Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999
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AVANT-PROPOS DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Internet, vecteur de rapprochement entre l'institution et le citoyen.

L'exemple du Sénat français.

Internet représente aujourd'hui un enjeu éminemment politique. Il suffit de prendre en compte les mouvements d'opinion lancés sur le réseau des réseaux, en France ou à l'étranger, pour mesurer combien cet outil est devenu un moyen d'action puissant.

Pour le Sénat, loin de chercher à contourner l'institution parlementaire et à instituer une quelconque démocratie directe, les nouvelles technologies peuvent, grâce à leur intégration dans le processus parlementaire, grâce au dialogue et à la transparence qu'elles engendrent, rapprocher le citoyen de l'institution.

Le site Internet du Sénat permet d'ores et déjà une meilleure connaissance du travail parlementaire, et l'association du citoyen, dans une certaine mesure, à la procédure d'examen des textes de loi.

1. Une meilleure connaissance du travail parlementaire grâce à Internet

Le site Internet du Sénat français constitue un des lieux privilégiés pour prendre connaissance du travail parlementaire. Environ 46.000 pages html sont en ligne, ce qui fait de http : // www.senat.fr le seul lieu à mettre autant de documentation et d'information sur le Sénat français à la disposition de tous. Cette meilleure connaissance du travail parlementaire permet la mise en oeuvre, à une échelle nouvelle, de trois principes fondamentaux de nos démocraties : le principe de publicité des débats, le principe de transparence et le principe selon lequel l'élu rend compte à ses électeurs.

L'appréhension du travail parlementaire par le citoyen exige toutefois un préalable : que celui-ci connaisse le rôle du Sénat, sa place dans les institutions et son fonctionnement.

a) Un préalable : la mise en ligne d'une rubrique d'instruction civique

Le droit constitutionnel et le droit parlementaire sont des matières parfois techniques qui exigent une certaine "formation", la mise en oeuvre d'une instruction civique. Il n'est pas rare par exemple d'entendre dans les médias des confusions entre loi votée et loi promulguée ou entre projet et proposition de loi.

Le Sénat participe ainsi à l'instruction civique de chacun. Il diffuse, tout d'abord, un certain nombre de documents actualisés : textes constitutionnels, législatifs ou réglementaires de référence, documents de vulgarisation et éléments bibliographiques. Les textes constitutionnels, législatifs ou réglementaires, qu'ils traitent de la représentation des collectivités territoriales par le Sénat, de son mode d'élection ou du déroulement des séances publiques, sont en ligne. Ces textes jouent un rôle décisif car ils permettent au citoyen, sans filtre aucun, sans le prisme des médias, d'avoir accès à la seule information qui soit, en dernier ressort, légitime sur le rôle et l'organisation du Sénat : la règle de droit.

Il diffuse ensuite, en parallèle, pour susciter un lien plus "chaleureux" avec l'institution, une visite et une histoire "multimédia" du Sénat. À travers une présentation du Palais du Luxembourg à travers les âges, par le biais de sons, d'image et de vidéo, c'est un nouveau lien qui s'instaure avec le citoyen.

Enfin, parce que l'instruction civique doit commencer dès le plus jeune âge, le Sénat a créé « Sénat Junior », le premier site d'instruction civique francophone, destiné aux 8-12 ans qui rencontre un important succès dans les écoles et collèges.

b) Publicité des travaux parlementaires

Le principe de publicité des travaux des Assemblées est un principe fondamental de nos démocraties. Il apparaît en France avec la République et il est clairement exprimé dès la première Constitution française. La Constitution du 3 septembre 1791 pose déjà dans son article premier, titre III, chapitre III, section II que : "Les délibérations du Corps législatif seront publiques, et les procès-verbaux de ses séances seront imprimés." La Constitution actuelle, celle du 4 octobre 1958, mentionne de même dans son article 33 : "Les séances des deux assemblées sont publiques. Le compte rendu intégral des débats est publié au Journal officiel."

Cette publicité des débats est assurée historiquement par deux moyens : l'ouverture au public des séances des assemblées et la publication d'un compte rendu. La diffusion de ce compte rendu a été améliorée grâce à la création de la direction des Journaux Officiels en 1880. La portée de ces deux moyens est pourtant limitée. D'une part, l'ouverture de la séance au public est aujourd'hui symbolique. Les travées réservées au public comptent 200 places et la volonté de préserver le bon ordre et la sérénité des débats conduits à limiter la présence du peuple dans l'hémicycle. D'autre part, si le principe d'un compte rendu des séances n'est pas en cause, sa diffusion par le biais du réseau des Journaux Officiels est relativement limitée.

Internet, média à la fois léger et de diffusion internationale, devient ainsi un support privilégié pour assurer la publicité des travaux du Sénat. Il permet de trouver rassemblés en un seul lieu, public et gratuit, l'ensemble des documents ayant trait à l'activité Sénatoriale. Les internautes français, sans compter ceux de l'étranger, peuvent dès lors consulter les comptes rendus de la séance publique, les travaux de commission, les textes en cours d'examen, les différents rapports. Internet constitue une source unique de documentation et d'information sur le travail du Sénat avec l'équivalent de 160.000 pages A4 en ligne. Le renforcement, par ce biais, du principe de publicité, aboutit à un constat majeur chez le citoyen : le Sénat travaille. Et beaucoup...

Un rapport du Sénat est aujourd'hui généralement tiré à 2.500 exemplaires. Parmi ces exemplaires, en général 1500 sont à usage externe. Les ventes constatées par l'Espace librairie du Sénat restent nécessairement limitées. Mais le nombre de lecteurs d'un rapport parlementaire sur Internet tend aujourd'hui à devenir plus important. C'est ainsi que le rapport le plus consulté en 1999, celui du Sénateur René Trégouët intitulé "Des pyramides du pouvoir aux réseaux de savoirs" l'a été par 8.370 lecteurs internautes.

L'impact des rapports du Sénat se trouve ainsi renforcé aujourd'hui par le site Internet.

c) Transparence de l'action Sénatoriale

La vertu des nouvelles technologies est de donner au principe de publicité un sens renouvelé qui conduit à l'exigence de transparence.

La transparence se manifeste sur le site Internet du Sénat français par une double ligne éditoriale :

- tous les documents du Sénat, dans leur exhaustivité et dans leur diversité, sont diffusés sur le site Internet du Sénat. Le Sénat considère que tous les documents produits relèvent de l'information publique et ont vocation à être portés, de manière égale, à la connaissance du citoyen internaute. Les efforts réalisés en matière de transparence vont aujourd'hui très loin puisque le citoyen peut prendre ainsi connaissance, de manière détaillée et parmi d'autres informations statutaires, des éléments de rémunération des parlementaires qui le représentent.

- Internet permet d'aller au-delà de la publication du compte rendu des travaux parlementaires : il permet de suivre directement, et en direct, tous les travaux. Le site Internet du Sénat français est ainsi actualisé, de manière décentralisée, par tous les services, plusieurs fois par jour.

Il devient ainsi fréquent, aujourd'hui, que la version électronique d'un rapport parlementaire soit en ligne avant la parution de la version papier. L'internaute suit sur Internet la "loi en train de se faire", à travers les différents rapports sur le texte, les textes votés en navette jusqu'au texte définitif, au texte promulgué, le cas échéant après décision du Conseil Constitutionnel. Toutes les étapes d'élaboration d'un texte de loi sont ainsi présentées au public, au fur et à mesure des votes des représentants de la Nation.

Les débats en séance se déroulent aujourd'hui de manière complètement transparente. Avant même le lancement de la chaîne parlementaire, le Sénat a décidé de retransmettre tous ses débats en direct et en vidéo sur Internet. Pour les personnes qui se trouvent dans des régions difficiles d'accès, où la télévision est mal reçue, pour les citoyens français qui résident à l'étranger, la vidéo sur Internet constitue un progrès important.

d) Rendre compte, au citoyen

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 a, en France, rappelons-le, valeur constitutionnelle. Son article 15 est formulé de la manière suivante : "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". L'article 27 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise de son côté que "tout mandat impératif est nul". La possibilité de rendre compte de son mandat est ainsi surtout ouverte à l'élu au moment où il se présente de nouveau au suffrage.

Rien ne l'empêche, cependant, de rendre compte de son mandat à d'autres moments, par le biais de supports de communication variés.

Internet constitue aujourd'hui un de ces supports de communication. Le Sénat français offre à tous les Sénateurs la possibilité de disposer de "pages personnelles" hébergées sur son site Internet, avec pour seule restriction la nécessité d'aborder uniquement des thèmes liés à l'exercice du mandat parlementaire. 95 Sénateurs ont déjà saisi cette possibilité et actualisent leurs pages fréquemment. Si l'on ajoute à cette possibilité la possession, pour plus des deux tiers des Sénateurs, d'une adresse électronique publique, ce sont des relations plus étroites, tout au long du mandat, qui peuvent s'instaurer entre représentants et représentés.

2. Internet, facteur d'un lien renforcé avec les citoyens

La conviction du Sénat vis-à-vis des nouvelles technologies est que la connaissance accrue d'une institution plus transparente ne peut, en retour, que conforter sa légitimité.

a) Internet : un service rendu au citoyen

La légitimité d'une institution comme le Sénat français est, d'abord, d'ordre politique et constitutionnel. Internet est susceptible de jouer un rôle important sur un autre plan : celui du dialogue entre le citoyen et l'élu. À ce titre, sa contribution est importante pour deux raisons :

- Internet est la vitrine du travail du Sénat. Le caractère foisonnant du site du Sénat français a un effet positif : montrer que l'institution travaille.

- Le site Internet du Sénat offre au citoyen un service juridique de qualité. Le Sénat joue ainsi un rôle de service public important : permettre à chacun, étudiant, juriste ou simple citoyen, de prendre connaissance de la loi et, surtout, des nouvelles lois afin que chacun puisse mesurer les effets que la modification de la règle de droit aura sur sa vie quotidienne. Il convient, de plus, de préciser que le site Internet du Sénat est utilisé aujourd'hui par les étudiants et les documentalistes français comme un important centre de documentation en ligne.

Le service rendu au citoyen par le Sénat sur Internet raffermit dès lors sa légitimité. Elle dote l'idée de représentation d'une nouvelle dimension. Ceci est tellement vrai que, lorsque j'ai souhaité donner véritablement corps à l'article 24 de la Constitution selon lequel « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et ai proposé de donner un nouvel élan à la relation entre les élus locaux et les Sénateurs, le Sénat a créé un nouveau site Internet. Ce site Internet est destiné à l'ensemble des acteurs locaux et chargé de leur permettre d'accéder aux services que peuvent leur offrir aujourd'hui les nouvelles technologies.

« Carrefour des collectivités locales » est non seulement un point d'actualité à destination des élus locaux, mais aussi le plus grand site d'information et de documentation juridique à destination des acteurs locaux. Il joue le rôle de « portail » à travers le référencement de tous les sites locaux et des sites intéressant les collectivités locales. Les élus se voient offrir la possibilité de poser leurs questions d'ordre pratique, juridique ou technique au Sénat qui leur garantit une réponse dans les meilleurs délais.

b) Internet : un outil de dialogue

À l'occasion de la fête de l'Internet 2000, le Sénat a ainsi lancé les premiers « cyberdébats de la République » durant lesquels une vingtaine de Sénateurs de tous horizons politiques, connectés des différents points du territoire, se sont relayés pour dialoguer en direct avec les internautes.

Ces débats ont connu un réel succès et le Sénat français va, à l'avenir, privilégier ce mode de discussion interactif pour renforcer le lien entre élus et citoyens.

c) Internet : un outil de consultation

Le Sénat français a organisé, depuis février 1996, huit consultations sur des sujets variés.

Il a franchi, à l'automne 1999, une nouvelle étape en organisant des forums électroniques qui permettent aux Sénateurs de débattre sur la durée avec les internautes autour de sujets précis.

Ces débats, mis en ligne par un modérateur, permettent d'associer le citoyen à la phase de consultation comme une personnalité qualifiée et de mieux mettre en valeur le travail des commissions parlementaires.

Cette démarche, loin d'abolir les principes de la démocratie représentative, s'ajoute, sans se substituer, à la procédure normale d'examen de projets ou de propositions de loi en commission.

Trois forums ont d'ores et déjà eu lieu :

- le forum des Sénateurs Pierre Laffitte, René Tregouët et Guy Cabanel, sur la proposition de loi tendant à généraliser dans l'administration l'usage d'Internet et des logiciels libres, ouvert le 11 octobre 1999, a recueilli 1404 contributions,

- le forum du Sénateur Serge Lepeltier, sur le programme national de lutte contre l'effet de serre, ouvert le 17 janvier 2000, a recueilli 161 messages,

- le forum ouvert le 12 mai 2000 sur les emplois jeunes, organisé par le Sénateur Alain Gournac et le groupe de travail emploi-jeunes de la commission des Affaires sociales, est déjà une réussite avec plus de 600 témoignages de jeunes internautes en quelques semaines.

Associer le citoyen, savoir le consulter comme une personne qualifiée, lui permettre de suivre, en toute transparence l'examen des textes législatifs, organiser un dialogue avec l'élu en amont de la décision publique, tous ces apports potentiels des nouvelles technologies semblent de nature à revivifier le modèle d'une démocratie représentative qui, malgré les critiques, n'a jamais été dépassé. L'institution parlementaire porte la responsabilité des décisions prises au nom des citoyens ; les citoyens, eux, grâce aux nouvelles technologies, peuvent trouver un nouveau rapport de confiance avec leurs élus.

PREMIÈRE PARTIE - PARLEMENTS ET PARLEMENTAIRES DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

Cette partie est issue des travaux du jeudi 18 novembre 1999.

La première demi-journée a été présidée par M. Jacques VALADE, Vice-président du Sénat. Les débats ont été animés par M. Thierry BRÉHIER, Journaliste, « Le Monde ».

La seconde demi-journée a été présidée par M. Patrice MARTIN-LALANDE, député du Loir-et-Cher. Les débats ont été animés par M. Didier MAUS, Président de l'Association Française des Constitutionnalistes, et conclus par M. Dominique WOLTON, CNRS.

NB : Tous les articles sont traduits de l'anglais, les interventions, débats avec la salle et conclusions sont issus du compte rendu analytique disponible sur le web : www.senat.fr/evenement/colloque.html ? interventions du 18 novembre.

INTRODUCTION DE M. JACQUES VALADE, VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT

Formulée il y a une vingtaine d'années, l'idée de démocratie électronique peut se définir comme l'ensemble des utilisations des technologies de l'information et de la communication affectant les pratiques associées au fonctionnement d'une société démocratique. Cette idée connaît aujourd'hui un regain d'intérêt.

Cette renaissance est liée à la diffusion croissante d'Internet et aux fonctionnalités que ce réseau offre. Elle participe également d'une recherche plus générale des moyens capables de revitaliser la mobilisation et la participation politiques, dans un climat de relative défiance à l'égard des modes d'engagement traditionnel des citoyens.

La réflexion sur la démocratie électronique a jusqu'ici revêtu un caractère essentiellement spéculatif. Mais aujourd'hui, la multiplication de projets ou d'expériences de démocratie électronique mis en oeuvre par les collectivités locales, les administrations, les partis politiques et les assemblées parlementaires elles-mêmes permet d'étudier ce thème en disposant d'exemples concrets dont l'évaluation est possible.

Les études présentées dans cet ouvrage sur les différents parlements nationaux, les témoignages nombreux de parlementaires français et étrangers, permettent de prendre la mesure des enjeux liés à la démocratie électronique. Contrairement aux préjugés communément admis, la comparaison des différentes expériences nationales ne joue pas en défaveur de notre pays.

Le Parlement français fait ainsi partie du peloton de tête des assemblées législatives européennes en matière d'Internet. Il en est d'ailleurs de même avec les autres technologies où le Sénat, qui vient de lancer sa chaîne parlementaire, montre son ambition et met au service du citoyen et du politique les outils les plus modernes.

PREMIÈRE SOUS-PARTIE - LES PARLEMENTS DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

I. ARTICLE DE M. KARL LÖFGREN, COPENHAGEN BUSINESS SCHOOL

Le Parlement danois dans le monde virtuel électronique

Pour qui développons-nous la démocratie ?

L'importance grandissante de l'Internet et d'autres réseaux électroniques dans les démocraties occidentales a suscité ces dernières années un nombre croissant d'études universitaires relatives à l'impact des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication sur les pratiques politiques. Cet intérêt s'est principalement concentré sur les évolutions possibles de la démocratie vers davantage de participation, en négligeant quelque peu les intermédiaires politiques comme les partis politiques par exemple. Mes études m'ont amené à analyser le triangle théorique représenté par les partis, la démocratie et les nouvelles technologies. Les relations entre les trois entités sont complexes et ne peuvent être représentées par la dichotomie entre tradition représentative et tradition participative de notre démocratie. De plus, la technologie joue aujourd'hui un rôle limité dans les innovations au sein des partis politiques.

Le Parlement danois, comme beaucoup d'autres institutions publiques, a mis en place un site public d'information sur le World Wide Web. Cette création suit la tendance au développement de sites publics sur le plan international, issu lui-même des politiques des Gouvernements pour favoriser l'entrée dans la société de l'information. Grosso modo , Internet est considéré comme un moyen d'élargir la diffusion d'information et d'accroître la transparence du processus législatif. Un des objectifs principaux, derrière la création d'un site web, est d'augmenter l'influence des citoyens. Dès lors, il importe de savoir si le site est « vraiment » démocratique et de quelle démocratie nous parlons en l'espèce. Sur la base des critères de March et Oison sur la gouvernance démocratique, j'ai étudié l'influence que pouvait avoir un site web sur la démocratie et la politique, dans un monde qui passe du « Gouvernement » à la « gouvernance ». Les résultats de mes recherches m'incitent à penser que le discours démocratique diffusé par le biais d'Internet perpétue les structures de pouvoir existantes, fondées sur l'élitisme et une vision « consumériste » de la démocratie, plutôt que sur de nouveaux modes de participation et de décision populaire.

S'agissant du site du Parlement danois, le premier critère que j'ai examiné est l'égalité d'accès et la participation. La grande majorité de la population ne dispose pas d'un accès aisé à Internet et les informations diffusées par le site web sont accessibles par d'autres moyens, plus traditionnels. Il est très difficile de savoir qui utilise le site web parlementaire, et pour quelles raisons. Toutefois, la majorité des utilisateurs appartient à un cercle restreint de professionnels (juristes, journalistes, parlementaires).

J'ai étudié ensuite dans quelle mesure le site web relatait les modes de prise de décision. Le site web est considéré comme un lieu de débat et d'échanges d'opinions, mais ne reflète pas l'ensemble du processus législatif tel qu'il se déroule dans la réalité au Parlement. Beaucoup de décisions sont prises par exemple dans des commissions dont les travaux ne sont pas publics. Aussi ne peut-on pas dire que le site web contribue tout à fait à rendre les travaux parlementaires plus transparents.

En troisième lieu, s'il est clair que les créateurs du site web n'avaient pas pour ambition de révolutionner le travail parlementaire, ils avaient pour objectif de rapprocher le Parlement des citoyens. Or le choix du contenu du site web a été conditionné par les besoins exprimés par un cercle restreint d'utilisateurs bien identifiés. Il est donc difficile d'évaluer l'impact du site sur les citoyens.

Enfin, j'ai examiné l'influence du site web sur le débat public. À l'occasion de l'anniversaire de la Constitution danoise, le Parlement danois a mis en place des forums électroniques sur divers aspects de cette Constitution, forums où les hommes politiques pouvaient rencontrer le public dans un contexte égalitaire, et sur un thème d'intérêt général. Au total, 550 personnes ont apporté leur contribution à ces forums, et le site web a été visité plus de 30.000 fois. Les organisateurs ont donc considéré cette expérience comme un succès. Pour ma part, je serais moins enthousiaste. Pour l'instant, aucune modification de la Constitution n'a été inscrite sur l'agenda politique du Danemark. En outre, assez présents au début des forums, les politiques ont progressivement diminué leur implication dans cette expérience.

En conclusion, le site du Parlement danois n'a pas encore induit aujourd'hui de changement profond dans les pratiques politiques.

II. ARTICLE DE M. THOMAS ZITTEL, UNIVERSITÉ DE MANNHEIM

Internet et les représentants américains

I. Les représentants américains s'intéressent-ils aux nouveaux médias ?

Cette étude est consacrée à l'impact d'Internet sur le comportement des membres de la Chambre des représentants américaine. Elle se fonde sur une modélisation simple du comportement des parlementaires, très répandue chez les théoriciens de la représentation. Les études dans ce domaine distinguent habituellement mandat impératif et mandat représentatif. Selon la manière qu'a le représentant d'envisager son rôle, la procédure de décision peut changer. Certains se considèrent comme des délégués et essaient de prendre leurs décisions de législateur en fonction des intérêts empiriques de leurs électeurs, d'autres comme des « trustees » et prennent plus de distance vis à vis de leurs mandants. Le délégué est avant tout un communicateur qui essaie de s'informer des intérêts de ses électeurs, alors que le « trustee » est avant tout un législateur, qui dialogue avec ses pairs et limite la publicité donnée à ses actions.

Des recherches empiriques ont montré que le comportement actuel des représentants américains oscille entre ces deux conceptions. Les représentants agissent parfois comme des délégués, parfois comme des « trustees ». La plupart conçoivent leur action comme un mélange de ces deux rôles. En conséquence, certains chercheurs ont créé une troisième catégorie qu'ils ont intitulé « politico ». Pour moi, il me paraît plus approprié de placer la manière dont chaque parlementaire conçoit son rôle sur une échelle dont les deux extrêmes sont figurés par le modèle du délégué ou du « trustee ».

Certains commentateurs ont vu dans les évolutions liées aux Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) un changement fondamental pour les institutions représentatives. Certains futurologues, comme Alvin Toffler ou John Naisbitt, ont prédit dans leurs best sellers que le travail du parlementaire serait bientôt obsolète et que nous verrions le passage d'une situation de dépendance vis à vis de nos représentants à la possibilité de nous représenter nous-mêmes en participant à des référendums électroniques. D'autres auteurs défendent la position contraire. Iain McLean, par exemple, considère que les nouveaux médias pourront aider les représentants à mieux prendre en compte les souhaits de leurs mandats en resserrant le lien qui les unit. Dans ce cas, les parlementaires seraient davantage amener à jouer un rôle de délégué qu'un rôle de « trustee ».

Toutes ces études considèrent, malgré les changements opérés à large échelle par les technologies des communications, que les évolutions du comportement du législateur sont tout sauf certaines : il n'y a pas de relation automatique et univoque entre changement technologique et changement politique. Toute évolution dépend de la décision que prennent les politiques eux-mêmes. Les représentants ont le choix et ils peuvent préférer préserver le statu quo malgré les changements de l'environnement technique externe.

Mes recherches se fondent sur l'analyse d'une institution très avancée sur le plan technologique : la Chambre des représentants américaine. Mon hypothèse de départ est que les controverses, dans un contexte technologique homogène, sont la meilleure preuve de l'existence de choix. Ainsi, j'ai étudié chez les membres du Parlement leurs différents modes d'utilisation d'Internet ainsi que leurs débats sur la manière de s'adapter à la société de l'information.

Je procéderai en trois étapes. Premièrement, je tracerai un bref tableau de l'interrelation entre Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication et comportement du législateur. Pourquoi croyons-nous qu'elles puissent avoir un impact sur le travail parlementaire ? Deuxièmement, j'étudierai l'utilisation d'Internet par les représentants américains et leur perception sur le rôle d'Internet dans le fonctionnement de leur institution. Mes données sont issues d'un questionnaire envoyé à tous les représentants qui a reçu plus de 35 réponses, de 25 entretiens avec des staffs parlementaires et des experts, et d'observations que j'ai pu faire quand j'ai travaillé comme assistant parlementaire en 1996/97. Ma présentation se terminera par quelques remarques sur la probabilité d'une évolution du législateur à l'aune de la société de l'information.

2. Nouveaux médias et travail parlementaire : quelques remarques théoriques

Laissez-moi dire une première chose sur le parlementaire comme délégué et pourquoi l'Internet peut être un facteur de renforcement de ce rôle.

Considérer le travail du parlementaire comme celui d'un délégué demande deux conditions préalables étroitement liées aux technologies de l'information et de la communication :

- Tout d'abord, la possibilité de prendre connaissance des intérêts de ses mandants de manière claire et instantanée. Le modèle du « pur » délégué suppose que le représentant ait une connaissance parfaite des opinions de ses électeurs pour chaque décision qu'il a à prendre dans le processus législatif.

- La seconde condition est la transparence absolue du processus de décision qui permet au public de suivre la position de chaque parlementaire, à chaque prise de décision. La publicité du processus législatif est une condition importante pour impliquer le public. Les citoyens doivent ainsi être informés et formés aux particularités du travail parlementaire. Ils doivent être capables de prendre en compte les enjeux du débat pour participer au processus et l'influencer. Mais, surtout, la publicité des travaux altère le comportement des parlementaires et les incite fortement à agir comme des délégués. En effet, la rationalité des acteurs nous amène à considérer que leur but principal consiste à se faire réélire. La transparence du processus, conjugué avec le facteur électoral, incite les parlementaires à mettre en oeuvre les souhaits de leurs électeurs.

L'Internet, et ses applications variées, permet au public de mieux communiquer ses voeux aux élus. Cela est vrai pour de multiples raisons :

1) Il ajoute de nouveaux canaux de communication aux autres médias existants comme le téléphone, la lettre ou le fax et augmente ainsi le flux d'informations.

2) Internet est un média rapide et donne aux électeurs la possibilité de réagir rapidement et en amont des votes, qui sont à l'ordre du jour. De même, l'interactivité des médias électroniques permet aux parlementaires de sonder leurs électeurs en envoyant un questionnaire électronique, avant de prendre une décision.

3) Internet réduit les coûts. Cela est vrai, à l'échelon individuel, pour l'e-mail. L'e-mail est un moyen simple et bon marché d'exprimer son opinion, sur un sujet, immédiatement auprès d'un parlementaire. Cela est vrai également au niveau d'un groupe car l'e-mail est un moyen économique de mobilisation. Certaines recherches récentes ont mis en évidence des groupes qui n'existeraient pas sans l'Internet. Certaines applications sur Internet permettent de réduire les coûts de traitement du courrier et rendent les équipes des parlementaires plus efficaces. Parce qu'il fait économiser du temps, le courrier électronique peut être géré à effectifs constants. De plus, la visioconférence, le « chat », les forums sont des moyens interactifs qui ne coûtent pas le même temps que le ferait le déplacement à une réunion par exemple. Internet réduit les coûts de communication et permet d'accroître l'interactivité entre électeurs et élus.

4) Les forums et la visioconférence sont des modes de communication décentralisés et interactifs. Les médias de masse comme la presse ou la télévision sont en fait des tribunes avec un orateur et des spectateurs. Sur Internet, chacun est à la fois orateur et spectateur en même temps. Ce média ne donne pas à chacun un rôle prédéfini. Il introduit le parlementaire dans une conversation directe, publique, et le prive du contrôle de l'agenda. Toute question peut lui être posée.

A côté de cette possibilité pour le public de mieux donner son avis, le nouveau média Internet améliore la transparence de la procédure parlementaire. La diffusion de l'information est facilitée. Internet permet d'éviter les goulets d'étranglement et la sélection d'information que l'on retrouve dans le traitement de l'information parlementaire par les autres médias de masse. Le world wide web permet de mettre à disposition du public de grandes quantités d'information et ce à des coûts moins élevés. Enfin, les moteurs de recherche, par exemple, permettent de retrouver l'information facilement.

L'impact de ce nouveau média sur le travail parlementaire est ainsi fondé sur les nouvelles fonctionnalités technologiques qu'il recèle. Toutefois, la thèse de cet article est que la transposition du changement technique au changement politique ne peut s'opérer que par un processus de décision politique. Les parlementaires touchés par ce changement technologique doivent décider s'ils sont prêts à s'adapter à un nouvel environnement de communication et s'ils souhaitent devenir de purs délégués. Ils doivent faire trois choix différents pour initier un changement de cette nature : sur l'infrastructure technologique, sur la stratégie de communication et sur l'organisation de l'institution.

Par infrastructure, j'entends les canaux de transmission pour se connecter à Internet, le hardware, le software et l'expertise nécessaire pour maintenir et gérer les systèmes. Le changement politique ne peut s'opérer sans infrastructures techniques. Les parlementaires doivent donc décider de se doter des moyens nécessaires. L'utilisation des outils liés à Internet peut être sélective ou extensive. E-mails, sites web, visioconférences et « chats » sont à la disposition des parlementaires et leur utilisation est laissée à leur discrétion. À eux de décider de leur stratégie de communication. Un site web peut être conçu pour être plutôt interactif, ou informatif, et plus ou moins intégrer d'éléments multimédia. Il peut n'être que la version électronique d'une brochure de campagne ou bien plus que cela. Les parlementaires peuvent décider de faire évoluer leur communication en fonction d'Internet ou l'intégrer dans la politique existante.

L'amélioration des infrastructures techniques existantes, l'adoption de nouveaux moyens de communication et le changement de stratégies individuelles de communication ne suffit pas pour induire un changement de l'organisation. Les organisations sont communément définies comme le cadre d'un comportement social stable dont les règles peuvent être formelles ou informelles. Les parlementaires doivent décider s'ils veulent faire évoluer leur organisation en fonction des possibilités technologiques offertes par Internet et si leur communication avec le public doit s'en trouver affecté.

Laissez-moi maintenant aborder le cas de la Chambre des représentants. Ce cas illustre la thèse selon laquelle le rôle des parlementaires n'est pas déterminé par les technologies et que les représentants ont le choix malgré l'ampleur du changement lié aux NTIC.

3. Les représentants américains dans la société de l'information

a) L'infrastructure

Je ne dirai pas grand chose des choix techniques réalisés par la Chambre des représentants dans la mesure où ils apparaissent peu contestables.

La Chambre des représentants a réalisé des investissements importants pour rénover son réseau de communication depuis le 104 e Congrès, à partir de janvier 1995. Elle a mis en réseau l'ensemble des bureaux des parlementaires par une double fibre optique qu'ils soient à Washington ou en circonscription. L'administration a mis en place un serveur web qui héberge les sites des parlementaires et des commissions ainsi qu'un serveur de messagerie qui gère les boites aux lettres de chaque bureau. Les installations sont maintenues par le « House Information Ressources » (HIR), une agence du Congrès qui employait en 1999, 222 personnes. Un des seuls problèmes réside dans le débit de l'accès à Internet qui est suffisant pour de simples courriers mais ne supporte qu'un nombre limité de fichiers audio et vidéo.

Les installations de chaque bureau se sont développées dans les mêmes proportions. Tous les staffs parlementaires, dont le budget annuel moyen est de un million de dollars, ont indiqué qu'ils n'avaient pas eu de difficulté à s'équiper. Tous sont raccordés par le biais de la boucle locale.

Aucun des staffs parlementaires interviewés ne s'est doté individuellement des équipements nécessaires à la visioconférence ou au « chat ». Quand un parlementaire souhaite participer à un tel événement, il a recours à des prestataires extérieurs comme le Washington Post ou d'autres services en ligne. Des efforts sont faits au sein des commissions parlementaires pour se doter de moyens de visioconférence. La commission des sciences est particulièrement en avance avec une salle équipée de matériels de pointe : 2 grands écrans plats, système vidéo intégré. Dès qu'un micro est activé, la caméra pointe sur la personne qui va parler.

Toutes les commissions ont les compétences pour utiliser au mieux Internet. 21 des 35 commissions ont un « administrateur système » tandis que certaines ont placé cette responsabilité dans les mains d'un assistant, d'un directeur de la communication ou d'un administrateur. Ces personnels reçoivent une assistance du HIR qui assure également des formations. Il existe également des contrats avec des sociétés extérieures pour diverses prestations graphiques.

On peut ainsi considérer que la Chambre des représentants américaine est en réseau.

b) La stratégie de communication du Congrès sur Internet

Ces différents schémas montrent les différentes utilisations liées à Internet.

Parlementaires avec sites web et e-mails publics (1998)

Fig. 1 : Members with Websites and Public E-mail, 1998

N= 35

Nombre de sites web et de messageries électroniques parmi les représentants américains

Fig. 2: The Diffusion of Websites and Public
E-mail among US Representatives

N= 32

À la fin 1998, les sites web sont devenus des moyens de communication très courants dans les bureaux du Congrès. La plupart des représentants utilisent le World Wide Web pour diffuser leurs informations (34 des 35 interrogés par l'enquête). Une large majorité utilise également l'e-mail

(31 sur 35), mais, comparé aux sites web, les chiffres sont légèrement inférieurs. L'hésitation est donc plus grande concernant la diffusion d'un e-mail public.

Utilisation par les représentants américains de la visioconférence et du

« chat » (1998)

Fig. 3: Members Use of Video Conferencing and Online Chatting in the US House, 1998

N=32

Une minorité très faible des parlementaires utilise la visioconférence (3 sur 32) ou le « chat » (5 sur 32) pour communiquer avec le public. De plus, dans la plupart des cas, l'utilisation de ces outils est sporadique. Les représentants qui ont répondu indiquent qu'ils ont travaillé avec ces instruments un ou quelques fois. Aucun n'en a une utilisation régulière.

La vraie question est de savoir comment les représentants utilisent le web et l'e-mail. Peu de données sont disponibles. Certaines recherches distinguent différentes stratégies. Ma propre enquête m'a permis de distinguer les problématiques liées à l'interactivité de celle liées à l'information et de définir les différents objectifs que les parlementaires assignent à leurs sites web.

Buts assignés aux sites web parlementaires

Fig. 4: Goals/Visions Related to Congressional Homepages

N= 30

Onze staffs interviewés ont une vision très traditionnelle de leur site web et se donnent pour objectif à travers Internet de donner des informations basiques sur les parlementaires et les services. Par contre, 19 staffs ont eux indiqué qu'ils souhaitaient que leur site soit le plus informatif et le plus interactif possible.

Il y a donc un fossé entre les parlementaires qui explorent toutes les fonctionnalités du web et ceux qui voient dans leur site un simple reflet de leurs publications « papier ». Le même fossé existe en ce qui concerne la fréquence de mise à jour.

Mise à jour des sites web parlementaires (1998)

Fig. 5: Topicality of Congressional Websites, 1998

N=31

L'actualisation des sites est un élément important de compréhension du processus législatif par le citoyen. 10 staffs sur 31 indiquent qu'ils actualisent leurs pages plusieurs fois par an ou mensuellement. Il est évident qu'un site mis à jour aussi rarement et irrégulièrement n'apporte pas grande chose à la communication entre élus et électeurs. Ceci est sans doute différent avec les sites web de 18 staffs qui effectuent des mises à jour quotidiennes ou hebdomadaires. Les éléments mis en ligne ne se trouvent en général pas alors sur d'autres supports.

L'interactivité est également un facteur non négligeable.

L'interactivité des sites parlementaires : les listes de diffusion

Fig. 6: Interactivity of Congressional Websites:

Electronic Newsletters

N=31

Le degré d'interactivité peut être mesuré notamment en fonction de l'existence d'une liste de nouveautés à laquelle les électeurs peuvent s'abonner. Seuls 5 sites parlementaires en sont pourvus.

Enfin, en ce qui concerne l'e-mail, il est particulièrement intéressant de constater de quelle manière il est répondu aux messages des internautes.

Modes de réponses aux mails électroniques

Fig. 7: Modes of Responding to Constituent

E-mail in Member Offices

M=30

Seuls 8 des 30 staffs parlementaires répondent aux e-mails par voie électronique. Certains vont même jusqu'à utiliser des applications sophistiquées qui filtrent les mails par critère géographique - la plupart des parlementaires ne répondent qu'aux messages provenant de leur circonscription- ou par mots clés pour les rediriger parfois vers les commissions compétentes. La majorité des 22 autres staffs répond par courrier traditionnel, envoyant auparavant un accusé de réception électronique. L'autre moitié imprime même le mail plutôt que d'opter pour un mode de lecture électronique. Ce mode de traitement fait perdre beaucoup de temps et devient redondant par rapport au courrier papier.

L'utilisation d'Internet varie donc selon les parlementaires et peut être selon la conception qu'ils ont de leur rôle. Pour connaître les souhaits de ses électeurs, il paraît nécessaire d'utiliser tous les canaux de communication disponibles et d'user d'Internet de la manière la plus efficace. La transparence et la publicité des processus législatifs impliquent que les sites web soient riches et fréquemment mis à jour. Les sites doivent également être très interactifs pour être sûr que les électeurs bénéficient de l'information qu'ils demandent. Si ce n'est pas le cas, Internet aura rénové les infrastructures techniques des Parlements sans changement significatif dans le mode de travail et de communication des représentants.

c) Le fonctionnement de la Chambre des Représentants et Internet

Quel va être l'impact des changements liés aux NTIC sur le règlement de la Chambre des représentants qui est un des fondements de l'institution? Pour répondre à la question, j'ai regardé les débats de cette assemblée sur la manière de réformer le règlement en fonction des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. Le premier débat que j'ai trouvé posait la question du contenu : qu'est-ce qui doit être communiqué, qu'est ce qui doit être rendu public à travers l'Internet ?

Sur un plan administratif très basique, il s'agissait de savoir comment adapter des règles existantes aux nouveaux moyens de communication électroniques. Quand les staffs et commissions ont commencé à envoyer des messages de « news », par exemple, le statut et le contenu de cette communication sont devenus des enjeux importants. Le Congrès trace en effet une frontière très ténue entre campagne de communication d'une part et communication officielle des parlementaires, qui ne peut servir à des fins électorales, d'autre part. En effet, les dispositions réglementaires précisent que des fonds publics ne peuvent financer des campagnes électorales. Pour respecter cette règle, tout mailing destiné à plus de 500 personnes, émis en interne, est soumis à une commission spécialisée pour vérifier l'objet du mail électronique. Les parlementaires se plaignent aujourd'hui de la perte de temps que représente cette vérification et remarquent que les avantages liés à l'électronique, la vitesse notamment, sont perdus du fait de la mise en place de cette procédure.

Plus fondamentalement, les règles de fonctionnement d'un Parlement vont-elles être altérées en fonction des nouvelles technologies de l'information et de la communication ? La signification de l'accès public au travail parlementaire prend en effet deux sens différents. Dans le cadre d'une audition publique par exemple, vous pouvez assister à celle-ci sans pour autant que son compte-rendu soit publié. La décision de publication dépend de la Présidence de chaque commission. Des raisons de coût sont souvent évoquées pour justifier la limitation de certaines publications. Dans le cas même d'une publication, le nombre de copies est limité et leur obtention n'est pas gratuite. Les délais de publication sont également relativement longs. La création de la chaîne parlementaire, en 1979, a fait évoluer les pratiques mais C-SPAN diffuse les événements de manière sélective, notamment pour tenir compte de l'audience.

Dès lors, le speaker de la chambre, Newt Gingrich, a promis en 1994 de faire en sorte que tous « les documents parlementaires soient disponibles dans leur version électronique pour que le citoyen puisse avoir l'information en même temps que le lobby le plus influent ». Des groupes de travail ont été mis en place.

Toutefois, aucun progrès n'a pu être accompli durant le 104 e Congrès. Le Règlement a été modifié durant le 105 e Congrès en incitant chaque commission à diffuser autant que possible leurs informations par voie électronique, ce qui laisse une grande marge d'appréciation aux différentes commissions.

Un autre aspect de cette question a été fourni par un groupe proche de Ralph Nader. Celui-ci a en effet demandé d'élargir l'accès du public à l'information en accroissant le nombre de documents publiés, proposant notamment de diffuser certains projets de textes et des études du « Congressional Research Service » (CRS), une agence issue de la Bibliothèque du Congrès. Cette demande a pris un relief supplémentaire quand le représentant Christopher Says et le Sénateur John Mac Cain ont déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Selon eux, les études du CRS n'étaient jusqu'alors diffusées que sur l'Intranet du Congrès. Les citoyens pouvaient obtenir ces documents par le biais de leurs représentants mais ignoraient évidemment quelles études étaient disponibles. Ils étaient dépendants de la bonne volonté de leur Représentant.

A côté des questions de contenu a été posé le problème de savoir qui avait le droit de communiquer sur le site Internet de la Chambre des représentants. Les groupes minoritaires ont en effet bien du mal à se faire entendre et n'ont pas nécessairement les moyens de gérer des sites indépendants.

L'utilisation des NTIC par les commissions offre des perspectives intéressantes. Un des membres de la commission des Lois, Scott McInnis, en mai 1996, a ainsi participé à une réunion de commission par visioconférence. Certaines auditions de personnalités qualifiées ont lieu aujourd'hui par visioconférence pour réduire le temps et les coûts de transport. Mais, par contre, la participation d'un parlementaire à une réunion de commission par visioconférence ne s'est pas reproduite. Il reste à savoir si la participation aux travaux des commissions par ce biais peut être autorisée. Faut-il l'autoriser uniquement pour les auditions ou pour d'autres réunions ? Le vote par ce biais est-il possible ?

Ces questions ont des implications importantes sur le travail du parlementaire. S'il est possible de faire une grande part du travail législatif .sur Internet, les parlementaires pourront passer plus de temps en circonscription. Ils seront plus proches de leurs électeurs mais plus loin de leurs collègues parlementaires, ce qui pourrait avoir des conséquences sur leurs positions politiques. Leur information sur les voeux des électeurs devrait être accrue.

Si certains observateurs appellent à un Congrès électronique, les parlementaires sont peu sensibles à cette idée. Ils expliquent que le contact avec leurs collègues est une des conditions nécessaires au travail législatif. Certains soulignent même les dangers à faire voter les parlementaires de leur circonscription, avec les électeurs à la porte de leur bureau. Fin 1999, ce débat n'a de toute façon pas donné beaucoup de fruits.

4. Du « trustee » au délégué : l'avenir du travail législatif dans la société de l'information

Les NTIC recèlent la possibilité de transformer le rôle du parlementaire en délégué des intérêts des électeurs mais la décision de le faire ou non est évidemment entre les mains des politiques. Tandis que les sites parlementaires fleurissent et que les infrastructures techniques de la Chambre des Représentants ont été profondément rénovées, les stratégies de communication et l'organisation du travail parlementaire ont été moins altérées.

Dans le même environnement technologique, le comportement des parlementaires et l'utilisation d'Internet diffèrent. Leurs avis varient sur l'évolution de leur rôle par le biais de l'Internet. Les choix technologiques sont les moins controversés tandis que les choix de d'organisation et d'organisation le sont évidemment beaucoup plus. Les choix de communication se situent eux au milieu de l'échelle. Ainsi, l'impact des NTIC sur le travail parlementaire est loin d'être simple et direct.

