisent notamment autour de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), source d'inégalités marquées entre types de commerce, et au sein même du commerce physique. Rappelons, du reste, que son produit est passé de 600 millions d'euros à 1 milliard d'euros en quelques années seulement...

Le sentiment de « deux poids, deux mesures » se fait aussi ressentir en matière de réglementation. À cet égard, s'il ne paraît pas utile de soumettre les entrepôts logistiques à une autorisation d'exploitation commerciale, puisqu'ils ont par définition une zone de chalandise immense, il nous paraît important de réfléchir à une meilleure information des élus locaux lorsqu'un tel entrepôt s'apprête à sortir de terre.

Dans la droite ligne du rapport de l'an dernier, nous vous proposons de supprimer la Tascom et de compenser la perte de recettes à hauteur de 60 % par une nouvelle dotation spécifique à destination du bloc communal. Il nous paraît également essentiel que le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) soit informé des effets potentiels d'un projet d'entrepôt sur les flux commerciaux du territoire.

Telles sont les différentes pistes que nous esquissons pour que les pouvoirs publics soient véritablement, enfin, au chevet des territoires ruraux en matière commerciale.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci aux rapporteurs. Le sujet du développement des territoires ruraux est d'une importance majeure et vos propositions vont dans le bon sens.

Préserver le commerce existant suppose, au préalable, de développer l'apprentissage, ce qui implique de valoriser les métiers concernés. Le retour du Fisac me semble relever de l'évidence, à condition de le simplifier.

Le ou la candidat(e) à l'élection présidentielle qui sera élu(e) en avril prochain devrait trouver dans ce rapport tous les moyens et idées nécessaires pour agir en faveur de nos communes les plus fragilisées. J'espère que cet excellent travail trouvera une issue favorable à la mesure du travail réalisé et des enjeux sous-jacents ; c'est la clé des services rendus à la population et l'avenir de nos territoires ruraux.

M. Laurent Duplomb. - Je salue le travail qui a été réalisé.

Au lieu d'ajouter de nouvelles contraintes à la CDAC, ne devrait-on pas s'interroger sur les bienfaits d'une telle démarche ? À force de sujétions, l'improductivité et l'inaction guettent notre pays... De plus, j'en ai vraiment assez qu'une commission nationale, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), nous explique ce qui est bon ou pas pour nos territoires ! En dépit d'un avis favorable de la CDAC, la CNAC a récemment émis un avis défavorable à l'installation d'un commerce dans une commune de Haute-Loire, pour ne pas porter préjudice aux concurrents situés dans le département limitrophe de la Loire. Il faudrait laisser plus de marge à la CDAC. Libérons-nous du joug jacobin !

M. Serge Babary, rapporteur. - Il faut souligner que l'influence d'une installation commerciale ne s'arrête pas aux limites géographiques d'un département. L'instance compétente doit prendre en considération tous les effets qui en résultent, notamment pour le territoire limitrophe, même s'il s'agit d'un autre département. Or les CDAC n'utilisaient pas assez les études d'impact, souvent incomplètes, figurant dans le dossier. Une telle appréciation ne remettrait d'ailleurs aucunement en cause l'autonomie ou la bonne volonté des uns et des autres.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je ne polémiquerai pas non plus sur la CDAC et la CNAC, mais j'ai mon avis sur la question, en particulier sur la représentation au sein de la CNAC d'un certain nombre de politiques qui n'ont rien à voir avec le commerce local et sont souvent aux ordres de ceux qui les emploient, et inversement. Sur ce domaine, je suis assez preneuse de schémas d'aménagement commerciaux dans les intercommunalités, afin d'organiser l'accès de nos concitoyens au commerce de proximité ou autre. Nous pouvons aussi penser la logistique, qui sera l'enjeu du commerce dans les quinze ou vingt prochaines années.

