Mardi 24 mai 2022

- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Mission d’information sur les perspectives de la politique d’aménagement du territoire et de cohésion territoriale - Volet « logistique urbaine durable » - Examen du rapport d’information et vote sur les propositions des rapporteurs

M. Didier Mandelli, président. – Je vous prie d’excuser l’absence de notre président, Jean-François Longeot, qui m’a chargé de présider cette réunion.

Nous nous retrouvons cet après-midi pour examiner le rapport et les propositions de nos collègues Martine Filleul et Christine Herzog sur le sujet de la logistique urbaine durable, qui est l’un des volets de la mission d’information relative à l’aménagement du territoire.

Ces travaux s’inscrivent dans le prolongement du rapport de nos collègues Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau sur l’avenir du transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, dont nous avions adopté les conclusions il y a tout juste un an, et qui nous avait permis de préparer l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, puisque plusieurs des amendements des rapporteurs, qui traduisaient leurs propositions, figurent dans le texte définitif de la loi, désormais désignée comme loi « Climat et résilience ». Je pense, par exemple, au dispositif de suramortissement pour l’achat de poids lourds peu polluants, que nous avons prolongé de 2024 à 2030, ou encore à l’obligation, pour les GPS, d’informer leurs utilisateurs des éventuelles mesures de restriction de circulation visant les poids lourds et de suggérer des itinéraires alternatifs.

S’agissant plus spécifiquement du transport de marchandises en zone urbaine, plusieurs tendances de fond semblent indiquer que la logistique urbaine va occuper une place prépondérante ces prochaines années dans nos agglomérations. Je pense, par exemple, au développement des zones à faibles émissions mobilité ou encore à la montée en puissance du e-commerce. Afin d’anticiper ce défi majeur pour nos villes, les rapporteures se sont emparées de ce sujet. Je leur laisse à présent la parole pour nous présenter les principales orientations de leur rapport.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – Nous avons le plaisir, conjointement avec ma collègue Martine Filleul, de vous présenter aujourd’hui les conclusions de notre travail sur la logistique urbaine durable, qui nous a conduites à réaliser près de vingt auditions de plus d’une quarantaine de personnes, auxquelles s’ajoute une dizaine d’auditions communes avec nos collègues rapporteurs des autres volets de la mission d’information.

D’ores et déjà, la logistique urbaine occupe une place centrale dans nos agglomérations, où elle représente environ 20 % du trafic. Elle est indispensable à la continuité de la vie de nos zones urbaines, comme l’a bien montré la crise sanitaire, et peut prendre plusieurs visages : l’expression « logistique urbaine » fait d’ailleurs autant référence à l’approvisionnement de nos commerces par les grossistes qu’aux artisans qui déplacent leur matériel dans un véhicule utilitaire léger, sans oublier l’acheminement de matériaux de construction sur les chantiers ou encore les colis envoyés aux particuliers.

Or, si la logistique est un maillon essentiel pour le bon fonctionnement des villes, elle est également source d’externalités négatives. D’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le transport de marchandises représenterait environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre en agglomération. À Paris, il génère 25 % des émissions de CO2, 35 % à 45 % des oxydes d’azote et 45 % des particules fines. À cette empreinte environnementale importante, s’ajoutent souvent des problématiques de congestion, de bruit, voire parfois de sécurité.

De plus, sous l’effet de l’urbanisation, du développement du e-commerce, mais aussi de l’augmentation à venir du nombre de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), prévue par la loi "Climat et résilience », la place de la logistique sera sans doute amenée à croître ces prochaines années.

Dans ce contexte, et pour anticiper ce défi majeur pour nos agglomérations, nous avons souhaité nous emparer de ce sujet et formuler quatre axes de propositions afin que la logistique ne soit plus vue exclusivement comme une contrainte pour nos villes et pour définir les conditions dans lesquelles cette activité, essentielle à la vie de nos agglomérations, peut s’exercer de la façon la plus efficace et la plus apaisée possible.

Je laisse à présent la parole à ma collègue Martine Filleul pour vous présenter les deux premiers axes de notre rapport.

