Actes de colloque - 9 octobre 2010


LA RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR IMPRUDENCE

À L'ÉPREUVE DES GRANDES CATASTROPHES

- La loi Fauchon : 10 ans après -

Actes du colloque du 9 Octobre 2010

Palais du Luxembourg

COLLOQUE

La responsabilité pénale pour imprudence

à l'épreuve des grandes catastrophes

Ouverture - Message de Gérard LARCHER , Président du Sénat
(lu par Jean-Jacques HYEST, Président de la commission des Lois)

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation, Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation, chers collègues, Mesdames et Messieurs, le Sénat est heureux de vous accueillir aujourd'hui, à l'occasion du dixième anniversaire de la loi du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon ». Je voudrais, à cette occasion, saluer le travail remarquable du sénateur Fauchon.

Les contraintes de mon emploi du temps ne m'ont pas permis d'être des vôtres ce matin, mais j'ai suivi avec attention l'organisation de ce colloque, et je tiens à adresser à toutes et à tous un chaleureux message de bienvenue.

Je regrette d'autant plus de ne pouvoir être parmi vous que cette manifestation est placée sous la double égide de la commission des Lois et de la Cour de Cassation. Cette collaboration, à laquelle je suis attaché, témoigne du dialogue constant et constructif entre nos deux Institutions, entre le législateur, qui vote la loi, et les magistrats, qui l'appliquent et j'y suis particulièrement attentif.

Le travail parlementaire, vous le savez, ne s'arrête pas avec le vote de la loi et le thème même du colloque qui vous réunit aujourd'hui illustre le souci constant de la commission des Lois et de son président, M. Jean-Jacques Hyest, d'évaluation et d'amélioration de la loi dans l'intérêt de nos concitoyens. Le Sénat est non seulement une chambre de réflexion, mais aussi une chambre de proposition et de contrôle.

De même la Cour de Cassation s'efforce chaque année par son Rapport de contribuer à la réflexion sur les améliorations qui pourraient être apportées aux lois en vigueur en raison des difficultés rencontrées par les juridictions lors de son application.

Un premier colloque organisé au Sénat à l'occasion des cinq ans de la loi Fauchon avait démontré le caractère équilibré d'une loi qui a su adapter la responsabilité pénale en cas de délits non intentionnels à une réalité contemporaine complexe.

Aujourd'hui, après dix ans d'application, il n'apparait pas inutile d'ouvrir de nouveaux champs de réflexions, de s'interroger à titre prospectif sur la responsabilité pénale pour imprudence à l'épreuve des grandes catastrophes, sous le regard croisé de nos deux Institutions, en présence de l'Université et du Barreau. C'est là toute la richesse du débat démocratique.

Je souhaite à toutes et à tous un excellent et fructueux colloque.

Vincent LAMANDA - Premier Président de la Cour de Cassation

Monsieur le président de la commission des Lois, Monsieur le sénateur, Monsieur le procureur général près la Cour de Cassation, Mesdames et Messieurs, c'est un privilège pour moi d'ouvrir avec vous, Monsieur le Président, ce colloque qui entend célébrer, en forme de bilan, le dixième anniversaire de la loi du 10 juillet 2000, tout en s'attachant à esquisser les perspectives d'évolution de ce texte à la lumière des interrogations contemporaines sur le risque et la garantie.

Inscrite dans le prolongement de la loi du 13 mai 1996, qui avait déjà modifié la rédaction de l'article 121-3 du Code pénal pour y faire figurer le principe de l'appréciation in concreto de la faute d'imprudence, la loi du 10 juillet 2010 est elle aussi issue d'une proposition de loi sénatoriale. Il n'est pas surprenant que votre assemblée, si proche des collectivités locales, ne soit pas restée insensible au risque que lui semblait pouvoir faire peser sur l'exercice de la démocratie la mise en cause, que d'aucuns estimaient par trop systématique, de la responsabilité pénale d'élus de terrain pour des faits d'imprudence ou de négligence.

Adoptée à l'unanimité par le Parlement, la loi du 10 juillet 2000 a redéfini les contours de la responsabilité pénale en matière d'infractions non intentionnelles. Les aménagements qu'elle a apportés à l'article 121-3 du Code pénal, d'une portée générale, concernent l'ensemble des justiciables et non seulement les décideurs publics et s'étendent non seulement aux homicides et aux blessures involontaires mais à l'ensemble des infractions d'imprudence, telles les atteintes à l'environnement ou les délits du droit du travail.

Le principe démocratique d'égalité des citoyens devant la loi est ainsi respecté par un texte qui tend à assurer un meilleur équilibre entre les risques d'une pénalisation excessive de la vie quotidienne et ceux d'une déresponsabilisation des acteurs sociaux. Ces deux écueils sont d'ailleurs au coeur des réflexions contemporaines que suscitent les aspirations contradictoires de notre société. Elle est si éprise de garanties qu'elle a donné valeur constitutionnelle au principe dit de précaution, tout en étant consciente que l'inflation des textes à portée répressive a peut-être atteint des limites que certains estiment difficile de repousser encore, à peine de remettre en cause les principes fondateurs de notre démocratie.

La multiplication contemporaine des procès à dimension exceptionnelle, mobilisant un grand nombre de victimes, d'experts, de témoins et de journalistes illustre de façon aigue la montée inexorable de contentieux de plus en plus techniques, face auxquels le juge pénal se retrouve sommé d'apprécier les comportements, en caractérisant les défaillances respectives de différents acteurs dont les interventions s'échelonnent dans le temps et dans des situations complexes où il n'y a parfois ni preuve ni évidence avérée. La tâche du juge n'est pas aisée. Une fois caractérisé un lien de causalité entre la faute d'imprudence et le dommage, il lui faut se prononcer sur le degré de faute pour justifier la prévention. Or plus le lien de causalité est ténu, plus la faute doit être caractérisée.

Loin de borner vos ambitions à un constat statique, vous avez souhaité que cette journée anniversaire soit animée par cette dynamique propre aux hommes d'action en lui conférant une dimension prospective. Puissent vos échanges d'aujourd'hui ouvrir la voie vers plus de sécurité et de justice et vers cet équilibre si fragile et si nécessaire à trouver.

Jean-Louis NADAL - Procureur général près la Cour de Cassation

Mesdames et Messieurs, je suis particulièrement honoré d'ouvrir avec Monsieur le président du Sénat, Monsieur le président de la commission des Lois, Monsieur le premier président de la Cour de Cassation, ce colloque.

La loi du 10 juillet 2000 illustre à bien des égards la nécessaire adaptation de la loi aux évolutions techniques de la société. Quelques procédures dramatiques ont durablement marqué notre mémoire collective et ont donné raison à Albert Camus, qui, prophétiquement, prédisait que le XXI ème siècle serait celui de la peur. Ces grandes catastrophes raisonnent dans nos mémoires comme autant de drames nationaux : l'incendie du Dancing 5-7, la catastrophe des Thermes de Barbotan en 1991, l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en 1992, les inondations de Vaison-la-Romaine en 1992 ou encore les noyades de la rivière du Drac en 1994, sans évoquer les procédures encore en cours liées à des catastrophes qui ont marqué le début des années 2000. Au coeur de ces affaires est principalement posée la question de la responsabilité des décideurs publics, dans un contexte marqué par l'appel à la sécurité, où l'incertitude et le risque doivent avant tout être maîtrisés. Est en effet considérée par nos concitoyens comme insupportable l'idée qu'un fait dommageable ne puisse pas être rattaché à une personne physique ou morale.

La loi du 13 mai 1996 avait été jugée inefficace par certains parlementaires comme ne mettant pas fin à la pénalisation croissante touchant les décideurs publics. Même si le principe constitutionnel d'égalité devant la loi imposait de rendre la loi du 10 juillet 2000 applicable à tous, ce texte a eu pour finalité affichée de mieux délimiter les contours de la responsabilité des décideurs publics en cas d'infraction d'homicide ou de blessures involontaires. L'innovation de cette loi, fruit d'un compromis entre les deux chambres, consiste à exiger en cas de causalité indirecte, une faute qualifiée. C'est ainsi que le législateur articule les concepts de faute et de causalité. Dans l'enchaînement causal, plus la faute sera indirectement liée au dommage, plus il conviendra qu'elle présente un degré certain de gravité pour entraîner une condamnation. Cette modification ne s'applique qu'aux personnes physiques, les personnes morales restant pénalement responsables même si une faute simple a causé indirectement un dommage.

La rencontre d'aujourd'hui repose me semble-t-il sur le postulat que les décisions rendues dans des affaires particulières n'auraient pas donné lieu à des sanctions pénales alors que des imprudences auraient été caractérisées. Serait en cause, selon vous, Monsieur le sénateur, la difficile question du lien de causalité entre ces imprudences constatées et le dommage, sujet conduisant à réfléchir à des voies alternatives, comme la mise en danger, pour traiter le cas des grandes catastrophes.

La régulation par le droit pénal commande que les concepts soient connus, maîtrisés, stabilisés afin de permettre aux personnes concernées de mesurer l'impact de leur responsabilité et d'adopter les comportements évitant la survenance d'un dommage. La justice pénale doit par ailleurs demeurer la véritable instance de prévention du risque, permettant un passage de la régulation publique à la régulation privée des comportements, par la mise en place de codes de déontologie ou de chartes éthiques au sein des entreprises. Se pose enfin la place de la victime. Or à la suite d'une transmission par la Cour de Cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, le 23 juillet dernier, déclaré les dispositions de l'article 575 du code de procédure pénale contraires à la Constitution 1 ( * ) .

Le bilan de la loi du 10 juillet 2000

Henri BLONDET - Conseiller à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation

Les objectifs du législateur de l'an 2000 étaient clairs mais distincts et parfois difficiles à harmoniser. Il s'agissait à la fois d'alléger la responsabilité des décideurs publics et de garantir, par l'effet de dispositions générales et impersonnelles, l'égalité de tous devant la loi tout en évitant un affaiblissement de la répression, dans des domaines où la sécurité des personnes est particulièrement menacée : la circulation routière, les accidents du travail et la protection de l'environnement, ...

La loi du 13 mai 1996, dont les dispositions sont toujours en vigueur, incite le juge à une analyse plus complète des organisations complexes et des délégations de pouvoir ou des affectations de moyens qui s'y développent. Elle peut les conduire à remonter du « lampiste » au véritable décideur, éloigné du terrain mais maître des moyens et des affectations de ceux-ci. Ses dispositions se sont combinées avec celle de la loi Fauchon pour rompre avec le principe de l'équivalence des conditions et de l'identité des fautes pénale et civile, lentement élaborée depuis le XIX ème siècle jusqu'à la fin du XX ème siècle. Les autorités de poursuite et de jugement doivent désormais déterminer l'existence du lien de causalité entre les fautes et le dommage mais également la nature de ce lien de causalité - directe ou indirecte.