Je remercie les rapporteurs de leur travail, qui recoupe des recommandations plus globales sur le commerce, dont sa transformation numérique en zones rurales. Je pense aussi à la Tascom et à la disparition du Fisac. Des dispositifs comme Action Coeur de Ville ou Petites Villes de demain ne concernent qu'un tout petit nombre de communes et sont des appels à manifestation d'intérêt. Ces programmes sont positifs, mais laissent de côté une grande partie de notre ruralité. La disparition du Fisac serait très préjudiciable à ce commerce d'ultra-proximité et d'ultra-ruralité. Vos recommandations à cet égard sont très intéressantes.

Enfin, je vous remercie d'avoir pensé au commerce ambulant et non-sédentaire - marchés et forains -, important pour toutes nos zones rurales.

Nous aurions vraiment aimé disposer des conclusions des Assises du commerce avant la fin du quinquennat, eu égard à l'important travail organisé par le Gouvernement en la matière. Au demeurant, je me réjouis que notre assemblée ait déjà une stratégie et formule ses propres recommandations.

M. Jean-François Longeot, président. - J'adresse aux rapporteurs mes plus vifs remerciements pour leur travail de longue haleine et leurs propositions, au-delà des simples constats sur les dysfonctionnements. En ma qualité de président de la commission de l'aménagement du territoire, je pense qu'il est urgent de redonner à chacun des territoires le souci d'assumer sa spécificité et d'assurer son propre développement, pour le bien-être de ses concitoyens.

M. Fabien Genet. - Je m'associe aux compliments adressés aux rapporteurs. Néanmoins, une proposition a retenu mon attention : celle qui vise à faire disparaître la Tascom et à la compenser à hauteur de 60 %. Pour ma communauté de communes du Grand Charolais, cela représente une recette fiscale très importante, à hauteur de 500 000 euros. Je n'ai pas l'habitude d'entendre notre assemblée proposer des réductions de recettes des collectivités locales assorties de compensations à 60 %. Est-ce un bon signal à envoyer au regard de ce qui nous attend dans les mois à venir ?

M. Serge Babary, rapporteur. - La Tascom est unanimement dénoncée par le monde du commerce. Elle est injuste, et son mode de calcul surréaliste se révèle incompréhensible. Pourquoi une compensation à 60 % ? Parce que sur un milliard d'euros de rendement budgétaire de la taxe, les collectivités en perçoivent à peu près ce ratio, le reste étant reversé à l'État. Mais je comprends que la formulation retenue peut entraîner une forme de confusion sur notre intention, et nous allons clarifier l'objectif, qui est bien que la suppression de la Tascom s'accompagne d'une compensation intégrale pour les collectivités, à hauteur de la part qu'elles percevaient.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Je comprends la remarque de notre collègue Fabien Genet mais cet acronyme de fiscalité fait l'unanimité contre lui dans le secteur du commerce et pose un problème d'équité par rapport aux nouvelles formes de commerces.

Notre ambition était d'élaborer un rapport de propositions : notre but est d'être incitatifs et de proposer une dynamique, qui permettra de soutenir globalement le maintien et la création de commerces dans nos territoires. La compensation à 100 % que nous proposons pour les collectivités et les nouvelles mesures que nous mettons sur la table, notamment le programme « 400 territoires de commerce », redonneront des marges de manoeuvre localement. Enfin, je souscris à ce que vient de dire mon collègue rapporteur Serge Babary et nous clarifierons la rédaction. Par ailleurs, le sujet de la re-création du Fisac s'est invité à toutes les auditions. Beaucoup d'acteurs entendus ont également critiqué des pesanteurs dans les relations avec les architectes des bâtiments de France (ABF). Si nous ne cessons de défendre le patrimoine, cela va de soi, nous devons relayer les craintes qui se sont exprimées.

M. Serge Babary, rapporteur. - Les pesanteurs varient selon les ABF qui rendent leur avis.

M. Jean-Claude Anglars. - Je salue le travail remarquable des rapporteurs, et les remercie d'avoir ajouté la notion de « nouvelle géographie prioritaire de la ruralité », très importante pour les politiques publiques. La renaissance rurale est une réalité oubliée, qui devra également être prise en compte.

M. Jean-Michel Houllegatte. - À mon tour de m'associer aux félicitations et aux remerciements sur ce travail d'investigation concernant un sujet primordial : la vitalité de nos petites communes rurales, qui repose sur le dernier commerce.