Mme Martine Filleul, rapporteure. – Après ce propos introductif, je vous propose d’en venir au cœur du sujet : comment inciter au développement d’une logistique plus durable dans nos agglomérations ?

Je vais vous présenter deux des quatre axes du travail effectué avec ma collègue Christine Herzog : en premier lieu, renforcer la prise en compte des enjeux de logistique en milieu urbain et, en second lieu, encourager les expérimentations en matière de circulation et de stationnement des véhicules de livraison afin d’assurer un partage plus fluide de la voirie.

Au fil de nos travaux, trois obstacles au développement d’une logistique durable dans nos agglomérations sont ressortis avec force : les élus locaux ont une connaissance insuffisante des flux de marchandises qui traversent leur territoire ; le dialogue entre les acteurs de la logistique urbaine, qu’ils soient publics ou privés, est souvent très insuffisant ; et les documents de planification locale n’intègrent pas suffisamment les besoins liés à la logistique urbaine.

La connaissance des flux de marchandises constitue un préalable indispensable à l’élaboration de politiques de logistique urbaine efficaces. En effet, comment les métropoles peuvent-elles calibrer leurs investissements en matière d’infrastructures logistiques ou même évaluer l’impact du transport de marchandises sur l’environnement et la circulation, si elles ne disposent pas d’un diagnostic précis de ces flux ?

Nous plaidons, avec ma collègue Christine Herzog, pour que les agglomérations de plus de 150 000 habitants réalisent une enquête « transport de marchandises en ville » (ETMV) d’ici à 2024. Une méthodologie pour effectuer ces études existe depuis les années 1990, mais, en près de trente ans, seules quatre agglomérations – Paris, Bordeaux, Dijon et Marseille – s’en sont emparées et l’enquête la plus récente, qui concerne l’Île-de-France, date du début des années 2010. Cette situation est préoccupante et contraste avec celle de la mobilité des personnes, dont les agglomérations ont une connaissance plus fine grâce aux enquêtes sur les déplacements des ménages, conduites notamment dans le cadre des plans de mobilité et, antérieurement à 2019, des plans de déplacements urbains.

Cette carence découle en grande partie du coût de ces enquêtes pour les collectivités, qui peut atteindre 1 million d’euros. Nous préconisons, pour inciter les grandes agglomérations à réaliser des ETMV, d’instituer un système de co-financement avec l’État.

J’en viens à présent au renforcement du dialogue entre les acteurs publics et privés de la logistique urbaine à l’échelon local. Nos territoires ne se sont approprié le sujet de la logistique urbaine durable que depuis peu. Or, mettre en place une logique de travail partenarial sur cette question nécessite du temps et, surtout, de la volonté. Nous avons été surprises de constater qu’au sein même de la sphère publique le dialogue et la coordination n’étaient pas toujours au rendez-vous... Une cause est à chercher dans les enchevêtrements de compétences entre les communes et les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), qui conduisent à séparer l’organisation des mobilités, qui revient à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), de la gestion de la voirie, qui relève plutôt des pouvoirs de police du maire.

Nous proposons plusieurs pistes pour favoriser le dialogue entre les acteurs de la logistique à l’échelon local. Nous préconisons, par exemple, d’élargir au transport de marchandises le comité des partenaires institué par la loi d’orientation des mobilités (LOM) dans les AOM, qui concerne pour l’heure plutôt les mobilités de voyageurs. Il nous semble en effet important d’utiliser des structures existantes et d’articuler au mieux les dispositifs actuels pour ne pas complexifier davantage la vie des collectivités territoriales. Nous préconisons également le renouvellement du programme Interlud (Innovations territoriales et logistique urbaine durable), qui arrive à expiration fin 2022. Ce programme, piloté par l’Ademe et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), permet d’accompagner des EPCI dans l’élaboration de chartes concertées de logistique urbaine durable. Près de 50 agglomérations en ont bénéficié à ce jour. Nous proposons de poursuivre cette dynamique afin qu’elle bénéficie à un plus large nombre de territoires.

