La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale



Palais du Luxembourg, 26 juin 2001

TABLE RONDE N° 2

LA MISE EN OEUVRE DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE DANS LES DÉMOCRATIES D'EUROPE DE L'OUEST

M. Claude CASAGRANDE, Président de la délégation française du CPLRE

Nous venons d'entendre un certain nombre de témoignages fort intéressants, passionnants et passionnés, de représentants des pays d'Europe centrale et orientale, des « nouvelles démocraties », et l'on voit bien quelle ont été l'utilité et l'importance de la Charte de l'autonomie locale dans leur processus d'évolution. Lorsqu'elle a été signée, en 1985, la Charte s'adressait aux pays qui étaient déjà membres du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire à ceux que l'on appelle « les vieilles ou anciennes démocraties ». Cette seconde table ronde aura pour objet de regarder comment, dans des pays de tradition démocratique, s'est faite la transposition de la Charte, de cet instrument juridique qui est arrivé a posteriori, alors que notre système législatif était déjà construit.

La délégation française était particulièrement heureuse que le Congrès ait décidé de préparer un rapport sur la France. Nous avions le sentiment que la France respectait globalement les principes de la Charte sans l'avoir ratifiée, ce qui vaut tout de même mieux que d'avoir ratifié la Charte avant d'en avoir traité les principes. Nous avons effectué un grand nombre de visites dans les pays d'Europe centrale (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Moldavie, Arménie, Géorgie) et, à chaque fois, nous avons été interpellés en ces termes : « Vous nous demandez de ratifier la Charte, mais vous ne l'avez pas fait. Pourquoi nous contraindre à quelque chose que vous-mêmes ne faites pas ? »

Cette parenthèse fermée, nous allons donc maintenant regarder comment ont été transposées les dispositions de la Charte dans l'ordre législatif national du Royaume-Uni, de l'Allemagne et du Portugal. Pour commencer, je donne la parole à Monsieur Christopher Newbury. Je rappelle que le Royaume-Uni a ratifié la Charte.

M. Christopher NEWBURY, membre de la Commission institutionnelle du CPLRE, conseiller du District de West Wiltshire

En signant la Charte, le Royaume-Uni a indiqué son intention de respecter ses principes. Il n'a pas eu besoin de modifier sa législation nationale, qui y répond déjà. Il est clair que la Charte n'a pas été incorporée dans la législation du Royaume-Uni. La Charte doit permettre aux collectivités locales de faire valoir leurs droits. Elle n'a pas d'effet direct ou immédiat sur la loi nationale. La signature et la ratification de la Charte n'ont présenté aucun problème constitutionnel au Royaume-Uni. Cette question était davantage politique.

Le Royaume-Uni a conscience de l'importance de la démocratie locale pour le respect des Droits de l'Homme et le maintien de la stabilité en Europe. La mise en oeuvre de la Charte renforcera les partenariats avec les collectivités locales de notre pays. Nous pensons que le Royaume-Uni est d'ores et déjà en conformité avec les dispositions de la Charte, et nous n'en avons exclu aucun article. Le Gouvernement a exclu simplement les paroisses et les communautés, qui représentent un pouvoir consultatif et ont peu de pouvoir d'action.

En Irlande du Nord, le Gouvernement a pensé que l'application de la Charte serait prématurée ; ce territoire est donc entièrement exclu de ses dispositions. Concernant l'article 16, le Gouvernement a également décidé d'exclure les domaines d'outre-mer, car les collectivités locales y ont un pouvoir très restreint.

Je souhaite donner lecture de la note explicative fournie à l'époque par le Gouvernement du Royaume-Uni : « Aucun amendement n'est nécessaire pour assurer la conformité avec la Charte. Le Gouvernement va faire en sorte que toute loi adoptée à l'avenir y soit conforme ». Les pouvoirs locaux ont été consultés. Le suivi effectué par le Congrès permet de disposer d'une évaluation de l'application des dispositions de la Charte. Nous avons publié des rapports sur les domaines pour lesquels des doutes subsistent.