À ce propos, je rends hommage à tous les maires qui se battent pour le maintien de celui-ci en milieu rural et sont souvent confrontés au rachat des locaux. À l'instar de l'éducation prioritaire, qui a été étendue aux zones rurales, un outil fonctionne bien pour la politique de la ville : l'Établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), repris par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Dans les 400 territoires pilotés par l'ANCT dont vous proposez la mise en place, un portage foncier effectué par l'Epareca pourrait-il soulager les maires ? Ceux-ci sont parfois découragés par les nouveaux investissements à réaliser.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Les établissements publics fonciers (EPF) fonctionnent bien, mais on nous a souvent fait remarquer que les délais de remboursement des sommes qu'ils ont avancées pour aider à l'achat de biens immobiliers étaient trop courts pour les communes, surtout les plus rurales : il faut rembourser dès la cinquième année, alors qu'il faut parfois quatre ans pour monter un projet, le sortir de terre, le faire vivre. S'agissant de l'Epareca, ses missions et compétences ayant été reprises par l'ANCT depuis la loi de 2019, c'est désormais cet opérateur qui peut intervenir directement. Il faut orienter davantage les compétences de l'ANCT, ex-Epareca, en matière de restructuration des commerces vers les territoires ruraux.

M. Laurent Somon. - Le rapport répond à une préoccupation majeure de tous les maires des petites communes rurales, qui voient non seulement les commerces disparaître, mais aussi leur population diminuer.

Tous les textes du Gouvernement ont conduit à rendre la construction en milieu rural impossible. Les derniers ne feront qu'amplifier cette tendance...

Qui va reprendre les commerces s'il n'y a pas de clientèle ? Il faut, bien sûr, favoriser la reprise des commerces en milieu rural avant que le dernier d'entre eux soit menacé, mais, pour conserver des activités en milieu rural, il faut qu'il y ait suffisamment de population. L'enjeu est aussi démographique.

Il faut favoriser la construction pour que l'on puisse, demain, maintenir les commerces, mais, dans le même temps, il ne faut plus consommer de terres agricoles. L'urbanisme en milieu rural est très contraint. Dans la Somme, pas une semaine ne s'écoule sans que des maires reçoivent des certificats d'urbanisme (CU) négatifs. À Braches, près de Moreuil, pour cinq CU demandés dans l'année, il y a eu cinq refus : la dent creuse est toujours soit trop grande, soit trop petite, soit trop profonde...

M. Jean-François Longeot, président. - Hélas, le problème n'existe pas que dans la Somme !

Mme Angèle Préville. - La configuration est exactement la même dans mon département du Lot : beaucoup de communes peu peuplées et très peu dotées en commerces. Le département, très rural, comporte 170 000 habitants, mais Cahors en ayant 20 000 et Figeac 10 000, les 310 communes comptent, en moyenne, 450 habitants.

La semaine dernière, je me suis rendue dans une commune où seulement cinq constructions seront possibles dans les dix ans à venir. Et ce n'est pas la seule dans cette situation ! Ces communes ne pourront absolument pas se développer dans la prochaine décennie. Or la dynamique de l'économie ne se décide pas en haut lieu ni même au niveau d'une communauté de communes : elle se crée autour des entrepreneurs qui s'installent quelque part et qui font prospérer leur entreprise. Ce problème devrait davantage être mis en avant. La non-artificialisation des terres est évidemment très importante, mais on est en train de condamner l'avenir de beaucoup de communes.

Dans certaines communes de mon département, où l'on ne recense guère plus que 100, 200 ou 300 habitants, des bâtiments vont être transformés en résidences principales. La dynamique qui devrait se créer va être complètement freinée.

M. Jean-Marc Boyer. - Merci du travail qui a été réalisé. Bien souvent, dans nos petits bourgs, les investissements en faveur du petit commerce ne manquent pas. La réussite tient, pour l'essentiel, à la fibre commerciale de ceux qui tiennent les boutiques.