Cette conclusion doit être mise en rapport avec les expériences des autres Parlements. Leurs choix sont-ils identiques à ceux de la Chambre des Représentants américaine ? Si les choix institutionnels ne sont pas dictés par des évolutions technologiques, par quels autres éléments sont-ils influencés ? L'impact des NTIC est ainsi conditionné par un grand nombre de variables. L'avenir du travail parlementaire dans la société de l'information sera fonction de facteurs très différents, la technologie n'étant que l'un d'eux.

III. ARTICLE DE M. COLIN SMITH, GLASGOW CALEDONIAN UNIVERSITY

La construction d'une démocratie parlementaire à l'âge de l'information

1. Introduction : la renaissance de la démocratie parlementaire écossaise

Après 300 ans environ de participation à part entière dans l'union parlementaire, et après des années de débat sur l'utilité de cette continuité au sein de cette union, l'Écosse a réinstauré, bien que transformé, son régime parlementaire. Une grande partie de l'optimisme envers la future démocratie écossaise, à travers les nouveaux règlements parlementaires, vient directement du fait que le Parlement représente une cassure nette vis à vis des pratiques et usages du Parlement britannique. Les débats autour de l'établissement du Parlement, notamment ceux qui eurent lieu au cours de la convention constitutionnelle écossaise, se concentrèrent principalement sur le fait que le nouveau corps devait être libre d'adopter ce qui s'apparente au meilleur usage démocratique, libre d'innover dans l'établissement de nouveaux documents de travail, plutôt que de reproduire ceux de Westminster.

Ce qui a été frappant, c'est l'usage qui pouvait être fait de l'utilisation des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication dans les relations démocratiques du Parlement. Le pouvoir des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) afin d'améliorer la manière de travailler dans le Parlement et aussi d'aider à l'élaboration de nouvelles formes de participation, fut explicitement reconnu dans l'élaboration des plans initiaux et dans l'ébauche de l'infrastructure technologique. C'est au cours de son développement que le potentiel des NTIC, pour permettre et soutenir les nouveaux accords démocratiques, s'est pour la première fois dévoilé dans les discours politiques écossais.

Ce document analyse pourquoi on a porté une telle attention au rôle des NTIC dans l'ébauche du Parlement ; l'origine des débats et comment ils se traduisirent de manière réglementaire. Puis l'on en est venu à délimiter comment ces projets se traduisaient dans la pratique. Bien que le Parlement ait reçu les pleins pouvoirs en juillet 1999, son installation dans des locaux provisoires et son organisation hésitante jusqu'à son transfert dans des nouveaux locaux ont contribué à retarder son développement. Il est ressorti également qu'il fallait faire attention à la manière dont le Parlement dans la pratique innoverait réellement grâce à l'application des NTIC.

2. Le chemin vers la décentralisation

Le Parlement de Grande Bretagne fut créé à partir de l'union des Parlements d'Écosse et d'Angleterre en 1707. Pendant que l'Écosse gardait une grande partie des autres institutions au plan national, y compris un système juridique séparé, l'Union mit fin à la tradition d'un Parlement écossais. Les institutions écossaises qui restèrent opérationnelles après l'Union, furent, après 1939, dévolues, grâce à une importante décentralisation administrative du Gouvernement central, à l'administration écossaise, qui était responsable devant Westminster par l'intermédiaire du Secrétaire d'État pour l'Écosse

Le mouvement pour la Convention écossaise dans les années 1950 fut la première manifestation moderne d'un débat public au sujet du rôle de l'Écosse dans l'Union, les « conventionnels » modernes considérant que la politique du Gouvernement travailliste d'après guerre constituait une menace envers ce qui différenciait l'Écosse. La raison de cette inquiétude était l'approche homogène qu'avait le Gouvernement dans la mise en application de sa politique à travers le Royaume Uni, ce qui augmentait la crainte quant à la pérennité des accords politiques propres à l'Écosse. L'approche plutôt « idyllique » de cette affirmation de reconnaissance fut renouvelée dans les années 1960 par une critique plus importante de la place de l'Écosse au sein du Royaume Uni, ce qui entretint l'émergence du nationalisme écossais en un mouvement politique sans cesse croissant. Ceci contribua à l'accélération de l'idée de décentralisation écossaise au plus haut sommet du programme politique.

Les premiers efforts législatifs pour établir la décentralisation en Écosse apparurent dès la fin des années 1970, quand le Gouvernement travailliste proposa l'établissement d'une assemblée écossaise. Une ordonnance écossaise reçut le consentement royal le 31 juillet 1978, avec l'acte demandant un référendum avant sa mise en application. Bien qu'il y ait eu, lors du référendum du 1er mars 1979, une majorité de plus de 77.000 voix, en faveur de cette assemblée, il ne faut pas oublier que ce résultat ne représentait que 32,9 % des électeurs, soit moins que les 40 % requis pour la mise en application de l'ordonnance. Le Gouvernement travailliste tomba peu après ces événements et fut remplacé par une administration conservatrice ayant d'autres préoccupations.

L'élan pour la décentralisation se concrétisa dans la convention constitutionnelle écossaise, une campagne regroupant divers partis pour un changement constitutionnel en 1988. Cette instance était composée de membres du Parlement issus du Parti travailliste et de Démocratie libérale, des membres travaillistes du Parlement européen, des personnalités régionales du conseil des syndicats écossais (STUC), des hommes d'affaires, du clergé, d'associations municipales ainsi que d'autres partis politiques. La convention constitutionnelle développa des propositions détaillées pour un Parlement écossais dans son rapport « Parlement écossais, le Droit écossais » (1995).

Après l'élection du Gouvernement travailliste le 1er mai 1997, la voie était libre pour le Parti travailliste, partenaire principal de la convention constitutionnelle, pour mettre à exécution ses recommandations. Le Gouvernement publia son plan détaillé pour le Parlement écossais dans son livre blanc « Le Parlement écossais », le 24 juillet 1997, en proposant l'instauration d'un Parlement ayant pouvoir de légiférer en matière d'impôts. Un référendum sur ces propositions eut lieu le 11 septembre 1997, ratifiant le plan dans son intégralité 1 ( * ) . L'Arrêté écossais fut présenté à la Chambre des Communes le 17 décembre 1997 et reçut l'accord royal l'année suivante. Les premières élections au Parlement écossais eurent lieu le 6 mai 1999 et le Parlement entra en fonction le 1er juillet 1999. Selon le plan de décentralisation, le Parlement écossais devenait responsable dans un certain nombre de domaines, à savoir les services sociaux, la santé publique, le Gouvernement local, l'éducation, la formation, le logement, les transports, la loi et l'ordre (la police, les tribunaux, la justice), l'agriculture, la pêche et les forêts, la culture, les régions et les investissements intérieurs. Les sujets dévolus au Parlement britannique étaient la défense, la sécurité sociale, la politique extérieure, l'immigration et l'emploi. Le Parlement établit son siège temporairement dans l'église de la Chambre de l'assemblée écossaise sur le « Mound » à Edinburgh en attendant que le nouveau Parlement en cours de construction à l'autre bout de la vieille ville à Holyrood soit terminé.

3. NTIC, Parlements et démocratie : recherche des liens

Le Parlement écossais, par conséquent, fut conçu dans un esprit de modernisme. Un déficit démocratique fut perceptible dans l'innovation institutionnelle et le Parlement espéra ne pas être uniquement le mécanisme à travers lequel la politique de l'État écossaise se développait mais également un forum national pour la vie publique. C'est peut être ironique de dire qu'au cours des trente dernières années, la plus grande partie de la science politique s'est concentrée sur la complexité des mécanismes institutionnels tels que les corps parlementaires, ceci dans un malaise politique exacerbé. Si ailleurs les parlements ont été incapables de renverser la tendance d'un mécontentement grandissant malgré l'efficacité d'un système de démocratie contemporaine, en quoi la création d'un nouveau forum en Écosse entraînerait-elle le même résultat pour le Gouvernement écossais ?

De plus, ce déclin des Parlements a coïncidé avec la révolution des technologies de l'information et de la communication qui a vu les communications électroniques combinées avec la puissance technique de l'ordinateur et engendrer un nouveau système super puissant permettant la saisie, la conservation, le développement et la transmission de l'information. Les parlements sont entre l'information et la communication et se retrouvent parmi les procédés de communications par le web, au niveau le plus simple, qui englobent les citoyens, les représentants et le Gouvernement. La question qui se pose alors est de savoir si les NTIC seront la solution pour freiner ce déclin, en redynamisant les Parlements et en les ancrant de nouveau dans les collectivités qu'ils servent.

Une grande partie de ce débat a été influencé par l'idée d'une « télé démocratie », une forme de démocratie où la technologie est envisagée comme un moyen de créer de nouvelles relations directes entre le Gouvernement et les gouvernés, sans que la présence d'intermédiaires dénature cette relation. Bien sûr, le rôle des NTIC en démocratie n'est pas limité à une telle vision étroite, et les NTIC ont été perçues également comme pouvant jouer un rôle dans l'établissement d'une forme de démocratie représentative, forte et communautaire, comme étant un moyen pour le citoyen de se forger une opinion en lui donnant accès à l'information politique, en lui facilitant l'accès à de nouvelles filières dans les procédures administratives et en aidant les nouvelles communautés d'intérêt fondées sur les forums électroniques (Barber, 1984).

Les parlements sont généralement désireux que leur approche des NTIC soit vue de manière enthousiaste et ouverte. Les assemblées établies de longue date ont produit et réalisé des schémas qui cherchent à s'emparer des pouvoirs des NTIC. Le Parlement écossais est essentiellement différent dans le fait qu'il est entièrement nouveau (sans aucun antécédent historique important), formé et conçu dans une stratégie familiarisée avec les principes d'une société d'information, plutôt qu'essayant de s'y adapter. Du fait de sa jeunesse, en théorie tout du moins, est-ce que son concept de compréhension des NTIC sera radicalement différent de celui des parlements fondés de longue date ? Et, est-ce que cette compréhension lui permettra de mieux mettre en valeur son rôle démocratique ?

Tout porte à croire que cela peut être le cas. Au sein du Parlement écossais, un effort notable est fait pour surpasser les procédures de Westminster et utiliser les NTIC afin de rendre le pouvoir législatif plus efficace et transparent. Que le résultat final est une réussite, il est encore trop tôt pour le dire. Si le Parlement écossais s'engageait avec les NTIC dans une plus large mesure que les autres pouvoirs législatifs, ses rapports dans la pratique de la démocratie représenteraient un intérêt certain. En d'autres termes, nous pourrions demander si les NTIC élargissent ou restreignent la démocratie parlementaire, et en quoi leur usage par le Parlement pourra se révéler un plus en terme de compréhension de la démocratie.

4. La création d'un Parlement « câblé »

Le rapport final de la convention constitutionnelle écossaise tirait ses conclusions des meilleures expériences démocratiques, soit anticipées, soit déjà mises en pratique ailleurs, plutôt que de celles déjà existantes à Westminster. La convention a envisagé un Parlement de son temps, avec des heures de travail réalistes, des moyens d'information et des moyens de communication sophistiqués entre les membres du Parlement écossais (MSPs), l'Exécutif écossais et l'électorat. L'essentiel étant que le Parlement écossais utilise de manière exhaustive les nouvelles technologies d'information et de communication pour créer et garantir une nouvelle démocratie plus vivante.

C'était un idéal que les politiciens ont favorisé et auquel ils ont répondu. Par exemple, Jim Wallace MP, le leader du parti écossais Démocratie Libérale s'employa dans un discours prononcé à l'université Heriot Watt, à exhorter le Parlement écossais à être le moteur d'une révolution technologique et le modèle pour un nouveau style de démocratie informatisé, en exploitant les nouvelles technologies et Internet afin que les électeurs et les membres du Parlement soient en contact permanent. J. Wallace a proposé que les médias, les spécialistes en communication et les experts en technologie de l'information se réunissent pour élaborer un plan qui optimiserait la possibilité pour chaque écossais de participer au processus démocratique. Le rapport du Centre John Wheatley « Un Parlement pour le nouveau millénaire » poussa plus loin la réflexion et le Gouvernement l'avalisa largement quand le ministre écossais de la décentralisation, M. Henry MacLeish, annonça qu'il espérait que le Parlement écossais devienne « un Parlement moderne pour une Écosse moderne et un laboratoire pour la démocratie ». Ce qui jalonne les discussions autour du développement du Parlement écossais, c'est le fait de savoir dans quelle mesure les technologies de l'information et de la communication étaient considérées comme faisant partie du processus démocratique. En un sens, les NTIC furent au coeur de la discussion sur la démocratie en Écosse pendant cette période.

Pour faire suite au résultat positif du référendum, un groupe de travail consultatif composé de membres de chaque parti du Parlement écossais (CSG) fut créé par le secrétaire d'État pour l'Écosse afin de prévoir la manière dont le Parlement pourrait opérer. Le CSG était présidé par Henry MacLeish MP, mais était composé de membres issus des quatre principaux partis politiques ainsi que de membres représentatifs de la société écossaise dans une large mesure. La CSG devait réfléchir aux besoins opérationnels et aux méthodes de travail du Parlement écossais et apporter des suggestions pour les règles de procédure et les règlements que le Parlement pouvait être appelé à adopter.

Le CSG rendit son rapport final à la fin de 1998 au secrétaire d'État, afin de préparer une ébauche de règlements.

Le CSG était aidée dans sa tâche par des fonctionnaires capables de tirer profit des conseils d'experts dans les domaines concernés pour la préparation des propositions. L'un d'entre eux, celui sur les technologies de l'information et de la communication (NTIC) fut recruté pour évaluer comment le Parlement pouvait faire le meilleur usage de l'informatique et de la télématique. Le panel d'experts avait un objectif triple : il leur était demandé d'étudier comment les NTIC pouvaient aider à la promotion de la participation démocratique, y compris au sein de l'administration et chez les citoyens, dans quelle mesure les NTIC pouvaient contribuer à l'ouverture parlementaire, à son accessibilité et à son efficacité croissante et, enfin, de quelle gestion de l'information et de quel aménagement de la gestion opérationnelle le Parlement aurait besoin pour tirer le meilleur des NTIC.

En nommant le panel d'experts et en se fiant à la connaissance de spécialistes dans l'application démocratique des NTIC, le groupe de travail consultatif continua à répondre à l'ordre du jour défini par la Convention Constitutionnelle, un ordre du jour qui rencontra un soutien appuyé de la part des porte-paroles des partis politiques. L'ampleur avec laquelle les partis prirent fait et cause pour les NTIC, et particulièrement l'Internet en « réinventant » la démocratie écossaise était elle-même symptomatique de l'ampleur avec laquelle le potentiel de transformation des nouvelles technologies était devenu chose courante. Si les capacités offertes par les NTIC pouvaient révolutionner le monde des affaires et du commerce, alors les mêmes puissantes technologies pouvaient-elles être appliquées au sein de l'arène de la démocratie parlementaire ; et si oui, avec quels résultats ?

5. Un projet pour les NTIC dans le Parlement écossais

Les principaux domaines d'innovation utilisant les NTIC furent exposés dans le rapport final du groupe de travail consultatif (CSG), qui adopta les recommandations formulées par le panel d'experts sur les NTIC. Ce document délimita un certain nombre de domaines où les NTIC pouvaient être utilisées pour soutenir le rôle démocratique du Parlement.

Un certain nombre de principes furent formulés de manière à servir de guide. Les NTIC soutiendraient le travail du Parlement sans se soucier de l'emplacement physique de ses membres et aideraient le personnel. Elles aideraient à l'accès du public à l'information parlementaire. La technologie devrait être également utilisée pour aider les communications avec d'autres corps électoraux tels que les services du Gouvernement, les agences et autres organisations. Et peut-être le plus important, les NTIC devraient être capables de répondre à des demandes sans cesse renouvelées.

Deux rapports furent établis, présentant deux étapes dans le processus. Un rapport provisoire au CSG qui faisait ressortir que ces problèmes devaient être résolus rapidement, c'est-à-dire à temps pour la première session du Parlement en mai 1999. Il a été approuvé par le CSG le 29 juin 1998 et de grands progrès ont été faits en ce qui concerne l'exécution de ses recommandations. Puis, le rapport final a été présenté en octobre 1998, définissant le périmètre de la participation démocratique de manière plus approfondie que dans le rapport provisoire.

Le point de départ pour la constitution de ces directives était que les NTIC ne devaient pas être perçues comme une fin en soi. L'efficacité des NTIC ne pouvait être mesurée que par rapport à la réussite dans l'aide apportée à la réalisation des buts fixés dans le livre blanc. Il y avait deux dynamiques à cela, la première en grande partie interne, vantait l'efficacité par l'offre de moyens modernes de travail, tandis que la seconde concernait l'ancrage du Parlement dans la société, en vantant l'ouverture, la responsabilité et la participation démocratique en Écosse par l'utilisation des services des NTIC pour diffuser à tous l'information sur le Parlement et son travail. Ces orientations, comme développées dans le prochain paragraphe, eurent un impact sur le fonctionnement démocratique du Parlement.

a) Les besoins à court terme : rendre le Parlement opérationnel

Un des principes les plus importants contenus dans le premier rapport fut que le réseau parlementaire devrait être fondé sur la présomption que l'information, à moins d'être limitée expressément, devrait être à la disposition du public. Tous les parlementaires devraient avoir accès au système, avoir une formation appropriée et posséder une adresse e-mail. Tout ceci sous-entendait que le Parlement devait avoir un site web accessible, moderne, prenant en compte les meilleurs procédés existant dans le monde. A partir du moment où le traitement de l'information était considéré comme crucial pour le succès parlementaire, il était conseillé que le Bureau écossais engage un membre plus ancien de l'équipe parlementaire pour superviser le traitement de l'information. La politique à suivre en matière d'archivage de l'information fut établie dès le départ.

Cette étape du travail incluait également de manière explicite l'utilisation des NTIC pour améliorer l'efficacité du travail. Dans le court terme, l'innovation la plus évidente a été le système de vote électronique à la Chambre, mais dans les locaux du nouveau Parlement, quelques modifications par rapport aux pratiques du Parlement britannique traditionnel seront à prévoir.

Les parlementaires auront des ordinateurs dans l'hémicycle leur donnant accès à des informations mises à jour. Leur système de communication intégrera le courrier vocal avec e-mail. L'équipement en vidéoconférences pour tous les parlementaires leur permettra une interaction avec le public, le monde éducatif et des affaires.

En dehors de cela, un nombre de priorités pour la mise en application sont apparues, en termes de systèmes à développer dans un temps très court. Il s'agit des points suivants :

- Noter la présence des membres du Parlement

- Travail interne et annuaire du personnel

- Système d'automatisation de la fonction parlementaire

- Enregistrement des présences et du vote

- Gestion des documents législatifs et des commissions rapport officiel des sessions plénières et des commissions

- L'ordre du jour

- Les finances et le personnel

- Communications externes, médias et relations publiques

- Gestion de l'information et de la bibliothèque Site web parlementaire

- Système de vote électronique dans la Chambre

b) Les occasions à moyen et long termes pour les NTIC

La prochaine étape du travail est de se pencher plus explicitement sur l'usage de les NTIC pour encourager la participation démocratique, et où la technologie semblant présenter un grand nombre d'opportunités dont certaines pouvaient être appliquées rapidement tandis que d'autres, dépendantes des nouvelles technologies, pouvaient espérer leurs réalisations se voir réalisées dans un futur proche.

Dans l'ensemble, il y avait une inquiétude en ce qui concerne les principes de production d'information électronique. Il était stipulé que toutes les informations parlementaires devraient être automatiquement indexées et que les informations électroniques devaient avoir un moteur de recherche très facile d'accès. Cela devait être fondé sur un moyen d'accès à l'information publique, présentant les modes d'emploi pour entreprendre la consultation et permettant de réagir à chaud.

L'intérêt pour le site web alla grandissant, en particulier pour ce qui est de l'usage qui pouvait être fait de cet équipement pour impliquer le public dans le travail du Parlement. Il existe une possibilité d'utiliser le site pour tenir des discussions sur des sujets en cours d'examen parlementaire, bien que cela n'ait pas encore été mis en application. Pour recevoir ceux-ci sans accès à Internet, il faut également décider de la création de pages retransmettant, autant que possible, les informations placées sur le web, de même qu'un central téléphonique, prenant les appels venant de toute l'Écosse, et ce au prix d'une communication locale, afin de permettre à tout citoyen d'avoir accès à l'information parlementaire. Les visiteurs des sites ouverts au public dans le nouveau Parlement auraient la possibilité d'avoir à leur disposition des kiosques d'information publique.

Les projets à moyen et long termes pour le développement des NTIC restent à définir, de manière à ce que le Parlement soit en position d'avoir la capacité de tirer avantage des nouvelles possibilités offertes quand il déménagera à Holyrood. A moyen terme, les innovations permettant une participation plus importante du public dans le Parlement doivent être mises au point dans un certain nombre d'endroits spécifiques. Un réseau de bornes d'accès à l'information électronique a été envisagé à travers l'Écosse, et pourrait se concrétiser grâce à un partenariat avec l'administration écossaise, les autorités locales et d'autres organisations publiques sans oublier le secteur privé. Les experts ont suggéré que celles-ci pouvaient être installées dans des lieux publics comme les bibliothèques, les écoles et les musées. Elles pourraient inclure des possibilités de vote pour connaître les réactions du public sur des sujets d'actualité. Les possibilités offertes par la télévision par câble et le web pour la diffusion et la consultation de l'information doivent être également étudiées. Les débats publics devront être favorisés, les experts ont suggéré, la réalisation via Internet d'un Parlement virtuel - ceci pourrait permettre de pénétrer dans les arcanes du Parlement et pourrait inciter le public à voter. De manière à donner plus de pouvoir aux électeurs vis à vis de leurs représentants, les centres d'information pourraient être installés à travers l'Écosse pour aider les communautés locales à développer la « soumission » visuelle au Parlement.

c) NTIC et le préjugé démocratique

Les systèmes qui devraient permettre une plus grande participation du public dans le travail du Parlement ont pourtant peu avancé. Une décision délibérée a été prise de favoriser, dans un laps de temps assez court, le développement des systèmes pour les parlementaires avant ceux pour les citoyens. On a considéré que les parlementaires étaient les premiers utilisateurs et en fait, beaucoup d'entre eux ont prêché pour un développement plus approfondi du système d'information parlementaire. L'investissement dans les applications non essentielles est aussi limité car le Parlement n'est pas encore installé dans ses locaux définitifs.

L'ensemble de recommandations qui pourraient voir les capacités des NTIC se focaliser sur la promotion du Parlement en tant que forum moderne de la démocratie a paru litigieux. D'autres analyses révélèrent la rivalité des aspirations démocratiques. Le plan soutient cette forme de démocratie, par exemple contredire l'idée d'un Parlement traditionnel souverain dans le vote des lois en donnant aux citoyens la possibilité d'accéder directement au processus législatif à travers, la participation interactive du public dans les débats.

Il vaut mieux garder à l'esprit que l'extension de la participation démocratique dépend d'un certain nombre de facteurs, y compris la philosophie démocratique des initiateurs eux-mêmes. En ce qui concerne le Parlement écossais, il est possible de discerner trois formes principales de démocratie qui sont chacune promues de différentes manières. Ces trois formes sont « la démocratie directe » où les citoyens s'impliquent dans le processus politique, « la démocratie représentant/parlementaire » où la technologie est utilisée pour soutenir la compétence du parlementaire à défendre les intérêts de ses électeurs, et « la démocratie communautaire ou forte » où la technologie facilite le développement des intérêts de la communauté.

La question est alors de savoir si une (ou peut-être une combinaison) de ces formes de démocratie sera plus évidente que, ou même dominera, les autres quand la phase opérationnelle de l'application sera atteinte. La technologie elle-même ne détermine pas démocratiquement les bons ou mauvais résultats, ils sont façonnés et conditionnés par l'environnement social dans lequel ils se développent.

6. Déterminer les principales relations

Le Parlement écossais se construit avec de grands espoirs. Il doit être le forum central d'une démocratie nouvelle en soi et participative. Mais au-delà de la rhétorique, qui participe à cette démocratie, de quelle manière cette participation aura lieu et comment sera-t-elle facilitée ? Le Parlement sera-t-il le foyer actif de cet échange d'informations démocratique, un « pont » sur lequel toutes les « transactions » démocratiques importantes passeront, soit par l'intermédiaire des parlementaires dans un sens traditionnel ou via l'entrée directe du citoyen en termes de démocratie directe ? Ou le Parlement sera-t-il le siège d'un élément (même s'il en représente un important) d'un système politique élargi autour duquel l'information s'écoule, de manière à ce que le Parlement soit une partie du réseau démocratique. C'est une question importante qui résume deux visions plutôt différentes du Parlement et qui a des conséquences sur la manière dont les NTIC y sont employées. La première vision englobe et récapitule à la fois les formes de démocratie directe et représentative, tandis que la seconde évoque une démocratie directe et communautaire. L'analyse approfondie de cette argumentation ne permet pas de déterminer la vision la plus forte. Afin d'arriver à une réponse définitive à la question, nous devons porter une plus grande attention à la manière de déterminer comment le Parlement s'adapte au système politique de l'Écosse.

Le Parlement, de par sa nature, ne peut pas être une organisation isolée. Dans l'introduction de son livre blanc « Le Parlement Écossais », le secrétaire d'État pour l'Écosse, Donald Dewar, montra clairement que le Parlement devait fixer de nouveaux principes d'ouverture, d'accessibilité et de responsabilité vis à vis du peuple écossais. Il a décrit le peuple d'Écosse comme le peuple que le Parlement devait servir. Le degré de responsabilité envers l'opinion publique et la manière dont elle devait être établie ont été reconnues comme les critères les plus importants pour l'efficacité du Parlement. Une des premières liaisons doit être celle qui existe entre le Parlement et le peuple, principalement l'électorat écossais.

Bien que cette liaison principale soit effective du fait qu'elle s'inscrit dans une « web relation » elle doit servir également de liens avec l'exécutif écossais, le Gouvernement local, le monde des affaires, le secteur de l'éducation et le secteur du bénévolat. Ces maillons doivent également ancrer le Parlement au-delà des frontières de l'Écosse, à d'autres pouvoirs et administrations au sein du Royaume Uni, de l'Europe et au-delà.

Le problème se complique du fait que le premier Parlement est logé pour le moment dans des locaux provisoires. La condition première était de refléter ce qui était pratiquement possible de faire dans un temps assez court dans les locaux provisoires. Il y avait également quelques incertitudes quant aux besoins précis du Parlement et de son personnel. Il y a un espoir évident que pendant un an ou deux, temps nécessaire pour que le Parlement soit opérationnel, les technologies de communication et d'information auront évolué et il y aura une opportunité de se tourner vers les NTIC pour les besoins et les prévisions à moyen et long termes à Holyrood. Du fait que les investissements initiaux se sont concentrés en priorité sur les besoins des parlementaires plutôt que sur ceux du public, on peut penser qu'il y ait un certain parti pris en faveur des politiciens plutôt que du citoyen moyen.

Le CSG a accepté le fait que les NTIC servent la participation démocratique et a défini cette participation au sens le plus large, incorporant aussi bien des idées telles que l'administration communautaire ou la participation du citoyen. Il a également accepté que les technologies en voie de développement puissent apporter une contribution tangible à une plus grande ouverture et accessibilité ainsi qu'à l'efficacité toujours croissante du Parlement lui-même. Ceci est donc le second domaine important d'innovation autour des NTIC ; l'aspect interne du travail parlementaire. Le Parlement a été constitué avec l'espoir qu'il utiliserait des méthodes de travail modernes et efficaces et que ses locaux permettraient au Parlement écossais et à son personnel de travailler avec efficacité, en exploitant le meilleur de la technologie moderne. Le rapport établi par les experts du conseil en télématique du CSG a proposé également que le Parlement établisse une règle générale d'accès public à toutes les informations imprimées et électroniques, sauf avis contraire du comité pour des cas spéciaux et à des conditions acceptées par le Président. Le CSG accepta que les informations parlementaires diffusées sur n'importe quel système le soient de façon à être accessibles au public par l'intermédiaire du site web du Parlement, sauf celles non divulguées pour des raisons de sécurité ou d'ordre privé. Le site web est développé et présenté de telle façon qu'il est prévu de le développer au fur et à mesure de l'évolution du Parlement et pas simplement à l'époque du scrutin. Il est également prévu que la conception incorpore la possibilité donnée au public de faire des commentaires, et, où cela est possible, de prendre part à des débats ouverts.

Fondamentalement, l'ouverture et le fait d'être accessible dépendent de la manière dont les informations parlementaires sont gérées et présentées -et ceci aussi bien sur support papier que sur support électronique. Par exemple, un point important est d'avoir un système d'archivage très pointu afin de permettre un accès aux informations dans le long terme.

En dehors du fait que l'Écosse, démocratie purement représentative, peut évoluer vers une démocratie de participation, il a été reconnu que la plus large participation démocratique ne pourrait se faire qu'en s'assurant que le public ait accès à toutes les informations. Cependant, ceci est un autre défi significatif. Si l'information fournie est faible, il y a cependant une très forte probabilité pour que cela conduise à une faible participation. De ce point de vue, un investissement dans l'information est un investissement dans la démocratie. Cependant, dans une large mesure, c'est un problème qui initialement a été entre les mains des premiers membres du Parlement puis de leurs successeurs. La responsabilité se reportera sur les membres du Parlement qui devront s'assurer que la fourniture d'information et son regroupement font partie d'un plan de communication structuré auquel il faut donner la priorité. Il a été également accepté qu'une grande partie de la réflexion et des efforts doive se porter sur le contenu de l'information ; mais une fois le contenu défini, il faudra réfléchir de la même manière à son accessibilité et à l'infrastructure nécessaire pour transmettre et archiver les informations. Compte tenu du fait qu'il est reconnu que la qualité de l'accès à l'information est un droit fondamental pour le citoyen, un mode d'accès à cette information est nécessaire, mode qui doit prendre en compte les capacités et les raisons de chacun et donc les différents niveaux de maîtrise de la lecture, les problèmes visuels, ou le fait que l'anglais est utilisé en seconde langue.

Nombre de débats autour de l'application démocratique des NTIC se sont concentrés sur Internet. Seuls peut-être 10% des foyers écossais ont accès à Internet et à peu près la même proportion à la télévision digitale. En conséquence, cette nouvelle démocratie de participation doit faire en sorte que l'information soit délivrée aux citoyens par l'intermédiaire de moyens qui leur sont accessibles. Cela implique un rôle important des médias traditionnels tels que télévision, radios et journaux plutôt qu'une concentration déséquilibrée sur Internet. Cela signifie également que les bibliothèques ont un rôle important à jouer. Le Parlement lui-même doit considérer quel usage il pourra faire des NTIC pour livrer l'information au peuple écossais et pour obtenir son avis ; mais il ne peut le faire sur la simple supposition que les citoyens écossais utilisent, ou désirent utiliser, les NTIC.

Il y a également la question de « l'alphabétisation » politique. Les NTIC ont-ils un rôle à jouer auprès de la population écossaise pour l'acquisition et l'entretien de cette connaissance, ou est-ce que ce but sera plus facilement atteint en misant sur le long terme à travers le système éducatif ? L'investissement du Parlement dans les NTIC pour les écoles, collèges et universités devrait-il être centré sur la recherche de la manière d'encourager et inciter les jeunes à s'intéresser à son travail ? Devrait-il faire de même, de manière moins formelle, pour la population afin de l'encourager et de susciter son intérêt dans l'apprentissage, tout au long de leur vie, des travaux parlementaires ? Pour arriver à cela, le Parlement a envisagé un partenariat avec les organisations éducatives en Écosse, comme le comité consultatif écossais pour les programmes d'études et le Centre écossais d'enseignants, afin de développer les matériaux pédagogiques appropriés et de s'assurer de leur insertion dans les programmes d'études. L'un dans l'autre, les espoirs sont grands mais seront-ils réalisés ?

7. NTIC et démocratie : un partenariat fortuit ?

Les paragraphes précédents faisaient ressortir les principaux domaines où les nouvelles technologies sont supposées influer sur la pratique de la démocratie en Écosse, à travers le Parlement écossais. On a attribué aux NTIC un degré de pouvoir de transformation, pouvoir non seulement de soutenir les opérations du Parlement en matière de démocratie représentative mais également de passer de la démocratie purement représentative à une participation dans le processus politique à travers l'utilisation de formes de démocratie directe.

Cette technologie, part importante du débat démocratique en Écosse, est une victoire pour ceux qui ont longuement insisté sur le fait que l'implication des nouvelles technologies va au-delà de leur efficacité et que les nouveaux réseaux et leurs liaisons de renseignements ont une puissance importante qui devrait être reconnue et analysée. Cependant, la science sociale de nouvelle technologie suggère que l'impact des NTIC sur le processus démocratique est loin d'être clair et ne peut jamais être planifié avec certitude (Bellamy & Taylor 1998). C'est notamment le cas lorsque l'objet de toutes les attentions est un pouvoir public tel que le Parlement.

Le Parlement écossais peut être un nouvel organe politique, mais le processus encadrant sa création et les opérations initiales sera encore influencé par des facteurs institutionnels. De tels facteurs ont tendance à atténuer toute aspiration à des changements soudains ou radicaux dans la voie que le Parlement s'est tracée pour effectuer son travail, en comparaison de ce qui se fait dans le Royaume Uni. Ceci nous conduit à critiquer certaines déclarations d'intention sur le rôle des NTIC au niveau des pratiques démocratiques au sein du Parlement écossais.

Le nouveau Parlement va occuper une place longtemps restée vide par le précédent Parlement qui portait le même nom mais fut suspendu en 1707, c'est-à-dire bien avant le développement de la démocratie parlementaire. Le nouveau Parlement écossais aura encore quelque similitude par rapport à ce dernier en ce qui concerne sa composition, ses usages ou son autorité. Mais cela ne veut pas dire que le Parlement est entièrement indépendant par rapport aux autres autorités qui peuvent intervenir pour déterminer le développement de ses procédures, y compris en ce qui concerne les capacités offertes par les NTIC.

C'est un point important, en effet la plupart des nouvelles réussites politiques ou sociales auxquelles les nouvelles technologies sont associées, sont souvent caractéristiques d'une profonde détermination technologique. La puissance de la technologie est considérée comme ayant une logique propre qui transformera son utilisation. Une telle approche se concentrant sur la puissance de transformation des nouvelles technologies est souvent associée à des scénarios un peu trop optimistes. On est souvent enclin à voir l'application des NTIC au renforcement du pouvoir des élites, ou pour créer les conditions d'une renaissance de la vie politique sans précédent, comme pendant la démocratie d'Athènes. Au-delà de cette approche très limitée des scénarios extrémistes qui y sont associés, un nombre de théoriciens ont essayé d'expliquer pourquoi il y a très peu d'exemples concrets où les NTIC permettent de grands changements en politique. Ces analyses insistent surtout sur les réalités institutionnelles et celles de l'organisation du monde social ainsi que leur rôle dans les facilités apportées par les NTIC. Les universitaires américains associés à ce que l'on appelé « l'Irvine School » ont insisté sur la manière dont les capacités offertes par les nouvelles technologies sont souvent utilisées dans le décor institutionnel de manière à renforcer l'organisation existante (Kramer et King, 1994). Kramer et King ont démontré également (1998) que tandis que les NTIC étaient très impliquées dans l'établissement et le maintien de la société politique, elles ne se manifestaient pas encore, soit dans l'équilibre entre droit individuel et pouvoir du Gouvernement ou dans des relations plus approfondies entre le Gouvernement et le peuple (p. 522). Cependant, leurs recherches n'identifient pas les procédés par lesquels les représentants Gouvernementaux sont élus et nommés et en quoi les décisions collectives prises font-elles partie du domaine où les nouvelles technologies ont eu et continueront d'avoir un impact. Plus spécialement, ils suggèrent qu'il y a une évidence à montrer que les technologies de communication ont eu un impact important sur la conduite de la propagande politique et dans la mobilisation de l'action politique. Ceci peut s'appliquer également au Royaume Uni.

D'autres universitaires se sont intéressés aux effets fondamentaux des NTIC sur la bureaucratie Gouvernementale (Zuurmond, 1996) (Bellamy et Taylor, 1998). Pour Zuurmond, l'application des NTIC dans l'organisation de l'administration publique transforme la bureaucratie en « infocratie ». Les NTIC peuvent être reconnues comme ayant le pouvoir de couper dans les structures démocratiques du Gouvernement, mais dans l'état actuel des choses, la technologie est utilisée de manière à transformer la bureaucratie en une réalité virtuelle. L'utilisation des NTIC démontre que pendant que la standardisation tend à disparaître de l'organisation, ces caractéristiques propres à la démocratie sont en fait traduites et transformées en système d'information. Le résultat de cette organisation peut apparaître comme étant moins hiérarchique, plus ouvert et plus flexible mais la structure bureaucratique reste une « infocratie » (Zuurmond, 1996). Il est vrai que les aspects bureaucratiques de l'organisation ne sont pas vaincus et ne disparaissent pas mais sont modernisés et standardisés en s'incorporant dans de nouveaux systèmes. Les théories selon lesquelles l'interaction entre les nouvelles technologies et leur implantation est plus subtile que celle espérée, et que l'éventuel résultat peut seulement être compris à travers une appréciation des choix opérés dans le développement de nouveaux systèmes et par voie de conséquence, à travers les choix opérés en matière constitutionnelle. Le point crucial est que la technologie est essentiellement neutre, elle ne comprend aucune caractéristique favorisant nécessairement un point d'organisation ou de politique plutôt qu'un autre.

En appliquant ces connaissances au Parlement écossais, nous pourrions considérer la manière dont ces nouvelles technologies pourraient être utilisées et leurs conséquences démocratiques. Un des principaux liens, qui est très rarement indiqué et qui se rattache au Parlement écossais, est celui qui existe entre le Parlement et les partis politiques. Bien sûr le système électoral adopté pour le Parlement donne de plus grands pouvoirs aux partis car ils peuvent choisir le nombre de candidats qui sera élu sur une liste plutôt que de rester comme candidat dans une circonscription électorale. Ceux qui gagnent un siège de cette manière seront exempts de toute fonction régionale, et on peut imaginer que leur charge de travail augmentera avec leurs fonctions au sein d'un parti. A Westminster, les bureaux des « Whips » sont de facto des bureaux de partis avec une majorité de parlementaires réunis sous l'étiquette d'un parti et organisés en groupes parlementaires. Actuellement, un grand nombre de communications politiques entre les parlementaires et le public, existe à travers les réseaux des partis plutôt que par les réseaux indépendants ou parlementaires. De la même manière, un grand nombre de communications à Westminster, y compris celles dans lesquelles les NTIC se sont introduites, dépendent des partis. Il en résulte un problème car dans ces partis se trouve l'essentiel du processus parlementaire existant à Westminster et cela pourrait également exister au sein du nouveau Parlement écossais, bien que la relation entre les deux ne puisse être reconnue du fait de la doctrine dominante de souveraineté parlementaire. Quel sera alors le rôle des partis politiques en matière de NTIC à Holyrood ? Sera-t-il neutre ?

Les partis politiques eux-mêmes ont réalisé de bonnes études de cas sur la manière dont ils ont agi pour tempérer l'application des NTIC. On en est venu à imaginer que les nouvelles technologies seraient utilisées à l'intérieur des partis pour tenter de reconstruire la structure d'organisation à laquelle ils souscrivaient encore. Les NTIC permettent de mieux connaître le paysage électoral ce qui leur permet de voir où se situe la majorité de l'opinion (Smith, 1999).

Les partis ont suivi ce processus de changement bien que celui-ci n'ait pas été dans le sens que la plupart des gens espérait. Son effet sur l'usage de la démocratie est difficile à estimer mais ce résultat est largement en accord avec d'autres études démontrant que la démocratie est désormais pratiquée dans une plus grande mesure à « Consumption Nexus » (la frontière entre le Gouvernement et le citoyen en tant que consommateur de services) que dans le traditionnel Nexus de la démocratie représentative (Bellamy et Taylor, 1998). En d'autres termes, le principal intérêt démocratique des NTIC a été de promouvoir l'aptitude du Gouvernement et des partis à considérer les citoyens comme des clients et à leur répondre en tant que tels et non pas de rester sur l'idée traditionnelle d'une démocratie représentative dont le Parlement constitue une part importante.

8. Conclusion

Que le Parlement représente une innovation démocratique sans égale dans la manière de gouverner l'Écosse est un fait que peu chercheraient à contester. Cette nouvelle représentation est une opportunité pour le renouvellement démocratique et les NTIC peuvent aider à un tel renouveau. Mais, en même temps, la prudence doit prévaloir quant à la manière dont les nouvelles technologies peuvent déterminer le résultat final. Leur impact est déterminé et conditionné par leurs utilisateurs. Et, en dépit d'un optimisme débordant, l'inégale relation entre élus et électeurs démontre que les capacités offertes par la technologie risquent de favoriser les intérêts des premiers par rapport à ceux des derniers.

