7ème rencontres sénatoriales de l'entreprise - La contrefaçon : risque ou menace pour l'entreprise



colloque le 31 mars 2006 au Sénat

III. TABLE RONDE : LA CONTREFAÇON : DU RISQUE À LA MENACE

Participent à la table ronde :

Gérard LONGUET, ancien ministre, sénateur de la Meuse

Christian DERAMBURE, président de la CNCPI

François GARNIER, vice-président affaires juridiques de Pfizer France

Philippe LEGREZ, directeur juridique de Michelin

Pascal NEGRE, président de Universal Music France, président de la SCPP

Gérard SCHOEN, sous directeur des douanes, chargé de la lutte contre la fraude

La table ronde est animée par Vincent GIRET, directeur adjoint de la rédaction du Parisien

Afin de tenter de mieux cerner le problème de la contrefaçon, nous allons tout d'abord donner la parole à Gérard Schoen, sous directeur de l'administration des douanes, qui va nous faire part des impressions qu'il a ressenties sur le terrain, afin de compléter les données statistiques rappelées par Monsieur le ministre et Monsieur le commissaire européen. Dites-nous, Monsieur Schoen, comment a évolué la contrefaçon sur notre territoire au cours des dix dernières années, en ce qui concerne la nature des produits, leur qualité et leur provenance.

Je vous remercie de me donner la parole pour ouvrir cette table ronde. Afin d'examiner ces évolutions que vous évoquiez, je prendrai comme référence la date du 5 février 1994 - date à laquelle a été votée la loi la plus importante dans ce domaine, qui est encore en vigueur. C'est à l'aune de cet étalon que les résultats obtenus cette année permettront de mesurer l'ampleur nouvelle du phénomène.

L'étude des saisies pratiquées par les douaniers depuis l'entrée en vigueur de cette loi montre tout d'abord que leur nombre est en progression constante. De plus, et surtout, elles se diversifient sans cesse quant à la nature des produits contrefaits qui sont l'objet de ces saisies. Ainsi, dans les années 90, la contrefaçon concernait presque exclusivement les produits de luxe et les produits textiles. Aujourd'hui, ce sont tous les secteurs d'activité qui sont touchés, qu'il s'agisse de produits industriels, de haute technologie ou de consommation courante.

Des produits qui sont parfaitement intégrés à notre vie quotidienne sont notamment contrefaits, ce qui est d'autant plus insidieux que, pour nombre d'entre eux, personne n'imaginerait qu'ils puissent faire l'objet d'une telle contrefaçon. A titre d'exemple, cette année, les douaniers ont saisi pour la première fois des bavoirs, des biberons ou encore de la pâte à modeler contrefaits. A l'inverse, des produits de haute technologie, comme des caméscopes numériques, ou destinés à des applications industrielles ont également été saisis. Il faut notamment relever la saisie de treillis métalliques destinés à renforcer les structures en béton. Dans ce cas, l'atteinte à la sécurité apparaît particulièrement grave. Si ces produits extrêmement chers à l'achat sont commercialisés à un coût moindre, c'est bien évidemment parce que les protocoles de fabrication ne sont pas respectés.

Concernant le volume de ce trafic, on évoque le chiffre de 5,5 millions de produits saisis en 2005.

C'est effectivement le chiffre qui a été présenté par Monsieur le ministre. Pour atteindre ce chiffre de 5,5 millions, la progression du nombre de produits saisis entre 2004 et 2005 a été quasiment similaire à celle intervenue entre 2003 et 2004. Il est également très intéressant de noter l'augmentation du nombre de constatations. En effet, il ne suffit pas de saisir un grand nombre de marchandises ; il faut aussi, et surtout, créer un climat d'insécurité pour les trafiquants en multipliant les opérations. Or, cette année, nous avons pratiqué 11 000 constatations, soit plus du double qu'en 2004. Plus de 20 000 personnes ont été interpellées, ce qui contribue à susciter chez tous les acteurs du trafic (acheteurs, grossistes, semi-grossistes, revendeurs) ce sentiment d'être menacés personnellement. De plus, cette tendance ne devrait pas changer à l'avenir, puisque le plan mis en place par Monsieur Jean-François Copé, ministre du budget, prévoit que le combat contre la contrefaçon bénéficiera du même niveau de priorité que celle accordée à la lutte contre la contrebande de cigarettes et contre le crime organisé en général.

Quelle est la provenance de ces produits ?

En l'espèce, tout dépend de la nature des produits. Pour autant, certains pays se distinguent clairement. Il s'agit de la Chine, de l'Inde, de la Corée du Sud, du Pakistan et de la Turquie. Certains produits proviennent aussi de pays européens (au premier rang desquels la Bulgarie) et parfois d'Amérique Latine. Cependant, pour l'essentiel, ils arrivent d'Asie.

La seconde caractéristique majeure qu'il convient de souligner, c'est la volatilité des produits contrefaits. J'entends par-là que ce sont surtout les produits innovants qui sont contrefaits, pour une durée d'un ou deux ans seulement, avant que la contrefaçon ne se porte vers d'autres marchandises. Les trafiquants s'adaptent donc au marché, dont ils suivent les évolutions. Par exemple, en 2005, des matériels médicaux d'un type nouveau ont été contrefaits l'année même où ils avaient été mis sur le marché. De même, en 2002, tous les objets commémoratifs de la Coupe du monde de football en Corée et au Japon avaient été contrefaits. La contrefaçon suit même parfois des phénomènes de mode qui durent moins d'une année, avant d'évoluer vers d'autres productions.