Avec mes collègues Daniel Laurent et Anne Ventalon, j'ai déposé une proposition de loi visant à « redonner aux maires la maîtrise de leur développement » - nous espérons qu'elle sera examinée à l'automne.

Les propositions qu'elle contient visent à redonner de l'autonomie aux maires. Elles sont multiples : permettre aux maires de s'opposer à la diminution de leurs droits à construire ; ouvrir la possibilité de majorer de plus de 20 % les possibilités de construction aux communes, et non aux seuls EPCI ; empêcher tout transfert intempestif de la compétence relative au plan local d'urbanisme (PLU) des communes vers les intercommunalités ; permettre aux communes et aux EPCI de donner leur propre définition des hameaux, les refus se fondant bien souvent sur l'absence de continuité du bâti - il suffit qu'un chemin traverse une parcelle pour justifier un refus ; redonner à la commission de conciliation un pouvoir d'arbitrage ; rééquilibrer les rapports entre l'administration et les élus ; simplifier les règlements départementaux de sécurité contre l'incendie, qui freinent bien souvent les autorisations de construction dans les villages un peu reculés ; renforcer le droit de préemption des communes ; autoriser les constructions nécessaires à l'équilibre économique des exploitations agricoles - nous proposons une plus grande souplesse et une suppression des avis conformes de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). En ce qui me concerne, je supprimerais même la CDPENAF...

M. Jean-François Longeot, président. - Quand j'étais président de la commission spéciale sur le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), j'ai proposé la suppression de la CDPENAF. Je peux vous dire que cela a été ma fête dans mon département... Les agriculteurs étaient très mécontents.

Cependant, quelle est l'utilité d'un avis de la CDPENAF sur une construction qui relève d'un document d'urbanisme de la collectivité ? Il faut vraiment se poser la question. Je partage votre point de vue, mais il est plus simple de compliquer que de simplifier...

Mme Sophie Primas, présidente. - On pourrait encore débattre de la CDPENAF. Je sens bien qu'il n'y a pas ici d'unanimité à son sujet...

Mes chers collègues, permettez-moi d'attirer votre attention sur un point, que j'ai déjà évoqué lors de la réunion de mon groupe politique de ce matin, concernant le zéro artificialisation nette (ZAN), dont nous avons longuement débattu lors de l'examen de la loi Climat et résilience. Nous comprenons bien l'objectif, qui est la préservation des terres agricoles, mais nous nous sommes battus pour que cet objectif soit un minimum territorialisé ; nous en avons d'ailleurs fait une condition de l'accord en commission mixte paritaire (CMP). Nous n'avons en définitive pas été très exigeants : nous avons proposé que cette territorialisation se fasse au niveau des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).

Or les projets de décrets d'application relatifs au ZAN, pour lesquels la concertation est entrée dans sa phase finale, sont contraires à l'esprit de la loi - nous avons publié un communiqué de presse hier pour le dénoncer. Nous ne nous laisserons pas faire sur cette question. C'est la vision de la gouvernance de la France qui est en jeu. Nous devons, tous groupes politiques confondus, au nom du respect du Parlement et de la décentralisation, peser sur ces projets de décrets avant qu'ils ne soient publiés.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous allons mettre aux voix les recommandations de nos rapporteurs ainsi que l'autorisation de publier le rapport.

Les deux commissions adoptent, à l'unanimité, les propositions des rapporteurs et autorisent la publication du rapport d'information sur le volet « attractivité commerciale en zones rurales » de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.

La réunion est close à 16 h 25.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Mission d'information sur la réforme du marché carbone européen - Paquet « Ajustement à l'objectif 55  » - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner le rapport d'information relatif à la réforme du marché carbone européen.

Ce rapport s'inscrit dans la continuité de la proposition de résolution européenne portant sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », adoptée au début de ce mois par la commission des affaires européennes et qui fait suite à un travail approfondi des trois commissions concernées, dont la nôtre. Pour rappel, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » rassemble douze textes, règlements et directives, visant à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Le rapport d'information que nous allons examiner s'intéresse spécifiquement à l'un de ses volets : le marché carbone européen, dont la réforme, pour le moins technique, est complétée par la mise en place de deux outils de protection : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et le Fonds social pour le climat.