Enfin, pour ce qui concerne les politiques locales de planification, si des progrès ont été réalisés depuis la loi de 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « loi Laure », l’appropriation des enjeux de logistique urbaine nous semble devoir être encore améliorée.

La logistique urbaine peut déjà être appréhendée à différentes échelles au niveau local. À l’échelle de la région, c’est le schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) qui fixe, par exemple, des objectifs de moyen et long termes pour le développement du transport de marchandises et celui des constructions logistiques. Le Sraddet doit prendre en compte la stratégie nationale bas carbone adoptée en 2020, qui fixe des objectifs en termes de performance énergétique des véhicules et de maîtrise de la croissance de la demande de transport de marchandises. À l’échelle intercommunale, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) détermine les conditions d’implantation des constructions logistiques commerciales, pour lesquelles il doit d’ailleurs identifier des secteurs d’implantation en fonction des besoins du territoire. À l’échelle communale, enfin, le plan local d’urbanisme (PLU) est également susceptible de traiter la question de la logistique urbaine. Il peut, par exemple, imposer la réalisation d’aires de livraison. Enfin, à l’échelle de l’AOM, le plan de mobilité doit notamment déterminer l’organisation du transport de marchandises.

Pourtant, de l’avis de nombreux acteurs entendus durant nos travaux, la place de la logistique urbaine dans ces différents documents doit encore être confortée. Nous avons identifié deux angles morts. D’une part, il nous semble que le plan de mobilité pourrait comporter un diagnostic des flux de marchandises traversant l’AOM et, sur cette base, cartographier les zones logistiques ainsi que les emplacements potentiels pour les modes d’avitaillement, afin de favoriser le développement des livraisons utilisant des modes peu carbonés. Nous proposons donc d’approfondir le plan de mobilité en ce sens dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. D’autre part, considérant que la logistique est un volet essentiel de la compétitivité et de l’attractivité économique des territoires, nous proposons de compléter le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) élaboré par la région.

Enfin, nous constatons une difficulté à traduire localement les actions inscrites dans ces documents de planification en matière de logistique urbaine. Plusieurs raisons peuvent être identifiées, au premier rang desquelles une incarnation politique souvent insuffisante de ce sujet. Nous préconisons de pallier cette difficulté en suggérant la désignation, dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, d’un élu responsable de la logistique.

J’en viens à présent au deuxième axe de notre rapport : optimiser les règles régissant la circulation et le stationnement des véhicules de livraison afin d’assurer une meilleure gestion de la voirie en ville.

S’agissant des règles de circulation applicables aux véhicules de livraison, trois sujets ont retenu notre attention.

En premier lieu, certaines agglomérations conduisent des expérimentations intéressantes afin de réduire la congestion liée au transport de marchandises. En 2021, la ville de Paris a expérimenté les livraisons en horaires décalés – entre 21 heures et 7 heures du matin – dans le treizième arrondissement. Cette expérience aurait permis de réduire la congestion de 18 %. La ville de Bordeaux avait conduit une expérience similaire en 2016, qui aurait permis une baisse de 4 % des émissions de CO2. Nous souhaitons que ce type d’initiative soit encouragé, à condition bien sûr d’appliquer un cahier des charges garantissant le respect de la tranquillité des riverains – notamment grâce à l’utilisation d’équipements silencieux – et des conditions de travail des chauffeurs-livreurs.

En second lieu, de nombreux acteurs du transport de marchandises ont fait part de leurs difficultés à accomplir leurs missions face au casse-tête que constitue la réglementation sur la circulation, qui varie fortement d’une métropole à l’autre. Nous souhaitons qu’une base de données nationale soit constituée, recensant les règles applicables dans les agglomérations, afin de les mettre à disposition des transporteurs. Des travaux sont en cours à la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) ; il importe de les faire aboutir rapidement.