Merci beaucoup, Monsieur Schoen, pour cette introduction. Nous reviendrons vers vous, notamment pour détailler la riposte mise en place par les douanes et les services offerts aux entreprises. Auparavant, nous allons tenter d'illustrer vos propos par les témoignages des représentants d'entreprises qui participent à cette table ronde. François Garnier, le cas de votre entreprise illustre tout à fait les évolutions contemporaines du phénomène de la contrefaçon. En effet, de marginale, la contrefaçon de médicaments est devenue une réalité de grande ampleur. Expliquez-nous comment votre laboratoire a été confronté à ce problème.

Je vous remercie de me donner la parole. Je commencerai par relever la formulation du sujet qui nous rassemble aujourd'hui : « La contrefaçon, risque ou menace pour l'entreprise ? ». Pour moi, la véritable question devrait plutôt être formulée de la manière suivante : « La contrefaçon, risque ou menace pour le consommateur ? ».

Dans le domaine du médicament, qui est celui de Pfizer, il est évident que la contrefaçon est un phénomène en pleine expansion. A l'origine, elle touchait uniquement les pays en développement, dans la mesure où ceux-ci ne possédaient pas les infrastructures et les circuits nécessaires pour l'acheminement des médicaments. Aujourd'hui, plusieurs phénomènes se télescopent et viennent s'ajouter à ce problème déjà ancien. Ainsi, l'amélioration des réseaux de transport et le développement de la vente par internet décuplent les possibilités de circulation et de commercialisation des médicaments contrefaits. A cela, il faut ajouter l'arrivée de nouveaux médicaments - un phénomène qui a d'ailleurs été l'élément déclencheur de notre prise de conscience. En effet, avant même que le Viagra ne soit mis sur le marché, des « contrefaçons » existaient déjà, ce qui nous a amenés à réaliser un travail d'anticipation contre la vente de ces copies.

Avez-vous pu évaluer le préjudice que cela représente pour Pfizer ?

Le coût pour notre entreprise est difficile à chiffrer, même s'il n'est certainement pas très important. Naturellement, nous souhaitons que le patient qui achète un produit pharmaceutique acquière le vrai médicament, et non une contrefaçon inefficace. Ce produit doit lui assurer la sécurité et l'efficacité que nous lui garantissons sous la surveillance des autorités réglementaires. Pour atteindre cet objectif, nous avons, depuis le lancement du Viagra, beaucoup travaillé avec les douanes pour former leurs agents et leur apprendre à distinguer nos produits de leurs contrefaçons. A ce titre, l'année dernière, nous avons été récompensés de nos efforts par une saisie très importante de produits en transit. Pourtant, la tâche n'est pas aisée. En effet, comme vous pouvez le constater avec les échantillons que j'ai apportés, il est très difficile de distinguer visuellement le vrai médicament du faux.

Sur ce point, il me parait essentiel de rappeler qu'aujourd'hui, en France, le médicament prescrit sur ordonnance par le médecin et acheté en pharmacie est toujours le vrai produit. La sécurité du système de distribution pharmaceutique, qui est extrêmement réglementé, garantit son caractère fermé. Deux grands dangers menacent pourtant le consommateur.

Le premier renvoie à la vente sur internet. Je rappelle que Pfizer ne commercialise pas ses produits sur internet et que tout achat de Viagra effectué par ce biais est donc très probablement un achat de contrefaçon. Il est en effet impossible de retracer l'origine de ce produit et son circuit de distribution. Le second danger, qui ne concerne pas encore la France pour l'instant, est celui de l'intrusion de contrefaçons dans les circuits officiels de distribution. En effet, nous avons été récemment confrontés aux premiers cas de ce type en Angleterre, où des contrefaçons ont été retrouvées chez les pharmaciens. Ces produits étaient passés par le circuit des importations parallèles. Dans certains pays, il est en effet possible de reconditionner les médicaments avant de les vendre dans le pays de destination. C'est précisément ce système qui a été mis à profit par les contrefacteurs.

Encore une fois, notre principal souci face à ce risque vise à assurer l'efficacité du produit et la sécurité du consommateur. Dans ce but, nous avons très récemment introduit des emballages de médicament qui intègrent une puce RFID, c'est-à-dire un émetteur radio permettant de suivre en permanence les déplacements de chaque produit.

J'imagine que cette innovation représente un coût considérable pour l'Entreprise.

Pour nous, il est fondamental de maîtriser l'acheminement de nos produits et de garantir le circuit de distribution. En conclusion, les éléments qui doivent être rappelés sont les suivants. Le phénomène se développe. Cependant, pour l'instant, il ne touche pas la France, grâce aux actions de formation menées à destination des agents des douanes, qui sont extrêmement efficaces.

A ce sujet, j'aimerais ajouter que quatre cent cinquante entreprises ont aujourd'hui conclu, comme Pfizer, des partenariats avec les douanes, qui nous permettent de connaître les lieux de production, les circuits d'acheminement et les lieux de distribution. En confrontant ces données avec nos propres renseignements, nous sommes plus à même d'identifier les risques d'intrusion dans ces circuits et de cibler nos opérations. C'est en identifiant le conditionnement et le moyen de transport les plus adéquats que nous pouvons anticiper les techniques qui seront utilisées par les trafiquants.