Je souligne que les orientations et les propositions du rapport qui vont vous être exposées par nos deux rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé, sont parfaitement cohérentes avec le contenu de la proposition de résolution européenne, en voie de devenir résolution du Sénat d'ici à quelques semaines.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Le rapport d'information que nous vous présentons cet après-midi développe les orientations de la proposition de résolution européenne sur l'un des volets du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : la réforme du marché carbone européen et les projets associés de mises en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et d'un fonds social pour le climat.

La grande majorité des recommandations que nous proposons dans ce rapport
- 10 sur 14 - sont explicitement inscrites dans la proposition de résolution européenne. Les autres recommandations sont totalement cohérentes avec le texte adopté il y a quelques jours.

Je commencerai par les éléments relatifs à la réforme du marché carbone existant.

Pour rappel, afin de réduire d'ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à leur niveau de 1990, la Commission européenne propose une réduction des émissions des secteurs relevant du marché carbone européen - l'énergie, l'industrie et le transport aérien - à l'horizon 2030 de 61 % par rapport aux niveaux de 2005, soit une augmentation de 18 points par rapport à l'objectif précédemment assigné à ces secteurs. La révision de la directive vise à ajuster les paramètres du marché carbone européen à ce nouvel objectif, en prévoyant une réduction accélérée du nombre de quotas mis en circulation, en ciblant mieux les quotas distribués à titre gratuit, tout en renforçant les règles de la réserve de stabilité de marché pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques quant à l'évolution du prix de la tonne de CO2 et en accroissant les moyens du fonds d'innovation pour financer le développement des technologies innovantes. Il est par ailleurs prévu une extension du marché carbone au transport maritime.

Comme nous l'avons rappelé dans la proposition de résolution européenne, nous accueillons favorablement les grands axes de ce projet, nécessaires à l'atteinte des objectifs climatiques de l'Union européenne.

Nous souhaitons toutefois que la proposition de la Commission européenne soit complétée par un outil pour donner plus de visibilité aux acteurs économiques sur l'évolution du prix du CO2, dans un contexte marqué par une envolée des prix de l'énergie. Nous proposons donc de renforcer les outils de stabilisation du coût du carbone sur le marché par l'instauration d'un corridor de prix ou la possibilité de prélever des quotas de la réserve de stabilité en cas d'augmentation importante du prix moyen d'allocation.

Par ailleurs, nous nous félicitons des propositions de réforme du marché concernant les transports aérien et maritime, mais nous aimerions renforcer l'ambition du texte à plusieurs égards.

Tout d'abord, dans le transport maritime, nous appelons à faire de l'intégration partielle des émissions des trajets internationaux au marché carbone un levier de négociation en vue d'aboutir à une régulation ambitieuse sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI).

Dans le transport aérien, nous souhaitons que la fixation de prix planchers sur les billets d'avion soit permise afin de lutter contre le dumping social et environnemental de certaines compagnies et d'accélérer le report modal vers le train, conformément à la volonté législative exprimée dans la loi « Climat et résilience » à l'initiative de notre commission.

Autre proposition : il nous semble important d'étudier l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone dans le transport aérien. Les études actuelles sont relativement rassurantes : en l'état, le paquet proposé par la Commission européenne ne devrait pas conduire à un affaiblissement des hubs de l'Union européenne aux dépens des hubs orientaux d'Istanbul ou de Dubaï. Dans l'éventualité où ces risques de fuites viendraient à se réaliser à l'avenir, nous estimons que des mesures de protection adéquates et proportionnées, s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, pourraient être mobilisées.