IV. DÉBAT AVEC LA SALLE

Thierry BREHIER

« En théorie, les travaux de cette première session auraient dû se limiter à l'impact des technologies de l'information sur la transparence du processus législatif. Comme vous avez pu le constater, dès ce matin, les intervenants ont mené une réflexion beaucoup plus large. Nous essaierons de la recentrer au cours de ce débat. Par ailleurs, en tant que Français, je dois vous faire part de mon soulagement. On entend partout dans la presse que la France et ses institutions sont très en retard en matière de nouvelles technologies. Et qu'apprend-on aujourd'hui ? Que le Parlement français est au contraire à la pointe de l'innovation, que les comptes rendus des débats, le Journal officiel et tous les rapports parlementaires sont depuis longtemps consultables en ligne, alors que d'autres en Europe en sont encore aux balbutiements. Nous n'avons donc pas à rougir de notre situation, et je m'en félicite. Les nouvelles technologies font rêver, incontestablement. Il me semble même que certains rêvent d'une démocratie électronique qui serait une sorte de démocratie « audimat », dans laquelle les citoyens seraient invités, toutes les dix secondes, à appuyer sur un bouton pour donner leur avis sur les sujets abordés par les parlements... Peut-être devrions-nous revenir à des projets un peu plus réalistes. »

Xavier MAURY, Club de l'Arche

« Ce que vous venez d'évoquer, la démocratie « audimat », est comparable aux autres fantasmes que répand la presse sur Internet, par exemple que l'Internet est un repaire de pédophiles... Plus généralement, Internet est par essence un outil de rapidité, alors que la démocratie, c'est au contraire la lenteur et la réflexion. »

Michael CONNAUTRY, député écossais

« Il ne faut pas être obnubilé par la technologie. Tous ceux qui ne la maîtrisent pas ne sont pas pour autant des idiots. Les amendements sont aujourd'hui tout simplement inaccessibles au public. Mais il n'en reste pas moins que le Parlement doit être à l'écoute du public, et que de ce point de vue, les technologies de l'information doivent être prises en compte. »

Andrew MILLER, député britannique

« Au cours de l'histoire, la technologie a toujours eu un impact sur le système politique, qu'il s'agisse des technologies d'armement ou de communication. Les parlementaires sont, de ce point de vue, un peu à la traîne par rapport aux citoyens. Lorsque notre site web a été mis en place, en 1996, nous avons reçu un e-mail d'une citoyenne qui nous félicitait pour cette initiative, en estimant qu'il s'agissait de l'action la plus importante pour la démocratie depuis l'octroi du droit de vote aux femmes ! Il ne faut donc pas négliger l'impact du web sur le sentiment démocratique. Le Falun Gong a orchestré en Chine, par le biais du web, une campagne de remise en cause très réussie. Il ne faut donc pas négliger l'impact des technologies sur les processus de Gouvernement et les pratiques démocratiques. »

De la salle

« Pour que les technologies aient un impact favorable sur le développement de la démocratie, il faut que certaines conditions soient réunies : que les parlementaires apprennent à utiliser les nouvelles technologies, d'abord, et que l'on ne cherche pas à transposer sur ces nouvelles technologies les modes opératoires traditionnels. »

De la salle

« Le Sénat de Belgique est également préoccupé par les nouvelles technologies. Avant de parler de transparence des moyens de communication et de diffusion de l'information, il faut au préalable s'interroger sur le vocabulaire utilisé durant le travail parlementaire. En effet, il est souvent très difficile de suivre les travaux parlementaires, du fait de la complexité des termes utilisés. »

Thierry BREH1ER

« D'où le rôle essentiel des médiateurs, c'est-à-dire des journalistes ! »

David FLACHET, École nationale supérieure des télécommunications

« Un parti politique vient d'être créé sur Internet, le e-parti. Qu'en pensez-vous ? »

Thierry BREHIER

« L'histoire vous répondra. Sachez simplement que de nouveaux partis se créent presque tous les jours, mais que très peu survivent. »

Jouni BACKMAN

« Il n'y a pas que les partis électroniques qui peuvent utiliser les nouvelles technologies, mais aussi les partis traditionnels, comme le montre l'exemple des partis finlandais. »

Charles RAAB

« Je veux revenir sur l'importance du rôle des journalistes, qui est absolument essentiel. L'exemple de Falun Gong, qui démontre l'intérêt de l'utilisation de l'Internet dans un univers où la liberté d'expression n'est pas garantie, doit nous pousser à nous interroger sur la question de la possibilité d'exercer une censure sur Internet, ou de la possibilité de conserver l'anonymat, c'est-à-dire de donner son opinion sans risquer d'être poursuivi par la police. »

Thierry BREHIER

« Un intervenant a dit tout à l'heure que le Royaume-Uni était une « dictature élective ». Pour ma part, je pense que ces deux termes décrivent la démocratie. Pouvez-vous nous expliquer cette expression ? »

Charles RAAB

« C'est un parlementaire conservateur britannique qui a utilisé le premier cette expression dans les années 70, sous un Gouvernement travailliste. Au-delà du contexte particulier de l'époque, on peut s'interroger sur la difficulté réelle pour les parlementaires à exercer une influence déterminante sur les décisions du Gouvernement. Jean-Jacques Rousseau disait déjà que les Anglais étaient libres une fois tous les cinq ans, mais qu'entre chaque élection, ils étaient forcés de s'accommoder du Gouvernement qu'ils avaient élu. »

Thierry BREHIER

« Peut-être avez-vous été frappés par la manière dont M. Raab a décrit les dysfonctionnements de la démocratie britannique, qui ressemblent en tous points à ceux que nous, Français, stigmatisons en France, en croyant que nous sommes exceptionnels ! Par ailleurs, peut-on dire que l'utilisation des nouvelles technologies pourrait remettre en cause le temps, la lenteur qui est l'apanage de la démocratie ? »

Jacques VALADE

« Les Sénateurs français sont élus au second degré, par de grands électeurs qui sont eux-mêmes des élus du peuple (conseillers généraux, municipaux, etc.). Ils sont en outre élus pour une durée de neuf ans. Cela peut sembler trop long à certains. Mais rappelons que le mandat des maires dures quant à lui six années. Et l'expérience montre qu'une fois élus, les édiles locaux restent souvent plusieurs mandats durant à leur poste. Cette stabilité me semble constitutive de notre démocratie. Et si la démocratie directe que certains appellent de leurs voeux aboutissait à remettre en cause cette stabilité, il n'y aurait plus de démocratie. »

De la salle

« M. Backman, pouvez-vous nous donner quelques informations sur des expériences hors du Parlement, au niveau des collectivités locales ? »

Jouni BACKMAN

« Je citerai l'exemple d'une petite commune, qui compte environ 4 000 habitants. Elle a mis en place un Intranet, auquel une grande partie de la population a accès. Même les personnes âgées ont pu bénéficier de cours pour se familiariser avec la manipulation de cet outil. Il est donc profondément implanté dans le tissu local, et permet au citoyen de participer à la décision. »

Xavier CORVAL, CEVIPOF

« La volonté d'une plus grande transparence porte en elle le constat d'une défiance de la population vis-à-vis des institutions et des politiques. Une plus grande transparence doit-elle être un préalable ou une conséquence de l'utilisation des technologies de l'information ? »

Un parlementaire conservateur britannique

« Il est évident que le courrier électronique permet par exemple aux lobbies de réagir beaucoup plus rapidement que par le passé à l'intervention d'un parlementaire. De même, l'Internet est pour nous un outil de documentation formidable. »

Thierry BREHIER

« Les journalistes, en France comme ailleurs, utilisent l'Internet pour s'informer. Mais pour avoir suivi pendant huit ans les travaux du Parlement français en tant que journaliste, je peux vous assurer que la lecture d'un compte rendu des débats, même intégral, ne saurait remplacer le spectacle de ce débat depuis les tribunes de l'hémicycle ! Pendant très longtemps, « Le Monde » a rendu compte de manière presque analytique des travaux des assemblées. Mais le taux de lecture était pratiquement nul, et je crois qu'il en sera de même pour les débats publiés en ligne sur Internet. Ce qui intéresse nos lecteurs, c'est que nous jouions notre rôle de médiateur, c'est-à-dire que nous apportions un commentaire, un éclairage particulier sur la partie des débats qui présente pour lui un intérêt. Le compte rendu intégral peut intéresser un professeur de sciences politiques ou un spécialiste de la question abordée. Mais pour le commun des mortels, le jargon utilisé et la complexité des procédures rendent les choses parfaitement inaccessibles : il faut impérativement décrypter, expliquer. Et ce n'est pas Internet qui permettra de le faire. »

Xavier MAURY

« Je partage votre analyse sur une nécessaire médiation. Mais l'on peut très bien procéder à cette médiatisation tout en citant les sources brutes. Des sites américains le font très bien. »

Jouni BACKMAN

« Lorsque nous disons que nous souhaitons utiliser les nouvelles technologies pour favoriser les contacts entre les élus et les citoyens, nous parlons d'un face-à-face. Par rapport à une retransmission télévisée ou à une vidéoconférence, qui ne peut faire intervenir qu'un nombre limité de personnes, le courrier et les forums électroniques présentent l'avantage de mettre tous les élus sur un pied d'égalité. »

Charles RAAB

« Le problème de la messagerie électronique est qu'il n'est pas toujours facile d'identifier l'auteur du message, qui peut tout aussi bien provenir de Roumanie que de l'un de vos administrés. Faire en sorte de renforcer la responsabilité des politiciens devant le public est une nécessité, comme c'est une nécessité pour les dirigeants d'entreprise de rendre compte de leurs actes devant leurs actionnaires. Il est impératif que le travail politique puisse être contrôlé et interrogé. »

De la salle

« Estimez-vous que les nouvelles technologies puissent mettre en danger la démocratie ? »

Christine BELLAMY

« Les technologies de l'information sont ambiguës, et c'est bien là tout le problème ! Elles permettent d'un côté une plus grande richesse d'information, une plus grande facilité de partage de cette information et de communication, qui est incontestablement favorable à une plus grande qualité de l'activité démocratique. D'un autre côté, comment intégrer cela dans le fonctionnement démocratique du pays ? Si les parlementaires restent les seuls à détenir le pouvoir de contrôle de l'exécutif il ne sert à rien que les citoyens apportent leurs contributions par la voie électronique. »

De la salle

« J'approuve ce qui vient d'être dit. Cette frustration ressentie dans les relations avec l'exécutif est partagée par beaucoup de parlementaires. Mais il faut aussi éviter de juger les avancées technologiques en fonction de pratiques encore très limitées. Par exemple, il y a dix ans que les caméras de la télévision sont entrées à la Chambre des Communes. Aujourd'hui, plus personne ne conteste leur utilité. Pourtant, elles ne remplacent pas le rôle d'explication et de décryptage des médias. L'intervention directe dans un débat, par exemple sous forme d'un talk show radiophonique, est la forme de pratique politique la plus populaire. On peut trouver beaucoup de défauts à ces programmes, mais ils n'en sont pas moins une forme de démocratie directe particulièrement appréciée, qui donne à la télévision ou à la radio un rôle qui va au-delà du seul divertissement. »

De la salle

« La presse reste évidemment un moyen d'information privilégié pour les parlementaires. Nous ne prétendons nullement qu'Internet va faire disparaître les journalistes. Mais il faut trouver un juste équilibre, comme aux États-Unis où la retransmission des travaux parlementaires est accompagnée de commentaires explicatifs qui les mettent à la portée de tous. S'agissant de la protection de l'anonymat sur Internet, dont parlait Charles Raab, je ne crois pas qu'il s'agisse d'un obstacle important. Aujourd'hui, lorsqu'un parlementaire reçoit un courrier traditionnel anonyme, je suis persuadé qu'il le jette immédiatement. »

Charles RAAB

« A propos du rôle de la télévision, j'ai vu hier un sujet de la BBC sur l'ouverture des travaux parlementaires. On y voyait d'augustes personnages en bas de soie et en manteaux de fourrure. Peu importe que ce rituel soit utile ou non. Ce qui importe, c'est que la signification de ce rituel soit expliquée. »

Jacques VALADE

« En France, les travaux parlementaires sont diffusés, depuis quelques années, par le biais d'une chaîne parlementaire, d'abord en interne, ensuite sur les réseaux câblés et satellitaires. À partir de l'an 2000, nous allons nous attacher, avec la nouvelle chaîne parlementaire, à améliorer les retransmissions : les réalisateurs de télévision ont trop souvent tendance à focaliser leur objectif sur un député assoupi sur son banc, alors qu'il ne s'agit que d'un aspect anecdotique de la vie parlementaire. Nous pensons en particulier qu'une telle chaîne parlementaire doit laisser une place au débat, à l'expression pluraliste, de façon à ce que le peuple puisse bénéficier d'une information contrôlée par le Parlement. Il est évident que tout ce qui a été dit ce matin sur Internet est aussi valable pour la diffusion des images. Nous souhaitons donc mettre en place un format qui permette d'assurer le pluralisme et, avec le concours de journalistes et de spécialistes, de mieux faire comprendre le sens du travail parlementaire à nos concitoyens. »

Thierry BREHIER

« En conclusion, il semble bien que les nouvelles technologies de l'information et de la communication permettront de résoudre certains dysfonctionnements de notre démocratie. Mais le risque existe, si nous n'y prenons garde, d'accentuer encore la tendance de notre démocratie représentative à se transformer en démocratie d'opinion. Quoi qu'il en soit, Gutenberg a inventé l'imprimerie pour diffuser la Bible, et au final l'imprimerie a surtout servi à diffuser l'athéisme... Quel sera l'impact réel d'Internet ? Nul ne peut encore le dire. »

DEUXIÈME SOUS-PARTIE - LES PARLEMENTAIRES DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

I. ARTICLE DE MME HÉLÈNE FALCH FLADMARK, MEMBRE DE PARLEMENT NORVÉGIEN

Nous en sommes, cet automne, à célébrer le trentième anniversaire d'Internet. En octobre 1969, un chercheur de l'UCLA tentait de se connecter à l'Institut de Recherche de Stanford, à travers ce qui était alors connu sous le nom d'Arpanet. Ce premier essai se traduisit, au moment d'entrer le G de LOGIN, par un panne généralisée du système. Mais si l'enfant eut une naissance difficile, il est devenu, 30 ans plus tard, plus vigoureux que n'aurait pu l'imaginer aucun de ses parents. En 1969, l'Arpanet n'était pas autre chose que quatre supercalculateurs connectant entre elles les institutions de recherche américaines. Aujourd'hui, plus de 225 millions de personnes dans le monde entier peuvent envoyer et recevoir des messages électroniques.

Ce réseau géant d'information a d'ores et déjà entraîné des transformations dans la vie quotidienne des individus, dans leur vie professionnelle, dans les nouvelles pratiques commerciales, enfin et surtout, dans la vie politique. Jusqu'à présent, nous n'avons été témoins que de faibles signes des changements que peut susciter l'Internet dans les structures du pouvoir, ainsi que dans la manière dont sont régis les États. Mais il est certain que les individus et les groupes disposent avec lui d'un instrument unique pour mener le combat en faveur de leur cause, quelle qu'elle soit. Les modalités traditionnelles d'exercice du pouvoir sont mises au défi. À mesure que se développent les technologies et les facilités d'accès à Internet, il devient de plus en plus difficile d'empêcher la libre circulation de l'information. Il est de notoriété publique que le mouvement zapatiste au Mexique utilise le Net pour atteindre des sympathisants dans le monde entier. De même, les combattants de la liberté et les mouvements clandestins en Chine font un usage actif de l'Internet. Par exemple, l'organisation chinoise Falun Gong, aujourd'hui interdite, a pu rassembler durant quelques heures des milliers de participants, en avril dernier, grâce à la messagerie électronique. Le parti démocratique chinois survit et croit en grande partie grâce aux possibilités de diffusion de l'information que lui offre l'Internet.

L'Internet a aussi des effets sur la vie politique des démocraties occidentales stables, comme celle de mon pays, la Norvège. Pour vous donner un aperçu de l'impact qu'ont les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication sur ma vie de membre du Parlement norvégien, il me faut d'abord dresser un tableau général du monde de l'Internet en Norvège, et plus particulièrement, des politiques menées par le Parlement et les partis à l'égard de ce nouvel instrument.

1. Le Cyberespace norvégien

Si l'on rapporte le nombre d'utilisateurs de l'Internet à sa population, la Norvège se classe au septième rang mondial. L'ensemble constitué par les pays nordiques se situe parmi les pays du bloc de tête en termes d'utilisation de l'Internet. Il est intéressant de souligner qu'il n'est plus un outil réservé aux plus jeunes et aux plus prospères dans la seule sphère commerciale d'aujourd'hui. De plus en plus de centres du troisième âge offrent, dans leur bouquet de services, l'accès à Internet, et le Gouvernement a lancé un programme visant à fournir cet accès à tous les élèves des écoles élémentaires.

Comme dans la plupart des pays, l'Internet a été introduit en Norvège par les chercheurs. La première connexion à Arpanet hors des États-Unis fut même le fait de mon pays, en 1973. Un réseau inter universitaire reliant tous les établissements d'enseignement supérieur est en fonction depuis 1987. En 1993, l'accès à Internet a été pour la première fois commercialisé, et c'est en 1995-96 que l'accessibilité et le taux d'utilisation de l'Internet ont explosé. Dans la plupart des cas, c'est d'abord notre vie professionnelle qui nous a mis en contact avec Internet, et aujourd'hui encore l'adresse électronique de la majorité des utilisateurs est celle de leur entreprise. Mais nous sommes désormais de plus en plus nombreux à y avoir accès à domicile.

La Norvège « officielle » a commencé tôt, par comparaison aux autres pays, à utiliser les médias électroniques. J'ai ainsi pour la première fois découverte la messagerie électronique en 1992, alors que je travaillais au ministère de l'Environnement. Le premier site Gouvernemental officiel a été lancé en août 1995. Le but était, à l'époque, d'améliorer la transparence de l'appareil d'État, et de faciliter l'accès à l'information. Aujourd'hui, différentes voies vers l'interactivité sont explorées, par exemple les comptes rendus d'auditions, ou encore les groupes de discussion autour de problèmes spécifiques. Un site web de discussion libre sur les questions liées aux NTIC a été inauguré au début de cette année. En 1999, la page d'accueil du site officiel enregistrait plus d'un million et demi de hits. Ce chiffre, dans un pays qui ne dépasse pas les cinq millions d'habitants, donne une idée de l'ampleur qu'a pris l'usage d'Internet en Norvège.

Aujourd'hui, tous les journaux, nationaux et régionaux, ont une version électronique en ligne, et quelques titres n'existent que sur le Net. Les chaînes de télévision les plus importantes, celles qui ont une couverture nationale, utilisent également de plus en plus l'Internet, à la fois pour informer leur public, mais aussi, de plus en plus, pour recueillir ses réactions - et susciter l'interactivité lors de la diffusion des programmes.

2. Le Cyber Parlement

Le Parlement norvégien s'est mis en ligne pour la première fois le 8 mai 1996. L'événement fut soigneusement planifié. Le premier document publié simultanément en version papier et sur le web était un rapport très controversé sur les services secrets. Depuis, tous les débats, tous les rapports sont, aussi rapidement que possible, rendus publics sur Internet. Le site web du Parlement a été conçu - et est utilisé par le public - comme une « fenêtre ouverte ». Son objectif est de faciliter l'accès à l'information sur le Parlement, d'en renforcer les effets - en même temps que d'aider les individus et les groupes à mieux faire usage de leurs droits démocratiques. Le site est utilisé par le grand public, les avocats, les journalistes, les conseillers en information, les organisations, les officiels, les étudiants et les élèves de l'enseignement scolaire, sans oublier les hommes politiques et leurs conseillers. La fréquentation du site a été, dès les premiers jours, en constante augmentation, mais elle varie considérablement selon les périodes de l'année. Comme il est logique, le site web devient plus actif lorsque la tension monte entre les parlementaires.

Il existe, depuis 1998, un service administratif d'information par courrier électronique. Toutefois, les possibilités dont dispose le public pour entrer en contact par ce moyen avec un homme politique sont variables. Les membres du Parlement et les groupes politiques ont tous leur propre adresse électronique, mais tous ne l'utilisent pas. L'administration estime qu'environ 100 des 265 parlementaires utilisent personnellement leur messagerie électronique.

Lorsque la messagerie fut introduite au Parlement, il y eut débat : fallait-il rendre publiques les adresses électroniques des parlementaires ? De crainte d'un harcèlement par e-mail, il fut décidé de ne pas donner à celles-ci trop de publicité. La question se pose à nouveau, alors qu'un nombre croissant de parlementaires, parmi lesquels je me range, souhaite faire un usage de l'Internet plus résolument tourné vers le public. Il est probable qu'on en viendra ainsi à la publication sur le site des adresses électroniques de ceux des parlementaires qui ne s'y opposent pas.

Bien entendu, cela rendra les hommes politiques plus vulnérables à des attaques massives dirigées contre leur messagerie, mais l'administration a les moyens de parer à de telles attaques, grâce à l'utilisation de filtres. Ce fut le cas en janvier, lorsque, durant quelques heures, des milliers d'étudiants envoyèrent le même message à tous les parlementaires. Ces messages, avant d'être arrêtés, faillirent provoquer une panne totale du système. L'installation d'un filtre obligea les étudiants à déployer un peu plus d'ingéniosité pour parvenir jusqu'à nous (c'est-à-dire qu'ils ne pouvaient plus se contenter d'appuyer sur le bouton d'un site web), mais ils ne furent pas totalement stoppés. Je crois qu'il est important de mentionner le dilemme entre censure et protection contre les attaques. Il est également intéressant de souligner que cette première manifestation électronique massive, lancée par quelques étudiants hors du cadre habituel des syndicats, prit très vite l'ampleur d'une protestation nationale - et qui eut véritablement un impact sur les décideurs. Les étudiants n'obtinrent pas entièrement ce qu'ils voulaient aussi vite qu'ils le souhaitaient, mais ils firent accélérer les choses. En comparaison de la quasi rituelle manifestation annuelle organisée, dans les formes traditionnelles, par les permanents des syndicats étudiants, cette web-manifestation réunit un nombre énorme de participants, et eut des effets plus tangibles.

Néanmoins, le courrier électronique n'est pas encore le moyen le plus répandu pour entrer en contact avec les hommes politiques. Les appels téléphoniques restent encore quatre fois plus fréquents que les messages électroniques pour adresser une question ou une réclamation au Parlement.

3. Les partis dans le Cyberespace

La formation à laquelle j'appartiens, le parti libéral « Venstre », fut le premier parti norvégien à entrer dans le cyberespace, avec l'inauguration de son site web en 1995. À présent, en 1999, tous les grands partis ont leur page d'accueil. Que Venstre ait été prompt à faire usage des technologies modernes pour resserrer le lien entre les hommes politiques et leurs électeurs, je l'interprète comme une conséquence naturelle de l'histoire du parti. Je suis une représentante du plus vieux parti de Norvège. Venstre fut fondé en 1884, pour militer en faveur d'un contrôle démocratique sur le Gouvernement, pour promouvoir une société plus ouverte, et pour lutter contre les tendances bureaucratiques de l'époque. La liberté d'information et d'expression a toujours représenté un enjeu capital pour le parti.

Compte aussi le fait que Venstre soit le plus petit parti de Norvège. Car du même coup, l'Internet a été pour lui le moyen de tirer le meilleur parti de ses maigres ressources, tant en hommes qu'en capital. Ce sont des raisons à la fois pratiques et idéologiques qui conduisirent le parti à utiliser, parallèlement à l'ouverture de son site web, un serveur Intranet propre pour l'information et la discussion en interne. Il s'agissait de favoriser une circulation horizontale de l'information, grâce à laquelle chaque membre du parti pourrait communiquer sans se heurter aux barrières qui s'érigent parfois au sein de toute structure organisée.

L'Internet constitue, bien sûr, un canal d'information efficace, mais il me semble plus important de souligner qu'il a contribué à créer un nouvel espace de débat. Des discussions animées s'y tiennent, sur différents sujets, auxquelles participe, sur un pied d'égalité avec les parlementaires et les autres dirigeants politiques, la base du parti. Avec cette conséquence que davantage de membres prennent part à l'élaboration de la ligne politique du parti, et que ce débat public livre aux dirigeants politiques une perception essentielle de l'atmosphère générale du parti. Le serveur Intranet fut connecté directement à Internet en 1997, et fait, depuis, partie intégrante du web de Venstre. Une portion de l'Intranet a été ouverte au public, si bien que les non-membres peuvent prendre part aux discussions. Et de fait, le site de Venstre a reçu les commentaires les plus élogieux dans une compétition informelle qui opposait les sites des différents partis : il fut déclaré le plus ouvert et le plus utile au public.

Je pense qu'à l'heure actuelle, tous les partis en Norvège font un tel usage de l'Internet. Mais à ma connaissance, Venstre est, parmi les plus petites formations, celle qui utilise Internet le plus activement. Ainsi à Oslo, mon parti, ainsi que le parti de la gauche socialiste - qui se range également parmi les plus petites formations - ont, cette année, pris l'initiative de mettre en ligne leur programme pour les élections locales. Par le biais du Net, le public pouvait suivre le processus électoral et donner son point de vue sur différents sujets. La messagerie électronique s'est également révélée un outil très utile pour les petits partis, dans la mesure où elle permet d'accroître l'efficacité de leur politique de communication. Le groupe d'études que j'ai dirigé l'an dernier m'en fournira une illustration : nous sommes parvenus à mettre en place un nouveau plan d'action pour l'éducation en n'organisant que quatre vraies réunions. Au lieu de perdre beaucoup de temps et d'argent en déplacements, nous avons, grâce à la messagerie électronique, tenu des discussions et des réunions virtuelles. Ceci, dans un pays où les distances sont importantes, est d'une valeur inestimable.

4. Cyberélections

Les élections générales de 1997 furent, à maints égards, les premières élections au cours desquelles Internet joua un rôle important. Mais ce n'est véritablement qu'à l'occasion des élections locales de l'année écoulée qu'il est devenu un élément naturel de la campagne - et a été utilisé à grande échelle par les partis et les médias. Comme je le disais tout à l'heure, tous les partis ont une activité sur le Net, et, si on les compare à ce qu'ils étaient lors de la campagne de 1997, leurs sites étaient plus étoffés et généralement plus interactifs cette année. Quelques partis avaient investi des moyens importants pour mettre en ligne des vidéos en direct et mettre en oeuvre toutes les technologies disponibles. Pourtant, il me semble que les partis qui, plutôt que de miser sur la technologie, firent porter leur effort sur les services de réponse en ligne, le dialogue interactif, la simplicité et la clarté de la mise en page, furent peut-être mieux récompensés.

En plus des sites propres des partis, les chaînes nationales et la plupart des journaux avaient dédié un site aux élections. Ils y proposaient des informations sur les partis, les commentaires d'analystes politiques, des sondages informels, ainsi que des questionnaires qui devaient permettre aux internautes d'identifier le parti défendant les positions les plus proches des siennes. Au cours des traditionnelles interviews des dirigeants politiques à la télévision, le public était invité à poser ses questions par e-mail. Mais ce qui compta peut-être davantage fut le fait qu'un public plus important avait, en 1999, accès à Internet, et qu'un plus grand nombre le considéra, pendant la campagne électorale, comme un moyen naturel d'information et de discussion. Mon parti a ainsi vu doubler, entre les élections de 1997 et celles de cette année, le nombre de questions reçues par courrier électronique.

5. L'utilisation d'Internet pour un membre du Parlement norvégien

Je dois tout d'abord avouer n'être pas un élément totalement représentatif du Parlement norvégien - c'est un point qui pourra avoir son importance lorsque nous en viendrons à traiter de l'utilisation d'Internet. Plus encore, s'agissant de la question qui nous occupe, importe le fait que mes 33 ans font de moi une élue plus jeune que la plupart des autres parlementaires. Ma formation est également quelque peu atypique, puisque je suis le seul ingénieur diplômé de l'Assemblée, et je crois être l'une des rares à avoir utilisé activement Internet au cours de ma carrière professionnelle, avant de devenir une femme politique à plein temps, en 1997. En tant que fonctionnaire au ministère de l'environnement, et, plus encore, comme éditeur de l'Encyclopédie Nationale Norvégienne, j'utilisais la messagerie et Internet plus fréquemment qu'un employé moyen de l'époque.

Il fut tout naturel pour moi d'inclure l'utilisation d'Internet dans mes prévisions de campagne pour les élections générales de 1996-97. Je fus l'une des premières, parmi les membres du personnel politiques, à avoir mon propre site web, que je lançai à l'occasion de cette campagne. A ma connaissance, je suis toujours la seule à posséder mon nom de domaine ( helene.venstre.no ). Mon dessein en créant ce site web était de me donner une tribune où exposer mes réflexions et mes orientations politiques, en même temps que d'offrir au public la possibilité d'y réagir. Depuis que j'ai obtenu un siège au Parlement en 1997, j'utilise ce site pour faire connaître mes discours, mes articles, mes chroniques, et, au-delà, comme un lieu où l'on peut s'adresser à moi.

Durant la campagne électorale, j'ai également utilisé la messagerie, mais en veillant très attentivement à ce que chaque message envoyé, par moi ou par mon équipe de campagne, soit personnellement adressé, et en prohibant les envois en nombre. J'ai par exemple fait circuler la nouvelle de la création de mon site en envoyant des cartes de visite électroniques pointant sur ma page d'accueil. J'ai d'abord envoyé ces cartes à mes amis et connaissances, en les chargeant de les diffuser à leur tour. Je ne saurais dire combien de voix j'ai gagnées grâce à Internet, mais il est hors de doute que son utilisation m'a offert l'opportunité de me présenter comme un candidat alternatif, jeune, moderne. Quelques-uns de mes collègues de Venstre qui faisaient campagne pour les élections locales cette année-là tirèrent parti de mon expérience et créèrent leur propre site web.

Il m'est difficile d'analyser les modifications qu'a pu introduire Internet dans les habitudes de travail des parlementaires, dans la mesure où il a accompagné toute ma vie politique. Surtout, il me semble que nous ne sommes pas encore en mesure de prévoir les changements qu'Internet doit apporter en politique. L'adaptation du public à ce nouvel outil a été remarquablement rapide, mais jusqu'à présent, il n'a pas beaucoup changé les choses - mise à part la possibilité de communiquer différemment.

Ma vie quotidienne de représentante politique est très occupée, et aux prises, plus que d'autres, avec le phénomène de la surcharge d'information. Internet et la messagerie me permettent de filtrer cette information, et de rester au fait sur les sujets que je choisis. Je suis abonnée à plusieurs services sur Internet, qui me fournissent tout l'éventail des informations dont j'ai besoin, depuis les nouvelles internationales, en passant par les locales, jusqu'au service d'information de Venstre. Bien évidemment, je n'ai pas le temps, comme à l'époque où j'étais éditeur de l'Encyclopédie Nationale Norvégienne, de parcourir le Net pour rassembler l'information. Mais il m'est utile de savoir où chercher, et trouver, celle dont j'ai besoin très rapidement. Dans mon travail quotidien au Parlement, pour écrire mes discours, réagir aux communications du Gouvernement ou aux projets de loi, j'utilise la page d'accueil du Gouvernement et l'Intranet du Parlement.

La vie des hommes politiques est marquée par un grand nombre de déplacements. Je passe peu de temps assise à mon bureau, et il peut s'avérer difficile de me joindre. Les quelques minutes de calme que je passe face à mon portable, chez moi ou dans un web café, où que je me trouve, pour relever ma boîte aux lettres, représentent par conséquent un moyen très sûr pour rester informée. Ainsi, au cours d'un voyage aux États-Unis, voici quelques mois, je consultais ma boîte aux lettres d'un jour sur l'autre, ce qui me permettait d'organiser mes rendez-vous, de discuter de problèmes politiques avec mes collègues du parti, et de me tenir informée de ce qui se passait dans mon pays.

Comme la plupart des gens, c'est la messagerie que j'utilise le plus. Je préfère même les messages électroniques au téléphone et aux lettres. Cela me laisse la liberté de répondre quand j'en ai le temps, et cette forme de correspondance autorise un échange plus informel, que je préfère. Pour moi, la messagerie est vraiment le moyen le plus efficace de rester en contact avec les membres du parti, les autres organisations, et les parlementaires. Il me suffit d'un décompte rapide pour constater que de plus en plus de personnes étrangères à ce cercle professionnel utilisent la messagerie pour entrer en contact avec moi. Le mois dernier, la moitié de ces messages d'approche émanait d'organisations, un tiers d'individus, et le reste était constitué de messages de propagande de provenance diverse. J'encourage le contact par courrier électronique en répondant aux demandes par e-mail, quand cela est possible. Si bien qu'une approche très formelle peut se transformer en une discussion très informelle. C'est pour moi un moyen de donner au public une image plus chaleureuse du parlementaire.

La messagerie électronique est aussi un support pour l'échange en réseau. J'appartiens à plusieurs réseaux informels, au sein desquels les contacts se font exclusivement par courrier électronique. Ils sont constitués pour la plupart de jeunes gens actifs au plan politique, mais qui ont adopté une attitude distante à l'égard des partis institutionnels. Je trouve les discussions intéressantes, et considère ce type de forum comme des lieux où de nouvelles idées, de nouvelles pensées, ont plus de chance d'émerger que dans beaucoup d'organismes institutionnels.

Mais l'Internet est aussi, bien sûr, un outil très utile pour les organisations traditionnelles, comme mon parti. En tant que représentante d'un parti minoritaire, tant au Parlement qu'au Gouvernement, me revient la lourde tâche d'informer ses membres. Un petit parti a d'autant plus de mal à se faire entendre que les médias ne rendent pas toujours compte de tout ce qui a présidé à une décision ou à un choix politique. Pour satisfaire ce besoin d'information, mon groupe parlementaire envoie, par courrier électronique, une lettre d'information hebdomadaire sur abonnement, et à adopter une politique de réponse rapide et systématique à toute question émanant d'un membre du parti.

Un épisode des dernières élections donnera une idée de l'utilité d'une telle démarche. L'une de mes collègues du parti, qui faisait campagne dans la région la plus au nord du pays, envoya un appel à l'aide sur Intranet. Elle devait participer, le soir même, à un panel de discussion sur l'éducation, et avait besoin d'informations sur les initiatives prises en ce domaine par le Gouvernement et par le groupe parlementaire Venstre. Comme je suis la porte-parole du parti pour l'éducation, je pus lui donner toutes les réponses qu'elle demandait, et même des indications sur la manière de retrouver les textes pertinents publiés sur Internet. Elle trouva tout ce qu'elle recherchait en moins d'une heure, et m'en fut véritablement reconnaissante.

6. Remarques pour conclure

Ainsi que je l'ai déjà marqué, il est difficile de tirer des conclusions sur la question des changements que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont appelées à introduire dans les Parlements. Certes, les nouvelles technologies ont été très rapidement adoptées, tant par les hommes politiques que par leurs électeurs, mais il n'en est pas encore résulté de grands changements. Pourtant, on peut percevoir quelques signes qu'il me paraît utile de relever :

L'Internet offre aux individus un instrument d'importance dans leur activité politique, ainsi que j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte avec la manifestation virtuelle que j'évoquais, comme avec les réseaux de discussion par courrier électronique auxquels je participe. Je crois qu'à l'avenir, les organisations et les partis traditionnels auront à compter avec ces mouvements nouveaux, et mieux adaptés. Cela aura bien sûr également un impact sur l'activité parlementaire.

En Norvège, une préoccupation croissante sur l'avenir de la démocratie telle que nous la connaissons se fait jour. La faible participation aux élections locales de l'année écoulée a contribué, avec le fait que les partis attirent de moins en moins d'adhérents, à susciter ce débat. Je ne partage pas cette inquiétude. Je pense au contraire qu'il est fascinant de constater que l'intérêt pour la politique est plus vif que jamais, mais emprunte d'autres canaux que les voies traditionnelles de l'activité politique. Il reviendra aux partis, et au système politique dans son ensemble, de prendre en compte ces transformations. Mais je crois que personne, à l'heure actuelle, n'est en mesure, face à cette gageure, de proposer une réponse adéquate.

La facilité d'accès aux données constitue un autre aspect de la société de l'information. Grâce à elle, un public plus large peut prendre part aux débats qui animent le Parlement, et à ceux qui ont cours sur la politique du Gouvernement. On peut ainsi espérer qu'un public mieux informé fera des hommes politiques plus incisifs.

Au cours des dernières années, c'est sur la technologie, et la rapidité de son développement, que l'accent a été mis. A mon avis, il est temps à présent de se concentrer sur les effets à attendre de cette technologie, tant sur les individus que sur les sociétés. D'où l'importance de cette conférence. J'espère qu'elle nous apportera quelques réflexions dignes d'intérêt sur la société de l'information et ses effets à venir sur les Parlements. Mais il me semble aussi prudent d'admettre que nous ne savons pas encore de quoi cet avenir sera fait.

II. INTERVENTION DE M. PATRICE MARTIN-LALANDE, DÉPUTÉ DE LOIR-ET-CHER

« Je reprendrai quelques-uns des éléments évoqués lors des rencontres parlementaires que nous avions organisées au mois de mars dernier à l'Assemblée nationale, et dont ce colloque constitue en quelque sorte le prolongement.

Nos travaux avaient montré que les nouvelles technologies sont une chance pour le travail parlementaire, sous un certain nombre de réserves. Pour mieux légiférer, les nouvelles technologies offrent une source d'information sans précédent aux législateurs. Elles ont en revanche encore peu d'incidence sur le processus législatif proprement dit : les amendements ne peuvent pas encore être soumis par voie électronique. Les parlementaires souhaiteraient pouvoir recourir à la visioconférence pour les travaux de commission. En revanche, tous sont hostiles à ce mode de participation pour les séances publiques, et a fortiori pour les votes.

Les nouvelles technologies permettent aussi de mieux contrôler l'action des Gouvernements, voire de rétablir un certain équilibre entre Gouvernements et parlements. En Grande-Bretagne, par exemple, elles permettent une meilleure équité dans l'accès à l'information entre l'opposition et la majorité, favorisent des débats contradictoires plus systématiques et plus fouillés, ce qui rend le contrôle de l'action du Gouvernement plus efficace. Les nouvelles technologies facilitent en outre les comparaisons dans le temps, par rapport à l'action Gouvernementale passée, et dans l'espace, avec les autres pays européens. Cependant, si elles permettent d'émettre des projets personnels, elles dégagent rarement des points de vue collectifs.

Au final, les nouvelles technologies de l'information et de la communication apportent des réponses intéressantes face à la crise de confiance vis-à-vis du politique et face à la volonté des citoyens d'une plus grande transparence. L'information est permanente, elle peut être personnalisée (par la personne qui la recherche comme par celle qui l'émet) et plus interactive. Ce dernier point est sans précédent dans le monde politique, où la seule information remontante est trop souvent celle du bulletin de vote. Avec les nouvelles technologies, l'information politique est plus largement diffusable et à un coût presque dérisoire. Mais elles ne présentent pas que des avantages. Comme les parlementaires, les citoyens connectés demeurent très minoritaires et sont très typés du point de vue de leur origine socioprofessionnelle. En outre, l'immédiateté de la démocratie directe ôte toute possibilité de prendre le recul propre à la démocratie représentative, qui permet d'agréger les besoins et de définir les priorités dans l'intérêt général et sur le long terme. »

III. INTERVENTION DE M. ROBERT BADINTER, SÉNATEUR DES HAUTS-DE-SEINE

« J'ai l'avantage de ne pas être un spécialiste des nouvelles technologies, mais un "débutant facile" : je "tapote" déjà de mon côté, mais je dois encore beaucoup progresser. Le Président Poncelet a évoqué la démocratie électronique. Mais peut-être devrions-nous d'abord nous mettre d'accord sur une définition de cette notion. N'en sommes-nous pas encore, par ailleurs, à débattre des différences entre démocratie et République ?

À ce stade, je dois vous livrer mon scepticisme sur ce que pourrait apporter au travail parlementaire le recours aux nouvelles technologies. On me dit qu'il améliorera la transparence des travaux législatifs. Mais celle-ci n'est en rien dépendante de l'arrivée de l'ère électronique.

Dès 1791, notre première Constitution écrite stipule que "les délibérations des instances législatives seront publiques et les procès-verbaux publiés". Tout est déjà écrit ! La publicité des délibérations et l'impression des procès-verbaux sont donc des principes en vigueur depuis plus de deux siècles.

L'électronique, de ce point de vue, ne constitue qu'un outil pour mieux informer les citoyens. Nous verrons tout au long du colloque ce que les technologies nouvelles pourront apporter à la vie parlementaire. Mais quant à un changement fondamental, je n'en vois pas !

Transparence et accroissement de la communication, certes, mais cela ne modifiera pas la nature des travaux.

Grâce à la mise en ligne, les citoyens pourront être mieux informés des travaux de nos assemblées. Vont-ils pour autant se précipiter sur nos sites pour apprécier les subtilités des travaux en commission et suivre la discussion sur les 62 amendements concernant l'article premier de tel ou tel projet de loi ? Je voudrais le croire, mais je ne n'en suis pas persuadé.

La perfection du moyen engendre-t-elle vraiment une volonté démocratique plus forte ? Je livre cette question à votre réflexion. Quant à une démocratie électronique où l'abstention serait limitée par le recours au vote électronique, je me permets, là encore, d'exprimer quelques doutes. Est-ce bien là le meilleur moyen d'expression de la "volonté générale" si chère à Rousseau ?

À cet égard, on peut penser qu'un certain nombre de nouveaux forums naîtront, à propos de problèmes spécifiques, qui verront nos contemporains confronter leurs idées, mieux s'informer sur celles des autres, et dès lors progresser vers une meilleure relation démocratique. Mais, pour l'heure, je ne suis pas certain que le passage de la démocratie représentative à la démocratie d'opinion s'effectue grâce à l'utilisation des techniques électroniques.

Pour ma part, je profiterai de la forte participation britannique à ces travaux pour faire référence à Agatha Christie et citer Hercule Poirot : "rien ne remplace les petits neurones". Le meilleur instrument électronique ne sert donc pas à grand-chose si l'on n'assimile pas dans son système de "petits neurones" toutes les données que l'instrument nous fournit. »

IV. INTERVENTION DE M. JOUNY BACKMAN, DÉPUTÉ FINLANDAIS

« Lors de la naissance des sociétés industrielles, la notion clé était celle de l'innovation technique. Aujourd'hui, nous sommes en présence d'un réseau mondial, où la technologie ne précède plus le développement mais le suit.

Tous les anciens modèles de développement de nos sociétés doivent donc être adaptés pour répondre aux exigences des nouvelles technologies. Un modèle basé sur des relations orientées pour l'essentiel du haut vers le bas laisse place, progressivement, à un nouveau modèle de fonctionnement en réseau.

Une société fondée sur l'information et sur la compétence doit pénétrer tous les niveaux de citoyenneté, ce qui implique de réformer les modes de fonctionnement du système politique.

Cela implique-t-il un remaniement du fonctionnement démocratique ? Pas nécessairement. Il ne s'agit pas de remplacer la démocratie par une "télédémocratie".

La démocratie représentative doit s'orienter vers une plus grande participation au processus démocratique, dont les principaux acteurs ne seraient plus forcément des élus mais de simples citoyens qui souhaitent s'impliquer dans le débat. Cette démocratie participative requiert que chaque citoyen soit sensibilisé et que sa conscience soit éveillée à la démocratie. De ce point de vue, les nouvelles technologies permettent d'envisager de nouvelles voies d'actions.

En Finlande, 60 % des citoyens estiment que la télédémocratie ouvre de nouvelles perspectives, et 40 % d'entre eux souhaiteraient pouvoir entrer en contact avec leur député par le biais de la télévision.

Mais cela pose bien des questions. Les différents pays, même au sein des pays développés, n'ont pas du tout le même niveau d'équipement en matière de technologies nouvelles. L'usage des nouvelles technologies ne doit pas être cantonné aux démocraties nouvelles. Nos démocraties plus anciennes, notamment en Europe, ont besoin d'être revitalisées, et les nouvelles technologies peuvent nous y aider.