D'un point de vue juridique, il est également essentiel de pouvoir agir dans des délais très courts. Lorsque les douanes nous annoncent qu'un doute pèse sur un colis en transit, il faut avoir la capacité juridique d'intervenir immédiatement pour bloquer la circulation de ces produits et s'assurer qu'ils sont retirés du marché. Dans un second temps, nous engageons la responsabilité des contrefacteurs grâce à des actions en contrefaçon de marque ou de brevet.Toutefois, notre objectif principal n'est pas ici d'obtenir la condamnation au versement de dommages-intérêts, mais de sortir le produit du marché.

En évoquant le cas de Michelin, nous allons aborder un autre exemple d'entreprise confrontée à la contrefaçon. Certains produits de cette société ont en effet été au coeur d'une affaire très médiatisée, il y a environ dix huit mois, lorsque des contrefaçons de pneumatiques pour poids lourds ont été repérées sur le marché. Dans un article de presse, vous aviez estimé que 50 000 à 70 000 pneus contrefaits avaient ainsi été commercialisés. A partir de quel moment avez-vous observé l'apparition de ces contrefaçons et quelles sont aujourd'hui les conséquences de ce phénomène pour votre entreprise ?

Il me semble nécessaire d'apporter en préambule quelques précisions techniques et de rappeler tout d'abord que le pneumatique est un produit de haute technologie. Cette remarque ne concerne pas, bien entendu, la structure du pneu ou ses composants mais la bande de roulement, c'est-à-dire la partie en contact avec la chaussée. Cette partie du pneu porte des sculptures, qui sont précisément l'objet de la contrefaçon. Les producteurs de faux pneus Michelin réalisent des moulages de ces sculptures, à partir desquels ils peuvent fabriquer les contrefaçons qui sont commercialisées. Les pneus concernés sont essentiellement ceux qui sont montés sur des camions ou des bus.

Nous avons découvert ce phénomène voici un ou deux ans, essentiellement en Chine, où sont situés la plupart de nos contrefacteurs, et pour une moindre part en Inde et en Corée du Sud. Une dizaine de contrefacteurs chinois ont été identifiés, qui commercialisent leurs produits dans le monde entier, alors que les chiffres cités ne concernent que l'Europe. On peut trouver aujourd'hui ces contrefaçons aussi bien sur le marché nord-américain qu'en Amérique du Sud et, très récemment, au Maghreb.

Je suppose, Monsieur Schoen, que ces produits passent forcément, à un moment ou un autre, par des douanes ?

Il est évident que ces produits franchissent des bureaux de douane lors de leur transport, et j'ai d'ailleurs eu une entrevue avec Monsieur Degrez en marge de ce séminaire pour renforcer notre coopération. Par ailleurs, je précise que nous avons, comme dans de nombreux autres pays, un agent douanier en Chine, grâce auquel nous pouvons repérer plus facilement les expéditions de contrefaçons. Or, une fois que la source a été repérée, il est possible de saisir les produits. Cette faculté de saisie n'est d'ailleurs pas limitée au territoire français, mais s'étend à l'ensemble de l'Union européenne.

Philippe Degrez, expliquez-nous comment vous avez réussi à identifier les dix entreprises chinoises qui, à votre connaissance, fabriquent des contrefaçons de pneus Michelin.

Il faut tout d'abord savoir qu'historiquement, Michelin est l'une des premières entreprises françaises à s'être installée en Chine, puisque nous avons construit une première usine dans le nord du pays il y a près de trente ans. L'ancienneté de notre présence et l'étendue de notre réseau expliquent que nous ayons pu détecter ces contrefacteurs relativement aisément.

La coopération entre les douanes et les entreprises françaises, qu'encourage Monsieur Schoen, me semble effectivement essentielle, car la difficulté principale tient à l'identification des contrefaçons. En effet, même pour nos techniciens, il n'est pas toujours facile de distinguer visuellement la copie et le véritable pneu Michelin. Il est facile de comprendre que tous les douaniers ne peuvent avoir l'expérience requise dans ce domaine, ce qui rend éminemment nécessaire leur formation.

Pour ce qui est du problème posé plus précisément par la Chine, permettez-moi de décrire en quelques mots la façon dont Michelin a réagi à ce problème. Entre 2004 et 2005, nous avions constaté un triplement du nombre de contrefaçons de pneus vendus sur les marchés nord-américain et européen. Suite à ce constat, nous avons adressé, en octobre 2005, une lettre à l'ensemble des revendeurs et distributeurs de pneus européens. Dans ce courrier, nous les informions de nos découvertes de pneus contrefaits, en leur rappelant que ceux-ci s'appuyaient sur un savoir-faire propre à Michelin, protégé par des droits de propriété intellectuelle dûment enregistrés. Enfin, nous mettions également en demeure ceux qui commercialisaient ces contrefaçons de cesser cette activité immédiatement, les informant que nous nous réservions la possibilité d'exercer tous les recours utiles pour mettre un terme à la fabrication et à la distribution de ces copies.

Comme on le voit, Monsieur Schoen, qu'il s'agisse de pneumatiques ou de médicaments, il y a une dangerosité indéniable des produits contrefaits.

Vous avez tout à fait raison d'insister sur ce point. En effet, lorsqu'on évoque la dangerosité des contrefaçons, c'est l'exemple des médicaments qui vient tout de suite à l'esprit. Pourtant, cette dangerosité affecte tous les produits, et c'est là une autre des évolutions marquantes observées au cours des années passées.