1. L'application de la loi du 10 juillet 2000

Le premier bilan de l'application de la loi ne pouvait dissimuler que les effets de la loi plus douce n'étaient pas également répartis. La pression pénale était allégée, certes, pour les décideurs publics, mais constante pour les automobilistes, les dirigeants d'entreprise et les professionnels de santé. Quatre ans plus tard, l'application sélective de la loi depuis 2006 est confirmée.

Les décideurs publics paraissent continuer à bénéficier des effets de la loi. Les pourvois d'élus locaux sont moins nombreux et les rares arrêts de condamnation ne sont pas cassés dès lors que les juges du fond ont scrupuleusement appliqué les dispositions de l'article 121-3 du Code pénal et constaté l'existence de la faute caractérisée qu'elles exigent.

S'agissant des chefs d'entreprise, la méconnaissance par l'employeur ou le préposé des dispositions relatives au respect des règles d'hygiène et de sécurité du travail, prévue par l'article L.4741-1 du code du travail, constitue une faute personnelle mais, le plus souvent indirecte, qui est analysée comme une faute caractérisée ou la violation délibérée d'une règle de sécurité constitutive, le cas échéant, des délits d'homicide ou de blessures involontaires.

Les professionnels de santé n'ont été que très peu évoqués lors des travaux parlementaires et totalement ignorés dans la circulaire d'application de la loi du 10 juillet 2000 alors que celle-ci avait aussi vocation à s'appliquer à leur responsabilité pénale. Depuis la fin du XIX ème siècle, la Cour de Cassation a élaboré une construction originale de la faute du médecin, fondée sur le lien contractuel entre le praticien et son patient. Affectée par la loi du 10 juillet 2000, cette construction a été ruinée par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé dont est issu l'article L.1142-1 du Code de la santé publique. La première chambre civile a d'ailleurs énoncé, dans deux arrêts du 28 janvier 2010 que la responsabilité du professionnel de santé est désormais de nature délictuelle, y compris lorsqu'elle résulte d'un défaut d'information.

La Cour de Cassation n'a pas interprété les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 relatives au lien de causalité entre la faute et le dommage dans un sens très favorable aux professionnels de santé. La nécessité d'établir l'existence d'un lien de causalité certain entre la faute et le dommage existe à tous les niveaux, l'absence de caractérisation de ce lien entraînant mécaniquement la cassation.

Les juges sont par ailleurs confrontés à une difficulté lorsque les faits qui leur sont soumis se sont produits dans le secteur hospitalier public. Les juridictions de l'ordre judiciaire, incompétentes pour statuer sur les actions en réparation des conséquences dommageables de l'infraction, doivent, par exception à ce principe, se prononcer sur la demande d'indemnisation de la victime partie civile en cas de faute personnelle détachable du service commise, en service, par un fonctionnaire. Or depuis l'entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000, les juges, s'exposant à une contradiction de motifs, doivent parfois démontrer, pour les besoins de l'action publique, que la faute du praticien auteur indirect du dommage constitue une faute caractérisée avant d'affirmer, pour les besoins de la démonstration de la compétence du juge administratif contestée par la partie civile, que la faute retenue n'est pas détachable du service.

2. La loi du 10 juillet 2000 face aux grandes catastrophes

Les grandes catastrophes s'avèrent assez rares mais représentent un véritable défi pour les institutions administratives et judiciaires. Dans le chaos qui suit immédiatement une catastrophe, mener des investigations tendant à déterminer les responsabilités peut paraître indécent. Celles-ci doivent cependant être conduites en toute indépendance et imposent aux autorités judiciaires et aux magistrats du parquet un mélange de vigilance, de pondération et de tact dans leurs rapports tant avec les autres autorités publiques chargées d'enquêtes ou d'expertises administratives qu'avec les dirigeants des entreprises susceptibles d'être mises en cause et leurs assureurs. Le temps de l'enquête judiciaire et de l'instruction est certes mieux maîtrisé mais voit surgir de multiples problèmes. Enfin, le temps des débats contradictoires à l'audience, souvent, hélas, très éloigné de la date des faits, doit permettre de donner une qualification juridique adaptée aux faits reprochés. La nature de ceux-ci peut cependant rendre cette tâche mal aisée.

Ainsi, dans l'affaire du sang contaminé, les mêmes faits ont pu être successivement qualifiés de tromperie et de non assistance à personne en danger, d'empoisonnement, d'administration de substances nuisibles, d'homicide et de blessures involontaires selon les juridictions concernées. La qualification de tromperie, appliquée aux responsables du Centre national de transfusion sanguine, n'a pas été relevée par les parties civiles dans l'affaire de l'hormone de croissance mais a été récusée en janvier 2009 par le tribunal correctionnel, qui a prononcé une relaxe générale des médecins et scientifiques mis en cause, au motif que le lien entre le patient et les médecins ou pharmaciens qui ont prescrit ou délivré les produits litigieux ne serait pas contractuel, comme l'exige le code de la consommation mais s'apparenterait à la relation d'un usager du service public. Les parties civiles ont récemment saisi la Cour d'appel d'une demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, tendant à voir constater l'inconstitutionnalité de dispositions qui créeraient une inégalité entre les usagers de soins selon qu'ils s'adressent au service public hospitalier ou à la médecine libérale.

Robert FINIEL - Avocat général à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation

Malgré l'absence de statistiques par typologie d'infractions en ce qui concerne les saisines de la chambre criminelle, j'évalue que la matière qui nous occupe aujourd'hui représente moins de 1 % des pourvois devant la Cour de Cassation. Les thématiques en cause, exception faite du contentieux spécifique de la circulation routière, touchent d'abord aux infractions relevant du droit du travail (40 %), à la responsabilité médicale (30 %) et à la responsabilité des collectivités territoriales (6 %). Le taux de cassation s'élève à environ 15 %, soit plus que la moyenne, démontrant qu'en cette matière, la chambre criminelle est invitée à remplir pleinement sa mission de contrôle de l'application de la règle de droit.

1. La jurisprudence du droit du travail au regard de la loi du 10 juillet 2000

En l'an 2000, le législateur n'avait pas eu pour objectif de modifier les termes de la répression en droit du travail mais il existait un risque au travers de la qualification exigée de la faute dans le cas de causalité indirecte. Dix ans après, force est de constater que la jurisprudence relative aux accidents du travail n'a subi aucune modification substantielle. Cela n'est pas surprenant. Le droit du travail constitue, en effet, un droit très réglementé, enfermant les organes de la société dans un tissu d'obligations légales ou réglementaires généralement très précises. Leur méconnaissance, lorsque le préjudice est en lien indirect avec l'accident survenu, ne peut qu'être qualifiée de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité donnant application de la responsabilité pénale de celui qui avait le devoir de faire respecter cette obligation.

La Cour de Cassation est très rigoureuse quant à la faute caractérisée. La responsabilité est engagée dès lors que le prévenu a contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage et n'a pas pris les mesures pour l'éviter. Le juge doit donc établir un lien de causalité entre la faute et le dommage, doublé d'une omission d'agir pour que l'infraction soit constituée. La connaissance du risque créé pour la victime, évoquée dans l'article 121-3 du Code pénal, aurait pu constituer une voie d'évitement de la responsabilité pénale individuelle. La chambre criminelle a cependant récemment réaffirmé, par un arrêt du 12 janvier 2010, que cette connaissance est inhérente à la nature des fonctions du chef d'entreprise et s'induit de la commission de la faute reprochée.

L'apparition de nouveaux acteurs dans le champ de prévention des accidents, tels le coordonnateur de sécurité, a conduit le juge de cassation, dans un arrêt de 2009, à mettre à leur charge une obligation d'anticipation dans des situations de risque avéré, dont la méconnaissance satisfait à l'exigence d'une faute caractérisée et permet d'engager la responsabilité individuelle, obligation qui dépasse, en outre, la protection des seuls salariés.

Dans deux arrêts rendus en avril et en octobre 2009, la chambre criminelle de la Cour de Cassation, donnant toute son autonomie à la responsabilité pénale des personnes morales, a posé que ces dernières seraient responsables de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou de leurs représentants, ayant entraîné une atteinte à l'intégrité physique, quand bien même la personne physique, poursuivie en même temps, aurait été relaxée, sur le fondement du caractère indirect de la faute qui lui était reprochée.

2. Les difficultés d'application de la loi du 10 juillet 2000 en droit du travail

Il reste, dans l'application de la loi du 10 juillet 2000, plusieurs difficultés ayant, tout d'abord, trait au lien de causalité, qui ne peut se déduire de la seule existence du dommage ou de sa gravité. De plus, il faut qualifier le lien qu'entretiennent faute et dommage. Si le lien direct fait défaut, le recours à la faute caractérisée peut soulever des interrogations, s'agissant notamment de la multiplicité des fautes qui, prises isolément, ne sont pas déterminantes d'une faute caractérisée.

La Cour de Cassation a admis le cumul de fautes simples dans un arrêt du 18 novembre 2008, fautes qui étaient, en l'espèce, toutes imputables à la même personne. L'examen isolé de fautes simples non imputables à une même personne, peut en revanche conduire, en application de la loi du 10 juillet 2000, à l'absence de réponse pénale.

Imaginer un droit à géométrie variable en fonction des conséquences de l'infraction ne peut que susciter l'opposition. La seule parade à l'incertitude serait de tirer la conséquence d'un comportement caractérisant une faute qualifiée non punissable en l'absence de lien de causalité pour retenir cette faute au titre de l'article 223-1 du code pénal revisité mais la chambre criminelle se cantonne, pour l'heure, à une analyse très rigoureuse des éléments constitutifs tels que définis par la loi. Pour autant l'évolution du droit pénal dans les années à venir devra prendre en compte le risque, avec des conditions et précautions restant à déterminer.

La mise en oeuvre de la responsabilité pénale des personnes morales soulève également des difficultés. Condamner une personne morale suppose que celle-ci existe effectivement au temps de la commission des faits et existe encore au temps de la condamnation. Or, deux arrêts rendus le 9 février et le 9 septembre 2009, la chambre criminelle a considéré que l'absorption d'une société par une autre faisait échec à sa condamnation, démontrant la difficulté qu'il existe à insérer la responsabilité pénale des personnes morales dans un corpus juridique construit pour les personnes physiques. Cette même difficulté se pose aussi en termes de sanction : en effet, la détermination du quantum de l'amende, fondée sur le quintuple de celle encourue par la personne physique, se révèle bien inadaptée à la taille de certaines sociétés, à leur chiffre d'affaires et à l'importance des catastrophes pouvant survenir.

La mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales peut être envisagée en complément de celle de la personne physique ou comme un « sous-produit » de la responsabilité pénale des personnes physiques, deux positions qui ne sauraient satisfaire. Or force est de constater que le hasard semble parfois guider le choix de l'action. Peut-être conviendrait-il que cette mise en cause exige une responsabilité autonome ou qu'elle réponde à des critères spécifiques, en particulier lorsqu'il apparaît équitable de sanctionner la personne physique compte tenu de la consistance de la faute reprochée et surtout quand l'entreprise s'est véritablement engagée dans le domaine de la sécurité.

