· Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
Avant de relayer le message que le Président Jean Faure m'a demandé de vous transmettre sur le sujet de la coopération parlementaire, je voudrais répondre en quelques mots à M. Carcassonne.
Premièrement, mon expérience des commissions des affaires étrangères et de la défense me permet de mettre l'accent, aujourd'hui, sur leurs compétences. Les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat sont composées de membres dotés d'une solide expérience, de par leur passé, et surtout, d'un goût prononcé pour les affaires étrangères et pour la défense. La composition de la table ronde de ce matin l'a bien souligné.
Deuxièmement, nous ne partons pas en voyage uniquement pour découvrir le monde. L'état de notre diplomatie montre que la présence de la France n'est pas toujours suffisante et que notre rôle est de contribuer au maintien d'un dialogue avec de très nombreux pays du monde qui regrettent, souvent, de ne pas avoir davantage de relations avec notre pays. Ces quelques exemples ne sont pas de nature à susciter la polémique. De grandes missions ont récemment été entreprises par la Commission des affaires étrangères du Sénat, en Indonésie, en Iran, en Inde et en Asie centrale. Or nous avons beaucoup travaillé pour rencontrer des interlocuteurs de ces pays étrangers. Je ne crois pas être trop prétentieux, en vous disant que les rapports que nous avons fournis, à notre retour, ont apporté, au Quai d'Orsay et à nos ambassades, des éléments utiles de compréhension de ces pays. Les professionnels doivent de moins en moins penser qu'ils sont les seuls capables d'intervenir dans ces pays. De plus en plus, les parlementaires doivent être conscients que la présence de la France doit être renforcée par leur action.
J'en viens, mes chers collègues, à la lecture du message de Jean Faure. Il complète ce que vous avez dit, Madame, ce dont je vous remercie.
« L'une des évolutions majeures des dernières années est l'essor régulier, et considérable, de la coopération interparlementaire. Embryonnaire au début des années 90, elle a pris une grande ampleur. Mais, avant d'aller plus avant, il convient de préciser ce que l'on entend par coopération interparlementaire. Bien connue des assemblées, elle pourrait l'être mieux à l'extérieur. j'entendrais, donc, par coopération, l'ensemble des actions permettant un échange de savoirs et de méthodes entre assemblées parlementaires. Ces actions peuvent, évidemment, prendre des formes très diverses : accueil de parlementaires ou de fonctionnaires des assemblées, stage de plus longue durée...
1. - Le considérable développement de la coopération interparlementaire (missions d'évaluation sur place, assistance de longue durée)
Bref, ce qu'il convient, d'abord, de souligner, c'est le considérable développement de cette coopération. Je ne citerai qu'un seul chiffre, mais il est éloquent : entre 1993 et 2000, le nombre de stagiaires et de visiteurs reçus par le Sénat, dans le cadre de cette coopération, est passé de 72 à plus de 700 ; encore, 2000 fut-elle une année de basses eaux, puisque le Sénat a organisé le Forum des Sénats du monde . Un autre élément qui témoigne de la vitalité de cette coopération et la variété des pays qu'elle concerne. Il n'est pas un continent d'où elle soit absente, même si ses points forts sont actuellement l'Afrique et l'Est de l'Europe. Pourquoi ce rapide développement ? Disons-le, il tient très clairement aux effets d'une double évolution historique : l'effondrement des pays communistes et avec eux, de leur façade institutionnelle, pseudo démocratique, en est le premier élément. Le second, qui est lié, est la démocratisation progressive, difficile, mais réelle du continent africain. Cependant, aujourd'hui, et au-delà de ces événements historiques, entre en ligne de compte un vaste mouvement, à l'échelle mondiale, qui souligne, et justifie, l'importance de la coopération parlementaire. On constate une immense et quasi-universelle aspiration à une amélioration des méthodes de gouvernement. En d'autres termes, maintenant que le système démocratique s'est imposé dans le monde, il paraît nécessaire d'en perfectionner le fonctionnement. Plus encore, jusqu'alors limitée au plan national, la conquête démocratique doit, aujourd'hui, aborder le champ international et cela passe par une coopération intensifiée entre institutions représentatives.