Durant les années 90, lorsque vous achetiez un T-shirt de contrefaçon, il devenait inutilisable après deux lavages parce qu'il avait rétréci et qu'il était décoloré, mais cela ne représentait aucun risque pour votre santé. Aujourd'hui, en revanche, de très nombreux produits sont dangereux, comme en témoigne l'exemple des cigarettes. De très nombreuses cigarettes contrefaites transitent en effet par le territoire français. Or, lors de la dernière saisie dans ce domaine, les analyses toxicologiques ont relevé la présence dans ces cigarettes de taux élevés d'insecticide, de produits toxiques, ainsi que des traces de mercure.

Le second exemple, celui des jouets, est encore plus effrayant. Ces produits sont largement victimes de la contrefaçon, quel que soit le type de jouet envisagé. Sur la totalité des saisies effectuées dans ce domaine l'année dernière, nous n'avons pas trouvé un seul produit qui réponde aux normes de sécurité en vigueur. Pire, 62 % des jouets saisis exposaient leurs utilisateurs éventuels à un risque grave et imminent. J'ai ainsi apporté un ours en peluche destiné aux très jeunes enfants dont on constate que la tête se détache très rapidement à l'usage, dévoilant un clou extrêmement affûté qui dépasse du corps de la peluche. Ce cas est malheureusement loin d'être isolé, alors que le phénomène n'existait pas dans un passé récent. Il est donc essentiel d'en prendre conscience.

Après les informations très inquiétantes de Monsieur Schoen, tournons-nous vers un aspect moins « effrayant » du problème avec Pascal Nègre, président d'Universal Music France. Son entreprise est doublement victime de la contrefaçon. En effet, dans le domaine de la contrefaçon physique, on estime qu'un disque sur trois vendu dans le monde est un disque piraté. Par ailleurs, la question de la contrefaçon immatérielle est éminemment d'actualité : chacun sait qu'il est aujourd'hui possible de se procurer sur internet de la musique sans acquitter de droits d'auteurs. Expliquez-nous, Monsieur Nègre, comment votre entreprise fait face à cette double menace.

Je commencerai par rappeler que, dès les années 60, l'ensemble des producteurs de musique se sont rassemblés pour lutter contre la piraterie. A cette menace d'ampleur mondiale, c'est donc une réponse mondiale qui est apportée. L'ampleur de ce phénomène transparaît dans l'origine des produits et dans la liste des pays dans lesquels ceux-ci sont commercialisés. Quasiment tous les pays du monde sont touchés à commencer, pour les pays producteurs, par l'Asie, l'Europe de l'Est (Bulgarie, Roumanie, Pologne...) et la Méditerranée. Dans cette dernière catégorie sont d'ailleurs inclus des pays européens, comme l'Espagne ou l'Italie. Dans ce dernier pays, qui compte pourtant une population similaire, le marché du disque est six fois moins développé qu'en France, à cause de l'ampleur de la piraterie. De même, en Espagne, il est extrêmement facile d'acheter, à la porte même des magasins de produits culturels, une copie d'un disque pour 10 % de son prix officiel. Dans ces deux pays de l'Union européenne, le problème est donc réel.

En France, notre système de distribution bien sécurisé nous met à l'abri de ce risque. De plus, nous travaillons de manière très efficace avec les douanes pour lutter contre ce phénomène. Ce travail est d'ailleurs facilité par le fait que, dans notre cas, il est assez aisé de différencier l'original et la contrefaçon, l'aspect extérieur ne laissant guère de doute.

Le véritable problème, en ce qui nous concerne, est donc celui posé par internet. Il est à la fois plus complexe et plus polémique. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à y être confrontés, puisque l'industrie cinématographique fait également face aux mêmes difficultés depuis l'avènement des connexions à très haut débit qui permettent de télécharger des fichiers en quelques minutes. Un seul chiffre me semble suffisant pour donner l'ampleur du problème : l'an passé en France, un milliard de chansons et 120 millions de films ont été téléchargés. L'impact de ce phénomène a été immédiat, en corrélation directe avec le développement de l'accès à internet. Il est d'ailleurs ironique de constater que la France a été l'un des derniers pays à être massivement touchée, justement parce que le développement d'internet y a été plus lent qu'ailleurs.

Nous nous trouvons donc confrontés à une nouvelle forme de contrefaçon. En revanche, il me semble que la question posée ne diffère pas des formes classiques : il s'agit de savoir s'il faut punir le consommateur ou le distributeur. Si le premier est plus facile à toucher, il est évident que le problème posé par le second est bien plus grave. Sur internet, la situation est exactement la même. La plupart des logiciels de peer-to-peer qui permettent l'échange des fichiers musicaux appartiennent à des entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux et tirant leurs revenus à la fois de la publicité et de la vente de ces logiciels. Si l'idée d'échange est, à l'origine, connotée très positivement, il en va autrement lorsque 99,9 % des fichiers échangés sont protégés par des droits d'auteur.

Aujourd'hui, l'idée fait donc son chemin dans les juridictions étatiques qu'il faut lutter contre les logiciels qui permettent ces échanges. Le récent débat à l'Assemblée nationale, qui a déchaîné les passions avant d'être suspendu, est très intéressant à cet égard. En effet, la solution vers laquelle le législateur semble souhaiter se diriger est, a contrario, celle de la « licence globale ». Plutôt que de lutter contre la piraterie, il s'agirait de légaliser cette dernière, ce qui est après tout une façon comme une autre de résoudre le problème. Personne en revanche n'est capable d'expliquer comment l'on pourrait ensuite répartir le produit de cette taxe entre les producteurs, mais il ne semble pas que cette difficulté ait arrêté les députés. Je profite donc de ma présence dans ces murs pour dire mon soulagement à l'idée qu'il existe une chambre haute qui pourra retrouver la raison. La solution me semble pourtant simple : elle consiste à lutter contre les logiciels d'échange. Si l'on réussit à éradiquer ces logiciels, le problème de la piraterie sera quasiment résolu.