Les juges se sont efforcés d'appliquer la loi d'une manière conforme à sa rédaction et à son esprit, dans le respect des enjeux d'une matière, qui, dix ans après, peut être considérée comme bien maîtrisée, du moins en droit pénal du travail.

Cependant, toute situation d'équilibre est, par essence, fragile, soumise à des tensions qui peuvent receler de véritables risques. Une définition trop stricte de la faute caractérisée, élément essentiel de la bonne application de cette loi, générerait l'impunité alors qu'un contenu trop large pénaliserait à l'excès. Jusqu'à présent, le contrôle exercé par la chambre criminelle a permis d'éviter ces deux écueils. Le second risque tient au transfert de responsabilité de l'individu à la personne morale, soit parce que la faute est trop ténue et ne permet pas d'engager la responsabilité individuelle, soit parce que le lien de causalité n'est pas établi, faisant échapper la faute pourtant établie à toute sanction. Le juge se trouve cependant, ici, limité par les dispositions de la loi.

Éléments de comparaison : les délits non intentionnels en droit belge, spécialement dans le service public

Jean-François LECLERCQ - Procureur général près la Cour de Cassation de Belgique

Monsieur le sénateur, chers collègues, Mesdames et Messieurs, examiner l'éventuelle spécificité du traitement des délits non intentionnels, lorsqu'ils ont été commis par des mandataires publics, pourrait, à première vue, mener à un constat qui, en droit belge, se laisserait exprimer par un seul mot : néant.

Les articles 418 et suivants du Code pénal belge, qui traitent de l'homicide et des lésions corporelles involontaires, ne définissent pas de modalités de répression particulières pour l'hypothèse où ces délits sont imputables à un mandataire public ou à un agent d'administration. La jurisprudence ne révèle pas davantage une application différenciée de ces dispositions, selon la qualité de l'auteur des faits justifiant des poursuites.

Ce qui pourrait ainsi faire figure de lacune ou de vide juridique n'autorise toutefois pas à imaginer que la problématique des délits non intentionnels commis dans le fonctionnement du service public est ignorée en Belgique ou qu'elle laisse indifférent. Depuis longtemps, les cours et tribunaux sont invités à statuer sur des poursuites dont font l'objet des élus locaux à la suite d'accidents de circulation survenus sur la voie publique. Par ailleurs, les suites judiciaires de certains événements catastrophiques ont amené à considérer, de près ou de loin, la part de responsabilité que pouvaient endosser certains titulaires de fonctions publiques. Nous gardons, toutes et tous, en mémoire la tragédie du Heysel, lorsque 39 personnes trouvèrent la mort à l'occasion d'un match de football, et à la suite de laquelle ont notamment été mis en cause deux officiers de gendarmerie et deux élus locaux de la Ville de Bruxelles. Plus récemment, l'explosion d'une conduite de gaz dans une zone d'activités économiques à Ghislenghien a causé la mort de 24 personnes et en a blessé 132 autres. Cet accident a conduit à l'inculpation, parmi d'autres personnes physiques ou morales, du Bourgmestre et du secrétaire communal de la Ville d'Ath.

Beaucoup d'observateurs estiment que ni la situation du mandataire prévenu d'avoir commis un délit non intentionnel, ni celle de la victime des comportements ainsi poursuivis ne sont très satisfaisantes, et de longue date, ils ont formulé essentiellement deux critiques et proposé d'obvier à ces inconvénients, en sollicitant l'intervention du législateur. Les critiques portent, d'une part, sur la théorie jurisprudentielle de l'unité des fautes pénale et civile, de l'autre, sur les lacunes du système légal de responsabilité pénale des personnes morales.

1. Le système légal de responsabilité pénale pour les délits non intentionnels La théorie de l'unité des fautes pénale et civile

Il est reproché à la théorie de l'unité des fautes pénale et civile de produire cette conséquence qu'en cas d'acquittement du prévenu au pénal, la victime ne puisse plus saisir le juge civil d'une action en réparation de son dommage subi par la faute du prévenu désormais acquitté : l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil fait obstacle à ce qu'une faute soit établie dans le cadre du régime de la responsabilité quasi délictuelle, alors que cette faute a été exclue sur le plan pénal. A l'inverse, et pour ne pas priver la victime d'une chance d'indemnisation en cas d'acquittement, le juge pénal pourrait - toujours selon ces observateurs critiques - être enclin à déclarer plus rapidement la culpabilité en établissant la faute de la personne poursuivie sur la base des critères abstraits de la responsabilité aquilienne, sans rechercher si l'auteur a commis une faute suffisamment caractérisée. L'exposition au risque de la condamnation pénale serait alors plus grande, dès lors que la faute la plus légère serait sanctionnée.

Les propositions de loi déposées en réaction à ces critiques tendent avant tout à ménager une distinction entre les critères d'appréciation de la négligence et de l'imprudence, selon que la faute est invoquée sur les plans civil ou pénal. Elles consacrent, par ailleurs, l'idée que « la décision par laquelle le juge déclare la faute pénale non établie ne préjuge pas la question de la faute génératrice de responsabilité civile ».

Sans m'attarder ici sur les différentes observations qu'a formulées la section de législation du Conseil d'État de Belgique à l'égard de ces propositions, je peux difficilement dissimuler ma perplexité à l'égard du présupposé selon lequel le juge pénal inclinerait plus facilement à déclarer la culpabilité pour éviter de ruiner les chances ultérieures de réparation du préjudice subi par la victime. Cette tendance serait, en quelque sorte, favorisée par le recours à la « faute la plus légère », de préférence à une faute caractérisée. Je crains que cette analyse ne tienne pas compte d'une réalité dont témoigne la jurisprudence : les juges saisis de litiges mettant en cause la responsabilité de mandataires publics à l'égard de délits non intentionnels, accordent généralement un soin tout particulier dans la collecte, l'appréciation et le traitement des faits susceptibles de conduire à l'établissement de la faute. De légèreté, dans le chef des tribunaux, il ne me semble résolument pouvoir être question. Si compréhensible que puisse être quelque crainte à ce propos, elle ne prend toutefois pas appui sur une pratique suffisamment avérée.

Le régime légal de responsabilité pénale des personnes morales

Le régime légal de l'article 5 du Code pénal belge fait bénéficier de l'immunité de responsabilité pénale les personnes morales de droit public dont les organes sont élus directement, c'est-à-dire des assemblées politiques dont les membres sont élus démocratiquement. Il s'agit essentiellement de l'État fédéral, des entités fédérées, des provinces et des communes.

En revanche, d'autres personnes morales de droit public ne bénéficient pas de cette immunité et sont soumises au régime de droit commun de la responsabilité pénale des personnes morales : il s'agit notamment des organismes d'intérêt public, des entreprises publiques ou encore des associations intercommunales ; leurs organes ne sont, en effet, pas constitués au terme d'un processus électoral direct. Elles sont assimilées - pour ce qui concerne leur responsabilité pénale - aux personnes morales de droit privé.

Cette immunité a été justifiée par la volonté d'éviter que les pouvoirs publics deviennent une cible pour les citoyens mécontents. Il s'agissait ainsi d'éviter le dépôt de plaintes dont l'objectif serait de mener, par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique. L'un des effets de cette immunité touche particulièrement les mandataires des personnes morales concernées : c'est vers eux que seront dirigées les poursuites pénales, lorsqu'à raison de l'immunité ainsi consacrée, elles ne peuvent être exercées à charge des personnes morales dont ils sont les organes. La probabilité de ce cas de figure est présentée comme étant d'autant plus élevée lorsque des poursuites sont exercées du chef d'infractions non intentionnelles.

Le système actuel inspire d'évidentes réflexions. Il est sans doute louable, et surtout très sain, dans un État de droit, de chercher à éviter que les prétoires des juridictions répressives deviennent le terrain de combats politiques. Il n'est toutefois pas certain que cet objectif soit efficacement satisfaisant en l'état actuel, dans un système où les plaintes qui ne peuvent être dirigées contre la collectivité politique, le seront contre ses mandataires. Dans bien des collectivités où la personne morale de droit public s'identifie, dans une large mesure, à la personnalité de ses mandataires, le risque d'utilisation de la répression pénale à des fins politiques est bien réel, voire plus important que si les poursuites pouvaient être initiées contre la personne morale, à l'égard de laquelle la recherche du caractère infamant d'une sanction pénale ne pourrait constituer la motivation principale des plaignants.

Ma seconde réflexion est inspirée par une hypothèse assez particulière. Cette hypothèse relève sans doute plus du cas d'école que d'une pratique largement observée. Elle me paraît cependant révélatrice de certaines lacunes du système actuel. Vous savez qu'en Belgique - à l'instar, d'ailleurs, de ce que l'on peut observer en France - plusieurs communes peuvent se regrouper et exercer ensemble certaines de leurs compétences dans le cadre d'une association intercommunale dotée d'une personnalité juridique distincte de celles des communes qui la constituent ; les organes de ces associations intercommunales (assemblée générale, conseil d'administration, etc.) sont composés d'élus locaux des communes qui composent l'association. Ces intercommunalités agissent dans des domaines aussi divers que l'enlèvement et le traitement des déchets ménagers, le développement des zones d'activités économiques, l'épuration des eaux usées, les services d'incendie et bien d'autres encore.

Sur le plan de la responsabilité pénale, ces associations intercommunales ne bénéficient pas de l'immunité accordée aux communes, puisque leurs organes ne sont pas composés de personnes directement élues à cette fin, mais bien d'élus locaux délégués par leurs communes respectives.

Imaginons que des faits liés à l'exercice d'une compétence communale conduisent à l'organisation de poursuites répressives. Selon que cette compétence est exercée par la commune ou au sein de l'intercommunale, les poursuites viseront l'élu local dans le premier cas, tandis que celui-ci - s'il est administrateur de l'intercommunale - sera « protégé », à tout le moins partiellement, par la possibilité de mettre en cause la responsabilité de cette association, dans le deuxième cas.

Cet exemple illustre une certaine inégalité de traitement des élus locaux, au gré des circonstances et contextes dans lesquels ils exercent leurs mandats.

Plus généralement, ces deux réflexions témoignent de ce que, sur le plan de l'articulation entre les responsabilités respectives de la collectivité politique et de ses mandataires, le régime actuel de responsabilité pénale des personnes morales est perfectible. Cette situation n'a pas échappé à l'attention de parlementaires qui ont déposé une proposition de loi tendant à obvier à certains des inconvénients ainsi révélés par la pratique. Sans s'attarder ici sur toutes les vicissitudes qu'a connues cette proposition de loi, au sort encore incertain à ce jour, et sans faire part de toutes les réflexions qu'elle inspire, quelques observations méritent -me semble-t-il- d'être formulées.