De surcroît, nous constatons que les mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » n'offriront un cadre de régulation que pour les émissions des vols européens, notamment puisque la fin de quotas gratuits au titre du marché carbone d'ici 2027, proposée par la Commission européenne, contribuera à une tarification du carbone pour les seuls vols intra-Union européenne. Les trajets internationaux, en dehors du marché carbone, ne seront couverts que par le mécanisme Corsia, particulièrement peu ambitieux car les compagnies aériennes des États participants ne seront contraintes d'acheter des crédits de compensation carbone que pour les émissions supérieures au niveau enregistré en 2019. Corsia ne commencera donc à être opérant et porteur d'effets qu'à la date où le trafic aura retrouvé son niveau d'avant la crise sanitaire, au mieux en 2024. Par ailleurs, le prix des crédits de compensation associés au Corsia devrait être particulièrement faible, en tout état de cause inférieur aux prix désormais pratiqués. Nous appelons donc à renforcer la régulation environnementale des trajets aériens internationaux pour compléter le mécanisme Corsia, particulièrement peu ambitieux et, pour l'heure, inopérant.

Enfin, si la commission estime très positif que les recettes du marché carbone soient plus largement orientées vers le financement de la transition climatique, elle regrette que la question du financement demeure l'un des grands angles morts du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », et formule deux propositions structurantes à cet égard : élaborer une stratégie européenne globale de financement à la hauteur des besoins et envisager, le cas échéant, le regroupement des différents fonds qui contribuent à l'atteinte des objectifs climatiques du continent ; adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance pour encourager les États membres à mobiliser les moyens budgétaires en direction de la décarbonation de l'économie européenne.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. - J'en viens à la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, idée portée par la France, particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années. Le mécanisme doit permettre l'instauration d'un prix du CO2 applicable à certains importateurs et aligné sur les prix du marché du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE). Il est conçu comme une alternative à l'allocation de quotas gratuits en tant qu'outil de lutte contre les risques de fuites de carbone.

Nous formons le voeu que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation, et permette l'extinction progressive des quotas gratuits sur le marché carbone européen, sans induire de risques de fuites de carbone.

Notre appréciation de la proposition de la Commission européenne est globalement favorable, même si nous estimons qu'elle pourrait être complétée pour mieux atteindre sa cible environnementale, industrielle et diplomatique.

Tout d'abord, nous sommes très réservés sur le calendrier envisagé. En l'état, le mécanisme n'entrerait en vigueur qu'en 2026, et l'extinction totale des quotas n'interviendrait pas avant 2036, après une réduction annuelle du nombre de quotas de 10 %.

Il y a là un paradoxe : l'une des mesures principales d'un paquet qui se fixe pour horizon la fin de la décennie produira la majorité de ses effets dans la décennie suivante ! En étalant à ce point l'entrée en vigueur du MACF, la Commission européenne prend en effet le risque de reporter une part importante du verdissement des industries européennes sur la décennie suivante. L'enjeu n'est pas seulement climatique. Il est également industriel : retarder l'effort demandé aux installations du continent n'est pas rendre service à l'industrie européenne, la construction des filières innovantes rendue inévitable par la contrainte climatique nécessitant une réorientation massive des capitaux et des investissements. C'est pourquoi, compte tenu des enjeux climatiques et industriels, nous proposons d'avancer l'extinction totale des quotas gratuits à 2030, au lieu de 2036.

Par ailleurs, nous estimons que des produits de base supplémentaires pourraient être intégrés au mécanisme d'ici 2026, à condition d'être en mesure de calculer l'intensité carbone de ces importations.

De plus, nous constatons que les entreprises exportatrices européennes pourraient souffrir, en l'état du dispositif, d'une perte de compétitivité, en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits. Nous appelons donc la Commission européenne à étudier l'opportunité d'une extension du mécanisme, d'ici 2026, à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone. De plus, la proposition de la Commission européenne ne tient pas compte - pour l'heure - des émissions indirectes des produits couverts, c'est-à-dire celles qui sont issues de la production d'électricité nécessaire à leur fabrication. Ces émissions pourraient être intégrées dans le périmètre du mécanisme, pour garantir une véritable égalité de traitement entre les industries européennes et étrangères.

Enfin, nous estimons nécessaire de faire du mécanisme un levier de la diplomatie climatique européenne. Nous formulons, à cet égard, deux propositions.

La première vise à utiliser la période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme pour rapprocher, voire lier le marché carbone européen à d'autres systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents. Ces pays seraient alors exonérés de taxation carbone sur leurs exportations vers l'Union européenne. Par ce biais, nous pouvons inciter les pays tiers à mettre en place des outils de tarification du carbone proches de ceux qui ont été développés dans l'Union européenne.