Venons-en à présent aux conséquences de ce fléau. On estime la perte subie par l'ensemble de l'industrie de la musique à environ dix milliards d'euros. Universal Music représentant environ 25 % de l'industrie, je vous laisse faire le calcul du préjudice considérable subi par l'entreprise. Pour ce qui est de la piraterie par internet, le marché de la musique en France a diminué de 40 % en trois ans. Dans un monde idéal, sans piraterie physique ou immatérielle, on peut ainsi considérer que le chiffre d'affaires de l'industrie musicale serait multiplié par trois, ce qui est énorme.

Je me tourne à présent vers Gérard Longuet, dont la grande loi sur la contrefaçon porte la marque. Cette loi avait à l'époque fait de la France un pays en pointe dans la lutte contre la contrefaçon. Face aux témoignages que nous venons d'entendre, j'ai envie de vous poser une question très simple : que peut faire le politique pour lutter contre la contrefaçon ? Peut-on même lutter contre ce phénomène ?

Pour être honnête, je ne le pense pas. Je suis convaincu que la contrefaçon est un vol à l'état brut, mais je n'en suis pas moins persuadé qu'elle va perdurer. Concernant la loi de février 1994, que vous avez eu la gentillesse de citer, je me dois de préciser que je n'en suis pas l'auteur, puisque ce texte avait en fait été préparé par mon prédécesseur. Toujours est-il que beaucoup de choses ont changé depuis cette époque, qui expliquent mon pessimisme.

Le premier élément notable tient à l'immatérialité de la valeur. Le premier exemple de cette réalité qui ait frappé l'opinion, c'est celui du billet de banque. Celui-ci est d'ailleurs le premier produit à avoir été contrefait. En effet, avec une valeur matérielle extrêmement faible, il était possible de bénéficier d'une valeur libératoire très élevée si le billet était correctement imité. Or cette immatérialité de la valeur n'a cessé de progresser, affectant un nombre de plus en plus grand de produits, dont la musique. La valeur de la musique est totalement immatérielle : un disque qui plaît ne coûte pas plus cher à fabriquer qu'un mauvais disque. Il s'agit là d'un premier élément qui pousse à la contrefaçon. Or l'objectif de tout industriel vise à conférer à son produit une valeur supplémentaire à sa valeur de production, afin de dégager une marge. Le paradoxe est que par-là même, il suscite une tentation chez le contrefacteur.

Le deuxième élément tient à la fluidité du système productif. Il n'est guère besoin de s'étendre sur ce point, puisqu'il suffit de constater qu'elle est aujourd'hui totale. Ainsi, en matière de confection, les producteurs français pouvaient par le passé se prévaloir de leur réactivité, puisque les vêtements pouvaient être livrés très rapidement. Aujourd'hui, grâce aux progrès du secteur des transports, il en va de même pour des vêtements produits sur d'autres continents, y compris les contrefaçons. Cette fluidité se combine en effet avec une universalité du système productif. A titre personnel, je m'intéresse beaucoup à l'histoire industrielle. J'ai ainsi appris que, lors de la fondation d'une cristallerie en Lorraine au XVIII e siècle, un espion avait été envoyé à Murano pour copier les secrets des maîtres vénitiens. L'espionnage industriel existait donc déjà à cette époque, même s'il s'agissait d'une mission risquée et difficile à réussir. Aujourd'hui, il serait stupide de mettre en oeuvre de telles techniques, puisque, pour recueillir ce type de renseignements, il suffit de déambuler dans les allées des salons professionnels ou de se procurer les produits dès leur commercialisation.

Enfin, la troisième raison qui motive mon pessimisme est liée au caractère extrêmement tardif de la perception du caractère nocif de la contrefaçon par le grand public. De par l'aspect récréatif de l'achat d'un faux sac en cuir lors de vacances au soleil, cette prise de conscience a en effet beaucoup tardé. Celui qui effectuait un tel achat était persuadé d'avoir réalisé une bonne affaire, plutôt que d'avoir commis un vol. De plus, les fabricants de produits de luxe, bien que mécontents ; n'étaient pas totalement opposés à cette forme de contrefaçon. Pour eux, en effet, les acheteurs de ces contrefaçons n'étaient pas leurs clients habituels, mais des consommateurs moins fortunés qui s'offraient ainsi une part du rêve que vend le secteur du luxe, contribuant ainsi à accroître la notoriété de ces marques. Ils n'étaient donc pas partisans, au départ, d'une extrême sévérité dans la lutte contre la contrefaçon. Ce faisant, le véritable problème posé par la contrefaçon, celui de la sécurité, restait à l'arrière-plan. Dans ce domaine, il est plus difficile d'expliquer aux citoyens que la contrefaçon ne constitue pas une bonne affaire. Ceux-ci sont, certes, prêts à le croire pour ce qui concerne les médicaments, mais pas pour d'autres produits.

