Actes du colloque "LES QUESTIONS SOCIALES AU PARLEMENT (1789 - 2006)"

Palais du Luxembourg - 31 mars 2006 en partenariat avec le Comité d'Histoire Parlementaire et Politique

PRESENTATION DE LA JOURNEE
JEAN GARRIGUES, PRÉSIDENT DU COMITÉ D'HISTOIRE PARLEMENTAIRE ET POLITIQUE

Merci, Madame la sénatrice. Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, c'est la quatrième journée que nous organisons avec nos partenaires du Sénat après 2003, 2004 et 2005. En tant qu'historiens et chercheurs, nous sommes très reconnaissants à cette noble institution de nous accueillir. Je voudrais exprimer mes remerciements à Monsieur le Président du Sénat, Christian Poncelet, ainsi qu'à Monsieur Alain Delcamp, secrétaire général de la présidence du Sénat, qui nous a aidés, dès l'origine, dans cette entreprise. Je voudrais aussi, bien entendu, remercier mes collègues du Comité d'Histoire Parlementaire et Politique, notamment Frédéric Attal, Christophe Bellon, Éric Anceau, Noëlline Castagnez qui ont fait un énorme travail pour m'aider à préparer cette journée. Je voudrais enfin remercier nos partenaires du Sénat, toutes les équipes qui ont travaillé avec Alain Delcamp et nous ont aidés à ce qu'elle soit une réussite.

Nous sommes particulièrement heureux d'avoir en face de nous une salle remplie d'étudiants. Les colloques de ce type sont trop souvent des rendez-vous d'initiés, de microcosmes de chercheurs spécialistes. L'ambition que nous avons, dans ce Comité d'Histoire Parlementaire et Politique, est précisément de nous adresser à vous, aux étudiants et à tous ceux qui s'intéressent à la vie politique : étudiants de classes préparatoires, étudiants des Universités, de l'Institut d'Études Politiques ou de l'Institut des Études Judiciaires. Notre ambition n'est pas seulement de faire de l'histoire pour initiés. C'est aussi de nous ouvrir à une réflexion plus globale sur les enjeux de la société actuelle et de les observer à travers le recul de l'histoire. C'est d'ailleurs la philosophie qui est la nôtre pour les colloques et pour le séminaire mensuel que nous organisons, ainsi que pour la revue Parlement(s). Histoire et Politique que nous publions aux éditions Armand Colin : pour toutes ces initiatives, la recherche d'un langage plus accessible et d'une proximité avec les étudiants nous semble fondamentale.

Quoi de plus favorable, pour discuter avec vous, les étudiants, que ce sujet sur les questions sociales ? Quand nous l'avons choisi, c'était, avant tout, pour commémorer le centenaire du Ministère du Travail, créé en 1906, mais ce sujet a pris une actualité « brûlante », au vu de ce qui se passe aujourd'hui dans la société française. Nous traversons une crise du modèle social français, crise peut-être encore plus profonde que ce qu'a représenté celle de mai 1968, qui était davantage la crise d'un modèle sociétal. Aujourd'hui, nous sommes dans une remise en question totale de tous les fonctionnements, de tous les mécanismes de négociation et de régulation du social, avec, au coeur de ce « court-circuit » général, une interrogation sur la fonction de la démocratie représentative, c'est-à-dire du Parlement.

Pour le spécialiste de la III e République que je suis, cette interrogation sur la place et la fonction du Parlement dans la gestion des questions sociales est tout à fait passionnante. Fondée sur le politique, la III e République a en quelque sorte « découvert » la question sociale au fur et à mesure de sa maturation parlementaire. On évoque souvent, et avec raison, la faiblesse de la législation sociale à cette époque, surtout si l'on compare avec l'Allemagne ou l'Angleterre. Des lois très importantes ont mis beaucoup de temps à émerger, comme la loi Waldeck-Rousseau sur l'autorisation des syndicats, la loi sur les retraites ouvrières, la loi sur le travail des femmes et des enfants. Mais le débat parlementaire sur les questions sociales n'en était pas moins intéressant, surtout lorsqu'il mettait aux prises des orateurs de la qualité de Jean Jaurès, Georges Clemenceau, Albert de Mun, Aristide Briand, René Viviani, Alexandre Millerand, Léon Say et bien d'autres.

