· Intervention de M. René ANDRÉ, député, président des groupes d'amitié France-Asie centrale et France-Kazakhstan
Je voudrais, à mon tour, répondre, très brièvement, à la provocation volontaire de M. le professeur Carcassonne. Vous avez évoqué les attentes incertaines. Vous me permettrez donc d'évoquer rapidement les attentes frustrées. Vous avez évoqué des finalités hétérogènes, je parlerai de finalités multiples, riches de leurs différences. Enfin, vous avez conclu par des compétences aléatoires, vous me permettrez, en un mot, d'évoquer les compétences diverses et complémentaires.
1. - Les attentes frustrées
Il existe des attentes auxquelles nous, parlementaires, lorsque nous sommes dans les différents pays, ne pouvons répondre.
Je garderai longtemps en mémoire les demandes qui m'ont été présentées, avec d'autres collègues lorsque j'étais au Vietnam. Elles nous étaient présentées par des parlementaires vietnamiens et nous ne pouvions y répondre. J'ai également un autre souvenir, assez récent, celui de l'époque où j'étais au Kosovo, à Pristina et des demandes qui nous étaient présentées par la collectivité, aussi bien serbe qu'albanophone. Nous avons relayé ces demandes mais nous savions que nous n'aurions pas beaucoup de succès. Les attentes vis-à-vis de la diplomatie parlementaire sont réelles. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours y répondre.
2. - Des finalités multiples riches de leurs différences
Il ne faut pas confondre le travail - ce serait une erreur considérable - que font nos ambassadeurs et nos diplomates sur le terrain et le travail que nous avons à faire lors de notre venue dans un pays. Notre action n'est pas la même et, pour répondre concrètement aux interrogations du public, nous n'allons pas dans les divers pays où nous nous rendons pour faire du tourisme. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au travail de Mme la présidente Lazerges : elle a tenu, justement, à regrouper les différentes zones de façon à ce que notre travail, comme vous l'avez déjà fait au Sénat, soit plus cohérent. Je pourrais encore continuer à ce propos.
3. - Des compétences complémentaires
Nos compétences ne sont pas seulement aléatoires, elles sont diverses et complémentaires. Notre travail n'est pas le même et je vais prendre un exemple très récent et très précis. Tout le monde connaît maintenant le président Ibrahim Rugova. Il se trouve qu'il y a quelques années, le président Ibrahim Rugova a été reçu comme un chef d'État en Allemagne. Il est arrivé en France pensant être reçu exactement de la même façon. Il a été immédiatement arrêté par la Police de l'Air et des Frontières et mis au placard à l'aéroport. Une intervention parlementaire auprès du ministre de l'Intérieur de l'époque a été nécessaire pour, non sans difficultés, faire en sorte que le président Ibrahim Rugova soit libéré. Je pense que cela aussi fait partie intégrante des compétences diverses et complémentaires. Voici ce que je tenais à vous dire, M. le professeur.