L'amélioration de la qualité du travail législatif, une meilleure analyse de l'information reçue par l'utilisation des bases de données doivent également être au centre de nos préoccupations. En Finlande, les comptes rendus des débats et les textes de loi sont disponibles sur un site web.

La plus grande opportunité offerte par les nouvelles technologies est qu'elles permettent de se défaire des anciens modèles. Le véritable changement serait d'améliorer la préparation et la participation des citoyens au débat public. Des expériences ont déjà été menées en Finlande au niveau de certaines collectivités locales, qui disposent d'une très large autonomie.

La participation des citoyens au processus décisionnel est évidemment plus aisée qu'au niveau national : les élus publient leurs propositions sur Internet, et invitent les citoyens à réagir avant que le texte ne soit examiné ou que la décision ne soit prise. Il n'est pas certain que ce mode de fonctionnement soit transposable au niveau national.

Néanmoins, il ne fait pas de doute que cela ne pourrait que renforcer le lien entre le travail parlementaire et les citoyens. »

V. INTERVENTION DE M. RENÉ TRÉGOUËT, SÉNATEUR DU RHÔNE

« Nous avons il y a quelques mois soumis une proposition de loi à l'avis des citoyens internautes, et nous tiendrons compte de leurs contributions avant de déposer notre proposition définitive sur le Bureau du Sénat.

Je crois que ce type de démarche est appelé à se développer à l'avenir, et que cela ne pourra que renforcer la légitimité du travail parlementaire. Nous sommes donc en train de prendre un virage très important. Il est vrai que la communauté des internautes ne constitue encore qu'une minorité de nos concitoyens. Mais leur nombre croît chaque jour et je suis convaincu que cette voie est porteuse d'avenir pour le travail parlementaire.

Pour bien imaginer ce qui va se passer dans les dix à vingt ans à venir, il suffit de se pencher sur l'évolution des méthodes de travail dans les groupes multinationaux, où les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont déjà changé la vie des responsables, en leur évitant des déplacements incessants.

Pour ma part, il m'est déjà arrivé de faire l'aller-retour entre Paris et Lyon quatre fois dans une semaine, donc de passer 16 heures dans un TGV. À l'heure où le temps devient une richesse essentielle, le recours aux nouvelles technologies, aux outils de téléprésence, doit nous conduire à modifier nos méthodes de travail et, partant, notre relation avec nos électeurs.

Beaucoup parmi eux disposent de compétences qui ne sont pratiquement pas exploitées. Tout l'enjeu du travail en réseau vise justement à exploiter ces immenses gisements de compétences, dont nous nous privons aujourd'hui.

Nos parlements fonctionnent encore selon des méthodes de travail mises en place il y a un demi-siècle, ou davantage, ce qui n'est plus admissible. Le téléspectateur qui constate qu'en séance publique l'hémicycle est pratiquement vide, peut-il comprendre que l'essentiel du travail des parlementaires se fait au sein des commissions ?

Si nous pouvions, avec les outils de téléprésence, travailler autrement et gagner du temps sur nos déplacements, nous aurions sans doute davantage de temps pour assister aux séances publiques.

Nous allons donc devoir faire preuve d'une plus grande humilité et apprendre à travailler en réseau pour exploiter au mieux toutes les compétences disponibles.

Le deuxième mot clé, après l'humilité, c'est la transparence. Une majorité de Français pense aujourd'hui que leurs enfants seront moins heureux qu'eux, alors que cela a été le contraire pendant des décennies. C'est le symbole le plus fort qui soit de la faillite du politique.

Nous devons sortir de notre fonctionnement en vase clos, et nous ouvrir sur le monde qui nous entoure, sur les scientifiques, les universitaires, le monde associatif, le tout pour mieux penser notre futur. Les nouvelles technologies peuvent nous y aider de manière déterminante.

Le troisième maître mot, c'est la confiance. Ce n'est qu'au travers des réseaux que nous pourrons retrouver la confiance de nos concitoyens. »

VI. INTERVENTION DE M. JOS VAN GENNIP, SÉNATEUR NÉERLANDAIS

« Je m'intéresserai à une fonction particulière des nouvelles technologies : la fonction d'édition et de publication de l'information. Elles nous offrent en effet une chance historique, à nous parlementaires, de battre en brèche l'hostilité ou la froideur que nous manifeste généralement la presse traditionnelle, en nous permettant de publier nos propres bulletins et nos propres journaux électroniques. Il est évident que les nouvelles technologies renforcent l'attrait de la fonction politique. Dans le domaine des Affaires étrangères, par exemple, les nouvelles technologies permettent de concilier vie nomade et communication facile. On peut désormais tout à la fois être éloigné géographiquement et participer activement à la vie de sa propre famille, par Internet, par courrier électronique ou par vidéoconférence interposés.

En août 1990, lorsque l'Irak a envahi le Koweït, j'étais adjoint au directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Tous les responsables étaient partis en vacances et il fallait pourtant décider de ce que serait la participation néerlandaise à la mobilisation internationale qui se dessinait. Avant même d'arriver à mon bureau, je savais par CCN ce qui s'était passé dans le Golfe. Lorsque je découvrais les télégrammes codés envoyés par nos ambassades, ils étaient déjà dépassés par les informations relayées par CNN, ce qui ne manquait pas de mettre en colère les ministres et les ambassadeurs. Pourtant, une bonne part des services diplomatiques du monde entier continuent à fonctionner comme si de rien n'était, en se fiant aux dépêches fournies par leurs services de renseignements. Pendant la guerre du Vietnam, il fallait plusieurs jours avant que les images d'un village en feu ne parviennent aux télévisions occidentales. Aujourd'hui, les images sont transmises instantanément, ce qui ne permet plus aux dirigeants de préparer leurs réactions. On voit donc que les nouvelles technologies ont considérablement changé la donne dès lors que des enjeux mondiaux doivent être tranchés. L'exemple du refus de l'Accord Multilatéral sur les Investissement (AMI), est à ce titre particulièrement probant.

Ce qui était hier du domaine exclusif des experts ou des "sources bien informées" est aujourd'hui du domaine public. Ainsi, la relation entre les médecins et leurs patients a radicalement évolué. Les politiques eux-mêmes ne peuvent plus se permettre de ne pas tenir compte des discussions qui se développent sur le Net. Peut-être les internautes ne sont-ils pas encore représentatifs, mais il ne faut pas oublier que sur le Net, il n'existe pas de majorité silencieuse : on n'écoute que ceux qui cherchent à se faire entendre.

Par ailleurs, quelles sont les possibilités offertes par l'utilisation des réseaux électroniques entre parlementaires, sur un plan régional, transnational ou mondial ? On peut très bien imaginer que les contacts entre parlementaires de différentes nationalités puissent permettre de prévenir ou d'empêcher le développement de conflits de toute nature. Hitler a commencé par se rendre maître de la radio, Kennedy de la télévision. Aujourd'hui, Al Gore pense que s'il arrive à maîtriser les nouvelles technologies, il sera le prochain président des États-Unis. Pourtant, à mes yeux, le plus gros apport des nouvelles technologies se trouve ailleurs : si des entreprises mondiales sont amenées à changer radicalement de stratégie pour s'adapter au développement impératif du commerce électronique, nous devrons à notre tour nous interroger pour déterminer comment exploiter au maximum les possibilités des nouvelles technologies pour les secteurs non commerciaux. Comme le disait M. Robert Badinter, Hercule Poirot, avait raison : la révolution aura d'abord lieu dans nos neurones. ».

VII. INTERVENTION DE M. JOHNNY GILLING, DÉPUTÉ SUÉDOIS

« La technologie et les objets technologiques qui nous accompagnent désormais dans notre vie courante (téléphone portable, « pager », agenda électronique, etc.) n'ont d'intérêt que s'ils sont utilisés à bon escient. Rien ne sert de disposer du dernier gadget si on ne l'utilise pas correctement ou si on ne se l'est pas approprié : dans ces conditions, il crée davantage de frustration qu'il n'est utile. Mais peu à peu, on apprend à se servir d'un nouvel outil, et il devient progressivement indispensable.

Je suis député depuis un peu plus d'un an, après une carrière de programmeur informatique. Je suis membre du parti démocrate-chrétien et j'ai aujourd'hui 43 ans. J'habite la ville de Karlskrona, à 500 kilomètres de Stockholm, qui eut son heure de célébrité au début des années 80, lorsqu'un sous-marin soviétique se fit prendre dans nos eaux...

Les nouvelles technologies sont-elles systématiquement bonnes ou mauvaises ?

Les technologies informatiques inspirent de la crainte à certains de nos concitoyens, qui ont peur d'être mis en fiche : c'est le syndrome de Big Brother. C'est une opinion respectable. Mais il en va de même pour la télévision. Un dictateur qui est maître de la télévision peut ainsi conforter son pouvoir. Pour autant, la télévision est-elle une technologie complètement néfaste ? Non, bien sûr. En réalité, le caractère avantageux ou non d'une technologie dépend complètement de l'utilisation que l'on en fait.

Faut-il tout adopter ?

Est-ce qu'un parlementaire doit savoir utiliser un PC, par exemple ? Je ne le crois pas. Il ne faut pas que ce soit une obligation, il faut au contraire laisser venir l'envie de s'en servir.

Souhaitons-nous vraiment l'avènement de la démocratie numérique ?

Je pense qu'il faut utiliser le Net pour favoriser le dialogue entre les hommes politiques et leurs électeurs. Ce faisant, certains croient que l'on peut en profiter pour accélérer le rythme de la démocratie, réfléchir plus rapidement et voter en un clin d'oeil. Or la démocratie doit laisser le temps au débat de se développer et permettre aux citoyens d'avoir le recul nécessaire pour prendre une bonne décision. Il faut donc se méfier des vertus de la démocratie numérique.

Pouvons-nous avoir les avantages sans les inconvénients ?

Pour profiter des avantages des nouvelles technologies, il faut être conscient des effets négatifs et être sensible aux effets positifs.

Une journée de travail est une suite ininterrompue de réceptions d'informations. Mon agenda électronique me sert désormais de réveil matin, et il règle le rythme de toute ma journée. Lorsque je sors d'une réunion, il me dit ce que je dois faire. Il me permet de consulter à distance les informations stockées sur mon PC ou de réserver ma place dans un avion. En conclusion, je dirais que pour exploiter au mieux les technologies, il faut être conscient de ce qu'elles peuvent apporter, mais en conservant un certain esprit critique. »

VIII. INTERVENTION DE M. YVES COCHET, DÉPUTÉ DU VAL D'OISE

« L'Internet va tout changer, mais l'Internet ne va rien changer. Je me propose de vous expliquer ce paradoxe apparent. En 1997, le président de l'Assemblée nationale et quelques députés ont souhaité améliorer le site web de l'institution, pour en faire un véritable outil d'ouverture à l'ensemble des citoyens internautes. Ce travail de refonte a abouti à un nouveau site en mai 1998, dont la fréquentation a décuplé en deux ans.

Cela dit, nous souffrons d'une insuffisance, tant sur le plan quantitatif que qualitatif des compétences qui nous permettraient d'aller plus loin. Un député de base n'a autour de lui qu'une équipe réduite de trois ou quatre personnes, et à l'heure actuelle, loin de lui simplifier la vie, l'Internet est plutôt une source de travail supplémentaire, puisque la messagerie électronique est un canal de communication en plus ouvert aux sollicitations de toutes sortes.

Nous faisons également face à l'insuffisante implication des députés eux-mêmes. En effet, une minorité des députés utilise les outils multimédias de manière courante, aussi naturellement qu'ils utilisent le téléphone ou le fax. La formation des utilisateurs prendra sans doute encore beaucoup de temps, et la révolution culturelle est loin d'être achevée.

Voyons maintenant quel a été l'impact des nouvelles technologies sur mon travail de député. C'est d'abord l'accès facilité à des réseaux qui permettent de mobiliser des forces ou un nombre de militants important en très peu de temps.

En deuxième lieu, j'ai accès à deux bases de données, gérées par la société ORT, l'une dans le domaine juridique, l'autre qui donne accès aux grands journaux français et aux dépêches des principales agences de presse, mises à jour régulièrement. Il s'agit dans les deux cas d'outils de recherche très puissants, qui ont eux aussi changé quelque peu ma vie.

Plus prosaïquement, l'Internet ne change pas grand-chose à l'équilibre des pouvoirs. Les outils électroniques sont certes plus efficaces d'un point de vue fonctionnel mais ils n'augmentent pas le pouvoir dont on dispose. Le vrai pouvoir de décision réside dans la discussion en face-à-face, dans la relation humaine, et il en sera sans doute ainsi tant que l'homme ne sera pas une machine. »

IX. INTERVENTION DE M. ANDREW MILLER, DÉPUTÉ BRITANNIQUE

« Sommes-nous en train d'instaurer de nouvelles relations entre les élus et les citoyens ? Que sont ces rapports aujourd'hui ? Que seront-ils à l'avenir ? Quelles sont les pistes de développement ? Telles sont quelques-unes de questions que j'aborderai.

Au Royaume-Uni, il ne fait aucun doute que les rapports entre les élus et les citoyens ont changé. Les journaux, de nos jours, ne rapportent plus le détail des débats du Parlement : ils mélangent le compte rendu et le commentaire, et le contrôle final sur ce qui mérite d'être écrit ou non est placé dans les mains de Monsieur Murdoch et de quelques-uns de ses amis... Pour ma part, j'ai délibérément décidé de me passer de site web personnel. Lorsque j'ai été élu pour la première fois, en 1992, je n'ai pas jugé utile de construire de site web dans la mesure où ma circonscription ne compte pas d'institution académique ou d'université importante, qui sont les pionniers des nouvelles technologies dans notre pays. Il n'en reste pas moins que le développement des sites web parlementaires a permis d'améliorer l'information des citoyens. En 1995, lorsque tous les députés sont devenus accessibles par le web, nous avons reçu un e-mail d'une dame qui estimait qu'il s'agissait de la meilleure nouvelle pour la démocratie depuis l'octroi du droit de vote aux femmes, au début du siècle ! Nos conseils municipaux, eux aussi, sont à la pointe de l'évolution technologique. On peut même dire qu'il est plus facile de gérer la démocratie participative au plan local que dans les parlements nationaux. Je reçois de la part de mes électeurs un nombre croissant de courriers électroniques.

Qu'en sera-t-il dans l'avenir ? Un chercheur allemand m'a signalé l'existence d'un parti politique dont les membres ne se sont jamais réunis autrement que virtuellement. Pour notre part, si nous voulons combler le déficit démocratique auquel nous sommes confrontés, il faudra bien nous résigner à consentir les investissements pour les équipements nécessaires à l'utilisation des nouvelles technologies. Je ne crois pas à l'avenir des consultations permanentes des citoyens sur tous les sujets. Il n'en reste pas moins que l'on pourra faire appel très facilement à des jurys citoyens, que nous consulterons par voie électronique.

En matière de « gouvernance » électronique, je souhaiterais donner un exemple très simple, qui peut sans doute s'appliquer à tous les pays. Au Royaume-Uni, lorsque vous subissez un deuil dans votre famille, vous pouvez avoir affaire jusqu'à 27 agences Gouvernementales, pour annuler le permis de conduire, solder les comptes bancaires, etc., et ce au moment même où vous êtes le moins capable de gérer tout cela. Avec les nouvelles technologies, les administrations Gouvernementales ont l'opportunité d'offrir aux citoyens une porte d'entrée intégrée, derrière laquelle tous les services concernés seront automatiquement informés pour ce qui les concerne. Je vous conseille de visiter, à cet égard, le site www.centrelink.gov.au

Il est primordial que la technologie soit facile d'accès. Pour cela, elle ne doit pas copier les modèles papier. La signature numérique doit bénéficier d'une diffusion universelle. Au point de vue parlementaire, il est clair que la nature des rapports entre les citoyens et leurs élus a changé, et un élu qui ne le comprendrait pas n'a sans doute pas un grand avenir. »

X. INTERVENTION DE M. CHRISTIAN PAUL, DÉPUTÉ DE LA NIÈVRE

« L'internet fait-il progresser ou régresser la démocratie ? D'emblée, je dois vous dire qu'à mes yeux, l'Internet ne doit être ni diabolisé ni idéalisé. Le commerce électronique, par exemple, recèle aussi bien des opportunités que des menaces, et il faut prendre en compte aussi bien les unes que les autres. Le progrès technologique n'est pas forcément porteur de progrès social.

Le réseau mondial crée-t-il de nouvelles formes de domination ou est-il à l'inverse réducteur des inégalités ? Inéluctablement, il va dans un premier temps se creuser un écart entre ceux qui maîtriseront ces technologies et les autres. L'heure est donc plutôt à l'appropriation des techniques par les citoyens plutôt qu'à leur condamnation.

En deuxième lieu, les technologies nouvelles vont-elles changer la notion de pouvoir public ? Va-t-on, comme le pense Jacques Attali, vers la fin du politique, vers une société de non droit ? C'est sans doute vrai si l'on part de la vision libertaire qui était celle des précurseurs de ce réseau. Mais c'est sans doute une vision très réductrice. L'Internet est certes tiré par le commerce électronique mais il ne se résume pas aux échanges marchands. S'il a pu paraître défier le policier, le juge, le droit et l'État, le monde des réseaux n'est pas pour autant un espace évoluant hors du droit.

On doit enfin s'interroger sur les risques que fait peser l'Internet sur la protection de la vie privée, car la frontière avec la vie publique tend à s'estomper. En réalité, nous assistons à une transmission progressive du pouvoir de surveillance, dévolu hier encore entièrement à l'État, à un nombre croissant d'acteurs sociaux. Notre premier devoir de responsable politique est donc de faire preuve de vigilance, et d'inventer un mode de régulation démocratique de l'Internet, en France et à l'échelle européenne. Il faudra faire appel à la loi chaque fois que cela sera nécessaire, mais aussi à l'autorégulation chaque fois que cela sera possible.

Notre second devoir sera d'inventer un Internet citoyen. En effet, Internet ne se limite pas au commerce électronique, il existe une place pour un Internet citoyen, qui s'appuiera sur quatre concepts tous issus de notre histoire républicaine.

Démocratie

L'Internet est un formidable moyen de partage du pouvoir, d'expression libre et de diffusion large à faible coût. Le modèle des réseaux est radicalement opposé au modèle pyramidal qui a façonné notre conception des entreprises et des institutions publiques. L'Internet démocratique va donc changer notre relation au pouvoir.

Service public

L'Internet est peut-être aujourd'hui le meilleur levier qui soit pour la réforme de l'État que nous appelons de nos voeux dans notre pays.

Solidarité

L'histoire d'Internet porte en lui des valeurs historiques de solidarité et d'égalité qu'il ne faudra pas laisser tomber en déshérence.

Association

La culture de la coopération est également constitutive de l'histoire d'Internet.

Comment construire les relations entre les citoyens et les pouvoirs ? J'évoquerai moins l'idée de démocratie directe que l'idée de démocratie élaborative. La première serait une démocratie en temps réel, sans médiation. Je préfère pour ma part une démocratie élaborative qui complète la démocratie représentative, qui est la pierre angulaire de nos sociétés. Internet est un formidable outil de participation à l'élaboration de la loi. J'en veux pour preuve l'exemple de la consultation nationale lancée par le Gouvernement français pour l'élaboration de la loi sur la société de l'information, qui doit être présentée au Parlement en l'an 2000, et à laquelle vous pouvez participer sur le site www.internet.gouv.fr

Nous avons une conscience aiguë des risques concrets qu'il nous faut contourner pour qu'Internet soit demain un outil qui fasse réellement progresser la démocratie, notamment pour que ne se crée pas une nouvelle fracture, cette fois-ci numérique, qui diviserait nos concitoyens. Nous avons la conviction, pour notre part, que l'Internet sera dans les années qui viennent un formidable moyen de reconstruction de notre espace démocratique. »

XI. DÉBAT AVEC LA SALLE

Michel MENOU, City university of London

« Je suis frappé par l'absence du niveau Gouvernemental dans notre débat : nous avons évoqué à de multiples reprises les initiatives des ONG ou des parlements, mais jamais les initiatives Gouvernementales. »

Yves COCHET

« Le Gouvernement français a lancé un vaste programme dans trois directions : la démocratisation de l'accès à Internet ; la modernisation du fonctionnement de l'administration et de ses cinq millions de fonctionnaires ; la sécurisation des transactions, qu'il s'agisse de transactions commerciales ou de transactions entre particuliers (libéralisation du cryptage). De plus, le Gouvernement s'apprête à proposer dans quelques mois une loi sur la « société de l'information », visant à réguler l'Internet. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître le point de vue des parlementaires étrangers sur la possibilité qu'il y a à réguler Internet. »

De la salle

« L'essentiel des lois nouvelles est aujourd'hui d'origine Gouvernementale. L'informatisation, la gestion électronique de documents, devraient permettre de faire évoluer cet état défait. Le chantier qui est lancé dans l'administration autour du document électronique me semble à cet égard particulièrement essentiel.

Par ailleurs, je ne partage pas l'opinion d'Yves Cochet selon laquelle les nouvelles technologies ne modifient pas les rapports de pouvoir, comme si l'information n'avait aucune importance. S'il en était ainsi, pourquoi avoir mis fin à la culture du secret et à l'information élitiste ? »

Thomas ZITTEL

« L 'Internet est évidement un outil qui permet à ceux qui sont dépourvus de tout pouvoir de lutter pour en obtenir davantage. »

Andrew MILLER

« L'un des problèmes que rencontrent les parlementaires lorsqu'ils essaient de répondre aux questions soulevées lors de ce débat est le caractère dynamique de la question. Nous savons très bien légiférer dans un contexte statique, mais nous sommes en revanche beaucoup moins aptes à apporter des réponses dans un environnement changeant. Il est difficile de créer un modèle législatif qui fonctionne correctement dans ce cadre. En matière de télévision numérique, par exemple, aucune législation nationale ne pourra perdurer au-delà d'un délai de deux ou trois ans.

Les Représentants américains investissent chaque année 1 million de dollars pour adapter leur matériel bureautique, contre 60 000 dollars en Grande-Bretagne. Nous avons les nouvelles technologies que nous pouvons nous offrir... »

Jean-Marie LEBARON, Directeur du service de l'Informatique et des Technologies Nouvelles au Sénat

« Les deux problèmes essentiels que nous rencontrons dans le travail parlementaire sont le harcèlement dont les parlementaires font l'objet et l'éparpillement. Les nouvelles technologies vont-elles permettre aux parlementaires de retrouver du temps, de faire diminuer la pression due au harcèlement permanent ?

Par ailleurs, je souhaiterais savoir quels conseils les parlementaires étrangers pourraient nous donner, à nous Sénat français, pour favoriser la diffusion des nouvelles technologies dans notre institution. Par exemple, est-il opportun de créer une commission spécialisée ? »

Johnny GYLLING

« Je fais moi-même partie d'un comité parlementaire où nous essayons d'aider nos collègues à tirer le meilleur parti des nouvelles technologies, en fonction de leurs besoins. Quoi qu'il en soit, il ne faut désespérer de rien. Il y a vingt ans, les parlementaires suédois n'avaient ni bureau, ni téléphone. Il n'y avait dans l'enceinte du Parlement que deux cabines téléphoniques ! Aujourd'hui, tous les parlementaires disposent de multiples points d'entrée (téléphone, fax, e-mail...) et semblent redouter plus que tout de ne pas pouvoir être joints en permanence ! Je crois qu'il faut savoir résister à cette tendance : il n'est pas obligatoire d'être connecté en permanence pour effectuer du bon travail parlementaire. »

Didier MAUS

« Il est de la responsabilité des assemblées d'offrir à leurs parlementaires la panoplie des moyens de communication dont ils peuvent avoir besoin. Mais il revient à chacun d'eux de déterminer quel usage ils souhaitent faire de ces technologies. Et de ce point de vue, les parlementaires ne sont pas du tout différents d'autres milieux, comme l'administration ou les universitaires. Partout, on trouve trois populations distinctes : les enthousiastes, qui sont souvent les précurseurs ; les réticents ; les opposants déterminés à toute utilisation de l'informatique. Mais les premiers sont de plus en plus nombreux, et les derniers sont en voie de disparition. Je ne crois donc pas qu'il faille se formaliser d'un quelconque retard parlementaire en matière d'utilisation des nouvelles technologies. »

Patrice MARTIN-LALANDE, député du Loir et Cher

« Nous vivons dans une société où nous ne savons plus prendre du temps pour vérifier et recouper les informations, pour avoir une réflexion politique de long terme. Lorsqu'une annonce est faite en Conseil des ministres, des gens viennent nous voir dans nos permanences dès le lendemain pour nous demander pourquoi la mesure n'est pas encore mise en oeuvre ! Nous devons retrouver cette « hygiène de l'information » qui nous fait aujourd'hui défaut. »

Un député du Dorset (Grande-Bretagne)

« Mon parti et nombre de mes collègues ne cessent de me demander comment encourager l'utilisation de l'informatique et des nouvelles technologies, sans jamais se demander à quoi cela va leur servir ! Le fait d'être disponible à toute heure, grâce aux nouvelles technologies, ne me fait pas gagner du temps. Bien au contraire : nous sommes si disponibles et si accessibles que la pression devient presque insupportable. Nous ne sommes pas pour autant de bons parlementaires. Il faudrait sans doute s'interroger sur un moyen de donner aux parlementaires davantage de temps pour réfléchir. »

Guy CLERET, Secrétariat général du Gouvernement

« Madame Fladmark, vous avez évoqué une manifestation d'étudiants par voie électronique. Finalement, les parlementaires ne risquent-ils pas d'être soumis à la pression des groupes non pas les plus influents mais les mieux organisés ? »

Hélène FLADMARK

« J'ai cité un exemple où les étudiants ont été nombreux à participer à une action de protestation. Je crois au contraire que ce nouvel outil donne à un plus grand nombre la possibilité de s'exprimer. C'est donc à la fois un bien et un danger supplémentaire. Il est beaucoup plus facile d'envoyer un courrier électronique que d'écrire une lettre à son député. Les voix qui se font entendre par ce canal doivent être écoutées. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« J'ajoute que nous avons tous déjà eu affaire à des associations de consommateurs, par exemple, qui nous inondaient de courrier et de fax tous identiques. Ce comportement n'est donc pas une nouveauté. »

Jean-Guy JALIS, Journaliste

« Alors que les budgets ne sont pas indéfiniment extensibles, la course aux technologies nouvelles pourra-t-elle se prolonger longtemps ? Par ailleurs, alors que les parlements s'essaient à la publication directe sur le web de leurs travaux et tentent de s'affranchir des médias traditionnels, n'est-on pas tenté de se passer purement et simplement des organes de presse ? »

Jos VAN GENNIP

« Je ne crois pas que la stigmatisation des médias soit un grand risque. La presse doit s'adapter à un monde où l'écrit perd de son importance. Il ne s'agit pas, dans notre esprit, de nous substituer à la presse ou de lui refuser de jouer tout rôle, mais d'apporter des compléments que la presse ne fournit pas. Le danger me paraît résider au contraire dans une surabondance d'informations chaotiques, qui ferait que les citoyens se détourneraient complètement de la vie politique. C'est un peu la même chose dans le monde diplomatique : nous quittons l'ère des dépêches et des secrets d'antichambre pour entrer dans une ère de transparence. Pour autant, la fonction de diplomate ne va pas disparaître.

Par ailleurs, je ne crois pas non plus, contrairement à M. Cochet, que l'on puisse dire qu'Internet ne change rien. Bien entendu, je ne suis pas en mesure de prévoir quelle direction prendra le changement, ni quelles seront les conséquences concrètes de cette évolution. Mais le changement va s'effectuer, cela j'en suis absolument persuadé. »

Thomas ZITTEL

« Il est évident que l'espace public s'est pluralisé du fait de l'irruption d'Internet. Mais avec cette pluralité, l'information ne devient pas plus exacte. Internet reste une technologie pleine d'ambiguïtés : jamais autant de rumeurs fantaisistes n'ont circulé que depuis l'avènement de ce nouvel outil. Ainsi, des centaines de milliers d'internautes américains ont cru la rumeur qui voulait que le droit de vote des Noirs soit aboli, et qui n'avait évidemment aucun fondement ! »

Jos VAN GENNIP

« Je ne dis pas qu'Internet nous donne un tableau plus objectif ou plus complet de la situation du monde qui nous entoure. Mais il nous permet de recouper nos informations et défaire des recherches en temps réel. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« Il est clair que les technologies nouvelles nous permettent de mobiliser à distance des expertises dont nous ne connaissions même pas l'existence auparavant, de recouper l'information fournie par le Gouvernement avec d'autres sources, de faire des comparaisons internationales afin d'analyser de manière plus pertinente l'action Gouvernementale, etc. J'ai moi-même ouvert un forum électronique consacré au budget de la Culture : malgré le faible nombre de participants, je suis satisfait de l'avoir fait car cela m'a permis de faire remonter des informations, ainsi que des points de vue autres que ceux des acteurs habituels de ce genre d'exercice. »

Pierre CHAMBAT, IRIS, Paris IX Dauphine

« Des questions très intéressantes ont été soulevées au cours de cette journée. Mais force est de constater que les réponses ne sont pas à la hauteur des questions soulevées. Nous avons pu prendre connaissance d'expériences très disparates, dont il est difficile de tirer des conclusions générales. Ainsi, Madame Fladmark nous a dit qu'elle n'était pas représentative des parlementaires de son pays et qu'elle constituait un cas à part. Thomas Zittel a apporté de son côté une approche sociologique de l'usage du web au Congrès américain. Des choses très intéressantes, donc, mais disparates. Pourtant, la France n'est-elle pas en train de prendre un retard important dans la recherche universitaire et scientifique sur les nouvelles technologies ? N'est-il pas temps de mettre en place en France un observatoire des usages, à l'instar du rôle que tenait le CNET de France Télécom il y a quelques années ? »

Hélène FLADMARK

« Il faut se rendre compte que nous sommes aujourd'hui réunis pour discuter d'une question qui n'aurait même pas été posée il y a quatre ans ! Tout a été si vite ! Et peut-être dans trois ou quatre ans disposerons-nous des chercheurs et des compétences que vous appelez aujourd'hui de vos voeux. En Europe, de plus en plus d'élus utilisent les technologies de manière naturelle. Laissez du temps à la science. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« Outre les contraintes budgétaires que vous connaissez comme moi, il est difficile de demander à la recherche scientifique d'être très formalisée sur une matière qui est encore très récente. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain qu'il soit judicieux de concentrer la recherche dans un organisme unique, comme vous le suggérez. L'Internet est particulièrement adapté, me semble-t-il, à un travail scientifique en réseau. »

Thomas ZITTEL

« Je vais essayer moi aussi de défendre les chercheurs. Il ne faut pas être trop négatif. Avant de répondre à toutes les questions que nous avons soulevées, il nous faut tout d'abord définir des modèles qui permettent de réaliser des comparaisons efficaces. Pour ma part, je suis persuadé que ces démarches, qui peuvent sembler un peu empiriques, permettront d'avancer dans l'avenir. »

Jean-Louis HERIN, Directeur du service de la séance du Sénat

« Je souhaitais évoquer un exemple d'intégration des Nouvelles Technologies de l'information et de la Communication dans le processus parlementaire : l'informatisation du dépôt des amendements. L'amendement est un élément essentiel du travail législatif. Or la liasse d'amendements était le seul élément qui manquait parmi ceux qui sont publiés sur Internet. Pour y remédier, nous avons d'abord mis à la disposition des parlementaires une boîte électronique, dans laquelle un Sénateur peut déposer un amendement, où qu'il se trouve en France ou à l'étranger. Bien entendu, nous avons mis en place un système d'identification qui permet d'écarter tout risque de piratage. Pour l'an 2000, nous allons mettre en ligne la liasse d'amendements, sous forme numérique. Tout cela peut sembler modeste, mais c'est pourtant essentiel : si nous arrivons à mettre en place la base de données relationnelle que nous projetons, n'importe quel citoyen pourra consulter notre site et voir où en est le processus d'élaboration de la loi, et cela contribuera grandement à la transparence du travail parlementaire. »

XII. CONCLUSION DES DÉBATS : M. DOMINIQUE WOLTON, CNRS

« M'étant penché sur les questions touchant à la communication depuis plus de vingt ans, j'ai eu l'occasion d'entendre la plupart des théories qui sont exprimées aujourd'hui sur Internet, à propos d'autres moyens de communication. Vous pardonnerez donc le peu d'enthousiasme dont je ferai montre à l'égard d'Internet.

Ce qui est important, c'est le désir du changement, pas les techniques qui permettent de changer. Ceux qui croient que les techniques vont tout modifier en seront donc pour leurs frais. Entre 1960 et 1985, une génération entière a cru que l'informatique de réseaux allait tout changer. Je ne veux pas dire que la technique n'a pas d'importance. Toutefois, depuis le début du siècle, qui a pourtant été marqué par l'arrivée d'un grand nombre de techniques de communication nouvelles qui se sont surajoutées les unes aux - autres, les déplacements physiques n'ont pas cessé d'augmenter.

Pour ce qui concerne le travail parlementaire, je vois quant à moi plusieurs évolutions positives. En politique comme ailleurs, il est toujours intéressant d'observer ce que font les gens, de manière empirique. C'est donc une bonne chose qu'une communauté professionnelle comme les parlementaires prenne la peine de faire ce travail. Par ailleurs, il est certain que les systèmes informatisés peuvent apporter davantage de rapidité dans le traitement de l'information, tout comme le courrier électronique et l'accès aux bases de données. Je trouve également positive la possibilité pour les parlementaires de pouvoir se passer de temps en temps des médias et de passer par une communication directe. Enfin, les nouvelles technologies permettent de relancer quelques questions fondamentales.

Mais je souhaite aussi lister, un peu ironiquement, sept petits problèmes. Tout d'abord, on ne cesse de dire que les systèmes informatisés permettent de rendre les processus plus transparents. C'est vrai, mais seulement jusqu'à ce qu'éclate la première crise. Dans la politique comme dans l'entreprise, il suffit qu'une rumeur circule pour que la spéculation redémarre, contre toute logique strictement informationnelle. Il en va de même dans le domaine scientifique : le fait de pouvoir accéder à toutes les bases de données du monde ne permettra jamais de faire la moindre découverte scientifique.

En deuxième lieu, nous devons gérer dans notre société un nombre toujours croissant d'informations. Le parlementaire, assailli de demandes de toutes natures, a besoin d'assistants capables de hiérarchiser les demandes et les informations. Ce n'est pas parce que l'on accède à beaucoup d'informations que l'on a davantage d'idées.

Troisièmement, on dit souvent que les nouvelles technologies permettent de se passer d'intermédiaires. Or la définition même d'une société démocratique est qu'elle fonctionne avec des intermédiaires, comme les parlementaires. Il serait donc illusoire de croire que l'on peut créer une société sans institutions intermédiaires ou sans archaïsmes.

Quatrièmement, il existe de par le monde quelque 3 milliards de téléspectateurs, alors que les internautes ne sont que quelques dizaines de millions. Même en Europe, il n'y a encore que 30 millions d'internautes, pour 370 millions d'habitants. A cet égard, le rôle de la radio ou de la télévision est largement sous-estimé, de par leur dimension collective, en particulier par rapport à l'Internet, qui est un média avant tout individuel. De ce point de vue, la radio et la télévision ne sont pas de vieux médias, mais sont au contraire d'une extrême modernité.

En cinquième lieu, si tout le monde s'exprime sur Internet, qui va écouter, qui va délibérer ? La force d'un Parlement est justement d'être un lieu de délibération. La démocratie directe est une illusion : la lenteur des institutions démocratiques représentatives est une des conditions de l'existence de la démocratie.

Sixièmement, il existe un déséquilibre croissant entre la masse d'information mise à la disposition du citoyen et son influence réelle sur la vie politique. Internet ne fait qu'accroître ce déséquilibre.

Enfin, l'inégalité d'accès à l'information est une réalité. On ne parle pas du coût de l'information. Le paradoxe du progrès technique est qu'il va probablement rendre l'information et la communication beaucoup plus chères que pendant les 150 dernières années, avec des moyens techniques moins performants. Les informations que nous achetons aujourd'hui pour 7 francs, le prix d'un quotidien, coûteront sans doute demain beaucoup plus cher, du fait de l'émergence d'un marché de la communication.

En conclusion, je l'ai déjà dit en introduction, ce qui importe, ce sont les utopies. Il est normal que Bill Gates nous dise que la technologie aboutira à la société de l'information. Les constructeurs automobiles nous disent aussi que leurs véhicules contribuent à créer une nouvelle société... Mais il est néfaste que les politiques se contentent de cela : la modernité n'est pas un projet de société, c'est un fait. Finalement, ce qui fait le génie des hommes politiques, c'est leur capacité de médiation. Je pense qu'il faut avoir une vision « archaïque et conservatrice » de la politique pour sauver l'essentiel de la politique, c'est-à-dire l'acceptation par le citoyen de déléguer à d'autres individus, en qui il a confiance, des décisions qui engagent son avenir. Enfin, je considère que la société de l'information et de la communication est un concept industriel, certainement pas un concept politique. Le fait que les politiques reprennent aujourd'hui le vocabulaire des industriels de l'information me semble particulièrement grave : c'est comme si les politiques du début du siècle s'étaient fixé pour but de construire une société de l'automobile ou de l'électricité ! Cela n'a évidemment aucun sens. Nous souffrons là d'un mal terrible, le modernisme, voire le jeunisme. Il nous revient d'expliquer aux jeunes, qui sont les moteurs du changement, qu'une société ne se construit pas avec des réseaux. »

DEUXIÈME PARTIE - SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION : UNE NOUVELLE RELATION AVEC LE CITOYEN

Cette partie est issue des travaux du vendredi 19 novembre 1999.

La matinée a été présidée par M. Patrick BLOCHE, député de Paris. Les débats ont été animés par M. Roland CAYROL du CEVIPOF.

L'après-midi a été présidée par M. Claude HURIET, questeur du Sénat. Les débats ont été animés par M. Thierry VEDEL, CEVIPOF, et conclus par M. Pascal PERRINEAU, Directeur du CEVIPOF.

NB : Les articles sont traduits de l'anglais, à l'exception de ceux de Mme Marina Villa et de M. Olivier de Mazières rédigés en français. Les interventions, débats avec la salle et conclusions sont issus du compte rendu analytique disponible sur le web : www.senat.fr/evenement/colloque.html ? interventions du 19 novembre.

INTRODUCTION DE M. CLAUDE HURIET, QUESTEUR DU SÉNAT

La démocratie électronique a pour objectif d'améliorer l'accès à l'information et sa circulation, de régénérer les modes de débats et de délibération.

Elle apparaît plus fondamentalement comme une tentative de redéfinition, via les technologies de l'information et de la communication, des rapports entre citoyens et institutions politiques.

Cette action ne se déroule pas dans un espace politique vierge mais autour des institutions de la démocratie représentative. Dans un tel cadre, les parlementaires ont évidemment un rôle à jouer, tant pour accompagner la diffusion de ces nouvelles pratiques que pour préserver les libertés publiques.

Les citoyens doivent être les principaux bénéficiaires de cette mutation qui permettra un accès plus aisé à une information plus riche. Les sites parlementaires offrent un bon exemple de cette évolution : ils autorisent l'accès aux travaux des assemblées et contribuent ainsi à une meilleure visibilité de leurs délibérations et de leurs missions de contrôle.

Les nouvelles technologies faciliteront également le développement de contacts électroniques entre les électeurs et leurs représentants avec l'utilisation de la messagerie, l'organisation de "cyberdébats" et le développement des consultations thématiques.

Elles deviendront incontournables, nous disposons déjà de nombreux exemples, en période de consultations électorales. En effet, elles sont d'ores et déjà un outil de communication politique en voie de banalisation, et des études sont en cours afin de déterminer les phases électorales au sein desquelles ces technologies pourraient être introduites. La question de leur usage pour l'expression du scrutin demeure la plus sensible.

Les contributions qui vont suivre illustrent comment les nouvelles technologies peuvent apporter leur contribution au bon fonctionnement des mécanismes de la démocratie et participer à leur évolution.

Néanmoins, notre réflexion ne doit pas se limiter à une simple appropriation technique de ces nouveaux outils, ni se dispenser d'une réflexion préalable sur leurs conséquences. Il me semble en particulier qu'un parallèle puisse être fait avec les progrès des sciences et des techniques dont les effets sur les droits fondamentaux des personnes ont suscité une abondante réflexion et l'émergence d'un nouveau référentiel : la bioéthique.

Le monde de l'Internet, en évolution constante, doit être l'objet d'une réflexion comparable tant les risques d'excès et les possibilités de dépassements des réglementations sont similaires, et porteurs d'effets indésirables pour des individus non protégés. La mise en oeuvre d'une "infoéthique" permettra de préserver cette liberté et d'offrir aux citoyens les nouveaux moyens d'expression et d'information permis par ce réseau des réseaux qu'est Internet. Cette réflexion indispensable, s'inscrit en partie dans le cadre de la régulation d'Internet, qui fait l'objet d'une mission confiée à un parlementaire, M. Christian Paul, député, mais qui concerne également les autorités administratives indépendantes telles que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, l'Autorité de Régulation des Télécommunications et la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, avant de faire l'objet d'un volet législatif.

PREMIÈRE SOUS-PARTIE - CAMPAGNE ÉLECTORALE ET ÉLECTIONS ÉLECTRONIQUES

I. ARTICLE DE MME MARINA VILLA, UNIVERSITÉ DE MILAN

En Italie, les partis politiques considèrent Internet comme un signe de modernité, un symbole de leur statut et de leur dynamisme, davantage que comme un moyen d'interaction avec leurs électeurs. C'est seulement lors des élections européennes, en 1999, qu'Internet a fait l'objet d'une utilisation plus constante. Les partis ont consacré davantage de moyens financiers et techniques pour développer la communication en ligne. Pour la campagne des élections européennes, tous les partis disposaient d'un site et ont mis des pages à la disposition des différents candidats pour leur propagande personnelle.

A. QUELLES SONT LES FONCTIONS DE LA COMMUNICATION ÉLECTORALE PAR INTERNET ?

La première fonction est le networking, c'est-à-dire le fait d'utiliser Internet pour créer des liens entre les militants, les différents organes du parti, et présenter aux citoyens la structure et l'activité de l'organisation. Tous les sites comportent ainsi des pages dédiées aux militants et aux responsables, susceptibles de délivrer une information sur les activités du parti. Tous les partis italiens reproduisent une structure ramifiée, avec des cellules locales et des responsables régionaux. Cela pose des problèmes spécifiques, que l'Internet permet de résoudre plus facilement.