Enfin, la réglementation étant vaine en l’absence de contrôle effectif, nous préconisons l’accélération du déploiement de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) pour mieux détecter les véhicules non autorisés dans les ZFE-m. La LOM a permis le recours à cette technologie pour les ZFE-m dans un souci d’opérationnalité, les contrôles traditionnels étant trop lourds à mettre en œuvre à une telle échelle. Le Gouvernement annonce les premiers tests pour la LAPI pour 2023, mais de nombreux acteurs sont sceptiques quant à la possibilité de tenir ce calendrier...

Je terminerai en abordant brièvement la question du stationnement des véhicules de livraison. Nous formulons trois propositions sur ce volet : développer l’offre de places de stationnement pour ces véhicules en ville, avec un gabarit permettant de garantir leur accessibilité ; favoriser le déploiement d’applications de gestion intelligente des aires de livraison, à l’instar de l’application Parkunload, actuellement expérimentée dans le IVe arrondissement de Paris, qui permet aux chauffeurs-livreurs de réserver une aire de livraison et, ainsi, de limiter le temps de circulation ; enfin, renforcer le contrôle du stationnement des particuliers sur des aires de livraison en ouvrant la possibilité aux agglomérations d’appliquer une pénalité financière administrative en cas de stationnement illicite, sur le modèle du forfait post-stationnement applicable au stationnement payant depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam). Une telle évolution permettrait de prévenir plus efficacement le stationnement sur ces aires, car le forfait – dont le montant sera fixé par chaque agglomération pourra être rendu plus dissuasif que les amendes de deuxième classe aujourd’hui appliquées, dont le montant n’est que de 35 euros. Nous proposons, en outre, que le produit de cette pénalité soit affecté au financement des politiques de logistique urbaine.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – J’en viens à présent aux deux autres axes autour desquels s’articulent nos préconisations : accompagner la décarbonation des flottes de véhicules, d’une part, et sensibiliser les particuliers à l’impact environnemental de leurs livraisons, d’autre part.

Le troisième axe vise à accompagner le développement d’une flotte de véhicules plus propres et à soutenir le report modal vers des modes décarbonés.

À l’heure actuelle, le transport de marchandises en ville s’effectue en grande majorité au moyen soit de poids lourds, dont le poids total autorisé en charge (PTAC) est supérieur à 3,5 tonnes, soit, pour une proportion croissante, par des véhicules utilitaires légers (VUL). Or, qu’il s’agisse des poids lourds ou des VUL, une très grande majorité des flottes fonctionnent au diesel. Il convient néanmoins de distinguer deux catégories au sein de ces flux : le transport pour compte d’autrui en premier lieu, qui se caractérise par un renouvellement relativement rapide des véhicules, et le transport pour compte propre, en second lieu, où le renouvellement est plus lent, et où la durée de vie des véhicules peut fréquemment dépasser dix ans.

Au total, et compte tenu de l’impact environnemental de ces flottes, le mouvement de verdissement des flottes utilisées pour la logistique urbaine doit être amplifié pour atteindre nos objectifs de décarbonation du secteur des transports routiers, adoptés dans la LOM. Pour rappel, la LOM fixe un objectif de décarbonation complète du secteur d’ici à 2050, et des objectifs intermédiaires, tels que la fin de vente de véhicules lourds utilisant majoritairement des énergies fossiles à l’horizon de 2040.

Or plusieurs acteurs nous ont indiqué que la décarbonation des flottes se heurtait à certains obstacles. D’abord, les technologies les plus sobres en émissions, et plus particulièrement les motorisations électriques et à hydrogène, ne sont pas toutes matures pour toutes les silhouettes de véhicules, notamment les plus lourds. Sur ce premier point, nous préconisons de définir au plus vite une feuille de route relative à la transition énergétique du secteur, qui fixerait des objectifs intermédiaires de renouvellement des flottes et d’installation de bornes d’avitaillement en énergies alternatives. Un travail a été engagé par le Gouvernement sur ce sujet depuis la fin de l’année 2020 dont il nous tarde d’avoir le résultat.