Mon témoignage ne sera pas à charge ! Il se trouve que je ne suis plus le président du groupe d'amitié France-Russie, qui est aujourd'hui présidé avec compétence et bonheur par Jean-Louis Bianco. Cependant, j'ai eu, pendant un certain temps, à m'en occuper. Je voudrais souligner que, dès la chute de l'Union soviétique, les délégations parlementaires russes ont commencé à se succéder à l'Assemblée nationale. Ce mouvement s'est amplifié de façon considérable à partir de 1994 lorsque la Russie a adopté une nouvelle Constitution et lorsque la Douma d'État a remplacé le Soviet suprême. Il est alors apparu, très rapidement, que le groupe d'amitié qui existait ne pouvait pas répondre à toutes les demandes de relations et de coopération : il est apparu nécessaire de se doter de moyens permettant des contacts plus réguliers et d'établir ces contacts avec les différents organes du parlement - aussi bien la présidence et le bureau que les commissions et les délégations. C'est pourquoi MM. Séguin et Ritkine, à l'époque respectivement président de l'Assemblée nationale et président de la Douma d'État, ont décidé, en octobre 1994, de créer un organe unique de coopération interparlementaire : la Grande Commission parlementaire France-Russie. Cette grande commission reste, encore aujourd'hui, originale tant par sa composition que par le niveau auquel elle se réunit ainsi que par la régularité de ses rencontres. La Grande Commission est, en effet, composée, pour la partie française, de trois membres du Bureau de l'Assemblée nationale, de représentants de chacune des commissions permanentes et des délégations de l'Assemblée nationale à vocation internationale ainsi que des membres du bureau du groupe d'amitié France-Russie. Ses réunions se tiennent toujours dans un strict respect de l'équilibre politique. Depuis 1994, la Grande Commission s'est réunie six fois sous la présidence effective, aussi bien du président de l'Assemblée nationale que sous celle du président de la Douma d'État - ce qui a, bien entendu, toujours conféré à ces réunions un éclat particulier. Ses travaux durent généralement de deux à trois jours et portent traditionnellement sur l'examen de la situation internationale, sur la coopération européenne et sur des thèmes d'intérêt commun pour les deux parlements. Lors de notre dernière session, nos travaux ont porté sur les questions stratégiques - le bouclier anti-missiles, les relations entre l'Union européenne et la Russie, l'évolution des Balkans - l'affaire du Kosovo - et les relations entre le parlement russe et le parlement français. C'est une structure à laquelle nos collègues russes sont profondément attachés et qui, je crois, remplit bien son rôle de diplomatie parlementaire.
Le deuxième exemple que je voudrais apporter et qui a été évoqué par Mme la présidente Lazerges concerne la coopération qui existe entre l'Assemblée nationale et la Douma d'État dans le cadre du programme TACIS. Le point intéressant de ce programme, comme vous l'avez souligné Madame la présidente, est qu'il fait travailler l'Assemblée nationale et le Sénat, mais aussi les parlements allemand, espagnol avec l'ensemble de nos collègues russes. C'est vous dire l'intérêt novateur de cette expérience tout à fait intéressante et qui va continuer à se poursuivre. L'ensemble de ces activités a débouché sur plusieurs rencontres, aussi novatrices les unes que les autres, puisque nous avons mis en place une coopération trilatérale réunissant les parlementaires français, russes et allemands. Nous avons commencé, et ce n'était pas une chose facile, à aborder le cas difficile et irritant de Kaliningrad auquel nos collègues russes et allemands sont extrêmement sensibles. Ce sont d'ailleurs les parlementaires allemands qui nous ont dit que nous, Français, étions peut être les mieux placés pour aborder, avec les Russes, cette question.
Le plus important à mes yeux n'est pas forcément la structure dont émane telle ou telle étude, mais plus exactement la capacité du parlement - Sénat et Assemblée nationale -, par ses divers organes et ses divers moyens d'action, à étudier de manière approfondie un sujet, d'une part, et, en matière internationale, d'en percevoir toute la complexité, par les contacts auxquels il peut participer, d'autre part.
C'est - et j'en porte le témoignage - le cas, en ce qui concerne les relations entre la France et la Russie, où l'Assemblée nationale a réussi à créer un climat de dialogue particulièrement approfondi dont est exclue toute langue de bois et qui permet d'aborder, dans la plus grande clarté et la plus grande simplicité, les sujets les plus difficiles. C'est peut-être là le propre de la diplomatie parlementaire d'établir un style de relations moins formelles, moins policées, que celles de la diplomatie traditionnelle. Notre parole est naturellement plus libre, nos responsabilités ne sont pas non plus du même niveau, M. le professeur.
Cela a, néanmoins, un corollaire auquel il faut veiller avec soin : celui de la responsabilité et de la conscience des enjeux qui font l'objet des discussions. Par définition, la diplomatie parlementaire doit se situer au même niveau qualitatif que la diplomatie traditionnelle afin de pouvoir, lorsque cela s'avère utile, la compléter et l'enrichir sans, bien entendu, se substituer à elle de quelque manière que ce soit.