Lors des discussions au Sénat, nous serons particulièrement attentifs à la défense des droits de propriété. Ce droit s'applique notamment aux biens immatériels : ainsi, un jeune qui refuse le vol d'un objet physique lui appartenant doit également s'abstenir de voler un objet numérique qui ne lui appartient pas.

Les professionnels de la lutte contre la contrefaçon ne sont donc pas menacés par le chômage ! Selon moi, ce phénomène va perdurer et la bataille d'opinion sera difficile à gagner. Il s'agit de faire reconnaître que le vol doit être sanctionné, parce qu'un tel comportement tue l'économie. La contrefaçon réduit les marges des fabricants. Or lorsque ceux-ci ne dégagent plus de marge, ils ne gagnent plus d'argent et l'économie s'arrête. La poursuite de l'activité économique est fondée sur l'état de droit, dont les principes incluent le droit de propriété.

Je salue le caractère passionnant de l'analyse de la valeur qui vient d'être faite par Monsieur Longuet, et je tiens à apporter une précision. La valeur est en fait victime d'un double effet de cliquet, puisque l'accès gratuit au produit contrefait dévalue le produit original. En d'autres termes, lorsque le produit piraté ne vaut rien, le produit dont il est la copie ne vaut plus rien à son tour. De plus, comme Monsieur Longuet l'a rappelé, le produit dégagé par la vente permet de financer la recherche pour la production future. Ce raisonnement est tout à fait valable pour l'industrie de la musique, même si, dans ce cas, la recherche en question est celle des nouveaux talents.

Il faut également rappeler les devoirs qui s'imposent à l'industriel. Celui-ci doit savoir gérer convenablement la propriété de son bien. Je veux prendre ici l'exemple des producteurs de pièces détachées pour l'automobile. En effet, quiconque voudrait construire son propre véhicule à partir de l'achat de pièces détachées doit posséder un capital important, bien supérieur à la valeur finale de la voiture. L'exploitation excessive d'une rente de propriété aboutit évidemment à une augmentation du risque de contrefaçon. Le prix de vente doit refléter le coût et la marge, mais il ne doit pas être prohibitif. La propriété donne des droits, mais elle confère également des devoirs en ce qui concerne la relation avec les clients.

Je suis d'accord et je tiens à faire remarquer que la dématérialisation a permis à l'industrie du disque de baisser considérablement ses prix. Ainsi, un single qui était vendu cinq euros en magasin ne coûte plus aujourd'hui que 99 centimes en téléchargement. Cependant, ce prix semble encore exorbitant pour beaucoup, puisque le même produit est accessible gratuitement sans difficulté.

Je rassure Monsieur Nègre : son entreprise n'est pas la seule victime de ce problème, qui touche depuis fort longtemps le service public. Il est parfois difficile de faire comprendre à nos concitoyens qu'un service gratuit coûte de l'argent.

Je tenais à rebondir sur votre remarque, Monsieur Longuet, concernant l'avenir de la contrefaçon. Il est en effet impossible d'ignorer que la Chine s'est dotée au cours des dernières années d'une capacité productive très importante. Le marché asiatique ne pouvant absorber cette production, faut-il s'attendre à un déferlement de produits contrefaits en provenance de ce pays, qui inonderaient le marché mondial ? Que peut le politique face à cela ?

A condition qu'il commence par balayer devant sa porte, le politique peut faire énormément en ce domaine. Au plan national, le législateur peut et doit légiférer sur la question. Au plan communautaire, Monsieur le commissaire nous a rappelé l'engagement de l'Union européenne face à l'indifférence d'un certain nombre de ses membres à l'égard de la contrefaçon. Au plan international enfin, les outils disponibles nous offrent des marges d'action considérables, qu'il s'agisse des règlements internationaux ou des accords, dont les règles s'appliquent effectivement, malgré la conception que s'en fait l'opinion générale. Il ne faut donc pas désespérer de la capacité normative d'un système politique national, européen, et international.

Par ailleurs, le politique doit mener la bataille des idées : « Au début était le Verbe ». Les hommes politiques doivent avoir des idées en ce domaine et les défendre, afin de convaincre l'opinion qu'il n'y a pas de progrès sans propriété.

Il me semble que la transition est toute trouvée pour permettre à Monsieur Derambure de nous présenter en détail le rôle des conseils en propriété industrielle auprès des entreprises attaquées par des contrefacteurs.

Les conseils en propriété industrielle sont des professionnels libéraux qui assistent les entreprises dans la gestion de leurs droits de propriété industrielle, qu'il s'agisse de leur acquisition, de leur valorisation ou de leur défense. Les entreprises sont confrontées à deux types de problèmes, l'un n'étant pas moins grave que l'autre. Dans la première situation, leurs produits sont contrefaits, en violation de leurs droits de propriété intellectuelle. Dans la seconde situation, qui est trop souvent négligée, c'est l'entreprise qui se retrouve en position de violer les droits de propriété intellectuelle d'un tiers. Cet angle ne doit surtout pas être sous-estimé. Cette situation est en effet devenue beaucoup plus fréquente, corollaire évident de la très forte augmentation du nombre de droits de propriété intellectuelle protégés, notamment aux Etats-Unis et au Japon.

Aujourd'hui, avant de songer à faire protéger ses droits, une PME française doit envisager les conditions dans lesquelles elle est confrontée aux droits de tous les tiers. Pour cette raison, la compagnie nationale des conseils en propriété industrielle milite pour que les brevets soient délivrés avec un haut degré de précision, afin que les tiers aient une idée exacte de ce que couvrent les droits du déposant.