2. La proposition de réforme du régime de responsabilité pénale des personnes morales

Il a été envisagé de ne plus réserver le bénéfice de l'immunité pénale qu'à l'État fédéral et aux entités fédérées que sont les Communautés et Régions, tandis que les collectivités politiques locales - provinces et communes - seraient désormais soumises au régime de responsabilité applicable à l'ensemble des personnes morales.

Au regard de la situation du mandataire public, cette distinction interpelle : peut-on raisonnablement justifier qu'à raison des différences de régime de leurs collectivités respectives, un ministre soit plus exposé au risque de poursuites répressives qu'un bourgmestre, qui pourrait trouver quelque salut dans la couverture offerte par la responsabilité pénale de sa commune ? Se conçoit-il qu'un ministre, plus qu'un bourgmestre, doive subir des plaintes qui dissimulent l'engagement d'un combat politique sur la voie pénale ? Un ministre est-il moins exposé qu'un bourgmestre au risque de poursuites du chef de délits non intentionnels ?

Il ne me paraît pas excessif, à ce propos, d'imaginer que, dans une situation de pandémie, il soit reproché à un ministre de s'être rendu coupable de négligence, en ne prenant pas les mesures sanitaires élémentaires, ou en ne diffusant pas, dans la population, les informations appropriées à une gestion utile de la crise. Tout en s'abstenant d'en apprécier la légalité, l'on se doit d'admettre qu'une telle différence de traitement entre ces deux catégories de mandataires pose question.

Par ailleurs, les auteurs de la proposition initiale de réforme avaient conçu de soumettre l'ensemble des personnes morales de droit public (y compris les collectivités politiques dont les organes sont formés au terme d'un processus électoral démocratique) à un régime unique de responsabilité pénale limitée. Suivant cette approche, la responsabilité pénale aurait ainsi été limitée aux « infractions constitutives d'une violation d'une norme de rigueur ou de sécurité qui lui est imposée ».

Une fois encore, la confrontation d'un tel système aux principes d'égalité et de non-discrimination pose question, particulièrement si l'on s'interroge sur l'application de ce régime de responsabilité limitée aux entreprises publiques. Deux chefs de différence de traitement peuvent être identifiés. D'une part, lorsqu'une entreprise publique évolue sur un marché concurrentiel, sa qualité de personne morale de droit public lui fera assumer une responsabilité pénale moins étendue que celle qui pèse sur ses concurrents, personnes morales de droit privé. D'autre part, et pour revenir à la situation des mandataires, on observera que, pour les infractions qui échappent au champ de la responsabilité limitée ainsi imaginée, les mandataires des entreprises publiques seront plus exposés au risque des poursuites répressives que leurs homologues des personnes morales de droit privé, ceux-ci pouvant escompter une plus large protection à raison de la responsabilité illimitée de la personne morale pour le compte de laquelle ils agissent.

Comme on le constate, si séduisante qu'elle soit à première vue, une modification du système de la responsabilité pénale des personnes morales annonce d'évidentes difficultés, sans - pour autant - garantir les chances d'atteindre l'objectif de protection des mandataires publics. Une réflexion plus générale me paraît imposée par les deux perspectives de réformes dont je vous ai brièvement entretenu. Ces perspectives ont été esquissées à l'initiative de parlementaires probablement sensibilisés au sort des élus locaux dans la répression des délits non intentionnels et la réparation des préjudices causés par ces infractions. Les références que contiennent les commentaires des propositions de lois à la situation de cette catégorie de mandataires publics témoignent de l'attention particulière qui leur est accordée.

Cette sollicitude ne surprend pas si l'on considère les deux éléments suivants : les mandataires communaux représentent assurément, sur le plan quantitatif, la plus importante catégorie de mandataires publics ; je rappelle que le territoire belge compte 589 communes dont, pour chacune, le nombre des bourgmestre et échevins oscille entre 3 et 11. Même si leur nombre peut faire sourire au regard de celui des élus locaux en France, leur voix semble suffisamment forte pour que l'écho de leurs revendications résonne jusqu'aux perchoirs des assemblées législatives.

Par ailleurs, la jurisprudence des cours et tribunaux témoigne de ce que les bourgmestres (et, dans une certaine mesure, les échevins) sont les mandataires publics qui, jusqu'à présent, ont le plus fréquemment fait l'objet de condamnations pénales du chef d'homicides involontaires.

Si légitime soit-elle, cette préoccupation pour les élus locaux n'autorise pas à attendre des deux séries de propositions évoquées, plus que ce qu'elles permettent d'espérer en leur état actuel. Confrontées aux enseignements jurisprudentiels et doctrinaux, les propositions ont suscité les avis réservés, tant de certains auteurs que d'institutions consultées à cette fin ; je songe en particulier à la section de législation du Conseil d'État de Belgique. Ces avis entretiennent l'impression générale que les réformes proposées susciteraient plus de questions qu'elles n'apporteraient de solutions aux difficultés actuellement rencontrées. En effet, il y aurait lieu de craindre que les approches fondées, l'une, sur la définition des délits non intentionnels et l'action civile, et, l'autre, sur une révision du système de responsabilité pénale des personnes morales conduisent, par leur portée et leurs effets, à ouvrir des bouteilles à l'encre dont on n'est d'ailleurs pas certain qu'elles permettront d'apporter une réponse utile à la préoccupation qui a inspiré ces initiatives, à savoir la situation de certains mandataires publics. Un tel résultat est d'ailleurs d'autant moins garanti que certains aspects de la problématique des délits non intentionnels commis dans l'exercice des activités de service public sont actuellement laissés dans l'ombre. Deux d'entre eux retiennent l'attention et méritent d'être brièvement évoqués.

Si l'on a beaucoup parlé jusqu'à présent de la situation des personnes physiques constituant les organes des personnes morales de droit public (qu'il s'agisse, ou non, d'élus), il ne faut pas perdre de vue la situation des agents des collectivités, administrations, organismes ou entreprises publiques, dont la responsabilité pénale peut, elle aussi, être engagée. Il est évident qu'une éventuelle consécration de la responsabilité pénale des collectivités jusqu'ici immunisées bénéficierait à ces collaborateurs du service public, de la même manière qu'aux élus ; il n'est certainement pas inutile, cependant, que toute proposition de réforme repose sur une prise en considération simultanée et expresse de ces deux catégories d'acteurs du service public. Il s'impose, en effet, d'analyser soigneusement leurs situations respectives face aux risques de poursuites répressives, de manière à déterminer en opportunité (mais également en droit, au regard des principes d'égalité et de non-discrimination), si un traitement unique doit leur être réservé ou si, au contraire, leurs situations respectives appellent une approche différenciée.

Le deuxième aspect qui retient mon attention est celui de l'imputabilité de l'infraction à la personne physique à l'intervention de laquelle la personne morale a agi.

Cette question n'est évidemment pas envisagée dans les deux propositions de réforme, dès lors qu'elle est étrangère à leur objet. Elle n'en est pas, pour autant, dépourvue d'intérêt, particulièrement lorsque l'organe de la personne morale est collégial, comme c'est le cas - notamment - dans les communes. On sait que, pour désigner la personne physique responsable de l'infraction commise par la personne morale, le juge doit établir avec certitude le fait personnel de la personne physique à l'intervention de laquelle la personne morale a agi. Lorsque l'organe de la personne morale est collégial, la seule circonstance qu'une personne soit membre de ce collège ou, même, qu'elle ait participé à une réunion de laquelle sont rapprochés les faits délictueux ne suffit pas à lui faire incomber la responsabilité. Par ailleurs, le principe de personnalité des peines s'oppose à une mise en cause collective de tous les membres du collège. Lorsque l'infraction résulte d'une décision d'agir ou de s'abstenir adoptée à la faveur d'un vote, le juge devra déterminer qui a émis un vote positif.

C'est ici que l'on doit se rendre à une évidence : la tâche du juge sera singulièrement compliquée et même probablement vouée à l'échec si les procès-verbaux des séances du collège concerné sont incomplets, voire inexistants. Et l'on en revient au difficile équilibre entre les protections respectivement dues aux mandataires publics et aux victimes de délits non intentionnels : il serait regrettable qu'une négligence « organisée » dans la tenue des procès-verbaux accorde de facto une immunité aux mandataires, causant un préjudice (un de plus !) aux victimes, ainsi privées de chance de réparation.

Dans un contexte où le recours à la voie pénale peut dissimuler l'engagement d'un combat politique qui ne serait pas assumé comme tel, le sort des mandataires publics ne peut, de toute évidence, laisser indifférent.

Des initiatives ont été prises en Belgique, mais les critiques dont elles ont fait l'objet ici et là, et le sort particulièrement aléatoire qui paraît leur être réservé, témoignent de la difficulté de choisir un modus operandi idéal. Peut-être aussi assiste-t-on à un manque de réflexion globale sur ce que doit être l'équilibre entre la protection du mandataire public et celle de la victime d'un délit non intentionnel. Une réflexion sur ces difficultés et sur les défis qu'elles lancent gagne à être alimentée par les apports de systèmes conçus au sein de différents ordres juridiques. C'est dire l'intérêt des travaux du colloque de ce jour, mais également la gratitude personnelle que je tiens à vous exprimer pour m'avoir permis d'y participer aussi activement.

Pierre FAUCHON

Pour nous, il est surprenant d'imaginer que l'on peut craindre une poursuite pénale de responsables publics animée par des raisons politiques. Je n'ai pas perçu, dans notre démarche initiée voilà dix ans, que l'excès de poursuites qu'elle visait à pallier se fondait sur une intention dissimulée d'agressivité politique. Il est vrai qu'à l'époque, la moindre imprudence entraînait systématiquement la poursuite d'un maire ou d'un préfet. A l'inverse de vous, qui protégez les autorités publiques, nous sommes au stade où nous nous demandons si l'État lui-même doit continuer d'échapper aux poursuites pénales. Certains esprits souhaiteraient parfois que l'État puisse être pénalement mis en cause. Il n'est pas exclu que cette question revienne sur l'avant-scène. Votre exposé nous amène à nous interroger sur le bien-fondé de notre propre système. Je vous en remercie.

Table ronde

Participent à cette table ronde, animée Emmanuel KESSLER , Rédacteur en chef adjoint de Public Sénat :

Pierre FAUCHON, sénateur de Loir-et-Cher 2 ( * )

Henri BLONDET, conseiller à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation

Robert FINIELZ, avocat général à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation

Jean-François LECLERCQ, procureur général près la Cour de Cassation de Belgique

Stéphane GICQUEL, secrétaire général de la FENVAC, Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs

Dominique VIRIOT-BARRIAL, professeur de droit, Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III

Luc BRUNET, SMACL, Société mutuelle d'assurance des collectivités locales

Emmanuel KESSLER

L'application de la loi du 10 juillet 2000 a-t-elle réussi à lever certaines inquiétudes des victimes, qui avaient pu émerger lors du vote de cette loi ?

Stéphane GICQUEL

Les victimes ont leur place dans le procès pénal. Force est pourtant de constater que cette loi semble avoir été élaborée sans elles, voire contre elles. Les victimes ont été totalement absentes du débat législatif. Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur la loi et son application. En dix ans, nous avons constaté que les magistrats se sont approprié les concepts de cette loi, suivant une approche très fine de celle-ci.

