« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


MICHÈLE ANDRÉ

La première fois où je fus envoyée sur une campagne électorale nationale, c'était en 1984, lorsque le président Valéry Giscard d'Estaing a voulu retrouver son siège de député. Le parti socialiste, en peine sans doute de candidats, avait déniché cette jeune candidate que j'étais à l'époque, un peu plus jeune qu'aujourd'hui, et je suis partie pour une campagne perdue d'avance, pour l'honneur, mais je dois reconnaître que ça m'a permis de faire un tour de piste des problématiques du secteur. À l'époque, Edith, cela te rappellera peut-être quelque chose, nous étions en plein débat sur les quotas laitier, qui étaient destinés à protéger les agriculteurs de mon secteur de montagne, eux ne le comprenant pas bien, n'avaient pas de mots assez durs à notre égard pour nous fustiger dès que j'arrivais. Ce qui, pendant quelques années, a provoqué chez moi un intense rejet des bovins que je pouvais voir dans les prés...

J'avoue que c'était une expérience qui m'a servi parce qu'on m'a mise tout de suite dans le grand bain. J'étais certes adjointe aux sports de ma ville. Adjointe aux sports à Clermont Ferrand. Adjointe aux sports d'une grande ville, c'était, en 1983, très difficile, parce que, à part Edwige Avice qui avait un peu ouvert la voie pour le sport, ce monde était totalement masculin. Et mes interlocuteurs permanents étaient les présidents de club, de fédérations, tous des hommes. J'ai vécu quelques moments avec les cyclistes, les lutteurs, les rugbymen, dont je pourrais parler, si on avait le temps, pour nous détendre, et qui montrent trop souvent machisme et parfois bêtise. Ma question, était comment se comporter dans ces cas ? J'avoue que, au risque de passer pour quelqu'un de faible, je pense que l'humour est la seule défense, et il m'est arrivé de m'amuser beaucoup et de les mettre en difficultés, vous savez, comme on le fait au tennis quand on doit fatiguer un adversaire et qu'il faut bien l'occuper, le faire monter, pour essayer de le battre !

Forte de ce poste d'adjointe aux sports, où j'avais appris qu'il fallait être assez rapide, présente et s'adapter, je me suis retrouvée secrétaire d'État chargée des droits des Femmes dans le gouvernement de Michel Rocard, choisie donc par le Président Mitterrand en 1988. Je corrige un peu ce qu'a dit Hélène Gisserot tout à l'heure : j'ai été rattachée à Matignon, ce qui a été une chance. J'avais en la matière le souvenir de l'expérience d'Yvette Roudy, dont j'avais été la déléguée régionale pour l'Auvergne dans les années 81-83, après avoir travaillé avec elle au parti socialiste à la convention de 1977, moment de définition d'un certain nombre de valeurs pour les femmes encore d'actualité, hélas, en ce qui concerne les grands enjeux d'autonomie. J'avais compris qu'il fallait avoir directement accès au Premier ministre chez lequel on va quand les dossiers patinent. Parce qu'évidemment mes moyens n'étaient pas très conséquents et les difficultés avec les collègues existaient.

J'ai le souvenir de deux conflits dont il a fallu demander l'arbitrage à Matignon. L'un portait sur de graves problèmes de moyens budgétaires pour faire des formations très importantes pour les femmes, avec le ministère du Travail qui trouvait aussi cela important mais sans doute moins que moi. Le conflit le plus difficile que j'aie eu à vivre, fut avec le ministre de l'Intérieur, lorsqu'il a voulu changer la taille des filles (de quatre centimètres) pour être recrutées dans la police. Quatre centimètres, cela ne paraît rien, mais les syndicats, avaient fait leur compte et je m'étais rendu compte que cela éliminait 80% des filles. Donc je suis partie en bagarre de façon assez forte, cela ne s'est pas très bien passé, cela a duré quelque temps, et j'ai eu beaucoup de soucis avec mon collègue de l'Intérieur qui a très mal pris ma position, qui consistait au fond à l'empêcher de faire cette mauvaise action. Je précise que, personnellement, je n'avais jamais eu envie d'être policier, mais je me suis toujours battue pour que celles qui veulent l'être le puissent. Nous étions en pleine campagne sur les violences conjugales, où nous avions mis en évidence que 75 % des interventions de Police Secours la nuit à Paris relevaient de violences familiales, j'avais fait remarquer à mon collègue ceci : était-ce utile d'avoir de grands policiers, ou plutôt des femmes adaptées et capables de rentrer dans ces problématiques de société qui sont les nôtres aujourd'hui et qui se sont même vraiment aggravées depuis ?

Voilà donc la difficulté d'avoir un espace, de le tenir, de le conquérir. Il y a eu aussi de très grands moments très enthousiasmants, avec des collègues intéressés, avec qui j'ai véritablement travaillé. Je pense à Louis Besson, en particulier, sur les problèmes de logement. Et d'une façon générale, après trois années passées dans le gouvernement de Michel Rocard, je suis repartie avec le sentiment d'avoir exercé une charge importante. J'ai passé ces trois années au service du pays, pour les relations internationales qui nous obligent à nous battre encore et toujours pour la cause des femmes même si nous pensons avoir avancé en France.

Je suis repartie reprendre mon poste d'adjointe aux sports dans ma ville, et je me suis occupée d'autres choses. Je siège au Sénat depuis 2001. Je représente donc un département, le Puy de Dôme, avec un collègue turbulent, pas vraiment féministe, qui s'appelle Michel Charasse. Nous faisons équipe, je fais partie des 10-11 % de femmes parlementaires, je siège à la commission des lois sans difficultés particulières avec les collègues sénateurs, nous travaillons parfois à contenir certains amendements de députés. Je pense à l'amendement Garraud sur l'interruption involontaire de grossesse, nous avons convaincu certains collègues de l'UMP de voter contre, préservant ainsi de possibles dérives. Je fais partie des élues au scrutin majoritaire, je suis vice-présidente du conseil général du Puy de Dôme, en charge de dossiers importants. Je sais donc ce que c'est d'être peu nombreuses dans une assemblée, d'y travailler. J'ai eu la chance de vivre une expérience ministérielle, j'ai déjoué les pièges, perdu beaucoup de temps à me battre pour des budgets (c'est logique) ou des locaux quand je suis arrivée au ministère en 1988. J'ai du travailler dans des locaux provisoires inadaptés pendant un an et demi. Lorsqu'on devient ministre, on vous demande des programmes d'action pour les six mois à venir, et quand vous en partez, vous l'apprenez parfois par hasard. Cela donne une espèce de sagesse. On s'aperçoit que les mandats de cinq ou six ans, dont on connaît le rythme, pour lesquels on a le temps de mettre en oeuvre des actions, de travailler, sont des choses précieuses.

Je crois qu'il faut soutenir toutes les femmes qui arrivent, plus jeunes et inexpérimentées, et qui parfois se battent encore contre des stéréotypes pour conquérir des espaces et les occuper beaucoup plus nombreuses, avec une conscience aiguë de ce que sont les problématiques des femmes, parce que cela, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas l'oublier.

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