Le site de Forza Italia, www.forza-italia.it , propose par exemple un test qui permet aux militants de tester leurs connaissances sur l'activité ou le programme du parti. On trouve aussi des comptes rendus d'ouvrages qui font l'apologie du libéralisme, de nombreuses informations sur Silvio Berlusconi, etc. Lors des élections européennes, c'est le seul site à avoir intégralement repris les contenus publicitaires élaborés pour les médias traditionnels.

Le site des démocrates de gauche, www.democraticiperlulivo.it , reprenait quant à lui les étapes du tour d'Italie réalisé par les leaders du mouvement avant les élections. C'est un bon exemple d'Internet comme amplificateur de ce qui se passait pendant la campagne sur le terrain.

Le deuxième rôle d'Internet consiste à informer et à délivrer une information plus pédagogique. Beaucoup de sites offrent leur propre dossier de presse et des liens vers une sélection d'articles de presse, voire des bulletins d'information. Les partis peuvent ainsi délivrer leur propre message, sans avoir besoin des médiateurs que sont les journalistes et la presse. Certains partis, comme la Ligue lombarde ou Forza Italia, donnent même sur leur site des références d'ouvrages susceptibles de contribuer à une meilleure compréhension ou à une plus grande diffusion de leurs idées.

Par ailleurs, la plupart des sites proposaient en téléchargement les matériaux électoraux qui étaient disponibles. Certains utilisaient également leur site pour expliquer aux militants les règles de financement des campagnes électorales, qui sont assez complexes en Italie. Forza Italia avait même mis en ligne, avant les élections, un guide du candidat, destiné à susciter les vocations.

La troisième fonction d'Internet dans le domaine électoral est l'interaction avec les citoyens. Tous les partis ont mis en place des forums, invitent les internautes à leur écrire ou à participer à leurs activités. Certains proposent même des formulaires d'inscription en ligne. Les Radicaux sont, parmi les partis italiens, ceux qui ont le plus développé cette fonction.

Typologie des sites de candidats

Le premier type de site est le site "affiche", qui reprend exactement les affiches du parti, avec le visage du candidat, parfois même sans se donner la peine de donner quelques indications sur son programme ou sur sa biographie. Le site amplificateur reprend la campagne du parti ou du candidat. Le site service reprend des informations sur le Parlement européen, le mode de scrutin, etc. Le site interactif, conçu comme un lieu de rencontre et de débat entre citoyens, utilise toutes les possibilités d'Internet.

Le temps me faisant défaut, je vous renvoie à mon article dans lequel vous trouverez mes commentaires sur des interviews de leaders politiques, comme Emma Bonino, qui ont permis pour la première fois aux citoyens de pouvoir poser des questions en temps réel. Là encore, les candidats n'ont pas su utiliser en profondeur l'interactivité de cet outil. Dans le cas d'Emma Bonino, elle a fait une sorte de discours radiophonique, comme elle le fait pour Radio Radicale, alors que Fausto Bertinotti s'est comporté comme à la télévision (en bougeant beaucoup notamment, ce qui est très gênant pour les webcams).

B. LES CONFÉRENCE ON LINE EN PÉRIODE ÉLECTORALE

L'interview on-line faite à Emma Bonino et à Fausto Bertinotti (le chef du parti Rifondazione comunista), par Diotima, "une communauté on-line i ndépendante" Née en 1999 en s'occupant, au début surtout, de sujets politiques; cette communauté "se propose de rapprocher citoyens et politiques grâce à des rencontres, débats et interviews on-line. Le coeur de Diotima est son salon, où les discussions s'enflamment, les opinions se confrontent et la politique s'anime, où tous ont l'occasion de faire entendre leur voix..." ( www.diotima.it ) 1 ( * ) .

Il s'agit, en effet, d'une des premières expérimentations d'interview on-line de ce genre, et en particulier pendant la campagne électorale, qui méritait une analyse spécifique.

L'interview était faite par les internautes, avec des questions envoyées par mail soit avant, soit pendant l'événement et lues par un présentateur. Le candidat et le présentateur étaient repris par une webcam au moment de l'interview et l'image était visible sur l'écran en temps réel.

Les interviews étaient annoncées plusieurs jours à l'avance, avec des bannières publicitaires, et les internautes pouvaient envoyer des questions et s'inscrire pour avoir la priorité au moment de se connecter au site.

Ces web-conférences très particulières devaient présenter trois personnes en trois jours différents, mais le troisième personnage politique invité, le leader du parti d'Alleanza Nazionale Gianfranco Fini, a refusé au dernier moment, juste au moment de l'interview 2 ( * ) .

Ce fait, avec la difficulté que les organisateurs ont eu à continuer cette expérience, démontre la méfiance et le peu de considération que beaucoup d'hommes politiques ont à l'égard de ce moyen de communication quand il est utilisé d'une façon différente de la simple ressource-vitrine et surtout sans avoir un retour immédiat en termes de visibilité.

Les sujets de la recherche sont d'un coté les stratégies et les contenus de communication politique du candidat et de l'autre les formes de l'interaction avec les internautes 3 ( * ) .

Pour le premier point, que je vais traiter d'une façon spécifique, on a donc étudié le discours politique et les stratégies de communication, pour observer la spécificité du discours électoral on-line et les différences avec les médias traditionnels.

En synthèse, à propos de la spécificité de la communication politique on-line, soit dans l'interview d'Emma Bonino, soit dans celle de Bertinotti, on a relevé que le style et les modes du discours n'étaient pas différents par rapport à la propagande électorale faite sur les autres médias. Et les deux candidats, plus ou moins conscients de la spécificité du moyen, n'ont pas su l'utiliser dans toutes ses potentialités : en particulier, ils ont repris en cette occasion aussi les contenus et les styles du débat radiotélévisé et radiophonique. Enfin, leurs réponses n'utilisaient presque pas les modes du dialogue confidentiel ou de l'échange d'opinion qu'Internet et cette forme d'interview auraient permis, mais plutôt celui du discours persuasif de campagne, sous la forme de l'appel au vote, ou bien de l'échange avec un opinioniste.

D'après notre analyse, les particularités et les avantages de l'interview on-line en période électorale semblent être :

- une personnalisation majeure, du point de vue des contenus et du style : le candidat peut parler de soi et aussi utiliser un mode de communication plus personnel.

- Un rapport plus étroit avec l'électeur : le candidat peut s'adresser directement aux internautes, souligner leur compétences et leur responsabilité, utiliser un ton plus confidentiel.

- Une connaissance des exigences des électeurs : même si de portée limitée, il s'agit d'une occasion pour tester les humeurs et les réactions à ses propres propositions et sur les thèmes de campagne les plus importants pour le candidat.

- Une occasion pour améliorer son image, en se montrant à l'écoute et "moderne".

- La médiation du journaliste est moins importante et peut être supprimée, vu que le candidat répond directement aux questions des électeurs.

- Le candidat a plus de place et plus de temps pour s'exprimer, car le présentateur pose les questions et généralement n'interrompt pas la réponse.

Mais quelles sont les limites, ou aussi les risques, de ce genre d'intervention?

- Le risque de ne pas utiliser les potentialités du moyen et de transformer l'interview on-line dans un discours de meeting électoral ou un appel au vote, qui reprend les contenus de la campagne publicitaire et utilise les questions des électeurs pour traiter des contenus très idéologiques.

- Le risque d'établir une relation verticale, linéaire et à une seule direction qui ressemble à celle des médias traditionnels, tandis que le net requiert plutôt une communication horizontale et réticulaire, souvent récursive.

- Le risque d'oublier l'importance de la dimension visuelle (effet radio).

- Le rôle du médiateur et de la rédaction n'est pas bien défini : il devrait être presque transparent, mais il gagne une forte importance pour la capacité de filtrer les questions et de les poser dans un ordre défini, en les résumant et les replaçant dans un contexte particulier.

- La présence du médiateur risque aussi de distraire le candidat qui ne s'adresse pas directement aux navigants, qu'il ne voit pas, mais à la personne qui lui lit les questions.

L'interview d'Emma Bonino peut bien montrer ces avantages et ces risques.

Avant tout, Emma Bonino dans son interview passe du mode expressif du discours dans le meeting/appel au vote à celui de l'interview radiophonique, tandis que Bertinotti a utilisé plutôt les formes d'expression du talk-show télévisé et de l'interview avec un journaliste.

L'intervention de Emma Bonino peut bien montrer les ambiguïtés que l'on vient de souligner : Bonino a bien compris qu'elle doit s'adresser surtout aux internautes et elle parle directement avec eux, en regardant très souvent dans la webcam, mais le langage verbal, c'est à dire le ton, les argumentations, le registre émotif et aussi les contenus de son discours montrent qu'elle utilise le mode et les stratégies de l'appel aux militants, qui veut surtout mobiliser et qui fait référence aux thèmes typiques des batailles radicales et présuppose des horizons politiques et de valeur communs. En effet, Bonino propose des arguments orientés idéologiquement et des contenus déjà utilisés en campagne, parfois avec les mêmes slogans de la communication publicitaire : "Les États-Unis d'Europe", "Une seule politique étrangère au lieu de quinze". Par exemple, dans son intervention elle insiste sur la nécessité d'avoir une présence radicale au parlement, sur son engagement passé dans le parti, et utilise beaucoup de son temps pour justifier la campagne médiatique constante et coûteuse de sa liste (un thème assez chaud pour les militants, vu que le parti risquait de devoir vendre sa radio, très connue et aimée par les radicaux, pour financier la campagne).

Enfin, dans son discours, Bonino fait aussi beaucoup d'appels directs au vote: "Si vous ne votez pas pour moi, je ne serai renommée commissaire... donc cela dépend de vous", "Je suis entre vos mains"; ces appels ne sont pas adressés à un "tu", au navigant qui a posé la question à laquelle elle est en train de répondre, mais à un "vous", c'est-à-dire à un public vaste comme celui des meetings de campagne ou bien des médias.

Ce qui est intéressant, en tout cas, c'est que parfois Emma Bonino sait retrouver le mode du discours direct et individuel avec le navigant qui a envoyé l'e-mail (surtout quand la question est très personnelle) : elle montre qu'elle apprécie la question et traite avant tout le sujet proposé par le public, en valorisant ses interlocuteurs. En effet, elle souligne assez souvent leur pouvoir ("C'est vous qui aurez le bulletin de vote") et aussi leur savoir ("Comme vous le rappelez..."; "tu sais que...").

En ce cas, pourtant, le registre et les tons semblent plus propres au discours radiophonique qu'à la communication par Internet : elle définit, en effet, les internautes comme des gens "à l'écoute" et utilise surtout le langage oral; vu que les thèmes restent toujours identifiables avec le discours des radicaux, on dirait qu'il s'agit de Radio Radicale.

Certaines questions portent sur la personne d'Emma Bonino, et là aussi elle répond en soulignant sa fiabilité, sa compétence, le travail qu'elle a fait en Europe, donc elle se met complètement dans le rôle de candidat que demande un vote.

"Je crois que mon histoire, mon nom et mon travail en Europe renvoient plus directement au genre d'Europe que nous voulons".

En parlant à la deuxième personne du pluriel, Bonino s'identifie parfaitement avec son parti, et également quand elle parle de son activité. Donc la personnalisation de ses réponses, qui la mettent toujours en cause directement, est neutralisée par cette référence continue à son appartenance politique.

II. ARTICLE DE M. OLIVIER DE MAZIÈRES, BUREAU DES ÉLECTIONS, MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

L'adaptation du processus électoral et démocratique au
développement des nouvelles technologies de l'information
et de la communication

Les sociétés développées vivent aujourd'hui une mutation d'une ampleur au moins équivalente à celle qui a vu le passage d'une économie agraire à une production industrielle. L'émergence d'une « société de l'information », portée par les innovations technologiques, se traduit ainsi par une transformation des modes d'action dans tous les domaines, y compris en matières politique et administrative. Comme dans d'autres pays, l'administration française cherche à intégrer ces évolutions, afin d'améliorer la qualité des services rendus aux citoyens et de réduire les coûts supportés par les contribuables. Le processus électoral n'échappe pas à ces efforts. Sa position particulière, au coeur du fonctionnement démocratique de notre pays, conduit toutefois à lui réserver un traitement différent de celui des autres modes d'action publique. Le principal défi qui s'offre à nous est d'accroître l'efficacité du dispositif actuel, tout en préservant sa transparence aux yeux des électeurs.

A. LE PROCESSUS ÉLECTORAL ET SES LIMITES

Le processus électoral ne se limite pas à l'organisation de bureaux de vote dans lesquels les citoyens se rendent pour désigner leurs représentants, pour une période précise et suivant un mode de scrutin donné. Cet aspect est la partie la plus spectaculaire du processus, mais elle est loin d'en épuiser le contenu.

Considéré dans une acception plus large, le processus électoral peut se définir comme l'enchaînement d'opérations administratives et de faits politiques permettant aux électeurs de désigner leurs représentants. La distinction qui s'opère entre les opérations administratives et les faits politiques n'est rien d'autre que la différence entre ce que décide l'autorité publique et ce qui s'impose à elle.

Cet enchaînement d'opérations et de faits se déroule en 4 étapes principales, chacune d'entre elles requérant, suivant des modalités diverses, l'utilisation de nouvelles technologies. Je distinguerai ainsi :

a) la préparation administrative du scrutin

b) les conditions du débat démocratique

c) l'expression du vote

d) la centralisation et la publicité des résultats.

a) La préparation administrative du scrutin

Elle débute cinq à six mois avant le jour du vote et relève des services de l'État. Concrètement, plusieurs circulaires sont rédigées par le bureau des élections du ministère de l'intérieur, avant d'être adressées aux préfets des départements, ainsi qu'aux 36.000 maires de France, ces derniers étant alors sollicités comme agents de l'État. Le contenu de ces documents varie selon le scrutin considéré et les normes applicables, mais leur structure est toujours semblable, en ce qu'elles traitent des modalités de dépôt et d'enregistrement des candidatures, de la propagande électorale, des opérations de vote proprement dites, du recensement et de la centralisation des résultats, des moyens de recours et des dispositions relatives au remboursement par l'État d'une partie des dépenses des candidats.

Ces opérations relèvent conjointement des préfets et des maires. Ainsi, la mise sous pli de la propagande électorale (professions de foi et bulletins des candidats) est le plus souvent assurée par les agents des préfectures. Les préfets concourent également au processus électoral par la délimitation annuelle du périmètre des bureaux de vote, tandis que leurs représentants participent, conjointement avec ceux des maires, à l'établissement des listes électorales.

L'organisation administrative du scrutin fait intervenir d'autres services de l'État : le ministère des affaires étrangères, pour le vote des Français résidant à l'étranger, la Police nationale pour l'établissement des formulaires de vote par procuration, la direction de la Gendarmerie nationale, chargée d'acheminer en préfecture les procès-verbaux de vote des communes rurales, les services de La Poste pour l'expédition de la propagande électorale, l'INSEE pour ce qui concerne la mise à jour des listes électorales et enfin les magistrats des ordres judiciaire et administratif, dont la jurisprudence se trouve intégrée dans les circulaires et dont les représentants président les commissions de propagande 1 ( * ) et les commissions de contrôle des opérations de vote propres aux communes de plus de 20.000 habitants 2 ( * ) . On ne saurait enfin oublier le rôle du ministère des finances, à travers le remboursement des frais de propagande 1 ( * ) , non plus que celui de la commission de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques.

Au total, la préparation du scrutin est une opération fortement étatisée et centralisée. L'effectif important du bureau des élections du ministère de l'intérieur (21 agents, auxquels s'ajoutent les 8 personnes chargées de superviser l'application informatique permettant de centraliser les résultats électoraux), ainsi que la fréquence de ses contacts avec les préfets et les maires le démontre amplement. C'est encore plus vrai lorsque le scrutin se déroule dans une circonscription nationale (européennes, présidentielles et référendums). Cet état de fait peut être regardé comme légitime, tant on se trouve ici au coeur de l'activité régalienne de l'État, qui garantit a priori la neutralité du scrutin et l'égalité de traitement entre les candidats.

La centralisation et l'étatisation du processus électoral ne résultent pas seulement de ces considérations, mais elles traduisent aussi un retard manifeste dans l'adaptation de l'action publique aux nouvelles technologies. Ceci est manifeste pour certaines opérations comme la délimitation du périmètre des bureaux de vote, l'élaboration des listes électorales, la diffusion des circulaires du ministère de l'intérieur, ainsi que les modalités de mise sous pli et d'expédition de la propagande.

b) Les conditions du débat démocratique

Le processus électoral ne se limite pas à des opérations administratives et la maturité du corps électoral dépend de sa capacité à ne pas se déterminer seulement en fonction de l'expérience personnelle de ses membres, mais aussi à travers l'écoute des candidats et la confrontation de leurs opinions. En cette matière, la situation de la France se caractérise par un cadre juridique restrictif mais incomplet. La liberté démocratique fondamentale, qui veut que l'expression des opinions politiques ne puisse être restreinte, est paradoxalement entravée par ce cadre juridique, au nom précisément de l'égalité de traitement entre les candidats.

La propagande écrite ne peut être diffusée qu'au travers de supports et selon des moyens limitativement énumérés par la loi. Ainsi, pendant les trois mois qui précèdent le 1 er jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du jour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection est interdit, en dehors de panneaux prévus à cet effet et situés à l'entrée des bureaux de vote. Chacun de ces panneaux ne peut en outre contenir plus de deux affiches électorales 2 ( * ) , auxquelles peuvent s'ajouter deux petites affiches 3 ( * ) relatives à la tenue de réunions électorales. De surcroît, aucune affiche électorale ne peut être apposée dans les jours qui précèdent immédiatement chaque tour de scrutin. Enfin, chaque candidat ne peut faire envoyer aux électeurs avant chaque tour qu'une profession de foi et un bulletin de vote. Aucune propagande écrite n'est possible hors de ce cadre.

La propagande audiovisuelle obéit à une logique différente. Il ne s'agit plus d'assurer l'égalité de tous les candidats mais seulement de ceux qui sont investis par des groupes représentés au Parlement. Ces derniers bénéficient, avant les scrutins législatifs et européens, d'une durée d'émission à se répartir entre eux (3 heures dans le cas des législatives, 2 heures 30 pour les européennes), tandis que les autres candidats se voient attribuer, respectivement, 7 ou 30 minutes d'antenne. L'égalité des chances entre candidats, qui peut justifier l'encadrement de la propagande écrite, ne peut donc être évoquée en matière audiovisuelle.

Plus généralement, pendant les trois mois qui précèdent le 1 er jour du mois d'une élection, toute publicité commerciale par voie de presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle à des fins électorales est prohibée. Est également interdite la promotion publicitaire des réalisations d'une collectivité dans les six mois qui précèdent un scrutin sur son territoire. Enfin, aucun numéro d'appel téléphonique ou télématique gratuit au profit d'un candidat ne peut être porté à la connaissance du public moins de trois mois avant l'élection.

Il faut insister sur le régime actuel de la propagande électorale pour souligner son caractère contraignant, peu cohérent et globalement inadapté aux conditions d'exercice du débat démocratique. L'obsolescence de ce régime se manifeste par le faible intérêt que suscite la propagande traditionnelle, chez les électeurs (faible audience des émissions télévisées) comme chez les candidats (fréquence du nombre de panneaux électoraux laissés vides lors de la récente élection européenne). L'utilisation de l'Internet, à travers l'exploitation de sites, l'ouverture de forums de discussion ou l'échange de courriers électroniques, contribuent à accélérer ce déclin. Elle favorisera en outre une interactivité entre citoyens et politiques conduisant, in fine, à une mobilisation accrue des électeurs. Le dernier scrutin européen a déjà laissé entrevoir le bouleversement en cours des modes de la communication politique.

Du point de vue électoral, cependant, la révolution en cours repose moins sur l'émergence de nouveaux supports de communication, que sur l'impossibilité pour l'État d'en contrôler l'utilisation par des interdictions juridiques. Contrairement à l'organisation administrative des scrutins, pour lesquelles un recours maîtrisé aux nouvelles technologies est possible, on se trouve confronté ici à un fait politique, qui s'impose à l'État.

c) L'expression du vote

Par-delà sa signification politique, le moment du vote relève d'une réglementation administrative, dont le contenu peut paraître bien désuet. Le déplacement jusqu'au bureau de vote, le recours à des bulletins imprimés au nom de chaque candidat, la distribution aux électeurs de cartes nominatives, l'usage d'isoloirs et d'enveloppes de scrutin, le contrôle d'identité opéré sur la base de listes électorales qui peuvent être modifiées entre deux tours, la nécessité d'émarger ces listes en face de son nom, ainsi que les modalités du dépouillement, détaillées par l'article L.65 du code électoral 1 ( * ) sont autant de pratiques quasi séculaires. À quelques nuances près, on vote en effet aujourd'hui de la même manière que sous la IIIe République.

Mais la question des nouvelles technologies se pose ici en des termes différents des étapes précédentes. Peu sollicités pour améliorer l'organisation du vote ou encadrer le développement de nouvelles techniques, les pouvoirs publics sont plutôt sommés de se prononcer pour ou contre une innovation radicale et souvent idéalisée : la « machine à voter ». L'éventuelle expérimentation de cette technique fait l'objet d'une étude en cours de l'Inspection générale de l'administration.

La question du vote électronique n'épuise toutefois pas les réflexions sur la manière de voter. Il est en effet souhaitable et possible d'améliorer par ailleurs l'acte matériel qu'est le vote. On doit en effet avoir conscience que le formalisme et le caractère pérenne du processus actuel révèlent sa crédibilité comme mode d'expression de la démocratie et son acceptation par les citoyens. Le contenu hautement symbolique de ce moment civique doit ainsi conduire à être prudent lorsqu'on envisage de le modifier par l'introduction d'une nouvelle procédure.

d) La centralisation et la publicité des résultats

C'est le moment du processus électoral où les nouvelles technologies sont les plus utilisées. Dès l'achèvement du dépouillement, les procès-verbaux issus de chaque bureau sont transmis à la préfecture du département après avoir transité, dans les communes importantes, par un bureau centralisateur. Jusqu'au scrutin européen de juin dernier, les services préfectoraux procédaient à l'agrégation de ces résultats pour l'ensemble du département, avant de transmettre ces données à la presse et aux services centraux du ministère, lesquels procédaient à une agrégation au plan national, puis rendaient publics les résultats pour tout le pays.

À l'occasion du scrutin européen, un nouveau dispositif informatique destiné à améliorer la collecte des résultats a été mis en place. Désormais, les préfectures saisissent, sur support informatique, les résultats pour chaque bureau de vote du département. Ces données sont transmises à la base centrale du ministère à mesure de leur saisie et c'est le système informatique central qui procède, en temps réel, aux différentes agrégations nécessaires à la communication des résultats. Pour ce faire, le découpage des départements en bureaux de vote est enregistré dans la base informatique préalablement au scrutin. Les préfectures n'ont donc, au cours de la soirée électorale, qu'à renseigner les lignes qui s'affichent sur l'écran de saisie.

Il est en outre possible de consulter, en soirée et ultérieurement, les résultats du scrutin. Chaque donnée saisie est en effet automatiquement enregistrée dans la base centrale, à laquelle ont accès les utilisateurs habilités, y compris les représentants de la presse. Cette fonction de consultation permet de connaître le taux de participation et les résultats du scrutin pour chaque niveau de découpage (bureaux de vote, communes, cantons, circonscriptions législatives, département). Les résultats apparaissent par nom de candidat ou clivage et peuvent s'afficher sous la forme de tableaux chiffrés ou d'histogrammes. Il est également possible de formuler des demandes spécifiques, comme les résultats relatifs à une entité géographique précise ou ceux des communes situées dans une strate de population donnée. L'ensemble des tableaux et histogrammes peut enfin être édité.

Cette innovation poursuit un objectif politique, qui est de redonner au ministère de l'intérieur une place prédominante dans la communication des résultats électoraux. Jusqu'alors, les journalistes départementaux étaient informés des résultats locaux en même temps, voire plus tôt que l'administration centrale. Les rédactions nationales pouvaient ainsi mobiliser leurs réseaux pour procéder au même travail d'agrégation que le ministère et disposer en même temps que lui, voire avant, des résultats nationaux. Le nouveau dispositif automatisé permet au ministère de communiquer les résultats avant quiconque. L'interface graphique et la possibilité d'interroger la base à partir de critères multiples (résultats dans une commune ou un canton spécifique, pour une strate de population, une personnalité ou une tendance politique donnée) permettent en outre d'offrir au public un outil d'information sans équivalent dans le pays. L'objectif poursuivi à terme est de rendre ces informations accessibles à tous sur l'Internet.

Le nouvel outil a en outre permis de réaliser une opération d'estimation dès la fermeture des bureaux de vote. Chaque préfecture a sélectionné, avant le scrutin, trois bureaux de vote « test » particulièrement représentatifs de la manière de voter dans son département, tant du point de vue de la participation que de la répartition des voix. Dès l'achèvement du dépouillement, les résultats de ces bureaux ont été acheminés en priorité vers les préfectures puis saisis dans la base informatique. L'agrégation immédiate de ces résultats et l'application de coefficients correcteurs prédéterminés ont permis de fournir, moins d'une heure après la clôture de tous les bureaux de vote, une estimation du vote pour toute la métropole, qui s'est avérée très proche du résultat final et bien plus fiable que les sondages réalisés par divers instituts à la sortie des bureaux.

La rencontre des nouvelles technologies et du processus électoral se pose donc dans des termes radicalement différents suivant le moment du processus auquel on se situe. Elle est déjà bien engagée en matière de centralisation et de publicité des résultats, où elle s'opère sous l'impulsion des pouvoirs publics. Elle reste limitée mais dotée d'un fort potentiel de croissance en matière de propagande électorale, mais il s'impose alors à l'État et soulève la question de son contrôle. Il est en revanche quasi inexistant pour ce qui concerne la préparation administrative du scrutin et l'expression du vote, exigeant une intervention rapide dans le premier cas, une plus grande prudence dans le second.

B. COMMENT ACCROÎTRE LE RECOURS AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES EN MATIÈRE ÉLECTORALE ?

Les propositions qui seront développées dans cette seconde partie s'appuient notamment sur les conclusions d'une étude récemment menée en Finlande, pour le compte du ministère de l'intérieur, un des tous premiers pays pour ce qui concerne les nouvelles technologies. Sans méconnaître les particularismes propres à la France, une compréhension des pratiques étrangères est en effet un préalable nécessaire au développement de ces outils.

1. La préparation administrative du scrutin

L'omniprésence de l'État à ce stade se justifiait par le passé, alors qu'elle était l'unique moyen de garantir l'égalité entre les candidats. Elle est désormais dépassée, alors même que les nouvelles technologies permettent d'inaugurer des modes d'action publique plus dynamiques, moins coûteux et, à maints égards, plus efficaces.

L'une des premières faiblesses du processus électoral à ce stade réside dans les conditions de révision des listes électorales. En l'état actuel, une liste doit être dressée, pour chaque bureau, par une commission composée de représentants du préfet, du maire et du président du tribunal de grande instance. Plus de 63.000 listes sont ainsi révisées chaque année, à partir de données nominatives transmises à l'INSEE par chaque commune, actualisées au niveau national pour contrôler les cas de double inscription et les radiations consécutives à une condamnation pénale (en liaison avec les services du casier judiciaire), puis retournées aux communes. Ses échanges s'opèrent sur des supports papier. Les informations reçues servent de base à la révision des listes, au même titre que les demandes d'inscription déposées en mairie, avant le 31 décembre de l'année précédente, par les électeurs concernés 1 ( * ) . Les listes étant définitivement arrêtées à la fin du mois de février, les commissions disposent donc de deux mois pour procéder aux inscriptions et radiations nécessaires. Dans ce délai, les éventuels désaccords donnent lieu à des échanges d'information avec l'INSEE, voire à des recours contentieux devant le juge d'instance.

Ce dispositif est en pratique complexe (notamment par le fait qu'il donne lieu à des communications multiples entre au moins quatre autorités publiques), coûteux pour l'État 2 ( * ) et d'une fiabilité douteuse, si l'on en juge par la masse de contentieux, parfois très médiatisés, qu'il génère. Il fait en outre intervenir un institut statistique qui est assujetti par ailleurs à des missions multiples, sans rapport direct avec la pratique électorale. Il paraît donc urgent de rechercher un nouveau mode de recensement des électeurs, propre à garantir un meilleur respect des règles relatives à la capacité électorale et à l'éligibilité des personnes.

Les nouvelles technologies rendent aujourd'hui possible la création d'un registre national des électeurs, à l'exemple de ce qui se pratique au Canada ou en Finlande. Ce registre pourrait être confié à une agence indépendante dont le conseil de surveillance serait composé de représentants des principales tendances politiques et qui aurait pour mission d'établir, sous support informatique, la liste des électeurs. Le registre serait continûment actualisé, à partir des données transmises par les communes. Chaque citoyen conserverait ainsi la liberté de voter dans la commune de son choix, dans les limites prévues par le code électoral, à condition de faire connaître ce choix aux municipalités concernées, qui informeraient l'agence nationale, laquelle aurait compétence pour instruire les cas de doubles inscriptions.

Un état du registre pourrait être rendu public 40 jours avant le scrutin et consultable en préfecture. L'agence adresserait à chaque électeur, au moins 30 jours avant le scrutin, une carte électorale lui précisant l'adresse de son bureau de vote. Un électeur pourrait demander une correction du registre jusqu'à 20 jours avant le vote et l'agence rendrait sa décision 15 jours au plus tard avant le scrutin, avec recours possible devant les juridictions judiciaires. Le registre national serait enfin imprimé et utilisé comme liste d'émargement le jour venu. Le coût d'une telle réforme reste à évaluer, mais elle permettrait de simplifier considérablement le dispositif actuel, en éliminant les échanges multiples entre l'INSEE, les préfectures et les communes, tout en offrant une sécurité juridique et une fiabilité technique accrues.

Une autre anomalie réside dans le fait que le périmètre géographique des bureaux de vote résulte d'un arrêté pris chaque année par le préfet du département 1 ( * ) . Or, on voit mal ce qui interdirait de décentraliser cette compétence aux communes. Le souci d'éviter des manipulations politiques n'est pas recevable si l'on veut bien considérer que le bureau de vote n'est pas une circonscription électorale, dont le périmètre pourrait avoir des conséquences sur l'issue d'un scrutin. De plus, rien n'interdirait que les décisions du conseil municipal relatives à cette délimitation puissent faire l'objet d'un recours devant le préfet ou l'autorité juridictionnelle.

Les services de l'État conserveraient en outre la tâche d'enregistrer les périmètres ainsi définis et pourraient se voir confier la mission d'en dresser une cartographie, qui constituerait le point de départ d'une cartographie des circonscriptions électorales aujourd'hui très lacunaire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne n'est en effet en mesure de fournir aujourd'hui une carte précise des circonscriptions électorales, particulièrement pour les cantons et circonscriptions législatives situés dans des zones urbaines. Cela résulte du fait que les décrets portant délimitation de cantons sont souvent anciens et que les cartes annexées qu'ils contiennent ne correspondent plus au tissu urbain actuel 2 ( * ) .

Il importe donc de reconstituer cette cartographie. La précision et l'ergonomie croissante des logiciels cartographiques, ainsi que la fiabilité accrue des fonds de carte produits par l'IGN peuvent faciliter l'accomplissement de cette tâche. Le bureau des élections du ministère de l'intérieur a d'ores et déjà entrepris de tester les outils informatiques qui pourraient être affectés à cet objectif, notamment dans la perspective du prochain remodelage des cantons et des circonscriptions législatives 3 ( * ) .

Les modalités de mises sous pli et d'expédition de la propagande électorale posent un autre problème. Les candidats peuvent en effet adresser à chaque électeur un bulletin de vote et une profession de foi, dont la mise sous pli et l'expédition sont assurées par les agents des préfectures, en collaboration avec La Poste 4 ( * ) . En pratique, ces opérations donnent lieu à la mobilisation d'un très grand nombre d'agents souvent renforcés par l'embauche de personnes au chômage. Réunis dans de vastes salles, ces personnes glissent les bulletins et professions de foi de chaque candidat dans des enveloppes, libellées, parfois manuellement, aux noms et à l'adresse de chaque électeur, puis acheminées par camions entiers vers les bureaux de poste.

Il s'agit assurément d'une des opérations les plus lourdes et les plus coûteuses confiées aux préfectures. Leur coût s'est ainsi élevé à 148 MF pour le scrutin européen de 1999, 106 MF pour les élections régionales de 1998 et 190 MF lors du scrutin législatif de 1997, soit en moyenne 22 % du coût total de ces scrutins. Si l'on y ajoute les bulletins déposés dans les bureaux de vote et les affiches électorales, le scrutin de juin 1999 a ainsi donné lieu à l'impression d'environ 150 millions de documents par liste de candidats, soit au total, près de 3 milliards de documents.

Par-delà ces considérations administratives et économiques, on peut s'interroger sur la pertinence de ces envois. Nonobstant le faible intérêt que suscite leur application chez les électeurs, les dispositifs déjà évoqués relatifs à la propagande écrite et audiovisuelle garantissent l'information des citoyens. Par ailleurs, la croissance des connections à l'Internet offre aux candidats un vecteur de propagande infiniment plus souple, plus efficace et moins coûteux que l'expédition de documents, dont rien ne justifie qu'elle soit assurée par les services de l'État. On doit enfin souligner l'inutilité qu'il y a à adresser aux électeurs un bulletin au nom de chaque candidat, alors même qu'ils trouveront ces bulletins, en nombre suffisant, dans leurs bureaux de vote respectifs.

Le récent scrutin européen a ainsi donné lieu à une innovation notable. Une liste de candidats a choisi, pour des raisons d'économie et de souplesse, de diffuser sa profession de foi par le seul canal de son site Internet, en invitant ses militants à imprimer ce document et à le diffuser autour d'eux. Cette liste a recouru au même procédé pour la diffusion de son bulletin de vote, suggérant aux électeurs qui le souhaitait de l'imprimer afin de l'utiliser le jour du scrutin. Une procédure juridictionnelle est en cours, qui permettra de dire si cette pratique est ou non conforme au code électoral. Quoi qu'il en soit, elle ouvre, pour la diffusion de la propagande électorale, une voie d'avenir qui ne manquera pas de s'amplifier lors des prochains scrutins et dont les avantages, en termes d'économie et de simplification administrative, méritent d'être soulignés.

À supposer que l'expédition de documents écrits demeure nécessaire, à titre transitoire, rien n'empêcherait qu'elle soit assurée par les candidats eux-mêmes, à charge pour l'État d'en rembourser le coût. Il est en revanche illégitime et contre-productif que les pouvoirs publics continuent à assurer eux-mêmes une telle opération. Cette réforme s'inscrit dans le cadre plus large d'une privatisation des opérations de propagande, qui me paraît être la conséquence normale du développement des nouvelles technologies.

Un dernier dysfonctionnement lié à la préparation du scrutin concerne les conditions de diffusion des circulaires du ministère de l'intérieur. L'impression et la diffusion de ces documents fait l'objet de marchés publics. Les préfectures reçoivent au minimum autant de circulaires qu'elles comptent de bureaux de vote dans leur département, puis assurent leur diffusion aux communes concernées. Il s'agit d'une procédure lourde, susceptible de générer des retards en matière de diffusion et dont le coût est loin d'être négligeable. 85.000 documents ont ainsi été imprimés au titre de 1999. Le bureau des élections étudie donc la possibilité de diffuser les circulaires aux préfectures sous une forme numérisée, par le biais de l'Intranet du ministère de l'intérieur.

Les préfectures pourraient transférer à leur tour ces documents vers les communes possédant un accès à l'Internet. L'impression et la diffusion des circulaires sur un support papier seraient limitées aux communes non encore dotées d'une liaison numérique avec la préfecture. Une telle dématérialisation des échanges entre le ministère, les préfectures et les communes permettrait d'accélérer la diffusion des documents, tout en générant d'importantes économies. Les circulaires seraient ainsi diffusées sous un format spécifique, afin d'éviter qu'elles puissent être modifiées ou tronquées avant leur impression et préserver ainsi la sécurité juridique.

2. Les conditions du débat démocratique

Elles sont particulièrement accessibles aux évolutions technologiques en cours. Il s'agit là d'un fait politique, qui s'impose à l'État. D'un point de vue technique, il est en effet illusoire de prétendre restreindre l'usage de l'Internet, par exemple pendant le déroulement d'une campagne. Or, ce qui n'est pas techniquement possible n'est pas non plus souhaitable d'un point de vue politique. L'Internet encourage en effet une meilleure interactivité entre les électeurs et les politiques, donc un meilleur fonctionnement de la démocratie. L'existence de forums de discussion (« chats ») fournit notamment un lieu de confrontation des opinions, tandis que l'échange de courriers électroniques permet aux électeurs de s'adresser directement aux candidats, sans se heurter aux obstacles qui entravent les échanges écrits ou téléphoniques.

De plus, les nouvelles technologies permettent à chaque parti, quelle que soit sa notoriété ou l'étendue de ses moyens, d'accéder plus aisément à l'opinion publique. Une expérience développée en Finlande lors des campagnes législatives et européennes de 1999 mérite à cet égard d'être signalée. Le site Internet de la télévision publique proposait ainsi à chaque visiteur de répondre à plusieurs dizaines de questions relatives aux principaux problèmes de société. L'ensemble était comparé aux réponses des candidats et chaque électeur se voyait indiquer celui des candidats dont le programme correspondait le mieux ou le moins bien à ses réponses. Le résultat s'accompagnait de l'adresse des sites desdits candidats.

Initialement conçue dans un but ludique, cette initiative a connu un grand succès. Elle comble en effet une des lacunes de la propagande traditionnelle, en ne se bornant pas à juxtaposer les opinions des candidats, mais en s'efforçant de comparer leurs programmes de manière qualitative, ce qui contraint d'ailleurs chaque candidat à s'engager publiquement sur les questions les plus importantes. Malgré ses limites, cette innovation répond donc à l'objectif ultime de la propagande électorale, qui est d'éclairer la décision de l'électeur. L'adaptation de cet outil au contexte français pourrait être envisagée, sous la responsabilité des organes de presse, avec éventuellement des déclinaisons locales.

Toutefois, ces évolutions ne sont pas toutes positives. L'essor de l'Internet peut ainsi laisser libre cours à l'expression d'opinions prohibées par la loi. Ce danger réel appelle trois remarques. Il convient, en premier lieu, de ne pas confondre la liberté d'expression, totale sur l'Internet, et la liberté de candidature, mieux encadrée. On peut ainsi interdire aux personnes proférant de tels discours de solliciter les suffrages de leurs concitoyens. La liberté d'expression sur le réseau m'apparaît, en second lieu, comme le prix à payer pour pouvoir profiter de cet espace de démocratie. On peut enfin faire confiance à la maturité des électeurs pour rejeter de tels discours.

Plus largement, il convient de revoir l'organisation de la propagande électorale dans le sens d'une privatisation accrue. L'obsolescence du régime actuel a déjà été soulignée, tout comme l'inutilité de l'expédition à domicile des documents électoraux et l'aberration qu'il y a à faire accomplir cette tâche par les préfectures. L'abandon de ces pratiques pourrait être réalisé, au profit d'une ouverture à la publicité politique, telle qu'elle se pratique dans nombre de pays étrangers. Le risque d'avantager les candidats les plus fortunés, serait pallié par un plafonnement des dépenses et un remboursement accordé aux candidats ayant réuni au moins 5 % des suffrages. L'achat d'espaces publicitaires pourrait en outre faire l'objet de tarifs préférentiels, comme il en existe en matière d'annonces légales. Outre de probables économies, il en résulterait un allégement des tâches indues pesant sur les services de l'État, sans que l'impact de la propagande électorale s'en trouve réduit.

Ce recours éventuel à la publicité conduit aussi à s'interroger sur le fait de confier à l'État la charge des dépenses électorales, au nom de la transparence. La France a connu, de 1993 à 1995, un régime différent fondé sur la possibilité de recourir à des fonds privés, d'une manière plafonnée et avec un strict contrôle des comptes de campagne des candidats. Ce dispositif, facteur d'économies, permettait aussi de limiter les procédures de remboursement sur pièces justificatives, particulièrement lourdes à gérer au plan administratif. L'approche consistant à faire financer les campagnes électorales par les entreprises ou les personnes physiques était enfin cohérente avec une démarche civique visant à rapprocher les membres du corps social et les acteurs de la vie politique. Cela n'a pas empêché l'abandon du dispositif, au motif qu'il risquait d'aggraver les difficultés de financement des familles politiques les plus marginales. Une telle réaction conduit à s'interroger sur la place qu'on souhaite confier à l'État dans le jeu des forces politiques.

On peut estimer qu'il appartient aux pouvoirs publics d'intervenir dans le processus électoral, afin de favoriser l'émergence ou la survie de mouvements politiques au travers de subventions publiques. Cette logique de discrimination positive correspond à la situation actuelle de la France, où le financement privé fait l'objet d'une interdiction globale. D'aucuns considèrent, toutefois, que l'intervention de l'État doit se limiter à prendre acte d'un rapport de forces politiques, sans chercher à en corriger les conséquences, notamment financières. Une telle approche justifie le recours à des dons privés et le fait que l'aide publique aux partis dépende seulement de l'importance de leur représentation dans les assemblées élues. Cette approche, commune à nombre de pays, me paraît plus rationnelle, plus conforme à l'obligation de neutralité politique qui incombe en toutes choses aux pouvoirs publics et, finalement, plus démocratique au sens le plus strict du terme.

3. L'expression du vote

IL faut aborder à présent la récurrente question des machines à voter. Il a été précisé que leur éventuelle expérimentation en France faisait l'objet d'une étude de l'Inspection générale de l'administration, qui devrait aboutir d'ici la fin de l'année. Malgré les avantages qu'on peut attendre d'une telle évolution, on doit insister sur la prudence qu'il convient de garder au sujet d'un acte aussi symbolique que le vote.

Un survol des expériences conduites en France et à l'étranger souligne la diversité des technologies associées au vote électronique. Les trois principales catégories en sont le vote téléphonique, le vote par Internet les urnes électroniques installées dans les bureaux de vote. Le vote au moyen d'ordinateurs connectés à l'Internet apparaît comme la solution la moins satisfaisante, en raison de ses limites en termes d'accessibilité et de sécurité des communications. En ces matières, le vote par téléphone paraît plus pertinent, à la condition d'être associé à un numéro d'identification personnelle du type de ceux émis par les banques pour l'utilisation des cartes de crédit. Ses principales limites résident toutefois dans les modalités de diffusion de ces numéros. L'usage d'urnes électroniques semble la solution la plus opportune en l'état actuel des technologies. L'évolution accélérée de ces dernières pourrait cependant modifier rapidement ce classement, au profit notamment du vote par téléphone.