Sur le terrain, nous accompagnons les familles de victimes, projetées dans un monde judiciaire qu'elles découvrent à un moment où, précisément, elles se trouvent dans une position de vulnérabilité. Il est incontestable que la complexité introduite par la loi Fauchon peut semer le trouble parmi ces familles, dans la compréhension de la décision judiciaire, fondamentale pour son acceptation. Le jugement du tribunal correctionnel de Saint Nazaire dans l'affaire du Queen Mary II, par exemple, interpelle les personnes qui n'ont pas de culture juridique et se révèle peu compréhensible pour les victimes.

Emmanuel KESSLER

Un contentieux lié au risque sanitaire et à la mise en cause des professionnels de santé dans le cadre d'accidents commence à émerger.

Dominique VIRIOT-BARRIAL

Les victimes sont confrontées à un choix quant aux voies de réparation. Dans la notion de catastrophe, nous sommes obligatoirement confrontés à des préjudices de masse, pour lesquels la voie de la simple réparation ne suffit pas toujours car ces événements font émerger une demande de justice sociale, qui passe aussi par la voie pénale.

Cette volonté d'aller sur le pénal s'avère tout aussi prégnante en matière de catastrophe sanitaire. Si, pour les accidents individuels, la recherche de la responsabilité du professionnel de santé ne pose pas problème, il n'en est pas de même en matière de catastrophe sanitaire. Il existe en effet une volonté procédurale d'arriver jusqu'au procès par toutes les voies, et l'interprétation du contenu de la décision judicaire peut soulever quelques questions.

La notion de risque se révèle, en cette matière, particulièrement centrale mais il convient de déterminer la nature de celui-ci - avéré ou potentiel - car si un risque avéré peut engager la responsabilité, quid de la prise en compte d'un risque potentiel simplement susceptible d'entraîner, à un moment donné, un dommage ? Il faut alors se demander si le principe de précaution peut entrer dans la sphère pénale comme il est entré dans la sphère civile et quelque peu dans la sphère administrative. Une telle admission déclenche, pour l'instant, une grande hostilité.

Emmanuel KESSLER

Quel bilan tirez-vous de la loi du 10 juillet 2000 ?

Luc BRUNET

Le contentieux pénal des élus en matière d'homicides et de blessures involontaires se révèle statistiquement insignifiant, représentant moins de 8 % du contentieux pénal des élus. D'un point de vue quantitatif, l'objectif poursuivi par le législateur semble donc atteint, puisque nous avons constaté une baisse significative des mises en cause pénales et des condamnations des élus locaux, alors que dans le même temps, on constate une hausse corrélative des mises en cause des fonctionnaires territoriaux ne bénéficiant pas des dispositions de la loi et de l'appel à la responsabilité des personnes morales de droit public, ces dernières n'encourent toutefois de responsabilité pénale que pour des activités susceptibles d'une délégation de service public. Cette notion, diversement appréciée par les juridictions, a pu donner lieu à des relaxes et conduit les justiciables à rechercher plutôt la responsabilité de la personne physique. Sur un plan qualitatif, la reprise, dans la décision de justice, de l'article 121-3 du Code pénal sans motivation particulière peut cependant paraître choquante.

Henri BLONDET

Je suis frappé par l'intensité des moyens mis en place aux stades de l'enquête, de l'information et du jugement pour essayer de démontrer la vérité et la frustration des victimes face à la constatation d'une absence de lien de causalité qui peut en résulter.

Quand la loi Fauchon est parue, j'ai craint que cela ne démobilise le ministère public et les juges d'instruction, n'ouvrant plus d'information dès lors qu'ils estimaient que la faute était indirecte ; mais les magistrats ont continué à rechercher l'intégralité des causes, notamment dans les affaires de catastrophe sanitaire.

Nous avons récemment été amenés à nous interroger sur l'opportunité de préciser davantage la qualification des faits, pour prendre en compte les éléments de la loi. Cela pourrait en effet faire obstacle au développement des poursuites et aux condamnations.

Stéphane GICQUEL

Vous avez pointé le coeur de nos préoccupations. J'espère que la nécessité d'une réponse pénale est partagée mais celle-ci ne se limite pas au seul l'article 121-3. Les catastrophes conduisent à s'interroger sur l'organisation et les moyens mis à la disposition de la poursuite judiciaire. Si le lien de causalité n'est pas établi avec certitude, peut-être faut-il s'enquérir des raisons pour lesquelles cela n'a pas été possible.

Pierre FAUCHON

Il n'y a point de délit sans volonté de le commettre. Dans des cas exceptionnels, cependant, le droit pénalise des actes d'imprudence. Ce faisant, un individu qui n'a pas voulu « faire le mal » sera traité de la même manière qu'un délinquant qui a intentionnellement commis un acte répréhensible. Il s'avère à la fois nécessaire et délicat de pénaliser l'imprudence. Il apparaît pourtant inimaginable de ne pas la pénaliser car les victimes ont besoin de réparation et de justice sociale et cherchent à ce que l'événement tragique qui les a frappées ne se reproduise pas. Or la poursuite pénale incite à la prudence.

Quant aux collectivités locales, je pense que nous pourrions revenir sur la limitation de leur responsabilité aux seules activités susceptibles de délégation de service public, limitation qui peut conduire à des situations invraisemblables.

Lors de l'adoption de la loi, je me suis opposé à une définition trop précise de l'imprudence caractérisée car il est impossible de tout prévoir. Mieux vaut ouvrir un large champ d'interprétation aux juges.

De la salle

Dans certaines décisions, en matière sanitaire notamment, le juge pénal, après la relaxe, lorsqu'il statue au civil, continue à raisonner en pénaliste, exigeant la preuve positive du lien de causalité dans des domaines où le juge civil se contente de présomptions de causalité.

De la salle

En droit du travail, le simple constat d'une contravention à la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité constitue une faute caractérisée, créant ainsi une sorte de responsabilité automatique pour le chef d'entreprise, qui apparaît comme une rupture d'égalité manifeste entre les justiciables, chefs d'entreprise ou élus locaux.

Luc BRUNET

Le maire, en tant qu'employeur, est soumis aux règles d'hygiène et de sécurité au travail et donc à la même législation que les chefs d'entreprise en matière d'accident du travail.

Jean-Jacques HYEST

La difficulté que pose la responsabilité pénale des personnes morales de droit public réside dans les sanctions. Les plus graves - dont la dissolution - ne peuvent être appliquées à ces personnes. La notion de délégation de service public renvoie à des services publics et commerciaux qui, eux, se présentent presque comme des entreprises. C'est la raison pour laquelle une telle limite a été appliquée.

Stéphane GICQUEL

Pour les associations de victimes, la mise en cause des personnes morales constitue un progrès évident mais nous demandons que la loi Fauchon ne s'applique qu'aux seules personnes physiques. Faire peser sur les épaules d'un seul homme une catastrophe qui entraîne des effets de grande ampleur ne répond pas en effet à la nécessité d'une réponse pénale. Nous souhaitons voir la responsabilité des collectivités locales élargie, élargissement qui réduirait le nombre des poursuites à l'encontre des fonctionnaires, dont la responsabilité est aujourd'hui recherchée à la place de celle de la personne morale dont ils dépendent. La sanction des personnes morales constitue également une vraie difficulté, le montant des amendes se révélant souvent dérisoire.

Emmanuel KESSLER

Qu'en est-il en Belgique ?

Jean-François LECLERCQ

La législation en vigueur sur la responsabilité des personnes morales a été fortement critiquée car elle peut aboutir à des conséquences curieuses. Je crois cependant que notre pays n'est pas totalement remis de la « chasse aux sorcières » menée contre les magistrats, les autorités de police et de gendarmerie et certains ministres, lors des affaires des enfants disparus, dans les années 1990.

Les propositions de loi visent notamment à créer un système particulier de responsabilité pour les personnes morales de droit public, sans faire de différence entre les entités. Le texte s'avère cependant trop imprécis et perd de vue le fait que certaines activités peuvent être exercées à la fois par des entités privées et publiques.

Nous nous interrogeons également sur la place de la responsabilité des fonctionnaires et agents publics par rapport à celle des décideurs politiques mais cette question revêt une grande complexité.

De la salle

Est-il nécessaire que le droit pénal belge se dote d'une règle spécifique, à l'instar de la loi Fauchon, ou un texte général suffit-il ?

Jean-François LECLERCQ

Il s'agit avant tout d'un choix politique.

De la salle

En France, la catastrophe sanitaire de l'amiante fait dix morts par jour, 3 000 à 5 000 morts par an. 100 000  morts sont programmées dans les deux prochaines décennies. Le danger de l'amiante est connu depuis plus d'un siècle. Or, dans ce scandale de l'amiante, la loi du 10 juillet 2000 a produit et continue de produire des effets pervers. Elle constitue un obstacle au procès pénal.

A Dunkerque en 2003 et à Douai en 2004, la loi Fauchon a servi de support au juge pour prononcer un non-lieu. La Cour de Cassation a confirmé ce non-lieu non sur le fond mais sur la forme. Ces décisions ont été vécues par les victimes comme un véritable déni de justice. Un permis de tuer existe-t-il lorsque la cause est indirecte et l'effet différé ? Les conséquences de l'exposition à l'amiante ne sont visibles que 15 à 30 ans après cette exposition. Nous pensons que, pour un scandale sanitaire comme celui de l'amiante, cette loi doit être revue.

Pierre FAUCHON

Je suis l'un des premiers à avoir dénoncé les dangers de l'amiante, en 1979. En tant que législateur, je ne peux cependant porter d'appréciation sur une décision de justice. Je laisse aux juges l'entière responsabilité de leur décision.

La Cour de Douai, en 2008, examinant un jugement du Tribunal de Lille qui avait refusé de vérifier l'existence de victimes concrètes, considérant qu'un lien de causalité ne pouvait être établi, s'est fondée sur la mise en danger délibérée, estimant que les prévenus, disposant d'une parfaite connaissance des dangers de l'amiante, avaient continué à exposer leurs salariés à ce matériau. La mise en danger délibérée peut, dans de telles circonstances, constituer une voie alternative.

Dominique VIRIOT-BARRIAL

Dans le cadre de l'affaire de l'amiante, la responsabilité de l'État a été mise en cause devant le Conseil d'État. Ses décisions, rendues en mars 2004, évoquent, pour la première fois, une notion de faute, quasiment au sens pénal du terme.