Rappelons par exemple la célèbre séance du 12 juin 1906, qui voit s'affronter Jaurès et Clemenceau, ce dernier étant ministre de l'Intérieur du gouvernement Sarrien. Se réclamant des députés de la Révolution française, qui « savaient que le vieux monde était fini, qu'il fallait en emporter les débris et instaurer une société nouvelle», Jaurès annonce une proposition de loi visant à transformer la propriété individuelle en propriété collective ou sociale. Remontant à la tribune après plus de dix ans d'absence, Clemenceau réfute le « fastueux mirage » de Jaurès, et lui oppose « le juste et libre développement de l'individu ». Comme le tribun socialiste reprend la parole, dénonçant la « doctrine de l'individualisme absolu », Clemenceau l'interrompt brutalement: « Vous n'êtes pas le socialisme à vous tout seul, vous n'êtes pas le bon Dieu ». Jaurès lui répond : « Vous, monsieur le ministre, vous n'êtes pas le diable » Et Clemenceau, du tac au tac : « Qu'en savez-vous ? »

Aujourd'hui, il est capital d'avoir en mémoire cette histoire parlementaire des débats autour de la question sociale. Après Francis Démier, qui nous présentera une synthèse du premier XIX e siècle, Isabelle Moret-Lespinet nous parlera des années de la Belle Époque, où s'est mis en place le projet de ministère du Travail. Puis Serge Wolikow évoquera le temps fort du Front populaire, Philippe Buton celui de la Libération, avant que Noëlline Castagnez ne revienne sur les débats peu connus des années 1950, notamment sous le gouvernement de Guy Mollet.

Nous aborderons la question plus brûlante de la V e République lors de deux tables rondes organisées en deux temps et de façon non chronologique. La première table ronde sera consacrée à une réflexion sur les grands enjeux de la question sociale depuis 1958 : la protection, la participation, puis, plus tard, les problèmes de l'emploi, de la précarité et de la nouvelle pauvreté. Il y a une véritable chronologie de ces problèmes, des césures, de nouveaux enjeux qui s'opposent, notamment depuis la crise des années 1970, et Pierre Guillaume, historien spécialiste de ces questions, nous a fait l'amitié de bien vouloir éclairer cette première table ronde, en compagnie d'un sociologue, M. Ruano-Borbalan. Des syndicalistes ont également accepté cet exercice : Gérard Gautron pour la CGT-Force Ouvrière et Jacques Bass pour la CFDT. Jean-Pierre Fourcade, ancien ministre de l'Économie et des Finances de l'époque de Valéry Giscard d'Estaing, du gouvernement Chirac, qui est aussi sénateur et s'est toujours beaucoup intéressé à ces questions sociales, sera présent également.

Dans la deuxième table ronde, nous entrerons dans les « mécaniques », dans la technique de fabrication de la loi, dans le processus législatif, à travers un certain nombre d'expériences, de grandes lois sociales, de grands débats sociaux de la V e République, avec l'éclairage du juriste Joseph Pini, spécialiste de ces questions, du Président de la Section sociale du Conseil d'État, Raphaël Hadas-Lebel, de parlementaires comme les sénateurs Jean-Pierre Michel et Jacques Blanc, et d'un ancien ministre en charge de ces questions sociales, Jean Auroux, dont chacun se souvient : les lois Auroux ont fait l'objet d'un des débats les plus fameux de la V e République.

Nous entendrons, en conclusion de cette journée, le ministre délégué à l'Emploi, au Travail et à l'Insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, qui est aussi sénateur et qui nous a fait l'honneur d'accepter d'intervenir dans cette journée. Votre confrontation, en tant qu'étudiants, avec le ministre, pourrait être tout à fait intéressante, s'il a le temps de répondre à vos questions. Il sera très stimulant d'avoir son opinion de parlementaire et de responsable de l'exécutif sur ces questions.

Je passe, sans plus attendre, la parole à Sylvie Guillaume, professeur à l'Université de Bordeaux et membre de l'Institut universitaire de France, grande spécialiste de la vie politique et sociale de la V e République, et qui a accepté de présider cette matinée.

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