· l'absence de mandat exclusif pour les pouvoirs locaux

Les pouvoirs octroyés par le Gouvernement peuvent être modifiés. Depuis 1998, le changement principal est que les autorités locales du Royaume-Uni ont reçu pour la première fois un mandat général et non spécifique, concernant la promotion de l'environnement socio-économique.


· la disposition relative aux appels d'offres excédant un certain montant

Cette disposition a été remplacée par une structure moins rigide.


· la multiplication des subventions ciblées

Selon l'article 9.7 de la Charte, « dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques ». Or on s'achemine de plus en plus vers des subventions ciblées.


· l'instauration d'un seuil pour l'imposition fiscale

La commission d'audit a apporté une modification pour l'Écosse.


· l'implication d'organes complémentaires pour programmer les best values

Les modifications apportées ont été limitées. Quelques progrès ont néanmoins été accomplis.


· l'extension du transfert de compétences du Gouvernement central au Gouvernement local

Les transferts sont de moins en moins nombreux. Certains pouvoirs sont transférés par les pouvoirs locaux à des corps non éligibles, tels que les associations chargées du logement. Nous ne savons pas si cela est conforme aux dispositions de la Charte. Certaines de ces organisations sont quasi-autonomes.

M. Heinrich HOFFSCHULTE, Oberskreisdirektor honoraire, premier vice-président
du Conseil des communes et régions d'Europe

Il existe en Allemagne une véritable tradition de l'autonomie locale, qui remonte au XII e siècle, au règne de l'Empereur Frédéric II. A cette époque, dans un souci d'indépendance, plusieurs villes se soumettaient directement à leur empereur. Cela leur conférait le droit de lever l'impôt. La ville de Dantzig a adopté le droit de Lübeck en 1224. Puis des systèmes d'autogestion ont été adoptés dans un grand nombre de villes, jusqu'à Petersbourg. Puis ces villes se sont fédérées comme dans la ligue hanséatique. La situation actuelle résulte pour partie de ces données. Hambourg et Brême sont des villes-État, et Berlin est un cas spécial.

La Charte de l'autonomie locale reproduit les meilleures tendances de ce fédéralisme urbain et de l'autonomie locale. L'Allemagne a été l'un des onze premiers pays à signer la Charte en 1985. La Charte a été ratifiée le 17 mai 1988, et est entrée en vigueur le 1 er septembre 1988, tout comme en Autriche, à Chypre, au Danemark, au Liechtenstein et au Luxembourg.

Nous n'avons pas de réserve quant aux dispositions de la Charte. Il n'y avait pas de nécessité puisque nous n'avions pas d'îles Falkland. Mais il y avait une nécessité de proclamer que la Charte concernait aussi la ville de Berlin qui, à l'époque, était encore sous la souveraineté des Alliés. Ensuite, la Charte est applicable au premier niveau des communes, mais aussi au deuxième niveau de l'autonomie locale, le deuxième niveau d'autogestion complémentaire, qui n'est pas le district, ni le département. Enfin, concernant l'article 9, paragraphe 3 de la Charte, selon lequel « une partie au moins des ressources des collectivités locales doit provenir de redevances, ou d'impôts locaux, dont elles ont le pouvoir de fixer le taux », il faut remarquer que cette disposition n'est pas applicable au deuxième niveau des communes, ni dans la Rhénanie-Palatinat.

Pour en revenir au titre de cette table ronde, en Allemagne, la Charte, contrairement à ce que l'on a pu observer au Royaume-Uni, a dû être respectée dès le jour de sa ratification. L'intégration de la Charte à la législation était donc peu problématique. Aucun amendement à la Constitution, aucune modification des lois n'a été nécessaire. L'article 28 de notre Constitution est fondé sur un chapitre concernant les Länder. En Suisse, le Gouvernement national n'a pas même le droit de signer une charte concernant les communes. Cela relève de la compétence des États membres de la Suisse, les cantons. En Allemagne, la deuxième chambre ne représente pas les communes. Notre deuxième chambre est celle des Länder, des États membres. Les Länder tiennent à ce que le Gouvernement fédéral respecte le fait que les décisions concernant les communes relèvent de leur responsabilité. Cela a eu des conséquences assez pittoresques lorsque l'on a créé le Comité des Régions. Dans le texte du Traité de Maastricht, ce Comité est le conseil consultatif des régions et des collectivités locales. Les Länder ont proposé le nom de Comité des Régions. Cela relève de ce que j'appelle « le néo-centralisme des régions ».