Le recours aux urnes électroniques n'est pas une idée neuve. Une loi du 10 mai 1969 prévoyait déjà leur installation dans certaines communes. Selon l'exposé des motifs, il s'agissait d'assurer "un contrôle plus rigoureux de la sincérité du scrutin, en rendant impossible l'introduction frauduleuse d'enveloppes électorales dans l'urne pendant le vote ou la substitution de bulletins au cours du dépouillement". Cette expérience n'a connu qu'un succès limité. Après l'adoption du texte, le ministère de l'intérieur avait procédé à un concours permettant d'agréer trois modèles de machines, dont 600 exemplaires avaient été acquis. Ces machines ont été utilisées pour la première fois lors des élections législatives de 1973, en région parisienne, et en Corse. D'emblée, l'un des modèles agréés est apparu comme insuffisamment fiable, ce qui a conduit à le retirer. Les autres modèles ont à nouveau été mis en service lors des consultations suivantes mais, du fait de défaillances répétées et du coût très élevé de leur maintenance, le parc utilisable s'est progressivement réduit, passant à 346 unités en 1979.

À la suite d'un bilan réalisé en 1983, la décision a été prise de ne maintenir ces machines qu'en Corse, où elles ont continué à être utilisées jusqu'en 1986, époque à laquelle l'instauration d'un scrutin de liste proportionnel a conduit à les réformer. Aujourd'hui, aucun bureau de vote français n'utilise donc de machines à voter, alors que les dix articles du code électoral qui y font référence demeurent en vigueur. Ces textes précisent notamment les caractéristiques que doivent recouvrir les machines pour obtenir l'agrément ministériel : fonctionner au moyen de deux clefs différentes, assurer le secret du vote, permettre plusieurs élections le même jour, enregistrer les votes blancs, ne permettre qu'un vote par électeur, posséder un compteur permettant, à l'issue du scrutin, de connaître le total des voix des candidats et les votes blancs.

L'échec de cette expérience vient donc de pannes répétées, mais aussi des coûts d'achat et de maintenance de machines qui servaient rarement plus d'une fois par an. S'y ajoutaient les réticences d'élus ou d'électeurs qui pouvaient y voir une marque de suspicion à leur égard. Le choix de la Corse comme lieu d'implantation initial est ainsi emblématique. Enfin, le vote reste l'acte central de la vie civique et se voit, de ce fait, entouré d'une symbolique que le recours aux machines pouvait contribuer à banaliser. Le principal défi à relever en la matière reste toutefois celui de la transparence. En raison de la technicité des machines, la responsabilité d'assurer l'intégrité des élections exige, de fait, des compétences techniques, sans que l'on puisse préserver la transparence du processus aux yeux des citoyens.

L'évolution récente peut répondre à certaines de ces objections, notamment celles relatives au nombre de pannes et aux coûts de maintenance. Le recours au vote électronique présente, par ailleurs, de réels avantages. Outre la lutte contre la fraude électorale et la suppression des erreurs dues à la manipulation des bulletins au moment du dépouillement, qui reste son atout principal, on doit souligner les gains de temps considérables que cela permettrait de générer en matière de dépouillement, de centralisation et donc de communication des résultats. Le recours à de tels outils pourrait aussi constituer une réponse aux difficultés des personnes éprouvant des difficultés de transport ou d'accès physique aux bureaux de vote.

Ces considérations m'amènent à proposer 10 critères que devraient satisfaire les machines à voter et qui exigent, en toute hypothèse, une expérimentation préalable 1 ( * ) .

- La préservation du rituel symbolique attaché à la procédure de

vote.

- La simplicité d'utilisation, afin de ne pas rendre le geste de voter plus complexe.

- L'accessibilité à tous les électeurs.

- La sécurité des résultats, à travers un fonctionnement en miroir pour éviter toute perte de données.

- La polyvalence du dispositif, qui devra pouvoir s'adapter aux différents types de bulletins, de modes de scrutin et de circonscription électorales.

- La rapidité du dépouillement et de la centralisation des résultats.

- La transparence des procédures et la possibilité de contrôler les résultats a posteriori.

- La mobilité des machines permettant de les installer dans des lieux autres que les bureaux de vote traditionnels.

- La rentabilité du dispositif, dont le coût total devra être inférieur à celui du dispositif actuel.

- La robustesse des machines, qui devront résister à l'usure, malgré un usage peu fréquent.

Ne sont pas développés dans cet exposé les efforts à mener dans le domaine de la centralisation et de la publicité des résultats, où le recours aux nouvelles technologies est déjà une réalité et pour lequel le principal enjeu consiste désormais à assurer l'actualisation des outils, notamment informatiques, qui sont mis en oeuvre. Il est rappelé, pour conclure, que l'intégrité du processus électoral constitue le coeur du fonctionnement démocratique de nos sociétés et que la nécessité de préserver cette intégrité doit conduire à faire preuve d'une réelle circonspection dans l'adoption de réformes, particulièrement lorsqu'elles concernent le geste même de voter. Le respect des critères précités semble garantir qu'une telle évolution profite aux électeurs comme aux personnes en charge de l'organisation des élections. Il est plus aisé, et à maint égard plus urgent, de favoriser l'introduction des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la préparation administrative des scrutins et dans le déroulement du débat démocratique. Les évolutions en cours dans ces domaines peuvent s'articuler autour de deux axes principaux : la dématérialisation des échanges entre les acteurs du processus électoral et la privatisation des opérations liées à la propagande et à la communication politique.

III. INTERVENTION DE M. PATRICK BLOCHE, DÉPUTÉ DE PARIS

« A priori, force est de constater que les nouvelles technologies, notamment Internet, constituent une remise en cause de la représentation élective, en entraînant la suppression des intermédiaires. C'est déjà le cas dans le commerce électronique, grâce auquel les consommateurs peuvent accéder directement aux produits en naviguant sur la Toile. De même, le fonctionnement du réseau, son horizontalité, le fait qu'il n'y ait plus de centre, amène à remettre en cause des relations entre élus et citoyens qui sont traditionnellement de nature hiérarchique, de type vertical.

Mais quelle peut être la place de la démocratie électronique dans notre cadre constitutionnel français ? L'article 4 de la Constitution - "Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage" - est-il toujours pertinent dans un cadre de démocratie électronique ? L'article 3 stipule que le suffrage peut être direct ou indirect mais qu'il est toujours "universel, égal et secret". Mais quelle est la représentativité du vote par Internet aujourd'hui, même si le nombre d'internautes progresse très vite actuellement ? De plus, le secret est un enjeu important, sur lequel je reviendrai. "La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum". On retrouve là la problématique de la place des intermédiaires dans une démocratie électronique. Mais la démocratie peut aussi s'exercer de manière directe. De ce point de vue, les technologies de l'information présentent un intérêt évident lorsqu'il s'agit de choisir sous forme de référendum ou de donner son opinion sous forme de pétition.

Plus généralement, la démocratie participative est une aspiration citoyenne qui n'a pas attendu Internet pour s'exprimer aux côtés des structures de démocratie représentative. Mais je suis très frappé de constater à quel point la démocratie participative s'accommode mal de structures qui ont vocation à fonctionner dans la durée. Ainsi, la démocratie de participation est avant tout une démocratie de l'instant, qui permet aux citoyens d'intervenir rapidement et instantanément sur un problème qui les concerne directement.

Pour terminer mon cheminement à travers la Constitution, je n'oublie pas l'article 27, qui stipule que " tout mandat impératif est nul" et que "le droit de vote des membres du Parlement est personnel". Pour l'instant, lors des scrutins publics, chacun d'entre nous ne peut être délégataire que d'un seul vote. On est donc loin du vote à distance, depuis sa circonscription, voire depuis sa voiture en utilisant son téléphone portable. S'il fallait s'engager dans cette voie, on voit donc bien qu'il faudrait changer la Constitution.

Pour lancer notre débat, je suis allé naviguer sur la toile (et non pas "surfer sur le web"), et j'y ai trouvé quelques éléments amusants sur lesquels je vais conclure mon intervention. En tapant "élection et vote électronique", on trouve toutes sortes de sites consacrés aux isoloirs électroniques, qui imposent toujours aux électeurs de se rendre physiquement dans un bureau de vote, comme en Belgique actuellement. Or je pense que notre débat doit plutôt porter sur le vote à distance, ou à domicile pour ce qui concerne nos concitoyens. Dans ce cadre, je suis tombé sur le site d'un canadien, qui a étudié les conditions du développement de la démocratie électronique, en commençant par lister les différentes fonctionnalités possibles de cet outil : informer ; échanger (par courrier électronique) ; consulter (comme c'est le cas pour la consultation publique lancée par le Gouvernement pour préparer la future loi sur la société de l'information) ; débattre (par le biais des forums) ; influencer ; voter ; gouverner. Je vais m'arrêter quelques instants sur ces deux dernières fonctions. Notre internaute canadien estime ainsi qu'il est aisé d'utiliser les outils Internet pour organiser des votes électroniques. Il cite l'exemple de la ville de Barcelone, où les citoyens sont invités à donner leur avis sur les textes qui sont soumis au conseil municipal.

Un autre site www.planete-express.com , s'interroge quant à lui sur la possibilité de mettre en place des systèmes permettant de préserver un principe constitutionnel fondamental : le secret du vote. Mais comment vérifier que l'expéditeur est un votant identifié, ou que chaque votant ne vote qu'une seule fois ? Pour remédier à ce problème, les auteurs du site proposent la formule des deux centres, qui permet à la fois de garantir que le citoyen est bien autorisé à voter et qu'il ne le fait qu'une fois, ainsi que d'assurer que son vote est bien secret. Ce système est complexe, et ne vaut que s'il n'y a aucune collusion entre les deux centres... Bref je considère que le vote électronique est viable tant que le nombre de votants est limité, mais qu'il est encore très difficile à mettre en oeuvre avec un grand nombre de citoyens. »

IV. INTERVENTION DE M. WILLIAM DUTTON, ANNENBERG SCHOOL FOR COMMUNICATION

« Je précise que je suis moi-même Sénateur puisque je suis Vice-président du Sénat de l'Université dans laquelle j'enseigne. Nous partageons donc les mêmes problèmes que les "vrais" organes parlementaires : c'est l'exécutif qui domine et nous avons le plus grand mal à nous frayer une place sur le site web de l'Université...

Le Herald Tribune faisait sa « Une » ce matin sur l'utilisation des médias aux États-Unis, avec un article qui soulignait le fait que dans ce pays, un enfant passe en moyenne 5,5 heures par jour, 7 jours sur 7, devant sa télévision, le plus souvent seul. Cela n'est pas nouveau, c'est même un thème récurrent. Il faut bien avoir à l'esprit que les gens qui s'occupent de communication politique songent avant tout à la télévision, qu'ils considèrent encore aujourd'hui comme le mass média par excellence.

L'influence d'Internet sur la communication politique

L'utilisation du web et du net est le dernier avatar d'une longue tradition de tentatives d'introduction des nouvelles technologies dans la communication politique : informatique en réseau dans les années 60, ordinateurs personnels dans les années 80, programmes de télévision interactive par câble dans les années 70 et au début des années 90, etc. Aujourd'hui, tout ou presque est focalisé sur le web.

Dans tous les cas, l'accent a été mis sur l'amélioration de l'information. Mais les politiques ont aussi cherché à augmenter le degré d'interactivité de leur communication avec les citoyens. Ce besoin est d'ailleurs à l'origine des expériences d'introduction de technologies nouvelles que je viens d'évoquer. Nombreux sont les politiques qui estiment que les électeurs doivent être formés et recevoir, préalablement à leur vote, des informations appropriées. C'est l'origine des critiques très sérieuses qui sont faites à l'encontre des médias télévisés aux États-Unis, et cela explique en grande partie l'intérêt du monde politique américain pour les médias électroniques.

Pour sa campagne présidentielle, Georges Bush Jr a déjà levé 40 millions de dollars. C'est une somme considérable, que tous les candidats ne sont pas à même de rassembler. L'argent devient aujourd'hui une dimension essentielle dans la communication politique. Habituellement, les candidats disposent d'espaces publicitaires télévisés d'une trentaine de secondes, ce qui ne leur permet pas de faire de longs exposés et conduit nécessairement à réduire la teneur du message électoral. D'une manière générale, ni la presse ni la télévision ne sont plus capables de présenter de manière détaillée les grands enjeux de société. Lors des dernières élections du gouverneur de Californie, le Los Angeles Times n'a couvert que la campagne des quatre principaux candidats, alors qu'il y en avait 17 en lice !

Au-delà des pages web que tous les partis politiques proposent désormais, on trouve maintenant des applications un peu plus intéressantes.

The Democracy Network (DNet)

Il s'agit d'un véritable guide de l'électeur internaute. Sur ce réseau, un citoyen disposant de peu de temps a la possibilité, s'il le désire, de sélectionner les contenus proposés par les candidats qui l'intéressent directement. Lancée en 1996 sous une forme réduite, cette méthode sera déployée sur l'ensemble du territoire pour les sélections de l'an 2000 : tous les abonnés d'AOL, en particulier, trouveront un lien vers DNet sur leur page d'accueil. Il est à noter que le site a été labellisé par la Ligue des Électrices, qui a toujours réclamé une information électorale de meilleure qualité.

Lorsque l'on se connecte sur ce site, on trouve sur la page d'accueil une carte des États-Unis, en cliquant sur l'État de son choix, on trouve la liste des élections à venir et les différents candidats en lice, avec leur photo. On peut prendre connaissance de leur biographie et de leur programme, savoir où les rencontrer, consulter des témoignages de leurs supporters, ou encore la liste des financeurs de leur campagne.

La principale innovation du site est constituée par la « candidate grid » (la matrice du candidat), qui permet de connaître sous forme synoptique le positionnement des candidats sur les principaux enjeux de société. Bien entendu, sur chaque sujet, un candidat peut ajouter une réponse ou modifier une réponse précédemment rédigée. Lorsqu'il s'exprime sur un thème, un candidat remonte en tête de page, ce qui incite ses rivaux à en faire autant et favorise donc le débat.

Conclusions

L'Internet et le web constituent le principal modèle actuel, du moins dans le contexte américain. Il faut aussi pointer l'interdépendance croissante entre le web et les médias : le premier ne remplace pas les seconds, ils s'auto-entretiennent. Ainsi, les télévisions reprennent le contenu du DNet, tandis que les reportages des chaînes locales sont disponibles sur le site. Le réseau lui-même couvre désormais tout le territoire, il offre des liens avec les sites associatifs, etc. Il serait donc désormais très coûteux d'ouvrir un site concurrent aussi performant car le prix du ticket d'entrée commence à être élevé. Par ailleurs, le comportement des sondés et des électeurs laisse parfois perplexe. On peut par exemple se demander pourquoi ils n'utilisent pas le web de manière plus rigoureuse, lorsque l'on sait combien il est facile d'obtenir une importante mobilisation par voie électronique. La question n'est donc plus de savoir si les technologies nouvelles vont avoir un impact sur la vie politique, mais bien de deviner comment ces phénomènes irréversibles vont évoluer. »

V. INTERVENTION DE M. DIETER OTTEN, UNIVERSITÉ D'ONASBRUCK

« Steve Jobs plaisantait souvent en disant que les ordinateurs étaient des machines qui nous servaient à résoudre des problèmes que nous n'aurions jamais eus avant l'avènement de l'informatique... Il n'en reste pas moins que l'Internet se développe de manière exponentielle à l'heure actuelle. Outre le commerce électronique, le monde politique et administratif a fait son entrée sur le Net. Aujourd'hui, une majorité de nos concitoyens est favorable à l'organisation de votes ou de sondages par Internet. De même, la majorité des utilisateurs les plus fréquents d'Internet veut pouvoir s'en servir pour exprimer ses désirs aux politiques. Les internautes ne demandent pas pour autant que le réseau devienne l'unique moyen d'exprimer son suffrage. Toutefois, notre système politique doit apporter une réponse à cette tendance, qui est surtout perceptible chez les jeunes.

Les habitudes et les valeurs relatives à l'acte de vote évoluent, du fait de la mobilité croissante de nos concitoyens. Si nous ne trouvons pas d'adaptations satisfaisantes, la désaffection des bureaux de vote sera croissante. A Munich, 23 % des électeurs ont utilisé le vote par correspondance lors des dernières élections, en 1998. Les personnes âgées sont également très demandeuses d'applications leur permettront de continuer à participer à la vie politique. En 1998, lorsque nous avons lancé notre projet de centre de recherche sur le vote par Internet, personne n'avait encore vraiment pris d'initiatives concrètes. En 1999, les exemples de vote sur le Net se sont multipliés, et je suis convaincu que l'année 2000 verra une explosion du nombre de votes organisés sur Internet.

Néanmoins, comme nous l'avons vu au cours de nos travaux à plusieurs reprises, le vote par Internet pose d'énormes problèmes de confidentialité et de sécurité des votes. Notre groupe de recherche vise donc à apporter des réponses à ces questions. Tout d'abord, aucun vote ne pourra se faire par Internet si l'électeur ne peut pas disposer d'une signature électronique protégée par cryptographie. Les électeurs ont besoin pour cela d'un logiciel spécial, ainsi que d'une clé de cryptage suffisamment puissante pour rendre toute falsification impossible. En deuxième lieu, il est impératif de mettre en place une agence indépendante qui vérifie l'identité de l'électeur et valide son vote : nous avons appelé cette agence "certificateur". Tous les systèmes de vote par Internet doivent ainsi être enregistrés et certifiés par cette autorité officielle.

Quelles sont les implications techniques de ces deux préalables au vote électronique ? Nous avons mis au point un logiciel que nous avons appelé e-vote. Au départ, l'électeur va chercher au bureau d'enregistrement sa signature numérique, qui est distribuée par le certificateur. A ce jour, nous n'avons à Munich que deux centres officiellement certifiés. Une fois rentrée chez lui, l'électeur se connecte sur un site web dédié et y enregistre sa signature. Il dépose son "bulletin" dans une "enveloppe virtuelle" », qui est elle-même glissée dans une seconde enveloppe envoyée au validateur. Celui-ci ouvre cette dernière enveloppe et vérifie l'identité de l'électeur, avant de la lui renvoyer. L'électeur renvoie ensuite le tout au serveur de vote : celui-ci ne peut absolument pas déterminer l'origine du bulletin qui lui est remis. A l'issue du vote, le serveur de vote envoie l'ensemble de l'urne électronique au validateur, qui décompte les voix. À ce stade, l'électeur peut même vérifier que son vote a bien été comptabilisé.

Les trois agences (certificateur, validateur et collecteur) ne peuvent avoir aucun contact entre elles : elles relèvent d'autorités différentes. Ce protocole sera utilisé pour la première fois les 1er et 2 février 2000, pour l'élection du Parlement des 16 000 étudiants de la ville de Munich.

Ma conviction est donc que l'on peut mettre en oeuvre le vote sur Internet en respectant tous les principes de sécurité et de confidentialité des systèmes de vote en vigueur en Europe et en Amérique. Nous sommes même persuadés que c'est un système plus fiable que le système traditionnel. En effet, il n'existe rien de plus facile que de voler une urne et de la remplacer par une autre, ou de falsifier une carte d'électeur. En fait, la confiance placée dans le système repose entièrement sur les assesseurs qui tiennent le bureau de vote. De surcroît, il n'est même pas nécessaire de savoir utiliser un ordinateur pour voter par voie électronique : on pourra très bientôt faire son devoir de citoyen à partir d'un poste téléphonique numérique connecté à Internet ou depuis tout autre terminal numérique. C'est en outre le système le plus rapide jamais imaginé : le calcul des résultats ne prend jamais plus d'une seconde logique. Le système convient également pour les assemblées d'actionnaires, les congrès syndicaux, etc.

Le temps est donc désormais à l'action. Le vote Internet devrait être légalisé, après avoir été dûment testé. Il ne faut pas attendre cinq ans de plus pour le faire. Le logiciel utilisé doit être diffusé, afin que chacun puisse s'assurer de sa fiabilité. En effet, il est aujourd'hui complètement anachronique de demander à des gens qui travaillent loin de la ville où ils sont inscrits de parcourir des centaines de kilomètres simplement pour pouvoir voter. Je suis certain que les Romains, s'ils avaient eu Internet, auraient été les premiers à l'adopter. »

VI. DÉBAT AVEC LA SALLE

Roland CAYROL, CEVIPOF

« Marina Villa nous disait tout à l'heure que les hommes politiques italiens ont créé des sites avant tout pour envoyer des signes de modernité plus que par souci d'utiliser réellement les nouveaux moyens de communication. Dans notre pays, il en est encore largement de même : le fait d'avoir son site sert avant tout à se parer des attributs de la modernité. Les professionnels de la communication eux-mêmes ne se préoccupent pratiquement plus que d'Internet, notamment dans le domaine public, alors que les Français sont, dans leur immense majorité, bien éloignés de ces questions. Dans un sondage récent, 9 % des Français disaient avoir eu l'occasion d'utiliser cet outil, contre 57 % des Suédois, par exemple... Attention donc à ne pas nous couper de la population, sous prétexte de rechercher la modernité. Vous connaissez par ailleurs les problèmes de représentativité des échantillons pour les sondages réalisés sur Internet.

Cela dit, la volonté des citoyens de mieux comprendre les processus politiques et d'influer davantage sur ces processus est bien réelle, et il est évident qu'Internet est l'un des moyens qui pourraient contribuer à leur donner satisfaction. Il y a là un champ de réflexion très vaste pour les chercheurs.

Quel effet l'insertion d'Internet a-t-elle sur nos campagnes électorales et sur nos systèmes politiques ? Je serai pour ma part assez pessimiste. La société américaine préfigure ce que sera notre propre société dans quelques années, y compris sur le plan politique. De ce point de vue, nous constatons une implication croissante du citoyen dans la démocratie locale, qui s'accompagne paradoxalement d'un désintérêt pour les enjeux d'ordre national et international. Néanmoins, Bill Dutton, avec sa présentation du Democracy Network, nous a fourni une hypothèse beaucoup plus optimiste, selon laquelle Internet renforcerait au contraire les contenus politiques que la télévision est forcée de simplifier à outrance.

Marina Villa disait tout à l'heure qu'Emma Bonino et Fausto Bertinotti avaient malheureusement utilisé Internet comme un média traditionnel. Quelles sont donc les nouvelles pratiques que nous pouvons envisager ?

Ma cinquième remarque concerne le problème de l'identification des électeurs. Dans l'exemple du DNet, chaque équipe de campagne officielle choisit le matériau qu'elle souhaite mettre en ligne. Mais on peut très bien imaginer que d'autres acteurs, par exemple un centre d'études comme le CEVIPOF, présente d'autres types de contenus. Dès lors, qu'est-ce qui garantit au citoyen internaute l'identité de l'émetteur de l'information ?

Enfin, je souhaitais évoquer la difficulté d'assurer une fiabilité et une sécurité réelles sur Internet. Là encore, il existe un champ de recherche très intéressant : comment assurer l'inviolabilité des systèmes de vote électronique ? »

François PLATONE, CEVIPOF

« Je ne partage pas l'enthousiasme de M. Otten pour l'utilisation d'Internet dans les procédures de vote. Il prétend que ces procédures sont parfaitement sécurisées. Mais il m'a semblé qu'il manquait une chose : l'isoloir. Dans un bureau de vote, on peut s'assurer qu'un électeur vote seul dans l'isoloir. Dès lors que le vote a lieu dans un espace privé, comment s'assurer que le vote n'est entaché d'aucune contrainte de corps ou d'esprit ? De surcroît, je suis persuadé que les fraudeurs trouveront tôt ou tard des failles dans les dispositifs de sécurité, aussi complexes soient-ils...

Par ailleurs, on nous dit que le vote électronique va permettre de faire diminuer l'abstention. Mais les citoyens qui s'abstiennent le plus sont aussi ceux qui n'ont pas accès, le plus souvent, aux nouvelles technologies. Le vote électronique va donc aboutir à rendre les votants encore moins représentatifs de l'ensemble du corps électoral. »

Françoise MASSIT-FOLLEA, École Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud

« Sur les autoroutes de l'information, c'est moins le revêtement routier qui importe que les péages et les bretelles d'accès. Or, comme l'a rappelé Monsieur de Mazières, le vote lui-même n'est qu'un moment - certes important - du processus démocratique, mais il n'est pas le seul où les nouvelles technologies peuvent être utilisées. Lorsque des possibilités d'intervention directe ou d'échange sont offertes, au plan local ou au plan national, il est impératif de s'intéresser à l'identité des contrôleurs des points d'accès. Je pense aux portails d'accès, qui ne sont plus aujourd'hui contrôlés par les groupes de presse mais par des industriels de l'information, comme RealNetwork. »

Johnny GYLLING, député suédois

« M. Dutton, croyez-vous qu'il existe un risque que les hommes politiques, sous la pression des internautes, soient amenés à prendre de mauvaises décisions ? »

Jouni BACKMAN, député finlandais

« Lors des élections générales de Finlande cette année, un site web national présentait l'ensemble des candidats. Tous les candidats ont été invités à répondre à une cinquantaine de questions. Les électeurs pouvaient même recevoir une liste des candidats dont les thèses étaient proches des leurs. J'ai moi-même eu affaire à des gens qui m'ont déclaré que leurs idées étaient proches des miennes puisque je figurais en tête de leur liste. Est-ce vraiment une bonne chose ? Cela ne va-t-il pas inciter les électeurs à faire confiance à la machine et à ne plus réfléchir par eux-mêmes ? Toutefois, ce système a eu aussi des conséquences positives : certains de mes propres collaborateurs m'ont avoué que je ne figurais pas en tête de leur propre short list. »

Ian BRUCE, député du Dorset

« L'abstention en Grande-Bretagne est un problème récurrent : 30 à 40 % des électeurs ne votent jamais. Je suis donc intéressé par les propositions de vote électronique.

Par ailleurs, j'aimerais savoir si, dans l'expérience américaine, on a étudié le profil des personnes qui viennent consulter les sites. L'essentiel des visiteurs ne sont-ils pas des gens déjà convaincus ? Qu'en est-il des indécis ? »

Charles RAAB, Université d'Edinburgh

« En Italie, les sites des partis politiques sont-ils équipés pour recueillir des informations sur l'identité des internautes qui visitent leurs pages ? Je pense en particulier aux partis extrémistes, où cela doit être particulièrement intéressant. Quelles sont les mesures de protection qui ont été prises ? »

Andrew MILLER, député britannique

« Sur le vote électronique, entre le pessimisme des uns et l'optimisme des autres, nous constatons surtout un écart d'équipement en nouvelles technologies et en investissements consentis. En matière de sécurité, je crains que certaines clés ne soient fournies par inadvertance aux pirates. Néanmoins, la banque Barclays travaille actuellement avec le fisc sur une procédure permettant aux entreprises de déposer leurs comptes par électronique. Si le fisc considère cette procédure comme sûre, je crois que l'on pourra lui faire confiance ! »

José DUBIER, Sénateur belge

« Les expériences d'utilisation des machines à voter en Belgique ont été très décevantes : les files d'attente devant les bureaux de vote ont été très longues et les dépouillements plus longs encore qu'avec l'ancien système. »

Axel LEFEBVRE, Faculté de Droit de Namur

« Je souhaite insister sur la fonction symbolique du bureau de vote, vers lequel converge toute une communauté, ce qui nous rappelle que nous exerçons par notre vote une responsabilité collective. »

Michel MENOU, City University of London

« Connaissez-vous des exemples de votes instantanés ? Monsieur Dutton, les sites que vous avez évoqués fournissent-ils aux électeurs les éléments permettant de comprendre le contexte dans lequel s'insèrent les informations qu'ils donnent ? »

William DUTTON

« Je pense que les informations fournies permettent aux électeurs de comprendre et de voter en toute connaissance de cause.

D'une manière générale, les communautés électroniques ne sont pas représentatives : là comme ailleurs, ce sont des minorités agissantes qui s'expriment le plus, et la majorité ne s'exprime pas.

Sur la fiabilité des informations, DNet fait appel aux débats entre candidats pour valider les thèses avancées par les uns et les autres. Qui consulte DNet ? L'essentiel des connexions a lieu dans les heures qui précèdent immédiatement le scrutin, et les électeurs ne prennent que quelques minutes pour se décider. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Net va ressembler de plus en plus à la télévision : les éditeurs de site sont tentés de privilégier le sensationnel, ce qui aura l'impact le plus immédiat, au détriment de la réflexion de fond.

DNet est certes accessible via AOL, mais il est ouvert à tous les internautes. L'influence des portails ne doit pas être sous-estimée. Ainsi, 80 % des abonnés à AOL n'en sortent jamais : le fait de figurer sur ce portail est donc un avantage considérable pour un site comme DNet. »

Dieter OTTEN

« Je ne sous-estime pas l'intelligence des pirates, bien au contraire : je suis moi-même un ancien pirate ! Mais la question n'est pas là. Pour pirater un code crypté par une clé à 1 024 bits, il faudrait faire tourner tous les ordinateurs de la NSA pendant 500 ans ! La sécurité totale n'existe pas, mais nous pouvons affirmer qu'il faudra être particulièrement déterminé pour violer un code. Et si un code était quand même violé, il suffirait de le remplacer par un autre, encore plus complexe si nécessaire.

L'objection sur l'isoloir est tout à fait recevable. Mais nous devrons choisir entre la mobilité et l'isoloir. Avec un tel système, tout électeur peut vérifier que son vote a bien été enregistré et comptabilisé, ce que les systèmes traditionnels ne permettent pas. Quant à la valeur symbolique du bureau de vote, ne la surestime-t-on pas ? Je ne suis pas sociologue, mais lorsque je vais voter tous les quatre ans, je me rends dans une salle de classe, ce qui me permet de connaître un peu mieux l'environnement de mes enfants, mais cela ne va guère plus loin... Les nouvelles technologies engendrent des habitudes nouvelles. On dit que les abstentionnistes sont déjà en majorité des laissés pour compte. Mais que faites-vous des jeunes, qui s'abstiennent à 60 %, et qui ne sont pas tous des exclus, loin s'en faut ? »

Olivier de MAZIERES

« Je ne suis pas satisfait de la réponse de Dieter Otten sur la question de l'isoloir : si l'on ne résout pas cette question, on ne peut pas affirmer que les problèmes soulevés par le vote électronique sont tous résolus. »

DEUXIÈME SOUS-PARTIE - DE NOUVELLES RELATIONS AVEC LE CITOYEN

I. ARTICLE DE MME CHRISTINE BELLAMY, NOTTINGHAM TRENT UNIVERSITY & CHARLES RAAB, UNIVERSITÉ D'EDINBURGH

Démocratie parlementaire et nouvelles technologies :
réforme, consolidation ou substitution

A. INTRODUCTION

C'est un lieu commun de dire que la fin des années 1990 a résolument marqué l'entrée du monde occidental dans la société de l'information. Au cours de ces années, la diffusion des moyens électroniques de communication franchit un seuil critique qui rend concevable, pour les entreprises et les Gouvernements, la perspective d'un futur en réseau. Alors qu'il a fallu au téléphone plusieurs dizaines d'années avant de devenir d'usage courant dans le monde des affaires et dans la vie sociale en général, Internet est déjà en passe de devenir un produit d'usage courant. Il est accessible au travers d'une multitude de moyens de communication, fixes et mobiles, suffisamment bon marché pour être largement disponibles, et suffisamment éphémères pour être portés comme des accessoires de mode. Une proportion croissante de services arrive au public par cette voie, et le commerce électronique augmente rapidement, en valeur et en volume.

Les effets attendus du « nouvel âge de l'information » sur la démocratie ont donné lieu à de multiples spéculations, notamment sur sa capacité à imposer de nouvelles formes, plus authentiquement démocratiques, de la vie politique, lesquelles pourraient à terme se substituer aux régimes parlementaires représentatifs actuels. L'effet principal des technologies, de l'âge de l'information pourrait résider dans la modernisation des institutions et des mécanismes existants : leur « informatisation », c'est-à-dire l'utilisation de nouveaux moyens de traitement de l'information, ainsi que de nouvelles capacités de communication, qui permettront d'en renouveler le fonctionnement, leur donneront un second souffle, et peut être un regain de légitimité et d'efficacité. Nous pensons qu'il existe de multiples raisons d'accueillir et d'encourager de telles innovations. Les Parlements ont le choix entre une grande variété de technologies de l'information et de la communication, pour remplir des objectifs multiples - mieux faire avec l'ancien, et faire du nouveau - autant d'objectifs susceptibles de relever la qualité des pratiques politiques dans les démocraties parlementaires. Les NTIC pourraient même permettre une informatisation des mécanismes de la vie politique, autorisant une participation plus immédiate, plus directe, moins onéreuse et plus effective que celle qui a cours dans nos institutions parlementaires et nos pratiques électorales. Mais de ce fait, ces technologies peuvent aussi constituer une menace pour les formes parlementaires de la démocratie, et les concepts propres sur lesquels elles reposent.

Cette communication, et cette conférence, sont l'occasion d'évaluer les demandes suscitées par les NTIC, ainsi que les perspectives ouvertes à la démocratie parlementaire en cet âge de l'information. Nous examinerons d'abord comment les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication pourraient être utilisées pour favoriser une interaction démocratique entre les citoyens, les hommes politiques et les Parlements. Puis nous évaluerons la contribution des NTIC, à la lumière des problèmes qui sont communément associés à la démocratie parlementaire dans les systèmes politiques occidentaux contemporains, et qui tiennent principalement à ces mécanismes clés que sont la représentation et la responsabilité. Nous explorerons, en particulier, l'idée souvent avancée selon laquelle les NTIC sont des technologies « ambiguës » - parce que leur aptitude même à résoudre certains problèmes peut en créer ou en aggraver d'autres. Nous conclurons en nous demandant si, tout en engendrant de nouvelles formes, post-parlementaires, de la vie politique, l'âge de l'information ne laisse pas en suspens certains problèmes rémanents des systèmes actuels, jetant ainsi un doute sur la nature véritablement démocratique de ces formes nouvelles.

B. CONFRONTATION DES POINTS DE VUE SUR LA DÉMOCRATIE À L'ÂGE DE L'INFORMA TION.

Que signifient, pour les procédures et les valeurs du modèle démocratique occidental, les nouvelles infrastructures de l'information et de la communication? À cette question, des réponses contradictoires sont aujourd'hui données. En résumé, il existe, s'agissant de la relation entre les NTIC et les systèmes politiques démocratiques, trois hypothèses intéressantes : les NTIC peuvent aggraver les problèmes de la démocratie parlementaire, aider à les lever ou à les contourner, ou encore créer de nouveaux problèmes qu'elles sont inaptes à résoudre par elles-mêmes.

Certains commentateurs (ex. Holmes, 1997) pensent que les tendances propres au monde politique « déjà virtuel » du « premier âge des média » -l'âge de la communication de masse, de la radio et de la télévision, s'accentueront avec le « deuxième âge des média » - l'âge des réseaux électroniques interactifs (Poster, 1995), pour finir dans l'apothéose d'une souveraineté populaire étroitement administrée. Certains auteurs soulignent ainsi les inquiétantes possibilités de « data surveillance », et par là même de marketing et de manipulation politiques finement ciblées, qu'offrent les technologies de réseau (Laudon, 1977 ; McLean, 1989). D'autres commentateurs pensent, au contraire, que ces nouvelles possibilités stimuleront la responsabilité des Gouvernements, et rendront plus improbable l'exercice unilatéral du pouvoir. De nouveaux moyens de communication directe entre les citoyens, les Parlements et les Gouvernements affaibliront l'influence des mass média, des partis politiques et des groupes de pression quant au choix et à la définition des politiques publiques. Ces changements, disent-ils, auront des effets favorables pour la démocratie, en ce qu'ils contrebalanceront le pouvoir d'élites en perte de représentativité et d'institutions closes sur elles-mêmes.

D'autres auteurs, cependant, vont encore plus loin. Pour eux, le véritable potentiel démocratique des technologies de réseau réside, plutôt que dans un renforcement des formes existantes de la démocratie parlementaire, dans la promotion de nouvelles formes de pratiques politiques extraparlementaires. Les NTIC peuvent, par exemple, favoriser l'émergence d'une République virtuelle de citoyens actifs, « de type athénien », une reviviscence de ce que Habermas (1989) appelle « l'espace public », une politique du cyberespace émancipatrice ou - idée tout aussi importante bien que moins majestueusement exprimée - une participation plus active, de citoyens mieux informés, aux prises de décision aux échelons local et municipal. De nombreux auteurs, au sein de cette école, sont animés par la croyance que les technologies de réseau de ce « deuxième âge des média » sont, par essence, des « technologies citoyennes » aptes à favoriser une communication riche et authentique entre les citoyens eux-mêmes, et à susciter des interactions libres et flexibles entre les citoyens, les élus et le Gouvernement. Pour certains d'entre eux, le cyberespace n'est littéralement rien d'autre que la démocratie en acte - du moins l'est-il virtuellement.

Nous avons souligné dans l'un de nos travaux précédents (Bellamy et Raab, 1999) combien semblait profondément paradoxale l'idée qu'une forme de démocratie parlementaire plus vivace puisse émerger par grâce aux technologies de l'information. Le seul fait irréfutable, s'agissant de la démocratie électronique, est quelle ne saurait s'inscrire sur un terrain politique vierge. Elle doit être façonnée au sein des institutions existantes de la démocratie représentative et du principe de responsabilité du Gouvernement tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Le paradoxe tient en ceci qu'alors même que, si on les envisage sous l'angle des valeurs démocratiques, les mécanismes que sécrètent ces institutions sont profondément déficients, ils sont cependant considérés par beaucoup comme capables de soutenir, voire même d'alimenter, les formes plus vivaces de démocratie dont serait porteur 1'âge de l'information. Le câblage des Parlements, par exemple, est parfois considéré comme un moyen d'améliorer ou de dépasser les problèmes que posent aujourd'hui les principes de responsabilité et de représentation. Peu semble compter le fait que ces problèmes soient profondément ancrés au coeur même de la désillusion et de l'apathie ressenties aujourd'hui à rencontre des institutions, des mécanismes et des conséquences de la vie parlementaire conventionnelle de nos sociétés post-industrielles.

Si, comme cela semble probable, ce sont des effets complexes que les NTIC sont appelées à avoir sur la qualité de notre vie démocratique, alors il semble nécessaire d'aller au delà de ces opinions superficielles, et de soulever les questions suivantes :


· Quelles sortes de NTIC sont susceptibles de produire quels effets, et pourquoi ?


· Quels sont les mécanismes politiques susceptibles d'être affectés et de quelle manière?


· Qui se heurte aux problèmes que ces technologies de l'information et de la communication seraient aptes à résoudre ou à vaincre ?


· Et, par conséquent, quelle peut être leur importance dans la perspective d'une vaste réforme institutionnelle, impliquant le renforcement, le dépassement ou le remplacement de la démocratie parlementaire ?

C. L'ACCÈS AUX NTIC DANS LA PERSPECTIVE D'UNE DÉMOCRATISATION DE LA VIE POLITIQUE

Considérons la nature et la source des contributions technologiques aux démocraties politiques et examinons la diversité des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication à même de produire des effets conséquents. Il est couramment admis que les infrastructures toujours plus nombreuses développées pour les besoins du commerce électronique et de la fourniture de services publics créent les moyens technologiques pour le développement de la démocratie électronique. Celle-ci serait un phénomène qui « n'attend plus que son branchement ». C'est, autrement dit, supposer que la démocratie électronique se laisse concevoir comme le produit dérivé d'une révolution technologique principalement entraînée par d'autres priorités. Parmi ces priorités, l'extension de l'emprise -et par conséquent du marché - des communications électroniques, la réduction du coût des transactions commerciales ou de service public à gros volume, la vente en ligne de services d'information et de loisir.

En d'autres termes, le souci d'accroître la démocratie n'est pas, par lui même, le moteur de l'innovation technologique. Les priorités commerciales et politiques déterminent, déjà, tant le type d'applications susceptibles d'être développées que leur distribution géographique et leurs destinataires. Et puisqu'il en est ainsi, on peut prévoir sans risque la nature des moyens de communication et des applications qui seront offertes aux populations du monde occidental dans les prochaines années. Bien que le rythme de la convergence vers des supports multimédia soit en train de s'accélérer, ces moyens de communication incluent aujourd'hui :

Les services téléphoniques

Les services de téléphonie traditionnels sont vraisemblablement appelés à demeurer le moyen électronique de communication le plus largement diffusé, dans toutes les classes sociales et presque toutes les aires géographiques. Sont en train de s'y associer - rapidement mais en aucun cas universellement - de nouveaux téléphones à haute valeur ajoutée, capables de supporter des connexions téléphoniques à haut débit et des fonctions interactives telles que la vidéoconférence, laquelle est déjà considérée comme un outil indispensable dans les petits groupes de décideurs et largement utilisée, tant par les entreprises que par les Gouvernements. Les téléphones portables connaissent également un essor rapide dans certains groupes sociaux, et devraient rendre ainsi à court terme l'accès au commerce électronique et aux services de loisir moins dépendants des infrastructures de télécommunications fixes.

La télévision numérique

Au cours de la prochaine décennie, la télévision numérique devrait elle aussi se développer rapidement : elle est un moyen simple et facilement accessible de se connecter à Internet et aux services de messagerie électronique, de réaliser des transactions en ligne, d'acheter de l'information et des services de loisirs. Dans un premier temps cependant, la télévision numérique ne devrait pas se substituer complètement aux autres technologies de diffusion. Ainsi, au Royaume Uni, les chaînes classiques par diffusion terrestre seront maintenues jusqu'en 2009 de crainte que les personnes âgées et sans ressources ne puissent changer leurs équipements tant que les prix n'auront pas diminué dans des proportions significatives. Des boîtiers d'adaptation pourraient cependant être diffusés à plus grande échelle, afin de permettre la connexion des téléviseurs traditionnels à des services à bande passante plus élevée.

Micro-ordinateurs personnels

Les micro-ordinateurs sont d'ores et déjà omniprésents dans les équipements de bureau. Leur utilisation est également en plein développement dans l'environnement domestique. À titre d'illustration, 40 % de la population britannique possède un micro ordinateur à la maison, dont une fraction de plus en plus importante est connectée à Internet (Cabinet Office, 1999). De nombreuses études, cependant, considèrent que l'utilisation de micro-ordinateurs en réseau se développera surtout auprès de la population jeune et instruite des classes sociales supérieures.