Le droit de la propriété intellectuelle doit être honnête, de manière à ce que s'établisse un équilibre entre les intérêts des créateurs et ceux des tiers.

Peut-on dire qu'aujourd'hui, certaines entreprises protègent « tout et n'importe quoi », notamment pour verrouiller leurs marchés et en interdire l'accès aux concurrents ?

Il y a effectivement deux manières d'utiliser un droit de propriété intellectuelle. La première consiste à protéger l'innovation, tandis que la seconde vise à utiliser l'arme du brevet pour éliminer un concurrent du marché. Certaines entreprises mettent ainsi en oeuvre une stratégie consistant à miner le terrain par des dépôts de brevets infondés. Il me semble nécessaire, de ce point de vue, de repenser le modèle de la propriété intellectuelle, et de réfléchir, comme l'a fait Monsieur Longuet, aux modèles économiques qui fondent ces droits de propriété intellectuelle. Chacun sait effectivement que la contrepartie du droit de propriété intellectuelle est la sur-marge. Cependant, si celle-ci devient insupportable pour le client, il se tournera bien évidemment vers la contrefaçon. Il le fera d'autant plus facilement que la contrefaçon est aisée à réaliser, ce qui est techniquement le cas aujourd'hui pour un grand nombre de produits.

Que faut-il faire pour rendre plus efficace notre riposte contre la contrefaçon ?

Comme cela été dit à plusieurs reprises depuis le début de l'après-midi, la contrefaçon est un fléau, qui n'est pas prêt de s'arrêter. Pour cette raison, nous demandons que la propriété intellectuelle soit élevée au rang de grande cause nationale, ce qui témoignerait d'une volonté politique forte. Défendre la propriété intellectuelle, c'est défendre l'emploi et l'innovation. Cette volonté ne sera toutefois pas suffisante, si nous ne nous dotons pas des moyens nécessaires.

Parmi ces moyens, nous demandons tout d'abord la constitution d'un pôle judiciaire spécialisé dans la propriété intellectuelle. Le volume du contentieux actuel n'est pas tel qu'il justifie sa répartition entre une dizaine de tribunaux de grande instance. Un seul tribunal devrait être compétent, ce qui permettrait de mutualiser les compétences, de manière à mener une répression efficace de la contrefaçon.

Deuxièmement, il faut faire en sorte que le contrefacteur n'ait pas intérêt à se livrer à cette activité. C'est ici le problème de la réparation du dommage qui doit être posé. Si cette question devait être réglée par la directive évoquée par Monsieur le commissaire, nous en serions très heureux, car la situation actuelle n'est absolument pas satisfaisante. En France, les dommages-intérêts, de par leur caractère réparateur, ne sont pas suffisamment dissuasifs.

Troisièmement, il faut renforcer la filière française de la propriété intellectuelle, dont les professionnels ne sont pas assez nombreux, aussi bien du côté des conseils que de celui des avocats. L'incompatibilité même de ces deux professions pose actuellement des problèmes.

Enfin, l'accent doit porter sur les efforts entrepris au niveau européen. Le système de l'EPLA (European Patent Litigation Agreement), par exemple, est élaboré sans la France, qui est absente de ce débat. Cela est totalement anormal et nous nous battrons pour que les pouvoirs publics s'impliquent en ce domaine, afin que la France prenne toute sa place dans la défense de la propriété intellectuelle.

Je voudrais tempérer quelque peu les propos particulièrement dynamiques de Monsieur Derambure concernant notre système judiciaire. De par ma propre expérience, je dois reconnaître la très grande compétence des juges français en matière de propriété intellectuelle. Quant à l'arsenal juridique, même s'il peut être amélioré, il me semble d'ores et déjà suffisant. Le problème est son inadaptation à la globalisation et aux spécificités d'internet. Ainsi, il est extrêmement difficile d'identifier la localisation physique des sites internet de vente de contrefaçons et de déterminer l'action légale qui doit être mise en oeuvre.

Mon intention n'était absolument pas de critiquer la qualité des décisions rendues par les tribunaux français, auxquels il faut rendre hommage pour la qualité du travail qu'ils accomplissent. Ma proposition vise seulement à concentrer la force de frappe, de manière à pouvoir répondre à l'organisation très sophistiquée des contrefacteurs.

Par ailleurs, je reviens sur le cas de la Chine, qui a été citée à de nombreuses reprises. Ce pays était l'invité des cinquièmes rencontres internationales de la propriété intellectuelle qui se sont déroulées en octobre 2005. A cette occasion, les représentants chinois nous ont expliqué quel était le processus économique qui soutenait la contrefaçon dans ce pays, et quels étaient les cycles qui allaient se développer. Afin d'approfondir l'étude de ce phénomène, mais aussi de renforcer les liens entre les professionnels des deux pays et d'élaborer des solutions, la CNCPI effectuera très prochainement un voyage officiel dans ce pays.

Je souhaitais revenir sur l'évolution de la répression de la contrefaçon. Depuis les années 90, cet acte est considéré comme un délit, réprimé sévèrement. En effet, la loi autorise la confiscation du produit contrefait, à laquelle s'ajoutent une amende égale au double de la valeur du produit authentique et, éventuellement, une peine d'emprisonnement. Peu à peu, nous sommes même passés du délit à la criminalité organisée. Désormais, les acteurs de ce trafic effectuent de véritables analyses de marché et anticipent la sortie des produits. De même, leur capacité d'organisation transparaît à travers leur capacité à segmenter les circuits de transport, puisque le producteur et le destinataire ne sont jamais en contact direct, les marchandises empruntant au moins deux moyens de transport différents. Enfin, ces mêmes criminels sont impliqués dans le trafic de drogue et dans la contrefaçon, comme le mettent en évidence les procédures pénales en cours.