Il y a une garantie beaucoup plus vaste d'autonomie locale dans les constitutions des États membres des Länder. La législation sur les communes se fait par les Länder, et non par la République fédérale.

Il y a néanmoins des insuffisances en ce qui concerne l'autonomie locale, sur le plan institutionnel et dans la pratique, surtout en ce qui concerne les finances et le principe de la connexité. Concernant les insuffisances institutionnelles, l'article 20 de la Constitution dit que nous avons un système fédéral sans aucune administration nationale. L'exécution des lois est l'affaire des Länder, ce qui donne souvent une loi nationale générale, dont les Länder transmettent les dispositions particulières aux communes. Il est évidemment difficile de respecter le principe de connexité dans ce contexte.

Le principe de connexité dans la Charte est assez faible. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de travailler sur ce point dans le texte proposé pour une Charte mondiale. Le principe est à présent beaucoup plus précis. Ce point fait l'objet de l'une des réticences du Gouvernement à une Charte mondiale. Il n'existe pas de mention claire dans la constitution allemande, ni de texte assez clair dans la constitution des Länder. Je ne connais qu'un pays membre du Conseil de l'Europe, l'Arménie, qui ait intégré à sa Constitution un texte clair sur le principe de connexité.

II y a une tendance des Länder à prévoir des subventions aux collectivités locales et pour le financement de projets spécifiques.

Il n'y a pas en Allemagne d'organe réservé aux communes en ce qui concerne la participation des collectivités locales à la préparation de la législation. Le Comité des régions de l'Union européenne n'a pas d'équivalent au niveau national allemand ni au niveau des Länder. Cela constitue l'une des faiblesses de la Charte.

Concernant le principe de péréquation mentionné par Monsieur Frécon, nous distinguons en Allemagne la péréquation horizontale, des riches vers les pauvres, et la péréquation verticale, l'assistance supplémentaire par l'État. D'ailleurs, nous avons changé de système la semaine dernière, au cours de la grande conférence de financement des Länder.

Concernant la pratique de l'application de la Charte européenne, il existe une tendance croissante au néo-centralisme des régions. Ce problème existe également en France. Vos régions sont assez fortes. C'est un grand problème en Russie. Vladimir Poutine a rappelé que seuls une douzaine des 89 États membres de la Fédération russe respectaient la loi nationale sur les communes. Le problème existe aussi en Espagne. Les raisons et les conséquences du problème sont différentes selon les pays, mais il faut rappeler qu'il existe une certaine tendance à décentraliser les tâches vers les communes.

Le foisonnement de la réglementation est un sujet de débat en Allemagne. Cette question concerne toujours l'autonomie locale. Les Länder critiquent beaucoup Bruxelles, mais agissent de la même manière. L'autonomie locale reste souvent théorique et elle est peu mise en oeuvre. Les maires choisissent en effet souvent la facilité et souhaitent recevoir des fonds de l'État-membre ou du Parlement des Lander. C'est ce que l'on appelle une « séduction centraliste dorée ».

M. Antonio REBORDAO MONTALVO, Président du Centre d'études pour le développement régional et local

Mon exposé portera sur les bases du cadre juridique de l'autonomie locale au Portugal, et sur la nouvelle tendance à la décentralisation. La Constitution portugaise approuvée en 1976 a intégré les pouvoirs locaux. On peut donc dire que les collectivités locales ne sont pas seulement un élément de l'organisation démocratique locale, mais aussi une structure du pouvoir politique. La Constitution stipule que l'État est unitaire et respecte dans son organisation les principes d'autonomie des pouvoirs locaux, et de la décentralisation démocratique de l'administration publique. Dans le cadre de ce principe, elle réglemente plusieurs domaines relatifs aux collectivités locales.