Les terminaux en réseau dans les espaces publics et commerciaux

Il s'agit des équipements situés dans les kiosques d'information publique, les bibliothèques, les mairies des villages « câblés », les cybercafés, ainsi que des équipements spécialisés, pour la réalisation de sondages en ligne, par exemple. Parce qu'ils sont des biens publics communs, mis à disposition dans les lieux publics, ces équipements, bien plus que le service public du téléphone, les ordinateurs personnels ou les téléviseurs, sont considérés comme des symboles de la démocratie. À tel point que ces terminaux d'utilisation publique figurent en bonne place dans certains documents officiels consacrés à l'informatisation des fonctions « productives » des Gouvernements, telles que la diffusion d'information ou la mise à disposition de services. Le projet "Gouvernement en ligne" du G7, par exemple, fait des kiosques d'information publics les chevaux de bataille de l'amélioration de l'accès aux services publics (G7 Government Online Projet, 1995), et considère leur existence comme un apport potentiellement important pour le contexte démocratique de la vie politique. Ainsi le Gouvernement britannique est-il sur le point d'officialiser leur utilisation pour le vote aux élections locales et législatives.

Conceptualisation de la valeur démocratique de l'informatisation: « l'échelle »

Il existe donc des raisons de penser que des formes multiples de commerce et de Gouvernement électroniques se développeront dans les prochaines années, et qu'en principe, ces dispositifs pourraient servir de vecteur puissant au développement de la démocratie électronique. Mais de quelle puissance exactement? Comment et à quel degré sont-ils susceptibles d'affecter la démocratie parlementaire? Dans une précédente communication (Bellamy et Raab, 1999), nous nous proposions d'examiner ces questions à l'aide d'une "échelle d'informatisation" (Illustration 1) librement adaptée de la célèbre "échelle de participation du citoyen" dans la décision publique conceptualisée par Arnstein (1969). Les barreaux de l'échelle d'Arnstein figuraient les diverses possibilités de participation du citoyen dans un ordre de sophistication croissant, certains échelons pouvant avoir des effets aussi bien négatifs que positifs sur l'attribution de pouvoirs aux citoyens. Les cas de figure allaient de tentatives de manipulation du public pour lui faire accepter les préférences du décideur, en passant par de simples consultations, jusqu'à des mécanismes susceptibles de donner effectivement au citoyen des capacités de participation et de contrôle. En tant qu'instrument d'analyse, 1'échelle présente cet avantage qu'elle aide à mettre à jour les corrélations complexes qui existent entre stratégies de pouvoir et stratégies d'information. En soi, le fait de donner ou de recevoir de l'information n'altère pas la répartition du pouvoir, ou s'il le fait, c'est de manière complexe. Ainsi, notre "échelle d'informatisation" permet d'illustrer la distinction floue, mais néanmoins essentielle, entre, d'une part, une utilisation équivoque des NTIC, qui prétend renforcer la démocratie au service du citoyen par le biais d'un contrôle plus étroit exercé sur celui-ci, et d'autre part, une utilisation démocratique, moins ambivalente, des NTIC comme « technologies du citoyen ».

Illustration 1 : "Échelle de l'informatisation" du point de vue de la démocratie parlementaire

- Interaction (collective) Parlement/ Exécutif/ Citoyen sur les politiques publiques

- Interaction (individuelle) Parlement/ Citoyen sur des questions d'intérêt individuel

- Diffusion de l'information auprès du public par le Parlement

- Utilisation des NTIC pour améliorer le fonctionnement interne du Parlement et les mécanismes électoraux

On peut observer, à partir de cette image simple de l'échelle, que la simple multiplication des possibilités de contact électronique entre les électeurs et leurs représentants, au niveau des échelons inférieurs, peut favoriser un système de représentation plus efficace, sans pour autant déstabiliser ou remettre sérieusement en cause celui-ci. Ces liens peuvent même accroître l'adhésion au système, et en renforcer par conséquent la stabilité. Plus haut sur l'échelle, cependant, si l'on fournit davantage d'information, ou si l'on ouvre la porte à d'autre types d'interaction, on peut induire des changements plus substantiels, qui auront donc des effets plus ambigus sur la santé de la démocratie parlementaire.

Examinons à présent ce point plus avant, en utilisant une version plus détaillée de l'échelle, sur laquelle nous tenterons de placer, à chaque échelon, les différentes fonctions assurées par voie électronique, selon un ordre de sophistication ascendant (Illustration 2). A l'échelon le plus bas, se trouvent les propositions qui visent à renforcer la démocratie parlementaire par une amélioration de l'efficacité de ses représentants élus, asseyant ainsi l'influence et le prestige des Parlements. Les innovations de ce type tentent de répondre à l'idée qui veut que l'une des causes majeures de l'incapacité des Parlements à délibérer sereinement et à remplir effectivement leur fonction de contrôle du Gouvernement réside dans le médiocre niveau d'information et le manque d'indépendance des parlementaires. Les NTIC peuvent aider à résoudre de tels problèmes, en fournissant par exemple un accès direct en ligne à des services de bibliothèque et de recherche perfectionnés. Cependant, si ces mesures peuvent améliorer la qualité du travail parlementaire, elles n'augmentent pas nécessairement la participation du citoyen, ni n'améliorent de façon significative le fonctionnement de la démocratie parlementaire.

Au second échelon, les technologies de réseau, comme Internet ou la télévision numérique, permettent d'alimenter plus efficacement le public en information. Elles offrent en effet un moyen rapide et peu onéreux de diffuser une large palette d'information : comptes rendus des débats parlementaires, projets de loi, rapports législatifs, informations sur les parlementaires, y compris sur le temps qu'ils consacrent à leurs électeurs, scrutins, déclarations publiques ; mais aussi information diffusée par les ministères telle que réponses aux questions parlementaires, information sur les élections, y compris les programmes des partis et les matériaux de campagne. Au moins potentiellement, un accès très ouvert à de telles informations devrait permettre aux citoyens d'assumer leur rôle d'électeur avec plus d'intelligence et de compétence. Mais il augmenterait également leur dépendance à l'égard des grands canaux de diffusion, et par conséquent de ceux qui les contrôlent.

Illustration 2 : Application de "l'échelle" à la démocratie parlementaire

Participation en ligne aux procédures des commissions parlementaires

Participation en ligne à des comités de citoyens ou à des groupes de délibération

Participation en ligne à des groupes de réflexion

Participation aux forums politiques de la société civile tels que les agoras électroniques .

Mobilisation de l'opinion par voie de pétitions et de campagnes en ligne.

Participation en ligne aux meetings électoraux.

Service de conseil en ligne assuré par les parlementaires

Correspondance électronique entre les parlementaires, les citoyens et l'exécutif

Publication des votes des parlementaires et de leurs déclarations publiques

Information sur la disponibilité des parlementaires

Programmes électoraux des partis et déclarations d'intention des candidats

Diffusion audiovisuelle des débats parlementaires

Publication des débats parlementaires et des scrutins

Publication des rapports officiels et des rapports parlementaires, des documents de travail des ministères, des projets et propositions de loi

Utilisation de systèmes experts à l'appui de la législation

Vote électronique des parlementaires

Accès des parlementaires aux documents de travail en ligne : projets de loi, comptes rendus des débats, ordre du jour des commissions. Accès en ligne des parlementaires aux services de la bibliothèque et d'information

Vote électronique aux élections législatives

Ces deux premiers échelons et les types de médiation technologique qui leur sont associés supposent un usage des technologies visant à fournir des sources d'accès à l'information plus riches, plus complètes, plus flexibles. En revanche, ils font relativement peu appel aux possibilités nouvelles qu'offrent les NTIC en termes d'interaction et de participation au processus démocratique. Le troisième échelon recense donc les solutions permettant d'exploiter, par exemple, le potentiel interactif des activités de conseil téléphonique ou la messagerie électronique, qui créent des liens nouveaux entre les représentants et leurs électeurs. Ce troisième échelon reste cependant globalement cantonné au domaine des communications interpersonnelles entre les citoyens et leurs représentants sur des sujets de préoccupation individuels.

Le quatrième niveau, en revanche, rassemble les propositions d'utilisation des NTIC destinées à permettre au public une participation plus directe, et surtout plus collective, aux procédures d'élaboration des politiques de la démocratie parlementaire. Ces propositions peuvent également permettre une approche plus directe et plus collective de la fonction de contrôle des élus et du Gouvernement, comme nous le montrerons dans la suite. Les premières heures de l'histoire de la démocratie électronique sont pleines de ces expériences, souvent appelées de manière évocatrice "rencontres électroniques urbaines", ou "forums citoyens". On y fait usage de la télévision par câble pour impliquer les électeurs dans la campagne, les faire participer à des débats avec les élus ou à des face-à-face avec les personnes publiques (Abramson et al. 1988). Internet fournit même des possibilités, plus riches et plus ouvertes, d'interaction démocratique sur les problèmes d'actualité, en particulier dans la phase d'élaboration des textes de lois et de définition des politiques publiques. Il n'est pas difficile par exemple d'imaginer une combinaison qui permette au public, ou aux porte-parole de groupes de pression de présenter leurs arguments en ligne aux commissions parlementaires.

Ces « échelons supérieurs » d'utilisation des NTIC semblent être, sans aucune ambiguïté, des occasions positives de renforcer l'implication, la compétence et les pouvoirs des citoyens dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire. Il faut poser, cependant, deux importantes mises en garde. La première est qu'il est loin d'être sûr que cette expansion des nouvelles technologies sera nécessairement universelle, rapide et égalitaire. L'analyse précédente a montré que les équipements permettant de fournir les services d' information les plus performants et les moyens de communication interactifs les plus souples se diffuseront à un rythme beaucoup plus soutenu parmi les populations jeunes, éduquées, des classes sociales supérieures, et plus particulièrement auprès de ceux qui bénéficient déjà d'un accès continu et personnel à un micro-ordinateur, et qui représenteront longtemps encore une part importante du marché des téléphones mobiles. C'est la raison pour laquelle, de fait, beaucoup de Gouvernements et de nombreuses compagnies commerciales considèrent que dans les années à venir, les centres d'appel -sollicités, pour l'essentiel, par une clientèle utilisant des téléphones à touche connectés au réseau terrestre - resteront un canal important de transactions à haut volume et faible coût, telles que les demandes de prestations sociales. En d'autres termes, bien que les services de commerce ou de Gouvernement électronique soient sans doute appelés à connaître une expansion rapide dans les prochaines années, cela ne signifie pas pour autant que la population dans son ensemble bénéficiera d'un égal accès à ces technologies et à ces services, lesquels semblent mieux adaptés à des contributions plus sophistiquées à la démocratie.

La seconde mise en garde consiste en ceci qu'en aucune façon il n'est prouvé que l'investissement dans les NTIC favorisera nécessairement l'émergence rapide d'applications de haut niveau, utile à la démocratie électronique. La croissance du commerce électronique dépendra de celle du niveau des capitaux investis pour développer quatre types clairement distincts de technologie électronique. Il est important, de surcroît, d'identifier lesquelles de ces technologies sont susceptibles d'être le plus rapidement développées et affectées au renforcement et à la promotion de la démocratie parlementaire. Ces quatre types de technologie sont les suivants :

- les services d'information et de loisir à destination du public ;

- le développement et l'intégration du traitement de données et des moyens de communication dans l'informatique de gestion interne des organisations, tant dans le secteur commercial qu'au Gouvernement;

- l'échange électronique des données entre organismes de traitement de données ;

- le développement des possibilités de transaction entre les organisations et le public.

Il est clair que les deux premiers procédés sont plus faciles à développer que les troisième et quatrième. L'utilisation, notamment, de moyens électroniques de transaction reste jusqu'à présent l'aspect le plus modeste et le moins développé du commerce électronique à travers le monde. Il existe de bonnes raisons à cet état de chose parmi lesquelles, et ce n'est pas la moindre, le sérieux défi que pose le développement de flux nouveaux d'information et de communication, lié aux contraintes propres aux infrastructures et mécanismes traditionnels de traitement des communications et de l'information, ainsi qu'au souci d'exercer un contrôle sur l'usage qui en est fait. Les tenants de la thèse de la « consolidation » considèrent que les institutions existantes tendent à s'approprier ces nouvelles technologies et à les façonner pour leurs propres besoins. La technologie serait un outil de consolidation de leurs structures de pouvoir. Il n'est par conséquent pas surprenant que les institutions démocratiques et politiques estiment facile d'innover et en particulier d'intégrer les innovations dans leur routine quotidienne - attitude conforme aux paradigmes de la communication, et à celle qui a cours dans les structures établies de contrôle politique et les fonctions organisationnelles bien rodées. Si tel est le cas, on peut donc s'attendre à ce que les Parlements eux aussi s'attachent à la modernisation de leur fonctionnement interne et à la diffusion d'information auprès du public, mais fassent preuve, en revanche, d'un intérêt moindre à développer et à intégrer des relations réellement démocratiques avec les citoyens.

Ainsi que nous l'observions dans notre précédente communication, les exemples concrets ne manquent pas pour illustrer ces quatre niveaux de l'échelle d'informatisation. Cependant, nombre des exemples décrits dans l'abondante littérature sur la démocratie électronique ne sont rien d'autre que des démonstrations ou des projets expérimentaux établis par des sociétés commerciales spécialisées dans la haute technologie, des chercheurs en sciences sociales ou des groupes de pression. Une étude systématique menée sur les réformes nées dans le laboratoire de la démocratie parlementaire, puis institutionnalisées donnerait une image moins optimiste. Elle ferait apparaître une presque totale concentration de l'innovation aux niveaux les plus bas de l'échelle. Peut-être que le temps amènera une véritable avancée des Parlements sur le terrain des nouvelles technologies. En l'absence toutefois, dans le monde politique, des impératifs commerciaux qui détermineront sans aucun doute certaines sociétés commerciales à franchir les obstacles qui s'opposent à des changements plus radicaux, les motivations qui pourraient favoriser une réforme tout aussi radicale et complète de la sphère de la démocratie électronique n'apparaissent pas, dans l'immédiat, très clairement.

La démocratie parlementaire : objectifs et problèmes

On voit donc, s'agissant de l'ampleur et de la rapidité avec lesquelles l'informatisation s'appliquera à la réforme de la démocratie parlementaire, qu'une large place est laissée au doute. Il n'y a pourtant guère à débattre sur la nécessité d'une réforme. Il existe, clairement, de nombreux phénomènes de long terme, et de tendances profondes amplement liées au long déclin de la démocratie parlementaire, notamment :


· le développement et la commercialisation des mass média, qui entraîne le déclin du discours politique « sérieux », et la montée en puissance d'une communication triviale et « tape-à-1'oeil »;


· le développement, en réponse à la création d'un électorat de masse, de partis politiques de masse, mais contrôlés par un appareil de parti oligarchique ;


· le développement corrélatif, dans l'enceinte du Parlement et à l'extérieur, d'une forte discipline de parti, qui conduit au contrôle des assemblées élues par le pouvoir exécutif;


· la complexité croissante des problèmes économiques et sociaux et l'interdépendance grandissante entre les institutions de la société civile et l'État dans les mécanismes politiques, qui aboutit à une « nouvelle gouvernance » consistant à transférer la prise de décision vers le monde opaque des réseaux politiques;


· le transfert du pouvoir et de l'autorité, en amont, au profit d'organisations supranationales telles que l'Union Européenne, et en aval, au profit des régions et de sous-ensembles de la nation, qui aggrave la perte de substance de l'État-Nation.

Ces phénomènes mettent à jour l'existence de transformations structurelles d'envergure, qui dépassent les circonstances particulières et l'histoire de chaque État. En Grande Bretagne, ces tendances sont à l'origine de ce que l'on a appelé la « dictature élective » des Gouvernements majoritaires, et de l'aptitude politique déclinante tant des élus que des électeurs. Bien que dans une mesure moindre, peut-être, que dans un pays comme les États-Unis, où le déclin des politiques démocratiques traditionnelles a commencé quelques années plus tôt, une large fraction de la population anglaise commence à se désintéresser de l'activité politique traditionnelle, pour se tourner vers les nouveaux mouvements sociaux et s'engager sur des causes sectorielles. Il se crée de ce fait un déficit démocratique, qui croit à mesure que s'érode la confiance dans les institutions politiques et les politiques électorales, tandis que les « affaires », fréquentes et de tous ordres, entretiennent pour une bonne part ce climat de défiance. Ce sont aujourd'hui principalement les réseaux diffus et complexes de la nouvelle gouvernance qui influent sur les politiques publiques : les questions insinuantes posées aux ministres par d'habiles journalistes, à la télévision et à la radio, font plus souvent jouer les mécanismes de la responsabilité que les séances, rares et déclamatoires, de questions au Gouvernement dans l'hémicycle.

La démocratie parlementaire, en bref, n'est plus l'axe autour duquel gravitent le monde politique et le Gouvernement, et nous nous acheminons, vraisemblablement, vers une ère "post-parlementaire". Le problème central pour nous, et sans doute aussi dans le cadre de ce colloque, est de savoir si l'utilisation des NTIC peut aider et aidera effectivement à rendre aux institutions parlementaires la place centrale qu'elles ont perdue. L'existence d'abondantes sources d'information et l'expansion des réseaux de communication, en ce deuxième âge des média, sont-elles à même d'insuffler une nouvelle vie aux formes parlementaires de la démocratie, et de remettre en marche les mécanismes de la représentation et de la responsabilité ? Ou bien l'application de ces nouvelles technologies aux institutions parlementaires et aux politiques électorales ne se résumera-t-il à rien d'autre qu'à un simple « câblage » des élites installées au sommet de l'État ? Il faut répondre à cette question en deux temps. Il faut, en premier lieu, préciser le rôle que l'informatisation pourrait jouer dans la redynamisation de ces mécanismes clé que sont la représentation et la responsabilité. Il faut, en second lieu, examiner si le cadre institutionnel de notre vie politique contemporaine est adéquat pour développer les conditions requises.

Mais avant de nous attaquer à ces questions, il nous faut répondre à celle-ci : « À quoi servent les Parlements? » La démocratie ne se limite à la liberté pour les citoyens d'exprimer leur opinion personnelle, de promouvoir leurs intérêts privés ou de chercher réparation aux préjudices subis; elle ne se limite pas non plus à la liberté de se regrouper pour se donner les moyens de garantir leurs droits individuels. Sans doute ces libertés font-elles partie de la démocratie, mais il n'en reste pas moins que les individus ont aussi des intérêts communs, en tant que collectivité. Cette collectivité publique partage des valeurs et des biens communs, édicté les règles de la vie collective, et établit les principes qui assureront le bien-être mutuel. L'importance reconnue à ce "domaine public" a des conséquences cruciales dès lors qu'il s'agit de décider de la nature démocratique d'un système politique. En premier lieu, une démocratie doit établir des mécanismes d'ensemble, ouverts, qui permettent non seulement de soulever mais de résoudre les problèmes d'intérêt général, et au travers desquels le système de valeur qui les sous-tend puisse être constamment testé, et renouvelé. En second lieu, les décisions prises, les actions entreprises au nom de l'intérêt général doivent être ouvertes à l'examen et au contrôle des citoyens. En troisième lieu, les préjudices que ces décisions ou ces actions pourraient faire subir aux individus et aux minorités doivent être prévenus, ou pour le moins réparés. En conséquence, la notion de « public » est nécessairement duale. « Public » signifie non seulement « le public en tant que collectivité » (formant un tout) mais aussi « le public dans sa pluralité » (tous et chacun). Aussi un « citoyen » est-il tout à la fois le membre d'une société partageant des intérêts communs, et un individu parmi un agrégat d'autres individus, qui possèdent chacun leurs intérêts propres. L'exercice de la citoyenneté implique donc certes le pouvoir d'influer sur les choix publics et de mettre enjeu la responsabilité des décideurs, mais elle doit aussi prendre en compte et respecter l'interdépendance complexe qui existe entre objectifs publics et préoccupations privées.

La tension constante qui doit inévitablement exister, dans une démocratie saine, entre la collectivité comme tout et la pluralité des individus, doit se traduire en une tension tout aussi créatrice entre les fonctions expressives du système politique - soit les procédures grâce auxquelles les individus et les groupes parviennent à concilier leurs vues ou leurs intérêts - et les fonctions agrégatives - soit les modalités par lesquelles ces vues et ces intérêts partiels sont ajustés pour façonner les décisions collectives de la société dans son ensemble. Cette tension doit se refléter dans des procédures de discussion et des mécanismes décisionnels capables de cristalliser et de résoudre les problèmes publics. Dans une démocratie parlementaire, l'accent est généralement mis sur la fonction délibérative du Parlement lui-même, laquelle permet de s'assurer que les décisions ne résulteront pas d'un simple décompte de voix mais seront le reflet d'une véritable confrontation de vues. Les institutions parlementaires n'ont pas pour seule fonction de tenir le registre des opinions et des intérêts, elles se doivent aussi d'interpréter leur signification, et de les rassembler, les concilier et les « re-présenter » afin de « préserver la réactivité du Gouvernement face aux courants souterrains ou aux vagues de fond plus violentes qui animent l'opinion publique ». Ainsi, le Parlement est-il la cheville ouvrière du système, « l'intermédiaire essentiel » entre le Gouvernement et le peuple. Il se doit non seulement de représenter celui-ci auprès de celui-là, mais aussi de placer le Gouvernement face à ses responsabilités.

La démocratie parlementaire est par conséquent fondée sur la foi dans les vertus de la discussion et du débat public : sur la conviction que toute opinion doit pouvoir être mise en cause, et en particulier celles qu'avance le Gouvernement. Mais si la discussion et le débat public ne se déroulent que dans l'enceinte de l'hémicycle, ou ne sont alimentés que par des joutes oratoires entre porte-parole de partis politiques, alors, loin d'oeuvrer comme la cheville ouvrière du système, le Parlement ne sert plus qu'à isoler le Gouvernement de ceux qu'il est censé représenter. Le concept « d'espace public » forgé par Habermas, concept qui focalise une attention croissante chez les observateurs de la démocratie contemporaine à l'ère de la communication, nous aide à nous rappeler que les institutions parlementaires fonctionnent mieux quand elles sont appuyées par un ensemble prospère d'institutions civiles telles que des médias indépendants ou des structures comme les comités de citoyens, de création plus récente. Parce que ces institutions savent forger des opinions cohérentes à partir d'un imbroglio d'intérêts et de points de vue, et peuvent donner aux Parlements une « impulsion stratégique » sur les problèmes d'actualité.

Ces mécanismes à plusieurs strates associant débat public, délibération et responsabilité, créent un besoin subtil et complexe, que l'informatisation serait susceptible de satisfaire, en moyens d'information et de communication. À l'évidence, la démocratie parlementaire suppose qu'une information gratuite, impartiale, exacte, puisse circuler entre le Gouvernement, le Parlement, les institutions politiques, celles de la société civile et, au delà d'elles, auprès de chaque citoyen. Mais ce n'est pas par la simple ouverture des canaux de communication et par l'augmentation de leur flux que l'on revitalisera la démocratie. Il s'agit aussi, et c'est essentiel, de donner forme aux canaux, aux contenus et aux modes d'interprétation de l'information. La capacité d'une informatisation de la démocratie parlementaire à promouvoir une meilleure représentation des citoyens et à rendre les Gouvernements véritablement responsables dépend non seulement de la liberté avec laquelle circule le flux d'information, mais aussi de qui en contrôle l'accès et en détermine les contours. Elle dépend aussi de la capacité des citoyens et de leurs représentants élus sont à en faire usage, de manière effective et indépendante, dans les procédures clé que nous avons identifiées.

On peut illustrer ce point important en examinant plus en détail le fonctionnement du mécanisme de la responsabilité Gouvernementale liant la responsabilité à l'échange de notes et de rapports entre supérieurs et subordonnés. Il existe des codes de la responsabilité, consistant en coutumes établies qui gouvernent les comportements et fournissent des règles de mise en forme de ces échanges qui définissent les termes dans lesquels les rapports sont présentés et examinés. L'informatisation des ces mécanismes de responsabilité rendrait sans doute la procédure plus efficace, mais sans remettre en cause, pour autant, les codes en vigueur; il ne rendrait pas la responsabilité plus effective. Plus fondamentalement, le renouveau de la démocratie parlementaire dépend tout autant de l'existence du pluralisme que de l'utilisation, dans le processus d'élaboration du jugement politique, de voies de diffusion de l'information et de modalités d'interprétation plus riches et plus diversifiées, on constate ainsi combien est signifiante la façon dont les rapports sont reçus et examinés. « Afin de juger de la qualité et de l'exactitude d'un rapport, les électeurs doivent avoir à leur disposition des moyens d'évaluation indépendants du Gouvernement. De surcroît, les électeurs doivent pouvoir contraindre le Gouvernement à rendre compte de ses actions ce qui (...) doit inclure (...) ses objectifs, la perception qu'il a du cadre dans lequel il mène son action et une « théorie » explicative de la manière dont cette action doit lui permettre d'atteindre ses objectifs. L'élaboration par le Gouvernement de rapports d'étape et de bilans et la capacité des citoyens à les évaluer et à produire des contres rapports dépendent de la capacité à produire des rapports alternatifs, et de l'existence de mécanismes permettant de rechercher un accord de vues. Les citoyens doivent par conséquent avoir accès non seulement aux rapports eux-mêmes, mais également aux données et aux procédures d'élaboration de ces documents. Ils doivent avoir les moyens de redéfinir les principes directeurs d'élaboration de ces documents, afin d'élaborer des hypothèses alternatives, et d'alimenter ces hypothèses à l'aide d'éléments nouveaux. Ils doivent être pleinement impliqués dans la procédure de production de ces rapports. ».

Nous avons cité ce raisonnement dans son entier parce qu'il souligne combien il est important de se faire une conception très large de l'informatisation. Nous restons sceptiques quant à l'intérêt de lancer le débat sur les applications démocratiques des nouvelles technologies en des termes qui canalisent pour l'essentiel l'attention sur la question de l'extension de l'accès à une panoplie plus riche de moyens de communication, ou de l'augmentation de la quantité de l'information. Il paraît en effet au moins aussi important de traiter de la question de la qualité, de l'origine, et du contrôle de l'information, ainsi que de sa signification. Ceci suppose que l'on ait saisi combien il est important de rendre publics les motifs des décisions et de l'action du Gouvernement, pour stimuler le débat et développer la capacité à remettre en cause les hypothèses et les concepts qui, en deçà des discours, étayent les faits, lesquels faits sont trop souvent rangés sous des catégories dont le Gouvernement contrôle la définition. La contribution des NTIC à la démocratie parlementaire restera relativement modeste, si elles ne sont utilisées pour faciliter l'accès, non seulement à une palette plus large d'information, mais aussi à des sources plus diverses d'information. Questions et réponses pourraient alors être élaborées depuis des points de vue alternatifs, et le débat public construit sur le fondement de sources qui ne seraient plus le monopole exclusif du Gouvernement. Notre raisonnement tend donc à souligner l'importance des rapports politiques et sociaux qui existent entre représentation et responsabilité : loin d'être déterminés par les procédés technologiques et les mécanismes de l'information, ils les influencent et entrent en interaction avec eux. Ceci met en lumière la nécessité qu'il y a à replacer l'analyse de l'informatisation dans le contexte institutionnel plus large qui donne forme à ces relations, et à rechercher dans quelle mesure et de quelle manière ce contexte peut, en retour, être restructuré par les nouvelles technologies.

Informatisation et vagues de transformation du contexte institutionnel de la démocratie

Revenons à présent au coeur de la question posée plus tôt, pour apprécier les perspectives de renforcement et de revitalisation de la démocratie parlementaire qu'offrent les nouvelles technologies. Elles dépendent pour beaucoup de l'interaction entre les nouveaux moyens de communication et d'information et les ondes complexes de transformation des structures du pouvoir politique que nous avons identifiées ci-dessus. Commençons alors par examiner un certain nombre de remarques souvent formulées, relatives à l'impact sur les politiques démocratiques des transformations dans la nature et le contrôle des technologies de l'information et des moyens de communication.

Inverser le cours de la commercialisation et de la "massification" des média électroniques

L'une des revendications majeures en faveur de la révolution cybernétique tient en ceci que, contrairement aux mass média - par nature unilatéraux, non-interactifs, et qui s'adressent à un auditoire atomisé et indifférencié - Internet fait des individus des utilisateurs autonomes et toujours plus sélectifs d'information, capables de choisir l'information qu'ils vont rechercher. Internet est davantage une technologie de recherche que de délivrance de l'information, avec tout ce que cela entraîne en termes d'amélioration du contrôle personnel sur cette information. Internet permet également aux utilisateurs de créer leurs propres moyens de communication et ce faisant de reprendre contrôle sur la manière dont leurs opinions, leurs intérêts et leurs identités sont façonnés par les média électroniques et représentés en eux. Internet serait donc, parce qu'il suscite la création de sources d'information plus variées et de moyens nouveaux et indépendants de communication politique, un média de la pluralité. Loin de renforcer les tendances à un plus grand dirigisme de nos démocraties, la société cybernétique est, pour beaucoup, porteuse de pouvoirs subversifs à l'encontre des hommes politiques, des bureaucrates et des « tycoons » des média. L'enthousiasme est donc considérable face à l'éclosion de réseaux sociaux, de forums électroniques et de tableaux de bord en ligne, qui illustrent le vaste potentiel de ces nouveaux moyens de communication, ouvrant grand les voies de l'action politique et du débat public : des pétitions sont lancées sur Internet et par messagerie, des campagnes électorales sont re-dynamisées grâce aux possibilités d'accès à ['informations sur les candidats et aux meetings électroniques ; enfin, les moyens de communication électroniques sont utilisés pour diffuser, y compris dans des circonstances de répression politique, une information, de source locale et authentique, sur les expériences menées dans des régimes jusqu'ici fermés, comme ceux des Balkans ou de la Chine.

Les retombées potentielles de telles possibilités sur la vie démocratique peuvent s'avérer inestimables, dans la mesure où nombre d'entre elles touchent directement aux mécanismes clé de la responsabilité et de la représentation. Malheureusement, comme nous l'observions dans un précédent article, la réalité n'a pas, jusqu'à présent du moins, vérifié ces pronostics optimistes, en particulier en ce qui concerne la qualité de l'interaction entre citoyens, élus et Gouvernements. Il faut aussi garder présent à l'esprit le fait que dans les années à venir et pour un certain temps, la plupart d'entre nous continuera de recevoir une proportion substantielle d'information politique par le biais des moyens de communication traditionnels, ce qui, paradoxalement sans doute, pourrait bien soumettre cet âge de l'information à une pression commerciale décuplée. De fait, la convergence croissante des médias de communication et des équipements électroniques de loisir - en particulier au travers d'innovations comme la télévision digitale - à quoi il faut ajouter la tendance accrue à la concurrence entre fournisseurs de services de communication et fournisseurs de services de loisir risquent d'avoir des retentissements sur les services publics de diffusion traditionnels, les poussant à réduire encore la couverture qu'ils accordent aux affaires politiques courantes ou des débats publics ponctuels. Si elles ne parviennent pas à convaincre les citoyens de l'importance et de l'intérêt de la politique, les nouvelles technologies auront échoué à surmonter l'apathie qui ronge le système actuel de démocratie parlementaire. Selon les termes de Mills (1959), les nouvelles technologies doivent permettre aux citoyens de replacer leurs préoccupations quotidiennes dans un cadre plus large en en analysant les vicissitudes en termes de facteurs macro politiques. Ils verront ainsi les raisons de s'engager sur les questions de fond touchant au système politique. Au delà de cette « prise de conscience », les nouvelles technologies doivent aussi donner les moyens d'une participation accrue. Cette fonction pourrait constituer l'un de leurs objectifs, qui ne sera atteint qu'à la condition qu'elles pénètrent la société sous des formes conçues pour ouvrir l'accès à la politique, et non comme de simples instruments de consommation, pour les loisirs, les achats, le règlement des prestations sociales, ni comme des organes de surveillance et de contrôle par le haut.

Il faut à présent examiner quelle influence peuvent avoir ces changements dans la nature et les modes de contrôle des moyens de la communication politique sur l'autre série de problèmes qui se pose à la démocratie parlementaire, et que nous évoquions tout à l'heure. Nous tiendrons la thèse générale que cette influence sera vraisemblablement complexe et que son intérêt pour la démocratie parlementaire ne sera en aucun cas dénué d'ambiguïté.

Des partis polit iq ues et du pouvoir de la dis ci pline de parti

Il est clair qu'en principe, les NTIC pourraient aisément promouvoir une grande variété de canaux de communication nouveaux au sein des organisations politiques, grâce auxquels la structure des flux d'information pourrait être modifiée, et des ressources considérables mises au service de tous les membres. En d'autres termes, les NTIC pourraient servir à stimuler les oeuvres vives des partis politiques de masse et les aider à se mobiliser contre les appareils de parti. Mais il se pourrait bien, en cette ère de l'information, que de leur côté les élites des partis s'équipent elles aussi d'une panoplie plus large et plus efficace d'outils électroniques susceptible de renforcer leur suprématie sur le terrain de la communication. Que l'on tombe ou non d'accord avec R. Michels (1915) pour affirmer que les organisations partisanes tendent par nature à devenir oligarchique, l'histoire atteste de la difficulté à mettre en oeuvre une réforme de telles organisations. En outre, comme nous le verrons ci-après, les partis traditionnels, en cette ère de l'information, peuvent tout aussi bien être mis à l'écart ou vidés de leur substance par l'émergence de nouveaux mécanismes politiques, que poussés à se régénérer grâce aux nouvelles technologies.

Des relations entre Parlement et pouvoir exécutif

Le contrôle du Parlement par l'exécutif est inscrit au coeur même du système des cabinets - du type de celui qui existe en Grande-Bretagne - bien qu'il se puisse que cette relation fonctionne quelque peu différemment dans un système présidentiel comme celui de la France. Dans le cadre institutionnel britannique, la « dictature élective » du Gouvernement est la conséquence du renforcement, depuis plus d'un siècle, de la discipline de parti. Il est peu probable qu'une simple informatisation des institutions représentatives suffise à dénouer cette situation, en particulier si informatiser ne signifie rien de plus que renforcer la capacité du Gouvernement à transmettre des informations au Parlement, l'aptitude des parlementaires à communiquer individuellement avec les citoyens ou avec le public dans son ensemble. Les réformes récentes des procédures parlementaires britanniques restent prudentes en ce domaine, et, bien qu'elles aient eu des effets importants sur le contrôle de l'exécutif par le Parlement et par le public, elles n'ont pas réussi, et ce n'est sans doute pas une surprise, à transformer fondamentalement la relation entre Gouvernement et Parlement. Ce que l'on peut mettre au crédit des NTIC dans ces transformations - avec, par exemple, la retransmission télévisée des débats (qui ne fait appel qu'aux technologies du « premier âge des média »), ou un meilleur accès aux documents et aux rapports via Internet - est de peu de secours pour l'école « visionnaire ».

Des réseaux et de la gouvernance

L'éclatement du système Gouvernemental en groupes technocratiques spécialisés ou en « sous-Gouvernements » couvrant tant les intérêts publics que privés est depuis longtemps reconnu. Mais les commentaires qui dénoncent le décentrage de la démocratie qui peut résulter d'une telle tendance sont moins nombreux que ceux qui marquent une acceptation tacite de cet état des choses, présenté comme la seule manière de gérer la complexité et l'interdépendance dans notre monde moderne. La question se pose alors de savoir comment les NTIC peuvent aider à inverser - ou du moins aider à gérer - cette tendance au verrouillage de la prise de décision, réglée par des réseaux fermés et opaques, hors des enceintes principales de la démocratie parlementaire. Cette question amène à rechercher dans quelle mesure les élites sociales et économiques, empêtrées dans des réseaux néo-corporatistes, sont elles-mêmes soumises à un contrôle démocratique et susceptibles de renouvellement. Il ressort ainsi des travaux d'Etzioni-Halevy (1993) et de Putnam (1993, 1995) que la capacité des États modernes à promouvoir des manières consensuelles et globales de gouverner, dépend de facteurs tels que la circulation des élites, l'intégration des réseaux d'administration, et la manière dont ces réseaux sont adossés à des institutions civiles dynamiques. Ces questions sont donc en phase avec une préoccupation grandissante de la théorie récente de la démocratie, dénommée tantôt « associative », « actionnariale », ou même « démocratie socialiste de marché », avec, autrement dit, les stratégies visant à démocratiser les centres de prise de décision et de pouvoir multiples qui caractérisent les structures complexes et interdépendantes de notre gestion publique moderne. Si tant est que de nouveaux types de flux d'information, diffusés par voie électronique, et de nouvelles ressources, y compris celles que génèrent les réseaux sociaux et les tableaux de bord en ligne peuvent aider à faire aboutir de telles stratégies, alors l'informatisation pourrait atténuer les tendances anti-démocratiques que véhiculent les réseaux politiques.

Il faut toutefois tempérer l'optimisme de ces scénarios par deux importantes nuances. La première est qu'en permettant une communication plus rapide et un partage de l'information dans et autour des réseaux, les technologies de l'information et de la communication pourraient être elles-mêmes responsables de la prolifération des réseaux comme forme de gestion publique. Les NTIC, en réduisant les coûts et les inconvénients de la gestion des relations entre les différents domaines de la gestion publique, peuvent en masquer la complexité et la fragmentation. Mais en atténuant, ou même en encourageant la tendance à la formation de réseaux, les nouvelles technologies concourent également à en produire les conséquences politiques. En premier lieu, il est inévitable que certains acteurs développent de meilleures infrastructures technologiques que d'autres, et - toutes choses égales par ailleurs - se trouvent plus souvent « gagnants » dans le jeu politique qui se joue au sein des réseaux. La dépendance croissante à l'égard des nouvelles technologies laisse penser qu'elles joueront un rôle important dans la modification de l'équilibre des pouvoirs entre les acteurs. En d'autres termes, les technologies de l'information et de la communication comme avant elles l'argent ou les suffrages, sont en passe de devenir une source puissante de concurrence politique. Il y aura de nouvelles catégories de "possédants" et de "démunis" dans cette structure politique en réseau. Ce que Schattschnneider (1960) appelait « la mobilisation biaisée » - dans laquelle certaines questions et les intérêts qui y sont associés mobilisent le monde politique, alors que d'autres en sont exclues - pourrait bien persister dans les structures politiques en réseau. De fait, il se pourrait que cette mobilisation biaisée prenne de nouvelles formes, que les NTIC redéfinissent les règles du jeu. Et il pourrait en résulter, une simple redistribution plutôt qu'une suppression de l'inégalité et de l'impuissance politiques. Ce serait une issue bien peu démocratique.

En second lieu, même si les technologies en réseau de l'âge de l'information s'avéraient capables de redistribuer le pouvoir politique pour étendre la portée démocratique d'au moins quelques mécanismes décisionnels, resterait à savoir quelles formes de démocratie politique en résulteraient. Les scénarios que nous mentionnions plus haut s'attaquent au type de questions suivant : la démocratisation des mécanismes internes des partis politiques ; le renforcement et la démocratisation des institutions de la société civile -virtuelles pour quelques unes ; la responsabilisation des élites politiques et leur meilleure circulation au sein des réseaux. Ces scénarios visent, en d'autres termes, les fonctions tant agrégatives qu'expressives de la représentation et de la responsabilité, mais en les plaçant dans des centres de pouvoir abstraits au sein d'un univers complexe. Ce qui manque cruellement à de telles spéculations, c'est une réflexion sur la manière dont ces scénarios pourraient s'appliquer aux mécanismes électoraux traditionnels et aux débats parlementaires, en particulier en tant qu'ils mettent en jeu les mécanismes centraux de la représentation et de la responsabilité.

Au sujet de « l'éviction » .

La discussion précédente donne quelques exemples spécifiques de la conception générale qui veut que gouverner soit peut-être une opération trop complexe, et la société peut-être trop fluctuante pour être vraiment administrée, du moins dans le cadre des structures traditionnelles de l'État weberien. L'État subit une « éviction », tant interne qu'externe. Dans un monde de plus en plus globalisé, les Gouvernements perdent leur autonomie de décision sur les questions stratégiques et économiques ; leur capacité d'action est de plus en plus entravée par des interdépendances transnationales. Au plan interne également, les Gouvernements sont confrontés à des sociétés « multicentrées », faites de centres de pouvoir multiples aux modes d'influence changeants. Les mécanismes de la démocratie parlementaire ne sont pas épargnés par ces transformations : il faut être attentif à l'origine « culturelle » des rapports et des discours qui s'échangent dans les Parlements. Comment sont-ils échangés et par qui ? Quelle sensibilité reflètent-ils ? Le fait même de poser ces questions revient à douter que toutes les opinions puissent se faire entendre et se concilier par le canal nécessairement étroit et surveillé des institutions parlementaires. Peut-être, du moins, des formes plus directes et plus diverses de démocratie politique les traduiraient-elles plus fidèlement.

On peut donc légitimement considérer que les pratiques politiques doivent changer, pour s'adapter à une société faite de groupes sociaux multiples, de même que pour répondre à l'émergence de configurations Gouvernementales plus complexes et plus fluctuantes. Il semble que les réseaux, flexibles, du deuxième âge des médias, nous offrent les moyens techniques de faire face à cette complexité. Mais du même coup, d'importantes questions normatives se posent. En l'absence de nouvelles formes de coordination et d'agrégation des opinions, il existe un réel danger que les NTIC ne fassent qu'amplifier la fragmentation de l'espace public, et ne provoquent la balkanisation du politique en une multiplicité de groupes d'opinion fluctuants, incapables de s'agréger autour d'une action ou d'une décision collective. Et il est loin d'être certain que les institutions parlementaires sauront trouver une issue adéquate. Ainsi les Parlements risquent-ils de chercher, dans l'urgence, à prendre en compte les enseignements des débats politiques qui se mènent dans les forums électroniques du cyberespace. Et il se pourrait bien que de tels efforts d'assimilation soient regardés - à juste titre, peut-être - comme une tentative désespérée de domestication des nouvelles technologies et de résistance à une possible légitimation de nouvelles formes de démocratie.

D. CONCLUSION: LES NTIC ET LA DÉMOCRATIE POST-PARLEMENTAIRE

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons faire confiance aux NTIC -même si elles peuvent servir à moderniser certaines procédures institutionnelles et à encourager la communication entre les Parlements et le public - pour rénover radicalement les institutions et les mécanismes de la démocratie parlementaire.