Nous demandons par ailleurs de mobiliser l'intégralité des recettes du mécanisme pour accompagner les pays les moins avancés et les pays voisins de l'Union européenne affectés par sa mise en place, par exemple sous la forme des contrats de partenariat climatique, sur le modèle de l'accord conclu pendant la COP 26 avec l'Afrique du Sud. L'objectif est de préserver des relations essentielles à l'avancée des négociations climatiques et de faire en sorte que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne soit pas perçu par les pays en développement comme un repli protectionniste de l'Union européenne.

Il nous reste enfin à aborder l'épineux sujet du projet de marché carbone dans les secteurs du bâtiment et du transport routier.

Nous avons constaté que la création de ce nouveau marché carbone suscite de fortes inquiétudes, partagées par un large panel d'instances auditionnées, acteurs économiques comme organisations non gouvernementales. Les craintes sont multiples. La première a trait au risque social : le signal-prix pourrait pénaliser à court terme les classes moyennes et populaires, sans que les solutions bas-carbone puissent être mobilisées assez rapidement pour le contrebalancer. Il y a par ailleurs une incertitude sur le bénéfice environnemental du dispositif : le prix du CO2 devrait atteindre des niveaux trop élevés pour qu'il soit réellement efficace dès 2026, date d'entrée en vigueur envisagée du nouveau marché, et que l'on espère baisser significativement les émissions d'ici la fin de la décennie.

Cependant, nous sommes conscients du défi que représente la décarbonation des secteurs du bâtiment et du transport routier. Nous estimons donc qu'une opposition au nouveau marché carbone ne devrait pas conduire à affaiblir l'ambition climatique du paquet. C'est pourquoi nous appelons les instances européennes et la France à veiller à la cohérence climatique d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55  », en s'assurant, par exemple, que les prescriptions relatives à l'efficacité énergétique des bâtiments et aux transports soient relevées dans l'hypothèse où la proposition de création d'un marché carbone pour ces secteurs serait écartée par les États membres et par le Parlement européen.

En tout état de cause, nous estimons qu'il est nécessaire de prévoir des ajustements, des garanties et des compensations dans l'hypothèse où la proposition de création d'un marché carbone pour les secteurs du bâtiment et du transport routier viendrait à être maintenue. Une exclusion des particuliers du dispositif pourrait être envisagée ; elle devrait alors être compensée par des alternatives afin de maintenir le paquet à hauteur de l'objectif de 55 %. Ensuite, un prix plafond sur ce nouveau marché pourrait être instauré pour en renforcer la stabilité. Enfin, il semble nécessaire d'allouer des moyens supplémentaires à l'accompagnement des ménages les plus précaires en cas de maintien du dispositif pour les particuliers, compte tenu des moyens trop limités du fonds social pour le climat proposé par la Commission.

M. Jean-François Longeot, président. - Je félicite les rapporteurs du travail qu'ils ont réalisé et de leurs propositions.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je remercie les rapporteurs et me félicite que notre commission affiche une ambition. C'est extrêmement important.

Nous apportons notre marque de fabrique, en cohérence avec la proposition de résolution qui a été votée.

Au reste, l'expertise qui a ainsi été développée permet d'étudier les chemins du possible pour essayer d'améliorer encore les mesures susceptibles d'être prises au titre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. À cet égard, notre commission est tout à fait dans son rôle.

M. Jean-François Longeot, président. - En effet, les propositions traduisent bien l'ambition que nous avons.

Nous allons désormais procéder au vote sur les propositions des rapporteurs.

La commission adopte les recommandations proposées par les rapporteurs et autorise la publication du rapport de la mission d'information sur la réforme du marché carbone européen dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

M. Jean-François Longeot, président. - Je me réjouis du consensus qui se dégage.

Je rappelle enfin que la proposition de résolution européenne sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » adoptée par la commission des affaires européennes deviendra résolution du Sénat le 5 avril prochain. Je m'en félicite.

La réunion est close à 16 h 55.