Ensuite, pour les véhicules à motorisations alternatives disponibles, on constate plusieurs difficultés pratiques, qui peuvent constituer des freins au verdissement du parc : le temps de recharge, l’autonomie limitée ou encore le poids des batteries, pour ce qui concerne les véhicules électriques, mais aussi le coût à l’acquisition, bien plus élevé que celui d’un véhicule thermique, pour ce qui est de l’électrique ou de l’hydrogène.

Enfin, les délais de commande de véhicules à motorisations alternatives sont, à ce jour, particulièrement longs et peuvent atteindre vingt-quatre mois.

Dans ce contexte, plusieurs dispositifs d’aides ont été mis en place pour soutenir l’achat de véhicules de transport de marchandises peu polluants, à l’image du bonus écologique ou du suramortissement. Tout récemment, le ministre des transports a annoncé la création d’un appel à projets doté de 65 millions d’euros, pour réduire le surcoût lié à l’achat d’un véhicule électrique et accompagner l’installation de bornes de recharge dédiées. Si nous saluons cette initiative, il faut préciser qu’un tel montant ne pourra financer l’acquisition que de quelques centaines de poids lourds propres, alors que le parc français compte 600 000 camions. Nous considérons que le soutien à l’acquisition de véhicules propres doit être amplifié, par le déploiement d’aides dont le phasage repose sur les perspectives de disponibilité de l’offre. En parallèle, il est nécessaire de favoriser le déploiement de bornes de recharge électriques, notamment privatives, puisqu’en l’état actuel 90 % à 95 % des véhicules de transport de marchandises sont chargés la nuit, au dépôt.

Concomitamment, il est indispensable de favoriser le développement des modes peu polluants, plus particulièrement du transport fluvial et de la cyclologistique, qui répondent à des segments de marché bien distincts.

S’agissant du transport fluvial, je laisse la parole à ma collègue Martine Filleul, qui souhaitait intervenir sur ce sujet.

Mme Martine Filleul, rapporteure. – Si la part modale du transport fluvial peine à dépasser 2 % ou 3 %, ce mode présente de nombreux atouts : en plus d’être fiable, sa capacité d’emport est importante et il est en mesure, le plus souvent, de desservir le cœur des villes. Pour autant, il se caractérise par des ruptures de charges coûteuses qui altèrent sa compétitivité. Nous proposons donc plusieurs mesures pour lever les obstacles à son développement, notamment en rendant obligatoire l’élaboration d’un schéma de desserte fluviale par les agglomérations de plus de 150 000 habitants, mais également en donnant à Voies navigables de France (VNF) les moyens d’acquérir du foncier et d’aménager des terrains en bord à voie d’eau.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – Concernant la cyclologistique, nous constatons qu’il s’agit d’un levier prometteur en matière de décarbonation du transport de marchandises en agglomération, pour certaines marchandises uniquement, compte tenu de la capacité d’emport limitée d’un vélo cargo. Pour soutenir le déploiement de ce mode, nous proposons de faciliter l’achat de vélos cargos affectés au transport de marchandises en clarifiant la doctrine fiscale relative à la déductibilité de la TVA.

J’en viens enfin au quatrième et dernier axe de notre rapport, qui a pour objet de rendre les livraisons de marchandises aux particuliers plus écologiquement responsables.

Ces dernières constituent une part croissante du transport de marchandises en ville, du fait de l’essor du commerce en ligne, que la crise sanitaire a d’ailleurs amplifié. Si le e-commerce permet d’éviter certaines émissions liées aux kilomètres parcourus en voiture individuelle pour effectuer des achats en magasin, il a un impact non négligeable sur le trafic de marchandises en ville et, en conséquence, sur la qualité de l’air.

Ainsi, et dans le prolongement des travaux de Nicole Bonnefoy et de Rémy Pointereau sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, plusieurs de nos propositions visent à mieux informer les consommateurs de l’impact environnemental de leurs livraisons.

D’ailleurs, et en cohérence avec les travaux de nos collègues, il nous semble nécessaire de rétablir un principe de vérité des prix sur les livraisons aux particuliers, en interdisant la mention « livraison gratuite », qui dévalorise l’acte de livraison ainsi que les coûts et externalités qui y sont associés.