Le produit de la contrefaçon est réinvesti dans le trafic de cigarettes et dans celui des stupéfiants, et inversement. L'imbrication des deux milieux est aujourd'hui extrêmement forte, avec une collusion directe et immédiate des diverses organisations criminelles. C'est cet aspect qui doit être retenu et rappelé sans cesse : participer à la contrefaçon, c'est se compromettre avec des organisations qui ne respectent aucune des règles en vigueur dans les Etats, qu'il s'agisse des droits de l'homme, du droit du travail ou des règles fiscales.

Le discours de Monsieur Schoen est incontestable, comme l'attestent un grand nombre d'exemples. Toutefois, il ne faudrait pas croire que la contrefaçon est uniquement un phénomène criminel. Le problème est aussi lié au retard technologique qu'accusent aujourd'hui encore un certain nombre d'industriels, notamment en Chine. Ce retard ne leur laisse pas d'autre choix pour vendre leurs produits que de copier ceux inventés par leurs concurrents occidentaux.

Je suis un entrepreneur qui collabore avec des firmes chinoises pour essayer d'importer en Europe des produits intégrant des technologies américaines et des savoir-faire français. Les seuls risques et menaces qui ont été évoqués jusqu'à présent sont ceux encourus par les grandes entreprises françaises. Or la contrefaçon représente pour la plupart des petites entreprises une opportunité, qu'elles soient européennes ou, plus fréquemment, extraordinaire-communautaires. En effet, les contrefacteurs viennent rechercher, notamment en France, les savoir-faire et les tendances qui leur permettront de copier les produits à succès, ce dont nous ne pouvons pas nous plaindre. Cette dimension a-t-elle été véritablement intégrée, étant donné qu'elle ne touche pas les grandes entreprises représentées ici ? Les entreprises françaises ont-elles suffisamment réfléchi à la manière de traiter la valeur de leurs produits et à l'utilisation des canaux de distribution pour que le consommateur accepte de payer la prime au produit original ? Il me semble que ce processus est beaucoup plus avancé en Allemagne, par exemple.

Je pense que Michelin illustre parfaitement votre remarque.Toute notre force de vente est en effet axée sur la perception du supplément qualitatif apporté par nos produits, par rapport aux pneus concurrents et contrefaits

Le temps nous étant compté, je vais moi-même poser une question à Pascal Nègre, qui concerne la pénalisation, sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises au cours du débat. Dans quelle mesure jugez-vous cette pénalisation des comportements nécessaire ? Jusqu'où faut-il aller en ce domaine ? Quelle est selon vous la valeur pédagogique des quelques affaires qui ont défrayé la chronique ? Ou bien ces affaires ont-elles un effet négatif sur l'image de l'entreprise ?

Il est vrai qu'un certain nombre d'actions ont été menées, en France comme à l'étranger, non pas contre des personnes qui téléchargeaient de la musique, mais contre celles qui la mettaient à disposition des internautes en violation des droits de propriété intellectuelle. Les décisions obtenues me semblent avoir été raisonnables : il ne s'agissait pas de mettre quelqu'un en prison sous prétexte qu'il aurait diffusé plusieurs milliers de titres. En revanche, le montant relativement important des amendes me semble justifié et nécessaire. De manière plus large, la problématique est en effet celle de la sensibilisation de l'usager. Si l'on prend l'exemple des limitations de vitesse sur route, on s'aperçoit que les automobilistes ont commencé à les respecter lorsque des radars automatiques ont été installés et que les amendes se sont multipliées. Pendant les années précédentes, en revanche, toutes les campagnes de communication étaient restées sans effet, parce qu'elles n'étaient pas accompagnées de ces sanctions nécessaires.

Dans notre domaine aussi, c'est aux pouvoirs publics qu'il revient de lutter, et non aux industriels. Il nous est d'autant plus difficile de mener cette répression de la contrefaçon que cela nous conduit à poursuivre des personnes qui partagent a priori la même passion que nous, celle de la musique. Nous devons trouver un équilibre entre la séduction et la sensibilisation, afin que l'une et l'autre se concilient au mieux. La première doit revenir aux professionnels, la seconde aux pouvoirs publics. C'est à ce résultat que doit amener la loi actuellement débattue au parlement. Il faut dépasser les raisonnements qui prévalent actuellement, comme celui qui peut amener un député à dire : « Mon fils télé-charge illégalement et pourtant ce n'est pas un voyou, la preuve c'est que c'est mon fils ! ». Je comprends cette idée puisque, après tout, le chiffre d'un milliard de téléchargements annuels que j'évoquais précédemment ne correspond finalement qu'à un morceau téléchargé par semaine par chaque internaute, ce qui ne semble pas particulièrement grave. Le problème tient pourtant à la multiplication de ces actes et, donc, à l'aspect global du problème. Là encore, il faut trouver le bon équilibre.

Je pense que cette recherche d'un équilibre constitue une bonne perspective sur laquelle nous pouvons conclure notre débat. Je remercie tous les intervenants et laisse la parole aux prochains invités.

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