2. - Les enjeux de cette coopération
Quels sont, aujourd'hui, les enjeux de cette coopération ? Le premier est, bien sûr, la démocratisation. Si sa théorie reste à faire, il n'en reste pas moins que chacun s'accorde, désormais, à reconnaître que la démocratie est constituée, de façon pragmatique, par un patrimoine bien identifiable de pratiques politiques et institutionnelles. Sans prétendre à l'exclusivité, l'existence d'un parlement représentatif, et doté de moyens d'action, est certainement l'un des éléments forts de ce patrimoine, car il est, à la fois, le garant du pluralisme, mais aussi un gage de modération des pouvoirs, en particulier, s'il est bicaméral.
Le deuxième enjeu est international : nous devons avoir la conviction que contribuer à l'affermissement des parlements, c'est travailler à l'émergence d'une communauté internationale démocratisée et démocratique. Seuls ces États démocratiques sont à même de participer avec autorité et assurance à cette communauté. En d'autres termes, en consolidant les parlements nationaux, l'on favorise l'éclosion d'une société internationale digne de ce nom.
Enfin, le troisième enjeu nous rappelle que la construction de cette société internationale est un combat, car rien n'y est définitif : sa configuration dépendra d'un certain nombre de choix. De fait, pourquoi ne pas le dire, elle est l'occasion d'une intense compétition juridique et institutionnelle. Ce qui s'affronte, c'est tout simplement deux systèmes : le droit anglo-saxon et le droit français. De son issue dépendra la forme et la valeur de la démocratie internationale en gestation. Ira-t-on, dans le domaine juridique, comme en matière économique, culturelle, linguistique, vers plus d'uniformité ? Ou s'engagera-t-on dans la voie d'un authentique pluralisme ? C'est aussi pour répondre, positivement, au deuxième terme de cette question que la coopération interparlementaire menée par l'Assemblée nationale et le Sénat est essentielle.
3. - Perspectives de la coopération interparlementaire
Cette coopération, quelles en sont les perspectives ? Dans l'ordre interne, deux séries de considérations s'imposent. En premier lieu, et pour les raisons invoquées par le président Poncelet ce matin, c'est-à-dire de modestie, vu les moyens, l'action de nos assemblées doit être moins axée sur la gestion des programmes de coopération, mais conçue davantage comme fédératrice et animatrice de réseaux au bénéfice de l'État de droit ; ce qui nous engage, très concrètement à développer nos partenariats et à mettre l'accent sur la pluridisciplinarité.
En second lieu, l'un des enseignements de ces dernières années, est que la coopération, dans un cadre bilatéral et multilatéral, se confortent l'une l'autre. En Géorgie, nous sommes partis du bilatéral, pour poursuivre par du multilatéral sur financement européen. Au Cambodge, à l'inverse, nous sommes partis du multilatéral pour passer au bilatéral avant d'aboutir, aujourd'hui, à nouveau, au multilatéral. En d'autres termes, l'une des perspectives de l'avenir est d'assurer une étroite complémentarité entre ces deux types de coopération. À l'échelon international, il me semble utile de souligner l'évolution prometteuse de l'engagement croissant des organisations internationales en faveur du soutien aux institutions représentatives. Comme en écho à la résolution finale du Forum des Sénats du monde de mars 2000 qui demandait à ces organisations, de ne pas limiter leur soutien à leurs exécutifs, mais de l'étendre aux assemblées, la conférence des Pays les Moins Avancés a souligné que les programmes de coopération devaient, désormais, privilégier les parlements. Cela marque, me semble-t-il, une nouvelle étape de la coopération interparlementaire. Reconnue dans l'ordre interne elle l'est, désormais, aussi sur le plan international. »
M. Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public-Sénat
Merci, Xavier de Villepin. Je vais donner maintenant la parole à Michèle Rivasi, qui est députée, comme vous le savez, puis au sénateur Claude Huriet. Lorsque chacun aura parlé, la discussion pourra s'engager entre les intervenants à la tribune et vous-mêmes. Je pense que, naturellement, vous avez envie de poser un certain nombre de questions - ou en tout cas de donner votre avis. N'oublions pas, comme l'a annoncé tout à l'heure Mme Lazerges, que le ministre des affaires étrangères, M. Védrine, devrait nous rejoindre vers quatre heures et demie.