En parallèle, nous nous associons à la proposition formulée par nos collègues l’année dernière et préconisons d’informer le consommateur sur l’impact environnemental de sa livraison, afin de l’inciter à moduler son choix. Bien entendu, nous avons conscience que cet impact peut s’avérer difficile à estimer en amont puisque le vendeur ne dispose pas forcément, au moment où l’achat est effectué, d’informations pourtant déterminantes pour établir le bilan carbone final de la livraison, comme le type de véhicule qui sera utilisé. Cette information pourrait donc être fournie a posteriori. Elle pourrait également être délivrée en cas de retour de colis.

Enfin, nous sommes favorables au développement de solutions innovantes visant à mutualiser et à optimiser les flux, ainsi qu’à réduire les échecs de livraison. Je pense, par exemple, au développement de points relais ou de boîtes de logistique urbaine. Pour mettre en valeur ces initiatives et encourager la massification des livraisons, il nous semble pertinent de créer un label « logistique durable ».

M. Didier Mandelli, président. – Depuis notre dernière réunion, un nouveau Gouvernement a été nommé, ce qui modifie la gouvernance des sujets concernant notre commission – nous avions, en effet, l’habitude de travailler avec le secrétaire d’État aux transports. En particulier, certaines thématiques transversales sont directement rattachées à la Première ministre. Il y aura peut-être d’autres changements après les élections législatives… Comme Christophe Béchu a été nommé ministre, il faudra nommer un nouveau président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Nous devrons donc organiser une audition selon les termes de l’article 13 de la Constitution.

M. Jacques Fernique. – Merci pour ce rapport. Il faut, en effet, intégrer la problématique de la logistique urbaine dans les documents d’urbanisme, notamment du point de vue des disponibilités foncières. Vous avez évoqué le programme Interlud, qui doit nécessairement évoluer pour aller vers davantage de concrétisation : il ne faut pas en rester à la sensibilisation des acteurs. C’est une bonne idée que de désigner dans chaque grande agglomération un élu référent pour la logistique urbaine. La proposition n° 11 me paraît particulièrement intéressante : les espaces propices à la desserte fluviale doivent être sanctuarisés, car ils ont tendance à se restreindre. Il manque toutefois une proposition sur le fret ferroviaire, qui aurait besoin d’un ancrage territorial, et pour lequel nous devons encourager les entreprises à la mutualisation.

M. Bruno Belin. – Qui est en charge des transports dans le nouveau Gouvernement ?

M. Didier Mandelli, président. – Amélie de Montchalin.

M. Bruno Belin. – Quels sont les leviers de développement du transport fluvial ?

M. Gilbert Favreau. – À Bordeaux, par exemple, la circulation est infernale le matin : le choix qu’a fait notre commission de travailler sur cette question est donc très judicieux. Je signale qu’un carrossier de mon département a inventé une solution pour le dernier kilomètre.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – De quoi s’agit-il ?

M. Gilbert Favreau. – D’un petit tracteur électrique intégré dans la carrosserie.

M. Jean-Michel Houllegatte. – Avez-vous cerné les grandes tendances en matière de transport de marchandises ? Y a-t-il une augmentation prévisible des flux dans la décennie à venir ? Après l’engouement pour les drives, on voit se multiplier les dark stores, mais certains comportements sont désormais dénoncés. Vos propositions restent modérées et s’en tiennent à l’information des consommateurs. Ne faudrait-il pas un système plus coercitif, qui contraigne ces derniers à se rendre dans des points relais ? À Paris, le matin, les couloirs de bus sont complètement embolisés par les véhicules de livraison, ce qui réduit fortement leur intérêt…

Mme Martine Filleul, rapporteure. – Le programme Interlud arrive à échéance à la fin de 2022. Promu à la fois par le Cerema et par l’Ademe, dite « Agence de la transition écologique », il a rencontré un franc succès. Très apprécié des participants, il a permis en effet de sensibiliser cinquante intercommunalités à la question de la logistique urbaine durable et doit aboutir à la production de chartes concertées.