Les institutions parlementaires, tant les nouvelles que les anciennes, ont certes toutes les raisons d'utiliser les systèmes d'information pour se renouveler, ou pour rénover des pratiques entachées de significations politiques et de formes de pouvoir hérités d'un autre temps. La puissance symbolique d'une telle modernisation serait immense, et pourrait avoir une influence concrète sur certains équilibres ou certaines relations de pouvoir. Pourtant, il y a peu de raisons de penser que l'informatisation viendra perturber ou accompagner les tendances de fond que nous avons dégagées. En particulier, nous ne voyons pas que les mécanismes de la responsabilité et de la représentation puissent être sérieusement affectés par la transformation des mécanismes de l'information et de la communication, précisément à cause de leur origine endogène. Il y a peu de pression externe qui pousse les Parlements à réformer leur fonctionnement par l'utilisation des NTIC. Pourtant, si cette pression existait, elle pourrait les inciter à transformer le système pour améliorer les mécanismes de la responsabilité et de la représentation. Mais hors de l'enceinte des Parlements, les plus enthousiastes sur le second âge des médias sont ceux qu'exalte la perspective d'une vie politique sans démocratie parlementaire. Ils sont donc tentés de comparer celle-ci avec ce qu'ils considèrent comme des formes plus authentiques ou plus directes de démocratie, mieux adaptées aux préoccupations du présent et du futur ; en d'autres termes, avec la vie politique post-parlementaire.

Mais de quelle sorte de vie politique s'agit-il ? D'une vie politique dans laquelle le principe de « représentation » n'a pas ou peu de résonance, et n'a pas place dans l'entreprise de relégitimation de la démocratie ; dans laquelle la responsabilité n'est pas localisée, ni conceptuellement ni empiriquement. Dans cette démocratie post-parlementaire, le souci d'améliorer les processus d'élaboration des choix politiques et des décisions reste sporadique. Il se traduit en métaphores qui portent plus sur le discours et la communication que sur la délibération et la décision. Pourtant, la délibération politique, en tant qu'elle entraîne une réflexion sur l'action publique et permet d'agréger et de réconcilier des opinions différentes et conflictuelles, donne consistance tant à la représentation de ceux qui ne peuvent être directement présents, qu'à la re-présentation de leurs points de vue et de leurs intérêts, réduisant ainsi les difficultés propres au principe de représentation lui-même. Alors que les mécanismes décisionnels collectifs, dans le cadre parlementaire, agrègent et condensent, le discours politique du post-parlementarisme, dans sa célébration de la richesse, de la variété et du pluralisme de l'opinion, désagrège et distend. Les nouveaux médias ouvrent certes des perspectives aux institutions représentatives de la démocratie parlementaire, et peuvent avoir des effets positifs sur le mécanisme de la responsabilité. Mais le discours post-parlementaire n'aboutit en soi à aucune conclusion sur la question de l'émergence de la décision, et il ignore superbement le principe de la responsabilité de l'action politique. Les réseaux électroniques appliqués à la communication politique, s'ils ne s'intéressent pas aux instances délibérantes de la démocratie parlementaire et à la responsabilité de l'exécutif, n'auront fait hélas que contourner, sans les résoudre, les problèmes auxquels sont confrontées les formes parlementaires de la démocratie dans notre monde contemporain.

II. INTERVENTION DE M. JOHN TAYLOR, GLASGOW CALEDONIAN UNIVERSITY

« Je me propose de vous présenter un travail que nous avons réalisé pour le nouveau Parlement écossais, dont vous savez qu'il vient d'être mis en place. Il s'agissait d'étudier les pratiques des autres sites parlementaires existants dans le monde. Nous avons posé une question simple : quel est le rôle d'un site web parlementaire dans la pratique démocratique ?

Les innovations cyberdémocratiques sont un phénomène mondial : partout, des initiatives sont prises sur la toile qui stimulent, d'une manière ou d'une autre, les valeurs démocratiques. Ces sites ont une valeur informative, comme nous avons déjà eu largement l'occasion de le constater au cours de nos travaux, mais ils possèdent également une valeur éducative. Ils visent aussi à renforcer et à augmenter le nombre de voies d'accès à la démocratie qui sont offertes aux citoyens, ou encore à leur permettre de débattre entre eux. Ils cherchent enfin à susciter un engagement plus fort de la part du citoyen.

J'ai sélectionné trois exemples - non parlementaires -- de ces valeurs qui sont promues par la cyberdémocratie, Le premier est le réseau Périclès, à Athènes, qui offre aux citoyens la possibilité de voter sur les enjeux de la collectivité, recréant ainsi l'idéal antique de la démocratie directe. À Amsterdam, en revanche, le site Digital City vise à renforcer la dimension associative dans la démocratie. Enfin, aux États- Unis, le projet Vote Smart, à l'instar de DNet, encourage les citoyens à chercher à en apprendre plus sur leurs élus. La diversité de ces trois exemples montre la variété des sites web dans le domaine démocratique, variété qui doit bien évidemment être prise en compte avant la construction d'un site web parlementaire.

Nous nous sommes ensuite intéressés à ce que devait être la contribution d'un site web parlementaire.

Nous avons considéré qu'un site web devait tout d'abord fournir de l'information. Le site du Parlement australien, par exemple, offre des liens qui permettent de bifurquer vers d'autres sites web qui vous intéressent en particulier. Le site doit aussi comporter des informations sur les élus, si possible introduites par une page d'accueil personnelle pour chaque élu, où l'on doit trouver aussi bien les coordonnées du parlementaire que son agenda. En Autriche, nous avons trouvé des liens vers les sites des principaux partis politiques parlementaires, ce qui est assez rare.

Un site web parlementaire doit aussi offrir un service aux citoyens. Le site web du Parlement européen permet par exemple de consulter les offres d'emploi et de déposer sa candidature.

Il doit aussi faciliter l'accès du citoyen au parlement. La principale innovation que nous avons trouvée, de ce point de vue, est celle du Parlement belge, dont l'intégralité du site est disponible en trois langues : français, néerlandais, anglais. Il faut aussi prendre garde à ce que les contenus ne soient pas trop lourds et donc trop longs à télécharger (par exemple il faut limiter le nombre de photos). De même, une mise à jour régulière est souhaitable, et la présence d'un moteur de recherche est un avantage supplémentaire.

Les sites parlementaires visent également à favoriser l'engagement citoyen. En Nouvelle-Zélande, le citoyen internaute trouve par exemple une fiche qui lui explique comment soumettre une proposition ou une contribution.

Pour conclure, je vais poser une série de questions, comme tout universitaire britannique qui se respecte... D'abord, les sites web parlementaires sont-ils vraiment source d'innovation ? Se différencient-ils les uns des autres ? Peuvent-ils être le point central d'une démocratie représentative ? Plus largement, peuvent-ils trouver leur place au coeur de la démocratie moderne ? Enfin, les nouvelles technologies vont-elle permettre au Parlement de retrouver la suprématie démocratique qui était la sienne il y a quelques années ? »

III. INTERVENTION DE M. STEPHEN COLEMAN LONDON SCHOOL ON ECONOMICS AND POLITICAL SCIENCE

« Au XVIIIème siècle régnait déjà la notion de représentation virtuelle, dont le principal défenseur en Grande-Bretagne était le député et philosophe Burke. Il considérait que les citoyens de peu de bien devaient être exclus de la politique, et que seule une minorité de possédants intéressés devait détenir le pouvoir pour le compte du peuple. La théorie de la représentation virtuelle est aujourd'hui discréditée. Au XIXème siècle est apparu le suffrage universel, le nombre d'électeurs a été multiplié par 2 et la part de votants est passée de 1 % à 2,5 % de la population. En 1928, les femmes ont obtenu enfin le droit de vote, et la représentation virtuelle est devenue réelle puisque les mandats étaient confiés aux élus par le peuple pour le représenter dignement.

Malheureusement, la discussion politique, qui devrait être un des piliers de la démocratie, s'est atrophiée depuis, pour devenir une délibération virtuelle entre une élite politique et une élite journalistique. L'émergence des nouvelles technologies pourrait nous donner quelques raisons d'être plus optimistes. Toutefois, si l'on part du principe que le débat démocratique est d'autant plus efficace que la majorité se tait et qu'on laisse le débat aux seuls professionnels, les nouvelles technologies ont peu de chance de se développer dans la vie politique...

Plusieurs projets sont en cours au sein du Parlement britannique pour accroître l'interactivité dans le fonctionnement démocratique. Dans ce cadre, nous avons fixé quatre objectifs principaux à une échéance de trois ans.

Qu'est-ce que le Parlement ? Il y a un problème de méta-données lorsque l'on parle de démocratie parlementaire. Face à une avalanche d'informations, il faut réussir à faire un tri judicieux. Nous travaillons avec le site de la BBC à la mise sur pied d'une nouvelle section où le citoyen pourra trouver deux types de renseignements. D'abord, à quel interlocuteur doit-il s'adresser, entre son représentant local, son député à Westminster ou à son eurodéputé ? Ensuite, il s'agit d'expliquer ce qu'est la représentation. Nous travaillons par ailleurs avec les producteurs des rapports filmés du parlement. D'ici 18 mois, il suffira d'entrer le nom d'un député ou de taper un thème pour obtenir toutes les interventions de ce député ou tous les travaux disponibles sur ce thème.

Comment les sites parlementaires peuvent-ils aider à la diffusion des informations ? Il ne s'agit pas seulement d'ouvrir une porte nouvelle, par le web, pour permettre au public de participer aux débats du parlement. Il s'agit aussi de donner les moyens à des citoyens qui n'ont pas accès habituellement aux députés de s'exprimer. Ainsi, une discussion sera organisée, sous la forme d'une enquête parlementaire en février 2000, sur la violence conjugale. Les femmes battues n'ont évidemment pas l'habitude de prendre la parole devant le Parlement : nous allons donc les inviter à le faire.

Comment convaincre les parlementaires d'utiliser les nouvelles technologies ? Il est inutile de brancher le Parlement sur le web si les parlementaires eux-mêmes ne partent pas à la découverte de ces techniques. Nous allons donc leur proposer de disposer d'un bureau virtuel.

Comment s'adresser aux différentes communautés ? Nous nous intéressons enfin à la question des communautés, des groupes d'intérêt. L'un des défauts du discours parlementaire habituel est de s'adresser aux citoyens dans leur ensemble, alors que les députés souhaitent le plus souvent parler aux électeurs de leur circonscription ou aux membres d'une communauté d'intérêts particulière. Nous étudions donc la possibilité de diffusion de programmes numériques très ciblés à destination de ces communautés. »

IV. INTERVENTION DE M. JORDI SANCHEZ, UNIVERSITÉ DE BARCELONE

« Depuis 1998, nous disposons au Parlement de Catalogne d'un site web, democracia.web. Sa première section, « Parlement on line », permet aux citoyens de proposer des amendements aux projets et propositions de loi, qui viennent enrichir le travail des groupes parlementaires. Les internautes peuvent aussi faire des commentaires ou des suggestions sur n'importe quel sujet d'intérêt général. La deuxième section, consacrée à la démocratie électronique, a permis, pour la première fois de mettre à la disposition des citoyens connectés au réseau un texte de loi en même temps qu'il était publié au Journal officiel. Democracia.web assure aussi le suivi du travail parlementaire, avec la collaboration mensuelle des leaders des formations politiques catalanes.

Quel bilan peut-on tirer des premiers mois de fonctionnement de ce site ? Il a reçu approximativement 25 000 visiteurs, en particulier pendant les sessions extraordinaires consacrées à la politique générale, à l'éducation ou aux politiques sociales : cela démontre que le contenu du site est primordial pour éveiller l'intérêt des citoyens. Du côté parlementaire, on a pu constater que tous les groupes ont régulièrement répondu aux sollicitations que leur transmettaient les internautes : il est vrai que toutes les questions et toutes les réponses qui leur sont fournies sont consultables, et donc que les interrogations qui restent sans réponse se remarquent très vite. Le problème le plus significatif est la difficulté éprouvée par les représentants du Parlement catalan pour s'habituer à l'utilisation d'Internet. Ce point devrait s'améliorer avec le temps.

D'une manière générale, je crois que l'on peut dire que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont applicables au domaine politique : elles permettent une meilleure information et une plus grande participation du public, et peuvent nous aider à résoudre certains problèmes.

Dans beaucoup de démocraties occidentales, on constate une certaine désaffection des citoyens vis-à-vis du politique. Il ne s'agit pas pour autant d'une défiance par rapport aux principes démocratiques, mais plutôt d'un problème de relations entre les hommes politiques et les citoyens. Internet pourrait sans doute devenir un instrument susceptible de résoudre certaines des difficultés que nous rencontrons, y compris dans le domaine politique. Mais la confiance dans cet outil doit être limitée. La contribution des nouvelles technologies est fonction de la volonté populaire d'y voir quelque chose de positif. Le déficit démocratique que nous connaissons aujourd'hui n'a pas de caractère technologique, c'est avant tout un problème culturel. Il ne faut donc pas se bercer d'illusions et croire que l'Internet pourra résoudre tous nos problèmes : il faut se consacrer à l'information et à l'éducation civique des populations. »

V. INTERVENTION DE M. HENRI LE ROY, AGORANET

« J'ai entendu dans cette enceinte un grand nombre d'orateurs faisant état de leur scepticisme quant à l'utilisation de l'Internet dans la vie politique. Je crois qu'il est urgent de jeter un pont entre les praticiens de l'Internet, d'un côté, et les sceptiques de l'autre. Peut-être l'initiative Agoranet pourrait-elle en tenir lieu.

Agoranet, www.agoranet.org , est une initiative privée, développée en dehors de toute structure officielle ou institutionnelle. En réalité, elle est née d'un concours de circonstances, plus précisément d'une conversation avec Antoine Emery, qui fut attaché parlementaire, et dont il est ressorti que l'Internet était dominé par les sites marchands. Nous avons donc décidé de rencontrer une dizaine de parlementaires pour leur proposer de participer à un forum sur Internet : ce fut la première édition d'Agoranet. Chaque député a donc rédigé une contribution sur le thème de son choix, et les internautes les ont interpellés comme ils le souhaitaient. Pour la deuxième édition, nous avons fait appel à une vingtaine de parlementaires et avons choisi un thème connu, en l'occurrence la modernisation de la vie politique.

À ce stade, Agoranet présente incontestablement quelques vertus. D'abord, contrairement aux oracles qui nous promettaient des tombereaux d'injures et d'inepties, les interventions du public étaient de grande qualité. Ensuite, Agoranet a largement dépassé nos frontières, ce qui démontre le caractère planétaire des débats de société. De même, Agoranet a permis l'expression d'idées générales émanant du grand public mais aussi le déroulement d'échanges de spécialistes, sur la sécurité alimentaire par exemple. Enfin, les internautes sont très vite sortis du cadre qui leur était fixé et ont interpellé directement les élus, ce qui démontre qu'ils sont demandeurs d'un réel échange sur la politique.

Néanmoins, les limites d'un forum sont vite atteintes. Soit l'Internet devient un média, sans doute moins puissant, en termes d'audience, que la presse ou la télévision, comme le disait hier Dominique Wolton. Soit l'Internet devient un moyen d'action, en particulier à l'échelle locale (la commune ou le département) ou sur une échelle sectorielle (les Français de l'étranger, les professions indépendantes, etc.). En réalité, la principale faiblesse d'Agoranet est son caractère général et informel : nous devons trouver un moyen, pour aller plus loin, et mieux organiser l'information, peut-être en nous inspirant des outils de droit déjà développés dans le monde de l'entreprise. Mais une réponse immédiate est peut-être fournie par le modèle du portail, qui permet d'organiser l'information selon une classification thématique. On peut par exemple imaginer un portail dédié aux professions indépendantes, c'est-à-dire à un groupe d'individus qui n'ont d'autre point commun que leur statut, mais qui sont confrontés aux mêmes problèmes de retraite, de santé, de fiscalité, etc.

À mes yeux, la question de savoir si Internet va changer la vie démocratique n'a plus lieu d'être. Internet s'est imposé comme un outil quasi-universel, qu'il faut absolument apprendre à utiliser. Bien sûr, Internet présente certains risques, comme dans l'exemple de la manifestation étudiante virtuelle citée par Hélène Fladmark hier. Mais nos étudiants français, en mai 1968, écrivaient aussi sur les murs, des slogans comme « l'anarchie, c'est l'ordre moins le pouvoir ». Je crois que l'Internet nous donne aujourd'hui le pouvoir de mettre en ordre l'inévitable part d'anarchie qui réside dans toutes les sociétés humaines. »

VI. DÉBAT AVEC LA SALLE

Thierry VEDEL, CEVIPOF

« On s'interroge sur les impacts des nouvelles technologies de l'information et de la communication sur les institutions. Mais ne faut-il pas également s'intéresser à la relation inverse ? Tant Stephen Coleman que John Taylor ont montré que la diversité des institutions parlementaires ne se retrouve pas dans les différents sites parlementaires, qui sont tous assez similaires.

Il me semble que la question de l'accessibilité du citoyen à ces nouvelles technologies a été quelque peu escamotée dans nos débats cet après-midi. On peut dire qu'il ne s'agit que d'une question transitoire, tant les efforts conjugués des pouvoirs publics, des fabricants et des distributeurs de matériel informatique devraient grandement faciliter cet accès. Il me semble néanmoins que la question mérite d'être posée.

Nous avons évoqué à plusieurs reprises le phénomène de marchandisation de l'Internet, qui peut aboutir à céder des parcelles de vie privée. Je souhaiterais là aussi que nous en disions un mot.

Enfin, nous devons sans doute nous interroger sur les forums de discussion qui font florès aujourd'hui sur Internet. Les intervenants qui se sont succédé à la tribune ont bien montré les limites de ces forums, qui nous rappellent que la démocratie ne se résume pas à la discussion. Allons-nous pouvoir faire mieux ? Comment passer de la discussion à la prise de décision, à une délibération ? Au fur et à mesure que les forums de discussion vont se multiplier, peut-être un jour en arrivera-t-on à envisager la création d'un lieu où l'on discute des grands problèmes de société. Si c'est le cas, ce lieu pourrait bien être un Parlement ! »

Anne de la PRESLE, Journal officiel

« Ne voyez-vous pas une contradiction entre la mise en chantier d'un projet de loi sur la société de l'information au plan français, d'un côté, et le développement de l'autorégulation, de l'autre ? Ne faudrait-il pas travailler d'emblée au plan international ? »

Michael CONNAUTRY, député écossais

« Au terme de ces deux journées de travail, je suis convaincu que les nouvelles technologies peuvent changer le travail des élus. Mais cela dit, nous pouvons aussi très bien faire abstraction de celles-ci aussi longtemps que nous nous en tiendrons à nos méthodes traditionnelles. En tant que parlementaire, j'ai récemment assisté aux élections palestiniennes : il n'y avait pas un seul ordinateur en vue, mais le taux de participation a atteint 97 % ! J'espère que la technologie permettra un jour de renforcer la démocratie. »

Bertrand du MARAIS, Commissariat au Plan

« L'Internet comporte au moins deux dimensions : l'interactivité (entre parlementaire et citoyen) et l'information. Pour cette dernière, il est clair qu'Internet permet une accélération et un élargissement de sa diffusion. Cela ne transformera peut-être pas la démocratie, mais cela peut l'améliorer.

Internet est aussi une fabuleuse machine de redistribution des cartes, des pouvoirs. Le parlementaire lui-même, qui est un intermédiaire, ne risque-t-il pas d'être « by-passé » ? »

Daniel SOUDANT, Conseiller de presse du Sénat de Belgique

« Comment a réagi la société lorsque le téléphone, la radio ou la télévision étaient inventés ? En élaborant un code d'utilisation. Ne serait-il donc pas opportun de chercher à rédiger dès maintenant un corpus de règles d'utilisation de l'Internet ? »

Axel HEYER, Politik-Digital

« On s'informe encore beaucoup aujourd'hui par les journaux et la télévision, et les sites de ces médias comptent d'ailleurs parmi les plus fréquentés. De ce point de vue, je dois faire part de mon scepticisme devant les forums. En réalité, je crois qu'il faut combiner les deux, information et possibilité d'expression, comme le fait notre site en Allemagne. Vous y trouverez des informations, mais vous aurez aussi la possibilité, si vous le souhaitez de signer une pétition. »

Andrew MILLER

« La technologie est un outil. Il ne faut pas que l'outil façonne l'homme ; c'est l'inverse qui doit se produire. Les choses n'ont pas encore changé, nous disent certains : je ne partage pas ce point de vue. Les choses ont déjà changé.

Faut-il, comme le suggère le représentant du Sénat de Belgique, établir un code de bonne conduite sur Internet ? Oui et non. Oui pour assurer un niveau minimal de décence, mais non pour peu que l'on croie en la nécessité de la liberté d'expression. En outre, pour être applicable, un tel code se devrait d'être négocié au niveau mondial. D'ailleurs, dès le prochain round de négociations de l'OMC, le thème de la protection de la propriété intellectuelle devrait supplanter le prix du blé canadien ! Mais pour l'instant, je ne vois pas de modèle susceptible de fonctionner correctement. »

Stephen COLEMAN

« Sur la question de l'accès des citoyens aux nouvelles technologies, je dirai deux choses. D'abord, les démocraties peuvent fonctionner avec des inégalités. Il ne faut pas en faire un prétexte pour ne rien faire. Il y aura d'autres moyens d'accès au réseau que les ordinateurs. D'ici cinq ans, en Grande-Bretagne, toutes les télévisions seront numériques, et offriront des services interactifs. Ces services seront d'abord marchands, bien sûr, mais je crois que la télévision numérique ne sera un réel succès que si on lui trouve aussi une utilité citoyenne.

Je ne crois pas beaucoup au phénomène du désengagement de la politique que chacun croit déceler dans la baisse du nombre de militants des partis traditionnels : les gens ont simplement trouvé d'autres moyens de s'impliquer dans la vie sociale, notamment par l'action associative.

Quelqu'un disait tout à l'heure que tous les sites web parlementaires du monde tendaient à se ressembler. On ne trouve même pas de différence majeure entre les systèmes présidentiels et les systèmes parlementaires, a-t-on dit. C'est sans doute parce que le système parlementaire, comme en Grande-Bretagne, ressemble de plus en plus à un système présidentiel ! »

Claude HURIET

« Je ne pense pas, pour ma part, que les parlementaires soient en passe d'être contournés du fait du développement des technologies de communication directe. En revanche, je pense que le travail parlementaire va changer de nature, notamment du fait de l'élargissement des possibilités d'audition. Je m'interroge en revanche sur la représentativité : comment évaluer la représentativité d'un internaute ? Plus que le législateur, c'est donc la loi qui risque d'être contournée. Ainsi, la France a récemment légiféré pour définir très précisément le cadre dans lequel la recherche génétique pouvait se développer. Mais l'utilité de cette loi n'est-elle pas complètement remise en cause avec l'apparition sur Internet de sites qui proposent des tests de paternité ? »

Christian PAUL

« Je ne crois pas non plus que le parlementaire voit son rôle court-circuité par le développement de l'Internet. De même, peu importe la légitimité de ceux qui participent au débat, tant qu'est assurée la légitimité de ceux qui prennent la décision finale. Je crois donc qu'Internet est au contraire de nature à combler le fossé qui s'est creusé entre les élus et les citoyens. »

Karl LOFGREN, Copenhagen Business School

« Savez-vous qui sont les utilisateurs (répartition par sexe, catégorie socioprofessionnelle, etc.) d'Internet ? Une étude que nous avions menée il y a quelques années avait montré que les internautes qui fréquentaient notre site étaient essentiellement des hommes, de moins de 40 ans, diplômés de l'enseignement supérieur et membres d'un parti politique à 60 %. En est-il de même chez vous ? »

Danny van ASSCHE, Université d'Anvers

« L'internet va-t-il nous permettre d'intéresser à la politique ceux qui se sont détournés de la politique ? Beaucoup de nos concitoyens ne lisent pas la presse écrite. Pourquoi iraient-ils consulter des sites web ? Je crois au contraire que ceux qui sont déjà les mieux informés et les mieux insérés dans la vie sociale seront encore mieux informés, ce qui contribuera à élargir le fossé qui existe déjà. »

Françoise MASSIT-FOLLEA, École Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud

« Internet n'est pas un univers stable : ses normes, ses standards, ses frontières évoluent chaque jour. Quel peut être le rôle des politiques pour élaborer une politique démocratique de la technique ? »

Christian PAUL

« Au-delà des aspects technologiques, il y a aujourd'hui une place pour un projet politique et démocratique autour de l'Internet. Nos débats l'ont largement montré. Par ailleurs, je crois en la nécessité de réguler cet espace de liberté. L'élaboration de règles permettant d'assurer cette régulation est justement de la responsabilité des politiques. Cette régulation se fera par le droit, chaque fois que nécessaire, mais aussi, chaque fois que possible, par l'autorégulation. Il ne faut pas opposer un modèle européen, qui serait fondé sur la loi, à un modèle américain, fondé sur l'autorégulation. Il faut au contraire trouver un compromis des deux, un modèle de corégulation. »

Andrew MILLER

« Nous sommes tous d'accord pour penser qu'Internet peut être un outil qui nous aide à inverser la tendance au désintérêt des citoyens pour la politique. Si l'on veut que le public visite nos sites, il nous faut adopter une véritable démarche marketing, qui permette d'attirer les visiteurs et de les faire revenir aussi fréquemment que possible. Je suis également convaincu que les nouvelles technologies vont permettre aux citoyens de mieux comprendre les discours respectifs de chacun des partis, et ainsi de battre en brèche l'opinion superficielle qui veut que tous les partis tiennent peu ou prou le même discours. »

Thierry VEDEL

« À l'évidence, ces deux journées de travaux nous ont permis de progresser dans la compréhension des enjeux des nouvelles technologies pour le travail parlementaire. Je crois que nous avons aussi atteint notre objectif, qui était d'organiser un colloque véritablement international. Les multiples témoignages que nous avons entendus nous ont permis de constater que chacun à son niveau était confronté à peu près aux mêmes problèmes. Pour les Français, qui ont souvent tendance à l'autoflagellation, c'est particulièrement réconfortant de constater que le soi-disant retard français ne résiste pas à l'épreuve de la comparaison internationale.

Ce colloque a été aussi l'occasion de constater que l'on ne pouvait plus tenir, sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le discours manichéen que l'on entendait il y a quelques années. Internet n'est ni la solution à tous nos problèmes, ni le danger ultime que certains dénoncent. C'est là encore une avancée dont nous ne pouvons que nous féliciter. »

VII. CONCLUSION DES DÉBATS : M.JEAN-LUC PARODI, CEVIPOF

« La réflexion sur le lien entre démocratie et nouvelles technologies se prolonge dans bien d'autres institutions. Je me contenterai d'exprimer une interrogation de sociologue : comment pourrait-on construire la démocratie électronique que certains appellent de leurs voeux alors que l'analphabétisme ne cesse de progresser dans nos sociétés ? Un historien, quant à lui, vous aurait expliqué que l'histoire est faite d'une suite de tentatives d'amélioration de la démocratie et de périodes de désillusion. Le philosophe politique, lui, vous aurait dit que nous vivons dans un jeu d'utopie, et qu'il faut se préoccuper avant tout de ceux qui n'ont pas les moyens de prendre le recul nécessaire par rapport aux utopistes.

De plus, depuis que la démocratie est un thème de réflexion, on s'interroge sur ses rapports conflictuels avec la notion de nombre. On retrouve aujourd'hui ce même problème dans le débat sur la démocratie électronique : comment est-il possible de gérer le nombre ? De même, les parlementaires sont très bien placés pour savoir que l'on délibère d'autant mieux que l'on est en petit nombre (et que l'absentéisme parlementaire, qui est tant décrié dans les médias, rend en réalité de grands services à la démocratie...). Enfin, quelle vie abominable serait la vie d'un citoyen connecté en permanence et qui serait sans cesse sollicité pour donner son avis sur tous les sujets de société ? Aurait-il encore le temps de lire, de se promener, de dormir ou de manger ? »

DISCOURS DE CLÔTURE DE M. LAURENT FABIUS, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

« Une démocratie moderne doit utiliser les nouveaux outils qui sont à sa disposition. La crise de confiance que connaît le monde politique n'est pas nouvelle (elle remonte à plusieurs décennies), mais face à elle, les nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent constituer une chance. En effet, elles nous fournissent l'occasion de rapprocher nos institutions des citoyens et de moderniser nos méthodes de travail. Internet permet aussi aux citoyens de formuler des propositions et de faire connaître leurs opinions. Le réseau constitue également une arme de contestation nouvelle et très puissante : les révolutions se font le plus souvent lorsqu'il fait beau, alors qu'Internet fonctionne quel que soit le temps. On peut par exemple considérer que l'Internet a joué, dans la contestation contre l'AMI (accord multilatéral des investissements), un rôle plus important que les manifestations de rue. Il en va de même pour le mouvement d'opinion qui s'est élevé contre la volonté de la société Monsanto de commercialiser son germe Terminator. On voit donc se développer des formes nouvelles de démocratie directe, avec les dangers qui s'y attachent (sondages instantanés manipulés, propagation des rumeurs, etc.). De même, le Sénateur Huriet avait tout à fait raison de souligner que la loi pouvait être contournée par l'utilisation des nouvelles technologies. De même, que pèse le débat sur « l'exception culturelle » quand n'importe qui pourra, depuis n'importe quel lieu, diffuser des oeuvres que tout un chacun pourra consulter dans des conditions techniques proches de celles offertes par la télévision ou le cinéma ?

Nous, responsables politiques, avons à inventer des formes nouvelles d'écoute et d'action. J'évoquerai deux ou trois pistes, parmi d'autres. D'abord, pourquoi ne pas ouvrir systématiquement, avant la discussion des textes de loi, un forum électronique qui contribuerait à enrichir les débats en commission ? De la même façon, il ne faut pas seulement s'interroger sur le rapport entre les citoyens et les parlements, mais se demander comment, plus largement, on pourrait utiliser systématiquement le courrier électronique pour effectuer des interventions auprès des administrations et demander une réponse par le même canal. Internet va rendre rapidement obsolète un certain nombre de nos pratiques politiques. Par exemple, j'avais moi-même déposé une proposition de loi modifiant la législation sur les sondages politiques, qui à l'heure d'Internet n'a plus aucun sens.

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication : de formidables outils de liberté

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication ouvrent de formidables perspectives à l'éducation. Jean-Luc Parodi a évoqué tout à l'heure l'illettrisme. Mais il ne faudrait pas que la France ajoute à ce handicap un analphabétisme de l'Internet, et il importe donc que le système éducatif se préoccupe d'enseigner l'utilisation des nouvelles technologies, au même titre qu'il apprend à lire, écrire et compter. Ne pas connaître les technologies constituera incontestablement un handicap énorme dans les années qui viennent, à tel point qu'il pourrait s'agir d'un facteur d'exclusion de la cité.

Qu'est-ce qu'une politique démocratique de la technique, nous demandait tout à l'heure une participante à votre colloque ? L'affirmation de l'importance de la régulation ne nous dispense pas de la fixation des règles. Les politiques ont le devoir non seulement de définir les règles, mais aussi de vérifier que l'autorité de régulation a fonctionné conformément à ces règles. Le législateur ne peut donc pas se retrancher derrière la régulation pour ne pas intervenir.

Des risques d'aliénation des libertés qu'il faut prévenir

Il existe tout d'abord des menaces liées aux contenus transmis sur Internet (pornographie, pédophilie, racisme, etc.). Mais il existe aussi des menaces liées aux données personnelles. Or un individu n'est pas réductible à la somme de ses connexions informatiques. Il a aussi un droit à l'oubli, et je n'accepte pas, pour ma part, que les nouvelles technologies puissent l'en priver. Que peut-on faire pour se prémunir contre ces risques ? On peut penser au renforcement des pouvoirs de la CNIL pour répondre à ces nouveaux défis. Nous pouvons aussi agir dans les instances internationales pour demander l'institution d'une véritable protection des données personnelles, ou pour définir une procédure de labellisation des sites. On peut enfin former les citoyens à la lecture critique d'Internet.

Je tiens une nouvelle fois à remercier le Sénat pour avoir organisé ce colloque sur un sujet essentiel, et tous ceux qui sont venus de très loin pour y participer. Je souhaiterais qu'ils soient bien convaincus que nous n'avons, pour une fois, aucune leçon à leur donner, mais qu'au contraire nous avons beaucoup à gagner à les écouter. »

ANNEXE-PRÉSENTATION DES INTERVENANTS

Jouny BACKMAN

Député de Mikkeli - Membre du Parlement de Finlande depuis 1987, membre de la « commission du futur », ancien Président du Conseil Gouvernemental pour la société de l'information (1995-1999).

Robert BADINTER

Sénateur des Hauts-de-Seine, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice, ancien Président du Conseil Constitutionnel, Agrégé des Facultés de Droit.

Christine BELLAMY

Professeur d'administration publique à l'université Nottingham Trent, auteur de nombreux articles sur l'entrée des démocraties dans la société de l'information et co-auteur, avec John TAYLOR, de l'ouvrage « Gouverner à l'heure des NTIC », Open University Press.

Patrick BLOCHE

Député de Paris - Co-président du Groupe Nouvelles technologies à l'Assemblée nationale, auteur d'un rapport au Premier ministre « Le désir de France : La présence internationale de la France et la francophonie dans la société de l'information » (1998).

Thierry BRÉHIER

Journaliste au Monde depuis 1980 - Adjoint au Chef de séquence France du quotidien « Le Monde ».

Roland CAYROL

Directeur de recherche à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Directeur de l'institut de sondage CSA.

Yves COCHET

Vice-président de l'Assemblée nationale - député du Val d'Oise - Professeur à l'Université de Rennes.

Stephen COLEMAN

Professeur à la London School of Economics & Political Science, mène des recherches en médias et communication. Directeur d'études à la Hansard society où il dirige le programme « Parlement et médias électroniques ».

William H.DUTTON

Professeur à l'Annenberg School for Communication de Los Angeles, auteur de « Society on Line », 1999, travaille sur la démocratie électronique depuis 1974.

Hélène FLADMARK

Députée d'Oslo - Membre du Parlement de Norvège depuis 1997.

Johnny GILLING

Député de Karlskrona - Membre du Parlement de Suède depuis 1998 -Membre du Comité des transports - Parti Démocrate Chrétien - Ingénieur.

Claude HURIET

Questeur du Sénat - Sénateur de Meurthe-et-Moselle depuis 1983 - Membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Professeur d'Université.

Henri LE ROY

Société COMEST - Promoteur de l'initiative Agoranet ( www.agoranet.org ).

Karl LOEFGREN

Chercheur au Centre de recherches sur les organisations publiques, Copenhagen Business School et Département de Science politique, Copenhagen University.

Patrice MARTIN-LALANDE

Député du Loir-et-Cher depuis 1993 - Co-président du groupe d'études Nouvelles technologies à l'Assemblée nationale - Auteur du rapport au Premier ministre « L'Internet : un vrai défi pour la France » en 1997.

Didier MAUS

Président de l'Association française des Constitutionnalistes - Directeur de l'Institut international de l'Administration publique.

Olivier de MAZIÈRES

Administrateur civil, adjoint du Chef du bureau des élections et des études politiques, Ministère de l'Intérieur.

MILLER Andrew

Député Elesmere Port Leston (Labour - Chambre des communes britannique), diplômé de la London School of Economics, auteur de « les NTIC au service d'une meilleure administration » (Étude commandée par le Cabinet Office en préparation du livre blanc du Gouvernement).

Dieter OTTEN

Professeur de sociologie et d'informatique à l'Université Onasbruck (Allemagne), Directeur du centre de recherche sur Internet, Responsable du projet « Voting via Internet ».

Christian PAUL

Député de la Nièvre - Administrateur civil - Organisateur de la première édition des rencontres parlementaires sur la société de l'information et Internet.

Pascal PERRINEAU

Professeur des Universités à l'IEP de Paris, Directeur du CEVIPOF.

Charles RAAB

Professeur à l'Université d'Edimburgh, conduit des recherches sur l'accès public à l'information. A notamment co-publié un rapport de la Commission européenne sur la protection des données dans les pays non membres de l'Union européenne.

Jordi SANCHEZ

Professeur à l'Université autonome de Barcelone.

Colin SMITH

Professeur à l'Université Glasgow Caledonian.

John TAYLOR

Professeur à l'Université Glasgow Caledonian, travaille sur la citoyenneté électronique depuis 12 ans, a publié « Les Parlements à l'âge d'Internet » (1999), co-auteur avec Christine BELLAMY de l'ouvrage « Gouverner à l'heure des NTIC », Open University Press.

René TREGOUËT

Sénateur du Rhône depuis 1986 - Président du Groupe d'études de Prospective au Sénat - Auteur du rapport « des Pyramides du pouvoir au réseau de savoirs » en 1998.

Jacques VALADE

Vice-président du Sénat - Sénateur de la Gironde depuis 1980. Ancien ministre délégué à la Recherche et à l'Enseignement supérieur. Professeur d'Université.

Jos VAN GENNIP

Sénateur des Pays-Bas depuis 1991 - Membre du CDA.

Thierry VEDEL

Chercheur CNRS, Responsable du séminaire Démocratie électronique, CEVIPOF.

Marina VILLA

Professeur de théorie et techniques de l'information à l'Université de Milan-Brescia, travaille sur les rapports entre médias et politique.

Dominique WOLTON

Directeur de recherche au CNRS - Directeur du laboratoire Communication et politique au CNRS - Directeur de la publication de la revue semestriel HERMÈS depuis 1989.

Thomas ZITTEL

Professeur assistant à l'Université de Mannheim (RFA), ancien assistant parlementaire au Congrès américain (1996).

Comme les citoyens, comme les entreprises, les Parlements entrent dans la société de l'information. Parce qu'ils sont au coeur de nos démocraties représentatives, ils sont particulièrement confrontés au défi des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Celles-ci, en accélérant la circulation de l'information, en provoquant de nouveaux échanges d'idées et en facilitant l'interaction entre individus, peuvent bouleverser le rôle et le fonctionnement des Parlements. Parlementaires et universitaires venus d'Europe et des États-Unis ont examiné, ensemble, durant deux jours, à l'occasion d'un colloque organisé par le Sénat et le Centre d'Étude de la Vie Politique Française (CEVIPOF) les 18 et 19 novembre 1999, les premières expériences de mise en ligne d'assemblées représentatives. Ils ont débattu des relations, complexes et controversées, qu'entretiennent technologie et politique.

Ainsi, le réseau mondial permettra-t-il une plus grande transparence du processus législatif et une meilleure lisibilité des lois ? De quelle manière les technologies de l'information peuvent-elles modifier le travail des parlementaires? Peut-on imaginer à l'avenir la tenue d'élections électroniques ? Plus fondamentalement, les technologies de l'information favoriseront-elles de nouvelles relations entre les Parlements et les citoyens ?

Telles sont les questions que pose cet ouvrage, avec, toujours présente, l'utopie d'une nouvelle démocratie. Une démocratie électronique ?


* 1 74,3 % des votants ont soutenu le principe de la création d'un Parlement écossais et 63,5 % ont voté pour le principe de donner au Parlement le pouvoir de modifier certains impôts (+/-3 % en livre). La participation à ce référendum était de 60,4 %.

* 1 La recherche a été financée par les organisateurs mêmes, qui voulaient mieux étudier les potentialités de cet instrument et aussi ses applications au champ politique.

* 2 L'événement était déjà annoncé, beaucoup de questions étaient arrivées par e-mail, les navigants étaient probablement déjà connectés, mais le candidat ne s'est pas présenté au rendez-vous et, sur le site, cela a été annoncé juste à l'heure du début de la conférence (le site présentait ses excuses et promettait que Fini ou ses collaborateurs auraient répondu aux questions des navigants qui étaient déjà arrivées ; d'après ce que nous avons expérimenté directement, personne n 'a répondu aux questions).

* 3 La recherche a utilisé ces instruments : observation participante de l'événement; analyse du contenu de l'interview ; analyse sémio-pragmatique de la communication (les stratégies énonciatives et les formes du dialogue entre politique et navigants du point de vue du langage verbal et visuel).

* 1 Instituées pour les élections européennes, présidentielles, Sénatoriales, législatives, régionales (et à l'Assemblée de Corse), cantonales et municipales, les commissions de propagande sont présidées par un magistral désigné par le 1 er président de la cour d'appel. Seuls les référendums ne sont pas assujettis à ces dispositions, sauf à ce que le décret de convocation des électeurs les y soumette.

* 2 Ces commissions sont instituées pour les mêmes scrutins que les commissions de propagande et sont présidées par un magistrat de l'ordre judiciaire (art. L. 85-1 du code électoral).

* 1 179 millions de francs pour tes élections européennes de juin 1999.

* 2 D'une dimension maximale de 594 x 841 mm.

* 3 297 x 420 mm au maximum

* 1 Après ouverture de l'urne, les enveloppes contenant les bulletins sont regroupées par paquet de 100. Chaque paquet est introduit dans une enveloppe dite « de centaine », qui est immédiatement cachetée, revêtue des signatures des membres du bureau de vote puis transmise à l'une des tables de dépouillement, où elle est ouverte. Un scrutateur extrait alors le bulletin de chaque enveloppe de vote et le passe, déplié, à un autre scrutateur, qui le lit. Les noms qui y figurent sont relevés par au moins deux autres scrutateurs, sur des feuilles de pointage séparées. Une fois le dépouillement achevé, ces feuilles sont collationnées par le président du bureau. Les résultats sont alors inscrits sur un procès-verbal, puis il en donne lecture à haute voix par le président.

* 1 Une loi n° 97-1027 du 10 novembre 1997 a par ailleurs prévu un mécanisme d'inscription automatique des jeunes de 18 ans, à partir des fichiers établis en application du code du service national, ainsi que des fichiers de l'assurance maladie. Ces données sont collationnées par l'INSEE, qui les contrôle puis les transmet aux commissions instituées pour chaque bureau de vote. Ce dispositif complique considérablement la tâche de l'INSEE et des autres autorités compétentes, tout en accroissant les incertitudes relatives à la fiabilité des listes.

* 2 5,1 millions de francs au titre des seuls frais d'impression des cadres vierges.

* 1 Article R.40 du code électoral, sauf naturellement dans les communes qui ne comptent qu'un bureau de vote.

* 2 Tel pont ou voie ferrée, qui constituait une frontière facile à identifier, peut avoir ainsi disparu du paysage.

* 3 Il est en revanche trop tôt pour confier cette mission à des communes parfois mal équipées, contrairement à ce qui existe fréquemment en Finlande.

* 4 Articles R.29 et suivants du code électoral.

* 1 Ces critères ne remplaceraient pas les normes d'agrément prévues par le code électoral, mais viendraient les compléter.

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