De la salle

Le droit et la science évoluent. Les risques scientifiques ignorés sont multiples. En ce domaine, la coopération internationale s'avère indispensable. L'espace pénal constitue le seul domaine où peut être véritablement atteint le responsable. Il conviendrait donc, à l'avenir, d'améliorer la coopération au niveau communautaire, voire international. Il s'avère par ailleurs nécessaire de permettre aux victimes de trouver les techniques de financement pour garantir une égalité des armes. Les juges d'instruction font régulièrement appel aux victimes qui, par la solidarité, disposent des moyens de payer des experts. Enfin, jusqu'à présent, me paraît ignorée l'évolution de la perception par la société de ce qu'est cette notion de catastrophe. Ça n'est plus seulement ce qui blesse dans la chair mais également ce qui blesse dans l'âme, dans le patrimoine collectif, voire dans l'environnement.

Dominique VIRIOT-BARRIAL

La notion de catastrophe recouvre des réalités très différentes. S'agissant des préjudices, la prise en compte ne se limite pas, dans les grandes catastrophes, aux simples préjudices corporels mais touche également aux préjudices « moraux », tant pour les victimes directes qu'indirectes.

Stéphane GICQUEL

Nous avons le souci de déconnecter l'indemnisation de la procédure pénale. Dans de nombreuses affaires, comme AZF, le procès débute alors que le problème de l'indemnisation a été réglé, permettant de se consacrer entièrement au débat pénal, qui doit malgré tout se tenir.

Henri BLONDET

En matière de catastrophe aérienne notamment, se développent des transactions et indemnisations que le parquet ne perçoit pas forcément. Il est souhaitable que les associations de victimes puissent être indemnisées par un recours devant la juridiction pénale, un peu l'équivalent d'un article 700 du code de procédure civile.

Robert FINIELZ

S'agissant de l'équivalence des armes, il ne faut pas oublier qu'il incombe au juge de mener la procédure de manière impartiale. Il peut exister une dérive financière très dangereuse tenant à la multiplication des expertises et leur financement par l'État.

Dominique VIRIOT-BARRIAL

Une affaire récente, en matière de catastrophe aérienne, repose la question de la class action. Le fait d'entrelacer les différents systèmes de réparation et de demandes de « sanction » se révèle très insatisfaisant. Il convient peut-être de s'interroger sur une unification pour gérer tout à la fois les notions de réparation, de justice sociale et de reconnaissance de responsabilité.

De l'atteinte involontaire à la mise en danger

Pierre FAUCHON - Sénateur de Loir-et-Cher

Depuis toujours, le code pénal a posé le principe selon lequel l'imprudence pouvait constituer un délit dès lors qu'elle avait causé un dommage à un être humain. La loi du 10 juillet 2000, élaborée dans un contexte de consensus politique, a eu pour objet que l'imprudence ainsi qualifiée de délictueuse revête une importance caractérisée. Cependant, l'ensemble du système ne prend en compte que les imprudences ayant effectivement causé un dommage, les sanctions prévues étant elles-mêmes fonction de l'importance de ce dommage. Ce système revient en réalité à apprécier le caractère fautif d'une imprudence et sa gravité en fonction de ses conséquences et non des éléments constitutifs de la faute. Des imprudences de faible gravité peuvent ainsi entraîner des condamnations sévères si elles ont causé des dommages importants alors que des imprudences parfois plus graves en elles-mêmes peuvent ne donner lieu à aucune condamnation dans la mesure où elles n'ont, de manière certaine, causé aucun dommage.

Ainsi, dans l'une des incriminations de l'affaire du sang contaminé, les tribunaux ont-ils prononcé la relaxe des prévenus au simple motif que les victimes avaient pu contracter ce mal autrement qu'à l'occasion d'une transfusion sanguine. Une telle décision peut laisser penser que la justice, en ce cas, n'a peut-être pas été rendue. Elle conduit à se demander si le caractère délictueux ou non d'une imprudence ne devrait pas être apprécié davantage en fonction des éléments qui la caractérise plutôt que de l'effectivité de ses conséquences, et si ne devraient pas être prises en compte les imprudences n'ayant pas encore provoqué de dommage ou n'ayant pas de causalité certaine avec un dommage effectif.

L'article 223-1 du Code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort et de blessures. Extrêmement restrictif, ses applications se révèlent relativement rares et lacunaires. Il a cependant joué dans une affaire relative à l'amiante. La Cour de Douai, en 2008, après avoir relevé une série d'infractions au code du travail en relation avec le danger d'inhalation de poussières d'amiante, a confirmé une condamnation sur le fondement de cet article 223-1, sans rechercher un lien de causalité avec un dommage causé à d'éventuelles victimes.

Le progrès génère sans cesse des formes nouvelles de danger. Des dysfonctionnements sur la centrale nucléaire de Chinon ont été relevés dans une note récente de l'Inspection du travail et une mise en demeure de celle-ci a invité les responsables de cette centrale à respecter les règles du travail. Si cette mise en demeure n'était pas suivie d'effets durant un certain laps de temps, ne serions-nous en présence d'une mise en danger ?

La vie quotidienne offre également de plus en plus d'occasions de recourir à cette notion. Le Tribunal de Blois a en effet, cette semaine, condamné, sur le fondement de la mise en danger, une bande d'enfants qui avait pris l'habitude de jeter des projectiles d'un pont sur l'autoroute au moment où des voitures se présentaient.

Le recours à la notion de mise en danger peut donc constituer une réponse adéquate aux hypothèses réunissant une imprudence caractérisée mais une absence de dommage identifié ou de lien de causalité certain entre cette imprudence et un tel dommage : ce système permet de donner à la délinquance d'imprudence une base plus satisfaisante moralement que celle qui mesure la gravité de l'imprudence à celle du dommage. Si la survenance et la gravité du dommage procèdent de circonstances souvent indépendantes de l'imprudence, les éléments constitutifs de la mise en danger constituent à proprement parler la justification de la poursuite pénale.

L'élargissement de la notion de risque causé à autrui ne saurait conduire à une mise en cause généralisée de tous les comportements générateurs de risque mais doit revenir sur la trop grande restriction de la portée du texte actuel. Le caractère manifestement délibéré de la violation est justifié par le caractère intentionnel de l'imprudence. En revanche, l'exigence d'une obligation posée par la loi ou le règlement suppose que cette loi ou ce règlement -ce terme désigne un règlement donné, et non pas l'ensemble de la réglementation- ait prévu toutes les hypothèses d'imprudence. C'est à cet élément qu'il convient d'apporter une amélioration. On peut également s'interroger sur l'accumulation des exigences, tenant au caractère particulier de l'obligation de prudence ou de sécurité, à l'exposition directe d'autrui ou au caractère immédiat du risque auquel ce dernier est exposé, accumulation qui rend le texte pénal trop rarement applicable.

Ce colloque nous permettra d'enrichir notre réflexion, par un débat contradictoire, ouvert et vivant, que le dépôt d'une proposition de loi pourrait prolonger, en fournissant une réponse plus appropriée que celle des textes actuels 3 ( * ) .

Maître Daniel SOULEZ-LARIVIERE - Avocat au Barreau de Paris

Le désir de punir parvient parfois à un niveau tellement exagéré qu'il donne l'obligation au législateur de revenir vers plus de raison ou, dans d'autres circonstances, de trouver le moyen de condamner à tout prix. Il y a là un phénomène sociologique tout à fait intéressant.

La loi Fauchon a vu le jour lorsque des décideurs publics se sont trouvés poursuivis en correctionnelle. Rien ne vaut, pour comprendre les autres, que de vivre ce qu'ils vivent. Cette loi, cependant, se proposait d'offrir une protection non à ces seuls décideurs publics mais à tous les citoyens. La tendance semble aujourd'hui s'être inversée, suite à un certain nombre de relaxes. Pourtant, la réponse pénale, certes nécessaire, peut consister tant en une condamnation qu'en une relaxe.

Les affaires qui animent le débat d'aujourd'hui ne présentent aucun lien avec la loi Fauchon. Dans les affaires d'AZF ou du Mont Saint Odile, nous nous sommes trouvés confrontés à une inexistence complète d'explication et non à un problème de lien de causalité. Lorsque l'on ignore les raisons du sinistre, comment condamner les auteurs des erreurs commises ? Il me paraît dangereux voire hérétique d'aménager le dispositif en vigueur, en contournant la certitude du lien entre une faute et un dommage car le caractère certain de la cause constitue un principe essentiel de la responsabilité pénale depuis presque cent ans.

Dans l'affaire du Mont-Saint-Odile, la poursuite était fondée sur la mauvaise conception d'un bouton permettant de choisir le mode de descente, entraînant une faute du constructeur. La Cour a cependant conclu à l'absence d'explication du crash, reniant tout lien certain entre ce sinistre et les griefs faits au bouton. Admettons aujourd'hui qu'une requalification ait pu être envisagée. Le caractère dangereux du bouton aurait pu entraîner une condamnation pour mise en danger. S'agissant de la loyauté des débats judiciaires, il s'agit cependant là d'une abominable hypocrisie. Les avions américains continuent de voler avec le même bouton. Ceci engendre un débat déloyal et, sur le plan de la logique, absurde.

Le dossier reposait également sur l'absence d'une alarme de proximité de sol - GPWS - sur l'avion. L'administration avait estimé qu'il n'était pas opportun d'installer un tel dispositif sur les appareils français, compte tenu d'une mise au point insuffisante. Les experts eux-mêmes ignoraient si son existence aurait pu empêcher l'accident. Cette spéculation sur la perte de chance ne permet pas la condamnation. La mise en danger pourrait-elle être admise sur la base de cette perte de chance ? Cela reviendrait à court-circuiter l'ensemble du dispositif.

Outre l'absence de cumul, je pense que toucher à ce texte en supprimant la référence à la violation délibérée d'une obligation de prudence et de sécurité prévue par la loi ou le règlement et en modifiant l'obligation particulière de sécurité et le caractère immédiat du danger tendrait à le détruire. Ce texte s'inscrit dans une démarche quasi-intentionnelle.

En entrant dans le domaine de la spéculation, la prévisibilité de l'existence de l'infraction suppose qu'une ligne soit présentée à l'individu, au-delà de laquelle il peut être condamné. Pour que le caractère intentionnel de cette infraction virtuelle soit respecté, il faut donc que la règle soit précise. La seule solution à ce problème consistait, à l'époque, à exiger une conformité à la loi et au règlement. A force de modification, l'infraction ne sera plus déterminée. L'esprit du texte sera intégralement contredit sur son aspect intentionnel. In fine , un tel texte, enfreignant la légalité des délits et des peines, pourrait être considéré comme inconstitutionnel.

L'extension de la jurisprudence sur le concept d'immédiateté par l'arrêt de la Cour de Douai du 6 mars 2008 4 ( * ) , qui explique que l'inhalation de poussières d'amiante génère un effet immédiat susceptible d'entrer dans le cadre de la loi du 10 juillet 2000, ne s'oriente pas pour autant dans une révolution de la notion de mise en danger.