Premièrement, la Constitution définit les collectivités locales en tant que personnes collectives, dotées d'organes représentatifs dont l'objectif est de promouvoir les intérêts des habitants de leur circonscription. Elle établit les catégories des collectivités locales par municipalité et région administrative. Les régions administratives n'ont pas encore été créées. La Constitution reconnaît l'existence de divisions propres et définies par la loi, conformément au principe de décentralisation administrative. Elle consacre un principe d'autonomie financière et patrimoniale, et définit les structures des organes de la collectivité locale, en prévoyant l'existence d'une Assemblée délibérante, qui est un organe exécutif collégial. Elle attribue aux collectivités locales un pouvoir réglementaire propre, dans les limites fixées par la Constitution, les lois et les règlements des collectivités de niveau supérieur. Elle définit la tutelle administrative sur les collectivités locales en la réduisant à une simple tutelle de légalité, ne pouvant être exercée que dans les cas et les formes prévues dans la loi. Finalement elle établit que les collectivités locales disposent de personnel, et précise que le régime des fonctionnaires et des agents de l'État leur est applicable. Tout cela concerne la liberté et la capacité de faire, comme en a parlé Alain Delcamp.

On peut dire que la Constitution consacre expressément les trois éléments suivants du concept d'autonomie locale :


· droit des collectivités locales à l'existence autonome, avec des organes propres, capables de conduire une politique locale ;

ï capacité effective de régler, gérer les affaires locales, avec des moyens financiers suffisants à la mise en oeuvre des tâches des collectivités locales ;

ï large étendue de compétences des collectivités locales, c'est-à-dire gestion d'une part importante des affaires publiques.

La Constitution de 1976 consacre tous les éléments caractéristiques de la démocratie de l'autonomie locale Cependant, cela n'a pas empêché l'État portugais de signer et de ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale en 1992.

Les compétences des collectivités locales portugaises sont consacrées dans la loi en tant que compétences propres, définissant les intérêts locaux qu'elles prennent en charge. La première loi de compétences des collectivités, approuvée en 1977, a consacré une méthode de répartition des compétences entre les collectivités locales et l'État fondée sur le système de bloc des compétences. La compétence des collectivités était absolument indépendante et distinguée de celles de l'État. L'ordonnancement juridique ne prévoyait pas la délégation des compétences de l'État aux collectivités locales. Après quarante-huit ans de dictature, le législateur national a consacré ce système de bloc des compétences pour mieux protéger l'autonomie locale, seul rempart des collectivités locales contre l'État. Cependant, le système de bloc des compétences ne favorise pas le développement d'une décentralisation dynamique. D'autre part, il empêche la diminution des tâches de l'État, dans la phase de transformation du rôle de l'ancien État providence.

Dans le cadre de ce nouveau contexte historique, le Parlement a approuvé à l'unanimité en 1999 une réforme profonde des lois de compétences des collectivités locales, inspirée par la Charte européenne d'autonomie locale. Il a consacré expressément pour la première fois dans l'ordonnancement portugais le principe de subsidiarité en tant que principe régulateur des relations entre les collectivités locales et l'État, et en tant que principe dirigeant l'activité de législateur dans le domaine de répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales.

D'après cette nouvelle réglementation, directement applicable aux collectivités locales, ce système de bloc des compétences a été lancé par les nouveaux grands cycles de la communication et du partenariat des administrations centrales et locales.

Une autre innovation très importante du nouveau régime approuvé en 1999 concerne la mise en place d'un processus de transfert progressif de nouvelles compétences aux communes jusqu'à l'année 2004. Selon cette décentralisation graduelle, chaque année le budget de l'État doit prévoir des ressources financières accordées aux collectivités locales pour l'exercice de nouvelles compétences, fixées dans le contrat établi entre l'État et les communes selon le principe de connexité dont nous a parlé Monsieur Frécon.

Sur le principe de subsidiarité, l'exercice des responsabilités publiques doit incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens. La réforme législative de 1999 a consacré non seulement le transfert des compétences de l'État vers les communes, mais aussi le transfert des pouvoirs des communes soit à la paroisse, l'échelon le plus local des collectivités locales, soit à des associations et coopératives privées. Ce système d'administration décentralisée, tantôt appelé la décentralisation impartiale, a été consacré dans le régime local portugais, par influence directe de la Charte européenne d'autonomie locale. Le principe de subsidiarité est ainsi consacré.

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