Toutefois, ces chartes sont parfois perçues comme incantatoires et nous souhaitons, dans le même esprit que Jacques Fernique, qu’elles soient davantage prescriptives afin d’être suivies d’effet. Nous approuvons également la proposition de doubler, dans les intercommunalités, le référent élu d’un référent technique, qui viendrait en support sur les questions de logistique urbaine durable.

En ce qui concerne ensuite le fret ferroviaire, il ressort de nos auditions que le transport par camion restera prépondérant. Le fret ferroviaire en ville pose des problèmes d’investissement et le réseau est saturé dans les grandes agglomérations, à la différence de la voie d’eau. En outre, pour l’heure, il est sans doute plus adapté au transport de vrac qu’à la livraison de marchandises en petites quantités.

Quant au transport fluvial, il finira, certes, par bénéficier des efforts d’investissement consentis dans le cadre du plan de relance et à la suite de la LOM, mais la régénération qui est à l’œuvre suppose des travaux d’envergure et cela prendra du temps.

Le fluvial souffre d’un coût comparatif plus élevé que les autres modes de transport en matière de rupture de charges. Il rencontre également des difficultés d’ordre foncier : les communes et intercommunalités préfèrent exploiter les quais à des fins touristiques ou industrielles, d’où des conflits d’usage avec VNF, qui n’a pas les moyens d’acquérir du foncier urbain.

Enfin, je n’ai pas connaissance du petit tracteur intégré évoqué par Gilbert Favreau. Il n’en a pas été question lors de nos auditions.

M. Gilbert Favreau. – C’est la raison pour laquelle j’en fais la promotion !

Mme Christine Herzog, rapporteure. – Je précise que d’après la stratégie nationale bas carbone, la demande de transport de marchandises devrait croître de 40 % d’ici à 2050.

En ce qui concerne l’information du consommateur, nous recherchons un maximum de transparence. Les livraisons ou les retours « gratuits » ne sauraient exister. Leur coût doit être connu, d’où nos propositions.

Mme Marie-Claude Varaillas. – De gros efforts restent à faire en matière de ferroviaire. J’en veux pour preuve cet exemple : dans ma ville de Périgueux, j’ai croisé un camion semi-remorque de plus de 38 tonnes qui s’apprêtait à livrer des groupes de climatisation pour TGV au technicentre de Strasbourg. Entre deux technicentres, la moindre des choses serait d’utiliser le train !

M. Gilbert Favreau. – Sur cette question du transport routier pour les livraisons en grandes agglomérations, compléter des documents comme le Sraddet ou le SCoT ne risque-t-il pas d’introduire une dose de complexité supplémentaire ?

Mme Martine Filleul, rapporteure. – Il est vrai que l’introduction de tels éléments dans les documents de planification ajoute aux préoccupations des élus. Elle permet néanmoins de prendre la mesure des évolutions – ce type de transport représente 20 % du trafic et 20 % des émissions de gaz à effet de serre – et de mieux les planifier.

Pour répondre à Jean-Michel Houllegatte au sujet de l’évolution du transport de marchandises dans les agglomérations, nous manquons d’éléments chiffrés plus précis, mais le contenu de nos auditions a confirmé que celui-ci était appelé à augmenter, en raison notamment du développement du e-commerce.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – Nous avons en effet assisté, depuis la crise de la covid, à une forte augmentation des commandes en ligne.

M. Jean-Michel Houllegatte. – La gestion des emballages – parfois des suremballages – et leurs cycles de recyclage me semblent des externalités intéressantes à examiner.

Mme Christine Herzog, rapporteure. – Cela vaut aussi pour les supermarchés et les hypermarchés !

M. Jean-Claude Anglars. – La proposition n°14, qui prévoit l’instauration de labels destinés à valoriser les entreprises engagées dans une démarche de logistique durable, me paraît très pertinente.

À l’unanimité, la commission adopte les propositions et autorise la publication du rapport d’information.

La réunion est close à 16 h 20.