Je crois que l'extension à l'infini du pénal, par exemple via ce contournement de la certitude de la relation causale grâce à une extension de la mise en danger se révèle contraire à la sécurité dans de nombreuses circonstances. J'ai constaté l'effet du pénal sur le comportement des individus, en particulier dans les secteurs pointus où la sécurité repose sur le retour d'expérience. Par ce retour d'expérience, chaque acteur de l'industrie, qui a commis une erreur ou constaté un désordre, peut le signaler sans être sanctionné. A force d'extension, le pénal entravera ce travail essentiel pour la sécurité de s'accomplir, les individus craignant de voir leur responsabilité recherchée en cas d'erreur.

Il existe cependant des solutions alternatives. Au Royaume-Uni se déroulent des enquêtes - menées par le Coroner - qui ne constituent pas des enquêtes pénales. L'instruction à la française n'informe pas le public, sauf à l'audience, des circonstances de l'événement au contraire de l'enquête du Coroner, conduite suivant des règles de procédure très précises. Cette différence s'est révélée particulièrement criante lors du décès de la princesse Diana. L'ouverture obligatoire d'une enquête pour homicide involontaire handicape la recherche de la vérité, qui ne s'apparente aucunement à la recherche du péché. Cette situation s'avère encore plus absurde dans des domaines comme l'aviation où il existe des institutions spécifiques chargées d'identifier les causes du sinistre, une recherche de vérité beaucoup moins longue que la procédure pénale, comme l'a démontré l'affaire du Mont-Saint-Odile.

Une solution alternative reviendrait non pas à bannir le pénal de ces accidents mais à commencer par un travail d'investigation, mené par exemple par des commissions d'enquête, à l'instar des pays nordiques. Rendre le pénal moins automatique permettrait d'aider le public et les victimes de grandes catastrophes. Cela permettrait de balayer l'illusion qu'il existe toujours un coupable, illusion qui peut susciter la frustration des victimes lorsqu' in fine , ce coupable n'a pas été désigné.

Il ne s'agit pas là seulement d'un problème juridique mais également philosophique, qui fait intervenir tout à la fois la logique, la morale et la théologie.

Clôture des travaux

Jean-Jacques HYEST - Président de la commission des Lois du Sénat

Mesdames et Messieurs, je voudrais saluer la grande qualité des interventions qui ont marqué ce colloque et souligner l'intérêt de croiser les regards de tous sur une question de droit qui concerne très étroitement le quotidien de nos concitoyens.

Les versions successives de l'article 121-3 du Code pénal traduisent certainement la difficulté de trouver le bon équilibre dans la répression des délits non intentionnels. S'il faut éviter une répression excessive, il importe également de se garder d'une dépénalisation qui déresponsabiliserait les acteurs sociaux dans des domaines comme la sécurité routière, les accidents du travail, la santé publique ou l'environnement.

Les objectifs recherchés par le législateur de 2000 paraissent atteints grâce, en particulier, à la rédaction du dernier alinéa de l'article 121-3 du Code pénal et la référence à la notion de faute caractérisée. Si un accident se produit, la responsabilité pénale ne sera engagée, dans la plupart des cas, que si le décideur était préalablement et personnellement alerté de l'existence d'un risque, notions bien connues des juristes.

En revanche, la nouvelle rédaction de l'article 121-3 du Code pénal n'a pas diminué la répression dans certains domaines comme les accidents du travail.

Les dispositions actuelles donnent satisfaction. Faut-il pour autant conclure sur un statu quo législatif dans le domaine des délits non intentionnels ? Il est vrai que des affaires récentes, d'un grand retentissement médiatique, se sont traduites par des relaxes en l'absence de lien de causalité entre les comportements fautifs et les dommages constatés, suscitant un sentiment justifié d'incompréhension chez les victimes.

Le droit pénal n'est pas sans réponse face à de telles sanctions mais la peine encourue apparaît modeste au regard de la gravité de certains comportements et les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale sont très difficiles. La référence au caractère délibéré de la violation de l'obligation de sécurité ou de prudence est fondamentale et constitue un garde-fou contre l'extension déraisonnable de la répression.

Deux aspects du dispositif méritent cependant réflexion. Ne faut-il pas prendre en compte les violations aux obligations fixées par « les règlements » et non par « un règlement » donné ? Serait-il envisageable de lever l'exigence tenant à l'exposition directe à un dommage lorsque celui-ci concerne potentiellement un grand nombre de personnes ?

Si une évolution de la législation devait s'imposer, elle devrait être inspirée par la recherche de l'équilibre le plus satisfaisant entre le souci d'équité et la répression. Je pense qu'intégrer le principe de précaution dans notre Code pénal représenterait un danger absolu.

Je ne saurais conclure sans remercier chaleureusement le Président du Sénat, le Premier Président et le Procureur général de la Cour de Cassation avec lesquels ce colloque a été organisé. Je voudrais dire également ma gratitude à Pierre Fauchon, dont la réflexion ne cesse d'être un aiguillon pour permettre d'améliorer notre droit.

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ANNEXES

1. Proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui »

2. Décisions de jurisprudence

1. PROPOSITION DE LOI

N° 223

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 janvier 2011

PROPOSITION DE LOI

relative à la délinquance d' imprudence et à une modification des

dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise

en danger délibérée de la personne d' autrui »,

PRÉSENTÉE

Par MM. Pierre FAUCHON, François ZOCCHETTO et Jean-René LECERF,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et

d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions

prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis toujours le code pénal a posé le principe selon lequel l'imprudence pouvait constituer un délit, dès lors qu'elle avait causé un dommage à un être humain : blessure ou homicide par imprudence. La loi du 10 juillet 2000 a eu pour objet de faire en sorte que l'imprudence ainsi qualifiée de délictueuse ne soit pas n'importe quelle imprudence, mais, à tout le moins, une imprudence « caractérisée », étant entendu que cette restriction ne vaudrait que pour les personnes physiques et pour les circonstances où la relation de causalité entre l'imprudence et le dommage n'est qu'indirecte.

Cependant, l'ensemble de ce système revient à ne prendre en compte que les imprudences ayant effectivement causé un dommage et les sanctions prévues étant fonction de l'importance de ce dommage, ce système tend à apprécier le caractère fautif d'une imprudence et la gravité de cette faute en fonction de ses conséquences, d'où il suit que des imprudences de faible gravité peuvent conduire à des condamnations sévères parce que l'enchainement, en lui-même fortuit, des circonstances aura fait que ces imprudences ont causé de très graves dommages, tandis que d'autres, beaucoup plus graves ne donnent lieu à aucune condamnation pour la simple raison qu'elles n'ont causé de manière certaine aucun dommage.

Ainsi, a-t-on vu dans l'affaire du sang contaminé prononcer la relaxe de personnes convaincues d'avoir distribué du sang dont elles savaient qu'il pouvait transmettre le SIDA, pour la simple raison, au demeurant correcte, selon laquelle les victimes avaient pu contracter ce mal autrement qu'à l'occasion d'une transfusion sanguine.

Une telle décision donne à penser que dans cette circonstance, la justice n'a pas été rendue. Elle conduit à s'interroger sur le point de savoir si le caractère délictueux ou non d'une « imprudence » ne devrait pas être apprécié d'avantage en fonction des éléments qui caractérisent cette imprudence plus que de l'effectivité de ses conséquences et prendre en compte même les imprudences n'ayant pas ou pas encore provoqué de dommages ou n'ayant pas de lien de causalité certain avec un dommage effectif.

Le code pénal contient d'ores et déjà une disposition qui répond à ces questions. C'est l'article 223-1 qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure, etc. »

Il s'agit ici non du fait d'avoir effectivement causé un dommage mais du seul fait « d'exposer directement autrui... ». Cet article s'inscrivant dans la perspective générale de l'article 121-2 du même code. Les conditions de ce délit sont cependant tellement restrictives que la jurisprudence le concernant est lacunaire. Relevons cependant le récent arrêt de la cour de Douai de 2008 faisant application de la notion de mise en danger dans une affaire d'amiante.

Les processus industriels de toutes natures, y compris les transports, sont sans doute le domaine où une telle évolution trouve les occasions les plus remarquables de s'affirmer. L'actualité fournit à cet égard des exemples particulièrement significatifs.

Il n'y a pas cependant que les risques industriels, et la vie quotidienne peut offrir des occasions non moins importantes de recourir à la mise en danger d'autrui. En particulier lorsque des délits volontaires en eux même mineurs, apparemment, créent cependant des risques qui peuvent être considérables.

Il apparait que la notion de mise en danger ou de risque causé à autrui peut être une réponse adéquate aux problèmes posés par les hypothèses dans lesquelles on se trouve en présence d'une imprudence caractérisée, et même souvent beaucoup plus que caractérisée, en l'absence de dommages précis identifiés ou en l'absence d'un lien de causalité certain avec un tel dommage.

Cette démarche permet de donner à la délinquance d'imprudence une base plus satisfaisante moralement que celle qui mesure la gravité de l'imprudence à celle du dommage.

En effet, la survenance et la gravité du dommage procèdent de circonstances le plus souvent indépendantes du fait même de l'imprudence, alors que les éléments constitutifs de la mise en danger constituent à proprement parler la justification de la poursuite pénale, d'autant qu'avec la notion de mise en danger « délibérée », on se trouve en vérité à mi-route entre la délinquance d'imprudence et la délinquance intentionnelle.

Ces considérations invitent à amender le texte actuel de l'article 223-1 du code pénal dans le but d'élargir et d'assouplir ses conditions d'application sans pour autant leur donner un caractère illimité.

La principale difficulté réside dans l'exigence d'une « violation manifestement délibérée d'une « obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

Ce qui parait faire problème, ce n'est pas l'exigence d'une violation « délibérée » mais plutôt le fait que cette violation soit celle d'une obligation imposée par la loi ou le règlement.

La première exigence parait en effet être essentielle pour la qualification délictueuse, d'autant qu'elle introduit un élément en quelque sorte intentionnel dans l'imprudence, la seconde au contraire parait quelque peu arbitraire dans la mesure ou il n'y a pas de concordance nécessaire entre l'édiction d'une norme législative ou réglementaire et la création d'un risque, création qui, par nature, peut parfaitement échapper à la vigilance du législateur, alors surtout que le développement des techniques ou l'imagination malfaisante créent chaque jour de nouvelles circonstances potentiellement dangereuses.

La présente proposition de loi a pour objet de répondre à ces préoccupations.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 223-1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente soit par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, soit par la commission d'une faute d'imprudence grave et qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité que l'auteur de cette faute ne pouvait ignorer est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. »

2. DÉCISIONS DE JURISPRUDENCE
• Conseil Constitutionnel - Décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 - Région Languedoc-Roussillon et autres - Article 575 du code de procédure pénale

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er juin 2010 par la Cour de cassation (arrêts n° 12027 et n° 12028 du 31 mai 2010), puis le 11 juin 2010 par cette même cour (arrêt n° 12039 du 4 juin 2010) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaire de constitutionnalité posée, respectivement, par la région LANGUEDOC-ROUSSILLON, Mme Irène C. et M. Francisco A., relatives à la conformité de l'article 575 du code de procédure pénale aux droits et libertés que la Constitution garantit. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la région LANGUEDOC-ROUSSILLON par la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 juin 2010 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16 juin 2010 ;

Vu les observations produites pour M. A. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, enregistrées le 23 juin 2010 ;

Vu les nouvelles observations produites pour les requérants, enregistrées le 30 juin et le 1er juillet 2010 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Arnaud Lyon-Caen pour la région LANGUEDOC-ROUSSILLON, Me Piwnica pour M. A., Me Thouin-Palat pour AGF et Mme Cécile BARROIS de SARIGNY, désignée par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 juillet 2010 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les questions transmises par la Cour de cassation portent sur la même disposition législative ; qu'il y a donc lieu de les joindre pour y répondre par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 575 du code de procédure pénale : « La partie civile ne peut se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l'instruction que s'il y a pourvoi du ministère public.

« Toutefois, son seul pourvoi est recevable dans les cas suivants :

« 1° Lorsque l'arrêt de la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à informer ;

« 2° Lorsque l'arrêt a déclaré l'irrecevabilité de l'action de la partie civile ;

« 3° Lorsque l'arrêt a admis une exception mettant fin à l'action publique ;

« 4° Lorsque l'arrêt a, d'office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l'incompétence de la juridiction saisie ;

« 5° Lorsque l'arrêt a omis de statuer sur un chef de mise en examen ;

« 6° Lorsque l'arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ;

« 7° En matière d'atteintes aux droits individuels telles que définies aux articles 224-1 à 224-5 et 432-4 à 432-6 du code pénal » ;

3. Considérant que, selon les requérants, l'interdiction faite à la partie civile de se pourvoir contre un arrêt de non-lieu de la chambre de l'instruction en l'absence de pourvoi du ministère public porte atteinte au principe d'égalité devant la loi et la justice, au droit à un recours effectif et aux droits de la défense ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;

5. Considérant qu'en vertu de l'article préliminaire du code de procédure pénale, l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ; qu'aux termes de l'article 1er de ce même code : « L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. ° Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code » ; que son article 2 dispose : « L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction » ;

6. Considérant qu'en application de l'article 85 du code de procédure pénale, toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent ; qu'au cours de l'instruction préparatoire, la partie civile peut accéder à la procédure, être informée du déroulement de celle-ci, formuler une demande ou présenter une requête en annulation d'actes d'instruction ou demander la clôture de la procédure ; que, conformément à l'article 87 du même code, elle peut interjeter appel de l'ordonnance déclarant sa constitution irrecevable ; que, par application des deuxième et troisième alinéas de son article 186, elle peut également former appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu, des ordonnances faisant grief à ses intérêts ainsi que de l'ordonnance par laquelle le juge statue sur sa compétence ; que la même faculté d'appel lui est ouverte par l'article 186-1 de ce code, pour les ordonnances refusant les actes d'instruction qu'elle a demandés, relatives à la prescription de l'action publique ou écartant une demande d'expertise ; qu'en vertu de l'article 186-3, il en va de même de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel si la victime estime que les faits renvoyés constituent un crime ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 567 du même code, les arrêts de la chambre de l'instruction peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou la partie civile à laquelle il est fait grief suivant les distinctions établies ;

8. Considérant que la partie civile n'est pas dans une situation identique à celle de la personne mise en examen ou à celle du ministère public ; que, toutefois, la disposition contestée a pour effet, en l'absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer, par la Cour de cassation, la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l'instruction statuant sur la constitution d'une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure ; qu'en privant ainsi une partie de l'exercice effectif des droits qui lui sont garantis par le code de procédure pénale devant la juridiction d'instruction, cette disposition apporte une restriction injustifiée aux droits de la défense ; que, par suite, l'article 575 de ce code doit être déclaré contraire à la Constitution ;

9. Considérant que l'abrogation de l'article 575 est applicable à toutes les instructions préparatoires auxquelles il n'a pas été mis fin par une décision définitive à la date de publication de la présente décision,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article 575 du code de procédure pénale est déclaré contraire à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 juillet 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 23 juillet 2010

Journal officiel du 24 juillet 2010, p. 13727

• Cour de cassation - Première chambre civile
Arrêt n° 114 du 28 janvier 2010 (08-18.837)

Demandeur(s) : Mme S... X..., épouse Y...

Défendeur(s) : la société UCB Pharma, société anonyme, et autres

Sur le moyen unique , pris en sa première branche :

Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;

Attendu qu'atteinte d'une stérilité qu'elle impute à la prise par sa mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée dyéthylstilbestrol (DES), Mme Y... a recherché la responsabilité, à titre principal de la seule société UCB Pharma, fabricante de la spécialité Distilbène® et, à titre subsidiaire, de ladite société et de la société Novartis santé familiale, distribuant la molécule sous le nom de Stilbestrol Borne ;

Attendu que pour rejeter l'ensemble des demandes en expertise et en indemnisation de Mme Y..., l'arrêt attaqué retient que le fait que les deux sociétés aient toutes deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne pouvant fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage, il conviendrait que soit établi que les deux produits lui ont été administrés, preuve non rapportée en l'espèce ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

• Cour d'appel de Douai - Arrêt du 27 juin 2008 - 06/02310

Décision attaquée : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille du 11 Septembre 2006

.......................................................................................................................................

Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat , notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l' article L. 452-1 du code de la sécurité sociale , lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Attendu que Monsieur Gérard VERSTRAETE a travaillé au sein de la société SOLLAC ATLANTIQUE du 13 janvier 1964 au 10 juillet 1994 en qualité d'ouvrier d'aciérie.

Qu'il a occupé successivement les postes suivants :


• Manoeuvre aux hauts fourneaux de 1964 à 1966.


• Surveillant épuration de 1967 à 1974.


• Surveillant des hauts fourneaux de 1974 à 1989.

..................................................................................................................................

Qu'il ressort de ces différents témoignages que Monsieur VERSTRAETE a été exposé quotidiennement à l'amiante dans son activité professionnelle sur le site de DUNKERQUE entre 1964 et 1989.

Attendu qu'en France la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a dès 1945 été inscrite dans le tableau no 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945 faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante.

Que par la suite, le décret du 31 août 1950 a instauré le tableau no 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition, en deçà duquel le risque n'existait pas.

Que le fait que le tableau no 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été crée dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que, quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était dès cette époque tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre.

Que ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs DHERS et DESOILLE ( 1930 ) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la médecine du travail.

Que dès 1955 l'enquête de Ricard DOLL sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande-Bretagne confirma l'existence d'un risque de cancer du poumon.

Qu'en 1964 fut organisé à CAEN un Congrès International sur l'asbestose, auquel assistaient les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et la majorité des professeurs de médecine directement concernés parles problèmes de santé au travail.

Qu'au cours de ce congrès le Professeur WAGNER a exposé les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et la mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960.

Que le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'académie de Médecine du 9 février 1965 par le Professeur TURIAF.

Qu'en 1967, une note de l'Institut National de Recherche et de Sécurité

(INRS), rappelant le retard pris par la France dans le domaine de l'exposition à l'amiante, dressait un état des lieux des mesures déjà prises dans d'autres pays.

Qu'en 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque du cancer broncho pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection.

Que toujours à propos de ce risque cancérigène, une note de l'INRS de 1976 établissait une revue bibliographique sur le pouvoir cancérogène des amiantes et des matériaux fibreux et débutant par l'observation suivante : « Depuis 15 ans environ, l'attention a été attirée sur l'amiante, déjà connue pour ses propriétés fibrosantes (asbestose ), comme agent étiologique des cancers humains : carcinome bronchique, mésothéliome pleural, péritonéal et peut-être certains cancers du tractus gastro-intestinal.»

Que dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France (1998), le Professeur GOT s'est exprimé de la façon suivante : « Dès le début du siècle et les premiers développements de l'usage industriel de l'amiante, le risque d'asbestose a été identifié en France par AURIBAULT en 1906. Il y a là, à mes yeux, une évidence. Les moyens de prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous-développés depuis. Lutter contre l'empoussièrement a un coût, mais c'est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l'amiante débutaient leur exposition à des niveaux d'empoussièrement dangereux souvent dès l'âge de 14 ans. Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d'années (DOLL en 1933 pour le cancer broncho-pulmonaire - WAGNER en 1960 pour le mésothéliome). En France, les écrits de TURIAF (1963) n'ont pas été des textes de diffusion réduite. Les revues où il les publiait étaient les plus diffusées de la presse médicale».

Que par conséquent l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait l'inhalation de poussière d'amiante par ses salariés qui, comme Monsieur Gérard VERSTRAETE, étaient quotidiennement exposés à ce matériau, cette connaissance des risques devant s'apprécier objectivement par rapport à ce que doit connaître un employeur dans son secteur d'activité.

Attendu que pendant la période d'emploi de Monsieur Gérard VERSTRAETE étaient applicables un certain nombre de textes légaux et réglementaires qui avaient pour objet de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général parmi lesquelles figuraient naturellement les poussières d'amiante :

- la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (article 2).

- le décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 par décrets d'administration publique pris pour l'exécution des dispositions du Livre II du Code du travail en ce qui concerne les mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis ( article 6 ).

- le décret du 13 décembre 1948 qui prescrivait, en cas d'impossibilité de mise en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés.

Que le décret du 17 août 1977 est venu compléter le dispositif existant en fixant des seuils de concentration moyenne en fibres d'amiante ( à l'origine 2 fibres par Cm3 ) dans les établissements où le personnel était exposé à l'action des poussières d'amiante et en prévoyant un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés ( protections collectives ou individuelles ).

Que les dispositions de ce décret étaient applicables aux établissements soumis aux dispositions de l'article L.231-1 du Code du travail, c'est-à-dire aux établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, « pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tout produit ou objet susceptible d'être à l'origine de l'émission de fibres d'amiante »( article 1er ).

Que cette réglementation était donc applicable à la société SOLLAC ATLANTIQUE.

Attendu que l'employeur ne soutient pas et ne démontre pas qu'il ait mis en oeuvre les mesures de protection prévues par les textes qui viennent d'être énumérés.

Que cette carence est à l'origine de la maladie professionnelle contractée par Monsieur VERSTRAETE.

Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il s'ensuit que la société SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle vient la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE n'a pas respecté l'obligation de sécurité de résultat dont elle était tenue à l'égard de Monsieur VERSTRAETE et qu'elle a donc commis au détriment de ce dernier un manquement caractérisant sa faute inexcusable.

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ses dispositions décidant que la maladie professionnelle affectant Monsieur VERSTRAETE est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE.


* 1 Voir Annexes

* 2 Pierre Fauchon a été nommé membre du Conseil Supérieur de la Magistrature. Son mandat de sénateur a pris fin le 23 janvier 2011.

* 3 M. Pierre Fauchon a présenté, le 13 janvier 2011, avec deux de ses collègues, une proposition de loi (Sénat, 2010-2011 n° 223, relative à la délinquance d' imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d' autrui » ).

Voir annexe 1.

* 4 Voir Annexes

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